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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> Hofmann v Germany- 66516/01 French Text [2007] ECHR 1203 (28 August 2007)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2007/1203.html
Cite as: [2007] ECHR 1203

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CINQUIEME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 66516/01
présentée par Lydia HOFMANN

contre l’Allemagne

 

La Cour européenne des Droits de l’Homme (cinquième section), siégeant le 28 août 2007 en une chambre composée de

          MM.  P. Lorenzen, président,
                   K. Jungwiert,
          Mme   M. Tsatsa-Nikolovska,
          MM.  R. Maruste,
                   J. Borrego Borrego,
          Mme   R. Jaeger,
          M.     M. Villiger, juges,

et de Mme C. Westerdiek, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 novembre 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

La requérante, Lydia Hofmann, est une ressortissante allemande, née en 1960 et résidant à Braubach (Allemagne). Le gouvernement défendeur
(« le Gouvernement ») était d’abord représenté devant la Cour par son agent, M. Stoltenberg, Ministerialdirigent, puis par M
me Wittling-Vogel, Ministerialdirigentin, du ministère fédéral de la Justice.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

 

1.    La genèse de l’affaire

 

Le 23 juin 1993 naquît S., la fille de la requérante. Trois semaines plus tard, le 12 juillet 1993, avec l’accord de la requérante, S. fut placée dans une famille d’accueil au motif que sa mère souffrait d’une maladie psychique. En effet, ayant séjourné pendant plusieurs semaines avant et juste après la naissance dans une clinique psychiatrique, la requérante n’était pas en mesure de s’occuper de son enfant.

Le 9 mai 1995, à la suite d’une demande de l’Office de la jeunesse (Jugendamt), le tribunal de tutelle de Coblence (Vormundschaftsgericht Koblenz) ordonna la suspension de l’autorité parentale de la requérante sur sa fille pour la durée de sa maladie et désigna le père de la requérante comme tuteur de S., tout en maintenant cette dernière dans la famille d’accueil. Cette décision fut confirmée, le 3 août 1995, par le tribunal régional (Landgericht) de Coblence. Le père de la requérante fut également désigné comme tuteur du premier enfant de la requérante, M., né le 4 mai 1981.

2. La procédure devant les juridictions nationales

a. Devant le tribunal de tutelle de Coblence

Le 26 mars 1996, la requérante demanda l’annulation de la suspension de son autorité parentale au motif qu’elle était guérie.

Le 1er avril 1997, le tribunal de tutelle décida que S. resterait dans la famille d’accueil et accorda à la requérante un droit de visite.

Par la suite, le tribunal de tutelle demanda l’avis d’un psychologue sur la capacité de la requérante d’élever sa fille compte tenu de sa maladie et ordonna une autre expertise sur la question de savoir si le retour de S. chez sa mère et l’abandon de sa famille d’accueil dans laquelle elle vivait depuis presque quatre ans mettait en péril son bien-être.

Le 27 février 1998, après avoir demandé l’avis d’un médecin sur l’état de santé de la requérante et après avoir entendu l’Office de la jeunesse ainsi que toutes les parties concernées par la procédure et en tenant compte des expertises mandatées auparavant, le tribunal de tutelle de Coblence annula la suspension de l’autorité parentale de la requérante, eu égard au fait que celle-ci avait donné son accord pour que S. restât dans sa famille d’accueil et avait déclaré qu’elle n’exigeait pas le retour immédiat de sa fille chez elle.

Le 18 mars 1998, la requérante demanda l’obtention d’un droit de visite provisoire (vorübergehender Umgang) de sa fille pour les 24 et 28 mars 1998, au motif que les parents d’accueil lui avaient refusé tout contact avec l’enfant.

Le 23 mars 1998, le tribunal de tutelle fit partiellement droit à la demande de la requérante.

Par la suite, la requérante fit d’autres demandes de visites de sa fille. Néanmoins l’organisation de celles-ci dans la pratique s’avérait difficile en raison des relations conflictuelles entre la requérante et les parents d’accueil.

Le 7 juillet 1998, la requérante demanda l’obtention d’un droit de visite régulier (regelmässiges Besuchsrecht) de sa fille hors de la présence des parents d’accueil.

Le 23 février 1999, elle demanda à ce que sa fille lui soit restituée de manière définitive (endgültige Herausgabe) au plus tard en août 1999 pour la rentrée scolaire.

Le 4 mars 1999, le tribunal de tutelle désigna une avocate comme tuteur de S. pour défendre les intérêts de l’enfant lors des litiges entre la requérante et les parents d’accueil.

Le 17 mars 1999, le tribunal de tutelle procéda à une audition de S. dans son jardin d’enfants.

Le 13 avril 1999, la requérante adressa un recours en carence (Untätigkeitsbeschwerde) au président du tribunal régional de Coblence, dans lequel elle se plaignit de ce que le tribunal de tutelle n’avait toujours pas donné suite à sa demande du 7 juillet 1998 en dépit de ses rappels écrits répétés. Le 17 mai 1999, le président du tribunal régional admit notamment l’existence de retards injustifiés dans la procédure depuis septembre 1998 et qui étaient a priori dus au nombre important de dossiers dans la section du tribunal de tutelle compétente pour l’affaire de la requérante, section que le juge concerné venait par ailleurs de prendre en charge.

Le 27 mai 1999, le tribunal de tutelle de Coblence rejeta la demande de la requérante d’obtenir la restitution de sa fille. Il estima notamment que, même si la requérante, après s’être rétablie de sa maladie, était investie de l’autorité parentale sur S. et qu’à long terme il était dans l’intérêt de l’enfant de renouer le contact avec sa mère, le retour chez celle-ci porterait pour le moment atteinte au bien-être de l’enfant et devait de ce fait être refusé, conformément à l’article 1632 § 4 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch - voir Droit interne pertinent ci-dessous). Selon les informations fournies par les parents d’accueil et par l’Office de la jeunesse, l’enfant vivait en effet depuis cinq ans dans sa famille d’accueil, s’y était bien intégré et maintenait de bonnes relations avec les autres enfants de la famille. Le tribunal releva aussi que, interrogée au sujet de sa mère lors de son audition au jardin d’enfants, S. s’était montrée angoissée et avait déclaré qu’elle ne souhaitait pas de visites de sa mère ou bien seulement en présence des parents d’accueil.

Le tribunal fixa en outre un mode de visite en vertu duquel la requérante pouvait voir sa fille une fois par mois pendant quatre heures, soit au domicile des parents d’accueil, soit dans un endroit neutre en présence d’un de ceux-ci. Le tribunal ordonna également le retrait partiel de l’autorité parentale de la requérante et se fixa un délai d’un an pour réexaminer l’affaire.

b. Devant la cour d’appel de Coblence

Le 21 juin 1999, la requérante interjeta appel de cette décision en soulignant notamment l’urgence de la situation eu égard aux retards « insupportables » de la procédure et au fait qu’elle essayait de voir et de reprendre sa fille depuis le 26 mars 1996.

Le 13 mars 2000, après avoir entendu toutes les parties concernées lors d’une audience, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Coblence confirma la décision du tribunal de tutelle.

Elle indiqua d’emblée que les parents disposaient d’un droit naturel d’élever et d’éduquer leurs enfants. Si un enfant était retiré à ses parents pour être confié à une famille d’accueil, cela représentait la plus grande ingérence possible dans le droit des parents énoncé à l’article 6 § 2 de la Loi fondamentale (Grundgesetz). C’est pourquoi la protection des droits des parents énoncée à l’article 6 § 3 de la Loi fondamentale ne se limitait pas au moment de la séparation de l’enfant de ses parents, mais s’étendait aussi à la période postérieure lorsqu’il convenait de se prononcer sur le maintien ou non de l’enfant dans sa famille d’accueil. D’un autre côté, la relation qui s’était établie entre l’enfant et ses parents d’accueil à la suite d’un séjour prolongé de celui-ci impliquait de ne pas totalement laisser de côté l’intérêt de la famille d’accueil.

La cour d’appel ajouta que dans la mise en balance des différents intérêts en présence, priorité devait être donnée au parent disposant de l’autorité parentale qui souhaitait reprendre son enfant. Le maintien de l’enfant dans sa famille d’accueil en vertu de l’article 1632 § 4 du code civil n’était de ce fait possible que si le retour chez la mère entraînait pour l’enfant de graves conséquences au niveau de son équilibre physique et psychique. Elle indiqua qu’elle était convaincue que tel était le cas en l’espèce après examen du dossier et du rapport d’expertise et après avoir entendu toutes les parties.

La cour d’appel releva notamment que s’il était vrai que la requérante avait toujours maintenu le contact avec sa fille, le retour de celle-ci chez sa mère constituait, aux dires de l’expert en psychologie mandaté par la cour, une « catastrophe existentielle » (« existentielle Katastrophe »). En effet,
S. avait clairement manifesté son souhait de rester dans sa famille d’accueil. Un retour forcé entraînerait la perte pour elle de toute confiance en des personnes proches et de sa capacité générale d’entrer en relation avec autrui.

La cour d’appel considéra que même un processus de retour progressif de S. chez sa mère nuirait à la personnalité de l’enfant, au motif que la requérante n’avait pas la capacité d’entrer en relation avec sa fille. Sur ce point, la cour d’appel fit état des observations de l’Office de la jeunesse et de l’expert relatives à plusieurs rencontres qui avaient eu lieu entre la requérante et sa fille. Le comportement de la requérante était d’une part marqué par une attitude passive et un manque d’intérêt envers sa fille ainsi que par un manque de sensibilité quant aux besoins de celle-ci. D’autre part, la requérante s’était montrée agressive dès lors qu’il s’agissait des parents d’accueil. La cour d’appel nota aussi que le fait que la requérante avait inscrit sa fille à l’école maternelle près de chez elle sans avertir ni les parents d’accueil ni l’Office de la jeunesse avait également contribué à créer des troubles chez sa fille et montrait le manque de sensibilité de la requérante en la matière qui, par ailleurs, était convaincue d’avoir toujours agi correctement.

La cour d’appel conclut qu’elle était consciente de la situation difficile de la requérante, provoquée par sa maladie sans qu’elle soit fautive. Cependant,  la situation s’était de plus en plus figée au cours des années et il en résultait que le droit de l’enfant de rester dans sa famille d’accueil devait l’emporter sur celui de la requérante d’avoir sa fille chez elle.

La cour d’appel fixa en outre les visites de la requérante à sa fille à deux heures toutes les deux semaines.

c. Devant la Cour constitutionnelle fédérale

Le 13 juin 2000, la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht), statuant en comité de trois juges, décida de ne pas retenir le recours constitutionnel de la requérante.

 

3.    Développements ultérieurs

 

Le 25 juillet 2000, la requérante donna son consentement devant notaire à l’adoption de sa fille. Cette déclaration parvint au tribunal de tutelle de Coblence le 18 février 2002, date à laquelle le consentement est devenu irrévocable.

B.  Le droit interne pertinent

L’article 1631 § 1 du code civil dispose que l’autorité parentale comprend notamment l’obligation et le droit de soigner, éduquer et surveiller l’enfant et de déterminer son domicile (Aufenthalt).

L’article 1632 du code civil, dans ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

   « 1. L’autorité parentale comprend le droit d’exiger de quiconque privant illégalement l’enfant de l’un de ses parents ou des deux de le lui restituer.         (...)

   4. Si les parents demandent la restitution de l’enfant alors que celui-ci vit depuis un certain temps dans un foyer d’accueil (Familienpflege), le tribunal de la famille (Familiengericht) peut ordonner d’office ou sur demande de la personne qui accueille l’enfant que celui-ci demeure au foyer d’accueil dans la mesure et aussi longtemps que la restitution porterait atteinte au bien-être de l’enfant. »

GRIEFS

1. La requérante se plaint du refus des autorités allemandes de lui restituer sa fille. Elle invoque les articles 5, 8 et 25 de la Convention ainsi que des dispositions de la Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989.

2. La requérante se plaint aussi de ce que sa cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable, prévu à l’article 6 § 1 de la Convention. Elle invoque aussi l’article 8 de la Convention à cet égard.

3. La requérante se plaint enfin de la prise en considération des frais d’avocat des parents d’accueil dans la procédure litigieuse alors qu’aucune procuration du représentant ne se trouvait au dossier. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

EN DROIT

A. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

La requérante soutient que la décision des juridictions allemandes de maintenir sa fille dans sa famille d’accueil a méconnu son droit au respect de sa vie familiale garanti à l’article 8 de la Convention, ainsi rédigé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Elle rappelle qu’elle n’avait consenti à confier sa fille à une famille d’accueil que pendant la durée de sa maladie suite à sa grossesse. Par la suite, alors qu’elle était entièrement guérie et disposait de l’autorité parentale, les autorités allemandes n’auraient pas œuvré à une réunion familiale mais, de concert avec la famille d’accueil, auraient plutôt cherché à tout faire pour la séparer de sa fille. Dès lors l’ingérence très grave dans son droit de parent que constituait le placement de sa fille dans une famille d’accueil n’était pas justifiée au regard de l’article 8 de la Convention.

D’après le Gouvernement, l’objet de la requête se limite à la procédure relative à la levée de ordonnance de placement de la fille de la requérante, celle-ci n’ayant pas épuisé les voies de recours internes pour les autres procédures qu’elle a intentées devant les juridictions nationales. Pour ce qui est de la procédure en question, il considère, en se référant notamment au raisonnement de la cour d’appel de Coblence, que l’ingérence était proportionnée au but légitime poursuivi, à savoir de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Cour note d’emblée qu’il n’est pas contesté que la décision des juridictions nationales de maintenir la fille de la requérante dans une famille d’accueil constituait une ingérence dans le droit de la requérante au respect de sa vie familiale garanti à l’article 8 § 1 de la Convention.

Elle doit dès lors examiner si les conditions énoncées à l’article 8 § 2 sont remplies, c’est à dire si l’ingérence était « prévue par la loi », poursuivait un ou des buts légitimes au regard de ce paragraphe et si elle était « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux, et notamment proportionnée au but légitime recherché (voir, par exemple, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 50 in fine, CEDH 2000-IX).

La Cour relève qu’en l’espèce l’ingérence litigieuse était incontestablement fondée sur l’article 1632 § 4 du code civil et qu’elle tendait à protéger « la santé et la morale » et « les droits et libertés » de l’enfant.

Pour apprécier la « nécessité » de la mesure litigieuse « dans une société démocratique », la Cour examinera, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les motifs invoqués pour les justifier sont pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 (voir, parmi beaucoup d’autres, Olsson c. Suède (no 1), arrêt du 24 mars 1988, série A no 130, p. 32, § 68). L’intérêt supérieur de l’enfant revêt dans chaque cas une importance décisive. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés (voir Olsson c. Suède (no 2), arrêt du 27 novembre 1992, série A no 250, pp. 35-36, § 90), souvent dès le moment où des mesures de placement sont envisagées ou immédiatement après leur mise en œuvre. Il découle de ces considérations que la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, par exemple, Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55, et Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III,
pp. 1003-1004, § 64, et Sahin et Sommerfeld c. Allemagne [GC],
n
os 30943/96 et 31871/96, § 64 et § 62 respectivement).

La marge d’appréciation laissée ainsi aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu tels que, d’une part, l’importance qu’il y a à protéger un enfant dans une situation tenue pour mettre sa santé ou son développement sérieusement en péril et, d’autre part, l’objectif de réunir la famille dès que les circonstances le permettront. Lorsqu’un temps considérable s’est écoulé depuis que l’enfant a été placé pour la première fois sous assistance, l’intérêt qu’a l’enfant à ne pas voir sa situation familiale de facto changer de nouveau peut l’emporter sur l’intérêt des parents au regroupement de leur famille. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant, mais il faut exercer un contrôle plus rigoureux à la fois sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités aux droits et aux visites des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et enfants au respect de leur vie familiale.
Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (Kutzner
c. Allemagne,
no 46544/99, § 67, CEDH 2002-I).

La Cour relève qu’en l’espèce la requérante avait consenti initialement au placement de sa fille, alors âgée de trois semaines, dans une famille d’accueil suite à sa maladie. Le 26 mars 1996, s’estimant guérie, elle demanda l’annulation de la suspension de son autorité parentale, que le tribunal de tutelle lui accorda dans un premier temps au motif qu’elle avait consenti au maintien de sa fille dans la famille d’accueil, ainsi qu’un droit de visite de sa fille, qui lui fut également accordé. Le 23 février 1999,
la requérante demanda la levée de l’ordonnance de placement de sa fille dans la famille d’accueil et sa restitution définitive. Dans un climat de forte dégradation des relations entre elle-même et la famille d’accueil, elle intenta plusieurs procédures à cet effet devant les juridictions nationales.

Cependant, comme le soulève le Gouvernement, la Cour note que sur le terrain de l’article 8 de la Convention, la requérante n’a saisi la Cour constitutionnelle fédérale que d’un recours contre les décisions du tribunal de tutelle de Coblence et de la cour d’appel de Coblence datant respectivement des 27 mai 1999 et 13 mars 2002 et ayant pour objet la levée de l’ordonnance de placement de l’enfant dans la famille d’accueil fondée sur l’article 1632 § 4 du code civil. L’examen de la Cour va donc porter exclusivement sur cette procédure pour laquelle la requérante a épuisé les voies de recours internes.

A cet égard, la Cour constate que la cour d’appel de Coblence a mis l’accent sur l’intérêt primordial du parent de pouvoir élever son enfant, et a indiqué qu’eu égard à la gravité de l’ingérence, le maintien de l’enfant dans sa famille d’accueil n’était possible que si le retour chez la mère entraînait pour lui de graves conséquences sur son équilibre physique et psychique.
La cour d’appel a ensuite exposé en détails pourquoi, à l’instar du tribunal de tutelle, elle était parvenue à la conclusion que tel était bien le cas en l’espèce. Dans son analyse, elle s’est notamment fondée sur l’expertise psychologique et sur les déclarations des parties y compris celle de l’Office de la jeunesse sur les difficultés de la mère à établir un contact avec son enfant. Elle s’est également référée à l’audition de l’enfant, entendu par le tribunal de tutelle, qui avait toujours clairement exprimé son souhait de rester dans sa famille d’accueil.

Aux yeux de la Cour, la cour d’appel de Coblence a ainsi soigneusement mis en balance les intérêts en présence à la lumière de l’intérêt supérieur de l’enfant, avant de conclure que même un retour progressif chez la mère n’était pas envisageable pour le moment, et qu’une séparation complète de sa famille d’accueil constituerait même aux dires de l’expert une « catastrophe existentielle » pour celui-ci.

La Cour rappelle à cet égard qu’un juste équilibre doit être ménagé entre les intérêts de l’enfant et ceux des parents et qu’à cette fin, une importance particulière doit être attachée à l’intérêt supérieur de l’enfant qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui du parent. Notamment, l’article 8 de la Convention « ne saurait autoriser le parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant » (voir notamment Johansen précité, p. 1008, § 78, Tiemann c. France et Allemagne (déc.), nos 47457/99 et 47458/99, CEDH 2000-IV, et Haase
c. Allemagne
, no11057/02, § 93, ECHR 2004-III).

La cour d’appel a par ailleurs confirmé l’attribution à la requérante d’un droit de visite de sa fille en modifiant légèrement les modalités telles qu’elles avaient été fixées par le tribunal de tutelle. Celui-ci s’était de surcroît fixé le délai d’un an pour réexaminer l’affaire, l’ordonnance de placement dans une famille d’accueil prévue à l’article 1632 § 4 revêtant de par sa nature un caractère provisoire, car elle ne trouve à s’appliquer que tant que le bien-être de l’enfant est menacé.

Enfin, il convient de relever que la requérante a ultérieurement consenti à l’adoption de son enfant, et que ce consentement est devenu irrévocable dès le dépôt de sa déclaration auprès du tribunal de tutelle le 18 février 2002.

Eu égard à tous ces éléments, la Cour estime que l’ingérence litigieuse se fondait sur des motifs non seulement pertinents mais également suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8. En particulier, eu égard à la marge d’appréciation de l’Etat défendeur en la matière, l’ingérence incriminée n’était pas disproportionnée au but légitime poursuivi.

Pour autant que la requérante se plaint du processus décisionnel,
en particulier de l’incompétence de l’expert désigné par la cour d’appel,
la Cour observe que la requérante, représentée par son conseil, a eu la faculté de faire valoir ses arguments ainsi que de prendre connaissance de ceux présentés par l’autre partie et de les discuter.

En conclusion, rien n’autorise à penser que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à prendre la mesure litigieuse n’ait pas été équitable ou n’ait pas permis à la requérante de jouer un rôle suffisant pour protéger ses intérêts (voir notamment W. c. Royaume-Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no121, pp. 28-29, §§ 64-65, et Johansen précité, p. 1004, § 66).

Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

La requérante soutient également que la durée de la procédure devant les juridictions nationales a dépassé le délai raisonnable prévu à l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi rédigé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Elle invoque également l’article 8 à cet égard.

Le Gouvernement excipe à titre principal du non-épuisement des voies de recours internes.

Sur ce point, la Cour renvoie à son arrêt Sürmeli, dans lequel elle a constaté que le recours constitutionnel n’était pas un recours effectif en matière de durée d’une procédure civile en cours (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, CEDH-2006-...). Il échet donc d’écarter cette exception.

A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que la durée des différentes procédures n’a pas méconnu l’article 6 § 1, en soulignant toutefois que l’objet de la requête se limite à la procédure relative à la levée de l’ordonnance de placement de la fille de la requérante.

Comme la Cour l’a indiqué plus haut, il s’agissait en l’espèce non pas d’une seule procédure, mais de plusieurs procédures distinctes intentées par la requérante et dont elle conteste la durée dans leur globalité. Il convient notamment d’en retenir les deux suivantes :

- la procédure portant sur la levée de l’ordonnance de placement de la fille de la requérante dans sa famille d’accueil : la période à considérer a débuté le 23 février 1999, date de l’introduction de la demande de restitution définitive, et s’est achevée le 13 mars 2000, date de la décision de la cour d’appel de Coblence. Elle a donc duré un an et deux semaines.

- la procédure portant sur la demande d’obtention par la requérante d’un droit de visite régulier de sa fille : la période à considérer a débuté le 7 juillet 1998, date de l’introduction de la demande, et s’est achevée le 27 mai 1999, date de la décision du tribunal de tutelle. Elle a donc duré dix mois et trois semaines.

La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, notamment la complexité de l’affaire, le comportement des parties et des autorités concernées, ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Süssmann c. Allemagne, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1172, § 48). De plus, une diligence particulière est requise de la part des autorités lorsqu’il s’agit des relations entre parents et enfant (Hokkanen c. Finlande, arrêt du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p.21, § 72, et Nanning
c. Allemagne
, no 39741/02, § 43, CEDH 2007), notamment si ce dernier est en bas âge.

En ce qui concerne la première procédure, la Cour relève qu’aussi bien le tribunal de tutelle que la cour d’appel de Coblence ont fait preuve de diligence : en effet, le tribunal de tutelle a rapidement procédé à l’audition de la fille de la requérante dans son jardin d’enfants avant de rendre sa décision, et la cour d’appel a nommé un expert et entendu les parties au cours d’une audience.

Pour ce qui est de la seconde procédure, la Cour note certes une période d’inactivité du tribunal de tutelle de plus de cinq mois, comme le constate le Président du tribunal régional de Coblence et comme le Gouvernement lui-même le reconnaît dans ses écritures. Néanmoins, eu égard à la complexité de l’affaire et à la difficulté de mise en œuvre du droit de visite en pratique résultant des relations conflictuelles entre la requérante et la famille d’accueil qui ont nécessité la désignation d’une avocate pour représenter les intérêts de l’enfant, la durée globale de cette procédure n’apparaît pas excessive aux yeux de la Cour. De surcroît, cette période d’inactivité était de nature provisoire, car elle reflétait notamment le temps nécessaire au nouveau juge en charge de l’affaire pour prendre connaissance du volumineux dossier.

Eu égard à tous ces éléments, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu dépassement du « délai raisonnable » prévu à l’article 6 § 1.

Il s’ensuit que ce grief est également manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C. Autres griefs

Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées par la requérante, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Il s’ensuit que ces griefs sont également manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Claudia Westerdiek                                                           Peer Lorenzen
       Greffière                                                                              Président



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