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    European Court of Human Rights


    You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> Riad and Idiab v. Belgium - 29787/03 French Text [2008] ECHR 1900 (24 April 2008)
    URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2008/1900.html
    Cite as: [2008] ECHR 1900

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    PREMIÈRE SECTION



    AFFAIRE RIAD ET IDIAB c. BELGIQUE



    (Requêtes nos 29787/03 et 29810/03)




    ARRÊT




    STRASBOURG



    24 janvier 2008




    DÉFINITIF


    24/04/2008




    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

    En l'affaire Riad et Idiab c. Belgique,

    La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

    Loukis Loucaides, président,

    Anatoli Kovler,
    Elisabeth Steiner,
    Khanlar Hajiyev,
    Dean Spielmann,
    Sverre Erik Jebens, juges,
    Paul Martens, juge ad hoc,

    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 novembre 2006 et 3 janvier 2008,

    Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

    PROCÉDURE

  1. A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes (nos 29787/03 et 29810/03) dirigées contre le Royaume de Belgique et dont des associations de cet Etat, ainsi que MM. Mohamad Riad et Abdelhadi Idiab (« les requérants »), deux ressortissants palestiniens, ont saisi la Cour le 6 août 2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
  2. Les requérants alléguaient en particulier que les conditions d'existence qu'ils ont connues en zone de transit de l'aéroport de Bruxelles National, où ils avaient été placés respectivement du 30 janvier 2003 au 15 février 2003 et du 3 au 15 février 2003, portaient atteinte aux articles 3 et 8 de la Convention et que deux décisions ordonnant leurs mises en liberté n'auraient pas reçu une exécution réelle, en violation de l'article 5 de la Convention.
  3. Par une décision du 21 septembre 2006, la chambre a décidé de joindre les requêtes (article 42 § 1 du règlement) et les a déclarées partiellement recevables.
  4. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 30 novembre 2006 (article 59 § 3 du règlement).

  5. Ont comparu :


    –  pour le Gouvernement
    M. C. Debrulle, Agent du Gouvernement belge et Directeur
    général de la Direction de la Législation et des Libertés et Droits fondamentaux du Service Public Fédéral (SPF) Justice,
    agent ;

    Me E. Derriks, avocat du Gouvernement belge, conseil ;

    Me V. Rolin, avocat, assistante de Me Derriks,

    Mlle C. Gallant, Attaché au service des Droits de l'Homme de la
    Direction de la Législation et des Libertés et Droits
    Fondamentaux du SPF Justice,

    Mme N. Bracke, Attaché, Chef de Service, Service Inspection
    Frontières de l'Office des Etrangers, SPF Intérieur,

    Mme T. Michaux, Conseiller – Chef de service, Bureau des Recours
    de l'Office des Etrangers, SPF Intérieur,
    conseillers ;


    –  pour les requérants
    Me S. Sarolea, avocat,

    Me M.-C. Warlop, avocat, conseils.


  6. La Cour a entendu en leurs déclarations Me Sarolea et Me Derriks.
  7. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

  8. Les requérants sont nés respectivement en 1980 et 1981.
  9. A.  Les demandes d'asile et de séjour et leurs issues

    1.  Le premier requérant

  10. Le premier requérant entra en Belgique, à l'aéroport de Bruxelles National, par le vol SN 211 en provenance de Freetown (Sierra Leone) le 27 décembre 2002, porteur d'un titre de voyage libanais qui indiquait sa qualité de réfugié palestinien. Il se vit refuser l'entrée en Belgique, n'étant pas en possession des visas nécessaires. Le transporteur aérien qui avait assuré le vol fut informé qu'il était, conformément à l'article 74, alinéa 4, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, au séjour, à l'établissement et à l'éloignement des étrangers, responsable du paiement des frais de retour dans son pays d'origine.
  11. Le même jour, le premier requérant demanda la reconnaissance de la qualité de réfugié arguant craindre pour sa vie au Liban et fut mis en possession d'un document attestant de l'introduction de sa demande d'asile.
  12. Toujours à la même date du 27 décembre 2002, une décision de maintien du requérant dans un lieu déterminé situé à la frontière fut prise sur base de l'article 74/5, § 1er, 2o de la loi du 15 décembre 1980. En exécution de cette décision, le requérant fut conduit dans le centre de transit « 127 » situé dans l'enceinte de l'aéroport de Bruxelles-National.
  13. Une décision de refus d'asile fut prise le 31 décembre 2002 par l'Office des étrangers et notifiée le même jour au requérant. Celui-ci introduisit un recours auprès du Commissariat général aux réfugiés.
  14. Le 21 janvier 2003, le Commissariat général confirma la décision de refus d'asile, relevant des contradictions entre les divers récits du requérant en cause et estimant que les éléments ne faisaient pas craindre un risque pour sa personne au Liban.
  15. Un recours en annulation et une demande de suspension furent introduits devant le Conseil d'Etat le 19 février 2003 contre la décision du Commissariat général du 21 janvier 2003. Lors de l'audience tenue devant la Cour, les parties ont expliqué que ces recours ont été déclarés irrecevables en 2005, du fait que le requérant ne se trouvait plus sur le territoire belge et n'avait plus d'intérêt à la poursuite de son examen.
  16. 2.  Le second requérant

  17. Ce requérant entra en Belgique, à Bruxelles-National, par un vol en provenance de Freetown le 24 décembre 2002 à 5 h 12. Comme il n'était pas en possession d'un visa de transit lui permettant d'embarquer vers Londres, des dispositions furent prises en vue de lui refuser l'entrée sur le territoire belge et le transporteur aérien qui avait assuré le vol fut invité à le transporter ou le faire transporter dans le pays d'origine ou un autre Etat où il pouvait être admis. Un « re-routing » fut organisé en direction de Beyrouth, via Budapest.
  18. Contrôlé en zone de transit le même jour, ce requérant déclara ne pas vouloir se rendre à Beyrouth et demanda la reconnaissance de la qualité de réfugié arguant craindre pour sa vie au Liban. Il fut mis en possession d'un document attestant l'introduction de sa demande d'asile.
  19. Toujours à la même date du 24 décembre 2002, une décision de maintien du requérant dans un lieu déterminé situé à la frontière fut prise sur la base de l'article 74/5, § 1er, 2o de la loi du 15 décembre 1980. En exécution de cette décision, le requérant fut conduit dans le centre de transit « 127 ».
  20. Une décision de refus de la demande d'asile a été prise le 6 janvier 2003 par l'Office des étrangers. Cette décision fut notifiée le même jour au requérant qui introduisit un recours auprès du Commissariat général aux réfugiés et apatrides.
  21. Le 21 janvier 2003, le Commissariat général confirma la décision de refus, l'organisation palestinienne à laquelle il prétendait appartenir lui étant inconnue. Un recours en annulation et une demande de suspension furent également introduits devant le Conseil d'Etat le 19 février 2003. Comme ceux du premier requérant, ces recours furent rejetés en 2005, pour perte d'intérêt.
  22. B.  La détention au « Centre 127 » et en centre fermé à Bruges

  23. Le premier requérant séjourna à partir du 27 décembre 2002 au « Centre 127 » en exécution de la décision de maintien en un lieu déterminé situé à la frontière (voir supra). Le deuxième requérant y séjourna, sur le même fondement, à partir du 24 décembre 2002.
  24. A la suite d'une tentative d'évasion collective du Centre 127 dans la nuit du 21 au 22 janvier 2003, les deux requérants et trois de leurs compatriotes furent transférés, le 22 janvier 2003, au Centre fermé pour illégaux de Bruges (le Gouvernement explique que cette institution est, par une fiction juridique, assimilée à un centre situé à la frontière).
  25. En janvier 2003, leur avocat déposa, pour chacun d'eux, une demande de mise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, par pli recommandé déposé aux services postaux le 14 janvier 2003. Cette juridiction y fit droit par ordonnance du 20 janvier 2003, estimant que les motifs allégués par l'administration pour justifier les privations de liberté n'étaient pas suffisants.
  26. Le jour même du prononcé de cette ordonnance, le parquet avisa, par formulaire, l'Office des étrangers de sa décision d'interjeter appel, ce qu'il fit le lendemain. Du fait de ce recours, les requérants restèrent écroués, une éventuelle procédure de rapatriement étant suspendue jusqu'à l'arrêt de la chambre des mises en accusation.
  27. Le 24 janvier 2003, les autorités firent, au nom des deux requérants, une demande de réservation sur un vol du 6 février 2003 en direction de Freetown.
  28. Par arrêt du 30 janvier 2003, la chambre des mises en accusation de Bruxelles confirma l'ordonnance de mise en liberté rendue le 20 janvier 2003 en faveur du premier requérant, étant d'avis que la mesure de détention n'était pas « suffisamment motivée in concreto ».
  29. Le procureur général près la cour d'appel de Bruxelles émit, à la suite de cet arrêt, un ordre de libération immédiate de celui-ci. Du fait de cette décision, l'Office des étrangers procéda à son transfert en zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National (voir infra).
  30. Le 3 février 2003, un arrêt semblable fut rendu au profit du deuxième requérant. Le procureur général et l'Office des étrangers prirent ce même jour des décisions identiques à celles rendues à l'égard du premier requérant, qu'il retrouva en zone de transit de l'aéroport de Bruxelles National le 3 février 2003.
  31. C.  Le séjour en zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National

  32. Le 30 janvier 2003, le premier requérant fut placé, comme il est exposé ci-après (paragraphe 28) en zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National. Il y fut conduit à 18 h 45, en compagnie de Ab., un autre ressortissant palestinien arrivé en Belgique le 25 décembre 2002, dans les mêmes circonstances que le premier requérant.
  33. Ces deux personnes furent informées de leur remise en liberté, mises en possession de leurs bagages et d'une enveloppe contenant leurs objets personnels – à l'exception de leur passeport resté en possession des services de la police fédérale de l'aéroport – et autorisées à avoir un entretien téléphonique avec une personne de leur choix. Ils indiquèrent vouloir téléphoner à leur avocat.
  34. Le 1er février 2003 à 13 h 30, ils se présentèrent au « poste d'inspection frontière » de la police fédérale et déclarèrent ne pas avoir d'argent ou de nourriture. Ils furent informés de la possibilité de se rendre sur une base volontaire au centre « INADS » de l'aéroport et d'y demeurer dans l'attente de leur refoulement. Ils furent emmenés à ce centre où le premier requérant signa, après que le contenu de ce document lui eut été traduit, une déclaration par laquelle il marquait son accord pour demeurer volontairement dans ce centre et en respecter le règlement. Selon un document dudit centre, il y est arrivé le 1er février 2003 et l'a quitté le 3 février 2003. En effet, une tentative de refoulement vers Freetown fut effectuée en vain le 3 février 2003, le premier requérant refusant d'embarquer dans l'avion. A la suite de son refus d'embarquer, il fut reconduit en zone de transit.
  35. Le 3 février 2003 toujours, l'avocate du premier requérant et de Ab. adressa un courrier au ministre de l'Intérieur, alléguant que ses clients avaient subi un traitement dégradant en ayant dû passer trois jours en zone de transit sans boire ni manger. Elle expliquait que quelques heures après leur arrivée au centre « INADS », ils avaient été purement et simplement reconduits en zone de transit avec pour instruction de se débrouiller seuls pour boire, manger et se procurer un billet de retour.
  36. A cette même date du 3 février 2003 à 18 h 40, le premier requérant et Ab. furent rejoints, en zone de transit, par le deuxième requérant (voir ci avant, paragraphe 28). Ayant reçu lors de ce transfert les mêmes explications que les deux premiers, il déclara « ne plus être aussi content avec cette décision » et vouloir contacter son avocat. Il signala aussi ne pas avoir d'argent et disposer seulement d'une carte de téléphone. Il demanda encore où étaient les « autres hommes ».
  37. Le 4 février 2003, le conseil des requérants entama une procédure en extrême urgence devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles qui la rejeta le 9 février 2003, au motif que les requérants ne bénéficiaient pas d'un droit subjectif à l'accès au territoire, un tel droit n'étant conféré ni par l'introduction d'une demande d'asile, ni par les ordonnances de mise en liberté.
  38. Entre-temps, une nouvelle tentative de refoulement des trois personnes à destination de Freetown avait été effectuée le 6 février 2003. Une tentative supplémentaire eut lieu le 8 février 2003 pour deux d'entre eux. Le premier requérant refusa d'embarquer dans l'avion, au contraire de Ab. qui embarqua.
  39. Le 9 février 2003, le conseil des requérants déposa une requête en abréviation de citer, arguant que leur maintien en zone de transit constituait une voie de fait portant atteinte à leur droit à la liberté, un droit confirmé par les décisions rendues quant à leur détention en centre de transit. Il ajoutait que leur maintien en zone de transit contrevenait en outre aux articles 3 et 8 de la Convention. Par ordonnance du 10 février 2003, le président du tribunal de première instance de Bruxelles lui reconnut le droit de citer l'Etat belge pour l'audience du 12 février 2003.
  40. Le 11 février 2003, les requérants citèrent l'Etat belge, représenté par le ministre de l'Intérieur, à comparaître devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé, aux fins d'enjoindre à l'Etat d'autoriser leur accès au territoire belge sous peine d'une astreinte de 1 000 euros (EUR) par heure de manquement à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir. Ils expliquaient qu'en les retenant dans un espace fermé, alors que la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation avaient ordonné leur remise en liberté, l'Etat violait les dispositions internes et internationales garantissant le droit à la liberté individuelle. Qui plus est, ils se trouvaient dans le plus complet dénuement, sans hébergement ni ressources et livrés à eux-mêmes dans la zone de transit où ils ne bénéficiaient d'aucune commodité et restaient depuis plusieurs jours sans manger ni boire, ce qui constituait un traitement inhumain et dégradant. Ils ajoutaient que certains membres de la police fédérale les avaient violemment frappés et battus à l'intérieur même du lieu de culte de l'Islam situé dans la zone de transit.
  41. Le 12 février 2003, les autorités firent, au nom des deux requérants, une demande de réservation sur un vol du 15 février 2003 en direction de Beyrouth.
  42. Dans les conclusions déposées devant le président du tribunal de première instance, le conseil de l'Etat objecta notamment que les requérants n'avaient pas introduit de recours en annulation des décisions du Commissariat général, ni demandé leur suspension.
  43. Par ordonnance du 14 février 2003, le président du tribunal de première instance de Bruxelles enjoignit à l'Etat de laisser les requérants quitter librement et sans restriction la zone de transit, sous peine d'une astreinte de 1 000 EUR par heure de manquement à dater de la signification.
  44. La décision rendue dans le cadre de la requête no 29787/03 est rédigée en ces termes :

    « Il est constant que le demandeur se trouve aujourd'hui sous le coup d'une décision de refoulement du territoire national du 3 janvier 2003 confirmée le 21 janvier 2003.

    Le délai de recours en suspension et en annulation n'a pas d'effet suspensif, pas plus que la demande de régularisation fondée sur l'article 9 al. 3 de la loi du 15 décembre 1980, introduite par le demandeur en date du 28 janvier 2003.

    Le statut administratif du demandeur s'imposant au Tribunal, il nous appartient de prendre acte de ce que le demandeur n'a, dès lors, pas le droit de se maintenir sur le territoire belge.

    Néanmoins, la décision de la chambre des mises en accusation s'impose également au Tribunal et, en l'espèce, cette juridiction a ordonné la remise en liberté immédiate du demandeur.

    Il n'est par ailleurs pas contesté que la chambre des mises en accusation a eu connaissance du statut administratif du demandeur et notamment de la décision du CGRA et l'a dès lors libéré en connaissance de cause.

    Il n'appartient pas au Tribunal de s'arrêter à ce statut mais bien, sur la manière dont cette décision de libération est exécutée par l'Etat belge, toutes choses étant restées égales par ailleurs.

    Le défendeur considère que compte tenu du fait que le demandeur n'a pas été autorisé à pénétrer sur le territoire national proprement dit, c'est à juste titre qu'il a considéré que la libération du demandeur devait se faire en zone de transit dans la mesure où cette zone n'est nullement une zone de non-droit mais est en fait une partie du Royaume belge où se trouvent des personnes en transit en Belgique ou qui n'ont pas encore été autorisées à pénétrer sur le territoire national en tant que tel.

    Conformément à l'enseignement de la Cour de cassation « en ce qui concerne l'accès, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, il ne résulte pas de la distinction légale entre la zone portuaire et le reste du territoire du Royaume, que la zone de transit ne fait pas partie du Royaume et que la loi mentionnée n'y est pas applicable » (Cass., 22 juin 1999, Pas. 1999, 957).

    Les centres fermés ne sont en réalité rien d'autre que des prolongements de la zone de transit, des antichambres du territoire du Royaume, à la seule différence qu'ils sont, contrairement à la zone de transit, conçus pour pouvoir accueillir des personnes durant une période plus ou moins longue dans des conditions supposées décentes.

    Si le raisonnement du défendeur peut dès lors être suivi en ce qu'il considère qu'en se trouvant en zone de transit le demandeur se trouve actuellement sur le territoire belge il ne peut être suivi lorsqu'il considère qu'il s'agit d'une « libération ».

    L'on ne pourrait en effet admettre que le législateur, en créant des centres situés aux frontières, aménagés spécialement pour accueillir des personnes qui seraient maintenues d'autorité dans l'attente de recevoir l'autorisation d'entrer dans le Royaume ou dans l'attente de leur refoulement, et en assortissant une mesure de maintien dans ces lieux d'un recours devant la chambre du conseil, ait considéré qu'en cas de libération par la chambre du conseil et ensuite par la chambre des mises en accusation, ces personnes pourraient être renvoyées dans la zone de transit, nullement aménagée pour les accueillir, ce qui les mettrait dans une situation encore plus précaire et préjudiciable.

    Si la libération limitée au centre de transit devait être admise, cela reviendrait à permettre à l'Etat belge de mettre unilatéralement en échec la décision de libération d'une instance judiciaire, sur base du statut administratif d'une personne alors même que ce statut administratif a été pris en considération par cette instance judiciaire et a dû motiver sa décision de libération.

    Depuis le 21 janvier 2003, les parties savent l'une et l'autre que l'ordre de refoulement est exécutoire vu le rejet du recours du demandeur devant le CGRA et l'absence de recours en suspension d'extrême urgence.

    Depuis lors, le demandeur ne manifeste aucune intention de s'y conformer volontairement.

    Depuis lors, l'Etat belge ne procède pas non plus à son éloignement forcé.

    Or, dès lors que l'Etat est à présent tenu de se conformer à la décision de remise en liberté du demandeur, de deux choses l'une, soit le défendeur préfère attendre que le demandeur se décide de partir volontairement mais dans ce cas, en attendant le départ du demandeur, il doit lui permettre de circuler librement sur le territoire (respect de l'autorité de la chose jugée), soit le défendeur prend ses responsabilités et se donne les moyens de mettre à exécution l'ordre de refoulement afin de forcer le respect de ses propres décisions administratives.

    A cet égard, la loi permet à l'Etat belge d'enjoindre à cet étranger de résider en un lieu déterminé, jusqu'à l'exécution de la mesure d'éloignement (art. 73 loi du 15 décembre 1980).

    Ce qui est inadmissible et est contraire à l'état de droit, en l'espèce, c'est que l'Etat belge place le demandeur dans un autre lieu fermé (la zone de transit) dans lequel les conditions de vie sont inhumaines et dégradantes en espérant que le demandeur se décidera alors à exécuter « volontairement » l'ordre de refoulement.

    En transférant le demandeur du centre fermé de Melsbroek à la zone de transit, l'Etat belge a commis une voie de fait.

    Sur base du dossier actuel la libération ordonnée par la chambre des mises en accusation implique nécessairement que le demandeur tant qu'il n'est pas refoulé, puisse quitter librement la zone de transit sans préjudice au droit du Ministère d'enjoindre au demandeur de résider en un lieu déterminé (art. 73).

    Cette solution à une situation totalement contradictoire est la seule possible si l'on ne veut pas réduire la procédure fondée sur l'article 71 de la loi du 15 décembre 1980 à une mascarade.

    Eu égard à ce qui précède il convient de faire droit à la demande conformément au dispositif de la présente ordonnance. »

    La décision rendue dans le cadre de la requête no 29810/03 est motivée de la même manière.

  45. L'avocat des requérants communiqua cette décision par télécopie le 14 février 2003 à l'Office des étrangers qui annula la réservation pour le vol du 15 février 2003. Le 15 février 2003, l'Office reçut instruction de laisser, sans restriction, les requérants quitter la zone de transit.
  46. Les ordonnances du 14 février 2003 furent signifiées à l'Etat belge, par voie d'huissier, une première fois, le 17 février 2003 au cabinet du ministre de la Justice ; celle rendue en faveur du premier requérant le fut, une seconde fois, le 28 février 2003 au « poste d'inspection frontière » de la police fédérale de l'aéroport de Bruxelles National.
  47. Les deux requérants ont quitté la zone de transit le 15 février 2003 en fin de matinée, l'heure exacte n'ayant pas été précisée.
  48. Les parties ne s'accordent pas sur la situation à laquelle les deux requérants ont été confrontés en zone de transit.
  49. Les requérants expliquent que la zone de transit ne comporte aucune chambre et, a fortiori, aucun lit et qu'ils furent logés dans la mosquée qui s'y trouve. En effet, ils y furent accueillis par le conseiller musulman qui les recueillit de nouveau après les diverses tentatives d'éloignement dont ils firent l'objet. Ils seraient restés plusieurs jours sans boire ni manger, ne recevant de la nourriture qu'irrégulièrement de la part du personnel de nettoyage des lieux, de la société gérant l'aéroport, du conseiller musulman ou du conseiller laïc de l'aéroport. Ces deux dernières personnes ont expliqué, dans leurs témoignages, le caractère insoutenable de leur situation, faisant mention d'abandon ou de « lâchage » de la part des autorités. Ils n'avaient pas la possibilité de se laver ou de nettoyer leur linge. Ils furent souvent contrôlés par la police de l'aéroport, furent à plusieurs reprises placés en cellule et laissés plusieurs heures sans boire ni manger pour les contraindre à accepter un départ volontaire, puis remis en zone de transit. Ils auraient aussi été violemment frappés et battus à l'intérieur de la mosquée par certains membres de la police fédérale.
  50. Le Gouvernement expose que, à la suite des critiques contenues dans un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci-après CPT) de 1993, il a été remédié à la situation dans la zone de transit de l'aéroport de Bruxelles National, par la création, entre autres, du centre « INADS », situé dans l'enceinte de l'aéroport. Ce centre peut accueillir, sur une base volontaire, les personnes séjournant en zone de transit et leur fournir le logement et le couvert. Le CPT, dans son rapport de 1997 relatif à sa visite en Belgique, relève que les conditions matérielles et les activités proposées au centre « INADS » peuvent généralement être décrites comme satisfaisantes pour un séjour ne dépassant pas quelques jours, à une exception près (absence d'aménagement permettant aux personnes maintenues au centre de prendre l'air frais). En outre, les personnes qui se trouvent en zone de transit dans l'attente de la réservation d'un vol en vue d'un éloignement ont également la possibilité de se faire distribuer des repas via les services de contrôle. Une circulaire de la police fédérale du 31 octobre 2003 a confirmé cette pratique et rappelé aux différents services leurs obligations à cet égard. Il ressort de cette circulaire que l'équipe qui traite le dossier de l'étranger concerné est responsable de la distribution des repas et qu'au moment de son arrivée en zone de transit, l'étranger est informé qu'il peut se présenter trois fois par jour au niveau « arrivée » en vue de recevoir un repas. L'équipe responsable commande, par personne, trois repas par jour au centre « INADS ». Si cette procédure n'a effectivement été confirmée que par la circulaire du 31 octobre 2003, il n'en demeure pas moins que, dès le 1er février 2003, le premier requérant a été informé de la possibilité d'être logé et nourri sur une base volontaire dans le centre « INADS ».
  51. D.  La détention au centre fermé de Merksplas

  52. Le 15 février 2003 à 11 h 30, les requérants, après avoir quitté la zone de transit, firent l'objet d'un contrôle d'identité dans le hall de départ par des fonctionnaires de la police fédérale chargés du contrôle des frontières. Ayant constaté qu'ils n'étaient pas en possession d'un titre de séjour régulier, les policiers établirent un rapport administratif visant chacun d'eux. Les rapports mentionnent qu'ils se déplaçaient ensemble et qu'ils parlaient l'anglais comme autre langue que leur langue maternelle. Les policiers prirent contact avec l'Office des étrangers à 12 h 30. Il leur fut donné instruction de retenir les requérants afin de pouvoir leur notifier un ordre de quitter le territoire avec décision de remise à la frontière et décision privative de liberté à cette fin. Une telle décision fut notifiée le même jour à une heure indéterminée par un agent de l'Office des étrangers. Les deux requérants refusèrent de signer.
  53. Le premier requérant fut informé de ces mesures et du fait qu'en exécution de celles-ci, il était conduit au centre pour illégaux de Merksplas. Il déclara s'y opposer, sur instruction de son conseil. Au cours du trajet vers Merksplas, ce requérant se plaignit du fait que les menottes qui lui avaient été mises étaient trop serrées au poignet. Le trajet fut interrompu à 14 h 45 pour permettre de desserrer les menottes.
  54. Informé de ces mesures et de son transfert au centre pour illégaux, le deuxième requérant déclara également s'y opposer, sur instruction de son conseil, et résista aux forces de police qui le conduisaient dans le fourgon prévu pour le transfert des deux requérants. Quelques minutes après la fermeture du fourgon, il fut constaté que, bien qu'il ait été menotté, ce requérant s'était volontairement infligé des blessures en frappant sa tête contre la vitre du fourgon, protégée par un grillage. Il fut alors décidé de procéder à son transfert à Merksplas dans un véhicule de police et des liens en velcro lui furent placés autour des bras et des jambes pour éviter toute mutilation. Selon le procès-verbal établi à cette occasion, il aurait déclaré aux membres de l'escorte qu'il utiliserait les blessures qu'il s'était infligées à l'appui d'un dépôt de plainte contre la police. A son arrivée à Merksplas, il fut examiné par le médecin du centre qui constata la présence de lésions extérieures, à savoir un hématome et une petite blessure (« klein wondje ») au front.
  55. Le 19 février 2003, l'avocat des deux requérants écrivit au ministre de l'Intérieur, s'insurgeant du placement de ses clients dans un centre fermé malgré les ordonnances rendues le 14 février 2003. Le même jour, il avait introduit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation et une demande de suspension ordinaire de la décision du 21 janvier 2003 du Commissaire général (voir supra).
  56. E.  L'éloignement des requérants

    1.  Le premier requérant

  57. Le 20 février 2003, des mesures furent prises en vue de procéder à son éloignement à destination de Beyrouth, mais cette mesure de rapatriement fut annulée ultérieurement. Le 24 février 2003, l'Office des étrangers donna instruction au « Service inspection frontières » d'organiser dans les plus brefs délais son éloignement. Un nouveau rapatriement fut organisé pour la date du 8 mars 2003.
  58. Le 8 mars 2003, le premier requérant se vit remettre, à son départ de Merksplas, ses effets personnels, ses bagages et les sommes de 45 EUR, 250 dollars américains (USD) et 1 000 livres libanaises dont il était porteur à son arrivée. Il avait préalablement été informé de la procédure de rapatriement qui serait suivie et des mesures de contrainte qui pourraient éventuellement être prises. Après discussion, il déclara qu'il ne s'opposait plus à cette mesure, mais souhaita que certaines conditions soient respectées. Il demanda notamment qu'il ne lui soit pas passé de menottes et qu'il ait son passeport entre les mains. Il lui fut indiqué qu'il ne pouvait être satisfait à ces conditions, compte tenu des circonstances.
  59. Le rapatriement fut effectué par un vol à destination de Beyrouth, via Moscou, sous l'escorte de trois policiers. Le premier requérant fut menotté avec des menottes en tissu pour être conduit à bord. Ces menottes furent retirées après le décollage. Pendant les vols et durant l'attente dans la zone de transit de l'aéroport de Moscou, il reçut nourriture et boissons. Les membres de l'escorte ne signalèrent aucun incident.
  60. 2.  Le deuxième requérant

  61. Le 21 février 2003, des mesures furent prises en vue de procéder à son éloignement à destination de Beyrouth, mais cette mesure de rapatriement fut annulée ultérieurement.
  62. Le rapatriement eut lieu le 5 mars 2003. A son départ de Merksplas, ce requérant se vit remettre ses effets personnels, ses bagages, ainsi qu'une somme de 150 EUR. Selon le procès-verbal établi dans le cadre de son éloignement, il arriva à l'aéroport à 16 h 45. Il y fut soumis à une fouille et placé en cellule. A 20 h 35, les fonctionnaires en charge de son rapatriement l'entendirent afin de déterminer son degré de coopération à la mesure d'éloignement. Lors de cet entretien, il signala qu'il avait compris qu'il devait retourner à Beyrouth. Il aurait ajouté qu'il n'était pas heureux de sa situation depuis deux mois et qu'il avait le sentiment d'avoir été l'objet d'un jeu entre son avocat et les responsables du ministère. Il fut autorisé à téléphoner à sa famille et eut un contact avec sa sœur qui fut informée des coordonnées précises du vol et de l'heure d'arrivée prévue. Afin d'éviter toute tentative de rébellion, les membres de l'escorte décidèrent, compte tenu des informations en leur possession et des circonstances du transfert du 15 février 2003, d'utiliser des moyens de contrainte. C'est porteur de menottes en tissu et attaché par un velcro à la hauteur des chevilles qu'il embarqua dans le vol à destination de Beyrouth, via Moscou. L'embarquement, le vol et le transit se déroulèrent sans incident. Le requérant fut libéré de ses liens dès que l'avion atteignit son altitude de vol et il reçut nourriture, boissons, ainsi que des cigarettes durant le voyage. A son arrivée à Beyrouth, il fut remis en possession de son passeport. Il y était attendu par les membres de sa famille. Le consul de Belgique à Beyrouth était aussi présent à l'aéroport.
  63. II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  64. Les dispositions pertinentes de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers se lisent comme suit :
  65. Article 7

    « Sans préjudice des dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le Ministre ou son délégué peut donner l'ordre de quitter le territoire avant une date déterminée, à l'étranger qui n'est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s'établir dans le Royaume :

    1o  s'il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l'article 2 ;

    2o  (...)

    Dans les mêmes cas, si le Ministre ou son délégué l'estime nécessaire, il peut faire ramener sans délai l'étranger à la frontière.

    L'étranger peut être détenu à cette fin pendant le temps strictement nécessaire à l'exécution de la mesure sans que la durée de la détention puisse dépasser deux mois. (...) »

    Article 9

    « Pour pouvoir séjourner dans le Royaume au-delà du terme fixé à l'article 6, l'étranger qui ne se trouve pas dans un des cas prévus à l'article 10 doit y être autorisé par le Ministre ou son délégué.

    Sauf dérogations prévues par un traité international, par une loi ou par un arrêté royal, cette autorisation doit être demandée par l'étranger auprès du poste diplomatique ou consulaire belge compétent pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à l'étranger.

    Lors de circonstances exceptionnelles, cette autorisation peut être demandée par l'étranger auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne, qui la transmettra au Ministre qui a l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers dans ses compétences ou à son délégué. Elle sera dans ce cas délivrée en Belgique. »

    Article 57/6

    « Le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides est compétent :

    1o  pour reconnaître ou refuser de reconnaître la qualité de réfugié, au sens des conventions internationales liant la Belgique à l'étranger visé à l'article 53 ;

    2o  pour retirer la qualité de réfugié au sens des conventions internationales liant la Belgique ;

    2obis  pour retirer la qualité de réfugié à l'étranger auquel le statut a été reconnu sur la base de fausses déclarations ou de documents faux ou falsifiés, ainsi qu'à l'étranger dont le comportement personnel démontre ultérieurement l'absence de crainte de persécution ;

    3o  pour confirmer ou refuser de confirmer la qualité de réfugié de l'étranger qui remplit les conditions prévues à l'article 49, deuxième alinéa ;

    4o  pour délivrer aux réfugiés et aux apatrides les documents visés à l'article 25 de la Convention internationale relative au statut des réfugiés, signée à Genève, le 28 juillet 1951, et à l'article 25 de la Convention relative au statut des apatrides, signée à New York, le 28 septembre 1954.

    Les décisions refusant de reconnaître ou de confirmer la qualité de réfugié ainsi que celles retirant cette qualité sont motivées, en indiquant les circonstances de la cause. »

    Article 63/5

    « Le recours urgent suspend la décision contestée du Ministre. Pendant le délai ouvert pour l'introduction d'un recours urgent ainsi que pendant la durée de l'examen de ce recours, toutes les mesures d'éloignement du territoire à l'égard de l'étranger en raison des faits qui ont donné lieu à la décision contestée sont suspendues.

    Dans le cas où la demande est introduite contre un refus de séjour ou d'établissement, le Ministre ou son délégué peut enjoindre à l'étranger de résider en un lieu déterminé ou, si des circonstances exceptionnellement graves le justifient, ordonner sa détention pendant la durée de l'examen de la demande.

    En cas de confirmation de la décision contestée, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides ou un de ses adjoints donne également un avis formel sur la remise éventuelle de l'intéressé à la frontière du pays qu'il a fui et où, selon sa déclaration, sa vie, son intégrité physique ou sa liberté serait menacée. »

    Article 69

    « Un recours en annulation, régi par l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, peut être introduit contre une décision refusant le bénéfice d'un droit prévu par la présente loi.

    L'introduction d'une demande en révision n'empêche pas l'introduction directe d'un recours en annulation contre la décision dont la révision est demandée.

    Dans ce cas, l'examen du recours en annulation est suspendu jusqu'à ce que le Ministre ou son délégué ait statué sur la recevabilité de la demande. »

    Article 71

    « L'étranger qui fait l'objet d'une mesure privative de liberté prise en application des articles 7, (8bis, § 4,) 25, 27, 29, alinéa 2, 51/5, § 3, alinéa 4, 52bis, alinéa 4, 54, 63/5, alinéa 3, 67, 74/6 et (57/32, § 2, alinéa 2) peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé.

    L'étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l'article 74/5, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu où il est maintenu.

    L'intéressé peut réintroduire le recours visé aux alinéas précédents de mois en mois.

    Toutefois, lorsque, conformément à l'article 74, le Ministre a saisi la chambre du conseil, l'étranger ne peut introduire le recours visé aux alinéas précédents contre la décision de prolongation du délai de la détention ou du maintien qu'à partir du trentième jour qui suit la prolongation. »

    Article 72

    « La chambre du conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l'intéressé ou son conseil en ses moyens et le ministère public en son avis. Lorsque, conformément à l'article 74, le Ministre a saisi la chambre du conseil, le Ministre, son délégué ou son conseil doit également être entendu dans ses moyens. Si la chambre du conseil n'a pas statué dans le délai fixé, l'étranger est mis en liberté.

    Elle vérifie si les mesures privatives de liberté et d'éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité.

    Les ordonnances de la chambre du conseil sont susceptibles d'appel de la part de l'étranger, du ministère public et, dans le cas prévu à l'article 74, du Ministre ou son délégué.

    Il est procédé conformément aux dispositions légales relatives à la détention préventive, sauf celles relatives au mandat d'arrêt, au juge d'instruction, à l'interdiction de communiquer, à l'ordonnance de prise de corps, à la mise en liberté provisoire ou sous caution, et au droit de prendre communication du dossier administratif.

    Le conseil de l'étranger peut consulter le dossier au greffe du tribunal compétent pendant les deux jours ouvrables qui précèdent l'audience.

    Le greffier en donnera avis au conseil par lettre recommandée. »

    Article 73

    « Si la Chambre du Conseil décide de ne pas maintenir l'arrestation, l'étranger est remis en liberté dès que la décision est coulée en force de chose jugée.

    Le (Ministre) peut enjoindre à cet étranger de résider en un lieu déterminé soit jusqu'à l'exécution de la mesure d'éloignement du territoire dont il fait l'objet, soit jusqu'au moment où il aura été statué sur sa demande en révision. »

    Article 74/5

    « § 1.  Peut être maintenu dans un lieu déterminé, situé aux frontières, en attendant l'autorisation d'entrer dans le royaume ou son refoulement du territoire :

    1o  l'étranger qui, en application des dispositions de la présente loi, peut être refoulé par les autorités chargées du contrôle aux frontières ;

    2o  l'étranger qui tente de pénétrer dans le royaume sans satisfaire aux conditions fixées par l'article 2, qui se déclare réfugié et demande, à la frontière, à être reconnu comme tel.

    § 2.  Le Roi peut déterminer d'autres lieux situés à l'intérieur du royaume, qui sont assimilés au lieu visé au § 1er.

    L'étranger maintenu dans un de ces autres lieux n'est pas considéré comme ayant été autorisé à entrer dans le royaume.

    § 3.  La durée du maintien dans un lieu déterminé situé aux frontières ne peut excéder deux mois. Le ministre ou son délégué peut toutefois prolonger le maintien de l'étranger visé au § 1er, par période de deux mois :

    1o  si l'étranger fait l'objet d'une mesure de refoulement exécutoire, d'une décision de refus d'entrée exécutoire ou d'une décision confirmative de refus d'entrée exécutoire ;

    2o  et si les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la décision ou de la mesure visée au 1o, qu'elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu'il subsiste toujours une possibilité d'éloigner effectivement l'étranger dans un délai raisonnable.

    Après une prolongation, la décision visée à l'alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.

    La durée totale du maintien ne peut jamais excéder cinq mois. (...) »

  66. Dans un arrêt du 29 septembre 2005, la cour d'appel de Bruxelles, saisie d'un appel de l'Etat belge contre une ordonnance lui enjoignant de laisser circuler librement une personne transférée du « Centre 127 » à la zone de transit à la suite d'une décision ordonnant sa remise en liberté, a rappelé que la seule restriction légale à la mise en liberté d'un étranger faite dans ces conditions concerne le lieu de résidence qui peut lui être imposé, un lieu nécessairement situé sur le territoire belge. Elle s'est ensuite exprimée comme suit :
  67. « L'article 73 de la loi du 15 décembre 1980 (...) ne mentionne cependant pas de restriction relative aux modalités de jouissance de la résidence qui peut être imposée à l'étranger ;

    Il faut en déduire que celui-ci doit pouvoir y entrer, en sortir et y recevoir ses proches librement ;

    En plaçant d'autorité [...] dans la zone de transit de l'aéroport dont elle ne pouvait sortir que pour quitter le territoire national, l'Etat belge a donc pris une mesure administrative qui dépasse la restriction à la liberté, autorisée au deuxième alinéa de l'article 73 de la loi du 15 décembre 1980 (...) ;

    C'est donc à bon droit que le premier juge a estimé que la décision de la chambre du conseil n'avait pas été loyalement exécutée par l'Etat belge qui s'était en l'espèce rendu coupable d'une voie de fait à l'égard de [Madame] ;

    L'ordonnance de libération d'une chambre du conseil prise dans la cadre d'un recours basé sur l'article 71 de la loi du 15 décembre 1980 (...) confère donc de manière implicite mais certaine, à son bénéficiaire une autorisation, certes précaire et essentiellement provisoire, de circuler librement sur le territoire belge ;

    Cette autorisation de circulation ne peut en outre pas être assimilée à la reconnaissance d'un véritable droit d'accès au territoire qui priverait d'effet les autres décisions administratives prises par l'Etat belge à l'égard de l'étranger ;

    L'autorisation de circuler librement n'interdit en effet pas à l'Etat belge de poursuivre l'exécution de la mesure d'éloignement dont l'étranger fait l'objet, soit par un rapatriement forcé, soit encore comme en l'espèce et avec succès, par la notification d'un ordre de quitter le territoire. »

    En estimant que le transfert et le maintien en zone de transit constituait une violation manifeste de l'ordonnance de mise en liberté prise par la chambre du conseil, la cour d'appel confirmait un constat qui avait, notamment, été déjà dressé dans une ordonnance du président du tribunal de première instance de Nivelles du 30 novembre 2002.

    III.  AUTRES SOURCES

    A.  Les rapports du comité européen pour la prévention de la torture de 1997 et 2005

  68. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a été, à plusieurs reprises, amené à s'intéresser à la situation des ressortissants étrangers auxquels l'entrée sur le territoire belge avait été refusée ou qui avaient fait l'objet d'une décision d'éloignement forcé.
  69. 1.  Extraits du « Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 14 octobre 1994 »

    « 58.  La salle d'hébergement dans la zone de transit de l'aéroport avait été ouverte peu avant, une ordonnance de référé du Tribunal de Première Instance de Bruxelles du 25 juin 1993 qui disposait que le traitement de dix-neuf candidats réfugiés somaliens « pris en son ensemble, présente les caractéristiques d'un traitement dégradant et inhumain ... ». Ces personnes avaient été maintenues dans la zone de transit de l'aéroport   le centre « 127 » étant complet   et avaient à « des moments divers été obligées de dormir à même le sol, sans couvertures chaudes pour la nuit, hommes, femmes, enfants indistinctement mélangés, exposés nuit et jour à la curiosité publique, privés d'accès à des lieux permettant une hygiène normale. » Le Tribunal de Première Instance avait notamment ordonné à l'Etat belge de « mettre à la disposition des [intéressés], dans la mesure où ils n'ont pu encore être admis au centre « 127 » et pendant la durée de leur séjour dans la zone de transit de l'aéroport de Zaventem :

    -  des locaux distincts, un pour les femmes et un pour les hommes, à l'abri des vues du public, pour chacun ..., un lit, un coussin, des draps et une couverture, trois repas par jour dont un chaud, des installations sanitaires (toilettes et lavabo avec eau courante), de faire assurer ... les soins médicaux indispensables à l'entretien et la conservation de leur santé. »

    2.  Extraits du « Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 31 août au 12 septembre 1997 »

    « 45.  De l'avis du CPT, dans les cas où il paraît nécessaire de priver des personnes de liberté pendant une période prolongée en vertu de législations relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, ces personnes devraient être placées dans des centres spécifiquement conçus à cet effet, offrant des conditions matérielles et un régime adaptés à leur statut juridique, et dotés d'un personnel possédant des qualifications appropriées. A l'évidence, de tels centres devraient disposer de locaux d'hébergement équipés de manière adéquate, propres et en bon état d'entretien et qui puissent offrir un espace de vie suffisant au nombre de personnes susceptibles d'y être placées. De plus, il y aurait lieu d'éviter autant que possible, dans la conception et l'agencement des lieux, toute impression d'environnement carcéral. En ce qui concerne les programmes d'activités, ceux-ci devraient comprendre l'exercice en plein air, l'accès à une salle de séjour, à la radio/télévision, à des journaux/revues, ainsi qu'à d'autres formes d'activités récréatives appropriées (par exemple, jeux de société, tennis de table). Les activités à proposer devraient être d'autant plus diversifiées que la période de rétention se prolonge.

    46.  Depuis la première visite périodique du CPT, plusieurs centres fermés destinés spécifiquement aux ressortissants étrangers ont été créés. (...)

    47.  Le Centre « INADS », localisé au bout de la « Jetée B » du nouveau terminal de l'aéroport de Bruxelles-National, a été ouvert en mars 1995. Initialement administré par une société privée, il est géré par l'Office des Etrangers depuis le 1er juillet 1996. Ce centre est destiné aux étrangers qui se sont vus signifier un refus d'entrée sur le territoire du Royaume et qui attendent leur refoulement avec un prochain vol. Selon les informations fournies par le personnel du centre, la durée de leur séjour ne dépasse pas en principe quelques jours. Toutefois, si la personne intéressée s'oppose à son refoulement, il n'est pas exclu qu'elle puisse y être maintenue pendant deux à trois semaines, voire même plus longtemps (par exemple, si elle a obtenu une suspension de la décision de refoulement par le Conseil d'Etat).

    La capacité annoncée est de 30 personnes. Lors d'une première visite de la délégation, la délégation a rencontré six personnes ; il y en avait douze lors d'une seconde visite de la délégation. La durée du séjour des personnes maintenues dans ce centre variait d'un à neuf jours.

    48.  Le Centre de transit « 127 », situé à Melsbroek, se trouve dans l'enceinte de l'aéroport de Bruxelles-National, à proximité directe d'une piste. Il a été réouvert le 31 juillet 1994, après avoir été ravagé par un incendie, fin octobre 1993. Le Centre « 127 » accueille les étrangers dépourvus des documents requis pour l'entrée sur le territoire et ayant demandé l'asile à l'aéroport de Bruxelles-National, dans l'attente d'une décision d'autorisation ou de refus d'entrée sur le territoire. En cas de décision négative sur la recevabilité de la demande d'asile, les étrangers concernés sont transférés au Centre « 127 bis » (cf. paragraphe 49, ci-dessous).

    D'une capacité officielle de 100 personnes, le Centre accueillait   le jour de la visite du CPT   34 adultes et 4 enfants. La durée de leur séjour variait de deux jours à un mois.

    49.  Le Centre de rapatriement « 127 bis », situé à Steenokkerzeel, est localisé à proximité immédiate de l'aéroport de Bruxelles-National. Il a été ouvert en mars 1994 et accueille, en principe, deux catégories de ressortissants étrangers retenus : des demandeurs d'asile qui, après être entrés illégalement en Belgique, ont déposé leur demande au siège même de l'Office des Etrangers et dont la démarche est considérée n'avoir que peu de chances d'aboutir ; des personnes transférées du Centre « 127 » qui se sont vues signifier une décision d'irrecevabilité et qui attendent leur éloignement. De plus, en cas de nécessité (arrivée d'un nombre important de demandeurs d'asile), ce centre remplit également la fonction accessoire et temporaire d'extension du Centre « 127 ».

    Sa capacité est fixée à 192 places. Lors de la visite, 69 personnes (47 hommes, 14 femmes et 8 enfants) y étaient maintenus. Le séjour de la plupart d'entre elles variait de deux jours à trois mois. Cela étant, l'une des personnes y séjournait depuis plus de cinq mois.

    50.  Le Centre pour étrangers illégaux (CIM) de Merksplas se trouve dans la campagne, au nord du pays, près de la frontière néerlandaise. Il a été ouvert en décembre 1993 et sa capacité est de 160 places. (...)

    3.  Conditions de rétention dans les établissements visités

    a.  conditions matérielles et activités

    i)  Centre « INADS »

    53.  Le centre comporte deux dortoirs spacieux (l'un pour des femmes, éventuellement accompagnées d'enfants, et l'autre pour des hommes). Ils étaient propres, bien éclairés et aérés. Par ailleurs, des annexes sanitaires (toilettes et douches) en état d'entretien et de propreté satisfaisants, étaient accessibles à tout moment.

    Les personnes maintenues avaient accès à une salle de loisirs relativement spacieuse où il leur était possible de regarder la télévision, lire des journaux et jouer au tennis de table ou à des jeux de société. Pour les enfants, une petite sélection de jouets avait également été prévue.

    En somme, à une exception près, les conditions matérielles et les activités proposées au Centre peuvent généralement être décrites comme satisfaisantes pour un séjour ne dépassant pas quelques jours.

    54.  L'exception à cette constatation positive vise l'absence d'aménagement permettant aux personnes maintenues au centre de se rendre à l'air frais. Le CPT recommande aux autorités belges de prendre des mesures afin que toute personne maintenue au centre au-delà de vingt-quatre heures puisse se rendre à l'air frais au moins une heure par jour.

    Le CPT tient aussi à souligner que ce centre, de par sa configuration et sa localisation, n'est pas adapté à des rétentions se prolongeant au-delà de quelques jours.

    (...)

    c.  autres questions relevant du mandat du CPT

    i)  contacts avec le monde extérieur

    67.  Les étrangers retenus devraient être en droit de maintenir des contacts avec le monde extérieur pendant leur rétention et, notamment, avoir accès à un téléphone et pouvoir bénéficier de visites de proches et de représentants d'organisations compétentes.

    68.  S'agissant des visites, le règlement de vie dans les centres fermés accorde notamment aux ressortissants étrangers retenus le droit de visite de membres de leur famille, d'avocats et de représentants des autorités diplomatiques et consulaires de leur pays. Cela étant, les règles observées en pratique dans les différents centres visités étaient assez différentes.

    Les possibilités de visites   y compris d'avocats   étaient très limitées au Centre « INADS » et au Centre de transit « 127 ». Dans ce dernier centre en particulier, l'accès des visiteurs était rendu pratiquement impossible en raison d'une décision de la Régie des Voies Aériennes d'interdire l'accès du terrain aux personnes étrangères à son administration. De ce fait, à l'exception des avocats, ce n'est que dans des cas exceptionnels que d'autres personnes étaient autorisées à rendre visite aux retenus du Centre « 127 ». Une telle situation – du reste en contradiction avec le règlement précité – n'est pas acceptable.

    (...)

    69.  Quant à l'accès au téléphone, les communications téléphoniques des retenus avec leur avocat, le représentant consulaire/diplomatique de leur pays étaient toujours autorisées et gratuites.

    En ce qui concerne les autres communications téléphoniques, l'Article 20 du Règlement précité prévoit que chaque retenu peut téléphoner aux personnes de son choix (y compris à l'étranger) dans les heures déterminées par le règlement interne de chaque centre. A cet effet, des téléphones publics avaient été installés dans les centres visités. De plus, à leur arrivée dans les centres fermés, les ressortissants étrangers pouvaient effectuer un appel téléphonique gratuit en Belgique. En outre, tous les nouveaux arrivants recevaient une première télécarte gratuitement, les suivantes pouvant être achetées à la cantine de l'établissement. »

    3.  Extraits du « Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 18 au 27 avril 2005 »

    « 46.  La délégation a également effectué une visite de suivi au Centre « INADS », situé au bout du terminal B de l'aéroport de Bruxelles-National, et dans lequel les étrangers n'ayant pas été autorisés à entrer sur le territoire belge sont hébergés dans l'attente de leur refoulement sur le prochain vol disponible. La délégation a été informée que de février à avril 2005, la durée du séjour au Centre « INADS » variait de 4 heures à 3 jours (selon la disponibilité des vols) ; toutefois, cette durée s'allongeait si – exceptionnellement – la personne qui s'était vue refuser l'entrée sur le territoire faisait appel de cette décision.

    Des informations fournies à la délégation et des constatations faites par cette dernière, il ressort que les recommandations formulées dans le rapport sur la visite effectuée en 1997 n'ont pas été suivies d'effet. Ainsi, les personnes retenues au Centre « INADS » – quelle que soit la durée de leur séjour – n'avaient toujours pas la possibilité de se rendre à l'air frais, ni de recevoir les visites de membres de la famille, de proches, ou d'un avocat. S'agissant de ce dernier, seul un contact par téléphone était autorisé. En outre, elles n'étaient pas systématiquement informées, dans une langue qu'elles comprenaient, de leur situation juridique et de leurs droits. Enfin, rien n'était prévu s'agissant de la visite quotidienne d'un(e) infirmier(ère).

    47.  Le CPT réitère ses recommandations formulées à l'égard du Centre « INADS », selon lesquelles :

    -  toute personne retenue au Centre pendant une période prolongée (24 heures ou plus) se voie offrir une heure au moins d'exercice en plein air par jour ;

    -  les personnes retenues au Centre reçoivent une notice d'information exposant, outre les règles applicables à leur séjour, leur situation juridique et leurs droits ; cette notice devrait exister dans un éventail approprié de langues ;

    -  un(e) infirmier(ère) se rende quotidiennement au Centre.

    De plus, des dispositions devraient être prises afin que les personnes retenues dans le Centre « INADS » puissent recevoir les visites de parents, de proches, ainsi que d'un avocat.

    48.  Au cours de la visite, la délégation a été informée qu'en 2004, l'Office des étrangers avait développé une pratique consistant à transférer, suite au prononcé d'une décision de remise en liberté par une autorité judiciaire, des ressortissants étrangers faisant l'objet d'un ordre de refoulement du centre de rétention où ils étaient détenus vers la zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National. En particulier, un groupe de personnes d'origine africaine seraient restées dans la zone de transit du mois de décembre 2003 au mois de mai 2004. Saisi d'une réclamation, le Collège des Médiateurs fédéraux estima qu'il devait « être mis un terme à cette pratique administrative, à tout le moins lorsque ... l'éloignement n'est pas susceptible d'être réalisé à bref délai (48 heures tout au plus) ».

    49.  Le CPT tient à souligner que dans son rapport relatif à sa première visite, en 1993, il avait clairement indiqué qu'à l'aéroport de Bruxelles-National, les conditions matérielles d'hébergement ne convenaient nullement, au-delà d'une durée dépassant quelques heures. Les constatations faites par la délégation lors de la visite en 2005 ne permettent pas d'aboutir à une conclusion différente.

    Plus généralement, comme le CPT vient de le rappeler dans son 15e Rapport Général d'Activités, retenir des ressortissants étrangers durant « des semaines, voire des mois, dans des salles d'attente d'aéroports ... dans des conditions matérielles médiocres et privés de toute forme d'activité » est une pratique qui doit cesser. Le CPT recommande que les autorités belges prennent immédiatement les mesures nécessaires afin de mettre définitivement fin à cette pratique. »

    B.  Les observations finales du Comité des droits de l'homme des Nations-Unies du 30 juillet 2004 (CCPR/CO/81/BEL)

  70. Le Comité des droits de l'homme des Nations-Unies s'est exprimé comme suit à propos du maintien de personnes en attente d'éloignement en zone de transit par la Belgique :
  71. « 17)  Le Comité est préoccupé par le fait que des étrangers maintenus en centre fermé dans l'attente de leur éloignement, puis remis en liberté sur décision judiciaire, ont été maintenus en zone de transit de l'aéroport national dans des conditions sanitaires et sociales précaires.

    Des informations font état de périodes de détention de plusieurs mois dans certains cas. De l'avis du Comité, ces pratiques s'apparentent à des détentions arbitraires et peuvent conduire à la commission de traitements inhumains et dégradants (articles 7 et 9).

    L'État partie devrait mettre fin immédiatement à la rétention d'étrangers en zone de transit aéroportuaire. »

    C.  Rapport annuel 2004 du Collège des médiateurs fédéraux

    57.  Aux pages 44 et 45 de ce rapport, on peut lire :

    « Le maintien en zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National

    Durant l'exercice 2004, la Médiature fédérale fut saisie, notamment par une ONG, d'une réclamation concernant la pratique administrative de l'Office des étrangers consistant à transférer, en exécution d'une ordonnance de remise en liberté de la chambre du conseil ou d'un arrêt de la chambre des mises en accusation, des ressortissants étrangers faisant l'objet d'un ordre de refoulement du centre fermé où ils sont détenus vers la zone de transit de l'aéroport de Bruxelles National. Selon le ministre de l'Intérieur et l'Office des étrangers, en transférant les intéressés du centre fermé vers la zone de transit, « les personnes en centre fermé qui bénéficient d'une libération par la chambre du conseil sont effectivement libérées. Si elles sont libérées et après ces personnes se trouvent de nouveau dans la zone de transit, c'est dû au fait qu'elles ne sont pas en possession des documents requis pour l'accès au territoire ». Dans son analyse de la pratique précitée, au regard de la jurisprudence européenne et belge, le Collège des médiateurs fédéraux a indiqué à l'Office des étrangers que la zone de transit fait partie du territoire belge et que sa finalité est de faciliter le transport aérien. Il est donc contradictoire de prétendre que le maintien en zone de transit est dû au fait que les ressortissants étrangers ne sont pas en possession des documents requis pour l'accès au territoire alors que le transfert en zone de transit doit être considéré comme s'exerçant sur le territoire belge. En outre, compte tenu de sa finalité, une telle zone n'est matériellement pas aménagée pour accueillir, durant une période plus ou moins longue, des personnes qui ne sont pas en escale, avec les conséquences en termes de respect de la dignité humaine consacré par la Constitution.

    Dans ces circonstances, le Collège a estimé que le maintien en zone de transit était en tout état de cause contraire au principe du raisonnable.

    De plus, se contenter de dire, à l'instar des autorités administratives belges, que le seul refus des intéressés d'obtempérer à la décision de refoulement était à l'origine de la situation qu'ils vivaient dans la zone de transit était manifestement disproportionné aux moyens dont dispose l'Etat belge afin de mettre, le cas échéant, lesdites décisions à exécution.

    Tout comme le Comité des droits de l'homme des Nations-Unies, le Collège est préoccupé par ces pratiques de l'Office des étrangers qui « s'apparentent à des détentions arbitraires et peuvent conduire à la commission de traitements inhumains et dégradants ».

    Le Collège des médiateurs fédéraux estime dès lors qu'il doit être mis un terme à cette pratique administrative, à tout le moins lorsqu'en l'état actuel du droit, l'éloignement n'est pas susceptible d'être réalisé à bref délai (48 heures tout au plus). Dans l'hypothèse où l'ordre de refoulement ne peut matériellement être exécuté à court terme, la Médiature fédérale reste d'avis que la libération des intéressés sur le territoire belge à l'intérieur des frontières est la seule solution acceptable au plan du droit et des principes de bonne administration, à charge le cas échéant pour le ministre de l'Intérieur d'enjoindre aux intéressés « de résider en un lieu déterminé jusqu'à l'exécution de la mesure d'éloignement du territoire » dont ils font l'objet par application de l'article 73 de la loi du 15 décembre 1980. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

  72. Les requérants soutiennent que leur placement en zone de transit à la suite des arrêts des 30 janvier 2003 et 3 février 2003 et leur placement à Merksplas à la suite de l'ordonnance du 14 février 2003 ont porté atteinte à l'article 5 de la Convention puisque ces mesures ont été appliquées en violation de décisions de justice ordonnant leur libération qui n'ont donc pas été exécutées avec la diligence, la célérité et la bonne foi qu'exige cette disposition en garantissant un strict contrôle judiciaire de toute mesure de privation de liberté.
  73. Les dispositions pertinentes de l'article 5 de la Convention se lisent ainsi :

    « 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

    (...)

    f)  s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.

    (...)

    4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

    A.  Sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes

  74. Le Gouvernement affirme tout d'abord que les requérants n'ont pas correctement épuisé les voies de recours internes puisqu'ils n'ont introduit aucun recours contre la décision du 15 février 2003 leur ordonnant de quitter le territoire avec décision de remise à la frontière et privation de liberté à cette fin. Deux recours étaient cependant ouverts contre cette décision : l'un devant la chambre du conseil du tribunal de première instance contre la décision de privation de liberté aux fins de remise à la frontière conformément à l'article 71 de la loi du 15 décembre 1980, l'autre devant le Conseil d'Etat contre la décision ordonnant de quitter le territoire avec décision de remise à la frontière sur le fondement de l'article 69 de la même loi.
  75. Les requérants combattent la thèse avancée par le Gouvernement. Ils estiment qu'on ne saurait leur reprocher de ne pas avoir introduit de recours contre les décisions de privation de liberté, dans la mesure où des décisions de remises en liberté avaient déjà été rendues antérieurement les 20 janvier, 30 janvier et 3 février 2003, tant par la chambre du conseil que par la chambre des mises en accusation et que l'Etat avait refusé de mettre ces décisions de remises en liberté à exécution ou estimé les avoir exécutées en les plaçant en zone de transit. L'Etat les a placés dans un cercle vicieux et cette attitude leur a donné un sentiment de vulnérabilité, d'impuissance et d'appréhension face aux représentants de l'Etat, qui justifie de les exonérer de l'obligation d'épuiser une fois encore les voies de recours internes.
  76. La Cour rappelle que la règle de l'épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants de se prévaloir d'abord des recours normalement disponibles et suffisants dans le système juridique de leur pays pour leur permettre d'obtenir réparation des violations qu'ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues (arrêts Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, pp. 2275-2276, §§ 51-52, et Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, §§ 65-67). L'article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c'est au requérant qu'il revient d'établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n'était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (Akdivar et autres, précité, p. 1211, § 68). La Cour souligne encore qu'elle doit appliquer la règle de l'épuisement en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme que les Parties contractantes sont convenues d'instaurer. Elle a ainsi reconnu que l'article 35 § 1 doit être appliqué avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que la règle de l'épuisement des voies de recours internes ne s'accommode pas d'une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant. Il lui faut dès lors, en l'espèce, examiner si, compte tenu de l'ensemble des circonstances de la cause, les requérants ont fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre d'eux pour épuiser les voies de recours internes (Khachiev et Akaïeva c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, 24 février 2005 ; Akdivar et autre, précité, p. 1211, § 69, et Aksoy, précité, p. 2276, §§ 53 et 64).
  77. La Cour observe que le droit belge offrait en principe une voie de recours aux requérants pour contester les privations de liberté intervenues le 15 février 2003, ce que ces derniers ne contestent d'ailleurs pas. Ils ne fondent leur thèse de l'absence d'effectivité du recours que sur l'appréhension qu'une décision positive qui aurait été rendue dans le cadre d'une telle action n'aurait à nouveau pas débouché sur leur libération, vu l'attitude adoptée par l'Office des étrangers lorsqu'il était confronté à des décisions de ce type. Ils rappellent, en ce qui les concerne, les suites réservées par cette administration aux ordres de libération immédiate des 30 janvier et 3 février 2003, puis aux ordonnances du 14 février 2003 ordonnant de les laisser librement et sans restriction en zone de transit. Pour évaluer le caractère raisonnable de cette appréhension, la Cour accorde une importance particulière aux constatations faites à ce propos par des instances nationales et internationales. La Cour juge particulièrement frappantes les considérations émises dans les ordonnances précitées, qui n'ont pas fait l'objet de recours. Il y est constaté que l'Etat avait commis une voie de fait en transférant les requérants du centre fermé de Melsbroek à la zone de transit. Il y était aussi indiqué que la libération ordonnée précédemment impliquait nécessairement que les requérants, tant qu'ils n'étaient pas refoulés, puissent quitter librement la zone de transit, sans préjudice du droit du ministre de l'Intérieur de leur enjoindre de résider en un lieu déterminé en application de l'article 73 de la loi du 15 décembre 1980. Il s'agissait, selon les ordonnances, de la seule solution possible pour ne pas « réduire la procédure fondée sur l'article 71 [de cette loi] à une simple mascarade ». La Cour ne peut pas non plus ignorer les observations finales du Comité des droits de l'homme des Nations-Unies du 30 juillet 2004 (voir paragraphe 56 ci-dessus) et le Rapport annuel 2004 du Collège des médiateurs fédéraux (paragraphe 57 ci-dessus) qui qualifient les situations de ce type de détention arbitraire et montrent qu'il ne s'agissait pas d'incidents isolés. Le second document fait expressément mention d'une « pratique administrative». Au vu de ces éléments, la Cour estime que, même si –sur le plan judiciaire – les perspectives de succès d'une nouvelle procédure mettant en cause les titres de détention des requérants du 15 février 2003 ne peuvent être jugées négligeables, les appréhensions des requérants que ces recours n'auraient pas réellement eu d'impact pratique peuvent passer pour objectivement justifiées. Pour arriver à cette conclusion, elle a également gardé présents à l'esprit les sentiments d'insécurité, de vulnérabilité et d'impuissance que devaient à ce moment éprouver les requérants, qui n'avaient pas recouvré leur liberté malgré deux séries de décisions judiciaires condamnant leurs privations de liberté antérieures. La circonstance que les requérants avaient pu auparavant obtenir les conseils d'un avocat qui avait pu agir en leur nom n'est pas de nature à modifier ce constat.
  78. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les requérants ont démontré l'existence de circonstances particulières qui les dispensaient de l'obligation d'épuiser la voie de recours indiquée par le Gouvernement. En conséquence, l'exception préliminaire soulevée par celui-ci doit être rejetée.
  79. B.  Sur le fond

  80. Les requérants estiment qu'en ce qui concerne leur transfert en zone de transit, le Gouvernement joue sur les mots en considérant ce transfert comme une remise en liberté. Tous les organismes indépendants ayant visité la zone de transit parlent de détention. Par ailleurs, quel serait le sens du contrôle opéré par le juge sur la légalité d'une détention d'un étranger « à la frontière » à leur arrivée sur le territoire belge si l'on devait admettre la pratique du placement subséquent en zone de transit utilisé par l'Office des étrangers ? Les ordonnances du 14 février 2003 ont répondu à cette question en relevant que, dans cette hypothèse, il se réduirait à un simulacre de contrôle et en faisant usage du terme « mascarade ». En utilisant un tel stratagème, l'Etat ne s'est pas conformé aux décisions rendues par les juridictions d'instruction de manière concrète et effective, mais s'est livré à une parodie qui réduit à néant la garantie qu'il a mise en place. Il en va de même des circonstances qui ont conduit à leur détention à Merksplas. Les requérants, qui relèvent que leur « contrôle » est concomitant à leur sortie de la zone de transit, rappellent que l'usage de ruses, par les autorités, a été fermement dénoncé par la Cour (Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 42 à 44, CEDH 2002-I). Ils soulèvent aussi que la privation de liberté n'est qu'une faculté en droit belge et non une mesure automatique, comme le montrent les décisions prises par la chambre du conseil, la chambre des mises en accusation et le Président du tribunal de première instance de Bruxelles. Toutefois, la position de l'Office des étrangers consiste à en faire la règle pour tout étranger non autorisé à rentrer sur le territoire, sans réflexion quant à l'adéquation de cette mesure ou à son caractère proportionnel.
  81. La technique de placement en zone de transit mise en œuvre pour contourner les décisions de mise en liberté a été stigmatisée par un avis du médiateur fédéral du 14 septembre 2004 et ses conséquences ont été mises en exergue dans les observations finales du Comité des droits de l'Homme des Nations-Unies du 30 juillet 2004 concernant la Belgique. Les requérants rappellent aussi les critiques faites en 2003 et 2004 par le réseau des experts indépendants en matière de droits fondamentaux de l'Union européenne et les conclusions sur ces questions dans le rapport du 25 mai 2003 du Comité contre la torture concernant la Belgique et se réfèrent à d'autres textes récents émanant d'institutions du Conseil de l'Europe – le Comité des ministres, la Commissaire des droits de l'Homme et l'Assemblée parlementaire – qui confortent leur analyse. Dans le rapport relatif à la visite effectuée en avril 2005, le Comité contre la torture a, une fois de plus, recommandé aux autorités belges de mettre définitivement fin à la pratique dénoncée. Dans un arrêt du 29 septembre 2005, la cour d'appel de Bruxelles, confirmant une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles du 28 janvier 2004, a constaté que le transfert en zone de transit ne constituait pas une exécution loyale d'une décision ordonnant la remise en liberté d'une étrangère détenue en centre de rétention et constituait une voie de fait.
  82. Le Gouvernement relève que, à la suite des arrêts des 30 janvier et 3 février 2003, les requérants ont été immédiatement libérés et ont quitté le centre pour illégaux de Bruges. N'étant cependant pas admis à entrer sur le territoire vu les décisions de refus d'entrée subsistant à leur égard, ils ont été amenés en zone de transit. Cette mesure constituait une exécution des décisions précitées conforme à la loi interne et à l'interprétation qui en a été donnée par les juridictions internes. Les juridictions d'instruction n'ont en effet aucune compétence pour annuler ou suspendre les décisions de refus d'entrée et de refoulement. Leur rôle se limite, en vertu de l'article 72 alinéa 2 de la loi du 15 décembre 1980, à vérifier si les mesures administratives de privation de liberté sont conformes à la loi. En tout état de cause, les transferts des requérants en zone de transit ne peuvent être considérés comme des mesures privatives de liberté. L'ordonnance du 14 février 2003 s'est écartée de la jurisprudence interne et internationale en considérant qu'il s'agissait d'un « lieu fermé ». L'unique restriction de liberté qui s'imposait aux requérants était l'interdiction d'accéder au territoire belge. Par ailleurs, ces derniers avaient été dûment informés de leur situation en anglais, dans une langue qu'ils connaissaient, et remis en possession de leurs bagages, argent et effets personnels. Ils étaient libres de leurs mouvements et, en particulier, de quitter le territoire belge. Les autorités leur ont d'ailleurs donné la possibilité d'agir en ce sens en prenant un vol à bord duquel une réservation avait été faite en leur nom, opportunités que les requérants ont refusées respectivement trois fois et une fois. Dans ces conditions, les requérants doivent être considérés comme étant à l'origine du grief qu'ils invoquent et l'Etat n'est donc pas responsable de la situation créée (Mogos c. Roumanie, no 20420/02, 13 octobre 2005).
  83. S'agissant de la détention à Merksplas, le Gouvernement précise que, à la suite des ordonnances du 14 février 2003, les requérants ont été autorisés à quitter la zone de transit le 15 février 2003 et à accéder au territoire belge. Ils n'étaient cependant en possession d'aucune autorisation de séjour. Lors de contrôles effectués le 15 février 2003 à 11 h 30, il a été constaté qu'ils étaient sur le territoire sans être porteurs des documents requis et des ordres de quitter le territoire avec décision de remise à la frontière et décision de privation de liberté à cette fin leur furent notifiés, sur le fondement de l'article 7 de la loi du 15 décembre 1980. Rappelant que les termes « selon les voies légales » se réfèrent essentiellement à la législation nationale (Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre 1979, série A no 33 ; Steel et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998-VII ; Shamsa c. Pologne, nos 45355/99 et 45357/99, 27 novembre 2003), le Gouvernement expose que la privation de liberté en cause était régie par la disposition précitée, extrêmement précise à cet égard. Répondant aux critères fixés par la Cour d'arbitrage en la matière, les privations de liberté intervenues le 15 février 2003 étaient absolument nécessaires et proportionnelles et n'avaient rien d'arbitraire. En effet, comme les décisions litigieuses l'indiquaient, les requérants avaient déjà précédemment fait l'objet de différentes tentatives d'éloignement auxquelles ils avaient chaque fois refusé de donner suite. Les autorités compétentes étaient donc fondées à considérer qu'il y avait peu de chances que les personnes concernées exécutent volontairement les nouvelles décisions prises à leur encontre. Le Gouvernement relève encore qu'alors qu'ils avaient la possibilité de saisir la chambre du conseil d'un recours contre ces décisions, les requérants, bien qu'ils en aient été informés, ont négligé de le faire alors que la détention a commencé le 15 février 2003 et s'est achevée le 8 mars 2003. Une telle durée de détention ne saurait par ailleurs être considérée comme excessive selon la jurisprudence (Singh c. République tchèque, no 60538/00, 25 janvier 2005 ; Chahal c. Royaume Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil 1996 V) et l'éloignement a eu lieu dans le délai de deux mois prévu à l'article 7 de la loi du 15 décembre 1980.
  84. La Cour doit déterminer en premier lieu si le placement des requérants en zone de transit s'analyse en une privation de liberté au sens de l'article 5 de la Convention, la question de leur maintien à Merksplas ne prêtant, à cet égard, pas à controverse. La Cour rappelle qu'elle a déjà considéré que le maintien d'étrangers dans la zone internationale comporte une restriction à la liberté qui ne saurait être assimilée en tous points à celle subie dans des centres de rétention. Toutefois, un tel maintien n'est acceptable que s'il est assorti de garanties adéquates pour les personnes qui en font l'objet et ne se prolonge pas de manière excessive. Dans le cas contraire, la simple restriction à la liberté se transforme en privation de liberté (Amuur c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil 1996 III, § 43). Or, le maintien des requérants en zone de transit n'est pas intervenu à leur arrivée dans le pays, mais plus d'un mois plus tard, et il faisait suite à des décisions ordonnant leur remise en liberté. En outre, décidé pour une période indéterminée, il s'est poursuivi pendant quinze et onze jours, respectivement. Par ailleurs, la simple possibilité pour les requérants de quitter volontairement le pays ne saurait exclure une atteinte à la liberté (Amuur, précité, § 48). La Cour conclut que le maintien des requérants dans la zone de transit de l'aéroport équivalait en fait à une privation de liberté.
  85. La Cour est donc appelée a examiner la compatibilité des privations de liberté constatées en l'espèce avec le paragraphe 1 de l'article 5 de la Convention.
  86. La Cour rappelle que pour qu'une détention se concilie avec l'article 5 § 1 f) de la Convention, il suffit qu'une procédure d'expulsion soit en cours et que celle-ci soit effectuée aux fins de son application ; il n'y a donc pas lieu de rechercher si la décision initiale d'expulsion se justifiait ou non au regard de la législation interne ou de la Convention ou si la détention pouvait être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher un risque de fuite ou d'infraction (Chahal, précité, p. 1862, § 112). La Cour a plus particulièrement jugé normal que les Etats, en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l'entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur, précité, § 41), aient la faculté de placer en détention des candidats à l'immigration ayant sollicité – que ce soit ou non par le biais d'une demande d'asile – l'autorisation de pénétrer sur le territoire. Toutefois, la détention d'une personne constitue une atteinte majeure à la liberté individuelle et doit toujours être soumise à un contrôle rigoureux. Subsiste aussi toujours la question de savoir si la détention a été effectuée « selon les voies légales », au sens de l'article 5 § 1.
  87. La Cour rappelle qu'en matière de « régularité » d'une détention, y compris l'observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation d'en observer les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire (voir Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 54, 6 mars 2001 ; Markert-Davies c. France (déc.), no 43180/98, 29 juin 1999 ; Amuur, précité, § 50 ; Wassink c. Pays-Bas, arrêt du 27 septembre 1990, série A n 185, § 24, et Bozano c. France, arrêt du 18 décembre 1986, série A no 111, § 54).
  88. L'article 5 § 1 impose ainsi en premier lieu que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne (Bozano, op. cit.). Toutefois, la « régularité » de la détention au regard du droit interne n'est pas toujours l'élément décisif. De surcroît, la Cour doit s'assurer que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y compris aux principes généraux énoncés ou impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que lorsqu'il s'agit d'une privation de liberté, il est particulièrement important de satisfaire au principe général de la sécurité juridique. Par conséquent, il est essentiel que les conditions de la privation de liberté en vertu du droit interne soient clairement définies et que la loi elle-même soit prévisible dans son application, de façon à remplir le critère de « légalité » fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit suffisamment précise pour éviter
  89. tout risque d'arbitraire (voir Nasrulloyev c. Russie, no 656/06, § 71, 1er octobre 2007 ; Khudoyorov c. Russie, no 6847/02, § 125, CEDH 2005 ... (extraits) ; Ječius c. Lithuanie, no 34578/97, § 56, CEDH 2000-IX ; Baranowski c. Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH 2000-III, et Amuur, loc. cit.). Le critère de « légalité » fixé par la Convention exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s'entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (Shamsa, précité, § 40 ; Steel, précité, § 54).

  90. La Cour doit donc rechercher si les privations de liberté subies par les intéressés après les arrêts de la chambre des mises en accusation des 30 janvier et 3 février 2003 ordonnant leur libération immédiate, puis les ordonnances du 14 février 2003, relevaient de l'exception autorisée par l'article 5 § 1 f) et, en particulier, si elles répondaient à la condition de « régularité ».
  91. La Cour relève d'emblée qu'une situation dans laquelle l'Office des étrangers a pu, à deux reprises, maintenir les requérants en détention malgré que leur titre de détention antérieur avait été annulé et leur mise en liberté ordonnée en termes clairs par des décisions devenues définitives faute de recours, soulève de sérieux doutes au niveau du principe de la légalité et de la bonne exécution des décisions judiciaires.
  92. S'agissant du placement et du maintien des intéressés dans la zone de transit de l'aéroport, la Cour relève, qu'en l'espèce, le président du tribunal de première instance de Bruxelles a constaté leur illégalité, relevant que ceux-ci étaient inadmissibles et contraires à l'Etat de droit. De l'avis de ce juge, admettre que le placement dans cette zone équivaut à une remise en liberté reviendrait à permettre « de mettre unilatéralement en échec la décision de libération d'une instance judiciaire, sur base du statut administratif d'une personne alors même que ce statut administratif a été pris en considération par cette instance judiciaire et a dû motiver sa décision de libération ». Le Gouvernement laisse certes entendre que les deux ordonnances rendues le 14 février 2003 n'étaient pas conformes à la loi interne et à l'interprétation qui en a été donnée par les juridictions internes. Si tel était le cas, on comprend mal pourquoi ces décisions, qui qualifiaient l'attitude de l'office des étrangers de « voie de fait », n'ont pas été frappées de recours. La Cour observe aussi qu'un même constat d'illégalité avait déjà été précédemment posé par le président du tribunal de première instance de Nivelles (paragraphe 54 ci-dessus). Comme l'ont soulevé les requérants, un tel constat a aussi ultérieurement été fait, expressément, par la cour d'appel de Bruxelles et le Comité des droits de l'homme des Nations-Unies et, en substance, par le Collège des médiateurs fédéraux.
  93. On ne saurait dès lors considérer que le transfert et le maintien en zone de transit a constitué une application de bonne foi de la législation en matière d'immigration. Comme la Cour l'a souligné dans l'arrêt Bozano précité, il arrive aux organes d'un Etat contractant de commettre de bonne foi des irrégularités ; dans un tel cas, même la constatation ultérieure du manquement par un juge peut ne pas rejaillir, en droit interne, sur la validité des mesures de mise en œuvre prises dans l'intervalle. Il en va autrement si les autorités avaient, dès le départ, conscience de transgresser la législation en vigueur, en particulier si leur décision initiale se trouvait entachée de détournement de pouvoir (ibidem et Gebremedhin [Gaberamadhian] c. France (déc.), no 25389/05, § 56, 10 octobre 2006). Or, en l'espèce, il apparaît que la décision de placement en zone de transit était manifestement contraire aux arrêts des 30 janvier et 3 février 2003 et que l'Office des étrangers avait sciemment outrepassé ses pouvoirs.
  94. La Cour rappelle aussi qu'au regard de sa jurisprudence, un lien doit exister entre, d'une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et, de l'autre, le lieu et le régime de détention (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 53, 12 octobre 2006, ainsi que, mutatis mutandis, Aerts c. Belgique, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, pp. 1961-1962, § 46, et autres références y figurant). La Cour note à cet égard qu'il est clair, depuis les premiers rapports du CPT – auxquels le Gouvernement s'est référé pour expliquer la création du Centre « INADS » – et l'ordonnance de référé du Tribunal de Première Instance de Bruxelles du 25 juin 1993 – mentionné dans le rapport du CPT de 1994 (paragraphe 55 ci-dessus) – que la zone de transit ne constitue pas un lieu de séjour approprié, si l'on excepte le centre « INADS » qui ne se révèle adéquat que pour un séjour ne dépassant pas « quelques jours » (Rapport de 1997, § 66). Or, les requérants se trouvèrent, à partir du 3 février 2003, en zone de transit livrés à eux-mêmes, sans accompagnement humanitaire et social d'aucune sorte. En effet, le second requérant a été placé dans la zone de transit, sans aucune explication sur l'existence, le fonctionnement et l'emplacement du centre « INADS » où un accueil plus adapté aurait pu lui être assuré. Le premier requérant, qui avait été placé à l'origine dans la même situation, n'a obtenu des renseignements sur son existence et n'y a été conduit qu'après avoir fait part de sa situation aux fonctionnaires du poste d'inspection frontière. Si ce requérant soutient que quelques heures après y avoir été accepté, il fut reconduit en zone de transit avec pour instruction de s'y débrouiller seul, le Gouvernement expose qu'il y aurait séjourné jusqu'au 3 février 2003. Même en acceptant la version du Gouvernement, il n'en reste pas moins qu'après la tentative d'éloignement du 3 février 2003, il fut reconduit en zone de transit sans que quiconque s'inquiète de son sort ultérieur. La Cour examinera plus en détail cette situation dans le cadre de son examen du grief fondé sur l'article 3 de la Convention. Il faut aussi tenir compte, à cet égard, du fait que ces mesures de détention s'appliquaient à des ressortissants étrangers qui, le cas échéant, n'avaient commis d'autres infractions que celles liées au séjour.
  95. La Cour observe aussi que le Gouvernement est resté en défaut d'expliquer sur quelle base légale se fondait le transfert et le maintien en zone de transit. La Cour estime que le fait de « détenir » un individu dans cette zone durant une période indéterminée et imprévisible sans que cette détention se fonde sur une disposition légale concrète ou sur une décision judiciaire valable et avec des possibilités de contrôle judiciaire limités vu les difficultés de contact permettant un accompagnement juridique concret, est en soi contraire au principe de la sécurité juridique, qui est implicite dans la Convention et qui constitue l'un des éléments fondamentaux de l'Etat de droit (voir, mutatis mutandis, Shamsa, précité, § 58 ; Ječius, précité, § 62, et Baranowski, précité, §§ 54-57).
  96. S'agissant du placement à Merksplas, de sérieux doutes quant à la légalité de cette troisième période de détention peuvent, aux yeux de la Cour, être tirés du constat de l'illégalité de la deuxième période par les juridictions internes. En outre, les ordonnances du 14 février 2003 indiquaient clairement, en se fondant sur l'autorité de la chose jugée et les dispositions de la loi du 15 décembre 1980, que tant que les requérants ne seraient pas refoulés, l'Etat devait leur permettre de circuler librement sur le territoire, sauf si le Ministère décidait de leur enjoindre de résider en un lieu déterminé. Or, alors que l'Etat se refusait clairement à procéder à l'exécution forcée des décisions de rapatriement et espérait un départ volontaire malgré les échecs antérieurs, il a poursuivi la détention sous d'autres titres, sans faire usage de la possibilité que lui offrait l'article 73 de la loi du 15 décembre 1980 auquel se référaient les ordonnances. La détention à Merksplas a donc été ordonnée en totale méconnaissance des ordonnances précitées, qui n'ont fait l'objet d'aucun recours. La Cour a maintes fois rappelé que la mise en œuvre des décisions judiciaires définitives est essentielle dans un Etat qui respecte la prééminence du droit (Pedovič c. République Tchèque, no 27145/03, § 112, 18 juillet 2006).
  97. En conclusion, la Cour estime que la détention des requérants, telle qu'elle s'est poursuivie après le 3 février 2003, n'était pas « régulière » au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Dès lors, il y a eu violation de cette disposition.
  98. II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

  99. Les requérants allèguent avoir subi de la part des autorités belges des traitements inhumains et dégradants au mépris de l'article 3 de la Convention. Ils exposent d'une part qu'ils ont été laissés pendant plus de dix jours en zone de transit sans aucun accompagnement juridique et social, sans aucun moyen de subsistance, sans hébergement ou commodités pour dormir ou se laver et aucun lieu où mener une vie privée, sans accès à des moyens de communication, sans possibilité de recevoir une visite et sans aucune possibilité de contrôle des conditions de détention par des organismes extérieurs et indépendants. D'autre part, ils ont été battus à plusieurs reprises et insultés. Ils invoquent l'article 3, qui dispose :
  100. « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur l'exception de non-épuisement des voies de recours internes

  101. Le Gouvernement est d'avis que les requérants n'ont pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne les brutalités et vexations qu'ils auraient subies de la part des policiers faute d'avoir déposé plainte avec constitution de partie civile. L'enquête judiciaire qui devait être ouverte à la suite de pareille plainte aurait pu aboutir à la saisine des juridictions répressives devant lesquelles les requérants auraient pu obtenir une « adéquate réparation » (Slimani c. France, no 57671/00, 27 juillet 2004) de leurs dommages matériel et moral. Le Gouvernement insiste sur le fait que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2002, les actes de torture, de traitement inhumain et de traitement dégradant sont punis expressément en droit belge et que des peines aggravées sont prévues pour les infractions commises par un officier, un fonctionnaire public, un dépositaire ou un agent de la force publique agissant à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.
  102. Le Gouvernement constate aussi que les requérants ne se sont jamais plaints, devant les autorités – et notamment le « Comité P », un organe spécialisé de contrôle des forces de police, indépendant et externe des services de police, placé sous le contrôle du Parlement – ou devant les juridictions internes, des coups et brutalités qu'ils allèguent avoir subis de la part de la police. Il constate qu'il n'y a eu, concernant l'ensemble des faits allégués au titre de l'article 3 de la Convention, qu'un courrier du 3 février 2003 du premier requérant adressé au ministre de l'Intérieur exposant qu'il était resté trois jours sans boire ni manger dans la zone de transit.

  103. Les requérants combattent les thèses avancées par le Gouvernement. Ils sont d'avis que la plainte avec constitution de partie civile ne pouvait constituer un remède adéquat car elle n'aurait pu conduire qu'a posteriori à la condamnation des agents de l'Etat mis en cause, mais n'aurait pas permis de faire cesser la violation de l'article 3 en mettant fin à la détention illégale et aux mauvais traitements consécutifs à celle-ci. Ils mettent aussi en cause l'accessibilité de cette voie de recours, rappelant qu'ils vivaient reclus dans une zone de non-droit, tentant d'échapper, dans la zone de transit, aux autorités qui les ont soumis aux mauvais traitements et faisaient pression pour qu'ils quittent le territoire. Dans la présente affaire, les personnes en cause étaient clairement dissuadées d'utiliser les voies de recours prévues par la loi et l'introduction d'une plainte était nettement découragée, puisque chaque contact avec les autorités augmentait le risque d'un éloignement forcé.
  104. La Cour constate que les requérants ont expressément soulevé avoir été violemment frappés et battus lors de leur séjour en zone de transit par certains membres de la police fédérale, dans leurs citations du 11 février 2003 à comparaître devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé. Ce magistrat n'a cependant pas spécifiquement examiné ce grief, estimant que les autres faits invoqués suffisaient à faire droit à la demande des requérants. Il est rappelé qu'un requérant doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants et que, lorsqu'une voie de recours a été utilisée, l'usage d'une autre voie dont le but est pratiquement le même n'est pas exigé (Wójcik c. Pologne, no 26757/95, décision de la Commission du 7 juillet 1997, Décisions et rapports (DR) 90, p. 24 ; Günaydin c. Turquie (déc.), no 27526/95, 25 avril 2002 ; Moreira Barbosa c. Portugal (déc.), no 65681/01, 29 avril 2004).
  105. La Cour estime, eu égard aux circonstances de la cause, qu'il serait excessif de demander aux requérants d'introduire les voies de recours mentionnées par le Gouvernement, alors qu'ils ont dénoncé les violations alléguées au cours de procédures en référé, où il a été fait droit à leur demande. Ce faisant, ils ont fait usage d'une voie de recours vraisemblablement efficace et suffisante et le seul fait que le juge des référés n'a pas estimé devoir avoir égard aux allégations de brutalités pour prendre la décision demandée par les requérants ne saurait avoir pour conséquence de les obliger à dénoncer à nouveau ces faits litigieux en utilisant une autre voie de recours.
  106. La Cour rejette ainsi cet aspect de l'exception du Gouvernement.
  107. Dans la mesure où l'exception du Gouvernement viserait aussi les allégations concernant l'attitude des forces de police lors du transfert à Merksplas et de leur éloignement, la Cour relève qu'ils n'ont pas repris ces griefs lors de l'audience devant la Cour, qui n'aperçoit aucune raison d'examiner ceux ci d'office (voir, par exemple, Stallinger et Kuso c. Autriche, arrêt du 23 avril 1997, Recueil 1997-II, p. 680, § 52). Il n'y a donc plus lieu d'examiner l'exception qui pourrait être soulevée à cet égard.
  108. B.  Sur le fond

  109. Les requérants précisent qu'en zone de transit, ils ont été victimes de mauvais traitements physiques et psychologiques, y étant restés sans aucun accompagnement juridique et social, sans aucun moyen de subsistance (nourriture ou boisson), sans hébergement, commodités ou lieu pour dormir. Ils n'avaient pas d'autres lieux que les sanitaires publics de l'aéroport pour se laver, n'avaient ni vêtements pour se changer, ni produits d'hygiène et n'avaient aucun lieu où mener une vie privée. Ils n'avaient pas non plus accès à des moyens de communication ni aucun moyen pour contacter l'extérieur et notamment leur avocat, une ONG, une organisation internationale ou un médecin. Ils étaient aussi sans possibilité de recevoir une visite ou de faire contrôler les conditions de détention par des organismes extérieurs et indépendants. Cette situation contraste avec celle des centres fermés où toute une série de droits sont reconnus aux étrangers par un arrêté royal du 2 août 2002 qui leur garantit assistance individuelle, médicale, psychologique et sociale. Les conditions matérielles en zone de transit sont utilisées pour exercer une pression psychologique destinée à pousser au départ. Les décisions rendues le 14 février 2003 et divers rapports constatent que, dans cette zone, les conditions de vie avilissent les personnes et provoquent des sentiments d'infériorité et d'anxiété propres à diminuer et vaincre la force de résistance physique et morale, constituant un traitement inhumain et dégradant.
  110. Le Gouvernement note d'abord que le séjour des requérants en zone de transit, d'une durée limitée à quinze jours pour le premier requérant et à onze jours pour le deuxième requérant, leur est totalement imputable. En effet, ils ont à plusieurs reprises refusé d'embarquer à bord d'avions sur lesquels une place leur avait été réservée. Arrivé en même temps que le premier requérant, A. a, pour sa part, quitté la Belgique le 8 février 2003. En refusant de se conformer aux décisions de refoulement confirmées par le Commissaire général, les requérants sont à la seule origine de la durée de leur séjour en zone de transit et de la prétendue incertitude liée à leur situation (Mogos, précité ; Ghiban c. Allemagne (déc.), no 20420/02, 16 septembre 2004 ; Matencio c. France, no 58749/00, 15 janvier 2004).
  111. Le Gouvernement soutient aussi que les requérants n'étaient pas sans ressources en zone de transit puisque leurs bagages et affaires personnelles leur avaient été remis à leur sortie du Centre fermé de Bruges. S'agissant du premier requérant, un rapport du Centre de Bruges relatif aux sommes d'argent déposées par l'intéressé précisait qu'à sa sortie, il a été mis en possession d'une somme d'argent de 250 USD et de 1 000 livres libanaises. Pour sa part, le deuxième requérant a été mis en possession d'une somme de 15 EUR et 20 centimes, selon le rapport du Centre de Bruges relatif aux sommes d'argent déposées. Les mouvements d'argent mentionnés dans les différents rapports figurant au dossier de ce requérant montrent qu'il disposait certainement de davantage de moyens : à son arrivée en Belgique, il mentionnait être en possession de 45 EUR ; à son entrée au Centre de Bruges, il déposait 81 EUR et 94 centimes et lorsqu'il a quitté le territoire belge, il était en possession de 150 EUR. Ce requérant n'était, en outre, pas seul en zone de transit puisqu'il y a rejoint les deux autres ressortissants palestiniens qui y avaient été transférés le 30 janvier 2003 (le premier requérant et Ab.), dont il s'est immédiatement inquiété. Ce montant doit être considéré comme étant le montant minimum en possession des intéressés. Aucune obligation n'est, en effet, imposée aux résidents de remettre la totalité de l'argent en leur possession en dépôt. Il leur est conseillé de procéder de la sorte afin de se protéger de vols éventuels.
  112. En outre, les personnes qui se trouvent en zone de transit en vue d'un éloignement ont également la possibilité de se faire distribuer des repas via les services de contrôle, une pratique confirmée par une circulaire du 31 octobre 2003. Dès le 1er février 2003, le premier requérant a été informé de la possibilité d'être logé et nourri sur une base volontaire dans le Centre « INADS » et y a séjourné du 1er février au 3 février 2003 selon un rapport de ce centre (le gouvernement rappelle aussi que, pour sa part, Ab. a séjourné au centre « INADS » depuis son arrivée en zone de transit, en même temps que le premier requérant, jusqu'à son départ volontaire le 8 février 2003). De l'avis du Gouvernement, les requérants se trouvent donc à l'origine de la situation dont ils se plaignent et ils ne peuvent faire grief à l'Etat belge de ne pas avoir usé des possibilités qui leur étaient offertes.
  113. Le Gouvernement relève encore qu'en ce qui concerne les contrôles effectués par les forces de police dans la zone de transit, les requérants n'apportent aucun élément qui conduirait à considérer que ces contrôles auraient été excessifs, voire qu'ils auraient eux-mêmes été plus particulièrement visés par ces contrôles. La zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National est indéniablement une zone à risque, particulièrement en raison de l'augmentation ces dernières années des risques d'attentat, ce qui implique que des contrôles réguliers y soient effectués et que des garanties soient prises quant à l'accès au territoire belge, conformément aux engagements de la Belgique à l'égard des Etats Schengen et des Etats membres de l'Union européenne. Rien ne montre une systématisation particulière des contrôles à l'égard des requérants ou que des violences auraient été commises à l'occasion de ces contrôles. Le premier requérant n'a d'ailleurs déposé aucune plainte entre les mains des autorités compétentes et n'a transmis aucun certificat médical attestant des éventuels coups et blessures qu'il aurait subis.
  114. S'agissant du deuxième requérant, le Gouvernement constate aussi que la lettre du 19 février 2003 de l'avocat des deux requérants ne fait nullement état des coups et blessures qui lui auraient prétendument été portés lors du transit du 15 février 2003.
  115. La Cour rappelle tout d'abord que les Etats contractants ont, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités internationaux y compris la Convention, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux. Toutefois, lorsqu'ils exercent leur droit d'expulser pareilles personnes, ils doivent avoir égard à l'article 3 de la Convention, qui consacre l'une des valeurs fondamentales de toute société démocratique.
  116. La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu'il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu'il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu'un traitement était « dégradant » en ce qu'il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir, par exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI). En recherchant si une forme particulière de traitement est « dégradante » au sens de l'article 3, la Cour examinera si le but était d'humilier et de rabaisser l'intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci d'une manière incompatible avec l'article 3 (Albert et Le Compte c. Belgique, arrêt du 10 février 1983, série A no 58, p. 13, § 22). Toutefois, l'absence d'un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l'article 3 (voir, par exemple, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001 III, et Kalashnikov c. Russie, no 47095/99, § 101, CEDH 2002-VI). La souffrance et l'humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes. A cet égard, le caractère public de la sanction ou du traitement peut constituer un élément pertinent et aggravant (voir, par exemple, Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821-2822, § 55). Toutefois, il peut fort bien suffire que la victime soit humiliée à ses propres yeux, même si elle ne l'est pas à ceux d'autrui (voir Tyrer c. Royaume-Uni, arrêt du 25 avril 1978, série A no 26, § 32, Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 120, CEDH 1999 VI, et Erdogan Yagiz c. Turquie, no 27473/02, § 37, 6 mars 2007).
  117. La Cour rappelle également que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l'article 3 un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (voir, parmi d'autres, Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162).
  118. Pour cette appréciation, il faut tenir compte « de ce que la Convention est un « instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles », et de ce que le niveau d'exigence croissant en matière de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l'appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 48, et, mutatis mutandis, Selmouni c. France [GC], arrêt du 28 juillet 1999, § 101, Recueil 1999-V).
  119. La Cour rappelle que les placements en zone de transit ont constitué une détention au sens de l'article 5 de la Convention. La tâche de la Cour se limite à l'examen de la situation personnelle des requérants ayant subi la privation de liberté (Aerts, précité, pp. 1958-1959, §§ 34-37). Pour apprécier si pareilles mesures peuvent tomber sous le coup de l'article 3 dans une affaire donnée, il y a lieu d'avoir égard aux conditions de l'espèce, à la sévérité de la mesure, à sa durée, à l'objectif qu'elle poursuit et à ses effets sur la personne concernée (Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 51, 4 février 2003 ; voir aussi Dhoest c. Belgique, requête no 10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987, DR 55, pp. 20-21, §§ 117-118).
  120. Les mesures privatives de liberté s'accompagnent inévitablement de souffrance et d'humiliation. S'il s'agit là d'un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n'emporte pas violation de l'article 3, cette disposition impose néanmoins à l'Etat de s'assurer que toute personne privée de liberté est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (voir, par exemple, Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, § 132, 29 avril 2003 ; Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX ; Kudla, précité, §§ 92-94) ; en outre, les mesures prises dans le cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitime poursuivi (Frérot c. France, no 70204/01, § 37, 12 juin 2007 ; Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006-...).
  121. A cet égard, la Cour relève que la privation de liberté des requérants se fondait sur le seul fait qu'ils n'étaient pas en possession d'un titre de séjour régulier. Si les Etats sont autorisés à placer en détention des immigrés potentiels en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l'entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur, précité, § 41), ce droit doit s'exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, 8 décembre 2005). La Cour doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu'elle est amenée à contrôler les modalités d'exécution de la mesure de détention à l'aune des dispositions conventionnelles. Ceci étant, la Cour tient à rappeler que l'article 3 prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances ou les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV).
  122. La Cour relève d'emblée que dans la présente affaire, les requérants furent amenés en zone de transit en exécution des arrêts ordonnant leur remise en liberté des 30 janvier et 3 février 2003, sans que l'Office des étrangers, responsable de ce transfert, ne s'inquiète qu'ils y bénéficieraient d'un accompagnement adéquat (paragraphe 77 ci-dessus). La Cour rappelle que le second requérant a soutenu, sans que ce fait soit contesté par le Gouvernement, qu'il a été placé dans la zone de transit, sans aucune explication sur l'existence, le fonctionnement et l'emplacement du centre « INADS » où un accueil plus adapté aurait pu lui être assuré pour un temps. Pour sa part, le premier requérant, qui avait été placé à l'origine dans la même situation, n'a obtenu des renseignements sur la possibilité d'accueil au centre « INADS » et n'y a été conduit qu'après avoir fait part de sa situation aux fonctionnaires du poste d'inspection frontière. Après y avoir séjourné quelques heures ou quelques jours, il se retrouva, au plus tard après la tentative d'éloignement du 3 février 2003, en zone de transit sans que quiconque s'inquiète de son sort ultérieur. La lettre envoyée au ministre de l'Intérieur par l'avocate du premier requérant pour dénoncer sa situation, n'a pas non plus provoqué de réaction de cette autorité. Enfin, alors qu'il est clair que les requérants ont été régulièrement contrôlés au cours de leur séjour en zone de transit, il apparaît que les personnes qui ont effectué ces contrôles ne se sont jamais inquiétées de leur situation.
  123. La Cour ne saurait souscrire à l'argument du Gouvernement selon lequel les requérants avaient la possibilité de se faire héberger sur base volontaire au centre « INADS ». Il y a, d'une part, le fait que cette possibilité n'a jamais été évoquée dans la cadre des débats devant le président du tribunal de première instance qui examina la situation des requérants au regard de l'article 3. Elle n'est pas non plus évoquée dans l'arrêt du 29 septembre 2005 et dans les rapports et observations évoqués au paragraphe précédent, bien que ces documents ne sont rédigés qu'à l'issue de procédures ayant un caractère contradictoire. La Cour ne peut, d'autre part, que s'étonner de l'attitude de l'Office des étrangers lors du transfert en zone de transit. Alors que ce dernier est pourtant à l'origine du transfert et que le centre « INADS » est selon le rapport du CPT de 1997 géré par cet Office, il n'a pas placé – ou fait placer – les requérants dans ce centre, mais dans une autre partie de cette zone. Or, il ressort des explications données par les parties que si ce centre se trouve dans l'enceinte de la zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National, il est plus précisément situé à un étage inférieur, au bout de la « jetée B » du nouveau terminal. Il n'apparaît donc pas qu'il soit d'un accès aisé, surtout pour une personne étrangère récemment arrivée dans le pays et peu préparée à s'orienter dans un aéroport international. Les rapports et observations évoqués ci-avant montrent qu'il ne s'agit pas d'actes isolés de cette administration et apportent du crédit à l'assertion des requérants selon laquelle le but de l'Office des étrangers était, en les abandonnant en zone de transit, de les contraindre à un départ volontaire du pays.
  124. Il est vrai que le premier requérant a séjourné au centre « INADS » peu après son arrivée en zone de transit, un séjour qui a duré quelques heures ou quelques jours selon les versions. Il lui était donc, selon le Gouvernement, loisible d'y retourner en y amenant le second requérant. La Cour ne saurait accepter cet argument. Ayant pris la responsabilité de priver les requérants de liberté, l'Etat se devait de s'assurer que toute cette détention se fasse dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine. Il ne pouvait se contenter d'attendre que les requérants prennent eux-mêmes l'initiative de s'adresser au centre, pour subvenir à leurs besoins essentiels. Or, la Cour constate que ceci n'a nullement été la préoccupation des autorités en l'espèce (paragraphe 101 ci-dessus). L'ordonnance du 30 novembre 2002, l'arrêt du 29 septembre 2005, les observations du Comité des droits de l'homme des Nations-Unies, le rapport annuel 2004 des médiateurs fédéraux et le rapport du CPT de 2005 démontrent que, loin de se limiter à la présente affaire, cette façon d'agir s'est reproduite à suffisamment d'occasions pour qu'elle se voie qualifier de « pratique » dans les trois derniers documents.
  125. La zone de transit n'était pas un lieu approprié pour la détention que les requérants ont dû y subir. De par sa nature même, il s'agit d'un lieu destiné à accueillir des personnes pour de très courtes durées. Présentant des caractéristiques pouvant faire naître chez le détenu un sentiment de solitude, sans accès à l'extérieur pour se promener ou faire de l'exercice physique, ni structure interne de restauration, ni contact avec le monde extérieur, la zone de transit n'est en rien adaptée aux besoins d'un séjour de plus de dix jours. Le Gouvernement admet d'ailleurs que les recommandations faites à ce propos par le CPT ont entraîné la création du centre « INADS » pour pallier ces insuffisances. Une ordonnance de référé du président du tribunal de première instance de Bruxelles du 25 juin 1993, avait déjà constaté qu'un placement sans accompagnement aucun en zone de transit, « pris en son ensemble, présente les caractéristiques d'un traitement dégradant et inhumain ». Elle avait enjoint à l'Etat de mettre les personnes qui y avaient été placées « à l'abri des vues du public » et de mettre à leur disposition, un couchage, des repas, des installations sanitaires et de leur faire assurer les soins médicaux indispensables. Le constat du caractère inhumain et dégradant de cette situation est partagé par l'ordonnance du président du tribunal de première instance de Nivelles du 30 novembre 2002, les ordonnances rendues dans la présente affaire et l'arrêt du 29 septembre 2005.
  126. La Cour tient aussi à noter, de manière subsidiaire, que même en cas de possibilité d'une prise en charge au centre « INADS », les conclusions du rapport du CPT de 1997, confirmées dans le rapport de 2005, indiquent que ce centre n'est pas adapté pour des séjours se prolongeant au-delà de quelques jours, alors que les requérants ont été maintenus plus de dix jours dans la zone de transit qu'ils n'ont pu quitter qu'à la suite des ordonnances du 14 février 2003. Pour parvenir à ces conclusions, le CPT a notamment relevé le caractère limité des possibilités de visite et l'absence d'aménagements permettant aux personnes maintenues au centre de se rendre à l'air frais (voir, mutatis mutandis, Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, § 146, CEDH 2003-V).
  127. La Cour juge inacceptable que quiconque puisse être détenu dans des conditions impliquant une absence totale de prise en charge de ses besoins essentiels. Le fait que des personnes travaillant en zone de transit ont subvenu à certains des besoins des requérants n'enlève rien à la situation totalement inacceptable que les intéressés ont manifestement dû endurer.
  128. Il n'est pas établi qu'il y ait eu véritablement intention d'humilier ou de rabaisser les requérants. Toutefois, l'absence d'un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l'article 3 (Peers, précité). La Cour estime que les conditions de détention que les requérants ont dû supporter pendant plus de dix jours n'ont pas manqué de leur causer de grandes souffrances mentales, de porter atteinte à leur dignité et de leur inspirer des sentiments d'humiliation et d'avilissement. A la supposer avérée et dans la mesure où les requérants en avaient été informés, la simple possibilité de se faire distribuer trois repas par jour ne saurait modifier cette conclusion.
  129. De surcroît, l'humiliation ressentie par les requérants a été accentuée par le fait que, ayant obtenu une décision de remise en liberté, les requérants se sont retrouvés privés de liberté dans un autre lieu. Selon la Cour, les sentiments d'arbitraire, d'infériorité et d'angoisse qui ont dû être associés à cette circonstance s'ajoutent au degré d'humiliation que comportait l'obligation de vivre dans un lieu public, sans accompagnement.
  130. Au vu de ce constat, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner les brutalités et insultes qu'ils auraient subies de la part des policiers lors du séjour en zone de transit. Elle relève d'ailleurs qu'au cours de l'audience tenue le 30 novembre 2006, les requérants ont mis en cause le surcroît d'humiliation que leur causait l'attitude des policiers au cours des trop nombreux contrôles et lors des tentatives d'éloignement dont ils ont fait l'objet. Ils n'ont pas mentionné des faits d'insultes ou de violence physique, sauf dans le cadre d'un épisode particulier à propos duquel ils sont restés très imprécis. Les requérants avaient aussi dans leur requête à la Cour formulé des allégations visant l'attitude des forces de police lors du transfert à Merksplas et de leur éloignement des 5 et 8 mars 2003. La Cour constate cependant qu'ils n'ont repris ces griefs ni dans leurs observations écrites ni lors de l'audience et n'aperçoit dès lors aucune raison d'examiner ceux-ci d'office.
  131. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le fait de maintenir les requérants en détention pendant plus de dix jours dans le lieu incriminé s'analyse en un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Kaja c. Grèce, no 32927/03, 27 juillet 2006, et Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 48, CEDH 2001-II).
  132. Dès lors, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.
  133. III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

  134. Les requérants soutiennent enfin que leurs séjours de plus de dix jours en zone de transit sans aucun moyen de subsistance, hébergement ou commodités a également violé l'article 8 de la Convention.
  135. La Cour observe que le grief repose sur les mêmes faits déjà examinés dans le cadre de l'article 3. Partant, eu égard à sa conclusion précédente (paragraphe 111 ci-dessus), elle n'estime pas nécessaire d'examiner séparément le grief sous l'angle de l'article 8 de la Convention.
  136. IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

  137. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
  138. « Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

  139. Les requérants allèguent avoir subi un préjudice moral qu'ils évaluent à 15 000 EUR chacun.
  140. Le Gouvernement fait valoir que les requérants, en refusant d'obtempérer aux décisions exécutoires d'éloignement prises à leur encontre, sont à la base de la durée de la situation qu'ils dénoncent au titre des articles 3 et 8 de la Convention. Subsidiairement, il est d'avis que l'évaluation du préjudice moral devrait se fonder sur celle faite dans des affaires portant sur des faits similaire dont les affaires Amuur précitée, où le constat de violation a été considéré comme une réparation suffisante du dommage moral, et Shamsa précitée, où seule une somme de 4 000 EUR a été octroyée au titre de ce dommage pour des faits d'une durée plus étendue.
  141. La Cour estime que les deux requérants ont dû éprouver une détresse certaine qui ne saurait être réparée par le seul constat de violation établi par elle. Eu égard à la nature des violations constatées en l'espèce et statuant en équité, la Cour alloue 15 000 EUR à chacun des requérants à titre de réparation du dommage moral.
  142. B.  Frais et dépens

  143. Les requérants demandent le remboursement des frais et dépens encourus lors de la procédure devant la Cour. Ils ont déposé à cet égard un « Etat de frais et d'honoraires », dans lequel les frais et dépens calculés au 29 octobre 2006 atteignent 18 064 EUR et les frais et honoraires ultérieurs sont évalués à 4 700 EUR.
  144. Le Gouvernement, qui relève que les requérants ne fournissent aucune pièce justificative à l'appui de leurs prétentions, soutient que ne sauraient être prises en compte les sommes relatives aux frais et honoraires exposés par ou pour le compte des diverses associations. Si celles-ci figuraient à l'origine parmi les parties requérantes, une décision d'irrecevabilité, fondée sur l'incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention, à été rendue à leur égard par la Cour le 21 septembre 2006. Il estime aussi manifestement excessif le montant des autres frais et honoraires réclamés.
  145. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002). La Cour est d'avis que les demandes formulées apparaissent sous certains aspects, non établies ou excessives. Statuant en équité, la Cour alloue 15 000 EUR au titre des frais et dépens Cette somme est à diminuer du montant accordé par la Cour au titre de l'assistance judiciaire (soit 1 625,40 EUR).
  146. C.  Intérêts moratoires

  147. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  148. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,

  149. Rejette les exceptions préliminaires du Gouvernement ;

  150. Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 de la Convention ;

  151. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention en raison des conditions de séjour des requérants en zone de transit ;

  152. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément le grief tiré de l'article 8 de la Convention ;

  153. Dit
  154. a)  que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros) à chacun des requérants pour dommage moral et une somme globale de 13 374,60 EUR (treize mille trois cent soixante-quatorze euros et soixante centimes) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

    b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;


  155. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
  156. Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 janvier 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Søren Nielsen Loukis Loucaides
    Greffier Président




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