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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE RIAD ET IDIAB c. BELGIQUE
(Requêtes nos 29787/03 et 29810/03)
ARRÊT
STRASBOURG
24 janvier 2008
DÉFINITIF
24/04/2008
Cet
arrêt deviendra définitif dans les conditions définies
à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut
subir des retouches de forme.
En l'affaire Riad et Idiab c. Belgique,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (première
section), siégeant en une chambre composée de :
Loukis Loucaides,
président,
Anatoli
Kovler,
Elisabeth Steiner,
Khanlar
Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
juges,
Paul Martens, juge ad hoc,
et de Søren
Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du
conseil les 30 novembre 2006 et 3 janvier 2008,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière
date :
PROCÉDURE
- A l'origine de l'affaire se trouvent deux requêtes
(nos 29787/03 et 29810/03) dirigées contre le
Royaume de Belgique et dont des associations de cet Etat, ainsi que
MM. Mohamad Riad et Abdelhadi Idiab (« les requérants »),
deux ressortissants palestiniens, ont saisi la Cour le 6 août
2003 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la
Convention »).
- Les requérants alléguaient en particulier
que les conditions d'existence qu'ils ont connues en zone de transit
de l'aéroport de Bruxelles National, où ils
avaient été placés respectivement du 30 janvier
2003 au 15 février 2003 et du 3 au 15 février
2003, portaient atteinte aux articles 3 et 8 de la Convention et que
deux décisions ordonnant leurs mises en liberté
n'auraient pas reçu une exécution réelle, en
violation de l'article 5 de la Convention.
- Par une décision du 21 septembre 2006, la
chambre a décidé de joindre les requêtes (article
42 § 1 du règlement) et les a déclarées
partiellement recevables.
- Une audience s'est déroulée en public au
Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 30 novembre
2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le
Gouvernement
M. C.
Debrulle, Agent du Gouvernement belge et
Directeur
général de la Direction de la
Législation et des Libertés et Droits fondamentaux
du Service Public Fédéral (SPF) Justice,
agent ;
Me E.
Derriks, avocat du Gouvernement belge, conseil ;
Me V.
Rolin, avocat, assistante de Me
Derriks,
Mlle C.
Gallant, Attaché au service des
Droits de l'Homme de la
Direction de la Législation et
des Libertés et Droits
Fondamentaux du SPF Justice,
Mme N.
Bracke, Attaché, Chef de Service,
Service Inspection
Frontières de l'Office des Etrangers,
SPF Intérieur,
Mme T.
Michaux, Conseiller – Chef de
service, Bureau des Recours
de l'Office des Etrangers, SPF
Intérieur, conseillers ;
– pour les
requérants
Me
S. Sarolea, avocat,
Me M.-C. Warlop,
avocat, conseils.
- La Cour a entendu en leurs déclarations Me
Sarolea et Me
Derriks.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
- Les requérants sont nés respectivement en
1980 et 1981.
A. Les demandes d'asile et de séjour et leurs
issues
1. Le premier requérant
- Le premier requérant
entra en Belgique, à l'aéroport de
Bruxelles National, par le vol SN 211 en provenance de Freetown
(Sierra Leone) le 27 décembre 2002, porteur d'un titre de
voyage libanais qui indiquait sa qualité de réfugié
palestinien. Il se vit refuser l'entrée en Belgique, n'étant
pas en possession des visas nécessaires. Le transporteur
aérien qui avait assuré le vol fut informé qu'il
était, conformément à l'article 74, alinéa
4, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au
territoire, au séjour, à l'établissement et à
l'éloignement des étrangers, responsable du paiement
des frais de retour dans son pays d'origine.
- Le même jour, le premier requérant demanda
la reconnaissance de la qualité de réfugié
arguant craindre pour sa vie au Liban et fut mis en possession d'un
document attestant de l'introduction de sa demande d'asile.
- Toujours à la même date du 27 décembre
2002, une décision de maintien du requérant dans un
lieu déterminé situé à la frontière
fut prise sur base de l'article 74/5, § 1er, 2o
de la loi du 15 décembre 1980. En exécution de cette
décision, le requérant fut conduit dans le centre de
transit « 127 » situé dans l'enceinte de
l'aéroport de Bruxelles-National.
- Une décision de refus d'asile fut prise le 31
décembre 2002 par l'Office des étrangers et notifiée
le même jour au requérant. Celui-ci introduisit un
recours auprès du Commissariat général aux
réfugiés.
- Le 21 janvier 2003, le Commissariat général
confirma la décision de refus d'asile, relevant des
contradictions entre les divers récits du requérant en
cause et estimant que les éléments ne faisaient pas
craindre un risque pour sa personne au Liban.
- Un recours en annulation et une demande de suspension
furent introduits devant le Conseil d'Etat le 19 février 2003
contre la décision du Commissariat général du 21
janvier 2003. Lors de l'audience tenue devant la Cour, les parties
ont expliqué que ces recours ont été déclarés
irrecevables en 2005, du fait que le requérant ne se trouvait
plus sur le territoire belge et n'avait plus d'intérêt à
la poursuite de son examen.
2. Le second requérant
- Ce requérant entra en Belgique, à
Bruxelles-National, par un vol en provenance de Freetown le 24
décembre 2002 à 5 h 12. Comme il n'était
pas en possession d'un visa de transit lui permettant d'embarquer
vers Londres, des dispositions furent prises en vue de lui refuser
l'entrée sur le territoire belge et le transporteur aérien
qui avait assuré le vol fut invité à le
transporter ou le faire transporter dans le pays d'origine ou un
autre Etat où il pouvait être admis. Un « re-routing »
fut organisé en direction de Beyrouth, via Budapest.
- Contrôlé en zone de transit le même
jour, ce requérant déclara ne pas vouloir se rendre à
Beyrouth et demanda la reconnaissance de la qualité de réfugié
arguant craindre pour sa vie au Liban. Il fut mis en possession d'un
document attestant l'introduction de sa demande d'asile.
- Toujours à la même date du 24 décembre
2002, une décision de maintien du requérant dans un
lieu déterminé situé à la frontière
fut prise sur la base de l'article 74/5, § 1er, 2o
de la loi du 15 décembre 1980. En exécution de cette
décision, le requérant fut conduit dans le centre de
transit « 127 ».
- Une décision de refus de la demande d'asile a
été prise le 6 janvier 2003 par l'Office des
étrangers. Cette décision fut notifiée le même
jour au requérant qui introduisit un recours auprès du
Commissariat général aux réfugiés et
apatrides.
- Le 21 janvier 2003, le Commissariat général
confirma la décision de refus, l'organisation palestinienne à
laquelle il prétendait appartenir lui étant inconnue.
Un recours en annulation et une demande de suspension furent
également introduits devant le Conseil d'Etat le 19 février
2003. Comme ceux du premier requérant, ces recours furent
rejetés en 2005, pour perte d'intérêt.
B. La détention au « Centre 127 »
et en centre fermé à Bruges
- Le premier requérant séjourna à
partir du 27 décembre 2002 au « Centre 127 »
en exécution de la décision de maintien en un lieu
déterminé situé à la frontière
(voir supra). Le deuxième requérant y séjourna,
sur le même fondement, à partir du 24 décembre
2002.
- A la suite d'une tentative d'évasion collective
du Centre 127 dans la nuit du 21 au 22 janvier 2003, les deux
requérants et trois de leurs compatriotes furent transférés,
le 22 janvier 2003, au Centre fermé pour illégaux de
Bruges (le Gouvernement explique que cette institution est, par une
fiction juridique, assimilée à un centre situé à
la frontière).
- En janvier 2003, leur avocat déposa, pour
chacun d'eux, une demande de mise en liberté devant la chambre
du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, par
pli recommandé déposé aux services postaux le 14
janvier 2003. Cette juridiction y fit droit par ordonnance du
20 janvier 2003, estimant que les motifs allégués
par l'administration pour justifier les privations de liberté
n'étaient pas suffisants.
- Le jour même du prononcé de cette
ordonnance, le parquet avisa, par formulaire, l'Office des étrangers
de sa décision d'interjeter appel, ce qu'il fit le lendemain.
Du fait de ce recours, les requérants restèrent
écroués, une éventuelle procédure de
rapatriement étant suspendue jusqu'à l'arrêt de
la chambre des mises en accusation.
- Le 24 janvier 2003, les autorités firent, au
nom des deux requérants, une demande de réservation sur
un vol du 6 février 2003 en direction de Freetown.
- Par arrêt du 30 janvier 2003, la chambre des
mises en accusation de Bruxelles confirma l'ordonnance de mise en
liberté rendue le 20 janvier 2003 en faveur du premier
requérant, étant d'avis que la mesure de détention
n'était pas « suffisamment motivée in
concreto ».
- Le procureur général près la cour
d'appel de Bruxelles émit, à la suite de cet arrêt,
un ordre de libération immédiate de celui-ci. Du fait
de cette décision, l'Office des étrangers procéda
à son transfert en zone de transit de l'aéroport de
Bruxelles-National (voir infra).
- Le 3 février 2003, un arrêt semblable fut
rendu au profit du deuxième requérant. Le procureur
général et l'Office des étrangers prirent ce
même jour des décisions identiques à celles
rendues à l'égard du premier requérant, qu'il
retrouva en zone de transit de l'aéroport de
Bruxelles National le 3 février 2003.
C. Le séjour en zone de transit de l'aéroport
de Bruxelles-National
- Le 30 janvier 2003, le premier requérant fut
placé, comme il est exposé ci-après (paragraphe
28) en zone de transit de l'aéroport de Bruxelles-National. Il
y fut conduit à 18 h 45, en compagnie de Ab., un
autre ressortissant palestinien arrivé en Belgique le 25
décembre 2002, dans les mêmes circonstances que le
premier requérant.
- Ces deux personnes furent informées de leur
remise en liberté, mises en possession de leurs bagages et
d'une enveloppe contenant leurs objets personnels – à
l'exception de leur passeport resté en possession des services
de la police fédérale de l'aéroport – et
autorisées à avoir un entretien téléphonique
avec une personne de leur choix. Ils indiquèrent vouloir
téléphoner à leur avocat.
- Le 1er février 2003 à
13 h 30, ils se présentèrent au « poste
d'inspection frontière » de la police fédérale
et déclarèrent ne pas avoir d'argent ou de nourriture.
Ils furent informés de la possibilité de se rendre sur
une base volontaire au centre « INADS » de
l'aéroport et d'y demeurer dans l'attente de leur refoulement.
Ils furent emmenés à ce centre où le premier
requérant signa, après que le contenu de ce document
lui eut été traduit, une déclaration par
laquelle il marquait son accord pour demeurer volontairement dans ce
centre et en respecter le règlement. Selon un document dudit
centre, il y est arrivé le 1er février 2003
et l'a quitté le 3 février 2003. En effet, une
tentative de refoulement vers Freetown fut effectuée en vain
le 3 février 2003, le premier requérant refusant
d'embarquer dans l'avion. A la suite de son refus d'embarquer, il fut
reconduit en zone de transit.
- Le 3 février 2003 toujours, l'avocate du
premier requérant et de Ab. adressa un courrier au ministre de
l'Intérieur, alléguant que ses clients avaient subi un
traitement dégradant en ayant dû passer trois jours en
zone de transit sans boire ni manger. Elle expliquait que quelques
heures après leur arrivée au centre « INADS »,
ils avaient été purement et simplement reconduits en
zone de transit avec pour instruction de se débrouiller seuls
pour boire, manger et se procurer un billet de retour.
- A cette même date du 3 février 2003 à
18 h 40, le premier requérant et Ab. furent
rejoints, en zone de transit, par le deuxième requérant
(voir ci avant, paragraphe 28). Ayant reçu lors de ce
transfert les mêmes explications que les deux premiers, il
déclara « ne plus être aussi content avec
cette décision » et vouloir contacter son avocat.
Il signala aussi ne pas avoir d'argent et disposer seulement d'une
carte de téléphone. Il demanda encore où étaient
les « autres hommes ».
- Le 4 février 2003, le conseil des requérants
entama une procédure en extrême urgence devant le
président du tribunal de première instance de Bruxelles
qui la rejeta le 9 février 2003, au motif que les requérants
ne bénéficiaient pas d'un droit subjectif à
l'accès au territoire, un tel droit n'étant conféré
ni par l'introduction d'une demande d'asile, ni par les ordonnances
de mise en liberté.
- Entre-temps, une nouvelle tentative de refoulement des
trois personnes à destination de Freetown avait été
effectuée le 6 février 2003. Une tentative
supplémentaire eut lieu le 8 février 2003 pour deux
d'entre eux. Le premier requérant refusa d'embarquer dans
l'avion, au contraire de Ab. qui embarqua.
- Le 9 février 2003, le conseil des requérants
déposa une requête en abréviation de citer,
arguant que leur maintien en zone de transit constituait une voie de
fait portant atteinte à leur droit à la liberté,
un droit confirmé par les décisions rendues quant à
leur détention en centre de transit. Il ajoutait que leur
maintien en zone de transit contrevenait en outre aux articles 3 et 8
de la Convention. Par ordonnance du 10 février 2003, le
président du tribunal de première instance de Bruxelles
lui reconnut le droit de citer l'Etat belge pour l'audience du 12
février 2003.
- Le 11 février 2003, les requérants
citèrent l'Etat belge, représenté par le
ministre de l'Intérieur, à comparaître devant le
président du tribunal de première instance de
Bruxelles, siégeant en référé, aux fins
d'enjoindre à l'Etat d'autoriser leur accès au
territoire belge sous peine d'une astreinte de 1 000 euros (EUR)
par heure de manquement à compter de la signification de
l'ordonnance à intervenir. Ils expliquaient qu'en les retenant
dans un espace fermé, alors que la chambre du conseil et la
chambre des mises en accusation avaient ordonné leur remise en
liberté, l'Etat violait les dispositions internes et
internationales garantissant le droit à la liberté
individuelle. Qui plus est, ils se trouvaient dans le plus complet
dénuement, sans hébergement ni ressources et livrés
à eux-mêmes dans la zone de transit où ils ne
bénéficiaient d'aucune commodité et restaient
depuis plusieurs jours sans manger ni boire, ce qui constituait un
traitement inhumain et dégradant. Ils ajoutaient que certains
membres de la police fédérale les avaient violemment
frappés et battus à l'intérieur même du
lieu de culte de l'Islam situé dans la zone de transit.
- Le 12 février 2003, les autorités
firent, au nom des deux requérants, une demande de réservation
sur un vol du 15 février 2003 en direction de Beyrouth.
- Dans les conclusions déposées devant le
président du tribunal de première instance, le conseil
de l'Etat objecta notamment que les requérants n'avaient pas
introduit de recours en annulation des décisions du
Commissariat général, ni demandé leur
suspension.
- Par ordonnance du 14 février 2003, le président
du tribunal de première instance de Bruxelles enjoignit à
l'Etat de laisser les requérants quitter librement et sans
restriction la zone de transit, sous peine d'une astreinte de 1 000
EUR par heure de manquement à dater de la signification.
La décision rendue dans le cadre de la requête no
29787/03 est rédigée en ces termes :
« Il est constant que le demandeur se trouve
aujourd'hui sous le coup d'une décision de refoulement du
territoire national du 3 janvier 2003 confirmée le 21 janvier
2003.
Le délai de recours en suspension et en
annulation n'a pas d'effet suspensif, pas plus que la demande de
régularisation fondée sur l'article 9 al. 3 de la loi
du 15 décembre 1980, introduite par le demandeur en date
du 28 janvier 2003.
Le statut administratif du demandeur s'imposant au
Tribunal, il nous appartient de prendre acte de ce que le demandeur
n'a, dès lors, pas le droit de se maintenir sur le territoire
belge.
Néanmoins, la décision de la chambre des
mises en accusation s'impose également au Tribunal et, en
l'espèce, cette juridiction a ordonné la remise en
liberté immédiate du demandeur.
Il n'est par ailleurs pas contesté que la chambre
des mises en accusation a eu connaissance du statut administratif du
demandeur et notamment de la décision du CGRA et l'a dès
lors libéré en connaissance de cause.
Il n'appartient pas au Tribunal de s'arrêter à
ce statut mais bien, sur la manière dont cette décision
de libération est exécutée par l'Etat belge,
toutes choses étant restées égales par ailleurs.
Le défendeur considère que compte tenu du
fait que le demandeur n'a pas été autorisé à
pénétrer sur le territoire national proprement dit,
c'est à juste titre qu'il a considéré que la
libération du demandeur devait se faire en zone de transit
dans la mesure où cette zone n'est nullement une zone de
non-droit mais est en fait une partie du Royaume belge où se
trouvent des personnes en transit en Belgique ou qui n'ont pas encore
été autorisées à pénétrer
sur le territoire national en tant que tel.
Conformément à l'enseignement de la Cour
de cassation « en ce qui concerne l'accès, le
séjour, l'établissement et l'éloignement des
étrangers, il ne résulte pas de la distinction légale
entre la zone portuaire et le reste du territoire du Royaume, que la
zone de transit ne fait pas partie du Royaume et que la loi
mentionnée n'y est pas applicable » (Cass., 22 juin
1999, Pas. 1999, 957).
Les centres fermés ne sont en réalité
rien d'autre que des prolongements de la zone de transit, des
antichambres du territoire du Royaume, à la seule différence
qu'ils sont, contrairement à la zone de transit, conçus
pour pouvoir accueillir des personnes durant une période plus
ou moins longue dans des conditions supposées décentes.
Si le raisonnement du défendeur peut dès
lors être suivi en ce qu'il considère qu'en se trouvant
en zone de transit le demandeur se trouve actuellement sur le
territoire belge il ne peut être suivi lorsqu'il considère
qu'il s'agit d'une « libération ».
L'on ne pourrait en effet admettre que le législateur,
en créant des centres situés aux frontières,
aménagés spécialement pour accueillir des
personnes qui seraient maintenues d'autorité dans l'attente de
recevoir l'autorisation d'entrer dans le Royaume ou dans l'attente de
leur refoulement, et en assortissant une mesure de maintien dans ces
lieux d'un recours devant la chambre du conseil, ait considéré
qu'en cas de libération par la chambre du conseil et ensuite
par la chambre des mises en accusation, ces personnes pourraient être
renvoyées dans la zone de transit, nullement aménagée
pour les accueillir, ce qui les mettrait dans une situation encore
plus précaire et préjudiciable.
Si la libération limitée au centre de
transit devait être admise, cela reviendrait à permettre
à l'Etat belge de mettre unilatéralement en échec
la décision de libération d'une instance judiciaire,
sur base du statut administratif d'une personne alors même que
ce statut administratif a été pris en considération
par cette instance judiciaire et a dû motiver sa décision
de libération.
Depuis le 21 janvier 2003, les parties savent l'une et
l'autre que l'ordre de refoulement est exécutoire vu le rejet
du recours du demandeur devant le CGRA et l'absence de recours en
suspension d'extrême urgence.
Depuis lors, le demandeur ne manifeste aucune intention
de s'y conformer volontairement.
Depuis lors, l'Etat belge ne procède pas non plus
à son éloignement forcé.
Or, dès lors que l'Etat est à présent
tenu de se conformer à la décision de remise en liberté
du demandeur, de deux choses l'une, soit le défendeur préfère
attendre que le demandeur se décide de partir volontairement
mais dans ce cas, en attendant le départ du demandeur, il doit
lui permettre de circuler librement sur le territoire (respect de
l'autorité de la chose jugée), soit le défendeur
prend ses responsabilités et se donne les moyens de mettre à
exécution l'ordre de refoulement afin de forcer le respect de
ses propres décisions administratives.
A cet égard, la loi permet à l'Etat belge
d'enjoindre à cet étranger de résider en un lieu
déterminé, jusqu'à l'exécution de la
mesure d'éloignement (art. 73 loi du 15 décembre
1980).
Ce qui est inadmissible et est contraire à l'état
de droit, en l'espèce, c'est que l'Etat belge place le
demandeur dans un autre lieu fermé (la zone de transit) dans
lequel les conditions de vie sont inhumaines et dégradantes en
espérant que le demandeur se décidera alors à
exécuter « volontairement » l'ordre de
refoulement.
En transférant le demandeur du centre fermé
de Melsbroek à la zone de transit, l'Etat belge a commis une
voie de fait.
Sur base du dossier actuel la libération ordonnée
par la chambre des mises en accusation implique nécessairement
que le demandeur tant qu'il n'est pas refoulé, puisse quitter
librement la zone de transit sans préjudice au droit du
Ministère d'enjoindre au demandeur de résider en un
lieu déterminé (art. 73).
Cette solution à une situation totalement
contradictoire est la seule possible si l'on ne veut pas réduire
la procédure fondée sur l'article 71 de la loi du 15
décembre 1980 à une mascarade.
Eu égard à ce qui précède il
convient de faire droit à la demande conformément au
dispositif de la présente ordonnance. »
La décision rendue dans le cadre de la requête no
29810/03 est motivée de la même manière.
- L'avocat des requérants communiqua cette
décision par télécopie le 14 février
2003 à l'Office des étrangers qui annula la réservation
pour le vol du 15 février 2003. Le 15 février 2003,
l'Office reçut instruction de laisser, sans restriction, les
requérants quitter la zone de transit.
- Les ordonnances du 14 février 2003 furent
signifiées à l'Etat belge, par voie d'huissier, une
première fois, le 17 février 2003 au cabinet du
ministre de la Justice ; celle rendue en faveur du premier
requérant le fut, une seconde fois, le 28 février 2003
au « poste d'inspection frontière » de
la police fédérale de l'aéroport de
Bruxelles National.
- Les deux requérants ont quitté la zone
de transit le 15 février 2003 en fin de matinée,
l'heure exacte n'ayant pas été précisée.
- Les parties ne s'accordent pas sur la situation à
laquelle les deux requérants ont été confrontés
en zone de transit.
- Les requérants expliquent que la zone de
transit ne comporte aucune chambre et, a fortiori, aucun lit
et qu'ils furent logés dans la mosquée qui s'y trouve.
En effet, ils y furent accueillis par le conseiller musulman qui les
recueillit de nouveau après les diverses tentatives
d'éloignement dont ils firent l'objet. Ils seraient restés
plusieurs jours sans boire ni manger, ne recevant de la nourriture
qu'irrégulièrement de la part du personnel de nettoyage
des lieux, de la société gérant l'aéroport,
du conseiller musulman ou du conseiller laïc de l'aéroport.
Ces deux dernières personnes ont expliqué, dans leurs
témoignages, le caractère insoutenable de leur
situation, faisant mention d'abandon ou de « lâchage »
de la part des autorités. Ils n'avaient pas la possibilité
de se laver ou de nettoyer leur linge. Ils furent souvent contrôlés
par la police de l'aéroport, furent à plusieurs
reprises placés en cellule et laissés plusieurs heures
sans boire ni manger pour les contraindre à accepter un départ
volontaire, puis remis en zone de transit. Ils auraient aussi été
violemment frappés et battus à l'intérieur de la
mosquée par certains membres de la police fédérale.
- Le Gouvernement expose que, à la suite des
critiques contenues dans un rapport du Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants (ci-après CPT) de 1993, il a
été remédié à la situation dans la
zone de transit de l'aéroport de Bruxelles National, par
la création, entre autres, du centre « INADS »,
situé dans l'enceinte de l'aéroport. Ce centre peut
accueillir, sur une base volontaire, les personnes séjournant
en zone de transit et leur fournir le logement et le couvert. Le CPT,
dans son rapport de 1997 relatif à sa visite en Belgique,
relève que les conditions matérielles et les activités
proposées au centre « INADS » peuvent
généralement être décrites comme
satisfaisantes pour un séjour ne dépassant pas quelques
jours, à une exception près (absence d'aménagement
permettant aux personnes maintenues au centre de prendre l'air
frais). En outre, les personnes qui se trouvent en zone de transit
dans l'attente de la réservation d'un vol en vue d'un
éloignement ont également la possibilité de se
faire distribuer des repas via les services de contrôle. Une
circulaire de la police fédérale du 31 octobre
2003 a confirmé cette pratique et rappelé aux
différents services leurs obligations à cet égard.
Il ressort de cette circulaire que l'équipe qui traite le
dossier de l'étranger concerné est responsable de la
distribution des repas et qu'au moment de son arrivée en zone
de transit, l'étranger est informé qu'il peut se
présenter trois fois par jour au niveau « arrivée »
en vue de recevoir un repas. L'équipe responsable commande,
par personne, trois repas par jour au centre « INADS ».
Si cette procédure n'a effectivement été
confirmée que par la circulaire du 31 octobre 2003, il
n'en demeure pas moins que, dès le 1er février
2003, le premier requérant a été informé
de la possibilité d'être logé et nourri sur une
base volontaire dans le centre « INADS ».
D. La détention au centre fermé de
Merksplas
- Le 15 février 2003 à 11 h 30,
les requérants, après avoir quitté la zone de
transit, firent l'objet d'un contrôle d'identité dans le
hall de départ par des fonctionnaires de la police fédérale
chargés du contrôle des frontières. Ayant
constaté qu'ils n'étaient pas en possession d'un titre
de séjour régulier, les policiers établirent un
rapport administratif visant chacun d'eux. Les rapports mentionnent
qu'ils se déplaçaient ensemble et qu'ils parlaient
l'anglais comme autre langue que leur langue maternelle. Les
policiers prirent contact avec l'Office des étrangers à
12 h 30. Il leur fut donné instruction de retenir
les requérants afin de pouvoir leur notifier un ordre de
quitter le territoire avec décision de remise à la
frontière et décision privative de liberté à
cette fin. Une telle décision fut notifiée le même
jour à une heure indéterminée par un agent de
l'Office des étrangers. Les deux requérants refusèrent
de signer.
- Le premier requérant fut informé de ces
mesures et du fait qu'en exécution de celles-ci, il était
conduit au centre pour illégaux de Merksplas. Il déclara
s'y opposer, sur instruction de son conseil. Au cours du trajet vers
Merksplas, ce requérant se plaignit du fait que les menottes
qui lui avaient été mises étaient trop serrées
au poignet. Le trajet fut interrompu à 14 h 45 pour
permettre de desserrer les menottes.
- Informé de ces mesures et de son transfert au
centre pour illégaux, le deuxième requérant
déclara également s'y opposer, sur instruction de son
conseil, et résista aux forces de police qui le conduisaient
dans le fourgon prévu pour le transfert des deux requérants.
Quelques minutes après la fermeture du fourgon, il fut
constaté que, bien qu'il ait été menotté,
ce requérant s'était volontairement infligé des
blessures en frappant sa tête contre la vitre du fourgon,
protégée par un grillage. Il fut alors décidé
de procéder à son transfert à Merksplas dans un
véhicule de police et des liens en velcro lui furent placés
autour des bras et des jambes pour éviter toute mutilation.
Selon le procès-verbal établi à cette occasion,
il aurait déclaré aux membres de l'escorte qu'il
utiliserait les blessures qu'il s'était infligées à
l'appui d'un dépôt de plainte contre la police. A son
arrivée à Merksplas, il fut examiné par le
médecin du centre qui constata la présence de lésions
extérieures, à savoir un hématome et une petite
blessure (« klein wondje ») au front.
- Le 19 février 2003, l'avocat des deux
requérants écrivit au ministre de l'Intérieur,
s'insurgeant du placement de ses clients dans un centre fermé
malgré les ordonnances rendues le 14 février 2003. Le
même jour, il avait introduit devant le Conseil d'Etat un
recours en annulation et une demande de suspension ordinaire de la
décision du 21 janvier 2003 du Commissaire général
(voir supra).
E. L'éloignement des requérants
1. Le premier requérant
- Le 20 février 2003, des mesures furent prises
en vue de procéder à son éloignement à
destination de Beyrouth, mais cette mesure de rapatriement fut
annulée ultérieurement. Le 24 février 2003,
l'Office des étrangers donna instruction au « Service
inspection frontières » d'organiser dans les plus
brefs délais son éloignement. Un nouveau rapatriement
fut organisé pour la date du 8 mars 2003.
- Le 8 mars 2003, le premier requérant se vit
remettre, à son départ de Merksplas, ses effets
personnels, ses bagages et les sommes de 45 EUR, 250 dollars
américains (USD) et 1 000 livres libanaises dont il était
porteur à son arrivée. Il avait préalablement
été informé de la procédure de
rapatriement qui serait suivie et des mesures de contrainte qui
pourraient éventuellement être prises. Après
discussion, il déclara qu'il ne s'opposait plus à cette
mesure, mais souhaita que certaines conditions soient respectées.
Il demanda notamment qu'il ne lui soit pas passé de menottes
et qu'il ait son passeport entre les mains. Il lui fut indiqué
qu'il ne pouvait être satisfait à ces conditions, compte
tenu des circonstances.
- Le rapatriement fut effectué par un vol à
destination de Beyrouth, via Moscou, sous l'escorte de trois
policiers. Le premier requérant fut menotté avec des
menottes en tissu pour être conduit à bord. Ces menottes
furent retirées après le décollage. Pendant les
vols et durant l'attente dans la zone de transit de l'aéroport
de Moscou, il reçut nourriture et boissons. Les membres de
l'escorte ne signalèrent aucun incident.
2. Le deuxième requérant
- Le 21 février 2003, des mesures furent prises
en vue de procéder à son éloignement à
destination de Beyrouth, mais cette mesure de rapatriement fut
annulée ultérieurement.
- Le rapatriement eut lieu le 5 mars 2003. A son départ
de Merksplas, ce requérant se vit remettre ses effets
personnels, ses bagages, ainsi qu'une somme de 150 EUR. Selon le
procès-verbal établi dans le cadre de son éloignement,
il arriva à l'aéroport à 16 h 45. Il y
fut soumis à une fouille et placé en cellule. A
20 h 35, les fonctionnaires en charge de son rapatriement
l'entendirent afin de déterminer son degré de
coopération à la mesure d'éloignement. Lors de
cet entretien, il signala qu'il avait compris qu'il devait retourner
à Beyrouth. Il aurait ajouté qu'il n'était pas
heureux de sa situation depuis deux mois et qu'il avait le sentiment
d'avoir été l'objet d'un jeu entre son avocat et les
responsables du ministère. Il fut autorisé à
téléphoner à sa famille et eut un contact avec
sa sœur qui fut informée des coordonnées précises
du vol et de l'heure d'arrivée prévue. Afin d'éviter
toute tentative de rébellion, les membres de l'escorte
décidèrent, compte tenu des informations en leur
possession et des circonstances du transfert du 15 février
2003, d'utiliser des moyens de contrainte. C'est porteur de menottes
en tissu et attaché par un velcro à la hauteur des
chevilles qu'il embarqua dans le vol à destination de
Beyrouth, via Moscou. L'embarquement, le vol et le transit se
déroulèrent sans incident. Le requérant fut
libéré de ses liens dès que l'avion atteignit
son altitude de vol et il reçut nourriture, boissons, ainsi
que des cigarettes durant le voyage. A son arrivée à
Beyrouth, il fut remis en possession de son passeport. Il y était
attendu par les membres de sa famille. Le consul de Belgique à
Beyrouth était aussi présent à l'aéroport.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
- Les dispositions pertinentes de la loi du 15 décembre
1980 sur l'accès au territoire, le séjour,
l'établissement et l'éloignement des étrangers
se lisent comme suit :
Article 7
« Sans préjudice des dispositions plus
favorables contenues dans un traité international, le Ministre
ou son délégué peut donner l'ordre de quitter le
territoire avant une date déterminée, à
l'étranger qui n'est ni autorisé ni admis à
séjourner plus de trois mois ou à s'établir dans
le Royaume :
1o s'il demeure dans le Royaume
sans être porteur des documents requis par l'article 2 ;
2o (...)
Dans les mêmes cas, si le Ministre ou son délégué
l'estime nécessaire, il peut faire ramener sans délai
l'étranger à la frontière.
L'étranger peut être détenu à
cette fin pendant le temps strictement nécessaire à
l'exécution de la mesure sans que la durée de la
détention puisse dépasser deux mois. (...) »
Article 9
« Pour pouvoir séjourner dans le
Royaume au-delà du terme fixé à l'article 6,
l'étranger qui ne se trouve pas dans un des cas prévus
à l'article 10 doit y être autorisé par le
Ministre ou son délégué.
Sauf dérogations prévues par un traité
international, par une loi ou par un arrêté royal, cette
autorisation doit être demandée par l'étranger
auprès du poste diplomatique ou consulaire belge compétent
pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à
l'étranger.
Lors de circonstances exceptionnelles, cette
autorisation peut être demandée par l'étranger
auprès du bourgmestre de la localité où il
séjourne, qui la transmettra au Ministre qui a l'accès
au territoire, le séjour, l'établissement et
l'éloignement des étrangers dans ses compétences
ou à son délégué. Elle sera dans ce cas
délivrée en Belgique. »
Article 57/6
« Le Commissaire général aux
réfugiés et aux apatrides est compétent :
1o pour reconnaître ou
refuser de reconnaître la qualité de réfugié,
au sens des conventions internationales liant la Belgique à
l'étranger visé à l'article 53 ;
2o pour retirer la qualité
de réfugié au sens des conventions internationales
liant la Belgique ;
2obis pour retirer la qualité
de réfugié à l'étranger auquel le statut
a été reconnu sur la base de fausses déclarations
ou de documents faux ou falsifiés, ainsi qu'à
l'étranger dont le comportement personnel démontre
ultérieurement l'absence de crainte de persécution ;
3o pour confirmer ou refuser de
confirmer la qualité de réfugié de l'étranger
qui remplit les conditions prévues à l'article 49,
deuxième alinéa ;
4o pour délivrer aux
réfugiés et aux apatrides les documents visés à
l'article 25 de la Convention internationale relative au statut des
réfugiés, signée à Genève, le 28
juillet 1951, et à l'article 25 de la Convention relative au
statut des apatrides, signée à New York, le 28
septembre 1954.
Les décisions refusant de reconnaître ou de
confirmer la qualité de réfugié ainsi que celles
retirant cette qualité sont motivées, en indiquant les
circonstances de la cause. »
Article 63/5
« Le recours urgent suspend la décision
contestée du Ministre. Pendant le délai ouvert pour
l'introduction d'un recours urgent ainsi que pendant la durée
de l'examen de ce recours, toutes les mesures d'éloignement du
territoire à l'égard de l'étranger en raison des
faits qui ont donné lieu à la décision contestée
sont suspendues.
Dans le cas où la demande est introduite contre
un refus de séjour ou d'établissement, le Ministre ou
son délégué peut enjoindre à l'étranger
de résider en un lieu déterminé ou, si des
circonstances exceptionnellement graves le justifient, ordonner sa
détention pendant la durée de l'examen de la demande.
En cas de confirmation de la décision contestée,
le Commissaire général aux réfugiés et
aux apatrides ou un de ses adjoints donne également un avis
formel sur la remise éventuelle de l'intéressé à
la frontière du pays qu'il a fui et où, selon sa
déclaration, sa vie, son intégrité physique ou
sa liberté serait menacée. »
Article 69
« Un recours en annulation, régi par
l'article 14 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12
janvier 1973, peut être introduit contre une décision
refusant le bénéfice d'un droit prévu par la
présente loi.
L'introduction d'une demande en révision
n'empêche pas l'introduction directe d'un recours en annulation
contre la décision dont la révision est demandée.
Dans ce cas, l'examen du recours en annulation est
suspendu jusqu'à ce que le Ministre ou son délégué
ait statué sur la recevabilité de la demande. »
Article 71
« L'étranger qui fait l'objet d'une
mesure privative de liberté prise en application des articles
7, (8bis, § 4,) 25, 27, 29, alinéa 2, 51/5, § 3,
alinéa 4, 52bis, alinéa 4, 54, 63/5, alinéa 3,
67, 74/6 et (57/32, § 2, alinéa 2) peut introduire un
recours contre cette mesure en déposant une requête
auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du
lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a
été trouvé.
L'étranger maintenu dans un lieu déterminé
situé aux frontières, en application de l'article 74/5,
peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant
une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal
correctionnel du lieu où il est maintenu.
L'intéressé peut réintroduire le
recours visé aux alinéas précédents de
mois en mois.
Toutefois, lorsque, conformément à
l'article 74, le Ministre a saisi la chambre du conseil, l'étranger
ne peut introduire le recours visé aux alinéas
précédents contre la décision de prolongation du
délai de la détention ou du maintien qu'à partir
du trentième jour qui suit la prolongation. »
Article 72
« La chambre du conseil statue dans les cinq
jours ouvrables du dépôt de la requête après
avoir entendu l'intéressé ou son conseil en ses moyens
et le ministère public en son avis. Lorsque, conformément
à l'article 74, le Ministre a saisi la chambre du conseil, le
Ministre, son délégué ou son conseil doit
également être entendu dans ses moyens. Si la chambre du
conseil n'a pas statué dans le délai fixé,
l'étranger est mis en liberté.
Elle vérifie si les mesures privatives de liberté
et d'éloignement du territoire sont conformes à la loi
sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité.
Les ordonnances de la chambre du conseil sont
susceptibles d'appel de la part de l'étranger, du ministère
public et, dans le cas prévu à l'article 74, du
Ministre ou son délégué.
Il est procédé conformément aux
dispositions légales relatives à la détention
préventive, sauf celles relatives au mandat d'arrêt, au
juge d'instruction, à l'interdiction de communiquer, à
l'ordonnance de prise de corps, à la mise en liberté
provisoire ou sous caution, et au droit de prendre communication du
dossier administratif.
Le conseil de l'étranger peut consulter le
dossier au greffe du tribunal compétent pendant les deux jours
ouvrables qui précèdent l'audience.
Le greffier en donnera avis au conseil par lettre
recommandée. »
Article 73
« Si
la Chambre du Conseil décide de ne pas maintenir
l'arrestation, l'étranger est remis en liberté dès
que la décision est coulée en force de chose jugée.
Le
(Ministre) peut enjoindre à cet étranger de résider
en un lieu déterminé soit jusqu'à l'exécution
de la mesure d'éloignement du territoire dont il fait l'objet,
soit jusqu'au moment où il aura été statué
sur sa demande en révision. »
Article 74/5
« § 1. Peut être
maintenu dans un lieu déterminé, situé aux
frontières, en attendant l'autorisation d'entrer dans le
royaume ou son refoulement du territoire :
1o l'étranger qui, en
application des dispositions de la présente loi, peut être
refoulé par les autorités chargées du contrôle
aux frontières ;
2o l'étranger qui tente de
pénétrer dans le royaume sans satisfaire aux conditions
fixées par l'article 2, qui se déclare réfugié
et demande, à la frontière, à être reconnu
comme tel.
§ 2. Le Roi peut déterminer
d'autres lieux situés à l'intérieur du royaume,
qui sont assimilés au lieu visé au § 1er.
L'étranger maintenu dans un de ces autres lieux
n'est pas considéré comme ayant été
autorisé à entrer dans le royaume.
§ 3. La durée du maintien dans un
lieu déterminé situé aux frontières ne
peut excéder deux mois. Le ministre ou son délégué
peut toutefois prolonger le maintien de l'étranger visé
au § 1er,
par période de deux mois :
1o si l'étranger fait
l'objet d'une mesure de refoulement exécutoire, d'une décision
de refus d'entrée exécutoire ou d'une décision
confirmative de refus d'entrée exécutoire ;
2o et si les démarches
nécessaires en vue de l'éloignement de l'étranger
ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la
décision ou de la mesure visée au 1o,
qu'elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu'il
subsiste toujours une possibilité d'éloigner
effectivement l'étranger dans un délai raisonnable.
Après une prolongation, la décision visée
à l'alinéa précédent ne peut plus être
prise que par le Ministre.
La durée totale du maintien ne peut jamais
excéder cinq mois. (...) »
- Dans un arrêt du 29 septembre 2005, la cour
d'appel de Bruxelles, saisie d'un appel de l'Etat belge contre une
ordonnance lui enjoignant de laisser circuler librement une personne
transférée du « Centre 127 » à
la zone de transit à la suite d'une décision ordonnant
sa remise en liberté, a rappelé que la seule
restriction légale à la mise en liberté d'un
étranger faite dans ces conditions concerne le lieu de
résidence qui peut lui être imposé, un lieu
nécessairement situé sur le territoire belge. Elle
s'est ensuite exprimée comme suit :
« L'article 73 de la loi du 15 décembre
1980 (...) ne mentionne cependant pas de restriction relative aux
modalités de jouissance de la résidence qui peut être
imposée à l'étranger ;
Il faut en déduire que celui-ci doit pouvoir y
entrer, en sortir et y recevoir ses proches librement ;
En plaçant d'autorité [...] dans la zone
de transit de l'aéroport dont elle ne pouvait sortir que pour
quitter le territoire national, l'Etat belge a donc pris une mesure
administrative qui dépasse la restriction à la liberté,
autorisée au deuxième alinéa de l'article 73 de
la loi du 15 décembre 1980 (...) ;
C'est donc à bon droit que le premier juge a
estimé que la décision de la chambre du conseil n'avait
pas été loyalement exécutée par l'Etat
belge qui s'était en l'espèce rendu coupable d'une voie
de fait à l'égard de [Madame] ;
L'ordonnance de libération d'une chambre du
conseil prise dans la cadre d'un recours basé sur l'article 71
de la loi du 15 décembre 1980 (...) confère donc de
manière implicite mais certaine, à son bénéficiaire
une autorisation, certes précaire et essentiellement
provisoire, de circuler librement sur le territoire belge ;
Cette autorisation de circulation ne peut en outre pas
être assimilée à la reconnaissance d'un véritable
droit d'accès au territoire qui priverait d'effet les autres
décisions administratives prises par l'Etat belge à
l'égard de l'étranger ;
L'autorisation de circuler librement n'interdit en effet
pas à l'Etat belge de poursuivre l'exécution de la
mesure d'éloignement dont l'étranger fait l'objet, soit
par un rapatriement forcé, soit encore comme en l'espèce
et avec succès, par la notification d'un ordre de quitter le
territoire. »
En estimant que le transfert et le maintien en zone de transit
constituait une violation manifeste de l'ordonnance de mise en
liberté prise par la chambre du conseil, la cour d'appel
confirmait un constat qui avait, notamment, été déjà
dressé dans une ordonnance du président du tribunal de
première instance de Nivelles du 30 novembre 2002.
III. AUTRES SOURCES
A. Les rapports du comité européen pour
la prévention de la torture de 1997 et 2005
- Le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) a été, à plusieurs reprises, amené
à s'intéresser à la situation des
ressortissants étrangers auxquels l'entrée sur le
territoire belge avait été refusée ou qui
avaient fait l'objet d'une décision d'éloignement
forcé.
1. Extraits du « Rapport
au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée
en Belgique par le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants du 14 octobre 1994 »
« 58. La salle d'hébergement
dans la zone de transit de l'aéroport avait été
ouverte peu avant, une ordonnance de référé du
Tribunal de Première Instance de Bruxelles du 25 juin
1993 qui disposait que le traitement de dix-neuf candidats réfugiés
somaliens « pris en son ensemble, présente les
caractéristiques d'un traitement dégradant et inhumain
... ». Ces personnes avaient été maintenues
dans la zone de transit de l'aéroport le centre « 127 »
étant complet et avaient à « des
moments divers été obligées de dormir à
même le sol, sans couvertures chaudes pour la nuit, hommes,
femmes, enfants indistinctement mélangés, exposés
nuit et jour à la curiosité publique, privés
d'accès à des lieux permettant une hygiène
normale. » Le Tribunal de Première Instance avait
notamment ordonné à l'Etat belge de « mettre
à la disposition des [intéressés], dans la
mesure où ils n'ont pu encore être admis au centre
« 127 » et pendant la durée de leur
séjour dans la zone de transit de l'aéroport de
Zaventem :
- des locaux distincts, un pour les femmes et
un pour les hommes, à l'abri des vues du public, pour chacun
..., un lit, un coussin, des draps et une couverture, trois repas par
jour dont un chaud, des installations sanitaires (toilettes et lavabo
avec eau courante), de faire assurer ... les soins médicaux
indispensables à l'entretien et la conservation de leur
santé. »
2. Extraits du « Rapport
au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée
en Belgique par le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines ou traitements inhumains ou
dégradants (CPT) du 31 août au 12 septembre 1997 »
« 45. De l'avis du CPT, dans les
cas où il paraît nécessaire de priver des
personnes de liberté pendant une période prolongée
en vertu de législations relatives à l'entrée et
au séjour des étrangers, ces personnes devraient être
placées dans des centres spécifiquement conçus à
cet effet, offrant des conditions matérielles et un régime
adaptés à leur statut juridique, et dotés d'un
personnel possédant des qualifications appropriées. A
l'évidence, de tels centres devraient disposer de locaux
d'hébergement équipés de manière
adéquate, propres et en bon état d'entretien et qui
puissent offrir un espace de vie suffisant au nombre de personnes
susceptibles d'y être placées. De plus, il y aurait lieu
d'éviter autant que possible, dans la conception et
l'agencement des lieux, toute impression d'environnement carcéral.
En ce qui concerne les programmes d'activités, ceux-ci
devraient comprendre l'exercice en plein air, l'accès à
une salle de séjour, à la radio/télévision,
à des journaux/revues, ainsi qu'à d'autres formes
d'activités récréatives appropriées (par
exemple, jeux de société, tennis de table). Les
activités à proposer devraient être d'autant plus
diversifiées que la période de rétention se
prolonge.
46. Depuis la première visite
périodique du CPT, plusieurs centres fermés destinés
spécifiquement aux ressortissants étrangers ont été
créés. (...)
47. Le Centre « INADS »,
localisé au bout de la « Jetée B »
du nouveau terminal de l'aéroport de Bruxelles-National, a été
ouvert en mars 1995. Initialement administré par une société
privée, il est géré par l'Office des Etrangers
depuis le 1er
juillet 1996. Ce centre est destiné aux étrangers qui
se sont vus signifier un refus d'entrée sur le territoire du
Royaume et qui attendent leur refoulement avec un prochain vol. Selon
les informations fournies par le personnel du centre, la durée
de leur séjour ne dépasse pas en principe quelques
jours. Toutefois, si la personne intéressée s'oppose à
son refoulement, il n'est pas exclu qu'elle puisse y être
maintenue pendant deux à trois semaines, voire même plus
longtemps (par exemple, si elle a obtenu une suspension de la
décision de refoulement par le Conseil d'Etat).
La capacité annoncée est de 30 personnes.
Lors d'une première visite de la délégation, la
délégation a rencontré six personnes ; il y
en avait douze lors d'une seconde visite de la délégation.
La durée du séjour des personnes maintenues dans ce
centre variait d'un à neuf jours.
48. Le Centre de transit « 127 »,
situé à Melsbroek, se trouve dans l'enceinte de
l'aéroport de Bruxelles-National, à proximité
directe d'une piste. Il a été réouvert le
31 juillet 1994, après avoir été ravagé
par un incendie, fin octobre 1993. Le Centre « 127 »
accueille les étrangers dépourvus des documents requis
pour l'entrée sur le territoire et ayant demandé
l'asile à l'aéroport de Bruxelles-National, dans
l'attente d'une décision d'autorisation ou de refus d'entrée
sur le territoire. En cas de décision négative sur la
recevabilité de la demande d'asile, les étrangers
concernés sont transférés au Centre « 127
bis » (cf. paragraphe 49, ci-dessous).
D'une capacité officielle de 100 personnes, le
Centre accueillait le jour de la visite du CPT 34
adultes et 4 enfants. La durée de leur séjour variait
de deux jours à un mois.
49. Le Centre de rapatriement « 127
bis », situé à Steenokkerzeel, est
localisé à proximité immédiate de
l'aéroport de Bruxelles-National. Il a été
ouvert en mars 1994 et accueille, en principe, deux catégories
de ressortissants étrangers retenus : des demandeurs
d'asile qui, après être entrés illégalement
en Belgique, ont déposé leur demande au siège
même de l'Office des Etrangers et dont la démarche est
considérée n'avoir que peu de chances d'aboutir ;
des personnes transférées du Centre « 127 »
qui se sont vues signifier une décision d'irrecevabilité
et qui attendent leur éloignement. De plus, en cas de
nécessité (arrivée d'un nombre important de
demandeurs d'asile), ce centre remplit également la fonction
accessoire et temporaire d'extension du Centre « 127 ».
Sa capacité est fixée à 192 places.
Lors de la visite, 69 personnes (47 hommes, 14 femmes et 8
enfants) y étaient maintenus. Le séjour de la plupart
d'entre elles variait de deux jours à trois mois. Cela étant,
l'une des personnes y séjournait depuis plus de cinq mois.
50. Le Centre pour étrangers
illégaux (CIM) de Merksplas se trouve dans la campagne, au
nord du pays, près de la frontière néerlandaise.
Il a été ouvert en décembre 1993 et sa capacité
est de 160 places. (...)
3. Conditions de rétention dans les
établissements visités
a. conditions matérielles et activités
i) Centre « INADS »
53. Le centre comporte deux dortoirs spacieux
(l'un pour des femmes, éventuellement accompagnées
d'enfants, et l'autre pour des hommes). Ils étaient propres,
bien éclairés et aérés. Par ailleurs, des
annexes sanitaires (toilettes et douches) en état d'entretien
et de propreté satisfaisants, étaient accessibles à
tout moment.
Les personnes maintenues avaient accès à
une salle de loisirs relativement spacieuse où il leur était
possible de regarder la télévision, lire des journaux
et jouer au tennis de table ou à des jeux de société.
Pour les enfants, une petite sélection de jouets avait
également été prévue.
En somme, à une exception près, les
conditions matérielles et les activités proposées
au Centre peuvent généralement être décrites
comme satisfaisantes pour un séjour ne dépassant pas
quelques jours.
54. L'exception à cette constatation
positive vise l'absence d'aménagement permettant aux personnes
maintenues au centre de se rendre à l'air frais. Le CPT
recommande aux autorités belges de prendre des mesures afin
que toute personne maintenue au centre au-delà de vingt-quatre
heures puisse se rendre à l'air frais au moins une heure par
jour.
Le CPT tient aussi à souligner que ce centre,
de par sa configuration et sa localisation, n'est pas adapté à
des rétentions se prolongeant au-delà de quelques
jours.
(...)
c. autres questions relevant du mandat du CPT
i) contacts avec le monde extérieur
67. Les étrangers retenus devraient
être en droit de maintenir des contacts avec le monde extérieur
pendant leur rétention et, notamment, avoir accès à
un téléphone et pouvoir bénéficier de
visites de proches et de représentants d'organisations
compétentes.
68. S'agissant des visites, le
règlement de vie dans les centres fermés accorde
notamment aux ressortissants étrangers retenus le droit de
visite de membres de leur famille, d'avocats et de représentants
des autorités diplomatiques et consulaires de leur pays. Cela
étant, les règles observées en pratique dans les
différents centres visités étaient assez
différentes.
Les possibilités de visites y compris
d'avocats étaient très limitées au Centre
« INADS » et au Centre de transit
« 127 ». Dans ce dernier centre en
particulier, l'accès des visiteurs était rendu
pratiquement impossible en raison d'une décision de la Régie
des Voies Aériennes d'interdire l'accès du terrain aux
personnes étrangères à son administration. De ce
fait, à l'exception des avocats, ce n'est que dans des cas
exceptionnels que d'autres personnes étaient autorisées
à rendre visite aux retenus du Centre « 127 ».
Une telle situation – du reste en contradiction avec le
règlement précité – n'est pas acceptable.
(...)
69. Quant à l'accès au
téléphone, les communications téléphoniques
des retenus avec leur avocat, le représentant
consulaire/diplomatique de leur pays étaient toujours
autorisées et gratuites.
En ce qui concerne les autres communications
téléphoniques, l'Article 20 du Règlement précité
prévoit que chaque retenu peut téléphoner aux
personnes de son choix (y compris à l'étranger) dans
les heures déterminées par le règlement interne
de chaque centre. A cet effet, des téléphones publics
avaient été installés dans les centres visités.
De plus, à leur arrivée dans les centres fermés,
les ressortissants étrangers pouvaient effectuer un appel
téléphonique gratuit en Belgique. En outre, tous les
nouveaux arrivants recevaient une première télécarte
gratuitement, les suivantes pouvant être achetées à
la cantine de l'établissement. »
3. Extraits du « Rapport au Gouvernement de
la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique
par le Comité européen pour la prévention de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
(CPT) du 18 au 27 avril 2005 »
« 46. La délégation
a également effectué une visite de suivi au Centre
« INADS », situé au bout du terminal
B de l'aéroport de Bruxelles-National, et dans lequel les
étrangers n'ayant pas été autorisés à
entrer sur le territoire belge sont hébergés dans
l'attente de leur refoulement sur le prochain vol disponible. La
délégation a été informée que de
février à avril 2005, la durée du séjour
au Centre « INADS » variait de 4 heures à
3 jours (selon la disponibilité des vols) ; toutefois,
cette durée s'allongeait si – exceptionnellement –
la personne qui s'était vue refuser l'entrée sur le
territoire faisait appel de cette décision.
Des informations fournies à la délégation
et des constatations faites par cette dernière, il ressort que
les recommandations formulées dans le rapport sur la visite
effectuée en 1997 n'ont pas été suivies d'effet.
Ainsi, les personnes retenues au Centre « INADS »
– quelle que soit la durée de leur séjour –
n'avaient toujours pas la possibilité de se rendre à
l'air frais, ni de recevoir les visites de membres de la famille, de
proches, ou d'un avocat. S'agissant de ce dernier, seul un contact
par téléphone était autorisé. En outre,
elles n'étaient pas systématiquement informées,
dans une langue qu'elles comprenaient, de leur situation juridique et
de leurs droits. Enfin, rien n'était prévu s'agissant
de la visite quotidienne d'un(e) infirmier(ère).
47. Le CPT réitère ses
recommandations formulées à l'égard du Centre
« INADS », selon lesquelles :
- toute personne retenue au Centre pendant
une période prolongée (24 heures ou plus) se voie
offrir une heure au moins d'exercice en plein air par jour ;
- les personnes retenues au Centre
reçoivent une notice d'information exposant, outre les règles
applicables à leur séjour, leur situation juridique et
leurs droits ; cette notice devrait exister dans un éventail
approprié de langues ;
- un(e) infirmier(ère) se rende
quotidiennement au Centre.
De plus, des dispositions devraient être prises
afin que les personnes retenues dans le Centre « INADS »
puissent recevoir les visites de parents, de proches, ainsi que d'un
avocat.
48. Au cours de la visite, la délégation
a été informée qu'en 2004, l'Office des
étrangers avait développé une pratique
consistant à transférer, suite au prononcé d'une
décision de remise en liberté par une autorité
judiciaire, des ressortissants étrangers faisant l'objet d'un
ordre de refoulement du centre de rétention où ils
étaient détenus vers la zone de transit de
l'aéroport de Bruxelles-National. En particulier, un groupe de
personnes d'origine africaine seraient restées dans la zone de
transit du mois de décembre 2003 au mois de mai 2004. Saisi
d'une réclamation, le Collège des Médiateurs
fédéraux estima qu'il devait « être
mis un terme à cette pratique administrative, à tout le
moins lorsque ... l'éloignement n'est pas susceptible d'être
réalisé à bref délai (48 heures tout au
plus) ».
49. Le CPT tient à souligner que dans
son rapport relatif à sa première visite, en 1993, il
avait clairement indiqué qu'à l'aéroport de
Bruxelles-National, les conditions matérielles d'hébergement
ne convenaient nullement, au-delà d'une durée dépassant
quelques heures. Les constatations faites par la délégation
lors de la visite en 2005 ne permettent pas d'aboutir à une
conclusion différente.
Plus généralement,
comme le CPT vient de le rappeler dans son 15e
Rapport Général d'Activités, retenir des
ressortissants étrangers durant « des semaines,
voire des mois, dans des salles d'attente d'aéroports ... dans
des conditions matérielles médiocres et privés
de toute forme d'activité » est une pratique qui
doit cesser. Le CPT recommande
que les autorités belges prennent immédiatement les
mesures nécessaires afin de mettre définitivement fin à
cette pratique. »
B. Les observations finales du Comité des droits
de l'homme des Nations-Unies du 30 juillet 2004 (CCPR/CO/81/BEL)
- Le Comité des droits de l'homme des
Nations-Unies s'est exprimé comme suit à propos du
maintien de personnes en attente d'éloignement en zone de
transit par la Belgique :
« 17) Le Comité est
préoccupé par le fait que des étrangers
maintenus en centre fermé dans l'attente de leur éloignement,
puis remis en liberté sur décision judiciaire, ont été
maintenus en zone de transit de l'aéroport national dans des
conditions sanitaires et sociales précaires.
Des informations font état de périodes de
détention de plusieurs mois dans certains cas. De l'avis du
Comité, ces pratiques s'apparentent à des détentions
arbitraires et peuvent conduire à la commission de traitements
inhumains et dégradants (articles 7 et 9).
L'État partie devrait mettre fin immédiatement
à la rétention d'étrangers en zone de transit
aéroportuaire. »
C. Rapport annuel 2004 du Collège des médiateurs
fédéraux
57. Aux
pages 44 et 45 de ce
rapport, on peut lire :
« Le maintien en zone de transit de
l'aéroport de Bruxelles-National
Durant l'exercice
2004, la Médiature fédérale fut saisie,
notamment par une ONG, d'une réclamation concernant la
pratique administrative de l'Office des étrangers consistant à
transférer, en exécution d'une ordonnance de remise en
liberté de la chambre du conseil ou d'un arrêt de la
chambre des mises en accusation, des ressortissants étrangers
faisant l'objet d'un ordre de refoulement du centre fermé où
ils sont détenus vers la zone de transit de l'aéroport
de Bruxelles National. Selon le ministre de l'Intérieur
et l'Office des étrangers, en transférant les
intéressés du centre fermé vers la zone de
transit, « les personnes en centre fermé qui
bénéficient d'une libération par la chambre du
conseil sont effectivement libérées. Si elles sont
libérées et après ces personnes se trouvent de
nouveau dans la zone de transit, c'est dû au fait qu'elles ne
sont pas en possession des documents requis pour l'accès au
territoire ». Dans son
analyse de la pratique précitée, au regard de la
jurisprudence européenne et belge, le Collège des
médiateurs fédéraux a indiqué à
l'Office des étrangers que la zone de transit fait partie du
territoire belge et que sa finalité est de faciliter le
transport aérien. Il est donc contradictoire de prétendre
que le maintien en zone de transit est dû au fait que les
ressortissants étrangers ne sont pas en possession des
documents requis pour l'accès au territoire alors que le
transfert en zone de transit doit être considéré
comme s'exerçant sur le territoire belge. En outre, compte
tenu de sa finalité, une telle zone n'est matériellement
pas aménagée pour accueillir, durant une période
plus ou moins longue, des personnes qui ne sont pas en escale, avec
les conséquences en termes de respect de la dignité
humaine consacré par la Constitution.
Dans ces
circonstances, le Collège a estimé que le maintien en
zone de transit était en tout état de cause contraire
au principe du raisonnable.
De plus, se contenter
de dire, à l'instar des autorités administratives
belges, que le seul refus des intéressés d'obtempérer
à la décision de refoulement était à
l'origine de la situation qu'ils vivaient dans la zone de transit
était manifestement disproportionné aux moyens dont
dispose l'Etat belge afin de mettre, le cas échéant,
lesdites décisions à exécution.
Tout comme le Comité
des droits de l'homme des Nations-Unies, le Collège est
préoccupé par ces pratiques de l'Office des étrangers
qui « s'apparentent à des détentions
arbitraires et peuvent conduire à la commission de traitements
inhumains et dégradants ».
Le Collège des médiateurs fédéraux
estime dès lors qu'il doit être mis un terme à
cette pratique administrative, à tout le moins lorsqu'en
l'état actuel du droit, l'éloignement n'est pas
susceptible d'être réalisé à bref délai
(48 heures tout au plus). Dans l'hypothèse où l'ordre
de refoulement ne peut matériellement être exécuté
à court terme, la Médiature fédérale
reste d'avis que la libération des intéressés
sur le territoire belge à l'intérieur des frontières
est la seule solution acceptable au plan du droit et des principes de
bonne administration, à charge le cas échéant
pour le ministre de l'Intérieur d'enjoindre aux intéressés
« de résider en un lieu déterminé
jusqu'à l'exécution de la mesure d'éloignement
du territoire » dont ils font l'objet par application de
l'article 73 de la loi du 15 décembre 1980. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5
DE LA CONVENTION
- Les requérants soutiennent que leur placement
en zone de transit à la suite des arrêts des 30 janvier
2003 et 3 février 2003 et leur placement à Merksplas à
la suite de l'ordonnance du 14 février 2003 ont porté
atteinte à l'article 5 de la Convention puisque ces mesures
ont été appliquées en violation de décisions
de justice ordonnant leur libération qui n'ont donc pas été
exécutées avec la diligence, la célérité
et la bonne foi qu'exige cette disposition en garantissant un strict
contrôle judiciaire de toute mesure de privation de liberté.
Les dispositions pertinentes de l'article 5 de la Convention se
lisent ainsi :
« 1. Toute personne a droit à
la liberté et à la sûreté. Nul ne peut
être privé de sa liberté, sauf dans les cas
suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s'il s'agit de l'arrestation ou de la
détention régulières d'une personne pour
l'empêcher de pénétrer irrégulièrement
dans le territoire, ou contre laquelle une procédure
d'expulsion ou d'extradition est en cours.
(...)
4. Toute personne privée de sa liberté
par arrestation ou détention a le droit d'introduire un
recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai
sur la légalité de sa détention et ordonne sa
libération si la détention est illégale. »
A. Sur l'exception de non-épuisement des voies
de recours internes
- Le Gouvernement affirme tout d'abord que les
requérants n'ont pas correctement épuisé les
voies de recours internes puisqu'ils n'ont introduit aucun recours
contre la décision du 15 février 2003 leur ordonnant de
quitter le territoire avec décision de remise à la
frontière et privation de liberté à cette fin.
Deux recours étaient cependant ouverts contre cette décision :
l'un devant la chambre du conseil du tribunal de première
instance contre la décision de privation de liberté aux
fins de remise à la frontière conformément à
l'article 71 de la loi du 15 décembre 1980, l'autre
devant le Conseil d'Etat contre la décision ordonnant de
quitter le territoire avec décision de remise à la
frontière sur le fondement de l'article 69 de la même
loi.
- Les requérants combattent la thèse
avancée par le Gouvernement. Ils estiment qu'on ne saurait
leur reprocher de ne pas avoir introduit de recours contre les
décisions de privation de liberté, dans la mesure où
des décisions de remises en liberté avaient déjà
été rendues antérieurement les 20 janvier, 30
janvier et 3 février 2003, tant par la chambre du conseil que
par la chambre des mises en accusation et que l'Etat avait refusé
de mettre ces décisions de remises en liberté à
exécution ou estimé les avoir exécutées
en les plaçant en zone de transit. L'Etat les a placés
dans un cercle vicieux et cette attitude leur a donné un
sentiment de vulnérabilité, d'impuissance et
d'appréhension face aux représentants de l'Etat, qui
justifie de les exonérer de l'obligation d'épuiser une
fois encore les voies de recours internes.
- La Cour rappelle que la règle de l'épuisement
des voies de recours internes énoncée à
l'article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants
de se prévaloir d'abord des recours normalement disponibles et
suffisants dans le système juridique de leur pays pour leur
permettre d'obtenir réparation des violations qu'ils
allèguent. Ces recours doivent exister à un degré
suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans
quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité
voulues (arrêts Aksoy c. Turquie du 18 décembre
1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI,
pp. 2275-2276, §§ 51-52, et Akdivar et autres c. Turquie
du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, §§
65-67). L'article 35 § 1 de la Convention prévoit une
répartition de la charge de la preuve. Il incombe au
Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour
que le recours était effectif et disponible tant en théorie
qu'en pratique à l'époque des faits, c'est-à-dire
qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au
requérant le redressement de ses griefs et présentait
des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois
cela démontré, c'est au requérant qu'il revient
d'établir que le recours évoqué par le
Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour
une raison quelconque, n'était ni adéquat ni effectif
compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines
circonstances particulières le dispensaient de cette
obligation (Akdivar et autres, précité, p. 1211,
§ 68). La Cour souligne encore qu'elle doit appliquer la règle
de l'épuisement en tenant dûment compte du contexte :
le mécanisme de sauvegarde des droits de l'homme que les
Parties contractantes sont convenues d'instaurer. Elle a ainsi
reconnu que l'article 35 § 1 doit être appliqué
avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de
plus admis que la règle de l'épuisement des voies de
recours internes ne s'accommode pas d'une application automatique et
ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant
le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause.
Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière
réaliste non seulement des recours prévus en théorie
dans le système juridique de la Partie contractante concernée,
mais également du contexte juridique et politique dans lequel
ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant.
Il lui faut dès lors, en l'espèce, examiner si, compte
tenu de l'ensemble des circonstances de la cause, les requérants
ont fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre d'eux pour
épuiser les voies de recours internes (Khachiev et Akaïeva
c. Russie, nos 57942/00 et 57945/00, 24 février
2005 ; Akdivar et autre, précité, p. 1211,
§ 69, et Aksoy, précité, p. 2276, §§
53 et 64).
- La Cour observe que le droit belge offrait en principe
une voie de recours aux requérants pour contester les
privations de liberté intervenues le 15 février
2003, ce que ces derniers ne contestent d'ailleurs pas. Ils ne
fondent leur thèse de l'absence d'effectivité du
recours que sur l'appréhension qu'une décision positive
qui aurait été rendue dans le cadre d'une telle action
n'aurait à nouveau pas débouché sur leur
libération, vu l'attitude adoptée par l'Office des
étrangers lorsqu'il était confronté à des
décisions de ce type. Ils rappellent, en ce qui les concerne,
les suites réservées par cette administration aux
ordres de libération immédiate des 30 janvier et 3
février 2003, puis aux ordonnances du 14 février 2003
ordonnant de les laisser librement et sans restriction en zone de
transit. Pour évaluer le caractère raisonnable de cette
appréhension, la Cour accorde une importance particulière
aux constatations faites à ce propos par des instances
nationales et internationales. La Cour juge particulièrement
frappantes les considérations émises dans les
ordonnances précitées, qui n'ont pas fait l'objet de
recours. Il y est constaté que l'Etat avait commis une voie de
fait en transférant les requérants du centre fermé
de Melsbroek à la zone de transit. Il y était aussi
indiqué que la libération ordonnée précédemment
impliquait nécessairement que les requérants, tant
qu'ils n'étaient pas refoulés, puissent quitter
librement la zone de transit, sans préjudice du droit du
ministre de l'Intérieur de leur enjoindre de résider en
un lieu déterminé en application de l'article 73 de la
loi du 15 décembre 1980. Il s'agissait, selon les
ordonnances, de la seule solution possible pour ne pas « réduire
la procédure fondée sur l'article 71 [de cette loi] à
une simple mascarade ». La Cour ne peut pas non plus
ignorer les observations finales du Comité des droits de
l'homme des Nations-Unies du 30 juillet 2004 (voir paragraphe 56
ci-dessus) et le Rapport annuel 2004 du Collège des médiateurs
fédéraux (paragraphe 57 ci-dessus) qui qualifient les
situations de ce type de détention arbitraire et montrent
qu'il ne s'agissait pas d'incidents isolés. Le second document
fait expressément mention d'une « pratique
administrative». Au vu de ces éléments, la
Cour estime que, même si
–sur le plan judiciaire – les perspectives de succès
d'une nouvelle procédure mettant en cause les titres de
détention des requérants du 15 février 2003
ne peuvent être jugées négligeables, les
appréhensions des requérants que ces recours n'auraient
pas réellement eu d'impact pratique peuvent passer pour
objectivement justifiées. Pour arriver à cette
conclusion, elle a également gardé présents à
l'esprit les sentiments d'insécurité, de vulnérabilité
et d'impuissance que devaient à ce moment éprouver les
requérants, qui n'avaient pas recouvré leur liberté
malgré deux séries de décisions judiciaires
condamnant leurs privations de liberté antérieures. La
circonstance que les requérants avaient pu auparavant obtenir
les conseils d'un avocat qui avait pu agir en leur nom n'est pas de
nature à modifier ce constat.
- A la lumière de ce qui précède,
la Cour estime que les requérants ont démontré
l'existence de circonstances particulières qui les
dispensaient de l'obligation d'épuiser la voie de recours
indiquée par le Gouvernement. En conséquence,
l'exception préliminaire soulevée par celui-ci doit
être rejetée.
B. Sur le fond
- Les requérants estiment qu'en ce qui concerne
leur transfert en zone de transit, le Gouvernement joue sur les mots
en considérant ce transfert comme une remise en liberté.
Tous les organismes indépendants ayant visité la zone
de transit parlent de détention. Par ailleurs, quel serait le
sens du contrôle opéré par le juge sur la
légalité d'une détention d'un étranger
« à la frontière » à leur
arrivée sur le territoire belge si l'on devait admettre la
pratique du placement subséquent en zone de transit utilisé
par l'Office des étrangers ? Les ordonnances du 14
février 2003 ont répondu à cette question en
relevant que, dans cette hypothèse, il se réduirait à
un simulacre de contrôle et en faisant usage du terme
« mascarade ». En utilisant un tel stratagème,
l'Etat ne s'est pas conformé aux décisions rendues par
les juridictions d'instruction de manière concrète et
effective, mais s'est livré à une parodie qui réduit
à néant la garantie qu'il a mise en place. Il en va de
même des circonstances qui ont conduit à leur détention
à Merksplas. Les requérants, qui relèvent que
leur « contrôle » est concomitant à
leur sortie de la zone de transit, rappellent que l'usage de ruses,
par les autorités, a été fermement dénoncé
par la Cour (Čonka c.
Belgique,
no 51564/99, §§ 42 à 44,
CEDH 2002-I). Ils soulèvent aussi que la privation de liberté
n'est qu'une faculté en droit belge et non une mesure
automatique, comme le montrent les décisions prises par la
chambre du conseil, la chambre des mises en accusation et le
Président du tribunal de première instance de
Bruxelles. Toutefois, la position de l'Office des étrangers
consiste à en faire la règle pour tout étranger
non autorisé à rentrer sur le territoire, sans
réflexion quant à l'adéquation de cette mesure
ou à son caractère proportionnel.
- La technique de placement en zone de transit mise en
œuvre pour contourner les décisions de mise en liberté
a été stigmatisée par un avis du médiateur
fédéral du 14 septembre 2004 et ses conséquences
ont été mises en exergue dans les observations finales
du Comité des droits de l'Homme des Nations-Unies du 30
juillet 2004 concernant la Belgique. Les requérants rappellent
aussi les critiques faites en 2003 et 2004 par le réseau des
experts indépendants en matière de droits fondamentaux
de l'Union européenne et les conclusions sur ces questions
dans le rapport du 25 mai 2003 du Comité contre la torture
concernant la Belgique et se réfèrent à d'autres
textes récents émanant d'institutions du Conseil de
l'Europe – le Comité des ministres, la Commissaire des
droits de l'Homme et l'Assemblée parlementaire – qui
confortent leur analyse. Dans le rapport relatif à la visite
effectuée en avril 2005, le Comité contre la torture a,
une fois de plus, recommandé aux autorités belges de
mettre définitivement fin à la pratique dénoncée.
Dans un arrêt du 29 septembre 2005, la cour d'appel de
Bruxelles, confirmant une ordonnance de la chambre du conseil du
tribunal de première instance de Bruxelles du 28 janvier 2004,
a constaté que le transfert en zone de transit ne constituait
pas une exécution loyale d'une décision ordonnant la
remise en liberté d'une étrangère détenue
en centre de rétention et constituait une voie de fait.
- Le Gouvernement relève que, à la suite
des arrêts des 30 janvier et 3 février 2003, les
requérants ont été immédiatement libérés
et ont quitté le centre pour illégaux de Bruges.
N'étant cependant pas admis à entrer sur le territoire
vu les décisions de refus d'entrée subsistant à
leur égard, ils ont été amenés en zone de
transit. Cette mesure constituait une exécution des décisions
précitées conforme à la loi interne et à
l'interprétation qui en a été donnée par
les juridictions internes. Les juridictions d'instruction n'ont en
effet aucune compétence pour annuler ou suspendre les
décisions de refus d'entrée et de refoulement. Leur
rôle se limite, en vertu de l'article 72 alinéa 2
de la loi du 15 décembre 1980, à vérifier si les
mesures administratives de privation de liberté sont conformes
à la loi. En tout état de cause, les transferts des
requérants en zone de transit ne peuvent être considérés
comme des mesures privatives de liberté. L'ordonnance du
14 février 2003 s'est écartée de la
jurisprudence interne et internationale en considérant qu'il
s'agissait d'un « lieu fermé ». L'unique
restriction de liberté qui s'imposait aux requérants
était l'interdiction d'accéder au territoire belge. Par
ailleurs, ces derniers avaient été dûment
informés de leur situation en anglais, dans une langue qu'ils
connaissaient, et remis en possession de leurs bagages, argent et
effets personnels. Ils étaient libres de leurs mouvements et,
en particulier, de quitter le territoire belge. Les autorités
leur ont d'ailleurs donné la possibilité d'agir en ce
sens en prenant un vol à bord duquel une réservation
avait été faite en leur nom, opportunités que
les requérants ont refusées respectivement trois fois
et une fois. Dans ces conditions, les requérants doivent être
considérés comme étant à l'origine du
grief qu'ils invoquent et l'Etat n'est donc pas responsable de la
situation créée (Mogos c. Roumanie, no
20420/02, 13 octobre 2005).
- S'agissant de la détention à Merksplas,
le Gouvernement précise que, à la suite des ordonnances
du 14 février 2003, les requérants ont été
autorisés à quitter la zone de transit le 15 février
2003 et à accéder au territoire belge. Ils n'étaient
cependant en possession d'aucune autorisation de séjour. Lors
de contrôles effectués le 15 février 2003 à
11 h 30, il a été constaté qu'ils
étaient sur le territoire sans être porteurs des
documents requis et des ordres de quitter le territoire avec décision
de remise à la frontière et décision de
privation de liberté à cette fin leur furent notifiés,
sur le fondement de l'article 7 de la loi du 15 décembre 1980.
Rappelant que les termes « selon les voies légales »
se réfèrent essentiellement à la législation
nationale (Winterwerp c. Pays-Bas, arrêt du 24 octobre
1979, série A no 33 ; Steel et autres
c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil
1998-VII ; Shamsa
c. Pologne, nos 45355/99 et 45357/99, 27 novembre
2003), le Gouvernement expose que la privation de liberté en
cause était régie par la disposition précitée,
extrêmement précise à cet égard. Répondant
aux critères fixés par la Cour d'arbitrage en la
matière, les privations de liberté intervenues le 15
février 2003 étaient absolument nécessaires et
proportionnelles et n'avaient rien d'arbitraire. En effet, comme les
décisions litigieuses l'indiquaient, les requérants
avaient déjà précédemment fait l'objet de
différentes tentatives d'éloignement auxquelles ils
avaient chaque fois refusé de donner suite. Les autorités
compétentes étaient donc fondées à
considérer qu'il y avait peu de chances que les personnes
concernées exécutent volontairement les nouvelles
décisions prises à leur encontre. Le Gouvernement
relève encore qu'alors qu'ils avaient la possibilité de
saisir la chambre du conseil d'un recours contre ces décisions,
les requérants, bien qu'ils en aient été
informés, ont négligé de le faire alors que la
détention a commencé le 15 février 2003 et s'est
achevée le 8 mars 2003. Une telle durée de détention
ne saurait par ailleurs être considérée comme
excessive selon la jurisprudence (Singh c. République
tchèque, no 60538/00, 25 janvier 2005 ;
Chahal c.
Royaume Uni, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil
1996 V) et l'éloignement a eu lieu dans le délai
de deux mois prévu à l'article 7 de la loi du 15
décembre 1980.
- La Cour doit déterminer en premier lieu si le
placement des requérants en zone de transit s'analyse en une
privation de liberté au sens de l'article 5 de la Convention,
la question de leur maintien à Merksplas ne prêtant, à
cet égard, pas à controverse. La Cour rappelle qu'elle
a déjà considéré que le maintien
d'étrangers dans la zone internationale comporte une
restriction à la liberté qui ne saurait être
assimilée en tous points à celle subie dans des centres
de rétention. Toutefois, un tel maintien n'est acceptable que
s'il est assorti de garanties adéquates pour les personnes qui
en font l'objet et ne se prolonge pas de manière excessive.
Dans le cas contraire, la simple restriction à la liberté
se transforme en privation de liberté (Amuur
c. France, arrêt du 25 juin 1996, Recueil
1996 III, § 43). Or, le maintien des requérants en
zone de transit n'est pas intervenu à leur arrivée dans
le pays, mais plus d'un mois plus tard, et il faisait suite à
des décisions ordonnant leur remise en liberté. En
outre, décidé pour une période indéterminée,
il s'est poursuivi pendant quinze et onze jours, respectivement. Par
ailleurs, la simple possibilité pour les requérants de
quitter volontairement le pays ne saurait exclure une atteinte à
la liberté (Amuur,
précité, § 48). La Cour conclut que le maintien
des requérants dans la zone de transit de l'aéroport
équivalait en fait à une privation de liberté.
- La Cour est donc appelée a examiner la
compatibilité des privations de liberté constatées
en l'espèce avec le paragraphe 1 de l'article 5 de la
Convention.
- La Cour rappelle que pour qu'une détention se
concilie avec l'article 5 § 1 f) de la Convention, il
suffit qu'une procédure d'expulsion soit en cours et que
celle-ci soit effectuée aux fins de son application ; il
n'y a donc pas lieu de rechercher si la décision initiale
d'expulsion se justifiait ou non au regard de la législation
interne ou de la Convention ou si la détention pouvait être
considérée comme raisonnablement nécessaire, par
exemple pour empêcher un risque de fuite ou d'infraction
(Chahal, précité, p. 1862, §
112). La Cour a plus particulièrement jugé normal que
les Etats, en vertu de leur « droit indéniable de
contrôler (...) l'entrée et le séjour des
étrangers sur leur territoire » (Amuur,
précité, § 41), aient la faculté de placer
en détention des candidats à l'immigration ayant
sollicité – que ce soit ou non par le biais d'une
demande d'asile – l'autorisation de pénétrer sur
le territoire. Toutefois, la détention d'une personne
constitue une atteinte majeure à la liberté
individuelle et doit toujours être soumise à un contrôle
rigoureux. Subsiste aussi toujours la question de savoir si la
détention a été effectuée « selon
les voies légales », au sens de l'article 5 §
1.
- La Cour rappelle qu'en matière de
« régularité » d'une détention,
y compris l'observation des « voies légales »,
la Convention renvoie pour l'essentiel à la législation
nationale et consacre l'obligation d'en observer les normes de fond
comme de procédure, mais elle exige de surcroît la
conformité de toute privation de liberté au but de
l'article 5 : protéger l'individu contre l'arbitraire
(voir Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 54,
6 mars 2001 ; Markert-Davies
c. France (déc.), no 43180/98, 29 juin
1999 ; Amuur, précité, § 50 ;
Wassink c.
Pays-Bas, arrêt du 27 septembre 1990, série A
n 185, § 24, et Bozano
c. France, arrêt du 18 décembre 1986, série A
no 111, § 54).
- L'article 5 § 1 impose ainsi en premier lieu que
toute arrestation ou détention ait une base légale en
droit interne (Bozano, op. cit.). Toutefois, la
« régularité » de la détention
au regard du droit interne n'est pas toujours l'élément
décisif. De surcroît, la Cour doit s'assurer que le
droit interne se conforme lui-même à la Convention, y
compris aux principes généraux énoncés ou
impliqués par elle. Sur ce dernier point, la Cour souligne que
lorsqu'il s'agit d'une privation de liberté, il est
particulièrement important de satisfaire au principe général
de la sécurité juridique. Par conséquent, il est
essentiel que les conditions de la privation de liberté en
vertu du droit interne soient clairement définies et que la
loi elle-même soit prévisible dans son application, de
façon à remplir le critère de « légalité »
fixé par la Convention, qui exige que toute loi soit
suffisamment précise pour éviter
tout risque d'arbitraire (voir Nasrulloyev c. Russie, no
656/06, § 71, 1er octobre 2007 ; Khudoyorov
c. Russie, no 6847/02, § 125, CEDH 2005 ...
(extraits) ; Ječius
c. Lithuanie, no 34578/97, § 56, CEDH 2000-IX ;
Baranowski c.
Pologne, no 28358/95, §§ 50-52, CEDH
2000-III, et Amuur, loc. cit.). Le critère de
« légalité » fixé par la
Convention exige que toute loi soit suffisamment précise pour
permettre au citoyen – en s'entourant au besoin de conseils
éclairés – de prévoir, à un degré
raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences
de nature à dériver d'un acte déterminé
(Shamsa, précité, § 40 ; Steel,
précité,
§ 54).
- La Cour doit donc rechercher si les privations de
liberté subies par les intéressés après
les arrêts de la chambre des mises en accusation des 30 janvier
et 3 février 2003 ordonnant leur libération immédiate,
puis les ordonnances du 14 février 2003, relevaient de
l'exception autorisée par l'article 5 § 1 f) et, en
particulier, si elles répondaient à la condition de
« régularité ».
- La Cour relève d'emblée qu'une situation
dans laquelle l'Office des étrangers a pu, à deux
reprises, maintenir les requérants en détention malgré
que leur titre de détention antérieur avait été
annulé et leur mise en liberté ordonnée en
termes clairs par des décisions devenues définitives
faute de recours, soulève de sérieux doutes au niveau
du principe de la légalité et de la bonne exécution
des décisions judiciaires.
- S'agissant du placement et du maintien des intéressés
dans la zone de transit de l'aéroport, la Cour relève,
qu'en l'espèce, le président du tribunal de première
instance de Bruxelles a constaté leur illégalité,
relevant que ceux-ci étaient inadmissibles et contraires à
l'Etat de droit. De l'avis de ce juge, admettre que le placement dans
cette zone équivaut à une remise en liberté
reviendrait à permettre « de mettre unilatéralement
en échec la décision de libération d'une
instance judiciaire, sur base du statut administratif d'une personne
alors même que ce statut administratif a été pris
en considération par cette instance judiciaire et a dû
motiver sa décision de libération ». Le
Gouvernement laisse certes entendre que les deux ordonnances rendues
le 14 février 2003 n'étaient pas conformes à la
loi interne et à l'interprétation qui en a été
donnée par les juridictions internes. Si tel était le
cas, on comprend mal pourquoi ces décisions, qui qualifiaient
l'attitude de l'office des étrangers de « voie de
fait », n'ont pas été frappées de
recours. La Cour observe aussi qu'un même constat d'illégalité
avait déjà été précédemment
posé par le président du tribunal de première
instance de Nivelles (paragraphe 54 ci-dessus). Comme l'ont soulevé
les requérants, un tel constat a aussi ultérieurement
été fait, expressément, par la cour d'appel de
Bruxelles et le Comité des droits de l'homme des Nations-Unies
et, en substance, par le Collège des médiateurs
fédéraux.
- On ne saurait dès lors considérer que le
transfert et le maintien en zone de transit a constitué une
application de bonne foi de la législation en matière
d'immigration. Comme la Cour l'a souligné
dans l'arrêt Bozano
précité, il arrive aux organes d'un Etat contractant de
commettre de bonne foi des irrégularités ; dans un
tel cas, même la constatation ultérieure du manquement
par un juge peut ne pas rejaillir, en droit interne, sur la validité
des mesures de mise en œuvre prises dans l'intervalle. Il en va
autrement si les autorités avaient, dès le départ,
conscience de transgresser la législation en vigueur, en
particulier si leur décision initiale se trouvait entachée
de détournement de pouvoir (ibidem
et Gebremedhin [Gaberamadhian] c. France (déc.),
no 25389/05, § 56, 10 octobre 2006).
Or, en l'espèce, il apparaît que la décision de
placement en zone de transit était manifestement contraire aux
arrêts des 30 janvier et 3 février 2003
et que l'Office des étrangers avait sciemment outrepassé
ses pouvoirs.
- La Cour rappelle aussi qu'au regard de sa
jurisprudence, un lien doit exister entre, d'une part, le motif
invoqué pour la privation de liberté autorisée
et, de l'autre, le lieu et le régime de détention
(Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c.
Belgique, no
13178/03, § 53, 12 octobre 2006, ainsi que, mutatis
mutandis, Aerts c. Belgique, arrêt du 30 juillet
1998, Recueil 1998-V, pp. 1961-1962, § 46, et autres
références y figurant). La Cour note à cet égard
qu'il est clair, depuis les premiers rapports du CPT – auxquels
le Gouvernement s'est référé pour expliquer la
création du Centre « INADS » – et
l'ordonnance de référé du Tribunal de Première
Instance de Bruxelles du 25 juin 1993 – mentionné
dans le rapport du CPT de 1994 (paragraphe 55 ci-dessus) – que
la zone de transit ne constitue pas un lieu de séjour
approprié, si l'on excepte le centre « INADS »
qui ne se révèle adéquat que pour un séjour
ne dépassant pas « quelques jours »
(Rapport de 1997, § 66). Or, les requérants se
trouvèrent, à partir du 3 février 2003, en zone
de transit livrés à eux-mêmes, sans
accompagnement humanitaire et social d'aucune sorte. En effet, le
second requérant a été placé dans la zone
de transit, sans aucune explication sur l'existence, le
fonctionnement et l'emplacement du centre « INADS »
où un accueil plus adapté aurait pu lui être
assuré. Le premier requérant, qui avait été
placé à l'origine dans la même situation, n'a
obtenu des renseignements sur son existence et n'y a été
conduit qu'après avoir fait part de sa situation aux
fonctionnaires du poste d'inspection frontière. Si ce
requérant soutient que quelques heures après y avoir
été accepté, il fut reconduit en zone de transit
avec pour instruction de s'y débrouiller seul, le Gouvernement
expose qu'il y aurait séjourné jusqu'au 3 février
2003. Même en acceptant la version du Gouvernement, il n'en
reste pas moins qu'après la tentative d'éloignement du
3 février 2003, il fut reconduit en zone de transit sans que
quiconque s'inquiète de son sort ultérieur. La Cour
examinera plus en détail cette situation dans le cadre de son
examen du grief fondé sur l'article 3 de la Convention. Il
faut aussi tenir compte, à cet égard, du fait que ces
mesures de détention s'appliquaient à des
ressortissants étrangers qui, le cas échéant,
n'avaient commis d'autres infractions que celles liées au
séjour.
- La Cour observe aussi que le Gouvernement est resté
en défaut d'expliquer sur quelle base légale se fondait
le transfert et le maintien en zone de transit. La Cour estime que le
fait de « détenir » un individu dans
cette zone durant une période indéterminée et
imprévisible sans que cette détention se fonde sur une
disposition légale concrète ou sur une décision
judiciaire valable et avec des possibilités de contrôle
judiciaire limités vu les difficultés de contact
permettant un accompagnement juridique concret, est en soi contraire
au principe de la sécurité juridique, qui est implicite
dans la Convention et qui constitue l'un des éléments
fondamentaux de l'Etat de droit (voir, mutatis mutandis,
Shamsa, précité, § 58 ; Ječius,
précité, § 62, et Baranowski,
précité, §§ 54-57).
- S'agissant du placement à Merksplas, de sérieux
doutes quant à la légalité de cette troisième
période de détention peuvent, aux yeux de la Cour, être
tirés du constat de l'illégalité de la deuxième
période par les juridictions internes. En outre, les
ordonnances du 14 février 2003 indiquaient clairement, en se
fondant sur l'autorité de la chose jugée et les
dispositions de la loi du 15 décembre 1980, que tant que les
requérants ne seraient pas refoulés, l'Etat devait leur
permettre de circuler librement sur le territoire, sauf si le
Ministère décidait de leur enjoindre de résider
en un lieu déterminé. Or, alors que l'Etat se refusait
clairement à procéder à l'exécution
forcée des décisions de rapatriement et espérait
un départ volontaire malgré les échecs
antérieurs, il a poursuivi la détention sous d'autres
titres, sans faire usage de la possibilité que lui offrait
l'article 73 de la loi du 15 décembre 1980 auquel se
référaient les ordonnances. La détention à
Merksplas a donc été ordonnée en totale
méconnaissance des ordonnances précitées, qui
n'ont fait l'objet d'aucun recours. La Cour a maintes fois rappelé
que la mise en œuvre des décisions judiciaires
définitives est essentielle dans un Etat qui respecte la
prééminence du droit (Pedovič c. République
Tchèque, no 27145/03, § 112, 18 juillet
2006).
- En conclusion, la Cour estime que la détention
des requérants, telle qu'elle s'est poursuivie après le
3 février 2003, n'était pas « régulière »
au sens de l'article 5 § 1 de la Convention. Dès lors, il
y a eu violation de cette disposition.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3
DE LA CONVENTION
- Les requérants allèguent avoir subi de
la part des autorités belges des traitements inhumains et
dégradants au mépris de l'article 3 de la Convention.
Ils exposent d'une part qu'ils ont été laissés
pendant plus de dix jours en zone de transit sans aucun
accompagnement juridique et social, sans aucun moyen de subsistance,
sans hébergement ou commodités pour dormir ou se laver
et aucun lieu où mener une vie privée, sans accès
à des moyens de communication, sans possibilité de
recevoir une visite et sans aucune possibilité de contrôle
des conditions de détention par des organismes extérieurs
et indépendants. D'autre part, ils ont été
battus à plusieurs reprises et insultés. Ils invoquent
l'article 3, qui dispose :
« Nul ne peut être soumis à la
torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants. »
A. Sur l'exception de non-épuisement des voies
de recours internes
- Le Gouvernement est d'avis que les requérants
n'ont pas épuisé les voies de recours internes en ce
qui concerne les brutalités et vexations qu'ils auraient
subies de la part des policiers faute d'avoir déposé
plainte avec constitution de partie civile. L'enquête
judiciaire qui devait être ouverte à la suite de
pareille plainte aurait pu aboutir à la saisine des
juridictions répressives devant lesquelles les requérants
auraient pu obtenir une « adéquate réparation »
(Slimani c. France,
no 57671/00,
27 juillet 2004) de leurs dommages matériel
et moral. Le Gouvernement insiste sur le fait que, depuis l'entrée
en vigueur de la loi du 14 juin 2002, les actes de torture, de
traitement inhumain et de traitement dégradant sont punis
expressément en droit belge et que des peines aggravées
sont prévues pour les infractions commises par un officier, un
fonctionnaire public, un dépositaire ou un agent de la force
publique agissant à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.
Le Gouvernement constate aussi que les requérants ne se sont
jamais plaints, devant les autorités – et notamment le
« Comité P », un organe spécialisé
de contrôle des forces de police, indépendant et externe
des services de police, placé sous le contrôle du
Parlement – ou devant les juridictions internes, des coups et
brutalités qu'ils allèguent avoir subis de la part de
la police. Il constate qu'il n'y a eu, concernant l'ensemble des
faits allégués au titre de l'article 3 de la
Convention, qu'un courrier du 3 février 2003 du premier
requérant adressé au ministre de l'Intérieur
exposant qu'il était resté trois jours sans boire ni
manger dans la zone de transit.
- Les requérants combattent les thèses
avancées par le Gouvernement. Ils sont d'avis que la plainte
avec constitution de partie civile ne pouvait constituer un remède
adéquat car elle n'aurait pu conduire qu'a posteriori à
la condamnation des agents de l'Etat mis en cause, mais n'aurait pas
permis de faire cesser la violation de l'article 3 en mettant fin à
la détention illégale et aux mauvais traitements
consécutifs à celle-ci. Ils mettent aussi en cause
l'accessibilité de cette voie de recours, rappelant qu'ils
vivaient reclus dans une zone de non-droit, tentant d'échapper,
dans la zone de transit, aux autorités qui les ont soumis aux
mauvais traitements et faisaient pression pour qu'ils quittent le
territoire. Dans la présente affaire, les personnes en cause
étaient clairement dissuadées d'utiliser les voies de
recours prévues par la loi et l'introduction d'une plainte
était nettement découragée, puisque chaque
contact avec les autorités augmentait le risque d'un
éloignement forcé.
- La Cour constate que les requérants ont
expressément soulevé avoir été violemment
frappés et battus lors de leur séjour en zone de
transit par certains membres de la police fédérale,
dans leurs citations du 11 février 2003 à
comparaître devant le président du tribunal de première
instance de Bruxelles, siégeant en référé.
Ce magistrat n'a cependant pas spécifiquement examiné
ce grief, estimant que les autres faits invoqués suffisaient à
faire droit à la demande des requérants. Il est rappelé
qu'un requérant doit avoir fait un usage normal des recours
internes vraisemblablement efficaces et suffisants et que, lorsqu'une
voie de recours a été utilisée, l'usage d'une
autre voie dont le but est pratiquement le même n'est pas exigé
(Wójcik c. Pologne, no 26757/95, décision
de la Commission du 7 juillet 1997, Décisions et rapports (DR)
90, p. 24 ; Günaydin c. Turquie (déc.),
no 27526/95, 25 avril 2002 ; Moreira Barbosa
c. Portugal (déc.), no 65681/01, 29
avril 2004).
- La Cour estime, eu égard aux circonstances de
la cause, qu'il serait excessif de demander aux requérants
d'introduire les voies de recours mentionnées par le
Gouvernement, alors qu'ils ont dénoncé les violations
alléguées au cours de procédures en référé,
où il a été fait droit à leur demande. Ce
faisant, ils ont fait usage d'une voie de recours vraisemblablement
efficace et suffisante et le seul fait que le juge des référés
n'a pas estimé devoir avoir égard aux allégations
de brutalités pour prendre la décision demandée
par les requérants ne saurait avoir pour conséquence de
les obliger à dénoncer à nouveau ces faits
litigieux en utilisant une autre voie de recours.
- La Cour rejette ainsi cet aspect de l'exception du
Gouvernement.
- Dans la mesure où l'exception du Gouvernement
viserait aussi les allégations concernant l'attitude des
forces de police lors du transfert à Merksplas et de leur
éloignement, la Cour relève qu'ils
n'ont pas repris ces griefs lors de l'audience devant la Cour, qui
n'aperçoit aucune raison d'examiner ceux ci d'office
(voir, par exemple, Stallinger
et Kuso c. Autriche,
arrêt du 23 avril 1997, Recueil
1997-II, p. 680, § 52). Il n'y a donc plus lieu d'examiner
l'exception qui pourrait être soulevée à cet
égard.
B. Sur le fond
- Les requérants précisent qu'en zone de
transit, ils ont été victimes de mauvais traitements
physiques et psychologiques, y étant restés sans aucun
accompagnement juridique et social, sans aucun moyen de subsistance
(nourriture ou boisson), sans hébergement, commodités
ou lieu pour dormir. Ils n'avaient pas d'autres lieux que les
sanitaires publics de l'aéroport pour se laver, n'avaient ni
vêtements pour se changer, ni produits d'hygiène et
n'avaient aucun lieu où mener une vie privée. Ils
n'avaient pas non plus accès à des moyens de
communication ni aucun moyen pour contacter l'extérieur et
notamment leur avocat, une ONG, une organisation internationale ou un
médecin. Ils étaient aussi sans possibilité de
recevoir une visite ou de faire contrôler les conditions de
détention par des organismes extérieurs et
indépendants. Cette situation contraste avec celle des centres
fermés où toute une série de droits sont
reconnus aux étrangers par un arrêté royal du 2
août 2002 qui leur garantit assistance individuelle, médicale,
psychologique et sociale. Les conditions matérielles en zone
de transit sont utilisées pour exercer une pression
psychologique destinée à pousser au départ. Les
décisions rendues le 14 février 2003 et divers rapports
constatent que, dans cette zone, les conditions de vie avilissent les
personnes et provoquent des sentiments d'infériorité et
d'anxiété propres à diminuer et vaincre la force
de résistance physique et morale, constituant un traitement
inhumain et dégradant.
- Le Gouvernement note d'abord que le séjour des
requérants en zone de transit, d'une durée limitée
à quinze jours pour le premier requérant et à
onze jours pour le deuxième requérant, leur est
totalement imputable. En effet, ils ont à plusieurs reprises
refusé d'embarquer à bord d'avions sur lesquels une
place leur avait été réservée. Arrivé
en même temps que le premier requérant, A. a, pour sa
part, quitté la Belgique le 8 février 2003. En refusant
de se conformer aux décisions de refoulement confirmées
par le Commissaire général, les requérants sont
à la seule origine de la durée de leur séjour en
zone de transit et de la prétendue incertitude liée à
leur situation (Mogos, précité ;
Ghiban c. Allemagne (déc.), no 20420/02,
16 septembre 2004 ;
Matencio c. France, no
58749/00, 15 janvier 2004).
- Le Gouvernement soutient aussi que les requérants
n'étaient pas sans ressources en zone de transit puisque leurs
bagages et affaires personnelles leur avaient été remis
à leur sortie du Centre fermé de Bruges. S'agissant du
premier requérant, un rapport du Centre de Bruges relatif aux
sommes d'argent déposées par l'intéressé
précisait qu'à sa sortie, il a été mis en
possession d'une somme d'argent de 250 USD et de 1 000 livres
libanaises. Pour sa part, le deuxième requérant a été
mis en possession d'une somme de 15 EUR et 20 centimes, selon le
rapport du Centre de Bruges relatif aux sommes d'argent déposées.
Les mouvements d'argent mentionnés dans les différents
rapports figurant au dossier de ce requérant montrent qu'il
disposait certainement de davantage de moyens : à son
arrivée en Belgique, il mentionnait être en possession
de 45 EUR ; à son entrée au Centre de Bruges, il
déposait 81 EUR et 94 centimes et lorsqu'il a quitté le
territoire belge, il était en possession de 150 EUR. Ce
requérant n'était, en outre, pas seul en zone de
transit puisqu'il y a rejoint les deux autres ressortissants
palestiniens qui y avaient été transférés
le 30 janvier 2003 (le premier requérant et Ab.), dont il
s'est immédiatement inquiété. Ce montant doit
être considéré comme étant le montant
minimum en possession des intéressés. Aucune obligation
n'est, en effet, imposée aux résidents de remettre la
totalité de l'argent en leur possession en dépôt.
Il leur est conseillé de procéder de la sorte
afin de se protéger de vols éventuels.
- En outre, les personnes qui se trouvent en zone de
transit en vue d'un éloignement ont également la
possibilité de se faire distribuer des repas via les services
de contrôle, une pratique confirmée par une circulaire
du 31 octobre 2003. Dès le 1er février
2003, le premier requérant a été informé
de la possibilité d'être logé et nourri sur une
base volontaire dans le Centre « INADS » et y a
séjourné du 1er février au 3 février
2003 selon un rapport de ce centre (le gouvernement rappelle aussi
que, pour sa part, Ab. a séjourné au centre « INADS »
depuis son arrivée en zone de transit, en même temps que
le premier requérant, jusqu'à son départ
volontaire le 8 février 2003). De l'avis du Gouvernement, les
requérants se trouvent donc à l'origine de la situation
dont ils se plaignent et ils ne peuvent faire grief à l'Etat
belge de ne pas avoir usé des possibilités qui leur
étaient offertes.
- Le Gouvernement relève encore qu'en ce qui
concerne les contrôles effectués par les forces de
police dans la zone de transit, les requérants n'apportent
aucun élément qui conduirait à considérer
que ces contrôles auraient été excessifs, voire
qu'ils auraient eux-mêmes été plus
particulièrement visés par ces contrôles. La zone
de transit de l'aéroport de Bruxelles-National est
indéniablement une zone à risque, particulièrement
en raison de l'augmentation ces dernières années des
risques d'attentat, ce qui implique que des contrôles réguliers
y soient effectués et que des garanties soient prises quant à
l'accès au territoire belge, conformément aux
engagements de la Belgique à l'égard des Etats Schengen
et des Etats membres de l'Union européenne. Rien ne montre une
systématisation particulière des contrôles à
l'égard des requérants ou que des violences auraient
été commises à l'occasion de ces contrôles.
Le premier requérant n'a d'ailleurs déposé
aucune plainte entre les mains des autorités compétentes
et n'a transmis aucun certificat médical attestant des
éventuels coups et blessures qu'il aurait subis.
- S'agissant du deuxième requérant, le
Gouvernement constate aussi que la lettre du 19 février 2003
de l'avocat des deux requérants ne fait nullement état
des coups et blessures qui lui auraient prétendument été
portés lors du transit du 15 février 2003.
- La Cour rappelle tout d'abord que les Etats
contractants ont, en vertu d'un principe de droit international bien
établi et sans préjudice des engagements découlant
pour eux de traités internationaux y compris la Convention, le
droit de contrôler l'entrée, le séjour et
l'éloignement des non-nationaux. Toutefois, lorsqu'ils
exercent leur droit d'expulser pareilles personnes, ils doivent avoir
égard à l'article 3 de la Convention, qui consacre
l'une des valeurs fondamentales de toute société
démocratique.
- La Cour a jugé un traitement « inhumain »
au motif notamment qu'il avait été appliqué avec
préméditation pendant des heures et qu'il avait causé
soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances
physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré
qu'un traitement était « dégradant »
en ce qu'il était de nature à inspirer à ses
victimes des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité
propres à les humilier et à les avilir (voir, par
exemple, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §
92, CEDH 2000-XI). En recherchant si une forme particulière de
traitement est « dégradante » au sens de
l'article 3, la Cour examinera si le but était d'humilier et
de rabaisser l'intéressé et si, considérée
dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de
celui-ci d'une manière incompatible avec l'article 3
(Albert et Le Compte c. Belgique, arrêt du 10 février
1983, série A no 58, p. 13, § 22).
Toutefois, l'absence d'un tel but ne saurait exclure de façon
définitive le constat de violation de l'article 3 (voir, par
exemple, Peers c. Grèce, no 28524/95, §
74, CEDH 2001 III, et Kalashnikov c. Russie, no
47095/99, § 101, CEDH 2002-VI). La souffrance et l'humiliation
infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles
que comporte inévitablement une forme donnée de
traitement ou de peine légitimes. A cet égard, le
caractère public de la sanction ou du traitement peut
constituer un élément pertinent et aggravant (voir, par
exemple, Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre
1997, Recueil 1997-VIII, pp. 2821-2822, § 55).
Toutefois, il peut fort bien suffire que la victime soit humiliée
à ses propres yeux, même si elle ne l'est pas à
ceux d'autrui (voir Tyrer c. Royaume-Uni, arrêt du 25
avril 1978, série A no 26, § 32, Smith et
Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, §
120, CEDH 1999 VI, et Erdogan Yagiz c. Turquie, no
27473/02, § 37, 6 mars 2007).
- La Cour rappelle également que, selon sa
jurisprudence, pour tomber sous le coup de l'article 3 un mauvais
traitement doit atteindre un minimum de gravité.
L'appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend
de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée
du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que,
parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé
de la victime (voir, parmi d'autres, Irlande c. Royaume-Uni,
arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, p.
65, § 162).
- Pour cette appréciation, il faut tenir compte
« de ce que la Convention est un « instrument
vivant à interpréter à la lumière des
conditions de vie actuelles », et de ce que le niveau
d'exigence croissant en matière de protection des droits de
l'homme et des libertés fondamentales implique parallèlement
et inéluctablement, une plus grande fermeté dans
l'appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des
sociétés démocratiques » (Mubilanzila
Mayeka et Kaniki Mitunga, précité,
§ 48, et, mutatis
mutandis, Selmouni c. France [GC], arrêt du 28
juillet 1999, § 101, Recueil 1999-V).
- La Cour rappelle que les placements en zone de transit
ont constitué une détention au sens de l'article 5 de
la Convention. La tâche de la Cour se limite à l'examen
de la situation personnelle des requérants ayant subi la
privation de liberté (Aerts, précité, pp.
1958-1959, §§ 34-37). Pour apprécier si pareilles
mesures peuvent tomber sous le coup de l'article 3 dans une affaire
donnée, il y a lieu d'avoir égard aux conditions de
l'espèce, à la sévérité de la
mesure, à sa durée, à l'objectif qu'elle
poursuit et à ses effets sur la personne concernée (Van
der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 51, 4 février
2003 ; voir aussi Dhoest c. Belgique, requête no
10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987, DR 55, pp. 20-21,
§§ 117-118).
- Les mesures privatives de liberté
s'accompagnent inévitablement de souffrance et d'humiliation.
S'il s'agit là d'un état de fait inéluctable
qui, en tant que tel et à lui seul n'emporte pas violation de
l'article 3, cette disposition impose néanmoins à
l'Etat de s'assurer que toute personne privée de liberté
est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de
la dignité humaine, que les modalités de sa détention
ne le soumettent pas à une détresse ou à une
épreuve d'une intensité qui excède le niveau
inévitable de souffrance inhérent à une telle
mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de
l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés
de manière adéquate (voir, par exemple, Poltoratski
c. Ukraine, no 38812/97, § 132, 29
avril 2003 ; Mouisel c. France, no 67263/01, §
40, CEDH 2002-IX ; Kudla, précité,
§§ 92-94) ; en outre, les mesures prises dans le cadre
de la détention doivent être nécessaires pour
parvenir au but légitime poursuivi (Frérot c.
France, no 70204/01, § 37, 12 juin 2007 ;
Ramirez Sanchez c. France [GC], no
59450/00, § 119, CEDH 2006-...).
- A cet égard, la Cour relève que la
privation de liberté des requérants se fondait sur le
seul fait qu'ils n'étaient pas en possession d'un titre de
séjour régulier. Si les Etats sont autorisés à
placer en détention des immigrés potentiels en vertu de
leur « droit indéniable de contrôler
(...) l'entrée et le séjour des étrangers sur
leur territoire » (Amuur, précité, §
41), ce droit doit s'exercer en conformité avec les
dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche
(déc.), no 74762/01, 8 décembre 2005). La
Cour doit avoir égard à la situation particulière
de ces personnes lorsqu'elle est amenée à contrôler
les modalités d'exécution de la mesure de détention
à l'aune des dispositions conventionnelles. Ceci étant,
la Cour tient à rappeler que l'article 3 prohibe en termes
absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou
dégradants, quels que soient les circonstances ou les
agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie
[GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV).
- La Cour relève d'emblée que dans la
présente affaire, les requérants furent amenés
en zone de transit en exécution des arrêts ordonnant
leur remise en liberté des 30 janvier et 3 février
2003, sans que l'Office des étrangers, responsable de ce
transfert, ne s'inquiète qu'ils y bénéficieraient
d'un accompagnement adéquat (paragraphe 77 ci-dessus). La Cour
rappelle que le second requérant a soutenu, sans que ce fait
soit contesté par le Gouvernement, qu'il a été
placé dans la zone de transit, sans aucune explication sur
l'existence, le fonctionnement et l'emplacement du centre « INADS »
où un accueil plus adapté aurait pu lui être
assuré pour un temps. Pour sa part, le premier requérant,
qui avait été placé à l'origine dans la
même situation, n'a obtenu des renseignements sur la
possibilité d'accueil au centre « INADS »
et n'y a été conduit qu'après avoir fait part de
sa situation aux fonctionnaires du poste d'inspection frontière.
Après y avoir séjourné quelques heures ou
quelques jours, il se retrouva, au plus tard après la
tentative d'éloignement du 3 février 2003, en zone de
transit sans que quiconque s'inquiète de son sort ultérieur.
La lettre envoyée au ministre de l'Intérieur par
l'avocate du premier requérant pour dénoncer sa
situation, n'a pas non plus provoqué de réaction de
cette autorité. Enfin, alors qu'il est clair que les
requérants ont été régulièrement
contrôlés au cours de leur séjour en zone de
transit, il apparaît que les personnes qui ont effectué
ces contrôles ne se sont jamais inquiétées de
leur situation.
- La Cour ne saurait souscrire à l'argument du
Gouvernement selon lequel les requérants avaient la
possibilité de se faire héberger sur base volontaire au
centre « INADS ». Il y a, d'une part, le fait
que cette possibilité n'a jamais été évoquée
dans la cadre des débats devant le président du
tribunal de première instance qui examina la situation des
requérants au regard de l'article 3. Elle n'est pas non plus
évoquée dans l'arrêt du 29 septembre 2005 et
dans les rapports et observations évoqués au paragraphe
précédent, bien que ces documents ne sont rédigés
qu'à l'issue de procédures ayant un caractère
contradictoire. La Cour ne peut, d'autre part, que s'étonner
de l'attitude de l'Office des étrangers lors du transfert en
zone de transit. Alors que ce dernier est pourtant à l'origine
du transfert et que le centre « INADS » est
selon le rapport du CPT de 1997 géré par cet Office, il
n'a pas placé – ou fait placer – les requérants
dans ce centre, mais dans une autre partie de cette zone. Or, il
ressort des explications données par les parties que si ce
centre se trouve dans l'enceinte de la zone de transit de l'aéroport
de Bruxelles-National, il est plus précisément situé
à un étage inférieur, au bout de la « jetée
B » du nouveau terminal. Il n'apparaît donc pas
qu'il soit d'un accès aisé, surtout pour une personne
étrangère récemment arrivée dans le pays
et peu préparée à s'orienter dans un aéroport
international. Les rapports et observations évoqués
ci-avant montrent qu'il ne s'agit pas d'actes isolés de cette
administration et apportent du crédit à l'assertion des
requérants selon laquelle le but de l'Office des étrangers
était, en les abandonnant en zone de transit, de les
contraindre à un départ volontaire du pays.
- Il est vrai que le premier requérant a
séjourné au centre « INADS » peu
après son arrivée en zone de transit, un séjour
qui a duré quelques heures ou quelques jours selon les
versions. Il lui était donc, selon le Gouvernement, loisible
d'y retourner en y amenant le second requérant. La Cour ne
saurait accepter cet argument. Ayant pris la responsabilité de
priver les requérants de liberté, l'Etat se devait de
s'assurer que toute cette détention se fasse dans des
conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine.
Il ne pouvait se contenter d'attendre que les requérants
prennent eux-mêmes l'initiative de s'adresser au centre, pour
subvenir à leurs besoins essentiels. Or, la Cour constate que
ceci n'a nullement été la préoccupation des
autorités en l'espèce (paragraphe 101 ci-dessus).
L'ordonnance du 30 novembre 2002, l'arrêt du 29 septembre 2005,
les observations du Comité des droits de l'homme des
Nations-Unies, le rapport annuel 2004 des médiateurs fédéraux
et le rapport du CPT de 2005 démontrent que, loin de se
limiter à la présente affaire, cette façon
d'agir s'est reproduite à suffisamment d'occasions pour
qu'elle se voie qualifier de « pratique » dans
les trois derniers documents.
- La zone de transit n'était pas un lieu
approprié pour la détention que les requérants
ont dû y subir. De par sa nature même, il s'agit d'un
lieu destiné à accueillir des personnes pour de très
courtes durées. Présentant des caractéristiques
pouvant faire naître chez le détenu un sentiment de
solitude, sans accès à l'extérieur pour se
promener ou faire de l'exercice physique, ni structure interne de
restauration, ni contact avec le monde extérieur, la zone de
transit n'est en rien adaptée aux besoins d'un séjour
de plus de dix jours. Le Gouvernement admet d'ailleurs que les
recommandations faites à ce propos par le CPT ont entraîné
la création du centre « INADS » pour
pallier ces insuffisances. Une ordonnance de référé
du président du tribunal de première instance de
Bruxelles du 25 juin 1993, avait déjà constaté
qu'un placement sans accompagnement aucun en zone de transit, « pris
en son ensemble, présente les caractéristiques d'un
traitement dégradant et inhumain ». Elle avait
enjoint à l'Etat de mettre les personnes qui y avaient été
placées « à l'abri des vues du public »
et de mettre à leur disposition, un couchage, des repas, des
installations sanitaires et de leur faire assurer les soins médicaux
indispensables. Le constat du caractère inhumain et dégradant
de cette situation est partagé par l'ordonnance du président
du tribunal de première instance de Nivelles du 30 novembre
2002, les ordonnances rendues dans la présente affaire et
l'arrêt du 29 septembre 2005.
- La Cour tient aussi à noter, de manière
subsidiaire, que même en cas de possibilité d'une prise
en charge au centre « INADS », les conclusions
du rapport du CPT de 1997, confirmées dans le rapport de 2005,
indiquent que ce centre n'est pas adapté pour des séjours
se prolongeant au-delà de quelques jours, alors que les
requérants ont été maintenus plus de dix jours
dans la zone de transit qu'ils n'ont pu quitter qu'à la suite
des ordonnances du 14 février 2003. Pour parvenir à ces
conclusions, le CPT a notamment relevé le caractère
limité des possibilités de visite et l'absence
d'aménagements permettant aux personnes maintenues au centre
de se rendre à l'air frais (voir, mutatis mutandis,
Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, §
146, CEDH 2003-V).
- La Cour juge inacceptable que quiconque puisse être
détenu dans des conditions impliquant une absence totale de
prise en charge de ses besoins essentiels. Le fait que des personnes
travaillant en zone de transit ont subvenu à certains des
besoins des requérants n'enlève rien à la
situation totalement inacceptable que les intéressés
ont manifestement dû endurer.
- Il n'est pas établi qu'il y ait eu
véritablement intention d'humilier ou de rabaisser les
requérants. Toutefois, l'absence d'un tel but ne saurait
exclure un constat de violation de l'article 3 (Peers,
précité). La Cour estime que les conditions de
détention que les requérants ont dû supporter
pendant plus de dix jours n'ont pas manqué de leur causer de
grandes souffrances mentales, de porter atteinte à leur
dignité et de leur inspirer des sentiments d'humiliation et
d'avilissement. A la supposer avérée et dans la mesure
où les requérants en avaient été
informés, la simple possibilité de se faire distribuer
trois repas par jour ne saurait modifier cette conclusion.
- De surcroît, l'humiliation ressentie par les
requérants a été accentuée par le fait
que, ayant obtenu une décision de remise en liberté,
les requérants se sont retrouvés privés de
liberté dans un autre lieu. Selon la Cour, les sentiments
d'arbitraire, d'infériorité et d'angoisse qui ont dû
être associés à cette circonstance s'ajoutent au
degré d'humiliation que comportait l'obligation de vivre dans
un lieu public, sans accompagnement.
- Au vu de ce constat, la Cour n'estime pas nécessaire
d'examiner les brutalités et insultes qu'ils auraient subies
de la part des policiers lors du séjour en zone de transit.
Elle relève d'ailleurs qu'au cours de l'audience tenue le 30
novembre 2006, les requérants ont mis en cause le surcroît
d'humiliation que leur causait l'attitude des policiers au cours des
trop nombreux contrôles et lors des tentatives d'éloignement
dont ils ont fait l'objet. Ils n'ont pas mentionné des faits
d'insultes ou de violence physique, sauf dans le cadre d'un épisode
particulier à propos duquel ils sont restés très
imprécis. Les requérants avaient aussi dans leur
requête à la Cour formulé des allégations
visant l'attitude des forces de police lors du transfert à
Merksplas et de leur éloignement des 5 et 8 mars 2003. La Cour
constate cependant qu'ils n'ont
repris ces griefs ni dans leurs observations écrites ni lors
de l'audience et n'aperçoit dès lors aucune raison
d'examiner ceux-ci d'office.
- Au vu de ce qui précède, la Cour estime
que le fait de maintenir les requérants en détention
pendant plus de dix jours dans le lieu incriminé s'analyse en
un traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 de
la Convention (voir, mutatis mutandis, Kaja c. Grèce,
no 32927/03, 27 juillet 2006, et Dougoz c. Grèce,
no 40907/98, § 48, CEDH 2001-II).
- Dès lors, il y a eu violation de l'article 3
de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE
8 DE LA CONVENTION
- Les requérants soutiennent enfin que leurs
séjours de plus de dix jours en zone de transit sans aucun
moyen de subsistance, hébergement ou commodités a
également violé l'article 8 de la Convention.
- La Cour observe que le grief repose sur les mêmes
faits déjà examinés dans le cadre de l'article
3. Partant, eu égard à sa conclusion précédente
(paragraphe 111 ci-dessus), elle n'estime pas nécessaire
d'examiner séparément le grief sous l'angle de
l'article 8 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
- Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu
violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit
interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour
accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une
satisfaction équitable. »
A. Dommage
- Les requérants allèguent avoir subi un
préjudice moral qu'ils évaluent à 15 000
EUR chacun.
- Le Gouvernement fait valoir que les requérants,
en refusant d'obtempérer aux décisions exécutoires
d'éloignement prises à leur encontre, sont à la
base de la durée de la situation qu'ils dénoncent au
titre des articles 3 et 8 de la Convention. Subsidiairement, il est
d'avis que l'évaluation du préjudice moral devrait se
fonder sur celle faite dans des affaires portant sur des faits
similaire dont les affaires Amuur précitée, où
le constat de violation a été considéré
comme une réparation suffisante du dommage moral, et Shamsa
précitée, où seule une somme de 4 000 EUR a
été octroyée au titre de ce dommage pour des
faits d'une durée plus étendue.
- La Cour estime que les deux requérants ont dû
éprouver une détresse certaine qui ne saurait être
réparée par le seul constat de violation établi
par elle. Eu égard à la nature des violations
constatées en l'espèce et statuant en équité,
la Cour alloue 15 000 EUR à chacun des requérants
à titre de réparation du dommage moral.
B. Frais et dépens
- Les requérants demandent le remboursement des
frais et dépens encourus lors de la procédure devant la
Cour. Ils ont déposé à cet égard un
« Etat de frais et d'honoraires », dans lequel
les frais et dépens calculés au 29 octobre 2006
atteignent 18 064 EUR et les frais et honoraires ultérieurs
sont évalués à 4 700 EUR.
- Le Gouvernement, qui relève que les requérants
ne fournissent aucune pièce justificative à l'appui de
leurs prétentions, soutient que ne sauraient être prises
en compte les sommes relatives aux frais et honoraires exposés
par ou pour le compte des diverses associations. Si celles-ci
figuraient à l'origine parmi les parties requérantes,
une décision d'irrecevabilité, fondée sur
l'incompatibilité ratione personae avec les
dispositions de la Convention, à été rendue à
leur égard par la Cour le 21 septembre 2006. Il estime
aussi manifestement excessif le montant des autres frais et
honoraires réclamés.
- Selon la jurisprudence constante de la Cour,
l'allocation de frais et dépens au titre de l'article 41
présuppose que se trouvent établis leur réalité,
leur nécessité et, de plus, le caractère
raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont
recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à
la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction
équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28
mai 2002). La Cour est d'avis que les demandes formulées
apparaissent sous certains aspects, non établies ou
excessives. Statuant en équité, la Cour alloue 15 000
EUR au titre des frais et dépens Cette somme est à
diminuer du montant accordé par la Cour au titre de
l'assistance judiciaire (soit 1 625,40 EUR).
C. Intérêts moratoires
- La Cour juge approprié de baser le taux des
intérêts moratoires sur le taux d'intérêt
de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l'UNANIMITÉ,
- Rejette les exceptions préliminaires du
Gouvernement ;
- Dit qu'il y a eu violation de l'article 5 de la
Convention ;
- Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la
Convention en raison des conditions de séjour des requérants
en zone de transit ;
- Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner séparément
le grief tiré de l'article 8 de la Convention ;
- Dit
a) que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois
mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu
définitif conformément à l'article 44 § 2
de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros) à
chacun des requérants pour dommage moral et une somme globale
de 13 374,60 EUR (treize mille trois cent soixante-quatorze
euros et soixante centimes) pour frais et dépens, plus tout
montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai
et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un
intérêt simple à un taux égal à
celui de la facilité de prêt marginal de la Banque
centrale européenne applicable pendant cette période,
augmenté de trois points de pourcentage ;
- Rejette la demande de satisfaction équitable
pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le
24 janvier 2008 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du
règlement.
Søren Nielsen Loukis Loucaides
Greffier Président