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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BOUSIOU v. GREECE - 21455/10 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 1037 (24 October 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/1037.html
Cite as: [2013] ECHR 1037

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE BOUSIOU c. GRÈCE

     

    (Requête no 21455/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    24 octobre 2013

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




    En l’affaire Bousiou c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

              Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
              Elisabeth Steiner,
              Khanlar Hajiyev,
              Mirjana Lazarova Trajkovska,
              Julia Laffranque,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Erik Møse, juges,
    et de Søren Nielsen, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er octobre 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE    


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 21455/10) dirigée contre la République hellénique et dont trois ressortissantes de cet Etat, Mmes Vassiliki Bousiou, Anna-Maria Bousiou et Angeliki Bousiou (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 8 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Les requérantes ont été représentées par Me G. Daoutis, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. V. Kyriazopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

  3. .  Les requérantes se plaignent en particulier d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Elles reprochent aux autorités grecques leur refus d’exécuter le jugement qui aurait été prononcé en leur faveur par le tribunal administratif de Patras au sujet de la levée de l’expropriation de leur terrain.

  4. .  Le 14 juin 2012, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Les requérantes sont nées respectivement en 1924, en 1958 et en 1961 et résident à Athènes.

  7. .  Elles sont copropriétaires d’un terrain d’une superficie de 598,80 m² situé sur le territoire de la ville de Patras et figurant sur le plan de la ville.

  8. .  Par une décision du 8 septembre 1983, le ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Habitat et de l’Environnement modifia le plan d’alignement de l’endroit où était situé le terrain des requérantes afin d’y aménager une place publique.

  9. .  N’ayant reçu aucune indemnité et les travaux n’ayant pas eu lieu, le 5 juin 2004, les requérantes demandèrent au ministre susmentionné, au secrétaire général de la région de la Grèce de l’Ouest et au préfet d’Achaïa de lever l’expropriation sur leur terrain et de qualifier celui-ci de terrain constructible. Les deux premiers ne répondirent pas aux requérantes, tandis que le troisième rejeta leur demande par une décision du 20 août 2004.

  10. .  Le 2 novembre 2004, les requérantes saisirent le tribunal administratif de Patras d’une action tendant à l’annulation du refus de l’administration de lever l’expropriation.

  11. .  Par le jugement no 1544/2009 du 31 juillet 2009, le tribunal administratif de Patras annula la décision du préfet du 20 août 2004 et renvoya l’affaire à l’administration afin que celle-ci procédât à la modification du plan d’alignement et levât l’expropriation. Le jugement devint définitif, aucune voie de recours n’ayant été introduite par les autorités.

  12. .  Le jugement fut notifié à l’administration le 8 octobre 2009.

  13. .  Par une lettre du 16 décembre 2009, la direction de l’urbanisme de la ville de Patras invita les requérantes à lui présenter un dossier de modification du plan d’alignement en vue de la levée de l’expropriation. Ce dossier devait inclure une proposition de modification du plan d’alignement faite par un ingénieur de leur choix, des rapports techniques concernant les règles d’urbanisme du secteur, des extraits du cadastre, ainsi que leurs titres et certificats de propriété.

  14. .  Le 12 mars 2012, les requérantes saisirent le comité de trois membres du tribunal administratif de Patras d’une demande tendant à obliger les autorités préfectorales d’Achaïa à se conformer au jugement no 1544/2009. Elles soulignaient que la demande de la direction de l’urbanisme était contraire aux motifs et dispositif du jugement qui, selon elles, ne leur imposait pas d’entreprendre des démarches incombant aux autorités publiques. De leur côté, les autorités soutenaient que les dispositions de l’article 154 § 7 du décret présidentiel du 14 juillet 1999 et de l’article 32 § 1 de la loi no 4067/2012 (paragraphes 20-21 ci-dessous) devaient s’appliquer aux requérantes.

  15. .  Par une décision du 31 décembre 2012, le comité susmentionné constata que l’administration ne s’était pas conformée au jugement no 1544/2009 et il invita celle-ci à le faire dans un délai de trois mois.

  16. .  Plus particulièrement, le comité précisa que les dispositions précitées, qui concernaient la modification d’un plan d’alignement à la demande d’un particulier, ne s’appliquaient pas dans les situations où, comme en l’espèce, pareille modification s’imposait à l’administration à la suite d’une décision de justice. Dans ce cas, aux dires du comité, l’obligation du particulier se limitait à communiquer les éléments en sa possession (en l’occurrence, le relevé topographique portant indication de la superficie du terrain et les titres de propriété). Le comité ajouta que cette obligation n’exigeait pas que le particulier soumît une proposition de modification du plan ou des éléments qui, selon lui, étaient à la disposition des différents services de l’Etat et que l’administration devait obtenir elle-même.

  17. .  Le comité conclut que, compte tenu du fait qu’aucune procédure n’avait été engagée pour modifier le plan d’alignement au cours des trois années ayant suivi le jugement du tribunal administratif de Patras, l’administration avait accusé un retard injustifié pour se conformer à ce jugement.

  18. .  De surcroît, les requérantes indiquent s’être rendues à six reprises, entre le 15 octobre 2009 et début avril 2012, à la direction de l’urbanisme de Patras et au service juridique de la mairie de Patras, pour demander l’exécution du jugement no 1544/2009.
  19. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  20. .  Selon l’article 95 § 5 de la Constitution hellénique, telle que modifiée en avril 2001, l’administration est tenue de se conformer aux décisions de justice.

  21. .  Le 14 novembre 2002, la loi no 3068/2002 sur l’exécution des décisions de justice par l’administration entra en vigueur (Journal officiel no 274/2002). Elle fut par la suite amendée par la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Elle dispose entre autres que l’administration a l’obligation de se conformer sans tarder aux décisions de justice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter lesdites décisions (article 1). Cette loi prévoit la création de comités de trois membres au sein des hautes juridictions helléniques (Cour suprême spéciale, Cour de cassation, Conseil d’Etat et Cour des comptes) et des juridictions administratives ordinaires, chargés de contrôler la bonne exécution, par l’administration, des décisions de leurs juridictions respectives dans un délai qui ne peut dépasser trois mois (à titre exceptionnel, ce délai peut être prorogé une seule fois). Ces comités peuvent notamment désigner un magistrat pour assister l’administration en proposant à celle-ci, entre autres, les mesures lui permettant de se conformer à la décision en question. Si l’administration n’exécute pas une décision dans le délai imparti par un tel comité, elle se voit imposer des pénalités, lesquelles peuvent être renouvelées tant qu’elle ne s’est pas conformée à la décision (article 3). Des mesures disciplinaires peuvent également être prises contre les agents de l’administration qui sont à l’origine du défaut d’exécution (article 5). Les dispositions de la loi no 3068/2002 s’appliquent aux décisions rendues après son entrée en vigueur (article 6).

  22. .  L’article 32 (procédure de modification des plans d’alignement déjà approuvés à la suite de la levée d’une expropriation ou d’un blocage du bien) de la loi no 4067/2012 (nouveau règlement du bâtiment) dispose :
  23. « 1. La modification des plans d’alignement déjà approuvés à la suite d’une levée d’office d’une expropriation ou en exécution d’une décision de justice levant l’expropriation ou le blocage d’une propriété s’effectue selon la procédure prévue à l’article 154 du décret présidentiel du 14 juillet 1999 (...)

    La procédure de modification [des plans d’alignement] débute par le dépôt d’une demande auprès de la commune du lieu où est situé le bien ou auprès du service compétent par le propriétaire du bien dont l’expropriation ou le blocage a été levé. La demande doit être accompagnée des documents suivants :

    a) un certificat attestant la levée d’office de l’expropriation ou du blocage du bien, ou la décision du tribunal compétent ;

    b) des copies certifiées conformes des titres de propriété, des certificats de non-inscription de revendication par des tiers ou des éléments du livre foncier devenus définitifs, ainsi qu’une déclaration de propriété dans le cas où elle est exigée ;

    c) les relevés topographiques et avis des services compétents requis par les dispositions urbanistiques en vigueur, ainsi que, le cas échéant, toutes autres études nécessaires (...), accompagnés d’un rapport technique justifiant la demande de modification du plan d’alignement. »


  24. .  L’article 154 (procédure d’approbation, de révision ou de modification du plan de la ville) du décret présidentiel du 14 juillet 1999 se lit ainsi :
  25. « (...)

    6. Aucune demande de modification d’un plan déjà approuvé ne doit être soumise à l’autorité compétente lorsque celui qui la propose ne précise pas de manière complète et claire (...) si la modification affecte des bâtiments érigés ou des terrains délimités sur la base du plan susmentionné ou si elle rend non constructibles des terrains constructibles, et, dans l’affirmative, si la demande ne désigne pas les bâtiments affectés. La mairie ou la commune qui adopte la modification proposée est tenue d’indiquer les mêmes précisions.

    7. Les particuliers qui demandent la modification d’un plan d’alignement sont tenus de faire établir eux-mêmes, à leurs frais et avec diligence, les éléments mentionnés au paragraphe précédent et de les fournir à l’autorité compétente (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  26. .  Les requérantes reprochent aux autorités grecques leur refus d’exécuter le jugement, qui aurait été prononcé en leur faveur par le tribunal administratif de Patras au sujet de la levée de l’expropriation de leur terrain. Elles invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :
  27. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité


  28. .  Dans ses observations supplémentaires relatives à l’application de l’article 41 de la Convention, le Gouvernement invite la Cour soit à rejeter la Requête pour non-épuisement des voies de recours internes soit à la déclarer irrecevable en raison de son caractère abusif. En premier lieu, le Gouvernement soutient que les requérantes n’ont pas épuisé les voies de recours internes car, alors qu’elles auraient eu à leur disposition un recours, à savoir la saisine du comité de trois membres du tribunal administratif de Patras, elles ne l’auraient utilisé que plus d’un an après l’introduction de leur Requête devant la Cour. En deuxième lieu, le Gouvernement soutient, en invoquant la jurisprudence Hadrabova et autres c. République tchèque (déc.) (no 42165/02 et 466/03, 25 septembre 2007) et Predescu c. Roumanie (no 21447/03, §§ 25-27, 2 décembre 2008), que les requérantes ont manqué à leur devoir d’informer la Cour de tout fait pertinent pour l’examen de leur Requête. Il précise qu’elles ne mentionnent nullement la décision dudit comité dans leurs observations, mais qu’elles s’y réfèrent uniquement dans leurs documents annexes déposés à la Cour.

  29. .  En ce qui concerne la première exception, la Cour rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle la loi no 3068/2002 n’était pas suffisante pour remédier à une situation de non-exécution, car le mécanisme qu’elle mettait en place n’était pas de nature à entraîner avec certitude l’exécution d’une décision de justice à la suite du refus de l’administration de s’y conformer (voir, parmi plusieurs autres, Kanellopoulos c. Grèce, no 11325/06, §§ 20-21, 21 février 2008, Panagiotis Gikas et Georgios Gikas c. Grèce, no 26914/07, §§ 30-31, 2 avril 2009, et Matthaiou et autres c. Grèce, no 17556/08, § 19, 18 février 2010). Cette loi a été amendée par la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, de manière à étendre le contrôle par les comités de trois membres à tous les degrés des juridictions administratives. Ainsi, les requérantes ne pouvaient pas saisir le comité de trois membres du tribunal administratif de Patras entre le jugement du tribunal administratif et jusqu’à cette date, puisque ce comité n’était pas encore créé. Autrement dit, au moment de l’introduction de la Requête, en avril 2010, le recours invoqué par le Gouvernement n’existait pas. Par ailleurs, les requérantes ont saisi le comité compétent le 31 mars 2012. Le fait que quinze mois se sont écoulés entre l’entrée en vigueur de la loi et la saisine du comité ne modifie pas la situation au regard du principe de l’épuisement des voies de recours internes.

  30. .  Il convient donc de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement.

  31. .  Quant à la deuxième exception, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 47 § 6 du règlement il incombe au requérant d’« informer la Cour de tout changement d’adresse et de tout fait pertinent pour l’examen de sa Requête ». Elle rappelle ensuite qu’une Requête peut être rejetée en raison de son caractère abusif, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, si elle a été sciemment fondée sur des faits controuvés (Varbanov c. Bulgarie, n31365/96, § 36, CEDH 2000-X ; Řehák c. République tchèque (déc.), no 67208/01, 18 mai 2004 ; Popov c. Moldova (no 1), no 74153/01, § 48, 18 janvier 2005, et Kérétchachvili c. Géorgie (déc.), no 5667/02, 2 mai 2006). Une information incomplète et donc trompeuse peut également être qualifiée d’abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le cœur de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante son manquement à divulguer les informations pertinentes (Poznanski et autres c. Allemagne (déc.), no 25101/05, 3 juillet 2007).

  32. .  Or, en l’espèce, aucune de ces conditions ne se trouve remplie. La saisine du comité de trois membres du tribunal administratif de Patras n’est pas un fait controuvé et l’information fournie tardivement par les requérantes sur ce point ne peut être considérée comme étant de nature à tromper la Cour sur un élément essentiel pour l’examen de la Requête. La présente Requête doit, de ce fait, être distinguée de l’affaire Predescu (précitée), dans laquelle le requérant avait délibérément dissimulé un élément essentiel à l’examen de la Requête, élément qui avait été porté à la connaissance de la Cour par une autre source. La Cour estime aussi devoir distinguer la présente affaire de la Requête Hadrabova et autres (précitée), rejetée comme abusive car les requérants s’étaient, dans cette dernière affaire, explicitement référés aux négociations intervenues en vue d’un règlement amiable.

  33. .  En l’espèce, la Cour observe que les requérantes l’ont informée de la saisine du comité susmentionné dans leurs observations en réponse à celles du Gouvernement, qui a pu ultérieurement en tenir compte dans son argumentation. Par ailleurs, la Cour relève que la décision du comité a été notifiée aux requérantes le 15 janvier 2013 et que les observations en réponse de ces dernières ont été déposées à la Cour le 4 mars 2013. La Cour estime que le délai séparant ces ceux dates ne saurait être considéré comme un retard significatif et, partant, elle rejette aussi cette deuxième exception.
  34. 29.  Constatant par ailleurs que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

    B.  Sur le fond


  35. .  Le Gouvernement soutient qu’il ressort de l’arrêt Kosmidis et Kosmidou c. Grèce (no 32141/04, §§ 24-25, 8 novembre 2007) que, l’on ne peut prétendre, en l’espèce, que les autorités ont refusé de se conformer à une décision de justice. En revanche, selon lui, tous les éléments du dossier montrent que ce sont les requérantes qui ont refusé de fournir à l’administration les documents qu’elle leur aurait demandés et que c’est pour cette raison que celle-ci n’aurait pas pu procéder à la levée de l’expropriation.

  36. .  Le Gouvernement indique ensuite que les requérantes ont évité tout contact avec l’administration malgré l’invitation pressante de celle-ci à collaborer avec elle, notamment en lui soumettant les documents nécessaires à la modification du plan d’alignement. Selon le Gouvernement, les requérantes n’ont pas justifié leur refus catégorique de produire ces documents en expliquant, par exemple, qu’elles ne possédaient pas ces documents ou que leur établissement était difficile et onéreux. D’après le Gouvernement, la production de ces documents incomberait aux requérantes ; exiger de celles-ci qu’elles produisent les titres de propriété et les certificats y relatifs qui sont sûrement en leur possession, ainsi que les différents rapports techniques dont l’établissement nécessite peu de temps et de frais, n’est pas une demande excessive.

  37. .  Les requérantes exposent que l’article 154 § 7 du décret présidentiel du 14 juillet 1999, selon lequel les particuliers demandant la modification du plan d’alignement seraient tenus de faire établir eux-mêmes, à leurs frais et avec diligence, les éléments techniques nécessaires à cette modification, concerne exclusivement les cas où la demande de modification se fait à l’initiative d’un particulier et non ceux où la modification est imposée afin de se conformer à une décision de justice. Quant à l’article 32 de la loi no 4067/2012, il ne couvrirait pas, d’après elles, l’omission de l’administration de se conformer au jugement no 1544/2009 pendant la période allant du 9 octobre 2009 à la date de l’entrée en vigueur de cet article. Les requérantes soutiennent que ce même article dispenserait en réalité l’administration de son obligation de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à une décision de justice et qu’il imposerait aux particuliers la charge de l’obligation de faire modifier le plan d’alignement en en assumant les frais, frais qui s’élèveraient en l’espèce à 18 000 euros.

  38. .  La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’une telle décision, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention. La Cour rappelle aussi avoir déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l’Etat en la matière (voir, notamment, Hornsby c. Grèce, §§ 40 et suivants, 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, et Karahalios c. Grèce, no 62503/00, § 29, 11 décembre 2003). De surcroît, elle souligne l’importance particulière que revêt l’exécution des décisions de justice dans le contexte du contentieux administratif (Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no 32259/02, § 34, 22 décembre 2005).

  39. .  En la matière, la Cour a considéré qu’il n’est en principe pas déraisonnable que l’administration demande aux intéressés des documents complémentaires afin qu’elle puisse se conformer dans les meilleurs délais à une décision de justice lui imposant la prise de certaines mesures. Une telle exigence se justifie lorsque les services administratifs ne sont pas en possession des documents nécessaires à l’exécution rapide de la décision de justice. Un tel motif est, à n’en pas douter, favorable au justiciable. Dans cet esprit, la Cour a jugé qu’il semble logique de demander aux propriétaires concernés de fournir leurs titres de propriété ou un certificat attestant qu’ils n’avaient pas perçu d’indemnité pour cette propriété, car il s’agit de documents qui sont sans aucun doute en possession des intéressés et dont la recherche par l’administration s’avérerait plus longue et compliquée (Kosmidis et Kosmidou, précité, § 26).

  40. .  En revanche, lorsque l’examen du dossier permet de déduire que l’administration a sollicité la production d’actes juridiques ou de tout autre document comme prétexte pour se soustraire à l’exécution d’une décision de justice définitive ou, de manière dilatoire, pour en retarder la mise en œuvre, l’effet utile de l’article 6 § 1 de la Convention peut s’en trouver gravement diminué (Rompoti et Rompotis c. Grèce, no 14623/04, § 26, 25 janvier 2007 et Kosmidis et Kosmidou, précité, § 26).

  41. .  En l’espèce, la Cour constate que la production des documents demandés aux requérantes ne leur incombait que partiellement (titres et certificats de propriété). La production des autres documents (proposition de modification du plan de la ville faite par un ingénieur, rapports techniques concernant les règles d’urbanisme du secteur, extraits du cadastre), comportant un grand nombre d’éléments techniques, semble plutôt être de la responsabilité de l’administration, et la Cour ne voit pas pourquoi les requérantes auraient dû faire établir ou rechercher elles-mêmes ces documents (voir, mutatis mutandis, Rompoti et Rompotis, précité, § 28). La Cour ne voit pas non plus pour quelle raison les autorités, pourvues des services compétents ayant à leur disposition tous les éléments techniques, topographiques et cadastraux nécessaires, auraient dû être assistées par des particuliers devant faire appel, à leurs frais, à des experts extérieurs pour fournir ces éléments.

  42. .  La Cour ne perd d’ailleurs pas de vue que le 31 décembre 2012, le comité de trois membres du tribunal administratif de Patras a souligné, en constatant que l’administration ne s’était pas conformée au jugement no 1544/2009, que l’obligation du particulier se limitait à communiquer les éléments en sa possession (en l’occurrence, le relevé topographique portant indication de la superficie du terrain et les titres de propriété). Cette obligation n’exigeait pas que le particulier soumît une proposition de modification du plan ou des éléments qui étaient à la disposition des différents services de l’Etat. Le comité a invité l’administration à se conformer au jugement dans un délai de trois mois mais il apparait qu’aucune suite n’a été donnée à cette invitation.

  43. .  Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure que les autorités nationales ont omis, au moins pendant trois ans selon les dernières informations portées à sa connaissance, de se conformer au jugement no 1544/2009 du tribunal administratif de Patras, privant ainsi l’article 6 § 1 de la Convention de son effet utile.
  44. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  45. .  Les requérantes réclament chacune 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elles auraient subi du fait que, en dépit du jugement no 1544/2009, le sort de leur propriété, bloquée pendant près de trente ans, est demeuré incertain.

  46. .  Le Gouvernement estime que le constat d’une violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

  47. .  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacune des requérantes 5 000 EUR pour dommage moral.
  48. B.  Frais et dépens


  49. .  Les requérantes demandent également 1 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

  50. .  Le Gouvernement estime que la somme demandée excède le volume de travail nécessaire pour présenter une affaire de ce type.

  51. .  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, et compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 200 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure engagée devant la Cour et l’accorde conjointement aux requérantes.
  52. C.  Intérêts moratoires


  53. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  54. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i.  à chacune des requérantes, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

    ii.  conjointement aux requérantes, 1 200 EUR (mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérantes, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

       Søren Nielsen                                                               Isabelle Berro-Lefèvre
            Greffier                                                                              Présidente

     


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