DEUXIÈME
SECTION
AFFAIRE ARMANDO IANNELLI c. ITALIE
(Requête
no 24818/03)
ARRÊT
STRASBOURG
12
février 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies
à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de
forme.
En l’affaire Armando Iannelli c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième
section), siégeant en une chambre composée de :
Danutė Jočienė,
présidente,
Guido Raimondi,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22
janvier 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
. A l’origine de
l’affaire se trouve une Requête (no 24818/03) dirigée contre la
République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Armando
Iannelli (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 avril 1999 en vertu
de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (« la Convention »). Par une lettre du 15 septembre
2006, M. Vincent James Iannelli ou Jannelli et Mmes Mary Lee Iannelli
ou Jannelli et Jane Lee Murray ont informé le greffe de ce qu’ils souhaitent se
constituer dans la procédure devant la Cour en qu’en tant qu’héritiers du
requérant entretemps décédé. Pour des raisons d’ordre pratique, la Cour
continuera d’appeler M. Armando Iannelli « le requérant ».
. Le requérant a
été représenté par Mes S. Ferrara et A. Mascia, avocats à
Bénévent. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été
représenté par son agent, Mme E. Spatafora, par
son ancien coagent M. N. Lettieri et par son coagent Mme P. Accardo.
. Le requérant alléguait
une atteinte injustifiée au droit au respect de ses biens ainsi qu’une atteinte
au droit à un procès équitable en raison de la durée excessive de la procédure.
. Le 26 mai 2006, la Requête a été communiquée au
Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre
été décidé que la
chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
. Né en 1923 et
résidant à San Bartolomeo in Galdo lors de l’introduction de la Requête, le
requérant est décédé à une date non précisée.
. Les faits de
la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme
suit.
. Le requérant
était propriétaire d’un terrain de 5 590 mètres carrés sis à San
Bartolomeo in Galdo et enregistré au cadastre, feuille 58, parcelles 74 et 75,
sur lequel se trouvait un immeuble.
. Par un arrêté
du 16 novembre 1989, le conseil municipal de San Bartolomeo in Galdo
approuva le projet de construction sur le terrain du requérant d’un hôpital dont
la gestion serait confiée à l’unité sanitaire locale (« USL »).
. Par un arrêté
notifié au requérant le 11 août 1990, le maire de San Bartolomeo in Galdo
ordonna l’occupation d’urgence du terrain en vue de son expropriation, afin de
procéder à la construction de l’hôpital, s’appuyant notamment sur le projet de
construction approuvé le 16 novembre 1989.
. A une date
non précisée, le requérant attaqua ledit arrêté devant le tribunal
administratif régional de Campanie (« TAR »). Par une décision du 28
août 1990, le TAR suspendit l’exécution de l’arrêté.
. Par un arrêté
du 15 octobre 1990, le conseil municipal de San Bartolomeo in Galdo approuva un
nouveau projet de construction de l’hôpital et une nouvelle procédure d’expropriation.
. Compte tenu
de l’adoption de ce nouveau projet de construction, par un jugement déposé au
greffe le 18 février 1993, le TAR rejeta au fond le recours du requérant, au
motif que l’arrêté autorisant l’occupation du terrain s’appuyait désormais sur
le projet de construction approuvé le 15 octobre 1990 et était conforme à la
loi.
. L’occupation
du terrain du requérant eut lieu le 3 juin 1993 et les travaux de construction
furent entamés le 3 août 1995. Ces travaux comportèrent la destruction de l’immeuble
se trouvant sur le terrain.
1. La procédure
principale
. Par deux actes d’assignation notifiés
respectivement le 23 octobre 1993 et le 27 décembre 1994, le
requérant introduisit deux actions en dommages-intérêts à l’encontre de la
municipalité de San Bartolomeo in Galdo et de l’USL devant
le tribunal de Bénévent. Il allégua que l’occupation
du terrain était illégale dès le début et il demanda la restitution du terrain
litigieux et, dans le cas où celle-ci aurait été impossible en raison de la
transformation irréversible du bien, un dédommagement pour la perte de celui-ci.
. À une date non précisée, le tribunal de
Bénévent réunit les deux procédures.
. Le 29 janvier 1997, une expertise fut déposée
au greffe. L’expert évalua à 357 600 000 ITL (184 685 EUR environ)
la valeur marchande du terrain en 1995, à savoir au moment de sa transformation
irréversible, et à 180 053 900 ITL (92 990 EUR environ) le
montant de l’indemnité due aux termes de l’article 5 bis de la loi no
359 de 1992. En outre, l’expert évalua à 56 500 000 ITL (29 180
EUR environ) l’indemnité due pour la destruction pendant les travaux, de l’immeuble
sis sur le terrain, et à 84 765 147 ITL (43 778 EUR environ) le
montant de l’indemnité due pour la non-jouissance du terrain.
. Par un jugement déposé au greffe le 15 avril
2005, le tribunal de Bénévent déclara d’abord que l’USL ne
pouvait pas être considérée comme responsable pour le dommage subi par le
requérant en raison de la perte de son terrain. En outre, le tribunal jugea que
l’occupation du terrain était illégale ab initio
au motif que l’arrêté autorisant celle-ci n’était pas conforme à la loi. Pour
ces motifs, le tribunal estima que la réduction de l’indemnité, aux termes de l’article
5 bis de la loi no 359 de 1992, n’était pas applicable en l’espèce
et que le requérant avait droit à un dédommagement correspondant à la valeur
vénale du terrain litigieux. Toutefois, le tribunal ne partagea pas l’évaluation
de la valeur vénale du terrain et des autres indemnités effectuée par l’expert
commis d’office et condamna la municipalité de San Bartolomeo in Galdo à verser au requérant un dédommagement global de
129 114,12 EUR.
. La municipalité de San Bartolomeo in Galdo
interjeta appel, faisant valoir que le requérant avait perdu la propriété du
terrain en raison de la transformation irréversible, qu’il s’agissait en l’espèce
d’une expropriation indirecte et que l’indemnité d’expropriation devait être
déterminée selon les critères prévus à l’article 5 bis de la loi no
359 de 1992. Le requérant interjeta appel incident et allégua qu’il avait été
illégitimement privé de son terrain et qu’il avait droit à un dédommagement à hauteur
de la valeur vénale.
. Par un arrêt déposé au greffe le 30 juin 2011,
la cour d’appel de Naples estima qu’il s’agissait en l’espèce d’une
expropriation illégitime ab initio, au motif que l’arrêté d’occupation n’était
pas conforme à la loi. La cour d’appel souligna que, à la lumière des arrêts no
348 et 349 de 2007 de la Cour Constitutionnelle déclarant l’inconstitutionnalité de l’article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par
la loi no 662 de 1996, l’expropriation
indirecte est contraire à l’article 1 du Protocole no 1, tel qu’interprété
par la jurisprudence de la Cour, et entraîne l’obligation pour l’Administration de verser aux intéressés
un dédommagement à hauteur de la valeur vénale du terrain exproprié. Dès lors,
la cour d’appel accorda au requérant un dédommagement de 193 331,58 EUR,
correspondant à la valeur vénale du terrain, établie par l’expert, plus
réévaluation et intérêts à partir de la date de transformation irréversible du
terrain, à savoir le 3 août 1995. En plus de cette somme, la cour d’appel
condamna la municipalité à verser au requérant 41 897,34 EUR à titre d’indemnité
d’occupation.
2. La procédure
« Pinto »
. Par un recours déposé au greffe le 5 avril
2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la
« loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure
devant le tribunal de Bénévent décrite ci-dessus. Il sollicita la réparation
des dommages et demanda la somme de 7 747 EUR.
. Par une décision du 24 mars 2003, déposée au
greffe le 10 avril 2003, la cour d’appel constata le
dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta comme non-étayée la demande
relative au dommage matériel et accorda au requérant 1 200 EUR au titre
de dommage moral et 700 EUR pour frais et dépens.
. Il ressort du dossier que cette décision fut
notifiée à l’Administration le 19 mai 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée
le 18 juillet 2003.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE
INTERNES PERTINENTS
. Le droit
interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay
c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no
58858/00, 22 décembre 2009 (§§ 16-48).
24. En particulier, quant aux derniers développements
intervenus en droit interne, la Cour note que par les
arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007, la Cour Constitutionnelle
a jugé que la loi interne doit être compatible avec la Convention dans l’interprétation
donnée par la jurisprudence de la Cour et, par conséquent, a déclaré
inconstitutionnel l’article 5 bis du décret-loi no 333
du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996.
. La Cour Constitutionnelle,
dans l’arrêt no 349, a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation
prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no
1 et par conséquent à l’article 117 de la Constitution italienne, lequel
prévoit le respect des obligations internationales.
. Suite aux
arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont
intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi
de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation
indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens,
aucune réduction n’étant admise.
. Cette
disposition est applicable à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la
décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement a été acceptée
ou est devenue définitive.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
1 DU PROTOCOLE No 1
. Le requérant
allègue qu’il a été privé de son terrain de manière incompatible avec l’article
1 du Protocole no1 ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit
au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause
d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes
généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas
atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils
jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt
général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des
amendes. »
. Le
Gouvernement s’oppose à cette thèse.
Sur la recevabilité
. Dans ses
observations, déposées au greffe de la Cour le 22 septembre 2006, le
Gouvernement affirmait que le requérant n’était plus « victime », au
sens de l’article 34 de la Convention, puisqu’il avait obtenu du tribunal de
Bénévent un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain
exproprié.
. La Cour rappelle
avoir déjà examiné des exceptions similaires dans d’autres affaires concernant
des expropriations indirectes. Dans ces affaires, elle avait conclu que
le simple fait que le requérant ait reçu une indemnisation correspondant à la
valeur vénale du terrain exproprié ne suffit pas en soi à lui retirer la
qualité de « victime », bien que cela puisse jouer un rôle sur le
terrain de l’article 41 (De Angelis et autres c. Italie, no 68852/01, § 57, 21 décembre 2006 ; Carbonara et
Ventura c. Italie, no 24638/94, § 62, CEDH 2000-VI ;
De Sciscio c. Italie, no
176/04, § 53, 20 avril 2006). Une décision
ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à retirer la qualité
de «victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en
substance, puis réparé la violation de la Convention (voir Guerrera et Fusco c. Italie, no
40601/98, § 53, 3 avril 2003 ; Amuur c. France du 25 juin 1996, Recueil 1996-III, p. 846, § 36).
. En l’espèce,
la Cour estime devoir examiner la qualité de victime du requérant à la lumière du
changement de législation intervenu à la suite des arrêts
de la Cour Constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007. Elle rappelle qu’il
appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation
alléguée de la Convention. A cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se
pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention et implique
essentiellement pour la Cour de se livrer à un examen ex post facto de la
situation de la personne concernée (Cocchiarella
c. Italie
[GC], no 64886/01,
§§ 70-72, CEDH 2006-V).
. La Cour réaffirme
qu’il lui appartient tout d’abord de vérifier s’il y a eu
reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un
droit protégé par la Convention (Cocchiarella c. Italie précité, §
84).
. Elle relève que par ses arrêts nos 348 et 349 de 2007, la
Cour Constitutionnelle italienne a déclaré l’inconstitutionnalité
de l’article 5 bis du
décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la
loi no 662 de 1996, puisque contraire à l’article
1 du Protocole no 1, tel qu’interprété par la jurisprudence de la
Cour. Par la suite, la loi de finances no 244 de 2007 a établi que
les propriétaires expropriés doivent obtenir un
dédommagement correspondant à la valeur entière du bien, aucune réduction n’étant
plus admise.
. En faisant
application de ces principes, la cour d’appel de Naples, dans un arrêt
du 30 juin 2011, a estimé que l’expropriation indirecte du terrain du requérant
était contraire à l’article 1 du Protocole no 1, tel qu’interprété
par la jurisprudence de la Cour, et entraînait une violation du droit de
propriété du requérant et une obligation pour l’Administration de réparer la
violation. La cour d’appel condamna dès lors l’Administration à verser au
requérant une indemnisation correspondant à la valeur vénale du terrain, plus
réévaluation et intérêts à partir de la date de transformation irréversible du
terrain exproprié.
. La Cour estime
que la cour d’appel de Naples a explicitement constaté la violation du droit de
propriété du requérant. En outre, elle considère que le redressement reconnu
par cette juridiction, conforme aux critères de calcul établis par la Cour dans
l’arrêt Guiso Gallisay (précité, § 105), constitue un redressement
approprié et suffisant.
. A la lumière
de ces considérations, le requérant ne peut plus se prétendre victime de la
violation alléguée au sens de l’article 34 de la Convention (Holzinger c.
Autriche (no 1), no 23459/94, § 21, CEDH 2001-I).
En conséquence, cette partie de la Requête est
incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35
§ 3 et doit être rejetée en vertu de l’article 35 § 4.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
6 § 1 DE LA CONVENTION
. Le requérant se
plaint de la durée de la procédure ainsi que de l’insuffisance de l’indemnisation
obtenue par la cour d’appel « Pinto ».
. Les parties
pertinentes de l’article 6 § 1 sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère
civil (...). »
. Le
Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
. Le
Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes.
Il fait valoir que le requérant ne s’est pas pourvu en cassation contre la
décision de la cour d’appel de Rome.
. La Cour
relève que la décision de la cour d’appel de Rome est devenue définitive le 18
juillet 2003. À la lumière de sa jurisprudence (Di Sante c. Italie,
no 56079/00, 24 juin 2004), elle rejette cette exception.
. Par ailleurs,
après avoir examiné les faits de la cause et les arguments des parties, la Cour
estime, à la lumière de la jurisprudence établie en la matière (Provide S.r.l. c. Italie, no 62155/00, §§ 20-25, CEDH 2007, 5 juillet 2007), que
le redressement s’est révélé insuffisant et que les héritiers du requérant peuvent
toujours se prétendre « victimes » au sens de l’article 34 de la
Convention.
. La Cour
constate que ce grief n’est pas manifestement mal
fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève, par
ailleurs, qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient
donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
. La Cour
constate que la procédure principale a débuté le 23 octobre 1993 et
qu’elle était encore pendante en première instance le 24 mars 2003, date à
laquelle la cour d’appel « Pinto » a rendu sa décision.
. La Cour
relève que la cour d’appel de Rome a évalué la durée de la procédure à la date
de sa décision, à savoir le 24 mars 2003. La procédure s’étant achevée le 30
juin 2011, une période d’environ huit ans et deux mois n’a pas pu être prise en
considération par la cour d’appel.
. La Cour relève
qu’en ce qui concerne la phase postérieure au 24 mars 2003, le requérant aurait
dû épuiser à nouveau les voies de recours internes en saisissant une nouvelle
fois la cour d’appel au sens de la loi « Pinto ». Au vu de ce qui
précède, l’examen de la Cour sera limité à la durée de la procédure ayant fait
l’objet d’un examen par la cour d’appel « Pinto » (Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 116, CEDH 2006-V (extraits) ;
Gattuso c. Italie (déc.), no 24715/04).
. La Cour a
traité à maintes reprises des Requêtes soulevant des questions semblables à
celle du cas d’espèce et a constaté une méconnaissance de l’exigence du
« délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa
jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella c.
Italie, précité). N’apercevant rien qui puisse mener à une conclusion
différente dans la présente affaire, la Cour estime qu’il y a également lieu de
constater une violation de l’article 6 § 1.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE
13 DE LA CONVENTION
. Invoquant l’article
13, le requérant se plaint de l’inefficacité du remède « Pinto » en
raison du montant prétendument insuffisant.
. La Cour
rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit
interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés tels qu’ils
peuvent s’y trouver consacrés. Il implique que l’instance nationale compétente soit
habilitée, d’abord, à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et,
ensuite, à offrir un redressement approprié dans les cas qui le méritent (voir Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, §
17, ECHR 2002-VIII ; Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 186-188, CEDH 2006;
Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 98, 8 juin
2006). Cela étant, le droit à
un recours effectif au sens de la Convention ne saurait être interprété comme
donnant droit à ce qu’une demande soit accueillie dans le sens souhaité par l’intéressé
(Sürmeli, précité, § 98).
. En l’espèce,
la cour d’appel de Rome avait bien compétence pour se prononcer sur le grief du
requérant et elle a effectivement procédé à son examen. Aux yeux de la Cour, l’insuffisance de l’indemnisation « Pinto » ne remet
pas en cause, à ce jour, l’efficacité de cette voie de recours (Gagliano Giorgi, no 23563/07, § 79, 6 mars 2012 ; Delle Cave et Corrado, nº 14626/03, §§ 43-46, 5 juin 2007),
. Partant, il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste
de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE
41 DE LA CONVENTION
53. Aux termes de l’article 41 de la
Convention,
« Si la Cour
déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le
droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement
les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y
a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage moral
. Les héritiers
du requérant demandent la somme de 12 000 EUR chacun pour le préjudice
moral subi en raison de la durée excessive de la procédure.
. Le
Gouvernement s’y oppose.
. La Cour estime
qu’elle aurait pu accorder à la partie requérante, en l’absence de voies de
recours internes et compte tenu de l’enjeu du litige, 12 000 EUR. Le fait
que la cour d’appel de Rome ait octroyé à M. Armando Iannelli 10% de
cette somme aboutit à un résultat déraisonnable. Par conséquent, eu égard aux
caractéristiques de la voie de recours « Pinto » et au fait qu’elle
soit tout de même parvenue à un constat de violation, la Cour, compte tenu de
la solution adoptée dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie (précité, §§
139-142 et 146) et statuant en équité, alloue aux héritiers du requérant
conjointement 4 200 EUR.
B. Frais et dépens
. Justificatifs
à l’appui, les héritiers du requérant demandent également 53 585,78 EUR
pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
. Le
Gouvernement s’y oppose et fait valoir que les sommes réclamées sont
excessives.
. Selon la
jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses
frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.
. La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle
trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère
dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement. Compte tenu des
circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 2 000 EUR aux héritiers du requérant conjointement pour l’ensemble
des frais exposés.
C. Intérêts moratoires
. La Cour juge
approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de
la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la Requête recevable
quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le
surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation
de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser
aux héritiers du requérant conjointement, dans les trois mois à compter du jour
où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la
Convention, les sommes suivantes :
i) 4 200 EUR (quatre mille deux cents
euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 2 000 EUR (deux mille euros),
plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les héritiers du
requérant, pour frais et dépens;
b) qu’à compter de l’expiration dudit
délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple
à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de
pourcentage ;
4. Rejette la demande de
satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 12 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith Danutė Jočienė
Greffier Présidente