BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GOMES ALMEIDA HENRIQUES MOURA v. PORTUGAL - 43146/11 - HEJUD (French text) [2013] ECHR 208 (12 March 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/208.html
Cite as: [2013] ECHR 208

[New search] [Contents list] [Printable RTF version] [Help]


     

     

     

    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE GOMES ALMEIDA HENRIQUES MOURA c. PORTUGAL

     

    (Requête no 43146/11)

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    12 mars 2013

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


     

     

     


    En l’affaire Gomes Almeida Henriques Moura c. Portugal,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un Comité composé de :

              Dragoljub Popović, président,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Helen Keller, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 février 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 43146/11) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Teresa de Jesus Gomes Almeida Henriques Moura (« la requérante »), a saisi la Cour le 7 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  La requérante a été représentée par Mes J. P Leitão et N. Moreira, avocats à Lisbonne. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme M. F. Carvalho, procureur général adjoint.

  3. .  Le 14 décembre 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  La requérante est née en 1950 et réside à Lisbonne.
  6. A.  La procédure civile devant le tribunal du travail de Lisbonne


  7. .  Le 19 mars 1998, l’époux de la requérante décéda des suites d’un accident du travail.

  8. .  Le 25 mars 1998, le parquet près le tribunal du travail de Lisbonne ouvrit une procédure contre la société C. et la compagnie d’assurance T.

  9. .  Le 4 janvier 1999, la requérante mandata un avocat pour la représenter dans le cadre de la procédure.

  10. .  Le 19 janvier 1999, le ministère public tint une audience de conciliation, les parties ne parvinrent toutefois pas à un accord.

  11. .  Le 17 février 1999, le tribunal suspendit l’instance en attendant que la requérante introduise l’action civile conformément à l’article 122 du code de procédure du travail.

  12. .  Le 11 juin 2002, la requérante informa le tribunal du travail de Lisbonne qu’elle avait révoqué le mandat de son avocat. Le ministère public assura, à partir de ce moment, la représentation de la requérante dans le cadre de la procédure.

  13. .  Le 13 mai 2003, il introduisit une action en responsabilité civile contre les sociétés C. et T.

  14. .  Les sociétés défenderesses présentèrent leurs mémoires en défense.

  15. .  Le 19 septembre 2003, le tribunal rendit une décision préparatoire portant sur les faits établis et ceux restant à établir (despacho saneador).

  16. .  Le 10 février 2004, le tribunal tint une audience. Il prononça son jugement le 5 mars 2004. Faisant droit à la requérante, le tribunal condamna la société C. à lui verser une rente viagère avec effet rétroactif au 20 mars 1998, avec la responsabilité solidaire de la société T.

  17. .  La société C. interjeta appel de la décision devant la cour d’appel de Lisbonne, laquelle confirma le jugement par un arrêt du 4 mai 2005.
  18. B.  La procédure d’exécution


  19. .  Le 18 juillet 2007, en représentation de la requérante, le parquet près le tribunal du travail de Lisbonne requit l’exécution forcée du jugement du 5 mars 2004.

  20. .  Le 24 juillet 2007, un huissier de justice (agente de execução) fut chargé de l’affaire. Par une ordonnance 18 octobre 2010, il fut relevé de ses fonctions pour négligence dans l’exercice de son mandat, une procédure disciplinaire fut ensuite ouverte contre lui.

  21. .  A une date non précisée, le tribunal désigna un autre huissier de justice.

  22. .  A une date non précisée, la requérante mandata un avocat pour la représenter dans le cadre de la procédure d’exécution. Elle réclama la destitution du deuxième huissier de justice, demande à laquelle le tribunal fit droit.

  23. .  Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 11 juillet 2012, la procédure d’exécution était toujours pendante.
  24. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  25. .  Les dispositions pertinentes du décret-loi no 272-A/81 du 30 septembre 1981 régissant le code de procédure du travail au moment des faits se lisaient ainsi :
  26. Article 8

    Représentation d’office

    « Les agents du ministère public doivent représenter d’office:

    a)  Les travailleurs et leurs familles ;

    (...) »

    Article 10

    Cessation de la représentation d’office

    « Lorsqu’un mandataire est désigné, la représentation d’office du ministère public prend fin, sans préjudice de l’intervention "accessoire" de celui-ci. »

    Article 102

    Début de la procédure

    « 1.  La procédure [relative à un accident de travail ou une maladie professionnelle] commence par une phase de conciliation dirigée par le ministère public, consécutivement à la communication de l’accident ou de la maladie professionnelle.

    (...) »

    Article 115

    Collecte d’éléments pour introduire l’action

    « En l’absence d’accord, le représentant du ministère public rassemble les éléments nécessaires en vue d’introduire l’action. »

    Article 120

    Début de la phase contentieuse

    « La phase contentieuse a pour base :

    a)  La Requête introductive d’action où le demandeur formule sa demande, exposant ses fondements ;

    (...). »

    Article 122

    Requête introductive d’action

    « 1.  Si un accord n’a pu être obtenu ou si celui-ci n’a pas été homologué (...), sous réserve de ce qui est stipulé aux articles 9 et 10, le ministère public prend immédiatement en charge la représentation du sinistré, du malade ou se ses bénéficiaires sociaux, présentant, sous quinze jours, la Requête introductive d’action (...).

    (...)

    4.  Au terme du délai indiqué à l’alinéa 1 (...), l’affaire est renvoyée devant le juge, lequel suspend l’instance, le ministère public devant néanmoins introduire l’action dès qu’il aura rassemblé les éléments nécessaire à cet effet. »


  27. .  S’agissant de l’huissier de justice, l’article 808 du code de procédure civile applicable au moment des faits[1] disposait dans ses parties pertinentes :
  28. « 1.  Il appartient à l’huissier de justice (...) d’effectuer toutes les démarches de la procédure d’exécution (...), sous le contrôle du juge (...).

    (...)

    4.  L’huissier de justice désigné ne peut être relevé de ses fonctions que par une décision du juge de l’exécution, officieusement ou à la demande du demandeur, pour malveillance ou négligence dans l’activité procédurale ou pour violation grave des devoirs qui lui sont imposés (...).

    (...). »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


  29. .  La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
  30. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »


  31. .  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
  32. A.  Sur la recevabilité


  33. .  Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes en faisant valoir que la requérante a omis d’introduire au niveau interne une action en responsabilité civile extracontractuelle pour se plaindre de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

  34. .  La Cour rappelle la jurisprudence établie dans l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008 selon laquelle l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat ne peut être considérée comme un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention, aussi longtemps que la jurisprudence qui se dégage de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais, à travers une harmonisation des divergences jurisprudentielles. L’exception soulevée par le Gouvernement ne peut donc être retenue.

  35. .  La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
  36. B.  Sur le fond

    1.  Sur la période à prendre en considération


  37. .  La requérante allègue que la procédure litigieuse dure depuis plus de treize ans.

  38. .  Le Gouvernement fait valoir que seules les périodes actives, pendant lesquelles l’instance a effectivement couru, devront être considérées.

  39. .  A l’instar du Gouvernement, la Cour estime que les juridictions ne peuvent être tenues responsable, ni de la période entre l’ordonnance de suspension de l’instance et la prise en charge de la représentation de la requérante par le ministère public (allant du 17 février 1999 au 11 juin 2002), ni de la période entre le terme de la procédure civile et l’introduction de l’action en exécution (entre le 4 mai 2005 et le 18 juillet 2007), lesquelles échappaient au contrôle des autorités internes.

  40. .  Aussi, la période à considérer a débuté le 25 mars 1998, date d’ouverture de la procédure de conciliation devant le tribunal du travail de Lisbonne. Suspendue le 17 février 1999, la procédure civile n’a repris que le 11 juin 2002, date à partir de laquelle le ministère public a pris en charge la représentation de la requérante. Elle a ensuite été conclue par un arrêt de la cour d’appel de Lisbonne du 4 mai 2005.

  41.   S’agissant du terme d’une procédure dont la durée est examinée sous l’angle de l’article 6 § 1, la Cour rappelle que celui-ci est le moment où le droit revendiqué trouve sa « réalisation effective » (voir Estima Jorge c. Portugal, 21 avril 1998, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1998-II ; Zappia c. Italie, 26 septembre 1996, § 23, Recueil 1996-IV), l’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, devant être considérée comme faisant partie intégrante du « procès », au sens de l’article 6 de la Convention (Hornsby c. Grèce , 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997-II ; Immobiliare Saffi c. Italie [GC], n22774/93, § 63, CEDH 1999-V).

  42. .  En l’espèce, la procédure d’exécution a débuté le 18 juillet 2007 et était toujours pendante à la date du 11 juillet 2012.

  43. .  A ce jour, la procédure globale a donc duré 12 années, 8 mois et 16 jours pour deux instances saisies.
  44. 2.  Sur le caractère raisonnable de la procédure


  45. .  La requérante estime que la procédure a méconnu le « délai raisonnable » stipulé à l’article 6 § 1 de la Convention.

  46. .  Le Gouvernement admet que la procédure a connu certains retards dans le cadre de la phase exécutive. Cependant, il fait valoir que ces retards ne peuvent être imputés aux juridictions dans la mesure où ils ont été causés par l’huissier de justice, lequel exerce à titre privé.

  47. .  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). La Cour rappelle qu’une diligence particulière s’impose pour le contentieux du travail (Ruotolo c. Italie, arrêt du 27 février 1992, série A n230-D, p. 39, § 17).

  48. .  En l’espèce, la Cour note que certains retards relèvent de la responsabilité de la requérante (voir ci-dessus paragraphe 30).

  49. .  Elle relève ensuite que la procédure d’exécution a connu des atermoiements en raison des déficiences des huissiers de justice désignés. Selon l’article 808 du code de procédure civile, ces derniers exercent leurs fonctions sous le contrôle du juge. Les retards survenus, par leur faute, au cours de la procédure tombent donc sous la responsabilité des juridictions, l’argument du Gouvernement à cet égard devant être rejeté.

  50. .  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

  51. .  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent.

  52. .  Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

  53. .  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
  54. II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


  55. .  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
  56. « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  57. .  La requérante réclame 14 500 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

  58. .  Le Gouvernement conteste cette prétention.

  59. .  La Cour estime que la requérante a subi un tort moral certain. Au vu de la durée globale de la procédure, de sa nature, du nombre de juridictions saisies et des périodes d’inactivité de la procédure, statuant en équité, elle lui accorde 11 650 EUR à ce titre.
  60. B.  Frais et dépens


  61. .  La requérante demande également 1 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

  62. .  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

  63. .  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime, en tenant compte notamment de la durée et de la complexité de la procédure, raisonnable d’accorder le montant réclamé en entier.
  64. C.  Intérêts moratoires


  65. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  66. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  11 650 EUR (onze mille six cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  1 200 EUR (mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Françoise Elens-Passos                                                       Dragoljub Popović
     Greffière adjointe                                                                     
    Président



    [1].  Décret-loi nº 44 129, du 28 décembre 1961, avec les derniers amendements apportés par le décret loi n° 38/2003 du 8 mars 2003.


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/208.html