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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KOSTENKO v. RUSSIA - 32845/02 - Committee Judgment (French Text) [2013] ECHR 573 (20 June 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/573.html
Cite as: [2013] ECHR 573

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE KOSTENKO c. RUSSIE

     

     

    (Requête no 32845/02)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

     

    20 juin 2013

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Kostenko c. Russie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

              Khanlar Hajiyev, président,
              Erik Møse,
              Dmitry Dedov, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mai 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 32845/02) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Aleksandr Anatolyevich Kostenko (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 juillet 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par Mme V. Milintchouk, ancienne représentante de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des Droits de l’Homme.

  3. .  Le 2 mai 2007, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
  4. EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  5. .  Le requérant est né en 1960 et réside à Blagoveschensk, région de l’Amour.

  6. .  Le 17 mai 1999, le requérant, militaire, prit sa retraite. Conformément à la loi, il avait dû choisir un lieu de résidence pour sa retraite et il avait indiqué à sa hiérarchie qu’il souhaitait s’établir à Kiev (Ukraine). En 2001, le requérant introduisit un recours judiciaire devant le tribunal de l’arrondissement Vatoutinski de Kiev visant à obliger l’administration à le placer sur la liste d’attente d’un logement social à Kiev. Par une décision du 25 janvier 2001, le tribunal rejeta cette demande relevant que le requérant avait pris sa retraite en Russie, conformément à la législation russe. Ce fait, selon le tribunal, ne conférait pas au requérant le droit de prétendre à un logement social en Ukraine.
  7. A.  Décision du 24 août 2001


  8. .  En 2001, le requérant saisit la justice d’une action dirigée contre le Ministère russe pour la défense civile, la gestion des situations d’urgence et l’atténuation des effets des catastrophes naturelles (ci-après, le « ministère des situations d’urgence ») visant à obliger ce dernier à acquérir pour lui un appartement à Kiev et à se voir allouer un dommage moral.

  9. .  Le 24 août 2001, le tribunal militaire de la garnison de Blagoveshchensk fit, en partie, droit à la demande du requérant, ayant ordonné au défendeur de verser au requérant 3 000 roubles russes (RUB) à titre de dommage moral. En second lieu, le tribunal enjoignit au défendeur d’envoyer les documents nécessaires [aux autorités ukrainiennes] afin de placer le requérant sur une liste d’attente d’un logement social à Kiev. Enfin, le tribunal enjoignit au ministre des situations d’urgence de modifier son arrêté daté du 17 mai 1999 relative à la retraite du requérant, en ajoutant une mention que ce dernier avait choisi la ville de Kiev comme lieu de sa retraite. Le jugement devint définitif le 1er novembre 2001.

  10. .  Le jugement fut exécuté le 23 octobre 2001 en ce qui concerne la modification de l’arrêté du 17 mai 1999, et le 23 mai 2002 en ce qui concerne l’obligation monétaire et demeure sans exécution pour le reste.
  11. B.  Décision du 14 décembre 2001


  12. .  En 2000, le requérant saisit la justice d’une action dirigée contre le ministère des situations d’urgence et le Ministère russe de la défense (ci-après le « ministère de la défense ») visant à se faire indemniser le dommage à sa santé.

  13. .  Par un jugement du 14 décembre 2001, le tribunal militaire de la garnison de Blagoveshchensk fit en partie droit à la demande du requérant, ayant ordonné au ministère de la défense de verser au requérant RUB 283 589,41 en une seule fois et RUB 18 441,22 mensuellement, à titre de dommages et intérêts. Il rejeta le recours en ce qui concerne le ministère des situations d’urgence.
  14. Le 28 décembre 2001, n’étant pas contesté, le jugement devint définitif et exécutoire.


  15. .  N’ayant reçu aucune exécution du jugement, le requérant introduisit une plainte au ministère de la défense qui, par une lettre du 22 octobre 2002, répondit au requérant que l’exécution des jugements n’était pas possible faute de financement. Le ministère informa le requérant qu’il avait saisi la Cour suprême de Russie d’une Requête visant à annuler le jugement par la voie du contrôle en révision.

  16. .  Le 12 mars 2003, la cour militaire de la circonscription de l’Extrême-Orient, saisie d’une Requête de son président, par la voie du contrôle en révision, annula le jugement du 14 décembre 2001 pour vice de procédure et renvoya l’affaire, pour un nouvel examen, devant le même tribunal.

  17. .  Le 24 août 2004, le tribunal de la garnison de Blagoveshchensk rejeta la demande du requérant.
  18. EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1


  19. .  Le requérant allègue que le défaut d’exécution des jugements définitifs le concernant a emporté violation de ses droits au regard de la Convention. La Cour examinera ce grief sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention ainsi libellé :
  20. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    et de l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »


  21. .  Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité. Se référant aux arrêts Pellegrin c. France ([GC], no 28541/95, CEDH 1999-VIII) et Vilho Eskelinen et autres c. Finlande ([GC], no 63235/00, CEDH 2007-II), il déclare tout d’abord que les griefs relatifs au défaut d’exécution sont incompatibles ratione materiae avec la Convention. D’autre part, selon le Gouvernement, le défaut d’exécution du 24 août 2001 était dû à l’inertie du requérant qui n’avait entrepris aucune démarche - comme, par exemple, recours judiciaire ou administratif - pour faire exécuter le jugement.

  22. .  Le Gouvernement affirme également que la décision du 24 août 2001 a reçu une exécution partielle, c’est-à-dire, le défendeur a modifié son arrêté de 1999, conformément au jugement et honoré l’obligation monétaire. En ce qui concerne l’envoi des documents aux autorités ukrainiennes, le Gouvernement estime que, de toute manière, l’absence d’exécution n’était pas préjudiciable au requérant, car l’Ukraine n’était pas dans l’obligation d’attribuer un logement social à un officier russe.

  23. .  En ce qui concerne la décision du 14 décembre 2001, elle n’a pas reçu exécution du fait de son annulation, par la voie du contrôle en révision, le 12 mars 2003. En revanche, selon le Gouvernement, avant l’annulation du jugement, les paiements mensuels ordonnés par ce jugement ont été effectués dans les délais impartis par la loi.

  24. .  Le requérant maintient son grief.
  25. A.  Sur la recevabilité

    1.  En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 6 § 1


  26. .  En ce qui concerne l’exception d’irrecevabilité ratione materae, la Cour doit tout d’abord examiner si le défaut d’exécution du jugement portant sur la communication des documents administratifs (a), ainsi que celui des jugements portant sur les obligations monétaires (b), relèvent du champ d’application de l’article 6 § 1.
  27. a)  Défaut de communiquer les documents


  28. .  La Cour rappelle que, pour que l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer sous sa rubrique « civile », il faut qu’il y ait « contestation » sur un « droit » « de caractère privé » (sur ce point particulier, voir, par exemple, l’arrêt Allan Jacobsson c. Suède (no 1) du 25 octobre 1989, § 72, série A no 163) que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnu en droit interne. Il doit s’agir d’une « contestation » réelle et sérieuse ; elle peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (Loiseau c. France (déc.), no 46809/99, § 7, CEDH 2003-XII (extraits)).

  29. .  La Cour note que le requérant soulevait une « contestation » - sans nul doute « réelle et sérieuse » - se rapportant à un « droit reconnu en droit interne ». La Cour relève en particulier que lesdits documents étaient demandés par le requérant afin de faire valoir son prétendu droit à un logement social à Kiev, ce qui confère, selon le requérant, un caractère patrimonial au litige.
  30. Toutefois, la Cour note avec le Gouvernement que, de toute manière, la communication des documents demandés aux autorités ukrainiennes n’aurait pas eu pour effet l’attribution d’un logement social à Kiev. Cet argument du Gouvernement russe est expressément corroboré par le jugement du tribunal de l’arrondissement Vatoutisnki de Kiev du 25 janvier 2001 (paragraphe 5 ci-dessus). La Cour observe ainsi que l’absence de communication des documents demandés l’issue de la procédure n’était pas « directement déterminante » pour le droit en question.


  31. .  La Cour conclut que l’article 6 § 1 n’est pas applicable en l’espèce et que le grief tiré de l’article 6 § 1 relatif au défaut d’exécution de jugement dans la partie relative à la communication des documents doit être rejeté comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 (a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.
  32. b)  Défaut d’exécution des jugements dans la partie relative au paiement des sommes d’argent


  33. .  La Cour a déjà été amenée à examiner cette exception dans d’autres affaires et l’a rejetée (Tetsen c. Russie, no 11589/04, § 18, 3 avril 2008, et Dovgouchits c. Russie, no 2999/03, § 19, 7 juin 2007).
  34. En conséquence, la Cour rejette cette exception du Gouvernement et conclut à l’applicabilité de l’article 6 § 1.

    2.  Sur le non-épuisement des voies de recours internes


  35. .  En ce qui concerne l’exception tirée de l’épuisement des voies de recours internes, la Cour estime qu’il n’est pas opportun de demander à un individu, qui a obtenu une créance contre l’État à l’issue d’une procédure judiciaire, de devoir par la suite engager une procédure d’exécution forcée afin d’obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004, et Akashev c. Russie, no 30616/05, § 21, 12 juin 2008).

  36. .  La Cour rejette donc cette exception du Gouvernement.
  37. 3.  En ce qui concerne l’exécution du jugement du 24 août 2001


  38. .  La Cour prend note de l’information présentée par le Gouvernement et non contestée par le requérant, selon laquelle, le jugement fut exécuté le 23 octobre 2001 en ce qui concerne la modification de l’arrêté ministériel, c’est-à-dire, avant que le jugement soit devenu exécutoire, et le 23 mai 2002 en ce qui concerne l’obligation monétaire, c’est-à-dire, six mois et vingt jours après que le jugement soit devenu exécutoire.
  39. Ces délais ne sont pas déraisonnables compte tenu des critères élaborés par la jurisprudence de la Cour (Grishchenko c. Russie (déc.), no 75907/01, 8 juillet 2004, Presnyakov c. Russie (déc.), no 41145/02, 10 novembre 2005, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 67, CEDH 2009, et Belkin et autres c. Russie (déc.), no 14330/07 et al., 5 février 2009).


  40. .  Il s’ensuit que le grief dans cette partie est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.
  41. 4.  En ce qui concerne l’exécution du jugement du 14 décembre 2001


  42. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  43. B.  Sur le fond


  44. .  La Cour a établi à maintes reprises que l’impossibilité pour un créancier de faire exécuter intégralement, et dans un délai raisonnable, la décision rendue en sa faveur constitue une violation dans son chef du « droit à un tribunal » consacré par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que du droit à la libre jouissance de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 (Bourdov c. Russie, no 59498/00, § 34, CEDH 2002-III).

  45. .  Pour pouvoir juger du respect de l’exigence d’un délai raisonnable d’exécution, la Cour prend en considération la complexité de la procédure, le comportement des parties, ainsi que l’objet de la décision à exécuter (Raïlian c. Russie, no 22000/03, § 31, 15 février 2007).

  46. .  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que le requérant, coopérant avec les autorités compétentes, n’a posé aucune acte de nature à empêcher les autorités d’exécuter les jugements. En ce qui concerne les obligations monétaires, il ressort clairement du dossier que la raison principale était l’insuffisance des fonds (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour conclut donc que l’intéressé n’a pas contribué au retard de l’exécution.

  47. .  La Cour note que le jugement fut annulé le 12 mars 2003. Elle n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement, selon lequel, le jugement reçut entière exécution avant d’être annulé. En effet, le Gouvernement n’a, d’une part, présenté aucun document certifiant les paiements et, d’autre part, la lettre du ministère de la défense du 22 octobre 2002 (paragraphe 11 ci-dessus) conforte la version du requérant de l’absence de paiements. Ainsi, le jugement demeura inexécuté un an, deux mois et vingt-sept jours avant d’être annulé.

  48. .  Le Gouvernement n’a présenté aucun argument justifiant le défaut d’exécution pendant la période précédente l’annulation.

  49. .  La Cour juge qu’ayant manqué pendant une période aussi importante de se conformer à un jugement définitif en faveur du requérant, les autorités nationales ont méconnu son droit à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, et son droit à la libre jouissance de ses biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1.
  50. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    35.  S’agissant des autres griefs soulevés, compte tenu du dossier et dans la mesure où les matières indiquées entrent dans sa compétence, la Cour estime que ces griefs ne révèlent pas de violations des droits consacrés par la Convention et ses Protocoles.

    36.  Il s’ensuit que cette partie de la Requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    37.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


  51. .  Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
  52. PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, en ce qui concerne le défaut d’exécution du jugement du 14 décembre 2001, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en ce qui concerne le défaut d’exécution du jugement du 14 décembre 2001.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach                                                                   Khanlar Hajiyev
      Greffier adjoint                                                                       
    Président


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