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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SICA v. ROMANIA - 12036/05 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 655 (09 July 2013)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/655.html
Cite as: [2013] ECHR 655

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE SICĂ c. ROUMANIE

     

    (Requête no 12036/05)

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    9 juillet 2013

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Sică c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

              Josep Casadevall, président,
              Alvina Gyulumyan,
              Corneliu Bîrsan,
              Nona Tsotsoria,
              Kristina Pardalos,
              Johannes Silvis,
              Valeriu Griţco, juges,
    et de Santiago Quesada, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 juin 2013,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE


  1. .  A l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 12036/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Auras Sică (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mars 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

  2. .  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me Andrei Grigoriu, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Catrinel Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

  3. .  Le requérant allègue en particulier avoir été condamné pénalement par les juridictions nationales sur la base des déclarations de témoins qu’il n’a jamais eu l’occasion de faire interroger.

  4. .  Le 10 avril 2012, la Requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
  5. EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE


  6. .  Le requérant est né en 1981 et réside à Bucarest.
  7. A.  L’interpellation du requérant

    1.  La version du requérant


  8. .  Le 23 octobre 2003, le requérant demanda à R. de lui procurer de la drogue pour la consommer. Après avoir acheté deux doses qu’ils consommèrent ensemble, R. proposa au requérant de l’accompagner pour rencontrer l’une de ses amies, G.S., qui lui devait de l’argent. Le requérant accompagna R. au rendez-vous.

  9. .  Après avoir reçu l’argent de G.S., R. proposa au requérant d’aller ensemble acheter de la drogue. Le fils mineur de R., G.S. et l’ami de cette dernière, S.D., les auraient accompagnés. Arrivés devant l’immeuble du vendeur, R. et S.D. partirent ensemble acheter de la drogue alors que le requérant les attendait devant l’immeuble. G.S. et le fils de R. seraient restés dans le taxi qui les avait amenés. De retour avec la marchandise, S.D. et R. demandèrent au requérant d’aller vers le taxi, alors qu’ils se dirigeaient dans une autre direction. Le requérant constata qu’une voiture de la gendarmerie était stationnée près du taxi.

  10. .  Alors qu’il s’approchait de la voiture à côté de laquelle se trouvait G.S., des agents de la police interpelèrent le requérant. G.S. commença à parler avec les policiers et, d’après le requérant, ils avaient l’air de se connaître. S.D. apparut également et commença à discuter avec les agents de police. R. ne revint plus.

  11. .  Le requérant indique qu’il n’a pas été fouillé à corps après son interpellation et qu’il a été transféré au siège de la police où il a dû présenter ses objets personnels. Parmi ses objets personnels il y aurait eu une fiole vide avec des traces d’héroïne qui était destinée à sa propre consommation. Il aurait été par la suite transféré dans une autre pièce où il y avait des journalistes qui le questionnèrent sur le trafic de drogue. Sur une table à côté du requérant ses objets personnels aurait été exposés ainsi que trois sachets contenant une poudre blanchâtre.
  12. 2.  La version retenue dans les décisions de justice


  13. .  G.S. était consommatrice de drogue et se fournissait auprès du requérant depuis environ un an. Dans la soirée du 23 octobre 2003, G.S. appela le requérant pour qu’il lui procure trois doses d’héroïne. Ils fixèrent un lieu de rendez-vous. Alors que G.S. accompagnée de S.D. attendait le requérant pour lui livrer la marchandise, G.S. constata la présence d’une patrouille de police dans le secteur. Elle dénonça le requérant auprès des agents de police comme étant vendeur de drogue. Les agents interpelèrent le requérant lors de son arrivée.

  14. .  Un procès-verbal d’interpellation fut dressé par les agents de la police. Il faisait état de ce qu’alors qu’il était en patrouille, l’équipage avait été arrêté par G.S. qui l’aurait informé qu’elle devait rencontrer le requérant afin d’acheter trois doses d’héroïne mais qu’elle avait décidé de dénoncer ce dernier. Les agents de police décidèrent d’interpeller l’intéressé lorsqu’il s’approchait de G.S. A la suite d’une fouille, ils auraient trouvé sur le requérant trois sachets en plastique contenant une substance de couleur cendrée. Il était noté que le témoin S.D. était présent lors de cette opération. Ce procès-verbal fut signé par G.S. en qualité de « dénonciatrice », par S.D. en qualité de témoin et par les sept agents de la police qui avaient participé à l’opération. La signature du requérant ne figure pas sur le procès-verbal et aucune mention n’est faite de son éventuel refus de signer.
  15. B.  L’instruction pénale de l’affaire


  16. .  Le 23 octobre 2003, le requérant, G.S. et S.D. furent transférés au siège de la police judiciaire (« la police ») où ils furent interrogés.

  17. .  Le requérant déclara qu’il était allé chercher R. chez lui et qu’ils étaient partis ensemble rencontrer G.S. Le requérant nia son implication dans la vente de drogue, et indiqua qu’il avait entendu G.S. parler avec les policiers, qu’elle aurait eu l’intention de dénoncer R. mais que, comme celui-ci ne revint pas et que les policiers lui auraient reproché de les avoir fait attendre pour rien, elle avait décidé de l’indiquer comme fournisseur.

  18. .  G.S. mentionna qu’elle achetait régulièrement de la drogue auprès du requérant et indiqua le numéro de téléphone où elle le joignait. Elle déclara avoir décidé d’arrêter la consommation de drogue et que, dans ce but, elle avait décidé de dénoncer le requérant qui était son fournisseur. Trois semaines auparavant, elle se serait dénoncée et dans ce contexte elle aurait dénoncé également le requérant. Elle expliqua ensuite que dans la soirée du 23 octobre 2003, alors qu’elle était avec le requérant qui devait lui vendre trois doses d’héroïne, elle avait remarqué par hasard quatre individus à qui elle avait fait signe de s’approcher. Ces derniers s’étaient approchés, se présentant comme étant des agents de police et demandèrent à G.S. et au requérant de décliner leurs identités, avant qu’elle ait parlé au requérant. Elle fut ensuite témoin de la fouille corporelle du requérant sur lequel trois doses d’héroïne furent retrouvées. Une autre personne aurait été témoin de ces faits et ils furent par la suite tous emmenés au siège de la police.

  19. .  S.D. déclara qu’il était de passage dans la zone où il avait observé que quatre agents de police avaient interpellé un homme et une femme. A la demande des agents de police il accepta d’être témoin de la fouille du requérant sur lequel trois doses de poudre furent retrouvées. Il déclara qu’il ne connaissait pas le requérant.

  20. .  Le 24 octobre 2003, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest (« le parquet ») se saisit de l’affaire et ouvrit des poursuites pénales contre le requérant des chefs de trafic de drogue et de possession de drogue en vue de sa consommation, délits punis par les articles 2 §§ 1 et 2, et 4 de la loi no 143/2000 sur la lutte contre le trafic et la consommation illicite de drogue (« la loi no 143/2000 »). Le parquet interrogea le requérant, G.S. et S.D. le même jour.

  21. .  Le requérant, assisté par un avocat commis d’office, présenta les faits tels que décrits ci-dessus (paragraphes 6 à 8 ci-dessus). Il nia que les doses d’héroïne se soient trouvées sur lui et indiqua qu’un policier les lui avait montrées au siège de la police. Il ajouta qu’il connaissait G.S. de vue depuis deux ou trois mois et qu’il l’avait vue chez R. Il admit être consommateur de drogue.
  22. 18.  G.S. déclara qu’elle avait déjà dénoncé le requérant environ trois semaines auparavant auprès du département anti-drogue de la police et que le flagrant délit qu’ils avaient organisé ensemble n’avait pas abouti, au motif que le requérant avait aperçu les policiers. Ultérieurement, le requérant aurait appris qu’une autre personne, F.P., l’avait dénoncé auprès de la police et il ne soupçonnait plus G.S. d’avoir voulu le dénoncer. Dans la soirée du 23 octobre 2003, elle devait rencontrer le requérant pour acheter trois doses de drogue. Alors qu’elle était en train de l’attendre, elle vit passer une voiture de police et décida sur le champ de dénoncer le requérant. Lorsque le requérant s’était approché d’elle, elle fit signe à la police, comme ils l’avaient prévu, à savoir en passant sa main dans ses cheveux. Elle mentionna que lors des fouilles, le requérant avait déclaré avoir reçu de l’argent de G.S. pour lui acheter de la drogue et que le requérant avait douze à quatorze clients auxquels il fournissait de la drogue.


  23. .  S.D. déclara au parquet que G.S. était sa compagne et que la veille il l’avait accompagnée pour qu’elle s’achète de la drogue auprès du requérant. Il indiqua également qu’une équipe de la police était de passage dans le secteur et que G.S. avait décidé de dénoncer le requérant.

  24. .  Un rapport d’expertise conclut que la substance trouvée sur le requérant était de l’héroïne.

  25. .  Sur réquisitoire du 16 janvier 2004, se fondant sur les déclarations de G.S., de S.D. et du requérant, sur le procès-verbal d’interpellation (paragraphe 11 ci-dessus), des procès-verbaux de vérification des antécédents pénaux des trois personnes impliquées et les conclusions du rapport d’expertise, le parquet renvoya le requérant en jugement devant le tribunal départemental de Bucarest (« le tribunal départemental ») des chefs de trafic de drogue et de possession de drogue en vue de sa consommation.
  26. C.  La procédure devant les instances judiciaires


  27. .  Le 4 février 2004, le tribunal départemental ajourna l’affaire pour que le requérant puisse engager un avocat de son choix et pour qu’une copie du réquisitoire lui soit communiquée.

  28. .  Le 3 mars 2004, le tribunal départemental interrogea le requérant qui nia avoir commis l’infraction de trafic de drogue et avoua la possession de drogue en vue de sa consommation personnelle. Il affirma qu’il n’avait pas été fouillé à corps lors de son interpellation, que la drogue n’avait pas été trouvée sur lui et décrivit les faits présentés au paragraphe 9 ci-dessus. Il ajouta qu’il ne connaissait pas personnellement G.S., qu’elle était prostituée, et qu’il pensait qu’elle l’avait dénoncé afin de protéger son ami R.

  29. .  Lors de la même audience, le requérant demanda que les témoins à charge soient entendus et déclara qu’il n’avait plus de preuves à proposer.

  30. .  Les témoins G.S. et S.D. furent cités à plusieurs reprises à comparaître afin de déposer devant le tribunal mais ils ne se présentèrent pas aux audiences. Les citations furent retournées avec la mention «a déménagé ». Le tribunal départemental délivra des mandats d’amener à leurs noms, mais les organes chargés d’assurer leur comparution constatèrent qu’ils n’habitaient pas aux adresses qu’ils avaient indiquées au parquet et que leurs nouvelles adresses n’étaient pas connues par le service de l’état civil. Sur demande du tribunal, le service de l’état civil communiqua les adresses de G.S. et S.D. mais après citation, il s’avéra que ces derniers n’habitaient plus à ces adresses. S.D. fut également cité à la Direction générale des prisons mais la citation fut retournée au tribunal avec la mention qu’il n’était pas détenu. Le tribunal ordonna que les témoins soient cités par affichage au conseil municipal.

  31. .  Lors de l’audience du 23 juin 2004, le tribunal départemental constata que des démarches avaient été faites, sans succès, pour retrouver les témoins G.S. et S.D. Il décida dès lors de faire application de l’article 327 § 3 du code de procédure pénale et de donner lecture devant le tribunal de leurs déclarations faites pendant les poursuites pénales.

  32. .  Lors de la même audience, l’avocat du requérant releva qu’il ne lui avait pas été permis aux audiences précédentes de faire des demandes de preuve à décharge. Il sollicita du tribunal l’audition de deux témoins à décharge, l’un pour établir la situation de fait et un autre les circonstances de l’affaire (în circumstantiere). Il demanda également au tribunal de verser au dossier comme preuve un enregistrement réalisé par une chaîne de télévision.

  33. .  Le tribunal rejeta les preuves proposées par l’avocat du requérant, au motif qu’elles n’avaient pas été présentées pendant la phase de l’instruction judiciaire et qu’aucune prorogation de délai n’avait été décidée. Il accepta sur une nouvelle demande du requérant de verser au dossier un écrit décrivant sa personnalité.

  34. .  Par un jugement du 24 juin 2004, le tribunal départemental condamna le requérant du chef de possession de drogue en vue de sa consommation à une peine de trois ans de prison avec sursis. Pour ce qui était du chef d’accusation de trafic de drogue, le tribunal nota que les seules preuves du dossier attestant de l’éventuelle implication de l’intéressé dans ce crime étaient les déclarations de G.S. et S.D., déclarations qu’il considéra contradictoires. A cet égard, il releva que dans ses déclarations, G.S. avait présenté les faits de manière différente de sorte qu’il ne pouvait pas être établi si l’interpellation de l’intéressé avait été organisée par G.S. en collaboration avec la police ou si, en effet, il s’agissait d’une interpellation aléatoire. En outre, l’argent que G.S. indiquait avoir donné au requérant pour lui procurer de la drogue n’avait pas été retrouvé sur l’intéressé. Le tribunal releva également les contradictions existant entre les déclarations de S.D. qui avait nié connaître le requérant et G.S., pour admettre ensuite être le partenaire de cette dernière.

  35. .  Le tribunal jugea enfin que, étant donné qu’il n’avait pas pu interroger ces témoins afin de clarifier le contenu de leurs déclarations, il convenait de les écarter et de prononcer l’acquittement du requérant du chef de trafic de drogue, en application du principe in dubio pro reo.

  36. .  Le parquet interjeta appel, en faisant valoir qu’il ressortait des preuves instruites dans l’affaire pendant les poursuites pénales, à savoir les déclarations de G.S., de S.D. et le procès-verbal d’interpellation, que le requérant était coupable de trafic de drogue. Le fait que G.S. n’ait pas pu être interrogée par le tribunal, ne constituait pas un motif pour écarter du dossier les déclarations qu’elle avait faites pendant les poursuites pénales. Il releva que les déclarations de G.S. coïncidaient avec les déclarations de S.D. et le procès-verbal d’interpellation.

  37. .  Les débats eurent lieu le 20 septembre 2004. Le requérant releva dans ses observations en réponse qu’il n’y avait pas de preuve qu’il ait commis le crime de trafic de drogue. Il faisait valoir que le raisonnement du tribunal départemental était juste, que les déclarations de G.S. et S.D. avaient été écartées à bon droit et qu’il convenait de faire prévaloir la présomption d’innocence. Représenté par un avocat de son choix, le requérant ne demanda pas que des preuves soient instruites.

  38. .  Par un arrêt du 29 septembre 2004, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») accueillit l’appel du parquet et condamna le requérant du chef de trafic de drogue à une peine de dix ans de prison. Après avoir rappelé la nécessité d’instruire directement les preuves devant le tribunal, la cour d’appel indiqua que le tribunal départemental avait fait toutes les démarches prévues par la loi pour assurer la participation des témoins au procès. Après avoir constaté l’impossibilité d’interroger les témoins, le tribunal départemental avait à bon droit donné lecture des déclarations faites pendant les poursuites. Toutefois, à tort, le tribunal n’avait pas fondé son jugement sur ces déclarations, alors que la loi l’y autorisait. La cour d’appel se prononça comme suit :
  39. « Il ressort du procès-verbal d’interpellation, signé par la dénonciatrice G.S., par le témoin S.D. et par les sept membres d’une patrouille de gendarmes que, ces derniers avaient été informés par la dénonciatrice du fait qu’elle devait rencontrer l’inculpé [le requérant] (...) afin d’acheter trois doses d’héroïne ; l’inculpé fut identifié et soumis à une fouille corporelle à la suite de laquelle trois sachets en plastique contenant une substance de couleur grise furent découvertes sur lui.

    Ce procès-verbal est corroboré par les déclarations du témoin G.S. qui indique qu’elle était consommatrice de drogue, qu’elle avait pris la décision d’arrêter la consommation de drogue et, par conséquent, de dénoncer la personne qui lui offrait les doses d’héroïne. Le témoin a indiqué de manière correcte l’adresse de l’inculpé et le nombre de doses qu’elle devait acheter à celui-ci.

    Trois doses furent retrouvées sur l’inculpé, à savoir la quantité exacte demandée par le témoin.

    La déclaration du témoin S.D., le concubin du témoin [G.S.], (...) consignée dans le dossier d’instruction, qui n’était pas consommateur de drogue, corrobore la déclaration de G.S. et le procès-verbal d’interpellation ; il déclare que le témoin [G.S.] consommait trois à quatre doses par jour.

    L’inculpé a essayé de formuler une défense qui n’est corroborée par aucune autre preuve du dossier. Dans ses déclarations, il fait référence à des personnes dont l’identification n’a pas été possible, « R. » ou « le fils de R. », des personnes qui auraient pu confirmer ses allégations dans l’hypothèse où ces allégations étaient réelles.

    Le fait que le témoin S.D. a fait une déclaration d’où il ressort qu’il a été témoin assistant, qui n’était pas aussi complète que la première, n’est pas de nature a soutenir la conclusion qu’il y a des doutes pour ce qui est de la commission de l’infraction reprochée à l’inculpé. Ultérieurement, dans ses déclarations, probablement dans le but d’intimider les témoins, l’inculpé allègue sans l’étayer, que le témoin [G.S.] était « prostituée » et que S.D. était son proxénète.

    En conclusion, l’instance d’appel retient l’existence des éléments constitutifs de l’infraction de trafic de drogues à haut risque réprimée par l’article 2 (1) er (2) de la loi no 143/2000, dans le fait de l’offre illégale de Sică Auras à la dénonciatrice G.S., de trois doses d’héroïne (...) ».


  40. .  Le requérant forma un recours. Dans ses moyens de recours qu’il exposa oralement devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »), il fit valoir que dans son arrêt du 29 septembre 2004, la cour d’appel avait commis une erreur grave dans l’établissement des faits et avait établi illégalement sa culpabilité. Il demanda subsidiairement la diminution de la peine infligée. L’avocat commis d’office pour représenter le requérant, demanda à la Haute Cour de casser l’arrêt rendu en appel et de maintenir le jugement rendu en première instance, était légal et bien fondé.

  41. .  Par un arrêt définitif du 1er mars 2005, la Haute Cour admit le recours du requérant dans sa partie concernant la diminution de la peine infligée. Après avoir relevé que l’accomplissement du crime de trafic de drogue par le requérant ressortait du procès-verbal d’interpellation et des déclarations des témoins G.S. et S.D., la Haute Cour le condamna à une peine de huit ans de prison ferme. La Haute Cour se prononça ainsi :
  42. « (...) pendant la phase d’enquête judiciaire, en jouant un rôle actif, le tribunal, après avoir effectué des diligences pour faire interroger les témoins G.S. et S.D., a ordonné la lecture de leurs déclarations antérieures, en faisant application de l’article 327 alinéa 3 du code de procédure pénale.

    Il ressort de l’ensemble des preuves administrées, à savoir le procès-verbal d’interpellation signé par les deux témoins et par sept gendarmes, qu’à la suite de la dénonciation de G.S. qui devait rencontrer l’inculpé (...) pour acheter trois doses d’héroïne, ce dernier a été repéré et qu’à la suite de sa fouille, trois doses contenant une substance de couleur grise furent retrouvées sur lui.

    L’acte [le procès-verbal] corrobore la déclaration du témoin G.S. qui a indiqué de manière constante l’adresse, le nom de l’inculpé et le nombre de doses qu’elle devait acheter, le même nombre de doses ayant été trouvé sur l’inculpé.

    A son tour, le témoin S.D., qui ne consomme pas de drogue, a déclaré que son amie, G.S., consommait trois à quatre doses de drogue par jour.

    Il convient de noter que les allégations du requérant selon lesquelles il avait reçu la drogue de « R. » ou du « fils de R. » ne sont corroborées par aucune autre preuve, celui-ci n’ayant présenté aucun renseignement concret qui aurait pu mener à l’identification de la personne indiquée.

    Dès lors, à bon droit, la juridiction d’appel a établi les faits et la culpabilité de l’inculpé dans l’accomplissement de l’infraction (...). »


  43. .  Le requérant forma une demande en révision contre cet arrêt qui fut rejetée comme irrecevable, au motif qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux justifiant la réouverture de la procédure.

  44. .  A la suite de sa condamnation pénale, le requérant a été incarcéré et il a purgé sa peine jusqu’au 6 février 2010, date de sa remise en liberté conditionnelle.
  45. D.  Développements ultérieurs dans l’affaire


  46. .  Le 17 décembre 2007, le requérant saisit la police de Giurgiu d’une plainte contre S.D. du chef de faux témoignage. Interrogé par la police, le requérant déclara qu’il était détenu à la prison de Giurgiu où S.D. était également détenu. Ce dernier lui aurait envoyé deux lettres pour s’excuser des déclarations mensongères qu’il avait dû faire en faveur de G.S. dans le cadre de la procédure pénale engagée contre le requérant. Le requérant demanda également à la police de lui fournir des copies des déclarations que S.D. avait faites pendant la procédure pénale.

  47. .  Par une lettre non datée, la police répondit au requérant qu’il aurait dû demander sa confrontation avec S.D. dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui ou prouver que S.D. avait fait une fausse déclaration. La police nota également qu’il ressortait du réquisitoire et du jugement du 23 juin 2004 du tribunal départemental de Bucarest que sa condamnation était fondée également sur d’autres preuves que la déclaration de S.D. Quant à sa demande d’obtenir des copies des déclarations de S.D., la police conseilla au requérant de faire une demande auprès du tribunal départemental.
  48. II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT


  49. .  Les articles pertinents du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits étaient ainsi rédigés :
  50. Article 327 § 3

    « Lorsque l’audition d’un témoin n’est plus possible, le tribunal ordonne la lecture de sa déclaration faite lors des poursuites pénales et en tient compte lors du jugement de l’affaire. »

    Article 329 § 3

    « Lorsqu’au cours du jugement de l’affaire par le tribunal la présentation d’une preuve antérieurement admise parait inutile, le tribunal peut, après avoir entendu le parquet et les parties, décider que la preuve en cause ne sera plus présentée. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION


  51. .  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu’il a été condamné du chef de trafic de drogue alors qu’il n’a pas eu la possibilité d’interroger les témoins à charge.

  52. .  L’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, se lit ainsi dans sa partie pertinente :
  53. « 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (...), soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

    3.  Tout accusé a droit notamment à :

    (...)

    d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. »

    A.  Sur la recevabilité


  54. .  Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. A ce sujet, il indique que le requérant n’a pas demandé à la cour d’appel de faire de nouvelles démarches pour retrouver les témoins et n’a pas demandé l’administration de preuves en défense. De même, l’intéressé n’a pas invoqué devant la Haute Cour le fait que les témoins à charge n’avaient pas été interrogés par la formation de jugement en audience publique. Pendant les poursuites pénales, le requérant aurait pu formuler une plainte auprès du procureur et demander l’instruction des preuves ou la confrontation avec les témoins.

  55. .  Le Gouvernement indique également que le requérant aurait dû déposer des plaintes pénales contre les témoins du chef de faux témoignage. A supposer que ces plaintes aient abouti à la condamnation pénale des témoins, le requérant aurait pu demander ensuite la révision de l’arrêt définitif du 1er mars 2005 le condamnant pour trafic de drogue.

  56. .  Le requérant estime qu’il a épuisé les voies de recours internes et il fait valoir qu’en droit interne, la demande en révision est une voie de recours extraordinaire qu’il n’était pas tenu d’épuiser.

  57. .  La Cour rappelle que, aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes. Tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir éviter ou redresser les violations alléguées contre lui. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, devant les juridictions nationales appropriées (Ben Salah Adraqui et Dhaime c. Espagne (déc.), no 45023/98, CEDH 2000-IV, et Merger et Cros c. France (déc.), no 68864/01, 11 mars 2004).

  58.   Elle souligne qu’il convient d’appliquer cette règle avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, étant donné le contexte de la protection des droits de l’homme (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 69, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV). Ainsi, il y a épuisement des voies de recours internes pour un recours formulé de manière très sommaire sur le fond duquel le juge s’est prononcé, même brièvement (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, §§ 43-45, CEDH 2009).

  59. .  En l’espèce, le tribunal départemental de Bucarest a relaxé le requérant du chef de trafic de drogue, après avoir écarté du dossier les déclarations des témoins G.S. et S.D., compte tenu de l’impossibilité d’interroger ces témoins à charge.

  60. .  En appel et en recours, les juridictions nationales ont été amenées à examiner la légalité de la prise en compte des déclarations de témoins que le requérant n’a pas pu interroger. Dans chaque phase processuelle, le requérant demanda que ces déclarations de témoins ne soient pas prises en compte. En recours, le requérant ne présenta pas ses motifs par écrit. Toutefois, aux termes mêmes de l’arrêt du 1er mars 2005 de la Haute Cour, il se plaignait de « l’établissement illégal de sa culpabilité » du chef de trafic de drogue et demanda le maintien du jugement rendu en première instance. De surcroît, la Haute Cour ne se retrancha pas derrière des considérations de forme mais se pencha sur la question visant l’impossibilité de faire entendre les témoins G.S. et S.D. En effet, la Haute Cour a vérifié les démarches que les juridictions inférieures avaient faites pour localiser les témoins et a jugé que le tribunal avait, à bon droit, fait lecture en audience publique de leurs déclarations faites pendant les poursuites pénales. Or, cet aspect vise plus particulièrement le grief porté par le requérant à présent devant la Cour.

  61. .  En résumé, le requérant a donné aux juridictions roumaines l’occasion d’éviter ou de redresser la violation alléguée (Saidi c. France, no 14647/89, 20 septembre 1993). Il convient dès lors de rejeter l’exception du Gouvernement.

  62. .  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
  63. B.  Sur le fond

    1.  Les arguments des parties


  64. .  Le requérant se plaint de ce qu’il a été condamné sur le fondement des déclarations des témoins G.S. et S.D. faites pendant les poursuites et qu’il n’a jamais eu la possibilité de les interroger. Il relève que ces déclarations constituent les preuves déterminantes voir uniques qui ont fondé sa condamnation du chef de trafic de drogue. Il fait part également de ses soupçons quant à l’existence de certains liens entre ces témoins et les agents de police et il exprime ses craintes d’avoir été victime d’une provocation policière.

  65. .  Le Gouvernement indique que le tribunal départemental de Bucarest a fait, sans succès, toutes les démarches qui étaient à sa disposition pour assurer la présence des témoins G.S. et S.D. à l’audience. En citant la motivation de l’arrêt rendu par la cour d’appel et en renvoyant à la motivation présentée par la Haute Cour dans son arrêt du 1er mars 2005, il considère que ces juridictions ont motivé de manière adéquate la décision de condamnation du requérant. Il estime également que les principes du contradictoire et de l’égalité des armes ont été respectés en l’espèce.

  66. .  Le Gouvernement estime que les principes établis dans la jurisprudence de la Cour quant à l’utilisation des déclarations des témoins que l’inculpé n’a pas pu contester au moment où elles ont été faites ont été respectés en l’espèce. A ce sujet, il indique que, pendant l’instruction pénale, le requérant a été assisté par un avocat commis d’office et qu’il n’a pas souhaité bénéficier d’un avocat de son choix. Le requérant a été interrogé par le procureur et à cette occasion ni lui-même, ni son avocat n’ont formulé de plainte quant aux déclarations faites par les témoins immédiatement après leur interpellation. Il n’a pas allégué non plus qu’il avait été victime d’abus de la part des enquêteurs et n’a pas accusé G.S. et S.D. de faux témoignage. Par la suite, lors de la présentation du dossier des poursuites pénales, le requérant se borna à nier l’accusation de trafic de drogue, sans proposer de preuves à l’appui de sa version des faits.
  67. 55.  Le Gouvernement relève que pendant la phase judiciaire devant les trois juridictions nationales, les droits du requérant garantis par l’article 6 de la Convention ont été pleinement respectés. Le tribunal départemental a fait des démarches pour permettre l’interrogatoire direct des témoins G.S. et S.D. Devant les juridictions d’appel et de recours, le requérant n’a pas demandé aux juridictions nationales de faire des démarches supplémentaires afin d’interroger de manière directe les témoins en cause et n’a pas soulevé la nécessité d’administrer de nouvelles preuves.

    2.  L’appréciation de la Cour


  68. .  La Cour rappelle d’emblée qu’il ne lui appartient pas d’agir comme juge de quatrième instance, d’apprécier la légalité des preuves au regard du droit interne des États parties à la Convention et de se prononcer sur la culpabilité des requérants. En effet, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 162, CEDH 2010).

  69. .  Pour déterminer si la procédure a été équitable, la Cour envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins. En particulier, l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 39, CEDH 2001-II et Solakov c. Ex-République yougoslave de Macédoine, no 47023/99, § 57, CEDH 2001-X).

  70. .  La Cour a précisé, dans l’affaire Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni ([GC], nos 26766/05 et 22228/06, CEDH 2011), les critères d’appréciation des griefs formulés sur le terrain de l’article 6 § 3 d) de la Convention en ce qui concerne l’absence des témoins à l’audience. Elle a estimé qu’il convenait de soumettre ce type de grief à un examen en trois points.

  71. .  Tout d’abord, elle doit vérifier si l’impossibilité pour la défense d’interroger ou de faire interroger un témoin à charge est justifiée par un motif sérieux. Ensuite, lorsque l’absence d’interrogation des témoins est justifiée par un motif sérieux, les dépositions de témoins absents ne doivent pas en principe constituer la preuve à charge unique ou déterminante. Toutefois, l’admission à titre de preuve de la déposition constituant l’élément à charge unique ou déterminant d’un témoin que la défense n’a pas eu l’occasion d’interroger n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention : la procédure peut être considérée comme équitable dans sa globalité lorsqu’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 146-147).

  72. .  La Cour doit donc vérifier si ces trois conditions ont été respectées en l’espèce.
  73. a)  L’impossibilité pour la défense d’interroger G.S. et S.D. était-elle justifiée par un motif sérieux ?


  74. .  La Cour observe tout d’abord que les déclarations litigeuses ont été recueillies par le parquet le lendemain des faits litigieux. Au moment du procès, la cour d’appel avait mentionné qu’il était possible que les déclarations du requérant aient pour but d’intimider les témoins (paragraphe 33 ci-dessus). Néanmoins, étant donné que les juridictions nationales ne se sont pas fondées sur la crainte pouvant être éprouvée par G.S. et S.D. pour les dispenser de comparaître à l’audience, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner si leur absence était effectivement due à la peur. En l’espèce, la justification avancée par les juridictions nationales et par le Gouvernement réside dans l’impossibilité de localiser ces témoins.

  75. .  La Cour rappelle que l’impossibilité de localiser un témoin peut constituer, sous certaines conditions, un fait justificatif autorisant l’admission de ses dépositions au procès alors même que la défense n’a pu l’interroger à aucun stade de la procédure (Rachdad c. France, n71846/01, § 24, 13 novembre 2003 et Zentar c. France, no 17902/02, § 26, 13 avril 2006). Toutefois, pour que cette justification soit valable, les autorités doivent adopter des mesures positives pour permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge ; elles doivent notamment rechercher activement ces témoins (Rachdad, précité, § 24).
  76. 63.  Dans la présente affaire, la Cour observe que le tribunal départemental de Bucarest s’est activement employé, avec l’aide de la police, à faire comparaître G.S. et S.D. (paragraphe 25 ci-dessus) : il les a convoqués à l’audience à plusieurs reprises et à différentes adresses, émettant des mandats d’amener à leurs encontre ; il a formulé des demandes auprès du service de l’état de civil et auprès de la Direction générale des prisons et les cita enfin par affichage auprès du conseil municipal. Ce n’est qu’après l’échec de ces tentatives que le tribunal a autorisé la lecture des dépositions de G.S. et S.D. recueillies pendant les poursuites pénales. D’ailleurs, la cour d’appel et la Haute Cour ont noté dans leurs arrêts que le tribunal départemental avait fait appel à tous les moyens prévus au niveau interne pour assurer la présence de ces témoins à l’audience.

    64.  La Cour estime qu’en l’espèce les autorités internes n’ont pas manqué à leur obligation positive de déployer les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour garantir à la défense la possibilité d’interroger G.S. et S.D (voir, mutatis mutandis, Mild et Virtanen c. Finlande, nos 39481/98 et 40227/98, §§ 45-47, 26 juillet 2005  et Pello c. Estonie, no 11423/03, §§ 34-35, 12 avril 2007). En conséquence, elle estime que les circonstances de l’espèce permettent de conclure que l’absence de G.S. et S.D. à l’audience et, partant, la lecture de leurs dépositions recueillies avant le procès étaient justifiées par un motif sérieux.

    b)  Quelle a été l’importance des dépositions de G.S. et S.D. pour la condamnation du requérant ?


  77. .  La Cour doit ensuite déterminer quel a été le poids des dépositions litigieuses dans le verdict sur la culpabilité du requérant et, en particulier, rechercher si ces dépositions constituaient la preuve unique ou déterminante (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 131). A cet égard, il ne suffit pas de tenir compte de l’ensemble des preuves examinées par les tribunaux, il faut rechercher quelles sont celles sur lesquelles repose effectivement la condamnation et donc quels sont les différents éléments constitutifs de l’infraction pour laquelle l’accusé a été condamné et de la responsabilité pénale de celui-ci (Tseber c. République tchèque, no 46203/08, § 54, 22 novembre 2012).

  78. .  Dans la présente affaire, la Cour constate que les juridictions nationales ont pris en compte plusieurs éléments de preuves pour condamner le requérant du chef de trafic de drogue, à savoir le procès-verbal d’interpellation et les déclarations de G.S. et S.D. Cependant, il convient de noter que les éléments constitutifs du crime de trafic de drogue dans sa version concernant « l’offre » et l’identification du requérant comme auteur ont été déterminés en l’espèce sur la seule base de la déposition de G.S. qui a été d’ailleurs la dénonciatrice du requérant (voir, mutatis mutandis, Vidgen c. Pays-Bas, no 29353/06, § 46, 10 juillet 2012). Le procès-verbal d’interpellation contient la dénonciation et la déclaration de G.S. avant de mentionner l’interpellation du requérant. Dans ces circonstances, la Cour estime que les dépositions de G.S. constituaient les éléments à charge déterminants, et que le procès-verbal d’interpellation et la déclaration de S.D. ne faisaient qu’appuyer les déclarations du témoin que l’intéressé n’a pas pu interroger (voir, mutatis mutandis, Hümmer c. Allemagne, no 26171/07, §§ 44 et 49, 19 juillet 2012).

  79. .  La Cour doit donc vérifier si les autorités internes ont adopté des mesures suffisantes pour contrebalancer les difficultés causées à la défense.
  80. c)  Y a-t-il eu des garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer les inconvénients liés à l’admission des dépositions de G.S. ?


  81. .  Il convient de rappeler que dans chaque affaire où le problème de l’équité de la procédure se pose en rapport avec une déposition d’un témoin absent, il s’agit de savoir, à l’aide d’un examen le plus rigoureux, s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des difficultés que son admission fait subir à la défense, notamment des garanties procédurales solides permettant une appréciation correcte et équitable de la fiabilité d’une telle preuve. L’examen de cette question permet de vérifier si la déposition du témoin absent est suffisamment fiable compte tenu de son importance dans la cause (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 147 et 161).

  82. .  La Cour observe dans ce contexte que le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge constitue une garantie du droit à l’équité de la procédure, en ce que non seulement il vise l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, mais encore il fournit à la défense et au système judiciaire un instrument essentiel de contrôle de la crédibilité et de la fiabilité des dépositions incriminantes et, par là, du bien-fondé des chefs d’accusation (Tseber précité, § 59).

  83. .  Dans la présente affaire, G.S. a été entendue par la police et par la suite par le parquet pendant les poursuites pénales mais elle n’a jamais comparu devant le tribunal. Ni le tribunal ni le requérant n’ont donc pu l’observer pendant l’interrogatoire pour apprécier sa crédibilité et la fiabilité de sa déposition.

  84. .  La Cour a déjà jugé que la possibilité laissée au requérant de contester la déposition à charge en fournissant des preuves ou en faisant citer des témoins n’était pas apte à compenser les obstacles auxquels la défense s’était trouvée confrontée, car le requérant n’avait pas été en mesure de contester la sincérité et la fiabilité du témoin au moyen d’un contre-interrogatoire (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 161-163 et voir également Trampevski c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 4570/07, § 49, 10 juillet 2012) ; sur ce point, l’absence d’autres preuves corroborant pleinement la déposition litigieuse revêt un certain poids (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 165).

  85. .  La Cour note que le Gouvernement indique que le requérant aurait pu contester les dépositions des témoins à charge pendant la phase des poursuites pénales et demander une confrontation. Cependant, la Cour relève qu’il ne peut pas être reproché au requérant de ne pas avoir demandé aux organes de poursuite de faire des actes d’enquête qu’il pouvait légitiment s’attendre à voir réaliser devant un juge pendant un procès contradictoire. Au demeurant, d’après le dossier, le requérant s’est vu fournir une copie du réquisitoire et donc a pris connaissance des preuves à charge retenues alors que l’affaire était déjà pendante devant le tribunal départemental (paragraphe 22 ci-dessus).

  86. .  Pour ce qui est de la possibilité qu’avait le requérant de contester la déposition de G.S., la Cour note que dans la mesure où il connaissait l’identité du témoin, il pouvait contester sa crédibilité même en son absence, bien que cette possibilité fût moindre que dans le cadre d’une confrontation directe (Tseber, précité, § 63). Ainsi, si le requérant a admis être consommateur de drogue, il a toujours nié l’accusation de trafic de drogue. Il a soutenu devant les juridictions nationales que G.S. l’avait accusé parce qu’elle voulait protéger son ami R. de la police. Il avait indiqué également dans ses déclarations qu’il avait entendu G.S. s’entretenir avec les membres de la patrouille de police et qu’il pensait que G.S. collaborait avec la police.

  87. .  La Cour constate que, d’après la déclaration de G.S. elle avait dénoncé auparavant le requérant à la police et avait essayé d’aider les autorités à organiser un flagrant délit le concernant, sans que cette opération réussisse (paragraphe 18 ci-dessus). Il ressort de la déclaration même de G.S. que le jour de l’interpellation du requérant, elle avait demandé à ce dernier de lui procurer de la drogue et qu’elle avait par la suite décidé de le dénoncer. Ces affirmations laissent penser qu’elle voulait provoquer l’infraction (voir, mutatis mutandis, Vanyan c. Russie, no 53203/99, §§ 45-50, 15 décembre 2005). Il n’est d’ailleurs pas exclu que l’interpellation de l’intéressé n’aurait pas eu lieu à ce moment-là sans que G.S. saisisse la police. Or, la Cour note que les juridictions nationales qui ont condamné le requérant, n’ont aucunement examiné l’incidence des actions de G.S. dans l’affaire, ni éclairci le cadre légal dans lequel elle avait agi (voir, mutatis mutandis, Ramanauskas c. Lituanie [GC], no 74420/01, § 61, CEDH 2008).
  88. 75.  En outre, les juridictions nationales ont apprécié la fiabilité de la déposition de G.S. en la comparant avec la déclaration de S.D. et le procès-verbal d’interpellation. Or, la Cour observe que S.D. n’a jamais été interrogé par le tribunal et que ses déclarations faites devant la police et le parquet n’étaient pas concordantes. C’est d’ailleurs ce qu’a estimé le tribunal départemental en première instance. Si le procès-verbal d’interpellation a été signé par G.S. et S.D., aucune précision n’a été fournie quant à l’absence de la signature du requérant sur ce document. Dès lors que le requérant contestait le contenu même du procès-verbal d’interpellation, les juridictions internes auraient pu entendre les sept policiers signataires de ce procès-verbal, leurs déclarations pouvant éclaircir les faits et conforter la crédibilité des déclarations de G.S. et S.D.


  89. .  Le Gouvernement affirme que le requérant avait, tout au long de la procédure, la possibilité de proposer l’examen de preuves complémentaires ce qu’il n’a pas fait. En particulier, les décisions judiciaires rendues en l’espèce ont reproché au requérant de ne pas avoir fourni des éléments suffisants quant à la personne de R. pour qu’il soit interrogé. La Cour note cependant que d’après les faits décrits par les juridictions internes, R. n’était pas un témoin direct de l’entente existant entre G.S. et le requérant quant à l’offre de drogue. Or, elle a déjà jugé qu’en l’absence d’autres éléments de preuve suffisamment forts confirmant au-delà de tout doute raisonnable la fiabilité du récit d’un témoin clé que la défense n’a pu interroger à aucun stade de la procédure, la contestation indirecte ne présente qu’un intérêt limité face aux accusations d’un tel témoin (voir, a contrario, Al-Khawaja et Tahery, précité, § 156). Il ne ressort pas non plus du dossier que les autorités se soient employées à se procurer d’autres preuves susceptibles de les aider à se faire un avis sur la fiabilité de la déposition de G.S., ou à trouver d’autres témoins pouvant la confirmer ou l’infirmer (Tseber, précité, § 68). A cet égard, elles auraient pu, dès l’interrogatoire de G.S. par le parquet, chercher à vérifier les pistes que cette dernière offrait dans sa déclaration, par exemple la référence à F.P. et à d’autres personnes à qui le requérant aurait fourni de la drogue (paragraphe 18 ci-dessus).

  90. .  Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le caractère déterminant de la déposition de G.S. en l’absence dans le dossier d’autres éléments de preuve solides aptes à la corroborer emporte la conclusion que les tribunaux n’ont pas pu apprécier correctement et équitablement la fiabilité de cette preuve. La Cour juge que les droits de la défense du requérant ont ainsi subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 6 § 3 d).
  91. II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES


  92. .  Toujours sur le terrain de l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint de l’issue de la procédure pénale diligentée contre lui et du refus des juridictions nationales d’instruire des preuves à décharge. Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est arrivée sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a lieu d’examiner ni la recevabilité ni le bien-fondé des autres griefs présentés par le requérant sous l’angle de l’article 6 de la Convention.
  93. III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    79.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage


  94. .  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

  95. .  Le Gouvernement considère que cette somme est excessive et indique que l’article 4081 du code de procédure pénale roumain permet la révision d’un procès au niveau interne lorsque la Cour a constaté une violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant.

  96. .  La Cour considère que le requérant a supporté un dommage moral du fait de la violation constatée de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention et qu’il y a lieu de lui octroyer 2 500 EUR au titre du préjudice moral.
  97. B.  Frais et dépens


  98. .  Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens.
  99. C.  Intérêts moratoires


  100. .  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
  101. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ;

     

    3.  Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le bien-fondé du restant de la Requête ;

    4.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement) :

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Santiago Quesada                                                                Josep Casadevall
            Greffier                                                                               Président

     


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