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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROMAN ZURDO AND OTHERS v. SPAIN - 28399/09 51135/09 - Chamber Judgment (French Text) [2013] ECHR 929 (08 October 2013) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2013/929.html Cite as: [2013] ECHR 929 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ROMAN ZURDO ET AUTRES c. ESPAGNE
(Requêtes nos 28399/09 et 51135/09)
ARRÊT
STRASBOURG
8 octobre 2013
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Roman Zurdo et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 septembre 2013,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le Ministère public porta plainte à l’encontre de plusieurs conseillers municipaux de la ville de Marbella, dont les requérants, auteurs présumés de délits relatifs à l’aménagement du territoire. Les accusés auraient, en particulier, participé à l’octroi de permis de construire illégaux. Les accusations furent portées contre une dizaine d’individus. Certains partis politiques de l’opposition municipale se constituèrent en accusation populaire.
6. Par un jugement rendu le 21 juillet 2006 après la tenue d’une audience publique, le juge pénal no 2 de Malaga acquitta l’ensemble des accusés. Il constata d’emblée l’existence d’une « confusion normative » sur le sujet litigieux, reconnue par ailleurs par plusieurs juridictions internes. Le juge considéra que les requérants ignoraient l’illégalité desdits permis de construire. Dans la mesure où le délit de l’article 320 du code pénal, pour lequel ils étaient accusés, exigeait le dol direct de l’auteur, le juge pénal conclut que les éléments pour l’existence de ce délit n’étaient pas remplis, les faits pouvant, le cas échéant, être qualifiés d’infraction administrative sans pertinence pénale.
7. Le juge parvint à sa conclusion après l’administration de certaines preuves, dont l’examen des dossiers administratifs relatifs aux permis de construire, le procès-verbal de la réunion municipale où ces permis furent accordés, ainsi que les dépositions des accusés et de plusieurs témoins dont celle du secrétaire et du chef du service juridique de la mairie de Marbella.
8. Le Ministère public et l’accusation populaire firent appel. Le 30 novembre 2006 l’Audiencia Provincial de Malaga décida qu’il serait utile de tenir une audience.
9. Les deuxième et troisième requérants sollicitèrent la récusation de deux magistrates de l’Audiencia Provincial, au motif qu’ils avaient entamé une procédure de responsabilité civile à leur encontre pour mauvais exercice de leurs fonctions dans le cadre d’un précédent procès les impliquant. Cette procédure se trouvait encore pendante. Par une décision du 9 février 2007, la tenue de l’audience fut suspendue en attente de la décision sur la récusation.
10. Le 13 mars 2007 le Tribunal supérieur de justice d’Andalousie rejeta la demande de récusation du deuxième requérant au motif qu’il y avait une erreur dans la disposition légale sur laquelle elle était fondée.
11. Par une décision du 14 mars 2007 l’Audiencia Provincial fixa la tenue de l’audience relative à la procédure pénale à l’encontre des requérants pour le 22 mars 2007. Lors de cette audience, au cours de laquelle les requérants ne furent pas entendus, le troisième requérant souleva une exception préliminaire au motif que sa demande de récusation se trouvait toujours pendante. L’Audiencia Provincial rejeta cette prétention et se prononça sur le fond du recours d’appel. Sans avoir administré de nouvelles preuves, l’Audiencia Provincial de Malaga rendit un arrêt le 25 avril 2007 condamnant les requérants à une peine de douze mois de prison et à l’interdiction d’exercer en tant que conseillers municipaux pendant huit ans, pour un délit contre l’aménagement du territoire dans sa modalité de corruption urbanistique. La peine fut réduite en raison de la durée excessive de la procédure. L’Audiencia expliqua que les permis de construire litigieux étaient contraires à plusieurs instruments législatifs, à savoir la loi générale du sol de 1992 (Ley sobre el Régimen del Suelo y Ordenación Urbana) et la loi andalouse du sol et de l’aménagement du territoire de 1997. Ils enfreignaient également de nombreux règlements dont celui sur la discipline urbanistique. Par ailleurs, l’Audiencia trouva également que le plan général sur l’aménagement du territoire de la ville de Marbella de 1986 était applicable.
12. Après avoir modifié partiellement les faits déclarés prouvés par le juge a quo, l’Audiencia rappela la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et signala que l’annulation d’un jugement absolutoire n’impliquait pas une atteinte aux droits fondamentaux lorsque, comme en l’espèce, l’annulation était fondée sur une question de droit, à savoir une erreur présumée dans l’appréciation ou la qualification juridique du résultat des preuves administrées en première instance, ledit résultat demeurant inchangé. S’agissant plus particulièrement des arguments utilisés par le juge pénal no 2 de Malaga pour parvenir à sa conclusion, la cour d’appel considéra qu’il était nécessaire d’approfondir la question de la « confusion normative ». À cet égard, l’Audiencia considéra que celle-ci avait été provoquée par les propres membres de la municipalité, les requérants ne pouvant dès lors invoquer leur méconnaissance de l’illégalité des permis de construire. En effet, ils faisaient partie de la commission du gouvernement de la ville de Marbella et étaient donc censés connaître cette illégalité.
13. S’agissant des moyens de preuve administrés lors de l’audience publique devant le juge pénal, à savoir les documents et les dépositions des accusés et des témoins, l’Audiencia signala qu’il ne lui appartenait pas de se pencher sur leur crédibilité mais qu’il lui était impossible d’accepter que les conseillers municipaux ne fussent pas au courant de certaines informations relatives aux activités urbanistiques de la ville.
14. Parallèlement, par deux jugements du 14 juin et 9 juillet 2007, le Tribunal supérieur de justice d’Andalousie rejeta les demandes de responsabilité civile interjetées par les deuxième et troisième requérants contre les deux magistrates visées comme étant manifestement mal fondées. En particulier, il releva que le comportement critiqué ne révélait aucun indice de négligence et que les requérants se limitaient à contester l’interprétation effectuée des questions juridiques soulevées, laquelle, en l’espèce, ne pouvait être qualifiée de déraisonnable ou arbitraire.
15. Invoquant les articles 24 §§ 1 et 2 (droit à un procès équitable, au juge impartial, à la présomption d’innocence) et 25 (principe de légalité pénale) de la Constitution, les requérants formèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. D’une part, les requérants se plaignirent de l’absence d’administration de preuves devant l’Audiencia Provincial. D’autre part, ils estimèrent que leur condamnation portait atteinte au principe de la présomption d’innocence. Ils contestèrent en outre l’impartialité de deux magistrates de l’Audiencia. Finalement, les requérants se plaignirent que la juridiction d’appel n’avait pas suffisamment spécifié la réglementation urbanistique applicable au cas d’espèce, portant ainsi atteinte au principe de légalité pénale.
16. Pour ce qui est du premier requérant, par une décision du 27 octobre 2008, notifiée le 7 novembre 2008, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable. S’agissant premièrement du prétendu manque d’impartialité de certains des magistrats de l’Audiencia Provincial, la haute juridiction rejeta le grief au motif que le requérant l’avait soulevé tardivement.
17. En ce qui concerne le grief tiré du principe de légalité pénale, le Tribunal signala qu’il faisait référence à l’absence, dans l’arrêt de condamnation, de la législation urbanistique applicable en l’espèce. À cet égard, il considéra que les mentions des différentes normes applicables étaient suffisamment claires et détaillées et remplissaient les exigences de prévisibilité.
18. Le Tribunal constitutionnel examina ensuite les allégations relatives à la présomption d’innocence et conclut à l’existence d’un ensemble d’éléments indiciaires suffisants pour parvenir à la décision de condamnation, laquelle ne pouvait pas être qualifiée d’arbitraire ou déraisonnable.
19. Finalement, la haute juridiction se pencha sur la question du respect du principe d’immédiateté et rappela que l’exigence d’administrer des preuves en appel dépendait des circonstances de chaque affaire et de la nature des questions devant être examinées. Ainsi, elle n’était pas nécessaire lorsque la question relevait exclusivement d’une divergence quant à la qualification juridique des faits déclarés prouvés par la première instance et qui n’avaient pas été modifiés par la juridiction d’appel. Dans ces cas, la question pouvait être résolue sur la base du dossier. Le Tribunal constitutionnel releva qu’il était question en l’espèce d’un changement dans l’inférence que l’Audiencia Provincial avait effectué des mêmes faits déclarés prouvés par le juge pénal, sur la base d’une déduction conforme à des règles de logique et d’expérience. Le contact direct avec les différentes parties n’aurait rien apporté en termes de garanties constitutionnelles supplémentaires. En outre, la haute juridiction signala qu’à la différence des affirmations du requérant, sa condamnation ne s’était pas fondée sur les déclarations des témoins mais sur la pondération juridique entre la législation urbanistique applicable et l’appréciation des preuves documentaires présentes dans le dossier. Au demeurant, elle considéra que la modification des faits était mineure et n’avait pas impliqué un changement substantiel du sens du récit déclaré prouvé en première instance.
20. Par une décision notifiée le 11 février 2009, le Tribunal constitutionnel déclara le recours des deuxième et troisième requérants irrecevable au motif qu’ils n’en avaient pas suffisamment justifié la pertinence constitutionnelle.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Constitution
Article 24
« 1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre. »
(...)
B. Code pénal
Article 320
« 1. L’autorité ou fonctionnaire public qui, consciemment, informe favorablement [sur] des projets de construction ou [sur] la concession de permis contraires au règles d’urbanisme en vigueur sera puni avec la peine établie à l’article 404 de ce code ainsi qu’à [une peine de] six mois à deux ans de prison ou une amende de douze à vingt-quatre mois ».
Article 404
« L’autorité ou fonctionnaire public qui, consciemment, rend une décision administrative arbitraire sera puni avec une peine d’interdiction spéciale d’exercer des fonctions publiques pour une durée de sept à dix ans ».
EN DROIT
I. JONCTION DES RequêteS
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LE PRINCIPE D’IMMÉDIATETÉ
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
b) Les requérants
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
b) Application de ces principes en l’espèce
35. En l’espèce, le juge pénal no 2 de Malaga a statué sur la base de plusieurs preuves, dont l’examen des dossiers administratifs relatifs aux permis de construire ainsi que les dépositions des accusés et de plusieurs témoins dont celle du secrétaire et du chef du service juridique de la mairie de Marbella.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN CE QUI CONCERNE LE MANQUE D’IMPARTIALITÉ DE L’AUDIENCIA PROVINCIAL
A. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
b) Les requérants
2. Appréciation de la Cour
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
B. Frais et dépens
C. Intérêts moratoires
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les Requêtes ;
2. Déclare les Requêtes recevables en ce qui concerne le principe d’immédiateté et irrecevables pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Marialena Tsirli Josep Casadevall
Greffière adjointe Président