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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VASILESCU v. BELGIUM - 64682/12 - Chamber Judgment (French Text) [2014] ECHR 1317 (25 November 2014)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2014/1317.html
Cite as: [2014] ECHR 1317

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE VASILESCU c. BELGIQUE

     

    (Requête no 64682/12)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    25 novembre 2014

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


     

    En l’affaire Vasilescu c. Belgique,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

              Guido Raimondi, président,
              Işıl Karakaş,
              András Sajó,
              Helen Keller,
              Paul Lemmens,
              Robert Spano,
              Jon Fridrik Kjølbro, juges,
    et de Stanley Naismith, greffier de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 octobre 2014,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64682/12) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant roumain, M. Marin Vasilescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 juillet 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me R. Rata, avocate à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

    3.  Le requérant allègue en particulier que ses conditions de détention dans les prisons d’Anvers et de Merksplas étaient inhumaines et dégradantes au sens de l’article 3 de la Convention.

    4.  Le 2 avril 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le requérant ainsi que le Gouvernement défendeur ont déposé des observations écrites (article 54 § 2 du règlement). Le Gouvernement roumain n’a pas souhaité se prévaloir de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  Le requérant est né en 1970 et réside actuellement en Roumanie.

    A.  Les conditions de détention à la prison d’Anvers

    1.  La version du requérant

    6. Le 10 octobre 2011, le requérant fut arrêté et placé en détention préventive dans la maison d’arrêt d’Anvers. Il expose qu’il fut obligé de dormir sur un matelas posé à même le sol dans une cellule de 8 m² qu’il partageait avec deux codétenus qui fumaient beaucoup et consumaient de la drogue dans la cellule. Il demanda au médecin de la prison de recevoir un autre matelas en raison de ses problèmes de dos mais il n’en aurait pas reçu. Le médecin lui aurait simplement prescrit des antidouleurs.

    2.  La version du Gouvernement

    7. Le Gouvernement expose que le requérant occupa plusieurs cellules au cours de son séjour à la prison d’Anvers entre le 10 octobre et le 23 novembre 2011.

    8. Du 10 octobre au 17 octobre 2011, le requérant occupa une cellule qui mesurait 18,4 m² et qui comprenait quatre lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette dans un espace séparé. La cellule était occupée par cinq détenus, dont un devait dormir sur un matelas posé au sol.

    9. Du 17 octobre au 2 novembre 2011, le requérant occupa une cellule de 8,4 m² qui comprenait deux lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette dans un espace séparé. La cellule était occupée par trois personnes, dont une devait dormir sur un matelas posé au sol.

    10. Entre le 2 novembre et le 11 novembre 2011, le requérant occupa une cellule de 10,4 m² qui comprenait deux lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette derrière un paravent. La cellule était occupée par le requérant et un autre détenu.

    11. Du 11 novembre au 23 novembre 2011, le requérant occupa une cellule de 9,12 m² qui comprenait deux lits superposés, une fenêtre, le chauffage central et une toilette dans un espace séparé. La cellule était occupée par le requérant et un autre détenu.

    12. Le Gouvernement précise également que pour les détenus qui ne travaillent pas, deux types de journées s’alternent avec un jour sur deux, deux périodes de promenades de chacune une heure et demie (jour A) et l’autre jour, une période de promenade de deux heures (jour B). Les détenus auraient également la possibilité de s’inscrire à des cours ayant lieu entre 13h et 15h et à des activités sportives. Un accès aux douches serait prévu un jour sur deux.

    B.  Les conditions de détention à la prison de Merksplas

    1.  La version du requérant

    13. Le 23 novembre 2011, le requérant fut transféré à la prison de Merksplas. Pendant neuf semaines, il rapporte qu’il fut placé dans le pavillon « cellules » dans une cellule sans eau ni toilette avec un autre détenu qui fumait.

    14. Le 2 janvier 2012, il fut placé dans le pavillon « A » dans une cellule de 16 m² partagée avec trois codétenus fumeurs. Il expose qu’il demanda à l’administration pénitentiaire d’être placé dans une cellule non-fumeur mais que sa demande fut refusée au motif que le requérant « n’était pas à l’hôtel ». Jusqu’au 19 septembre 2012, le requérant allègue que sa cellule était éclairée quotidiennement par une lumière de type néon allumée en continu entre 6h30 et 22h.

    15. Le requérant expose qu’il demanda à plusieurs reprises au médecin de la prison d’effectuer des analyses et radiographies en raison de ses problèmes de dos et de genou. Le médecin aurait refusé et lui aurait prescrit des antidouleurs. Le requérant aurait également demandé à être hospitalisé mais cela lui aurait été refusé.

    16. Le requérant dit avoir brièvement été transféré à la prison de Bruges en février et mars 2012.

    2.  La version du Gouvernement

    17. Le Gouvernement fait valoir que, entre le 23 novembre 2011 et le 2 janvier 2012, le requérant séjourna au pavillon pour les nouveaux entrants, dit pavillon « cellules ». Il y fut détenu dans une cellule de 8,6 m² qui comprenait deux lits superposés, une table et deux chaises, une télévision, un frigo, le chauffage central, un ventilateur et une fenêtre. Les cellules de ce pavillon ne sont équipées ni de lavabos ni de toilettes. De l’eau chaude et de l’eau froide seraient cependant distribuées le matin et l’après-midi. D’après le Gouvernement, il y a des toilettes dans le couloir auxquelles les détenus peuvent librement accéder en journée, et ils disposent d’un seau hygiénique pour la nuit. Le requérant séjourna dans une telle cellule avec un autre détenu. Les détenus disposent d’un temps de promenade d’une heure et demie à deux heures par jour.

    18. Après un bref passage de dix jours dans le pavillon « A bis », le requérant fut placé dans le pavillon « A » le 12 janvier et ce jusqu’au 11 juillet 2012. Le requérant séjourna dans une cellule de 18,4 m² qui comprenait quatre lits superposés, un frigo, un ventilateur, une table et quatre chaises, le chauffage central et une fenêtre. La cellule disposait également de deux lavabos et d’une toilette dans un espace séparé. Le requérant séjourna dans cette cellule avec trois autres détenus. Une journée classique dans le pavillon « A » se déroule avec quatre heures de travail dans la matinée, près de quatre heures de travail l’après-midi, puis d’une promenade ou autre activité en soirée après 19h.

    19. Concernant l’absence alléguée de soins médicaux, le Gouvernement expose que peu après l’arrivée du requérant à la prison de Merksplas, un lumbago fut diagnostiqué au requérant et il fut prescrit des anti-inflammatoires le 20 avril 2012. Le requérant obtint également des séances de kinésithérapeute le 31 juillet et le 23 août 2012. Un rendez-vous fut également pris auprès d’un médecin spécialiste pour le mois de décembre 2012 mais le requérant fut entre-temps mis en liberté (voir paragraphe 25, ci-dessous).

    20. Par ailleurs, le Gouvernement indique que le requérant fut placé dans le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas entre le 27 mars et le 14 avril 2012 « pour des raisons d’organisation de la prison », non spécifiques au requérant. Le Gouvernement ne précise rien quant aux conditions de détention du requérant après le 11 juillet 2012 et jusqu’à sa mise en liberté.

    C.  Les demandes de mise en liberté du requérant

    21. Entre-temps, au cours de sa détention, le requérant introduisit une requête de mise en liberté conditionnelle en vue de rentrer en Roumanie.

    22. Le 7 novembre 2011, le tribunal de l’application des peines d’Anvers rejeta sa demande.

    23. Le 13 décembre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant. Elle considéra notamment que l’article 6 de la Convention ne s’appliquait pas à la procédure devant le tribunal de l’application des peines.

    24. Le 6 avril 2012, le tribunal de l’application des peines rejeta une nouvelle demande de libération conditionnelle du requérant. Le requérant dit qu’il souhaita se pourvoir en cassation à l’encontre de ce jugement mais que son avocat commis d’office refusa d’introduire un pourvoi.

    25. Le 22 octobre 2012, le requérant fut mis en liberté et renvoyé en Roumanie.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A.  Règles relatives au statut juridique des détenus

    26.  Les droits des détenus sont actuellement régis par la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus, souvent dite « Loi Dupont » (ci-après « la loi de principes »). L’article 180 de cette loi prévoit que ses dispositions entrent en vigueur à une date fixée par arrêté royal. Les dispositions de la loi de principes entrent donc en vigueur progressivement, au gré des arrêtés royaux d’exécution adoptés.

    27. L’article 5 § 1er de la loi de principes, entré en vigueur le 15 janvier 2007 en application de l’arrêté royal du 28 décembre 2006, prévoit :

    «  L’exécution de la peine ou mesure privative de liberté s’effectue dans des conditions psychosociales, physiques et matérielles qui respectent la dignité humaine, permettent de préserver ou d’accroître chez le détenu le respect de soi et sollicitent son sens des responsabilités personnelles et sociales. »

    28. L’article 19 de cette même loi, entré en vigueur le 1er septembre 2011 en application de l’arrêté royal du 8 avril 2011, prévoit en son paragraphe 1er :

    «  Lors de son accueil, le détenu sera informé de ses droits et de ses devoirs, des règles en vigueur dans la prison ou dans la section, du rôle du personnel ainsi que des possibilités existant sur place ou accessibles à partir de là en matière d’aide médicale, juridique, psychosociale et familiale, en matière de soutien moral, philosophique ou religieux ainsi qu’en matière d’aide sociale. »

    29. Les articles 41 à 44 de la loi de principes régissent les conditions de vie matérielles des détenus. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er septembre 2011 en application de l’arrêté royal du 8 avril 2011, et prévoient ce qui suit :

    Article 41

    « § 1er. Le détenu a le droit d’aménager à sa guise l’espace de séjour qui lui est dévolu, pour autant qu’il respecte les dispositions du règlement d’ordre intérieur relatives à l’ordre et à la sécurité.

    § 2. Le Roi fixe les conditions auxquelles les espaces de séjour et les espaces réservés aux activités communes doivent répondre en matière de santé, de sécurité incendie et d’hygiène, et fixe à cet effet des règles portant au minimum sur les dimensions, l’éclairage, l’aération, les installations sanitaires et l’entretien. »

    Article 42

    « L’alimentation du détenu doit être fournie en quantité suffisante, respecter les normes d’hygiène modernes et, le cas échéant, être adaptée aux exigences de son état de santé. »

    Article 43

    « § 1er. En prison, le détenu a le droit de porter ses propres vêtements et chaussures pour autant que ceux-ci répondent aux normes dictées par une cohabitation forcée avec autrui sur le plan de l’hygiène, de la bienséance, de l’ordre ou de la sécurité.
    La prison met des chaussures et des vêtements adéquats à la disposition des détenus qui ne souhaitent pas porter leurs propres vêtements et chaussures.

    § 2. Le directeur peut obliger le détenu à porter des chaussures ou vêtements adéquats mis à sa disposition par la prison lorsque les chaussures et vêtements personnels du détenu ne répondent pas aux normes fixées au § 1er, alinéa 1er.

    § 3. Durant le travail ou d’autres activités, le détenu peut être contraint de porter les chaussures ou vêtements adaptés qui lui sont fournis.

    § 4. Les règles en vigueur dans la prison en matière de port et d’entretien des vêtements et des chaussures sont précisées dans le règlement d’ordre intérieur. »

    Article 44

    « Le chef d’établissement veille à ce que le détenu soit en mesure de soigner chaque jour convenablement son apparence et son hygiène corporelle. »

    30. Dans l’attente de l’entrée en vigueur de l’ensemble des dispositions de la loi de principes, les droits des détenus sont régis par l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires et l’arrêté ministériel du 12 juillet 1971 portant instructions générales pour les établissements pénitentiaires.

    31. La loi de principes a été complétée par la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine. Cette loi confie à la direction générale Établissements pénitentiaires (« DG EPI ») du Service public fédéral (« SPF ») de la Justice (ministère de la Justice) l’exécution des peines et mesures privatives de liberté. La direction de la gestion de la détention, qui relève de la DG EPI, est chargée de la gestion des permissions de sortie et des congés pénitentiaires ainsi que du choix de la prison dans laquelle un détenu est placé initialement ou transféré par la suite.

    B. Les recours disponibles aux détenus

    1. L’action en référé et la jurisprudence fournie par le Gouvernement

    32. Une personne détenue qui s’estime lésée dans ses droits subjectifs peut, sur la base de l’article 584 du code judiciaire, saisir d’une action en référé le président du tribunal de première instance compétent. Cette disposition prévoit que :

    « Le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l’urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.

    Le président du tribunal du travail et le président du tribunal de commerce peuvent statuer au provisoire dans les cas dont ils reconnaissent l’urgence, dans les matières qui sont respectivement de la compétence de ces tribunaux.

    Le président est saisi par voie de référé ou, en cas d’absolue nécessité, par requête.
    Il peut notamment :

    [...]

    3o ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des droits de ceux qui ne peuvent y pourvoir, y compris la vente des meubles délaissés ou abandonnés ;

     [...] »

    33. À titre d’illustration de l’utilisation de cette procédure par les détenus, le Gouvernement fournit plusieurs exemples développés ci-dessous.

    a)  Quant aux relations avec d’autres détenus

    34. Par une ordonnance du 26 juillet 1998, le président du tribunal de première instance de Bruxelles sanctionna l’exposition à un risque important de récidive de toxicomanie pour un détenu ayant fait preuve d’une volonté réelle de désintoxication. Aussi, par une ordonnance du 18 décembre 2008, le président du tribunal de première instance de Verviers jugea non fondée la requête d’un détenu qui se plaignait de ne pas être seul en cellule.

    b)  Quant aux mesures de sécurité

    35. Par un arrêt du 14 juillet 2004, la cour d’appel de Gand, statuant en référé, ordonna l’arrêt des fouilles à corps hebdomadaires auxquelles un détenu était soumis sans justification suffisante. De même, par un arrêt du 17 mars 2010, la cour d’appel d’Anvers, statuant en référé, ordonna l’arrêt de fouilles demandant que les détenus se déshabillent entièrement sans qu’il y ait eu une décision spécifique du directeur.

    c)  Quant au droit à la santé physique et psychique

    36. Par un arrêt du 31 août 2009, la cour d’appel de Liège, statuant en référé, condamna l’État belge à adapter le régime alimentaire d’un détenu aux recommandations médicales d’application à l’égard de ce détenu. Dans le même ordre, par une ordonnance du 13 août 2010, le président du tribunal de première instance de Bruxelles condamna l’État belge à conduire le requérant dans un hôpital afin qu’il y reçoive les soins requis par son état de santé. Aussi, par une ordonnance du 10 septembre 2012, le président du tribunal de première instance de Bruxelles condamna l’État belge à remettre provisoirement un détenu en liberté pour raison médicale. Enfin, par une ordonnance du 16 juillet 2013, le président du tribunal de première instance de Bruxelles ordonna que des mesures soient prises visant à permettre un suivi psychiatrique et psychologique régulier d’un détenu en détention préventive.

    d)  Quant aux conditions de vie matérielles du détenu

    37. Le Gouvernement fournit deux exemples à ce sujet. Premièrement, il fait valoir que par une ordonnance du 12 décembre 2012, le président du tribunal de première instance de Hasselt rejeta la demande d’un détenu à disposer d’un ordinateur personnel. Deuxièmement, par un arrêt du 29 janvier 2013, la cour d’appel de Bruxelles, statuant en référé, déclara non fondée la demande d’un détenu à disposer en cellule de divers objets.

    2.  L’action en réparation et la jurisprudence fournie par le Gouvernement

    38. Une personne détenue peut également introduire devant le juge judiciaire une procédure contre l’État sur le fondement de l’article 1382 du code civil aux fins de le voir jugé responsable d’une faute résultant d’une violation d’un droit subjectif et condamné à une réparation du dommage. L’article 1382 du code civil dispose ce qui suit :

    « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »

    39. Le Gouvernement fournit trois exemples d’utilisation de ce recours par des personnes détenues. Premièrement, par un jugement du 17 septembre 1992, le tribunal de première instance de Liège retint la responsabilité de l’État belge dans un cas où un détenu s’était blessé alors qu’il jouait au football, en raison de l’état défectueux du terrain de jeu de la prison et condamna l’État belge au paiement d’indemnités au bénéfice du détenu. Le tribunal de première instance de Gand parvint le 7 septembre 2012 à la même conclusion dans une affaire où le détenu avait été blessé au cours de son travail effectué en prison. Enfin, par citation du 8 août 2006 devant le tribunal de première instance de Bruxelles, un demandeur qui avait été placé en détention préventive du 31 janvier 2006 au 11 mai 2006 se plaignait devant le juge du fond de ses conditions de détention à la prison de Forest (mauvaises conditions d’hygiène, pas de traitement médical approprié, pas d’eau courante ni de toilette en cellule). Le demandeur demandait 10 000 euros à titre provisionnel. Suite à sa mise en liberté, il n’avait cependant pas poursuivi la procédure et il n’y eut dès lors pas de jugement.

    3.  Les commissions de surveillance

    40. En 2003, des commissions de surveillance auprès de chaque prison et un conseil central de surveillance pénitentiaire furent créés en vertu de l’arrêté royal du 21 mai 1965 portant règlement général des établissements pénitentiaires, modifié par l’arrêté royal du 4 avril 2003. L’instauration de ces commissions visait à répondre aux nombreuses critiques concernant le manque de contrôle indépendant sur les prisons. La mission et la compétence des commissions de surveillance sont ainsi définies dans l’arrêté royal du 21 mai 1965 :

    Article 138ter

    « La Commission de Surveillance a pour mission :

    1o  d’exercer un contrôle indépendant sur la prison auprès de laquelle elle a été instituée, sur le traitement réservé aux détenus et sur le respect des règles les concernant *

     

    2o  de soumettre au Ministre et au Conseil central de surveillance pénitentiaire, soit d’office, soit sur demande, des avis et des informations concernant des questions, qui, dans la prison présentent un lien direct ou indirect avec le bien-être des détenus, et de formuler les propositions qu’elle juge appropriées ;

    3o  de rédiger annuellement pour le Conseil central de surveillance pénitentiaire un rapport sur tout ce qui concerne le traitement réservé aux détenus et le respect des règles en la matière dans la prison pour laquelle elle est compétente. »

    Art. 138quater

    « § 1er.  Pour autant que cela soit nécessaire à l’accomplissement de leurs missions définies à l’article 138ter, les membres de la Commission de surveillance ont librement accès à tous les endroits de la prison et ont le droit de consulter sur place, sauf exceptions prévues par la loi, tous les livres et documents se rapportant à la prison et, moyennant accord écrit préalable du détenu, toutes les pièces contenant des informations individuelles le concernant.

    § 2.  Ils ont le droit d’entretenir une correspondance avec les détenus sans être contrôlés et d’entrer en contact avec eux sans être surveillés.

    § 3.  Le président de la Commission de surveillance rencontre le conseiller-directeur des prisons de la prison une fois par mois ainsi que chaque fois que des circonstances particulières le requièrent. »

    4.  Le droit de plainte instauré par la loi de principes

    41.  Le titre VIII de la loi de principes prévoit l’instauration d’un droit de plainte des détenus auprès d’une commission des plaintes instituée auprès de chaque commission de surveillance. Ces commissions des plaintes seront qualifiées pour traiter les plaintes individuelles des détenus ; les commissions de surveillance exerceront également une fonction de surveillance générale. Les détenus se verront donc reconnaître le droit de contester auprès de cette instance les décisions les concernant, la commission des plaintes ayant le pouvoir d’annuler une décision de la direction. Toutefois, à ce jour, ce titre de la loi de principes n’est pas encore entré en vigueur parce qu’un arrêté royal d’exécution n’a pas encore été pris.

    C.  Les demandes de libération conditionnelle en vue de l’éloignement du territoire

    42. En vertu de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine, le tribunal de l’application des peines rend des décisions sur l’exécution des peines privatives de liberté. Les éléments de la procédure devant le tribunal de l’application des peines pertinents pour le cas d’espèce sont ainsi décrits dans la loi précitée :

    Article 30

    « § 1er. La libération conditionnelle et la mise en liberté provisoire en vue de l’éloignement du territoire ou de la remise sont accordées par le juge de l’application des peines sur demande écrite du condamné.

    [...] »

    Article 35

    « § 1er. Le juge de l’application des peines entend le condamné et son conseil, le ministère public, et, si le condamné est en détention, le directeur.

    [...] »

    Article 36

    « L’audience se déroule à huis clos.

    Lorsque le juge de l’application des peines a refusé trois fois d’accorder une modalité d’exécution de la peine, le condamné peut demander de comparaître en audience publique.

    Cette demande ne peut être rejetée, par décision motivée, que si cette publicité est dangereuse pour l’ordre public, les bonnes mœurs ou la sécurité nationale. »

    Article 96

    « Les décisions du juge de l’application des peines et du tribunal de l’application des peines relatives à l’octroi, au refus ou à la révocation des modalités d’exécution de la peine visées au Titre V, et à la révision des conditions particulières, ainsi que les décisions prises en vertu du Titre XI sont susceptibles de pourvoi en cassation par le ministère public, soit d’office, soit par les ordres du Ministre de la Justice, et le condamné. »

    Article 97

    « § 1er. Le ministère public se pourvoit en cassation dans un délai de vingt-quatre heures à compter du prononcé du jugement.

    Le condamné se pourvoit en cassation dans un délai de quinze jours à compter du prononcé du jugement. La déclaration de recours en cassation doit être signée par un avocat. Les moyens de cassation sont proposés dans un mémoire qui doit parvenir au greffe de la Cour de cassation au plus tard le cinquième jour qui suit la date du pourvoi.

    [...] »

    III.  LA SITUATION CARCÉRALE EN BELGIQUE

    43. En Belgique, les établissements pénitentiaires relèvent de la compétence du SPF de la Justice. En 2013, elle comptait 32 établissements pénitentiaires, dont 16 en Flandre, 14 en Wallonie et 2 à Bruxelles. Ces établissements se divisent en deux catégories : les maisons d’arrêt qui accueillent des personnes incarcérées en application de la loi sur la détention préventive, et les établissements pour peine où sont incarcérées les personnes qui ont été condamnées à exécuter une peine privative de liberté.

    44. D’après la Notice 2013 de l’état du système carcéral belge (publiée le 23 août 2013) de l’Observatoire international des prisons - section belge, la capacité carcérale en 2012 était de 8 930 places.

    IV.  RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

    A.  Textes généraux

    45. Les recommandations pertinentes adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, ainsi que les parties pertinentes des rapports généraux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (« CPT ») ont été rappelées par la Cour dans l’arrêt Torreggiani et autres c. Italie (nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, §§ 30-32, 8 janvier 2013).

    B.  Rapports relatifs à la situation en Belgique

    1.  La situation générale

    46. Dans sa Notice 2013 de l’état du système carcéral belge (publiée le 23 août 2013), l’Observatoire international des prisons - section belge s’exprime en ces termes :

    « Or, on écrivait en 2008 que, depuis 1980, la population carcérale avait augmenté de 74%, passant de 5.677 à 9.873 détenus (moyenne annuelle), sans aucune preuve que la délinquance se soit pour autant accrue. Le 15 juin 2009, il y avait 10.519 détenus. En 2010, la population carcérale augmente encore, la croissance globale sur l’année écoulée étant de 4%. En 2012, la population carcérale moyenne (hommes et femmes) atteignait 11.107 détenus, et 11.865 détenus le 27 décembre 2012.

    [...]

    De manière générale, les conditions de salubrité et d’hygiène, telles que décrites dans les précédents rapports de l’OIP, ne se sont pas du tout améliorées et la majorité des lieux de détention belges ne sont toujours pas conformes aux règles d’hygiène et de sécurité les plus élémentaires. Aucune réelle politique globale de rénovation des prisons n’a été entreprise alors que 20 de nos 36 établissements pénitentiaires datent du XIXème siècle.

    Les fréquents rappels à l’ordre des instances de contrôle nationales et internationales ne semblent pas incliner les Ministres de la Justice successifs à revoir leur copie et l’état de délabrement général du système carcéral belge se fait, chaque année, plus durement ressentir. »

    47. Dans son rapport au Gouvernement belge relatif à la visite effectuée en Belgique du 23 au 27 avril 2012 (CPT/Inf (2012) 36), le CPT a souligné :

    « 73. Le thème de la surpopulation carcérale a été examiné à plusieurs reprises par le CPT lors de ses précédentes visites en Belgique. Force est de constater que malgré les efforts entrepris par les autorités belges ces dernières années (et notamment la location de 650 places à la prison de Tilburg [aux Pays-Bas]), la situation en matière de surpopulation carcérale n’a cessé de s’aggraver, le nombre de personnes incarcérées croissant de 300 à 400 personnes par an. D’un taux de surpopulation moyen de 17 % en 2010, on est ainsi passé à 20,2 % en 2011 pour atteindre 24 % au 1er juin 2012. »

    2.  La prison d’Anvers

    48. Lors de sa première visite de la prison d’Anvers en 2001, le CPT constata les éléments suivants (CPT/Inf (2002) 25) :

    « 70. Comme déjà indiqué, la Prison d’Anvers avait bénéficié d’un programme de rénovation approfondi. L’établissement était doté de quatre types de cellules (mono, duo, trio et quatuor), qui offraient un espace de vie adéquat par rapport à leur capacité officielle (+ 8m² pour les cellules individuelles, + 10 m² pour les duo, + 18 m² pour les trio, et environ 30 m² pour les quatuor). L’équipement des cellules était, en principe, tout à fait adéquat (lit et literie, table, chaises, armoires, sanitaires cloisonnés, frigo, câble TV), ainsi que l’éclairage et la ventilation.

    Malheureusement, cette situation favorable était loin de se vérifier en pratique. En effet, à l’exception des ailes D (femmes) et E (semi-liberté), toutes les autres ailes de la prison étaient affectées par une surpopulation chronique très importante (les cellules hébergeaient un, voire deux, détenus en surnombre). La délégation du CPT a constaté avec consternation que huit ans après sa première visite en Belgique, des détenus dormaient encore sur un matelas posé à même le sol, par manque d’espace disponible afin d’y installer un lit. Le CPT est conscient que la direction de l’établissement utilisait tous les outils mis à sa disposition pour juguler la surpopulation et que les racines du phénomène échappaient à son contrôle ; toutefois, il convient de ne pas se départir d’une règle élémentaire : un détenu, un lit. »

    49. Dans son rapport du 17 juin 2009 faisant suite à sa visite en Belgique du 15 au 19 décembre 2008 (CommDH(2009)14), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, écrivait notamment ce qui suit :

    « 35. Le Commissaire constate qu’avec 1449 détenus en surnombre au début de l’année 2008, la surpopulation carcérale est un réel fléau qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années en Belgique. Plus de 75 % des établissements pénitentiaires sont surpeuplés et certains atteignent des taux de 150 %.

    [...]

    41. Le Commissaire a visité les maisons d’arrêt d’Anvers et de Forest qui sont gravement touchées par la surpopulation. Dans son rapport publié en 2002, le CPT avait déjà constaté que la prison d’Anvers était affectée par une surpopulation chronique très importante. Au jour de la visite, la maison d’arrêt d’Anvers contenait 715 détenus (dont 44 femmes) pour une capacité de 439 places. La capacité de la prison de Forest est de 405 places. Lors de la visite du Commissaire, 690 personnes y étaient détenues.

    42. Bien que la maison d’arrêt d’Anvers ait été rénovée et bien entretenue, la surpopulation a pour effet de porter atteinte à l’organisation logistique au sein de l’établissement. La maison d’arrêt de Forest est délabrée et insalubre, et la surpopulation ne fait qu’y aggraver les conditions de détention.

    43. Le Commissaire a constaté durant sa visite que la surpopulation carcérale a de graves conséquences sur les conditions de détention en termes d’hygiène, de promiscuité et de sécurité. Ainsi certaines prisons manquent de linge pour les détenus, la quantité de nourriture distribuée est parfois insuffisante, l’accès aux douches est limité. Le temps de promenade est réduit et le régime d’activités est minime. En conséquence, les détenus de certains établissements, dont celui de Forest, passent 23 heures par jour dans leur cellule en surnombre. Le nombre de visites diminue proportionnellement à l’augmentation du nombre de détenus. La surpopulation cause des tensions voire des violences au sein des établissements. Les délais de transferts vers les hôpitaux ou les tribunaux sont allongés et, dans certains cas, l’accès des détenus à leur avocat est restreint.

    44. Lors de sa visite, le Commissaire a été frappé par le nombre de détenus par cellule : à Anvers, une cellule prévue pour quatre personnes peut accueillir jusqu’à dix personnes, de même qu’une cellule prévue pour une personne peut en accueillir trois. Comme cela avait déjà été dénoncé par le CPT lors de sa visite, une partie des détenus dorment sur des matelas posés à même le sol par manque d’espace disponible pour ajouter des lits. Au total, au sein de l’établissement, 100 détenus sont privés de lit. »

    3.  La prison de Merksplas

    50. Dans son rapport publié le 18 juin 1998 (CPT/Inf (98) 11), le CPT décrivait le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas dans les termes suivants :

    « 129. [...] le pavillon « Cellen » [est] réservé aux entrants ainsi qu’aux détenus disciplinairement sanctionnés/isolés [...]. Ce pavillon était vétuste et son état d’entretien laissait à désirer. Les cellules hébergeant les entrants mesuraient 9 m², ce qui est adéquate pour une personne ; toutefois un certain nombre d’entre elles était occupé par deux détenus. Il est à ajouter que les cellules ne disposaient pas d’eau courante et les détenus étaient contraints d’utiliser des tinettes pour satisfaire leurs besoins naturels. En somme, les conditions matérielles de ce pavillon étaient très médiocres. Des mesures s’imposent sans attendre pour remédier à cette situation. »

    51. S’agissant notamment du pavillon « A », le CPT précisait ce qui suit :

    « 127. [...] Les pavillons A, A bis et C présentaient des conditions matérielles de niveau acceptable. Les cellules étaient de dimensions adéquates pour le nombre de détenus hébergés (quatre dans 20 m²), bien équipées et bénéficiaient d’une bonne luminosité naturelle ainsi que d’un éclairage artificiel satisfaisant. Il convient également de relever que les annexes sanitaires en cellule étaient entièrement encloisonnées. »

    52. Dans son rapport annuel de 2007, le Conseil central de surveillance pénitentiaire a décrit les conditions matérielles et d’hygiène d’une série d’établissements dont la prison de Merksplas comme étant « dignes du Moyen Âge, puisqu’ils ne disposent ni d’eau courante ni de sanitaires ». En ce qui concerne le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas, il ajouta :

    « La commission [de surveillance de Merksplas] rapporte que la distribution d’eau courante destinée à l’hygiène personnelle, ainsi qu’à la consommation et la lessive, se fait au moyen d’une cruche en plastique ouverte, mal nettoyée et présentant de ce fait des dépôts de calcaire ainsi que d’autres traces peu appétissantes. Lorsque l’on sait que certains détenus utilisent ces cruches comme urinoir, il est clair qu’un nettoyage approfondi et quotidien n’est certainement pas un luxe superflu. L’absence de toilettes dans les cellules contraint les détenus à faire usage de seaux hygiéniques vidés seulement deux fois par jour, ce qui provoque des nuisances olfactives insupportables dans la section et pousse certains détenus à répandre le contenu des seaux sur le sol et les murs de leurs cellules. L’odeur pénétrante de l’urine dans le bloc cellulaire empoisonne non seulement la vie des détenus, mais également celle du personnel. La Commission de surveillance de Merksplas a déjà signalé plusieurs fois les faits ci-dessus aux diverses autorités concernées. »

    53. Le CPT a effectué une nouvelle visite périodique en Belgique du 24 septembre au 4 octobre 2013, et il s’est notamment rendu dans les prisons d’Anvers et de Merksplas. Le rapport du CPT n’a cependant, au jour de l’adoption du présent arrêt (le 21 octobre 2014), pas été rendu public.

    4.  Les voies de recours disponibles aux détenus

    54. S’agissant des voies de recours disponibles, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ajoutait ce qui suit dans son rapport de 2009 (précité au paragraphe 48, ci-dessus) :

    « 57. Des Commissions de surveillance et un Conseil Central de surveillance pénitentiaire ont été créés en 2003 en Belgique. Leur mission est d’exercer une surveillance indépendante sur le traitement des détenus et sur le respect des règles en vigueur. Le Commissaire relève cependant que ces Commissions ne sont pas professionnalisées, leurs membres étant bénévoles, et que par conséquent certaines d’entre elles ne fonctionnent pas en pratique. Les contrôles effectués par les Commissions sont disséminés et parcellaires. Le manque de coopération entre les Commissions et le Conseil central empêche la publication d’un rapport annuel consolidé des problèmes dans l’ensemble des prisons. Le Commissaire recommande aux autorités belges de ratifier l’OPCAT [le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants] et de mettre en place rapidement un mécanisme efficace de visite des lieux privatifs de liberté, conformément aux obligations découlant de ce Protocole.

    58. La loi Dupont instaure un droit de plainte au profit des détenus devant les Commissions des plaintes qui seront créées auprès des Commissions de surveillance. Ces Commissions des plaintes auront compétence pour traiter des plaintes individuelles des détenus qui pourront contester devant elles les décisions prises à leur égard par la direction. Pourtant, ces dispositions de la loi Dupont ne sont à ce jour pas entrées en vigueur. Le Commissaire recommande aux autorités belges de mettre en place un système efficace de plaintes individuelles pour les détenus par la création d’un organe indépendant. »

    55. Le rapport alternatif de la Ligue des droits de l’homme présenté au Comité des droits de l’homme des Nations Unies en vue de l’examen du cinquième rapport périodique de l’État belge (février 2010) faisait le constat suivant :

    « Le droit de plainte est une partie fondamentale de la loi de principes. Malgré cela, cette partie de la loi n’est pas entrée en vigueur. Si les Commissions de surveillance ont bien été instituées, elles n’ont pas l’autorité d’annuler et de prendre des décisions, leur seule compétence reconnue étant celle de remplir le rôle de médiateur entre le détenu et la direction. En outre, les Commissions de surveillance sont composées de bénévoles et ne disposent que d’un budget très réduit pour mener à bien leurs missions.

    Malheureusement, il ne semble pas rentrer dans les priorités du gouvernement d’instaurer, à court terme, un droit de plainte du détenu. Au contraire, il est prévu d’attendre l’entrée en vigueur de tous les autres passages de la loi de principes avant d’instaurer ce droit de plainte. »

    56. Dans son rapport publié le 23 juillet 2010 (CPT/Inf (2010) 24), le CPT rendit les conclusions suivantes :

    « 158. [...] En ce qui concerne les plaintes, le Titre VIII de la Loi de principes prévoit l’instauration d’un véritable droit de plainte des détenus auprès d’une « Commission des plaintes » instituée auprès de chaque Commission de surveillance. Une procédure formelle est prévue, ainsi que des pouvoirs très étendus pour la Commission des plaintes (par exemple, celui d’organiser une médiation entre des parties en litige, ou de mener des enquêtes au sein de l’établissement pénitentiaire concerné). Cette Commission sera par ailleurs investie du pouvoir d’annuler une décision de la direction de l’établissement pénitentiaire, et ses décisions, motivées, seront susceptibles d’appel devant la Commission d’appel du Conseil central de surveillance pénitentiaire. Or, faute d’arrêté royal d’application, le Titre VIII susmentionné n’est pas encore entré en vigueur. Le CPT recommande aux autorités belges de prendre immédiatement des mesures afin que les dispositions du Titre VIII de la Loi de principes entrent en vigueur. »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION (CONDITIONS MATÉRIELLES DE DÉTENTION)

    57.  Le requérant se plaint d’avoir été soumis à des conditions matérielles de détention inhumaines et dégradantes. Il invoque une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur la recevabilité

    1.  L’exception préliminaire du Gouvernement

    58.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes par le requérant et postule donc l’irrecevabilité de la requête en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention. Il soutient que le requérant avait à sa disposition des voies de recours effectives pour se plaindre de ses conditions de détention, dont il n’a pas fait usage.

    59. En premier lieu, le Gouvernement estime que le requérant aurait pu introduire une demande devant le juge des référés dans le but de faire cesser une atteinte à un droit subjectif estimée irrégulière, sur la base de l’article 584 du code judiciaire. Le Gouvernement fournit plusieurs exemples qui seraient de nature à démontrer l’effectivité de ce recours pour les détenus (paragraphes 33-37, ci-dessus).

    60. Deuxièmement, le Gouvernement considère que le requérant aurait pu introduire une demande devant le juge civil afin d’obtenir réparation du préjudice résultant d’une faute des autorités, en application de l’article 1382 du code civil. Le Gouvernement explique que l’État belge a déjà été tenu d’indemniser un détenu qui s’était blessé alors qu’il jouait au football, en raison de l’état défectueux du terrain de jeu de la prison, et que l’État a également été tenu pour responsable dans le cadre d’un accident de travail à la prison (paragraphe 39, ci-dessus). Une personne avait également cité l’État devant le tribunal de première instance de Bruxelles en raison des conditions de détention à la prison de Forest, des mauvaises conditions d’hygiène, de l’absence de traitement médical approprié et de l’absence d’eau courante et de toilette en cellule. Cependant, lors de sa libération, le requérant n’avait pas poursuivi la procédure et les juridictions ne s’étaient donc pas prononcées sur la demande du requérant (ibidem).

    61. D’après le Gouvernement, le requérant aurait également pu s’adresser au centre public d’action sociale (« CPAS ») compétent afin d’obtenir une aide financière pouvant être accordée à des détenus dans le besoin ou dans le cas d’un accident du travail survenu en cours de détention. En application des circulaires 1620/viii du 23 décembre 1993 et 1685/xiii du 30 mars 1998, les détenus peuvent prétendre à une aide de la caisse d’entraide des détenus ou à une aide sociale. En cas de contestation, les tribunaux du travail peuvent être saisis.

    62. Enfin, le Gouvernement allègue que le requérant aurait pu se plaindre de ses conditions de détention à un membre de la commission de surveillance instituée auprès de la prison où il séjournait (paragraphe 40, ci-dessus). Le Gouvernement est d’avis que, par leur rôle de médiateur, ses commissions ont une utilité incontestable. Quant aux plaintes que le requérant dit avoir adressées aux autorités pénitentiaires, le Gouvernement explique qu’il n’est pas possible de savoir si cela a effectivement été le cas puisque les plaintes sont confidentielles dans le cadre de la procédure actuellement en vigueur.

    63. Constatant que le requérant n’a effectué aucune de ces démarches pour se plaindre de ses conditions de détention et pour donner la possibilité aux autorités belges de remédier aux violations alléguées, le Gouvernement est d’avis que le grief tiré de l’article 3 de la Convention doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours en application de l’article 35 § 1 de la Convention.

    2.  La thèse du requérant

    64. Le requérant soutient qu’il a fait tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui. Il rappelle à cet égard que seuls les recours disponibles, adéquats et effectifs doivent être épuisés pour satisfaire aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention. Or en l’occurrence, les recours mentionnés par le Gouvernement sont soit rhétoriques et inaccessibles, soit ils ne sont pas adéquats pour remédier aux violations alléguées. Selon le requérant, il n’y avait donc pas de recours effectif à épuiser pour se plaindre des conditions matérielles de détention.

    65. Concernant l’action devant le juge des référés, le requérant fait valoir que celle-ci était manifestement dépourvue de toute chance de succès. Quant à l’action en réparation devant le juge civil pour faute des autorités, celle-ci ne serait un recours à épuiser que si elle est susceptible d’offrir le redressement approprié, ce qui ne serait pas le cas lorsque le grief porte sur une méconnaissance des articles 2 ou 3 de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, CEDH 1999-II, et İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, CEDH 2000-VII). En outre, concernant la demande d’une aide sociale financière, le requérant conteste fermement le fait qu’il s’agisse d’un recours adéquat qui aurait permis de remédier à une situation contrevenant à l’article 3 de la Convention.

    66. Enfin, s’agissant des plaintes qu’il est possible de déposer auprès d’une commission de surveillance, le requérant fait valoir que ces commissions n’ont pas de compétence pour annuler ou prendre des décisions concernant les conditions de vie d’un détenu. Elles n’ont qu’une compétence de médiation entre le détenu et la direction de la prison. Les plaintes que les détenus peuvent leur adresser ne sont pas obligatoirement prises en compte par les commissions. Celles-ci ne prennent aucune décision écrite et elles ne sont pas tenues par un délai précis de réponse pouvant assurer un minimum de prévisibilité au détenu. Une plainte débouche généralement sur un simple échange de vues entre les membres de la commission et le directeur de la prison dans le but que ce dernier prenne, le cas échéant, des décisions pour remédier aux problèmes dénoncés. L’opportunité de prendre des mesures reste soumise à la discrétion des autorités pénitentiaires. Ce recours ne peut donc pas être considéré comme effectif. Par ailleurs, le requérant rappelle que le droit de plainte prévu par la loi de principes n’est pas entré en vigueur puisqu’aucun arrêté royal d’exécution n’a été adopté à ce jour (sur cette question, voir paragraphe 41, ci-dessus).

    3.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes applicables

    67. La Cour a récemment rappelé les principes applicables à l’exigence d’épuisement des voies de recours internes posée par l’article 35 § 1 de la Convention (Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, 25 mars 2014) :

    « 69.  Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne doit pas se substituer aux États contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection.

    70.  Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil 1996-IV). La Cour ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière - deux tâches qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (voir la décision Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 69, CEDH 2010, dans laquelle la Cour a cité les principes exposés de manière détaillée aux paragraphes 66 à 69 de l’arrêt Akdivar et autres, dont les éléments pertinents en l’espèce sont rappelés ci-après).

    71.  L’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Akdivar et autres, précité, § 66).

    72.  L’article 35 § 1 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance (voir, par exemple, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 32, série A no 236, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 144 et 146, CEDH 2010, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I)) et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg ; il commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention (Akdivar et autres, précité, § 66). Une requête ne satisfaisant pas à ces exigences doit en principe être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (voir, par exemple, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200, et Thiermann et autres c. Norvège (déc.), no 18712/03, 8 mars 2007).

    73.  Cependant, comme indiqué précédemment, rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs. De plus, selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser les recours internes qui s’offrent à lui. La règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas non plus lorsqu’est prouvée l’existence d’une pratique administrative consistant en la répétition, avec la tolérance officielle de l’État, d’actes interdits par la Convention, de sorte que toute procédure serait vaine ou inefficace (Akdivar et autres, précité, § 67).

    74. Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Balogh c. Hongrie, no 47940/99, § 30, 20 juillet 2004, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II). Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Akdivar et autres, précité, § 71, et Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 70, 17 septembre 2009).

    75.  Dès lors qu’il existe au niveau national un recours permettant aux juridictions internes d’examiner, au moins en substance, le grief de violation d’un droit protégé par la Convention, c’est ce recours qui doit être exercé (Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, CEDH 2004-III). Il ne suffit pas, le cas échéant, que le requérant ait exercé sans succès un autre recours qui était susceptible d’aboutir à l’infirmation de la mesure litigieuse pour des motifs étrangers au grief de violation d’un droit protégé par la Convention. C’est le grief tiré de la Convention qui doit avoir été exposé au niveau national pour que l’on puisse conclure à l’épuisement des « recours effectifs ». Il serait contraire au caractère subsidiaire du mécanisme de la Convention qu’un requérant, négligeant un argument possible au regard de la Convention, puisse devant les autorités nationales invoquer un autre moyen pour contester une mesure, et par la suite introduire devant la Cour une requête fondée sur l’argument tiré de la Convention (Van Oosterwijck c. Belgique, 6 novembre 1980, §§ 33-34, série A no 40, et Azinas, précité, § 38).

    76. Cela étant, la Cour a fréquemment souligné qu’il faut appliquer la règle de l’épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 89, série A no 13, et Akdivar et autres, précité, § 69). Il serait par exemple trop formaliste d’exiger des intéressés qu’ils usent d’un recours que même la juridiction suprême du pays ne les obligeait pas à exercer (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, §§ 117 et 118, CEDH 2007-IV).

    77.  En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de l’exercer (Akdivar et autres, précité, § 68, Demopoulos et autres, décision précitée, § 69, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). »

    68. S’agissant en particulier de l’appréciation de l’effectivité des recours concernant des allégations de mauvaises conditions de détention, la Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer (Torreggiani et autres, précité) que :

    « 50. [...] la question décisive est de savoir si la personne intéressée peut obtenir des juridictions internes un redressement direct et approprié, et pas simplement une protection indirecte de ses droits garantis par l’article 3 de la Convention (voir, entre autres, Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, § 107, 20 octobre 2011). Ainsi, un recours exclusivement en réparation ne saurait être considéré comme suffisant s’agissant des allégations de conditions d’internement ou de détention prétendument contraires à l’article 3, dans la mesure où il n’a pas un effet « préventif » en ce sens qu’il n’est pas à même d’empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre aux détenus d’obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention (Cenbauer c. Croatie (déc.), no 73786/01, 5 février 2004 ; Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 116, 22 octobre 2009 ; Mandić et Jović c. Slovénie, précité § 116 ; Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, § 38, 13 mars 2012).

    En ce sens, pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012). »

    b)  Application au cas d’espèce

    69. Outre les plaintes et demandes que le requérant dit avoir adressées aux autorités pénitentiaires et qui n’ont pas abouti (paragraphes 6, 14 et 15 ci-dessus), la Cour constate, tel que l’a relevé le Gouvernement, que le requérant n’a entrepris aucune démarche administrative ou juridictionnelle pour se plaindre de ses conditions matérielles de détention. De ce fait, pour déterminer si les exigences d’épuisement des voies de recours ont été respectées par le requérant, la Cour va examiner chacun des recours mentionnés par le Gouvernement pour vérifier s’ils étaient adéquats, effectifs et de nature à permettre un redressement direct et approprié des conditions dénoncées par le requérant.

    70. À cet égard, la Cour relève que, lors de l’introduction de la requête devant la Cour, le requérant était toujours détenu à la prison de Merksplas dans des conditions qu’il estimait contraires à l’article 3 de la Convention. Dans une telle situation de violation continue alléguée, le recours, pour être qualifié d’effectif, devait être à même d’empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre au requérant d’obtenir une amélioration de ses conditions de détention (Torreggiani et autres, précité, § 50).

    i.  La saisine du juge des référés

    71. En premier lieu, le Gouvernement estime que le requérant aurait dû, pour satisfaire aux exigences de l’épuisement des voies de recours, introduire une demande en référé sur la base de l’article 584 du code judiciaire. La Cour est d’avis que ce recours semble, en théorie, être adéquat pour remédier de façon immédiate à une situation contraire aux droits subjectifs d’une personne détenue. En effet, il ressort de la jurisprudence fournie par le Gouvernement que le juge civil, statuant en référé sur pied de l’article 584 du code judiciaire, peut ordonner que soit prise une mesure individuelle afin de mettre un terme à une situation contraire aux droits subjectifs de la personne détenue (paragraphes 33-37, ci-dessus). Cela étant dit, la Cour souligne qu’en l’espèce, les griefs du requérant ne concernent pas des mesures individuelles prises à l’intérieur de la prison à son égard (tels des sanctions disciplinaires, transfèrements ou autres mesures de sécurité), mais ont trait à ses conditions matérielles de détention.

    72. Tel que la Cour l’a rappelé, il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (voir, entre autres, Demopoulos et autres, décision précitée, § 69 ; Kalachnikov c. Russie (déc.), no 47095/99, CEDH 2001-XI (extraits)). La Cour n’a donc eu égard qu’aux exemples de jurisprudence fournis par le Gouvernement (paragraphes 33-37, ci-dessus). Or, la Cour constate que ces exemples ont trait aux relations avec d’autres détenus, aux mesures de sécurité (fouilles), et au droit à la santé physique et psychique (pour des détenus nécessitant des soins). Quant aux conditions de vie des détenus, le Gouvernement expose qu’une demande d’un détenu à disposer d’un ordinateur personnel avait été rejetée et qu’une demande d’un détenu à disposer de divers objets avait été déclarée non fondée (paragraphe 37, ci-dessus). La Cour relève que le Gouvernement n’a produit aucun exemple d’une décision judiciaire ayant statué sur une demande tendant à ordonner l’amélioration ou la modification des conditions matérielles de détention d’un individu, tel que, par exemple, le transfert vers un établissement moins peuplé ou le transfert vers une cellule appropriée (dans le même sens, Orchowski c. Pologne, no 17885/04, § 108, 22 octobre 2009).

    73. De plus, la Cour constate que les problèmes découlant de la surpopulation carcérale en Belgique ainsi que les problèmes d’hygiène et de vétusté des établissements revêtent apparemment un caractère structurel et ne concernent pas uniquement la situation personnelle du requérant (voir, à ce sujet, les extraits de rapports internationaux aux paragraphes 46-47, ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas démontré quelle réparation un juge siégeant en référé aurait pu offrir au requérant, compte tenu de la difficulté qu’aurait l’administration compétente pour exécuter une éventuelle ordonnance favorable au requérant (voir, dans le même sens, Kalachnikov, décision précitée ; Norbert Sikorski, précité, § 121 ; Ananyev et autres, précité, § 111 ; Torreggiani et autres, précité, § 54).

    74. Partant, la Cour estime que, dans l’état actuel de la situation pénitentiaire en Belgique et de la jurisprudence des tribunaux belges telle que présentée par le Gouvernement, une action en référé sur la base de l’article 584 du code judiciaire ne saurait être considérée comme un recours effectif à épuiser pour une personne détenue qui souhaite contester les conditions matérielles de sa détention. Ce constat est sans préjudice de la possibilité pour la Cour d’examiner, dans des affaires similaires postérieures, une éventuelle évolution de la situation pénitentiaire en Belgique ou de la jurisprudence nationale à la lumière des exigences de la Convention.

    ii.  Le recours en vertu de l’article 1382 du code civil

    75. Ensuite, le Gouvernement fait valoir que le requérant aurait pu introduire une demande en réparation en vertu de l’article 1382 du code civil. Or la Cour relève que ce recours n’aurait pas permis un quelconque changement de cellule ou une amélioration immédiate et concrète des conditions de vie du requérant. Une décision favorable des tribunaux aurait simplement permis au requérant d’obtenir une indemnisation financière pour le préjudice subi du fait d’une faute des autorités pénitentiaires (paragraphes 38-39, ci-dessus). La Cour en conclut que l’action en dommages et intérêts ne remplit pas les conditions exigées pour être considéré comme un recours effectif (Torreggiani et autres, précité, § 50, rappelé au paragraphe 68, ci-dessus). La Cour estime donc que, s’agissant d’une personne détenue au moment de l’introduction de la requête devant la Cour, le recours prévu par l’article 1382 du code civil n’était pas, à lui seul, un recours effectif et ne constituait donc pas un recours à épuiser pour se plaindre des conditions matérielles de détention.

    iii.  L’aide financière du CPAS

    76. Par ailleurs, le Gouvernement allègue que le requérant aurait pu obtenir une aide financière du CPAS compétent et, le cas échéant, contester le refus du CPAS devant les juridictions du travail (paragraphe 61, ci-dessus). La Cour ne voit pas en quoi l’obtention d’une aide financière aurait permis au requérant d’améliorer ses conditions de détention. Cette constatation suffit à la Cour pour conclure qu’il ne s’agissait pas d’un recours à épuiser pour satisfaire aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention.

    iv.  La saisine d’une commission de surveillance

    77. Enfin, s’agissant de la plainte que le requérant aurait pu déposer auprès des commissions de surveillance instituées auprès des prisons dans lesquelles il a séjourné, la Cour relève que les compétences de ces commissions sont limitées et ont principalement une portée générale (paragraphe 40, ci-dessus). En l’absence d’arrêté royal mettant en œuvre les dispositions pertinentes de la loi de principes (paragraphe 41, ci-dessus), les commissions ne disposent d’aucun pouvoir de prendre des mesures individuelles afin de faire modifier les conditions de détention d’une personne déterminée (voir paragraphes 54-56, ci-dessus). Elles ont seulement compétence pour discuter avec l’administration pénitentiaire au sujet des problèmes identifiés. Toute mesure prise à l’égard d’un détenu reste à la discrétion de l’administration pénitentiaire. La Cour est dès lors d’avis que ce recours ne permettait pas au requérant de redresser la violation alléguée de l’article 3 de la Convention.

    v.  Conclusion

    78. Ainsi, s’il est vrai que le requérant n’a pas fait usage des voies suggérées par le Gouvernement, la Cour estime que le Gouvernement, auquel la charge de la preuve incombe en la matière, n’a pas démontré avec une certitude suffisante que l’usage des recours qu’il a suggérés aurait été de nature à offrir réparation au requérant quant à sa plainte concernant les conditions matérielles de sa détention.

    79.  Par conséquent, la Cour estime que cette partie de la requête ne saurait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes. Elle rejette donc l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

    80. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le bien-fondé

    1.  Thèse du requérant

    81.  Se référant aux rapports établis par le CPT et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (dont les extraits pertinents sont repris aux paragraphes 46-52, ci-dessus), le requérant fait valoir que la surpopulation carcérale est endémique en Belgique et qu’elle est présente dans tous les établissements pénitentiaires, et notamment dans les prisons d’Anvers et de Merksplas. Dans ces conditions, le requérant estime que le minimum d’hygiène et de salubrité ne peut être garanti aux détenus.

    82. S’agissant de la prison d’Anvers, le requérant rappelle qu’il y séjourna pendant quarante-cinq jours. Durant vingt-deux jours, il fut obligé de dormir sur un matelas posé à même le sol, dans des cellules surpeuplées qu’il partageait avec des détenus fumeurs. Ainsi, pendant sept jours, il séjourna dans une cellule dans laquelle il disposait d’un espace individuel de 3,68 m² ; puis pendant quatorze jours dans une cellule où il disposait de 2,8 m². Il fait valoir que les conditions qu’il décrit correspondent aux constatations du CPT et des autres observateurs nationaux et internationaux. Dans son rapport après avoir effectué une visite à la prison de Forest en 2012, le CPT a d’ailleurs considéré que des conditions similaires à celles du requérant (matelas posé à même le sol, espace individuel de moins de 3 m²) constituaient un traitement inhumain et dégradant. À titre de preuve, le requérant explique que ses douleurs dorsales se sont aggravées au cours de sa détention, preuve qu’il avait dû dormir sur un matelas posé sur le sol.

    83. S’agissant de la prison de Merksplas, le requérant rappelle avoir séjourné au total soixante jours dans le pavillon « cellules » dans lequel les conditions de vie sont très mauvaises et critiquées par les observateurs extérieurs. Pour le requérant, le fait d’avoir dû satisfaire ses besoins naturels dans un seau hygiénique est dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Il est en outre inacceptable que le requérant ait dû séjourner dans des cellules dépourvues de toilette, de lavabo et d’eau courante. D’après le requérant, cette situation, combinée au tabagisme passif subi et à l’espace personnel en-dessous des recommandations du CPT, a constitué une violation de l’article 3 de la Convention.

    2.  Thèse du Gouvernement

    84.  Sans vouloir minimiser les conditions de détention parfois difficiles dans les prisons belges, le Gouvernement estime que la présente affaire doit être distinguée à plusieurs égards des affaires dans lesquelles la Cour a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de détention.

    85.  S’agissant de la période du 17 octobre 2011 au 2 novembre 2011, le Gouvernement fait observer que le requérant séjourna dans une cellule de 8,4 m² avec deux autres codétenus. Il fait valoir que la superficie par personne était donc d’environ 3 m². De plus, le Gouvernement relève que le requérant ne fut détenu dans cette cellule que brièvement -
    deux semaines - ; que la présence de lits superposés et d’un matelas au sol pouvant être relevé en journée réduisait l’espace meublé de la chambre, laissant plus d’espace libre par détenu ; que la cellule était en bon état et équipée correctement en chauffage, lumière, aération et toilette ; que le requérant avait la possibilité de bénéficier d’un certain temps passé en dehors de sa cellule et qu’il avait un accès régulier aux douches avec eau chaude (paragraphe 12, ci-dessus). Par ailleurs, s’il est avéré qu’un détenu a effectivement dû dormir sur un matelas au sol durant cette période, le Gouvernement fait valoir qu’il n’est pas possible de vérifier s’il s’agissait du requérant ou de l’un des codétenus étant donné que le requérant n’avait pas déposé de plainte au moment des faits.

    86.  Le Gouvernement rappelle que, hormis cette courte période de deux semaines, le requérant a été détenu dans des cellules où l’espace individuel était supérieur à 3 m².

    87. S’agissant des rapports du CPT mentionnés par le requérant, le Gouvernement fait valoir que ceux-ci sont anciens et généraux, et qu’il est dès lors difficile de faire un lien avec la situation concrète du requérant. Quant à l’allégation du requérant selon laquelle il dut partager sa cellule avec des détenus fumeurs qui consommaient également de la drogue, le Gouvernement fait valoir que l’administration pénitentiaire essaie autant que faire se peut de regrouper les détenus non-fumeurs mais que cela n’est pas toujours possible. Les drogues sont interdites en prison, mais le Gouvernement n’exclut pas la possibilité de trafics. Quant aux lumières de type néon, le Gouvernement estime qu’elles sont nécessaires afin de procéder à un contrôle visuel et qu’elles ne sont pas allumées en continu 24 heures sur 24.

    3.  Appréciation de la Cour

    a)  Principes applicables

    88. Dans l’arrêt Torreggiani et autres (précité), la Cour a rappelé les principes qui se dégagent de sa jurisprudence concernant l’évaluation des conditions de détention sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Elle s’est exprimée en ces termes :

    « 65.  La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains inconvénients. Toutefois, elle rappelle que l’incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Au contraire, dans certains cas, la personne incarcérée peut avoir besoin d’une protection accrue en raison de la vulnérabilité de sa situation et parce qu’elle se trouve entièrement sous la responsabilité de l’État. Dans ce contexte, l’article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI ; Norbert Sikorski c. Pologne, précité, § 131).

    66.  S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).

    67.  Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (voir, en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

    68.  Ainsi, dès lors qu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation sévère, la Cour a jugé que cet élément, à lui seul, suffit pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, bien que l’espace estimé souhaitable par le CPT pour les cellules collectives soit de 4 m², il s’agit de cas de figure où l’espace personnel accordé à un requérant était inférieur à 3 m² (Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007 ; Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007 ; Kadikis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006 ; Sulejmanovic c. Italie, no 22635/03, § 43, 16 juillet 2009).

    69.  En revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base (voir également les éléments ressortant des règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres, citées au paragraphe 32 ci-dessus). Aussi, même dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumière (Moisseiev c. Russie, no 62936/00, 9 octobre 2008 ; voir également Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008 ; Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007) ; d’un accès limité à la promenade en plein air (István Gábor Kovács c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012) ou d’un manque total d’intimité dans les cellules (voir, mutatis mutandis, Belevitskiy c. Russie, no 72967/01, §§ 73-79, 1er mars 2007 ; Khudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, ECHR 2005-X (extraits) ; et Novoselov c. Russie, no 66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005). »

    b)  Application au cas d’espèce

    89. Revenant aux circonstances de l’espèce, la Cour relève que le requérant n’a pas contesté les observations du Gouvernement desquelles il ressort que le requérant séjourna dans diverses cellules pendant des périodes plus ou moins longues et dans des conditions matérielles à chaque fois différentes.

    i.  La prison d’Anvers

    90. Du 10 octobre au 17 octobre 2011, soit pendant huit jours, le requérant séjourna dans une cellule de 18,4 m² avec quatre autres détenus. Le requérant disposait donc d’un espace personnel de 3,68 m², réduit par les installations sanitaires et les meubles de la cellule. Un des détenus dut dormir sur un matelas posé à même le sol.

    91. Entre le 17 octobre et le 2 novembre 2011, soit pendant quinze jours, le requérant intégra une cellule de 8,4 m² avec deux autres détenus. Le requérant disposait donc d’un espace personnel de 2,8 m², réduit par les installations sanitaires et les meubles de la cellule. Un des détenus dut dormir sur un matelas posé à même le sol.

    92. Du 2 novembre au 11 novembre 2011, soit pendant dix jours, le requérant séjourna dans une cellule de 10,4 m² avec un autre détenu. Le requérant disposait donc d’un espace personnel de 5,2 m², réduit par les installations sanitaires et les meubles de la cellule. La toilette de la cellule se trouvait derrière un paravent.

    93. Enfin, du 11 novembre au 23 novembre 2011, soit pendant douze jours, le requérant séjourna dans une cellule de 9,12 m² avec un autre détenu. Le requérant disposait donc d’un espace personnel de 4,56 m², réduit par les installations sanitaires et les meubles de la cellule.

    94. Le requérant a en outre fait valoir que pendant une partie de sa détention dans la prison d’Anvers, il partageait sa cellule avec des détenus fumeurs.

    ii.  Le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas

    95. Le 23 novembre 2011, le requérant fut transféré vers la prison de Merksplas. Du 23 novembre 2011 au 2 janvier 2012, puis du 27 mars 2012 au 14 avril 2012, soit pendant un total de soixante jours, le requérant séjourna dans le pavillon « cellules » dans une cellule de 8,6 m² avec un autre détenu fumeur. Il disposait donc d’un espace personnel de 4,3 m², réduit par les installations sanitaires et les meubles de la cellule. La cellule ne disposait ni de toilette ni d’accès à l’eau courante.

    96. D’après le Gouvernement, les cellules sont ouvertes toute la journée permettant un accès aux toilettes dans le couloir ; pendant la nuit, les cellules sont équipées de seaux hygiéniques. Le requérant quant à lui conteste le fait qu’il ait pu aller aux toilettes librement pendant la journée.

    iii.  Les pavillons « A » et « Abis » de la prison de Merksplas

    97.  Du 2 janvier au 11 juillet 2012, soit pendant plus de six mois, le requérant fut - pour la majeure partie de cette période - détenu dans une cellule de 18,4 m² avec trois autres détenus. Il disposait donc d’un espace personnel de 4,6 m², réduit par les installations sanitaires et les meubles de la cellule. D’après le requérant, ses codétenus étaient fumeurs. Le Gouvernement ne conteste pas l’allégation du requérant selon laquelle la cellule était éclairée par des néons allumés tous les jours entre 6h30 et 22h.

    98. La Cour relève qu’aucune information n’est fournie par les parties quant aux conditions s’agissant des conditions de détention du requérant après le 11 juillet 2012. Celles-ci ne font en tout état de cause pas partie des griefs du requérant.

    iv.  Appréciation de la Cour

    99. Tout d’abord, la Cour note qu’outre le problème du surpeuplement carcéral, les allégations du requérant quant aux conditions d’hygiène, notamment l’accès à l’eau courante et aux toilettes, sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par le CPT dans les différents rapports établis à la suite de ses visites dans les prisons belges (paragraphes 46-52, ci-dessus).

    100.  S’agissant en particulier de l’espace personnel accordé au requérant, la Cour observe que, pendant une partie de sa détention, l’intéressé a subi les effets d’une situation de surpopulation carcérale. Les parties s’accordent à dire que, pendant plusieurs semaines, le requérant disposait d’un espace individuel en-dessous de la norme recommandée par le CPT pour les cellules collectives, c’est-à-dire moins de 4 m² (Torreggiani et autres, précité, § 68). Pendant quinze jours, le requérant a même disposé d’un espace individuel de moins de 3 m², ce qui constitue, selon la jurisprudence de la Cour, un espace personnel qui, à lui seul, suffit pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention (Ananyev et autres, précité, § 145).

    101. Ce manque d’espace de vie individuel a été aggravé en l’espèce par le fait que, selon le requérant, il dut dormir sur un matelas posé à même le sol pendant plusieurs semaines, ce qui n’est pas conforme à la règle élémentaire établie par le CPT : « un détenu, un lit » (paragraphe 48, ci-dessus). À ce propos, la Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que, pour des personnes se trouvant sous le contrôle exclusif des agents de l’État, telles les personnes détenues, le simple fait que la version du Gouvernement contredit celle fournie par le requérant ne saurait, en l’absence de tout document ou explication pertinents de la part du Gouvernement, amener la Cour à rejeter des allégations de l’intéressé comme non étayées (Torreggiani et autres, précité, §§ 72-73). En l’espèce, le Gouvernement affirme qu’un des détenus de la cellule devait effectivement dormir sur un matelas posé au sol, mais qu’il n’est pas possible de vérifier si c’était bien le requérant qui avait été amené à dormir par terre. Dans la mesure où le Gouvernement n’a pas apporté de preuve du contraire de la version du requérant, la Cour n’a pas de raison de douter, en l’espèce, des allégations de ce dernier selon lesquelles il dut dormir sur le matelas posé au sol. Ces allégations sont d’autant plus plausibles qu’il n’est pas contesté que le requérant souffre de problèmes de dos.

    102. Concernant l’installation sanitaire et l’hygiène, la Cour relève que, d’après les informations fournies par le Gouvernement, le requérant n’a pas toujours disposé d’un accès à des toilettes conforme aux recommandations du CPT. En effet, dans une des cellules occupées par le requérant à la prison d’Anvers, la toilette se trouvait derrière un paravent. Or la Cour rappelle que, selon le CPT, une annexe sanitaire qui n’est que partiellement cloisonnée n’est pas acceptable dans une cellule occupée par plus d’un détenu (voir Canali c. France, no 40119/09, § 52, 25 avril 2013).

    103. En outre, la Cour constate qu’au cours des soixante jours de détention dans le pavillon « cellules » de la prison de Merksplas, les cellules occupées par le requérant ne disposaient pas de toilette, ni d’accès à l’eau courante. Si les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si le requérant avait, pendant la journée, accès libre aux toilettes dans le couloir de la prison, elles s’accordent à dire qu’en tout cas, pendant la nuit, le requérant ne disposait que d’un seau hygiénique pour satisfaire ses besoins naturels. Quoiqu’il en soit, l’utilisation dans les cellules d’un seau hygiénique a déjà été considéré par la Cour comme inacceptable (Iordan Petrov c. Bulgarie, no 22926/04, § 125, 24 janvier 2012). La situation dans le pavillon « cellules » de Merksplas a d’ailleurs été qualifiée de « médiocre » par le CPT, qui a appelé les autorités belges, depuis sa première visite à Merksplas en 1998, à prendre des mesures urgentes afin de remédier à l’absence d’accès aux toilettes et à l’eau courante dans ce pavillon (paragraphe 50, ci-dessus). Or la Cour constate que, seize ans plus tard, la situation ne semble pas s’être améliorée.

    104. L’ensemble des conditions décrites ci-dessus a encore été aggravé par le fait que le requérant fut victime de tabagisme passif puisqu’il n’est pas contesté par le Gouvernement qu’il dut, pendant la majeure partie de sa détention, partager sa cellule avec des détenus fumeurs (paragraphes 6 et 13, ci-dessus). La Cour note à cet égard que le requérant ne bénéficiait que d’un temps relativement réduit en dehors de la cellule (paragraphes 12 et 17, ci-dessus).

    105. La Cour admet qu’en l’espèce rien n’indique qu’il y ait eu véritablement intention d’humilier ou de rabaisser le requérant pendant sa détention. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3 (Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 101, CEDH 2002-VI). Indépendamment des durées relativement courtes pendant lesquelles le requérant fut soumis aux conditions de détention susmentionnées, la Cour estime que les conditions de détention en cause, examinées dans leur ensemble, n’ont pas manqué de soumettre le requérant à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006, Tadevosyan c. Arménie, no 41698/04, § 55, 2 décembre 2008, et Pop Blaga c. Roumanie, no 37379/02, § 46, 27 novembre 2012).

    106. Dès lors, la Cour estime que les conditions matérielles de détention du requérant dans les prisons d’Anvers et de Merksplas, prises dans leur ensemble, ont atteint le seuil minimum de gravité requis par l’article 3 de la Convention et s’analysent en un traitement inhumain et dégradant au sens de cette disposition.

    107. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION (SOINS MÉDICAUX)

    108.  Le requérant se plaint d’avoir été soumis à des conditions de détention inhumaines et dégradantes du fait de l’absence de soins médicaux adaptés à son état de santé physique au cours de sa détention en Belgique. Il invoque une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Thèses des parties

    109. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes par le requérant et postule l’irrecevabilité de la requête en vertu de l’article 35 § 1 de la Convention. Il soutient que le requérant n’a effectué aucune démarche pour se plaindre de l’absence de soins médicaux alors qu’il avait à sa disposition des voies de recours effectives. Il estime que les recours à épuiser étaient les mêmes que ceux mentionnés s’agissant des conditions matérielles de détention (paragraphes 58-63, ci-dessus). À cet égard, il fournit des exemples de jurisprudence démontrant l’effectivité desdits recours (paragraphes 32-39, ci-dessus).

    110. Le requérant estime quant à lui que les recours mentionnés par le Gouvernement n’étaient pas effectifs et ne constituaient dès lors pas des recours à épuiser. Outre les considérations développées ci-dessus (paragraphes 64-66), le requérant fait valoir que, selon un rapport du CPT, le personnel de santé était insuffisant et s’absentait régulièrement. Ainsi, même si la saisine d’une commission de surveillance constituait un recours effectif et qu’une décision favorable eut été rendue suite à une plainte adressée par le requérant, il n’y avait de toute façon pas de personnel qualifié disponible afin d’améliorer la situation en pratique.

    B.  Appréciation de la Cour

    111. S’agissant des principes généraux applicables à l’examen de la satisfaction à l’exigence d’épuisement des voies de recours internes posée par l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour renvoie aux paragraphes 67-68 ci-dessus.

    112. La Cour relève que, s’agissant des soins médicaux, le Gouvernement a fourni un certain nombre d’exemples visant à démontrer que la saisine du juge des référés en vertu de l’article 584 du code judiciaire constitue une voie de recours effective (paragraphe 36, ci-dessus). La Cour constate qu’il ressort des exemples fournis que les juridictions se déclarent compétentes pour examiner la nécessité d’ordonner un traitement ou des soins médicaux appropriés et qu’elles font droit aux demandes des détenus lorsqu’elles les estiment fondées.

    113. Dans ces circonstances, la Cour ne voit pas de raison de douter de l’effectivité du recours prévu par l’article 584 du code judiciaire s’agissant de l’absence ou du manque de soins médicaux appropriés en prison. Ainsi, soulignant l’importance du principe de subsidiarité dans le mécanisme instauré par la Convention, et sans devoir examiner l’effectivité des autres recours invoqués par le Gouvernement, la Cour estime que, en ne portant pas son grief devant les juridictions judiciaires et, en particulier, devant le président du tribunal de première instance compétent, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

    114.  Par conséquent, le grief tiré de l’absence de soins médicaux adéquats au cours de la détention doit être rejeté conformément à l’article 35 § 4 de la Convention.

    III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 COMBINÉ à L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    115.  Le requérant dénonce une violation de l’article 14 combiné à l’article 3 de la Convention. Il soutient que les détenus étrangers sont discriminés par rapport aux détenus de nationalité belge en ce qui concerne tant les conditions de détention que les conditions pour la libération conditionnelle. L’article 14 de la Convention dispose que :

    « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

    116.  Le Gouvernement conteste cette thèse. En premier lieu, le Gouvernement estime que le grief du requérant n’est pas suffisamment étayé et que le requérant est resté en défaut de démontrer qu’il avait subi un traitement discriminatoire. De plus, le Gouvernement fait valoir qu’aucune disposition en droit belge ne prévoit un régime pénitentiaire qui ferait une distinction sur base de la nationalité et qu’il serait en tout cas inconstitutionnel de prévoir un tel régime. En outre, le Gouvernement explique que les autorités pénitentiaires accordent une attention particulière dans la formation des gardiens à l’importance d’une approche multiculturelle des détenus.

    117. Concernant la partie du grief tiré de la difficulté supplémentaire à obtenir une libération conditionnelle pour les détenus étrangers par rapport aux détenus de nationalité belge, le Gouvernement explique que la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine (ci-après « la loi du 17 mai 2006 ») prévoit effectivement une modalité d’exécution de la peine spécifique pour les détenus étrangers n’ayant pas de droit de séjour en Belgique. Pour ces personnes-là, le tribunal de l’application des peines ne doit pas constater l’existence de perspectives de réinsertion sociale mais uniquement l’existence de la possibilité d’un logement en dehors du territoire national et les efforts fournis par le condamné pour indemniser les parties civiles. Le Gouvernement est dès lors d’avis que la loi du 17 mai 2006 prévoit des conditions plus souples de mise en liberté pour les détenus étrangers par rapport aux conditions de libération conditionnelle de personnes ayant un droit au séjour en Belgique.

    118. La Cour constate que le requérant est resté en défaut d’étayer plus avant son grief et de démontrer de manière crédible qu’il avait subi un traitement discriminatoire. En l’absence d’éléments prouvant le contraire, la Cour est convaincue par les arguments du Gouvernement quant à l’absence d’un régime carcéral distinct pour les détenus n’ayant pas la nationalité belge. Concernant les différences de conditions pour la libération conditionnelle, la Cour n’y voit aucune apparence de traitement discriminatoire qui serait contraire à l’article 14 de la Convention.

    119. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    IV.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    120. Invoquant une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint, dans le cadre de ses demandes de mise en liberté provisoire, de la procédure devant le tribunal de l’application des peines dont les audiences se déroulent à huis clos et dont les juges manqueraient d’impartialité. Aussi, le requérant conteste l’arrêt de la Cour de cassation du 13 décembre 2011 par lequel la Cour de cassation affirma que l’article 6 § 1 de la Convention n’était pas applicable à la procédure devant le tribunal de l’application des peines. Enfin, le requérant se plaint de l’impossibilité de se pourvoir en cassation contre un jugement du tribunal de l’application des peines sans que le pourvoi soit signé par un avocat.

    121. À supposer que ce grief ait été introduit dans le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que, de jurisprudence constante, elle considère que l’article 6 n’est pas applicable à l’examen des demandes de mise en liberté provisoire ou à des questions relatives aux modalités d’exécution d’une peine privative de liberté (Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 87, CEDH 2012 et références citées). Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour incompatibilité ratione materiae, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    122. Enfin, invoquant l’article 5 de la Convention, le requérant soutient qu’il fut détenu quinze jours de plus que la peine à laquelle il fut condamné. Sous l’angle de l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint également que les autorités belges effectuèrent des écoutes téléphoniques illégales à son domicile entre 2009 et 2012.

    123. La Cour constate que, d’une part, ces griefs ne sont aucunement étayés et que, d’autre part, le requérant ne les a pas soumis aux juridictions nationales. Ils doivent donc être rejetés en application de l’article 35 §§ 1, 3 a) et 4 de la Convention.

    V.  SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION

    A.  Article 46 de la Convention

    124.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    1.  Principes applicables

    125.  La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (voir, parmi beaucoup d’autres, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII, Del Rio Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 137, CEDH 2013, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 158, CEDH 2014). La Cour rappelle également qu’il appartient au premier chef à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention (Scozzari et Giunta, précité, Del Rio Prada, précité, § 138, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité).

    126.  Toutefois, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à lui indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre un terme à la situation constatée (voir, parmi beaucoup d’autres, Del Rio Prada, précité, § 138, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 159).

    2.  Application au cas d’espèce

    127.  En l’espèce, la Cour a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions matérielles dans lesquelles le requérant a été détenu (voir paragraphes 106-107, ci-dessus). La Cour a également constaté que les problèmes découlant de la surpopulation carcérale en Belgique ainsi que les problèmes d’hygiène et de vétusté des établissements revêtent un caractère structurel et ne concernent pas uniquement la situation personnelle du requérant (voir, paragraphe 73, ci-dessus, ainsi que les extraits de rapports internationaux aux paragraphes 46-47, ci-dessus). En effet, les conditions de détention rapportées par le requérant en l’espèce sont dénoncées par des observateurs nationaux et internationaux depuis de nombreuses années sans qu’il apparaisse qu’une quelconque évolution positive ait eu lieu dans les prisons où le requérant a séjourné. Au contraire, le CPT soulignait en 2012 que le problème de la surpopulation carcérale n’a cessé de s’aggraver en Belgique au cours des dernières années (paragraphe 47, ci-dessus). En outre, la Cour a rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, constatant qu’aucun des recours mentionnés par le Gouvernement ne pouvait être considéré, à l’heure actuelle, comme des recours effectifs à épuiser (voir paragraphes 78-79, ci-dessus).

    128. Dans ce contexte, la Cour recommande à l’État défendeur d’envisager l’adoption de mesures générales. D’une part, des mesures devraient être prises afin de garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l’article 3 de la Convention. D’autre part, un recours devrait être ouvert aux détenus aux fins d’empêcher la continuation d’une violation alléguée ou de permettre à l’intéressé d’obtenir une amélioration de ses conditions de détention (voir, à ce propos, Torreggiani et autres, précité, § 50).

    B.  Article 41 de la Convention

    129.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    1.  Dommage

    130.  Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel pour les frais médicaux qu’il a engagés après sa libération et qui furent engendrés par le manque de soins médicaux en détention. Il réclame également 50 000 EUR pour le préjudice moral qu’il aurait subi du fait de ses conditions matérielles de détention.

    131.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

    132.  La Cour rappelle que le grief tiré du manque de soins médicaux en détention a été déclaré irrecevable (paragraphe 114, ci-dessus). Elle rejette par conséquent la demande s’agissant du dommage matériel allégué. En revanche, elle considère que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de ses conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention (paragraphe 107, ci-dessus) et qu’il a le droit à une indemnité. Compte tenu de la durée de la détention litigieuse et statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

    2.  Frais et dépens

    133.  Le requérant demande 800 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Le requérant fait également mention du fait qu’il s’est engagé à reverser 2 000 EUR à son avocate en cas de constat de violation par la Cour.

    134.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

    135.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 800 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

    3.  Intérêts moratoires

    136.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention (conditions matérielles de détention) et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention s’agissant des conditions matérielles de détention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

    i)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  800 EUR (huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 novembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Stanley Naismith                                                                 Guido Raimondi
            Greffier                                                                               Président


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