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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> RIBEIRO MOURA v. PORTUGAL - 44097/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2015] ECHR 1008 (12 November 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/1008.html Cite as: [2015] ECHR 1008 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE RIBEIRO MOURA c. PORTUGAL
(Requête no 44097/13)
ARRÊT
STRASBOURG
12 novembre 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ribeiro Moura c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Elisabeth Steiner,
présidente,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Erik Møse, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44097/13) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Maria Emília Lopes Ribeiro Moura (« la requérante »), a saisi la Cour le 1er juillet 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me J. J. F. Alves, avocat à Matosinhos. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.
3. Le 2 juin 2014, les griefs concernant la durée de la procédure et l’absence de recours à cet égard ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est née en 1946 et réside à Celorico de Basto.
A. La procédure civile devant le tribunal de Celorico de Basto
5. Le 3 octobre 2002, la requérante et son époux saisirent le tribunal de Celorico de Basto d’une action en revendication d’une propriété contre la mairie de Celorico de Basto, réclamant des dommages et intérêts pour les préjudices subis (procédure no 477/2002).
6. La procédure fut conclue par un jugement du 8 avril 2005 leur faisant partiellement droit.
7. Le 28 octobre 2005, la requérante et son époux introduisirent devant le tribunal de Celorico de Basto une action en exécution du jugement du 8 avril 2005, demandant au tribunal de fixer au préalable la somme réclamée au titre des dommages et intérêts (procédure en exécution no 477-A/2002).
8. Les 28 janvier 2008, 16 septembre 2008, 10 mars 2009 et 23 septembre 2009, ils requirent au tribunal de Celorico de Basto la suspension de l’instance en vue d’un règlement amiable du litige si bien que l’audience fut reportée à quatre reprises.
9. Le 21 avril 2015, le tribunal prononça son jugement portant sur la fixation du montant de l’indemnisation.
10. Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 11 mai 2015, la procédure en exécution était toujours pendante.
B. La requête no 33100/12 devant la Cour
11. Le 25 mai 2012, l’époux de la requérante, M. António Cunha Moura avait saisi la Cour en dénonçant la durée excessive des procédures nos 477/2002 et 477-A/2002. Il se plaignait aussi de l’absence au niveau interne d’un recours efficace pour agir à cet égard.
12. Par une décision du 26 mars 2013, la Cour radia l’affaire du rôle au motif que les parties avaient conclu un règlement amiable de l’affaire dont les termes se lisaient ainsi :
« Par ces déclarations, le Gouvernement s’est engagé à verser au requérant la somme de 5 200 (cinq mille deux cents) euros pour dommage moral et 1 000 (mille) euros pour frais et dépens et le requérant a renoncé à toute autre prétention à l’encontre du Portugal à propos des faits à l’origine de sa requête. Lesdites sommes seront payées dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour rendue conformément à l’article 37 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. »
13. Le 12 juin 2013, lesdites sommes furent versés à l’époux de la requérante. Par la résolution CM/ResDH(2013)265 du 20 décembre 2013, le Comité des Ministres a clôturé la surveillance de l’exécution de la décision qui avait été adoptée par la Cour.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
14. La requérante allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
15. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
16. La période à considérer a débuté le 3 octobre 2002 et n’avait pas encore pris fin au 11 mai 2015. Elle avait à cette dernière date déjà duré 12 années, 7 mois, 10 jours, pour une instance.
A. Sur la recevabilité
17. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
18. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement de la requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).
19. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender, précité).
20. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
21. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
22. La requérante se plaint du fait qu’au Portugal il n’existe aucune juridiction à laquelle l’on puisse s’adresser pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Elle invoque l’article 13 de la Convention.
23. Le Gouvernement récuse la thèse de la requérante.
24. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI). Elle relève que les exceptions et arguments soulevés par le Gouvernement ont déjà été rejetés précédemment (voir parmi d’autres, Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal, no 33729/06, 10 juin 2008 ; Garcia Franco et autres c. Portugal, no 9273/07, § 50, 22 juin 2010 ; Sociedade de Construções Martins & Vieira, Lda. et autres c. Portugal, nos 56637/10, 59856/10, 72525/10, 7646/11 et 12592/11, § 64, 30 octobre 2014) et ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente dans le cas présent, tant en ce qui concerne la recevabilité que le fond du grief. Ainsi, en l’espèce, la Cour estime que l’action en responsabilité extracontractuelle de l’Etat ne constituait pas un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention.
25. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
26. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
Dommage et frais et dépens
27. La requérante réclame 17 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral subi et 2 100 EUR pour les frais et dépens. Elle demande également à la Cour de fixer un montant au titre du dommage matériel.
28. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
29. En l’espèce, la Cour note que, le 25 mai 2012, M. António Cunha Moura, époux de la requérante, avait déjà introduit une requête (no 33100/12) devant la Cour dénonçant la durée excessive des procédures internes nos 477/2002 et 477-A/2002, et l’inefficacité de l’action en responsabilité extracontractuelle pour obtenir réparation à cet égard au niveau interne.
30. Elle relève que, par une décision du 26 mars 2013, la Cour a décidé de rayer cette affaire du rôle au motif que les parties avaient conclu un règlement amiable au terme duquel le Gouvernement s’était engagé à verser au requérant les sommes de cinq mille deux cents euros (EUR) pour dommage moral et mille EUR pour frais et dépens et que le requérant avait renoncé à toute autre prétention à l’encontre du Portugal à propos des faits à l’origine de sa requête.
31. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre le dommage matériel postulé et les violations de la Convention constatées.
32. S’agissant du dommage moral, la Cour rappelle qu’elle a déjà, à plusieurs reprises, déclaré irrecevables des requêtes mettant en cause la durée de procédures internes, en l’absence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre l’enjeu de la procédure interne litigieuse et celui porté devant elle. Elle a notamment relevé, dans ces décisions d’irrecevabilité, que les requérants en cause, de par leur usage intensif de procédures judiciaires allant jusqu’à la saisine d’une cour internationale, contribuaient à son engorgement, alors que de nombreuses requêtes soulevant de graves problèmes des droits de l’homme sont pendantes devant elle (voir, Jenik c. Autriche (déc.), nos 37794/07, 11568/08, 23036/08, 23044/08, 23047/08, 23053/08, 23054/08 et 48865/08, § 65, 20 novembre 2012 ; Dudek c. Allemagne (déc.), no 12977/09, 15856/09, 15892/09, 16119/09, 23 novembre 2010 et Bock c. Allemagne (déc.), no 22051/07, 19 janvier 2010). Moins de quatre mois après le règlement amiable intervenu dans le cadre de la requête no 33100/12, la requérante a saisi la Cour, par l’intermédiaire du même avocat, d’une requête portant sur les mêmes faits et soulevant des griefs uniquement fondés sur la durée de la procédure, une question tranchée à maintes reprises par la Cour y compris en ce qui concerne l’Etat défendeur. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’octroyer à la requérante de sommes au titre de l’article 41 de la Convention (Ioannis Athanasiadis et autres c. Grèce, no 45823/08, § 43, 18 avril 2013).
32. La Cour rappelle par ailleurs que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce, (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000-XI). Compte tenu des circonstances de l’espèce et de sa jurisprudence en la matière, elle estime raisonnable de ne rien accorder pour les frais et dépens.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit que le constat de la violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi par la requérante.
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
André Wampach Elisabeth
Steiner
Greffier adjoint Présidente