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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SIK v. GREECE - 28157/09 - Chamber Judgment (French text) [2015] ECHR 102 (29 January 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/102.html Cite as: [2015] ECHR 102 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SIK c. GRÈCE
(Requête no 28157/09)
ARRÊT
STRASBOURG
29 janvier 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sik c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Isabelle Berro,
présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 janvier 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28157/09) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet Etat, M. Alexandros Sik et Mme Eleni Sik (« les requérants »), ont saisi la Cour le 3 mai 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me S. Lalas, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. I. Bakopoulos, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Les requérants allèguent une violation du droit d’accès à un tribunal.
4. Le 4 février 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Les requérants sont nés en 1945 et résident à Athènes.
6. Les 27 septembre 2000 et 12 octobre 2001, le tribunal correctionnel de Larissa condamna in absentia les requérants pour non-paiement dans les délais fixés par la loi de cotisations de sécurité sociale à la Caisse de sécurité sociale (jugements nos 5328/2000 et 6653/2001). En juillet 2007, les requérants furent arrêtés et mis en détention en vertu des jugements précités. À une date non précisée, les requérants interjetèrent appel de ces jugements.
7. Le 5 septembre 2007, la cour d’appel de Larissa rejeta les appels comme tardifs et ordonna l’exécution des jugements nos 5328/2000 et 6653/2001 (arrêts nos 2925-2926/2007).
8. Le 25 janvier 2008, les requérants se pourvurent en cassation. Ils alléguaient notamment qu’ils n’avaient pris connaissance ni des citations à comparaître devant le tribunal correctionnel ni des jugements nos 5328/2000 et 6653/2001, du fait que, lors de leur notification, les autorités les avaient par inadvertance considérés de « résidence inconnue ».
9. Le 17 octobre 2008, la Cour de cassation, en formation de chambre, rejeta les pourvois en cassation et confirma les arrêts nos 2925-2926/2007 de la cour d’appel de Larissa. En particulier, la haute juridiction pénale releva qu’en vertu des articles 474 § 2 et 462 du code de procédure pénale, si l’acte d’enregistrement du pourvoi en cassation ne comprend pas l’un des moyens en cassation prévus par l’article 510 du même code, le recours est déclaré irrecevable. La Cour de cassation releva de plus que selon les articles 474, 509 et 510 du code de procédure pénale, l’acte d’enregistrement du pourvoi en cassation ne peut pas être complété ultérieurement par le biais d’un document distinct, à titre d’exemple un pourvoi, des observations ou une déclaration supplémentaires. Exceptionnellement, ceci est loisible à condition que, lors du dépôt de l’acte d’enregistrement du pourvoi en cassation, il est explicitement mentionné que les deux documents constituent un seul et unique pourvoi. Dans ce cas, le document supplémentaire doit être signé par le demandeur en cassation et l’agent du greffe.
10. Se tournant vers les faits de la cause, la Cour de cassation nota qu’aux actes d’enregistrement des pourvois en cassation exercés par les requérants étaient joints des pourvois distincts signés par leur représentant sans pour autant qu’ils soient signés par l’agent du greffe du tribunal correctionnel de Larissa. La Cour de cassation conclut que les deux documents ne pouvaient pas constituer un seul et unique pourvoi en cassation et que les recours exercés par les requérants devaient donc être déclarés irrecevables (arrêts nos 2159-2160/2008). Ces arrêts furent mis au net et certifiés conformes le 7 novembre 2008.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
11. Aux termes de l’article 474 du Code de procédure pénale, un recours est exercé par déclaration soumise au greffe du tribunal ayant délivré le jugement attaqué. Un rapport est dressé en ce sens qui doit être signé par celui qui soumet la déclaration précitée et celui qui la réceptionne. Selon l’article 509 § 1 du Code de procédure pénale, l’article 474 du même Code s’applique aussi dans le cas du pourvoi en cassation.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
12. Les requérants se plaignent que l’irrecevabilité de leurs pourvois en cassation par la Cour de cassation équivaut à un refus d’accès à cette juridiction. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
13. Le Gouvernement affirme que les requérants n’ont pas été privés de leur droit d’accès à la Cour de cassation. Dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il faut accepter l’existence de formalités pour saisir valablement une juridiction nationale. Ces formalités, qui sont concrètes et peuvent facilement être observées, ne visent pas à restreindre mais à organiser l’accès à la haute juridiction. Le Gouvernement allègue qu’en l’espèce le représentant des requérants aurait pu faire preuve de diligence ; en effet, il aurait pu attirer l’attention du greffier du tribunal compétent sur son omission de signer les pourvois distincts de cassation afin qu’ils soient valablement joints aux pourvois initiaux de cassation.
14. Les requérants considèrent que le rejet de leurs pourvois en cassation comme irrecevables est entièrement imputable à l’omission litigieuse du greffe du tribunal correctionnel de Larissa.
15. La Cour rappelle que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de la recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’Etat, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Gruais et Bousquet c. France, no 67881/01, § 26, 10 janvier 2006). Néanmoins, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Viard c. France, no 71658/10, § 29, 9 janvier 2014).
16. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (voir, parmi d’autres, Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11 ; Erfar-Avef c. Grèce, no 31150/09, § 39, 27 mars 2014). La manière dont l’article 6 § 1 s’y applique dépend des particularités de la procédure en cause. Pour en juger, il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction de cassation, les conditions de recevabilité d’un pourvoi pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (voir, parmi d’autres, Liakopoulou c. Grèce, no 20627/04, § 18, 24 mai 2006).
17. Dans le cas d’espèce, les requérants ont beau eu formellement accès à la Cour de cassation, mais seulement pour entendre déclarer leurs recours irrecevables au motif que le document de pourvoi distinct n’avait pas été signé par l’agent du greffe l’ayant réceptionné. Or, en soi, le fait d’avoir pu saisir une juridiction ne satisfait pas nécessairement aux impératifs de l’article 6 § 1 : encore faut-il constater que le degré d’accès procuré par la législation nationale suffisait pour assurer à l’intéressé le « droit à un tribunal », eu égard au principe de la prééminence du droit dans une société démocratique (Vamvakas c. Grèce, no 36970/06, § 30, 16 octobre 2008).
18. La Cour note que le Code de procédure pénale prévoit explicitement que la personne qui réceptionne le pourvoi en cassation doit, avec celui qui le soumet, apposer sa signature sur le rapport dressé par le greffe du tribunal compétent en ce sens. Partant, le respect de cette modalité relève entièrement de la responsabilité de la personne habilitée à recevoir le recours, en l’occurrence du greffier auprès du tribunal correctionnel de Larissa. Au vu de ce qui précède, la déclaration d’irrecevabilité prononcée en l’espèce par la Cour de cassation a pénalisé les requérants pour une erreur matérielle commise par le greffier du tribunal correctionnel de Larissa lors du dépôt de leur pourvoi en cassation et pour laquelle les requérants ne pourraient pas être tenus de responsables. Cela est d’autant plus vrai, qu’il ne ressort pas du dossier que leur représentant se soit aperçu de ce défaut procédural lors du dépôt du pourvoi en cassation pour pouvoir éventuellement en informer le greffier. Partant, aucun manque de diligence ne saurait en l’espèce être imputé aux requérants ou à leur représentant.
19. Dans ces conditions, la Cour ne saurait admettre qu’un formalisme aussi rigide assortisse la procédure suivie devant la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Sotiris et Nikos Koutras ATTEE c. Grèce, no 39442/98, § 22, CEDH 2000-XII, et Boulougouras c. Grèce, no 66294/01, § 27, 27 mai 2004). La Cour estime par conséquent que les requérants ont subi une entrave disproportionnée à leur droit d’accès à un tribunal et que, dès lors, il y a eu atteinte à la substance même de leur droit à un tribunal.
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
20. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
21. Les requérants réclament 30 000 euros chacun au titre du dommage moral subi.
22. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et arbitraire et affirme que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. En tout état de cause, il affirme que la somme à allouer ne saurait dépasser 2 500 EUR.
23. La Cour considère que les requérants ont souffert un préjudice moral, du fait de la violation de leur droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Ce préjudice moral ne se trouve pas suffisamment compensé par le constat de violation. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer conjointement aux requérants la somme de 3 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
24. Les requérants ne sollicitent aucune somme au titre des frais et dépens. Partant, il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.
C. Intérêts moratoires
25. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à l’égard du droit d’accès à un tribunal ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser conjointement aux requérants dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) au titre du dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Søren Nielsen Isabelle Berro
Greffier Présidente