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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> REGNER v. THE CZECH REPUBLIC - 35289/11 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fifth Section)) French Text [2015] ECHR 1042 (26 November 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/1042.html Cite as: [2015] ECHR 1042 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE REGNER c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
(Requête no 35289/11)
ARRÊT
STRASBOURG
26 novembre 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Regner c. République tchèque,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger,
présidente,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35289/11) dirigée contre la République tchèque et dont un ressortissant de cet État, M. Václav Regner (« le requérant »), a saisi la Cour le 25 mai 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me L. Trojan, avocat au barreau tchèque. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm.
3. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu prendre connaissance d’une preuve déterminante dans la procédure suivie en l’espèce, en ce qu’il s’agissait d’un document classé confidentiel.
4. Le 6 janvier 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1962 et réside à Prague.
A. Faits à l’origine de la requête
6. Le requérant se vit délivrer, le 19 juillet 2005, par l’Office national de la sécurité (ci-après « l’Office ») une attestation, valable jusqu’au 18 juillet 2010, confirmant qu’il pouvait avoir accès aux données confidentielles de l’État classées dans la catégorie « secret » (ci-après « attestation de sécurité »). Cette attestation était indispensable pour qu’il puisse occuper la fonction publique d’adjoint d’un vice-ministre de la Défense, qui était la sienne à l’époque.
7. Le 7 octobre 2005, l’Office reçut d’un service de renseignements une information confidentielle concernant le requérant, classée dans la catégorie « réservé ».
8. À la suite d’une enquête interne, l’Office décida, le 5 septembre 2006, de mettre fin ex nunc à la validité de l’attestation de sécurité accordée au requérant. Selon cette décision, le requérant présentait un risque pour la sécurité nationale entre autres pour le motif prévu à l’article 14 § 3 d) de la loi no 412/2005 sur la protection des données confidentielles de l’État. Il était indiqué que les faits établis au sujet de son comportement, documentés et étayés par l’information reçue par l’Office le 7 octobre 2005, mettaient en doute ses capacités (nécessaires pour se voir délivrer l’attestation de sécurité) d’être digne de confiance, de ne pas se laisser influencer et de garder secrètes les informations. Il fut noté que, cette information étant classée dans la catégorie « réservé », l’article 122 § 3 de la loi no 412/2005 faisait obstacle à ce qu’elle soit divulguée dans la décision et à ce que celle-ci révèle le raisonnement adopté par l’Office lors de l’évaluation des faits en question.
9. Il ressort des informations fournies par le Gouvernement que, le 4 octobre 2006, le requérant demanda au ministre de la Défense de le révoquer, pour des raisons de santé, de sa fonction d’adjoint du vice-ministre. Sa demande fut accueillie le jour même ; il fut précisé dans le décret ministériel que la révocation ne mettait pas fin à la relation de travail du requérant. Celle-ci ne prit fin qu’au 31 janvier 2007, à la suite d’une rupture conventionnelle signée par les parties le 20 octobre 2006.
10. Entre-temps, le requérant forma un recours contre la décision du 5 septembre 2006 auprès du président de l’Office qui la confirma, le 18 décembre 2006, pour ce qui concerne l’existence du risque prévu par l’article 14 § 3 d) de la loi no 412/2005. Ce risque, qui n’était pas connu au 19 juillet 2005, découlait du résultat de l’enquête menée par l’Office, qui constituait une information classée dans la catégorie « réservé » à laquelle la décision ne pouvait que renvoyer, sans mentionner son contenu.
11. Le 19 janvier 2007, se prévalant de l’article 133 § 1 de la loi no 412/2005, le requérant saisit le tribunal municipal de Prague d’une demande tendant à annuler la décision du 18 décembre 2006. Selon lui, cette décision l’avait privé des droits acquis en ce qu’il avait dû renoncer à son poste d’adjoint du vice-ministre de la Défense, alors qu’il y avait adapté son activité au sein de l’administration publique ainsi que sa vie privée. En conséquence, il demandait au tribunal d’apprécier la légalité de cette décision qui se fondait exclusivement sur des données confidentielles qui n’étaient pas énoncées.
12. Le 16 avril 2007, l’Office transmit au tribunal municipal le dossier du requérant, incluant les documents classés « réservé », qui ne pouvaient pas selon lui être concernés par la dispense de l’obligation de confidentialité au sens de l’article 133 § 3 de la loi no 412/2005. Il présenta également ses commentaires sur la demande du requérant. Celles-ci furent envoyés au requérant pour duplique. Dans sa duplique du 14 mai 2007, le requérant se prononça notamment sur la nécessité alléguée par l’Office de sauvegarder le caractère confidentiel des documents litigieux.
13. Par la suite, le requérant et son avocat furent autorisés à étudier le dossier, sauf les parties confidentielles.
14. Lors de l’audience du 1er septembre 2009, le requérant se vit offrir la possibilité d’exposer ses arguments ainsi que son hypothèse quant aux motifs ayant mené à l’invalidation de son attestation de sécurité. Il observa à cet égard que, selon lui, l’information litigieuse provenait d’un service des renseignements militaires qui voulait ainsi sanctionner son refus de coopérer.
15. Par jugement du 1er septembre 2009, le tribunal municipal débouta le requérant de sa demande, après lui avoir refusé, sur le fondement de l’article 133 § 3 de la loi no 412/2005, l’accès à la partie du dossier judiciaire contenant les informations litigieuses provenant du dossier de l’Office. Se référant à l’article 122 § 3 de la loi no 412/2005, le tribunal considéra que la démarche de l’Office, qui avait révélé au requérant la source des informations confidentielles et les conclusions générales qu’il en avait tirées, mais non le contenu de ces informations, n’avait été ni arbitraire ni illégale. De plus, le fait que la décision contestée était susceptible de réexamen judiciaire avait permis au tribunal de prendre connaissance de ces informations et de juger si elles justifiaient la conclusion sur l’existence du risque de sécurité chez le requérant, ce qui était le cas en l’occurrence. Le tribunal nota également qu’il n’existait pas un droit individuel fondamental à occuper une fonction dans l’administration publique, que l’État était autorisé à limiter l’accès des individus à de telles fonctions et qu’il pouvait également définir les conditions dans lesquelles ces individus pouvaient accéder aux informations confidentielles nécessaires pour l’exercice de leurs fonctions. Or, le requérant n’avait pas en l’espèce satisfait ces conditions. Selon cette logique, une personne ne pouvait avoir connaissance des informations confidentielles sur la base desquelles le droit d’accès aux informations confidentielles lui avait été refusé. Le tribunal estima enfin que la confidentialité des informations ayant mené à l’annulation de l’attestation de sécurité accordée au requérant l’empêchait d’examiner l’argument de ce dernier selon lequel les informations litigieuses avaient trait à son refus de coopérer, au-delà de ses obligations légales, avec le service des renseignements militaires ; en tout état de cause, cet argument fut jugé spéculatif car non-étayé par des documents vérifiables.
16. Le requérant contesta l’arrêt du tribunal municipal par un recours en cassation, se plaignant d’abord de l’impossibilité d’accéder à la partie pertinente du dossier judiciaire ; il estima à cet égard que la révélation d’une information classée dans la catégorie « réservé » (correspondant au degré de confidentialité le moins élevé) ne pouvait pas emporter une menace sérieuse pour l’activité des services de renseignements au sens de l’article 133 § 3 de la loi no 412/2005. Il se dit ensuite convaincu que l’annulation de son attestation de sécurité avait un lien avec son refus de coopérer avec le service des renseignements militaires, au sujet duquel il ne disposait d’aucune preuve écrite ; mais, ne connaissant pas le contenu de l’information litigieuse, il ne pouvait pas réfuter sa véracité.
17. Par arrêt du 15 juillet 2010, la Cour administrative suprême rejeta le recours en cassation du requérant pour manque de fondement. Elle releva que la possibilité d’interdire l’accès à une partie du dossier prévue par l’article 133 § 3 de la loi no 412/2005 n’était pas réservée à une catégorie spécifique d’informations confidentielles ; en l’occurrence, les conditions pour son application étaient satisfaites car la communication des informations litigieuses au requérant aurait pu avoir pour conséquence la divulgation des méthodes de travail du service de renseignements, la révélation de ses sources d’informations ou les tentatives de la part de l’intéressé d’influencer d’éventuels témoins. Se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle no II. ÚS 377/04, la Cour administrative suprême jugea que les griefs tirés par le requérant de l’iniquité de la procédure n’étaient pas fondés car, eu égard à la spécificité de la procédure résultant du caractère des informations confidentielles en jeu, tous les droits procéduraux de l’intéressé ne pouvaient pas être garantis. Si le pouvoir exécutif avait en effet, dans certaines circonstances, le droit de ne pas communiquer à l’intéressé les motifs concrets pour lesquels il ne pouvait pas se voir délivrer une attestation de sécurité, cette limitation était contrebalancée par la garantie que constituait l’examen de cette décision par les juridictions administratives, disposant d’un accès illimité aux pièces contenues dans le dossier administratif. Dans la présente affaire, la Cour administrative suprême releva que le document confidentiel émanant du service de renseignements contenait les informations - concrètes, complètes, détaillées et portant sur le comportement et le mode de vie du requérant - lesquelles permettaient en l’espèce de s’assurer de leur pertinence pour la question de savoir si le requérant présentait un risque pour la sécurité nationale. Elle observa en outre que ces informations n’avaient aucunement trait au refus du requérant de coopérer avec le service des renseignements militaires.
18. Le 25 octobre 2010, le requérant introduisit un recours constitutionnel. Il se plaignait de l’iniquité de la procédure suivie en l’espèce. Il faisait valoir en particulier le non-respect de l’égalité des parties, car il n’avait pas eu la possibilité de prendre connaissance de la seule preuve fondant la décision qui lui était défavorable et qui avait entraîné son inaptitude à exercer sa fonction publique. Il se dit par ailleurs convaincu qu’il aurait dû pouvoir consulter la partie pertinente du dossier.
19. Par décision du 18 novembre 2010, notifiée à l’avocat du requérant le 26 novembre 2010, la Cour constitutionnelle rejeta le recours du requérant pour défaut manifeste de fondement. Se référant à son arrêt no Pl. ÚS 11/2000, elle constata que, eu égard aux spécificités et à l’importance des décisions adoptées en matière d’informations confidentielles où l’intérêt de la sécurité nationale était manifeste, il n’était pas toujours possible d’appliquer dans ces procédures toutes les garanties procédurales de l’équité. En l’espèce, la Cour constitutionnelle estima que, dès lors que la conduite des tribunaux était dûment justifiée, que l’argumentation exposée dans leurs décisions était compréhensible et conforme à la Constitution et qu’ils ne s’étaient pas écartés à l’excès des standards procéduraux ni des principes de la constitutionnalité, il n’y avait pas lieu pour elle d’intervenir dans leur activité décisionnelle.
B. Informations soumises par le Gouvernement
20. Dans ses observations du 30 avril 2014, le Gouvernement soumit à la Cour un acte d’accusation du 16 mars 2011, par lequel le requérant fut formellement accusé, avec une cinquantaine de personnes, d’avoir participé en 2005-2007 à un groupe criminel organisé en vue d’influencer illégalement les appels d’offre publics au sein du ministère de la Défense. Il ressort de ce document que des actes d’enquête avaient été effectués dès mai 2006. Par jugement du 25 mars 2014, qui n’était pas définitif au 17 juillet 2014, le requérant fut condamné à trois ans de prison et une peine pécuniaire.
21. Le Gouvernement présenta également une lettre de l’Office datée du 24 mars 2014, par laquelle celui-ci confirme que le document litigieux était toujours classé « réservé » puisque la divulgation des informations qu’il contenait pourrait perturber le travail du service de renseignements, révéler ses méthodes et ses sources d’informations et porter atteinte aux intérêts légitimes des tiers. Dans ce contexte, l’Office mentionna les poursuites pénales du requérant décrites ci-dessus.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Loi no 412/2005 sur la protection des données confidentielles de l’État et sur l’accès à ces données (version en vigueur jusqu’au 23 mai 2007)
22. Aux termes de l’article 4, les données confidentielles de l’État sont classées dans les catégories suivantes : a) « hautement secret » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus peuvent très sérieusement nuire aux intérêts de la République tchèque ; b) « secret » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus peuvent sérieusement nuire aux intérêts de la République tchèque ; c) « confidentiel » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus peuvent nuire aux intérêts de la République tchèque ; d) « réservé » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus peuvent présenter des inconvénients pour les intérêts de la République tchèque. À ce dernier titre, l’article 3 § 5 dispose que présentent des inconvénients pour la République tchèque la divulgation d’une donnée confidentielle à une personne non autorisée ou l’abus d’une telle donnée, lesquels peuvent avoir pour conséquence :
a) la perturbation des activités des forces armées de la République tchèque, de l’OTAN ou d’un de ses États membres ou d’un État membre de l’UE,
b) l’échec, la complication ou la mise en danger d’une enquête sur les infractions pénales autres que les infractions particulièrement graves, ou le fait de faciliter leur perpétration,
c) l’atteinte aux intérêts économiques importants de la République tchèque ou de l’UE ou d’un de ses États membres,
d) la perturbation des négociations commerciales ou politiques importantes entre la République tchèque et une puissance étrangère, ou
e) la perturbation des opérations de sécurité ou de renseignement.
23. Les articles 11-14 de la loi définissent les conditions d’accès des personnes physiques aux données classées dans les catégories « haut secret », « secret » et « confidentiel » (lesquelles sont plus strictes que pour accès aux données de la catégorie « réservé »).
Aux termes de l’article 11 § 1, une personne physique peut se voir accorder l’accès à de telles données confidentielles lorsqu’elle en a un besoin indispensable pour exercer sa fonction ou son activité professionnelle, lorsqu’elle détient une attestation de sécurité valable pour la catégorie nécessaire de données et qu’elle a reçu des instructions appropriées.
24. L’article 12 § 1 définit comme suit les conditions d’octroi de l’attestation de sécurité à une personne physique :
« L’Office délivre une attestation de sécurité à une personne physique qui
a) est ressortissante de la République tchèque, d’un État membre de l’UE ou de l’OTAN ;
b) remplit les conditions prévues par l’article 6 § 2 [pleine capacité juridique, l’âge de 18 ans au moins, casier judiciaire vierge] ;
c) est fiable du point de vue de la personnalité ;
d) est fiable du point de vue de la sécurité nationale. »
Selon l’article 12 § 2, la personne physique doit remplir les conditions prévues au paragraphe 1 tout au long de la validité de l’attestation.
25. L’article 13 § 1 dispose qu’est fiable du point de vue de la personnalité une personne physique qui ne souffre pas de troubles susceptibles d’avoir des répercussions sur sa fiabilité ou sur sa capacité de garder secrètes les informations. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 13, cela est attesté soit par une déclaration sur la fiabilité du point de vue de la personnalité et, lorsque la loi le prévoit, également par un rapport d’expertise.
26. Aux termes de l’article 14 § 1, est considérée comme fiable du point de vue de la sécurité nationale une personne qui ne présente pas de risque pour la sécurité.
Selon l’article 14 § 2, est considéré comme un risque pour la sécurité nationale :
a) une activité sérieuse ou répétée dirigée contre les intérêts de la République tchèque, ou
b) activité consistant à réprimer les droits et libertés fondamentaux, ou un soutien à une telle activité.
L’article 14 § 3 liste les éléments qui peuvent être considérés comme présentant un risque pour la sécurité nationale. Selon la lettre d), il peut s’agir d’un comportement qui se répercute sur les capacités de la personne d’être digne de confiance, de ne pas se laisser influencer et de garder secrètes les informations.
27. Selon l’article 89 § 7, la partie à la procédure selon cette loi et son représentant ont le droit, avant l’adoption de la décision, de consulter le dossier et d’en faire des relevés, à l’exception de la partie contenant une donnée confidentielle.
28. L’article 122 § 3 dispose que la motivation d’une décision prise en vertu de cette loi doit consigner les motifs ayant mené à l’adoption de la décision, les éléments sur lesquels elle se fonde ainsi que le raisonnement adopté par l’Office lors de l’évaluation de ceux-ci et lors de l’application de la réglementation. Lorsque certains des motifs constituent des informations confidentielles, la décision ne doit comporter que la référence aux éléments sur lesquels elle se fonde et leur degré de confidentialité. Le raisonnement adopté par l’Office lors de leur évaluation et les motifs de l’adoption de la décision ne doivent être mentionnés que dans la mesure où ils ne constituent pas des informations confidentielles.
29. Aux termes de l’article 133 § 1, la décision du président de l’Office peut être contestée devant un tribunal au travers d’une action.
L’article 133 § 2 dispose que lors du réexamen judiciaire, le tribunal administre les preuves de manière à respecter l’obligation de sauvegarder la confidentialité des informations figurant dans les résultats de l’enquête ou dans les registres des services de renseignements ou de la police. Une audition ne peut porter sur ces faits que si la personne liée par l’obligation de confidentialité en est dispensée ; la dispense ne peut pas être accordée lorsque cela pourrait mettre en péril ou sérieusement compromettre l’activité des services de renseignements ou de la police. Cela vaut également pour les preuves autres que l’audition.
Conformément à l’article 133 § 3, l’Office désigne les faits mentionnés au paragraphe 2 qui ne peuvent pas être selon lui concernés par la dispense de l’obligation de confidentialité. Lorsque le risque existe de mettre en péril ou de sérieusement compromettre l’activité des services de renseignements ou de la police, le président de la chambre décide que les parties du dossier ayant un lien avec ces faits seront mises à part ; ces parties du dossier ne peuvent pas être consultées par la personne participant à la procédure ni par son représentant.
B. Pratique de la Cour constitutionnelle
30. Le 12 juillet 2001, le plénum de la Cour constitutionnelle a adopté l’arrêt no Pl. ÚS 11/2000 relatif à une loi sur les faits confidentiels (no 148/1998), depuis lors en grande partie remplacée par la loi no 412/2005 précitée, qui ordonnait à l’Office national de la sécurité de ne jamais communiquer à la personne concernée les motifs de la non-délivrance de l’attestation de sécurité. La cour observa que, lors d’un conflit entre les intérêts d’un individu et ceux de l’État, il faut prendre en compte et respecter les intérêts de la sécurité nationale, qui ont un caractère existentiel et justifient une certaine limitation de la sphère privée d’un individu ; pour sauvegarder la sécurité nationale, l’État doit en effet disposer des outils appropriés, dont la protection des données confidentielles auxquelles ne peuvent accéder que les personnes remplissant les conditions prévues par la loi. On ne saurait cependant en déduire que l’État peut agir de manière arbitraire à l’égard de ses citoyens et limiter leurs droits fondamentaux au-delà du nécessaire. La Cour constitutionnelle a admis que le fait de motiver d’une manière détaillée la non-délivrance d’une attestation de sécurité pourrait dans certains cas mettre sérieusement en péril les intérêts de l’État ou des tierces personnes. Cependant, même dans de tels cas spécifiques, il n’est pas possible de renoncer à la protection des droits fondamentaux de l’individu. De l’avis de la Cour constitutionnelle, il n’y a d’ailleurs pas toujours lieu de ne pas divulguer à la personne concernée les motifs pour lesquels elle n’est pas considérée comme apte à accéder aux informations confidentielles, car il est plutôt exceptionnel qu’une telle divulgation mette réellement en péril les intérêts de l’État. Sinon il deviendrait pratiquement impossible pour la personne de faire disparaître les motifs pour lesquels elle ne s’est pas vu délivrer l’attestation de sécurité, même dans les cas où elle pourrait les faire disparaître et où leur divulgation ne compromettrait ni les intérêts de l’État ni ceux des tiers. Il est pourtant manifeste que la non-délivrance de l’attestation a des répercussions considérables sur la sphère personnelle de la personne concernée, que ce soit sur le plan juridique (révocation d’une fonction, motif de licenciement) ou sur le plan factuel (réactions négatives des collègues et des proches). Si la loi peut définir les conditions et limitations pour l’exercice de certains emplois ou activités, celles-ci doivent être transparentes et prévisibles et celui dont les droits sont en jeu doit avoir la possibilité de se défendre dûment contre les ingérences.
Or, lorsque la loi ordonne à l’Office de ne jamais communiquer les motifs de la non-délivrance de l’attestation de sécurité, la personne concernée peut ne pas savoir, ou même ne pas se douter, qu’elle a été considérée comme inapte à accéder aux informations confidentielles et ignorer les motifs de cette décision. Pour toutes ces raisons, on ne pouvait pas admettre une interdiction absolue et sans exception de communiquer les motifs de la non-délivrance de l’attestation de sécurité. D’un autre côté, il y a lieu de respecter l’intérêt public légitime à protéger les données confidentielles et à ne pas communiquer notamment les motifs dont la publication mettrait en péril cet intérêt ou toucherait les intérêts légitimes des tiers. Il incombe au législateur de trouver, dans une nouvelle législation, une voie appropriée pour refléter et concilier les intérêts privé et public.
Il a également été noté que la loi no 148/1998 mettait en place une réglementation spéciale d’une procédure administrative qui se distinguait de celle prévue par le code administratif. Cependant, le seul fait d’exclure ce type de procédure administrative de la réglementation générale du code administratif n’était pas contraire aux principes constitutionnels puisque la seule question décisive était celle de savoir si la procédure spéciale préservait ou non les droits constitutionnel des personnes concernées. En l’espèce, il s’agissait de savoir si la décision sur la (non-)délivrance d’une attestation de sécurité concernait les droits et libertés fondamentales, auquel cas il serait contraire à la Constitution de l’exclure d’un réexamen judiciaire. Le fait que la non-délivrance de l’attestation de sécurité peut mener jusqu’à la perte d’un certain emploi résulte des dispositions de la loi no 148/1998 selon lesquelles l’exercice d’une profession nécessitant de prendre connaissance de données confidentielles est conditionné par la possession de l’attestation de sécurité. Si la personne intéressée ne se voit pas délivrer cette attestation, elle ne peut plus exercer sa profession initiale et peut être transférée à un autre poste (si c’est possible), révoquée de sa fonction, voire renvoyée du service public. La décision de ne pas délivrer l’attestation de sécurité représente donc une ingérence sensible dans la relation de travail (ou de service) et, partant, dans le droit fondamental à un libre choix de profession. Dès lors, les garanties du droit à un procès équitable s’appliquent même à ce domaine assez spécifique.
31. Dans un arrêt no II. ÚS 377/04 du 6 septembre 2007, la Cour constitutionnelle a estimé, par rapport à une attestation de la fiabilité du point de vue de la sécurité nationale, nécessaire selon la loi no 148/1998 à l’exercice des activités sensibles :
« La délivrance de l’attestation de la fiabilité du point de vue de la sécurité nationale constitue l’octroi d’un privilège extraordinaire et il incombe exclusivement à l’autorité administrative de décider, sur la base et dans les limites du pouvoir que lui confère la loi et dans le cadre de sa discrétion, s’il va ou non octroyer ce privilège à la personne concernée. Dans chaque cas individuel, l’autorité administrative est tenue de décrire de manière compréhensible comment elle a apprécié les faits établis, quelles conclusions elle en a tirées, ce qu’elle a pris en compte et ce qu’elle a considéré comme sans pertinence. Le pouvoir discrétionnaire de l’administration doit être susceptible de réexamen. (...) il y a lieu de respecter le fait que, eu égard aux spécificités et à l’importance des décisions en matière de données confidentielles, où l’intérêt de l’État à la sécurité est très prononcé, il n’est pas toujours possible de respecter toutes les garanties procédurales courantes d’un procès équitable (par ex. la publicité de l’audience). Cependant il a déjà été souligné que même dans ce type de procédure, il incombe au législateur de rendre possible la réalisation des garanties appropriées relatives à la protection d’un tribunal (...), fût-ce - selon la nature de l’affaire et compte tenu du caractère de la fonction - une protection particulière et différenciée. (...) Il n’est certainement pas possible que l’Office soit obligé, sous prétexte du respect absolu des droits procéduraux d’une partie à la procédure, de faire état dans ses décisions des faits qui pourraient mettre en péril l’intérêt de l’État, l’effectivité du travail des services de renseignements ou de la police, ou bien la sécurité de leurs agents ou des tierces personnes. Il y a lieu de veiller avec d’autant plus de diligence à ce que ces buts ne soient pas poursuivis au mépris des principes de l’État de droit ou au détriment des droits fondamentaux de l’individu. Il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que (...), lors du réexamen d’une décision dont la conséquence directe est de limiter la possibilité d’exercer un certain emploi, l’intérêt public à la confidentialité ne peut pas justifier l’exclusion de cette décision du champ d’application de (...) l’article 6 § 1 de la Convention garantissant le droit à la protection judiciaire. »
32. Dans un arrêt no I. ÚS 828/09, la Cour constitutionnelle a considéré que le droit à un libre choix de profession, garanti par l’article 26 de la Charte des droits et libertés fondamentales, ne peut pas être interprété comme consacrant le droit de chacun à une profession concrète mais plutôt comme donnant à chaque individu le droit de choisir la profession qu’il voudrait exercer. Néanmoins, pour entrer dans une relation de travail concrète ou pour entamer une activité indépendante concrète, il doit remplir les conditions prévues par la loi pour une telle profession ou activité. Il n’est pas non plus possible de déduire du droit à un libre choix de profession le droit à la délivrance d’une attestation de sécurité, qui n’est garanti ni par la Charte ni par les textes de rang infra-constitutionnel.
C. Pratique de la Cour administrative suprême
33. Dans un arrêt no 6 As 14/2006 du 31 janvier 2007, la Cour administrative suprême a relevé que la délivrance de l’attestation de sécurité à une personne concrète constitue l’octroi d’un privilège extraordinaire et qu’il incombe exclusivement à l’autorité administrative de décider, sur la base et dans les limites du pouvoir que lui confère la loi et dans le cadre de sa discrétion, s’il va ou non octroyer ce privilège à la personne concernée.
34. Dans un arrêt no 5 As 44/2006 du 30 janvier 2009, la Cour administrative suprême a considéré que, en interprétant la notion de « risque pour la sécurité nationale », les pièces recueillies doivent être examinés par rapport à une éventuelle possibilité d’un risque pour la sécurité. Dès lors, le seul soupçon sur l’existence des risques pour la sécurité nationale suffit pour conclure que la personne n’est pas fiable du point de vue de la sécurité nationale.
35. Dans un arrêt no 7 As 5/2008 du 9 avril 2009, la Cour administrative suprême a énoncé les exigences que doivent remplir les rapports des services de renseignements qualifiés de confidentiels pour pouvoir faire l’objet d’un réexamen judiciaire. Ainsi, ils doivent contenir les informations concrètes ou leur résumé pour que l’Office national de la sécurité et, le cas échéant, le tribunal puissent effectivement vérifier la pertinence des faits établis par les services de renseignements, à savoir notamment la crédibilité des informations établies par eux, leur mise en balance et leur rapport aux questions décisives pour la procédure de sécurité. C’est de cette manière qu’il est possible d’éviter l’arbitraire qui pourrait sévir si l’Office puis, le cas échéant, le tribunal devaient se contenter de « croire » les services de renseignements sans pouvoir prendre connaissance de leurs informations.
36. Dans un arrêt no 7 As 31/2011 du 25 novembre 2011, la Cour administrative suprême a noté que, afin de trouver un équilibre entre l’intérêt de garantir à la personne concernée l’équité de la procédure et l’intérêt de sauvegarder la confidentialité des informations nécessaires à la protection de l’intérêt public, le tribunal chargé du réexamen doit avoir accès à toutes les informations ayant servi de base à la décision litigieuse. Plus que dans une procédure « courante » où les parties disposent des mêmes informations que le tribunal, ce dernier est ici le garant du droit à un procès équitable, ce qui appelle une activité accrue du tribunal vis-à-vis de l’administration publique. C’est d’ailleurs pourquoi les juges ont accès, tout au long de l’exercice de leurs fonctions, à toutes les catégories de données confidentielles, et ce sans attestation. Ainsi, le contrôle judiciaire, qui doit s’étendre aux informations pertinentes pour le résultat de la procédure administrative, peut dans une mesure suffisante prévenir l’arbitraire, tout en sauvegardant autant que nécessaire la confidentialité des données. La cour a également relevé que les faits établis doivent dans leur ensemble constituer une base convaincante pour conclure que, dans un cas concret, ces faits représentent réellement un risque pour la sécurité nationale. Ce qui importe c’est la valeur informative des faits établis, dont il faut apprécier la crédibilité et considérer s’ils ont interprétés correctement et s’ils n’ont pas en réalité une signification autre que celle qui s’en dégage au premier abord.
37. Dans un arrêt no 7 As 117/2012 du 21 décembre 2012, la Cour administrative suprême a estimé ce qui suit :
« C’est le tribunal qui garantit que les motifs de la décision seront dûment et complètement réexaminés. Étant donné que l’ignorance des motifs d’une décision négative limite le plaignant, ou l’empêche d’argumenter de manière effective, le tribunal est tenu d’examiner la procédure et les motifs de la décision dans leur totalité, même au-delà des points soulevés par le plaignant. (...)
En sus, il doit aussi examiner s’il est justifié de tenir en secret les données confidentielles. Si tel n’est pas le cas, il serait sans doute obligé d’administrer la preuve et d’en faire une appréciation explicite dans le jugement. (..)
Si le tribunal administratif devait croire les services de renseignements sans pouvoir vérifier que leurs allégations reposent sur les informations réelles et vraisemblablement véridiques, il renoncerait à sa fonction de contrôle de l’administration publique. (...) »
38. Dans un arrêt no 3 As 63/2012 du 19 juin 2013, la Cour administrative suprême a relevé que l’article 133 § 2 de la loi no 412/2005 constituait une lex specialis par rapport à la réglementation générale du code de la justice administrative relative à la consultation du dossier, laquelle est donc inapplicable en la matière. Il ressort de la jurisprudence que, en cas de limitation des droits procéduraux d’une partie à la procédure, il faut dûment motiver la non-communication à cette partie d’une donnée confidentielle et ne pas limiter ses droits procéduraux plus que ne l’exige la protection des intérêts publics. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’il faudra priver les parties desdits droits procéduraux et ne pas leur communiquer même le contenu de l’information confidentielle.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
39. Le requérant dénonce l’iniquité d’une procédure administrative dans laquelle il n’a pas pu prendre connaissance d’un élément de preuve déterminant, qualifié d’information confidentielle et mis à la disposition des tribunaux par le défendeur. Il invoque à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit dans sa partie pertinente :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
40. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
41. Excipant d’abord de l’inapplicabilité de l’article 6 dans son volet civil, le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle le caractère discrétionnaire du pouvoir d’appréciation des autorités leur permettant d’accorder le bénéfice d’une mesure sollicitée par un requérant peut s’avérer déterminant pour conclure qu’il ne s’agit pas d’un « droit » reconnu en droit interne (Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 93, CEDH 2012). Il soutient qu’on ne peut déduire de la législation et de la pratique tchèques aucun droit civil à l’accès aux données confidentielles, à la délivrance d’une attestation permettant l’accès à ces données ou à l’exercice d’une fonction publique concrète. Les juridictions suprêmes considèrent en effet que la délivrance de l’attestation de sécurité constitue l’octroi d’un privilège extraordinaire, dont décide exclusivement l’autorité administrative sur la base et dans les limites du pouvoir que lui confère la loi et dans le cadre de sa discrétion. En décidant de délivrer ou non l’attestation de sécurité, l’Office national de la sécurité est donc doté d’un certain pouvoir discrétionnaire puisque ce privilège ne peut être octroyé, sous conditions, qu’à un cercle limité de personnes qui ne présentent pas de risque pour la sécurité nationale (voir, mutatis mutandis, Ankarcrona c. Suède (déc.), no 35178/97, CEDH 2000-VI). Les mêmes considérations s’appliquent à l’invalidation de cette attestation lorsque la personne concernée cesse de remplir les conditions prévues par la loi. En même temps, le droit interne fournit des garanties suffisantes contre les ingérences arbitraires, afin que le pouvoir discrétionnaire de l’exécutif ne soit pas illimité.
42. Le Gouvernement note que le requérant se borne à constater que l’attestation de sécurité était indispensable pour l’exercice de la fonction publique d’adjoint d’un vice-ministre qui était la sienne à l’époque. Il ne soutient pas que l’invalidation de cette attestation a mené à la rupture de son contrat de travail. Il ressort en effet du dossier qu’il a lui-même demandé sa révocation de la fonction d’adjoint du vice-ministre et qu’il a quitté le ministère à la suite d’une rupture conventionnelle, ce dont il a manqué d’informer la Cour. À cet égard, le Gouvernement laisse à la Cour le soin de décider s’il ne s’agit pas d’un abus du droit de recours.
43. Le Gouvernement soutient ensuite que le volet pénal de l’article 6 ne s’applique pas non plus en l’espèce. Il note que la procédure sur l’invalidation de l’attestation de sécurité est une procédure spécifique sui generis, réglementée par les dispositions qui ne relèvent pas du droit pénal et qui s’adressent seulement à un cercle limité de personnes s’étant vu accorder le privilège d’accès aux données confidentielles. Cette procédure ne peut en outre aboutir à aucune sanction.
44. Le requérant est convaincu d’avoir satisfait à toutes les conditions de recevabilité. Selon lui, les faits ajoutés par le Gouvernement, à savoir les circonstances de la rupture de son contrat de travail et ses poursuites pénales, ne sont pas pertinents pour l’examen de ses griefs et visent seulement à le discréditer. Par ailleurs, le Gouvernement lui-même aurait enfreint le principe de l’égalité des armes dans la procédure devant la Cour lorsqu’il s’est procuré l’acte d’accusation concernant le requérant alors que ses poursuites pénales n’ont aucun lien avec la présente requête.
2. Analyse de la Cour
45. La Cour constate que le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 § 1 notamment au motif que la procédure suivie en l’espèce ne saurait passer pour emporter détermination de « droits de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
46. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 6 § 1 régit uniquement les « contestations » sur des « droits et obligations de caractère civil » que l’on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne. En l’espèce, la Cour doit d’abord se prononcer sur la question de savoir si le pouvoir d’appréciation des autorités tchèques tel qu’allégué par le Gouvernement exclut l’existence d’un « droit » reconnu en droit interne. Si ce n’est pas le cas, il conviendra de déterminer si ce droit revêtait un caractère civil.
a) Sur l’existence d’un droit reconnu en droit interne lorsque les autorités jouissent d’un certain pouvoir d’appréciation
47. Dans sa décision Fodor c. Allemagne (no 25553/02, 11 décembre 2006), la Cour a relevé que le fait de doter les autorités nationales d’une marge d’appréciation n’exclut pas nécessairement l’applicabilité de l’article 6. Dans les affaires où la procédure judiciaire portait sur une décision discrétionnaire entraînant une ingérence dans les droits d’un requérant, la Cour a déclaré l’article 6 applicable (voir Pudas c. Suède, 27 octobre 1987, § 34, série A no 125-A ; Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, § 69, série A no 179 ; Mats Jacobsson c. Suède, 28 juin 1990, § 32, série A no 180-A). En revanche, lorsqu’était en jeu une décision discrétionnaire portant sur la question de savoir si le requérant devait se voir accorder certains avantages ou était en droit d’exiger une action des autorités, la Cour a conclu qu’attribuer une liberté illimitée ou même un pouvoir d’appréciation large à une autorité nationale indiquait que le droit interne ne reconnaissait aucun « droit » à ces avantages ou actions. Par conséquent, l’article 6 ne s’appliquait pas à de telles procédures judiciaires (voir Masson et Van Zon c. Pays-Bas, 28 septembre 1995, § 51, série A no 327-A ; Ankarcrona c. Suède (déc.), no 35178/97, CEDH 2000-VI).
La Cour a également précisé qu’un « droit » au sens de l’article 6 § 1 doit pouvoir être mis en rapport avec des critères tangibles, dont les autorités compétentes et, moyennant recours, les juridictions nationales, peuvent examiner l’existence sans difficulté particulière. Tel n’est pas le cas lorsque la loi en question ne renferme pas de pareils critères applicables et laisse totalement à une autorité le soin de décider s’il y a lieu ou non d’accéder à la demande d’un requérant, dont la situation et les besoins ne sont aucunement pris en compte (voir Ankarcrona, décision précitée).
48. Il s’ensuit que la seule présence d’un élément discrétionnaire dans le libellé d’une disposition légale n’exclut pas, en soi, l’existence d’un droit (Camps c. France (déc.), no 42401/98, 23 novembre 1999, et Ellès et autres c. Suisse, no 12573/06, § 16, 16 décembre 2010). Dès lors que la Cour ne saurait créer, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, un droit matériel n’ayant aucune base légale dans l’État concerné, elle doit prendre pour point de départ les dispositions du droit national pertinentes et l’interprétation qu’en font les juridictions internes. Parmi les critères dont la Cour peut tenir compte figurent la reconnaissance par les tribunaux internes, dans des situations semblables, du droit allégué ou l’examen par eux du bien-fondé de la demande d’un requérant (Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, §§ 91 et 94, CEDH 2012).
49. Appelée à jouer un rôle subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l’homme, la Cour doit donc s’attacher à cerner la réalité dans l’État en question avant de conclure qu’une décision discrétionnaire porte sur un « droit » reconnu en droit interne. Lorsque l’État fait le choix de subordonner la décision des autorités nationales à des critères tangibles et de l’entourer d’un contrôle juridictionnel, la Cour doit en prendre acte dans son analyse de l’applicabilité de l’article 6.
50. En l’espèce, il y a lieu de relever que la loi no 412/2005 prescrit à l’article 12 les conditions nécessaires pour se voir délivrer une attestation de sécurité, pouvant être qualifiées, au sens de la jurisprudence susmentionnée, de « critères tangibles ». La loi énonce également que, pour bénéficier de l’attestation tout au long de sa validité, ces conditions doivent continuer à être remplies. C’est précisément pour examiner si le requérant satisfaisait toujours à une de ces conditions, à savoir la fiabilité du point de vue de la sécurité nationale, que la procédure litigieuse a eu lieu.
51. La Cour constate en outre que, même si une certaine liberté d’appréciation est nécessaire dans l’examen de la question de savoir si les conditions d’éligibilité sont remplies, l’Office national de la sécurité ne jouit pas d’une latitude illimitée à cet égard. De plus, l’exercice par cette autorité de sa liberté d’appréciation est susceptible d’un réexamen judiciaire, lors duquel les tribunaux sont appelés à juger si les conclusions de l’Office sont justifiées.
52. Il y a également lieu de prendre en compte la jurisprudence de la Cour constitutionnelle tchèque en la matière (voir paragraphes 30 et 31 ci-dessus). Selon celle-ci, la décision de ne pas délivrer l’attestation de sécurité représente une ingérence sensible dans la relation de travail (ou de service) et, partant, dans le droit fondamental à un libre choix de profession. Si la loi peut définir les conditions et limitations pour l’exercice de certains emplois ou activités, celles-ci doivent être transparentes et prévisibles et celui dont les droits sont en jeu doit avoir la possibilité de se défendre dûment contre les ingérences. Lorsqu’il s’agit de réexaminer une décision dont la conséquence directe est de limiter la possibilité d’exercer un certain emploi, l’intérêt public à la confidentialité ne peut pas justifier l’exclusion de cette décision du champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.
53. Dans ces circonstances, il est possible de conclure que le droit tchèque reconnaît à toute personne à qui a été accordée une attestation de sécurité un droit particulier, en vertu duquel elle peut faire contrôler que le retrait ultérieur de cette attestation est justifié au regard des critères définis par la loi pour sa délivrance.
b) Sur le caractère civil du droit
54. La Cour constate qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’un contentieux du travail qui aurait été directement déterminant pour l’emploi du requérant dans la fonction publique (voir, à l’inverse, Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC] (no 63235/00, CEDH 2007-II). En effet, contrairement au requérant dans l’affaire Ternovskis c. Lettonie (no 33637/02, 29 avril 2014), le requérant en l’espèce n’a pas été relevé de ses fonctions au motif qu’on lui avait refusé l’attestation de sécurité nécessaire, et la procédure litigieuse ne portait pas sur son renvoi.
55. Le Gouvernement ne conteste pas cependant que l’attestation de sécurité était indispensable pour que le requérant puisse exercer la fonction publique d’adjoint d’un vice-ministre qui était la sienne à l’époque (voir paragraphe 42 ci-dessus). S’il est vrai que le requérant a quitté cette fonction à sa propre demande (voir paragraphe 9 ci-dessus), présentée avant que son recours contre la décision de l’Office du 5 septembre 2006 ne soit tranché, il ne fait pas de doute qu’il n’aurait pas pu continuer à l’occuper sans une attestation de sécurité valable et que le seul moyen pour lui de se défendre était de contester la décision de l’Office sur l’invalidation de son attestation. Dès lors, même si cette invalidation n’entraînait pas la rupture automatique du contrat de travail du requérant avec le ministère de la Défense, elle était déterminante pour le choix de postes qui s’offrait à lui. La conséquence directe de cette décision était donc de limiter la possibilité pour le requérant d’exercer certains emplois, notamment dans la fonction publique, ce qui, de l’avis de la Cour constitutionnelle tchèque (voir paragraphe 31 in fine), justifie qu’elle ne soit pas exclue du champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.
56. Il convient également de noter que, selon les dires du requérant, il avait adapté sa vie privée à la fonction d’adjoint d’un vice-ministre (voir paragraphe 11 ci-dessus), et que l’information confidentielle du service de renseignements contenait forcément des données relatives à la « vie privée » du requérant. De plus, l’invalidation de son attestation de sécurité avait sans aucun doute des répercussions sur la réputation du requérant, du moins dans son milieu professionnel, et était susceptible d’avoir des effets préjudiciables à ses intérêts pécuniaires.
57. Sur la base des considérations susmentionnées, la Cour estime que la décision sur l’invalidation de l’attestation de sécurité du requérant et la procédure subséquente avait un effet sur ses droits de caractère civil (voir, mutatis mutandis, Užukauskas c. Lituanie (no 16965/04, 6 juillet 2010). Il ne prête en outre pas à controverse que le requérant avait accès à un tribunal en vertu du droit national et que les juridictions saisies ont effectivement examiné son recours. L’article 6 § 1 trouve donc à s’appliquer dans son volet civil, même si le litige ne portait pas directement sur un licenciement (voir, mutatis mutandis, dans le contexte du renvoi d’une école militaire, Topal c. Turquie, no 3055/04, § 14, 21 avril 2009).
3. Conclusion
58. La Cour estime que la procédure litigieuse entre dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, l’exception d’incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue.
59. Constatant qu’il n’y a pas, à ses yeux, d’abus du droit de recours (voir paragraphe 42 ci-dessus), que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
60. Le requérant soutient qu’il n’est pas possible d’admettre que certaines procédures, fussent-elles sui generis, puissent être soustraites à l’application des garanties de l’équité. Le droit à un procès équitable ne peut être limité que dans des cas individuels exceptionnels. Cependant, en l’espèce, l’intérêt public à la sécurité nationale ne pouvait pas l’emporter sur son droit à la protection judiciaire car le document confidentiel auquel il n’a pas eu accès n’était classé que dans la catégorie « réservé » ; au sens de l’article 4 d) de la loi no 412/2005, sa divulgation pouvait donc tout au plus présenter des inconvénients pour les intérêts de la République tchèque. Or, pour maintenir un document à l’abri des parties à la procédure judiciaire, l’article 133 § 3 exige un risque plus sérieux, à savoir que la divulgation soit susceptible de mettre en péril ou de sérieusement compromettre l’activité des services de renseignements. Selon le requérant, ne peut présenter un tel risque que la divulgation d’une donnée confidentielle classée dans la catégorie « confidentiel ».
61. En ce qui concerne le contrôle judiciaire exercé dans la procédure prévue par l’article 133 de la loi no 412/2005, il est selon le requérant régi par le code de la justice administrative (loi no 150/2002). En réexaminant les décisions des autorités administratives, les tribunaux se fondent sur l’état des faits et du droit existant au moment de l’adoption de ces décisions, et restent dans les limites de la demande formulée par le plaignant.
62. De l’avis du requérant, les tribunaux saisis en l’espèce n’ont pas pu lui fournir une protection suffisante puisqu’ils n’ont fait que reprendre les informations contenues dans le document confidentiel, la preuve-clé, qui lui reste inconnu à ce jour. Il a donc pu seulement émettre des hypothèses, sans être en mesure de contester l’authenticité et l’exactitude de ces informations le concernant, et sans disposer des mêmes éléments que la partie adverse et les tribunaux. Son affaire s’apparente donc à celles des requérants Užukauskas (arrêt précité) et Güner Çorum c. Turquie (no 59739/00, 31 octobre 2006), dans lesquelles la Cour a conclu à la violation du droit à un procès équitable.
63. Le Gouvernement rappelle qu’il n’existe pas un droit absolu de révéler au défendeur toutes les preuves pertinentes. Lorsque c’est indispensable, ce droit peut être limité afin de sauvegarder les droits d’une autre personne ou un intérêt public important, à conditions que ces difficultés soient adéquatement contrebalancées par les tribunaux. Lorsque des preuves ont été dissimulées au nom de l’intérêt public, il n’appartient pas à la Cour de dire si pareille attitude était absolument nécessaire ni de chercher à mettre en balance l’intérêt public à une non-divulgation des éléments litigieux et l’intérêt de l’accusé à se les voir communiquer. Le rôle de la Cour est d’examiner si le processus décisionnel a satisfait dans toute la mesure du possible aux exigences du contradictoire et de l’égalité des armes et s’il était assorti de garanties aptes à protéger les intérêts de l’accusé (Fitt c. Royaume-Uni [GC], no 29777/96, § 46, CEDH 2000-II). De plus, ces principes ont été formulés par la Cour essentiellement dans le contexte pénal, où les États contractants jouissent d’une latitude moins grande. Admettant qu’ils ont été parfois appliqués à l’absence de communication d’une preuve dans une procédure autre que pénale (Užukauskas c. Lituanie, no 16965/04, § 46, 6 juillet 2010 ; Association de Défense des Actionnaires Minoritaires c. France (déc.), no 60151/09, 25 mai 2010), le Gouvernement souligne que la procédure suivie en l’espèce ne peut pas être considérée comme une procédure administrative classique, car elle est spécifique par sa nature et étroitement liée aux questions légitimes de la sécurité nationale.
64. Le Gouvernement observe en l’espèce que, si les motifs de tenir secret le document du service de renseignements établissant que le comportement du requérant présentait un risque pour la sécurité nationale subsistent, il n’est pas possible d’ignorer la connexion temporelle et matérielle entre ses poursuites pénales et l’invalidation de son attestation de sécurité. Il semble naturel que s’il existait des soupçons plausibles que le requérant participe à une activité criminelle organisée tendant à influencer les appels d’offre publics, il était urgent de le priver de l’accès aux données confidentielles sans pour autant révéler que les autorités enquêtaient sur cette activité. Une autre attitude aurait mis en péril ou sérieusement compromis le travail des services de renseignements ou de la police, ce que l’article 133 § 2 de la loi no 412/2005 cherche à éviter. Le fait que la non-divulgation du document au requérant était justifié a été confirmé par les juridictions compétentes pour réexaminer la décision de l’Office.
65. Selon le Gouvernement, la conduite de l’Office national de la sécurité, qui n’a pas permis au requérant de consulter la partie du dossier contenant des documents confidentiels et qui n’a fait que se référer à ces documents dans sa décision, est compatible avec la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’accès aux documents contenant des données confidentielles peut être réservé aux personnes dotées d’une autorisation (voir Užukauskas, précité, § 48). Cela vaut également pour le principe consacré à l’article 133 § 2 de la loi no 412/2005 selon lequel l’accès à une information confidentielle ne peut être refusé, au stade du réexamen judiciaire, que si sa divulgation pourrait mettre en péril ou sérieusement compromettre l’activité des services de renseignements ou de la police (voir Vereniging Weekblad Bluf ! c. Pays-Bas, 9 février 1995, § 40, série A no 306-A). De plus, l’information doit être désignée comme telle par l’Office, après quoi il incombe au président de la chambre de juger si le même but peut être atteint par des moyens moins restrictifs. En aucun cas la loi ne réserve cette conduite à des donnés d’une certaine catégorie de confidentialité, comme le soutient le requérant. Il en résulte que ce n’est que dans des cas exceptionnels que les droits procéduraux peuvent être limités au point de ne pas communiquer à la partie à la procédure même le contenu de l’information confidentielle, comme ce fut le cas en l’espèce. Dans cette situation, la Cour doit se limiter à examiner la question de l’existence des garanties aptes à protéger les intérêts du requérant.
66. Pour ce qui est de l’étendue du contrôle judiciaire dans la procédure prévue par l’article 133 de la loi no 412/2005, le Gouvernement souligne qu’il est exercé par les tribunaux de « pleine juridiction », appelés à examiner aussi bien les points de fait que de droit. Ce contrôle n’est donc pas limité aux questions de la légalité de la décision de l’Office mais porte également sur les motifs de l’adoption de cette décision. De plus, il ressort de la jurisprudence de la Cour administrative suprême que, en pareille situation, les tribunaux ne sont pas liés par la demande du plaignant et doivent ex officio examiner la procédure et les motifs de la décision de l’Office dans leur totalité, même au-delà des points soulevés par le plaignant. Ce faisant, ils vérifient si les conclusions formulées dans la décision contestée sont réellement tirées des preuves contenues dans le dossier de l’office, dont les rapports des services de renseignements, et se concentrent sur la crédibilité, la plausibilité et la pertinence des informations rassemblées par ces services. Les juges doivent aussi vérifier s’il est justifié de garder secrètes les données confidentielles. La jurisprudence a par ailleurs fixé de nombreuses exigences auxquelles les documents confidentiels sous-tendant les décisions de l’Office doivent répondre, sous peine d’annulation de celles-ci. Ces documents doivent notamment contenir des informations spécifiques, afin que les tribunaux puissent dûment exercer leur contrôle, et mentionner les sources et la manière dont les informations ont été obtenues. En cas de doute, les tribunaux peuvent annuler la décision contestée et renvoyer l’affaire à l’Office pour qu’il complète les preuves afin d’étayer la pertinence et la plausibilité de ses conclusions.
67. Le Gouvernement estime que, dans la présente affaire, les tribunaux n’ont aucunement manqué à ces devoirs de contrôle et l’ampleur de leur réexamen a fourni au requérant une protection suffisante contre un éventuel arbitraire commis par l’Office. L’intégralité du dossier du requérant, y compris les documents confidentiels, ont été soumis à deux instances judiciaires administratives ainsi qu’à la Cour constitutionnelle. Tous les juges impliqués ont donc pu prendre connaissance des pièces litigieuses. De plus, le requérant s’est vu offrir la possibilité d’exposer tous les éléments qui étaient pertinents à ses yeux, dont les motifs possibles de l’invalidation de son attestation de sécurité, et de contester la véracité des informations du service de renseignements. Il a vu par ailleurs réfuter son hypothèse par la Cour administrative suprême qui a relevé que l’invalidation de son attestation n’avait aucun lien avec son refus de coopérer avec le service des renseignements militaires. La procédure de réexamen judiciaire était donc assortie de garanties aptes à protéger les intérêts du requérant, lesquelles ont été encore renforcées du fait de l’examen de l’affaire par la Cour constitutionnelle.
68. Le Gouvernement s’attache enfin à démontrer les différences entre la présente requête et l’affaire Ternovskis c. Lettonie (précitée), portant sur les répercussions qu’a eues le refus d’une attestation de sécurité sur la capacité du requérant d’occuper sa fonction et sur sa situation financière. Il rappelle à cet égard que le requérant a quitté son poste à la suite d’une rupture conventionnelle, qu’il n’a jamais contestée devant les tribunaux, et que son revenu n’a quasiment pas changé après l’invalidation de son attestation de sécurité.
69. En réponse à la question additionnelle posée par la Cour, le Gouvernement note qu’au 10 juillet 2015, il y avait 38 274 attestations de sécurité valables délivrées à des personnes physiques, dont 21 416 pour la catégorie « confidentiel », 15 953 pour la catégorie « secret » et 905 pour la catégorie « hautement secret ». Ce chiffre n’inclut pas les attestations de sécurité délivrées pour la catégorie « réservé », qui sont sujettes à d’autres conditions et ne font pas l’objet d’enregistrement. Le Gouvernement observe par ailleurs que l’attestation de sécurité est une des pré-conditions de l’accès aux informations confidentielles mais ne permet pas per se d’accéder à toutes les informations de la catégorie donnée.
2. Appréciation de la Cour
70. La Cour rappelle d’abord que la conclusion quant à l’applicabilité de l’article 6 ne préjuge en rien de la réponse à la question de savoir comment les diverses garanties attachées à cet article doivent s’appliquer aux litiges concernant des fonctionnaires (Vilho Eskelinen et autres, précité, § 64).
71. Parmi ces garanties se trouvent notamment le caractère contradictoire de la procédure et l’égalité des armes entre les parties.
Le droit à un procès contradictoire implique la faculté pour les parties de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l’autre partie et de pouvoir en discuter (voir, parmi d’autres, Fitt c. Royaume-Uni [GC], no 29777/96, § 46, CEDH 2000-II; Prikyan et Angelova c. Bulgarie, no 44624/98, § 40, 16 février 2006 ; Čepek c. République tchèque, no 9815/10, § 44, 5 septembre 2013). Ce principe vaut pour les observations et pièces présentées par les parties, mais aussi pour celles présentées par un magistrat indépendant tel que le commissaire du Gouvernement (actuellement rapporteur public) (Kress c. France [GC], no 39594/98, CEDH 2001-VI), par une administration (Krčmář et autres c. République tchèque, no 35376/97, 3 mars 2000) ou par la juridiction auteur du jugement entrepris (Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-I).
S’agissant du principe de l’égalité des armes, la Cour rappelle que ce principe, qui est l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, exige un « juste équilibre entre les parties » : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, par exemple, Matyjek c. Pologne, no 38184/03, § 55, 24 avril 2007 ; Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 91, 17 décembre 2013).
72. En l’espèce, la Cour est appelée à examiner si le requérant, qui n’a pas pu prendre connaissance de la pièce classée confidentielle sur laquelle les tribunaux s’étaient fondés ni, partant, contester l’exactitude des renseignements consignés à son sujet, a bénéficié des garanties aptes à protéger ses intérêts, de manière à ce que les exigences susmentionnées du contradictoire et de l’égalité des armes soient satisfaites. Il y a lieu de souligner que, dans la présente affaire, les autorités ont été amenées à évaluer la capacité du requérant d’entrer en contact avec les informations confidentielles de l’État. La non-divulgation au requérant de la pièce litigieuse a été motivée par l’intérêt de la sécurité nationale, en ce que sa communication aurait pu, selon les autorités, avoir pour conséquence la révélation des méthodes de travail d’un service de renseignements, la révélation de ses sources d’informations ou les tentatives de la part du requérant d’influencer d’éventuels témoins. Rien ne permet donc de penser que la classification des documents en cause aurait été effectuée de manière arbitraire, abusive ou dans un objectif autre que l’intérêt légitime poursuivi (voir, mutatis mutandis, Nikolova et Vandova, précité, § 73). Dans ses observations, le Gouvernement semble par ailleurs suggérer (en se référant à la lettre de l’Office national de la sécurité du 24 mars 2014) que le document en question contenait des informations sur une enquête pénale concernant le requérant, qui était en cours à l’époque et qui a depuis débouché sur les poursuites pénales du requérant accusé d’avoir illégalement influencé les appels d’offre publics au sein du ministère de la Défense.
73. La question cruciale qui se pose en l’espèce est celle de savoir si l’impossibilité pour le requérant de prendre connaissance de cette pièce et de la commenter était suffisamment contrebalancée par le fait que ce document était accessible à toutes les juridictions saisies de l’affaire qui ont donc pu évaluer, au regard de son contenu, les conclusions de l’autorité administrative quant au point de savoir si le requérant remplissait ou non les conditions nécessaires pour détenir une attestation de sécurité.
74. La Cour note dans ce contexte qu’une procédure qui, indépendamment du cadre utilisé, autorise un juge répondant aux exigences d’indépendance et d’impartialité prévues à l’article 6 § 1, à examiner en toute connaissance des preuves pertinentes, littérales et autres, le bien-fondé de l’argumentation des deux parties, sert assurément à renforcer la confiance du public (voir Tinnelly & Sons Ltd et autres et McElduff et autres c. Royaume-Uni, 10 juillet 1998, § 78, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV).
75. À cet égard, les arguments soulevés par le Gouvernement paraissent pertinents aux yeux de la Cour. Elle attache de l’importance notamment au fait que, dans les procédures telles que celle en l’espèce, les tribunaux disposent d’une compétence de « pleine juridiction » et ne sont pas liés par la demande du plaignant. Ils doivent donc examiner la procédure et les motifs de la décision de l’Office dans leur totalité, et même - comme confirmé par la Cour administrative suprême, bien que postérieurement aux décisions rendues dans l’affaire du requérant (voir paragraphes 37 et 66 ci-dessus) - au-delà des points soulevés par le plaignant.
76. En l’occurrence, le requérant a été tenu informé et a eu l’occasion de formuler des observations dans sa duplique du 14 mai 2007 ainsi que lors de son audition à l’audience du 1er septembre 2009. Il a donc été à même de participer au processus décisionnel autant qu’il était possible, sans que lui fussent divulgués les éléments de preuve que, pour des motifs d’intérêt public, l’Office national de la sécurité souhaitait ne pas devoir communiquer (voir, mutatis mutandis, Fitt, précité, § 48). La Cour estime également que le fait que la nécessité de maintenir le caractère confidentiel de la pièce litigieuse a été à tout moment sujette à l’appréciation du juge, selon l’article 133 § 3 de la loi no 412/2005, fournit une garantie supplémentaire importante. Il ressort du dossier que le tribunal municipal a en effet recherché si la preuve litigieuse pouvait ou non être divulguée (voir paragraphe 15 ci-dessus), offrant ainsi un degré accru de protection des droits du requérant (voir, mutatis mutandis, Fitt, précité, § 49 in fine).
77. La présente affaire diffère donc de celle du requérant Ternovskis (précitée), dans laquelle la juridiction d’appel n’avait pas devant elle les éléments cruciaux des documents confidentiels (ibidem, § 71), auxquels seul le défendeur avait accès. Ce dernier a également été entendu par le tribunal, à la différence du requérant dont l’absence a été considérée injustifiée et qui n’a donc pas pu bénéficier, autant que possible, d’une procédure contradictoire (ibidem, § 75).
78. Dans l’affaire Güner Çorum c. Turquie (précitée), à laquelle le requérant se réfère, Mme Güner Çorum a été révoquée, en raison des charges disciplinaires lourdes, de ses fonctions d’infirmière civile travaillant dans un hôpital militaire, et ce sans que le contenu du dossier d’enquête lui soit divulgué. Le gouvernement turc n’ayant présenté aucun argument pouvant justifier la non-divulgation du dossier d’enquête lors de la procédure administrative concernant la révocation, la Cour a considéré dans cette affaire que « au demeurant, ce dossier ne contient aucun élément pouvant justifier une telle pratique par des exigences liées à la sécurité nationale ou à la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes d’enquête » (§ 28). Telle n’est cependant pas la situation dans la présente requête.
79. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le processus décisionnel a satisfait autant que possible aux exigences du contradictoire et de l’égalité des armes et qu’il était assorti de garanties aptes à protéger les intérêts du requérant.
80. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à la majorité, la requête recevable ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan Blaško Angelika
Nußberger
Greffier adjoint Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :
- opinion partiellement dissidente de la juge Jäderblom ;
- opinion concordante du juge Pejchal.
A.N.
M.B.
PARTLY DISSENTING OPINION OF JUDGE JÄDERBLOM*
I have voted with the majority in finding no violation of Article 6 of the Convention, but cannot agree with them as regards the applicability of Article 6.
The applicant lost his clearance to have access to information classified as “secret”. The revocation of his security clearance made it impossible for him to carry out his functions as deputy to a vice-minister in the Ministry of Defence. He resigned from this post on his own initiative, allegedly for health reasons, and his work contract with the Ministry subsequently ended after he and the Ministry agreed to this. In the proceedings instituted by the applicant to have the decision to revoke his security clearance overturned, the applicant was unable to have access to certain information classified as confidential which lay behind the decision. This, he claimed, violated his right to a fair trial under Article 6 of the Convention.
In order for Article 6 to be applicable the Court has to assess whether or not the dispute over the applicant’s alleged right to maintain his security clearance was “civil” in nature.
In the majority’s view, as the revocation of the security clearance had the direct consequence of limiting the applicant’s access to certain jobs, especially within the civil service, and as the applicant had adapted his private life to the function of deputy to a vice-minister, the revocation had repercussions on his reputation and it was possible that it would have pecuniary consequences for him, the decision to revoke his security clearance and the subsequent procedures affected his civil rights.
I do not agree with this conclusion, for the following reasons.
For a right to be recognised as “civil” under Article 6, it is not sufficient that it touches upon other such rights; the proceedings at issue must be directly concerned with a right which is “civil”. The applicant was not dismissed from his job. Nor was his contract cancelled by his employer; instead, it was terminated by mutual agreement. The dispute thus did not concern the applicant’s right to an employment contract with the Ministry but a decision in which he had been considered not fit to be trusted with certain information. It is true that security clearance may be valuable for the applicant in obtaining and maintaining other jobs. On the other hand - unlike in cases concerning licensing disputes, where an individual’s private rights are directly affected (the authority to practise a certain profession, such as that of a lawyer or a physician) or property rights are at stake (for example, a restaurant owner who is dependent on a licence to serve alcohol) - the applicant in this case has not demonstrated any such consequences, let alone shown that he would be directly affected in the same way. The conclusion by the majority that the applicant’s reputation would be affected may well be right, and it may also be true that the decision could have pecuniary effects. However, it is not possible to assess the latter aspect as the applicant left his job voluntarily. As regards the applicant’s reputation, it should be noted that the revocation of his security clearance amounted to a statement of distrust as regards his handling of information that concerned State security. Whether or not a State should trust a person employed within its central government offices from a security perspective is one of the prerogatives of the State in question and does not concern that person’s “civil” rights for the purposes of Article 6.
CONCURRING OPINION OF JUDGE PEJCHAL*
I fully share my honourable colleagues’ opinion that in this particular case “the evidence is sufficient to allow the Court to conclude that the decision-making procedure satisfied in so far as possible the requirements to provide adversarial proceedings and equality of arms and incorporated adequate safeguards to protect the applicant’s interests”. I consider this case exceptional in view of the fact that the applicant held the office of Deputy Minister of Defence. On account of his office he had to have access to “State secrets”. Hence, he was obliged to undergo security cross-checks and to tolerate the process described in the judgment.
The problem of Czech security cross-checks consists in their excessiveness. The State authorities require security cross-checks for a countless number of activities, not only in the public sector but also in the private one (for example, when a private company bids for a procurement contract put out for tender in an area for which the law requires security cross-checks). Even the National Security Authority criticised the Government, several years ago, on the grounds that the number of persons who were obliged to ask for security cross-checks was disproportionately high.
These security cross-checks concern tens of thousands of persons. The Czech Government informed the Court that the number of valid security attestations granted to natural persons amounted to 38,274 as at 10 July 2015. Hypothetically, each one of those persons might have had the same problem as the applicant - a lack of knowledge of a number of facts concerning the process of granting security cross-checks, which, in my opinion, jeopardises Czech citizens’ trust in justice.
It is hard to believe that of the total population of the Czech Republic, amounting to about ten million inhabitants, as many as 38,274 persons have been security cross-checked. I can imagine that 95% of those people never actually needed access to “State secrets” for the exercise of their profession, but despite that they had to undergo the security cross-checks.
I deem this judgment to be applicable only to persons who hold the same office as the applicant or a very similar one. Any generalisation is dangerous, especially when trust in justice is at stake. As Marcus Tullius Cicero said, “Iustitia sine prudentia multum poterit, sine iustitia nihil valebit prudentia.”