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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> V.M. AND OTHERS v. BELGIUM - 60125/11 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 665 (07 July 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/665.html
Cite as: [2015] ECHR 665

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      DEUXIÈME SECTION

       

       

       

       

       

       

       

      AFFAIRE V.M. ET AUTRES c. BELGIQUE

       

      (Requête no 60125/11)

       

       

       

       

       

       

       

       

      ARRÊT

       

       

       

      STRASBOURG

       

      7 juillet 2015

       

       

       

       

       

       

       

      Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 §  de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

       


      En l’affaire V.M. et autres c. Belgique,

      La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

                Işıl Karakaş, présidente,
                András Sajó,
                Nebojša Vučinić,
                Helen Keller,
                Paul Lemmens,
                Egidijus Kūris,
                Jon Fridrik Kjølbro, juges,
      et de Abel Campos, greffier adjoint de section,

      Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juin 2015,

      Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

      PROCÉDURE

      1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60125/11) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont sept ressortissants serbes, M. V.M. et Mme G.S.M. et leurs cinq enfants, S.M., E.M., S.M, E.M. et E.M.M., décédée le 18 décembre 2011, (« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement).

      2.  Les requérants ont été représentés par Me E. Neraudau, avocate à Nantes. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

      3.  Les requérants allèguent en particulier que les autorités belges les ont exposés, de par les conditions d’accueil en Belgique et leur retour « forcé » en Serbie, à des risques pour leur vie et leur intégrité physique (articles 2 et 3 de la Convention). Ils se plaignent également de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif.

      4.  Le 4 février 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

      5.  Les requérants ainsi que le Gouvernement défendeur ont déposé des observations écrites (article 54 § 2 du règlement) de même que l’organisation non gouvernementale Coordination et initiatives pour réfugiés et apatrides (« Ciré »), autorisée à intervenir (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).

      EN FAIT

      I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

      6.  Les requérants, M. V.M. et Mme G.S.M., et quatre de leurs enfants sont nés respectivement en 1981, 1977, 2004, 2007 et 2011 et résident en Serbie. Leur fille aînée, qui était également requérante, est née en 2001 et est décédée postérieurement à l’introduction de la requête le 18 décembre 2011.

      A.  Parcours des requérants avant leur arrivée en Belgique

      7.  Les requérants sont d’origine rom, nés en Serbie où ils ont vécu la plus grande partie de leur vie. Ils expliquent qu’ils décidèrent de quitter leur pays d’abord vers le Kosovo en raison des discriminations et mauvais traitements qu’ils avaient subis du fait de leur origine dans tous les domaines : accès au marché du travail, aux soins médicaux, difficultés de scolarisation, etc.

      8.  La fille aînée des requérants était handicapée moteur et cérébrale depuis la naissance et souffrait de crises d’épilepsie.

      9.  N’ayant pas trouvé au Kosovo de situation de plus grande protection, en mars 2010, les requérants se rendirent en France et déposèrent une demande d’asile. La demande fit l’objet d’un rejet définitif le 4 juin 2010.

      10. Les requérants déclarent qu’entre-temps, en raison de la précarité des conditions d’accueil en France et ne pouvant subvenir à leurs besoins vitaux, ils étaient retournés au Kosovo puis en Serbie en mai 2010.

      11.  En mars 2011, la situation n’ayant pas changé à leur égard, les requérants décidèrent de se rendre en Belgique où ils déposèrent une demande d’asile le 1er avril 2011.

      B.  Procédure « Dublin » en Belgique

      12.  Lors de leur entretien auprès de l’unité « Dublin » de l’Office des étrangers (« OE »), le 4 avril 2011, les requérants firent état de leur parcours et de leurs craintes en cas de retour en Serbie. Le premier requérant précisa avoir choisi la Belgique pour demander l’asile parce qu’on lui avait dit qu’il pourrait mieux y faire soigner sa fille handicapée. Il signala qu’il souffrait de problèmes psychologiques. La requérante indiqua, quant à elle, que le choix de la Belgique avait été celui du passeur. Interrogée sur son état de santé, elle indiqua qu’elle était enceinte de six mois. Elle fit également état des problèmes de santé de leur fille aînée.

      13.  Les requérants affirment avoir fait état des raisons pour lesquelles ils refusaient un retour en France, s’y étant trouvé dans une situation d’extrême précarité. Selon eux, aucun élément de preuve ne leur fut demandé sur la sortie du territoire des États membres de l’Union européenne (« UE ») ou sur l’état de santé des membres de la famille.

      14.  Le 12 avril 2011, les autorités belges adressèrent des demandes de reprise à la France au motif que les intéressés n’avaient pas été en mesure de prouver qu’ils avaient quitté le territoire des États membres de l’Union européenne depuis leur séjour en France pour se rendre en Serbie.

      15.  Le 22 avril 2011, invoquant l’article 16 § 3 du règlement no 343/2003 (CE) du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (« règlement Dublin II »), la France refusa la prise en charge au motif que le couple était considéré comme disparu depuis mai 2010 puisqu’il n’avait pas retiré la notification de refus définitif de sa demande d’asile du 4 juin 2010 et que cela corroborait leurs déclarations aux services de l’OE selon laquelle ils avaient quitté l’espace Schengen en 2010 avant d’y revenir en mars 2011, soit pendant une période supérieure à trois mois.

      16.  Le 2 mai 2011, les autorités belges demandèrent aux autorités françaises de revoir leur position étant donné qu’il n’y avait pas d’élément pertinent permettant de conclure avec certitude que la famille avait quitté, pendant une période supérieure à trois mois, le territoire des États membres depuis son séjour en France et que les intéressés étaient manifestement au courant du refus de leur demande d’asile en France.

      17.  Le 6 mai 2011, la France accepta la demande de reprise de la famille en application de l’article 16 § 1 e) du règlement Dublin II.

      18.  Le 17 mai 2011, l’OE prit à l’égard des requérants des refus de séjour avec ordre de quitter le territoire vers la France au motif que la Belgique n’était pas responsable de l’examen de la demande d’asile en application de l’article 16 § 1 e) du règlement Dublin II et que la France avait accepté la reprise en charge de la famille. Les décisions indiquaient notamment que la famille, originaire du Kosovo, « n’avait pas fourni de preuve de son séjour » au Kosovo après son passage en France ni d’attestations quant à un traitement ou un suivi médical concernant la grossesse, ou concernant l’enfant et le père. Considérant que la France était un pays respectueux des droits de l’homme, dotés d’institutions démocratiques, qu’elle avait ratifié la Convention, la Convention de Genève sur le statut des réfugiés, qu’elle était tenue de mettre en œuvre les directives de l’Union européenne en matière d’asile et que, si un renvoi devait soulever un problème au regard de l’article 3 de la Convention, la famille pourrait toujours saisir la Cour d’une demande de mesures provisoires, l’OE estimait que les autorités belges n’avaient pas à faire usage de la clause de souveraineté figurant à l’article 3.2 du règlement Dublin II.

      19.  En conséquence, les requérants furent sommés de quitter le pays dans les sept jours et de se présenter auprès des autorités françaises au poste frontière. Le jour même, des laissez-passer furent délivrés aux intéressés.

      20.  Le 19 mai 2011, les requérants prirent contact, par l’intermédiaire de leur conseil, avec l’OE pour lui transférer les éléments de preuve attestant de leur sortie du territoire de l’Union européenne pendant plus de trois mois (attestations gynécologiques, carte de santé de la requérante et preuve de l’inscription scolaire d’un des enfants).

      21.  Le 25 mai 2011, les ordres de quitter le territoire furent prolongés jusqu’au 25 septembre 2011 en raison de la grossesse et de l’accouchement imminent de la requérante.

      22.  Le 16 juin 2011, les requérants saisirent le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE ») d’une demande d’annulation et de suspension ordinaire des décisions de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire. Ils soutenaient que les décisions litigieuses, telles que motivées, n’avaient pas effectué l’examen voulu par l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention (voir, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 336, CEDH 2011) de leurs craintes liées à un retour en Serbie et de leurs problèmes de santé. D’une part, la motivation des décisions était erronée et lacunaire (erreur sur leur nationalité en les identifiant comme Kosovars en lieu et place de Serbes, absence de mention de leur retour en Serbie et de leur origine Rom). D’autre part, il ne pouvait leur être reproché de ne pas avoir apporté lors de l’entretien Dublin les documents attestant des problèmes de santé et de leur parcours ni de ne pas avoir étayé leurs craintes par rapport à un transfert vers la France. En effet, comme tous les demandeurs d’asile Dublin à cette époque, quand ils se rendaient à ces entretiens, ils n’étaient pas assistés d’un conseil ni avertis des documents qu’ils devaient apporter et aucun document ne leur fut demandé. Sachant qu’ils avaient exposé leurs craintes, il appartenait aux autorités belges de poser les questions appropriées et de demander les documents pertinents afin de s’assurer que leur renvoi ne porte pas atteinte à leurs droits fondamentaux. Les requérants contestaient en outre la désignation de la France comme État responsable de l’examen de leurs demandes d’asile. En vertu de l’article 16.3 du règlement Dublin II, les obligations liées à la désignation de l’État responsable tombent si l’intéressé a quitté le territoire des États membres pendant plus de trois mois. Or, les requérants se trouvaient précisément dans cette situation du fait de leur retour en Serbie de mai 2010 à mars 2011 comme en attestaient les documents transmis ensuite à l’OE (voir paragraphe 20, ci-dessus). Enfin, ils estimaient que les autorités belges auraient dû faire usage de la clause de souveraineté ou de la clause humanitaire tant en raison de leur état de vulnérabilité particulière que de la situation notoirement déplorable de l’accueil des demandeurs d’asile en France et de la minorité rom en Serbie.

      23.  L’audience devant le CCE eut lieu le 26 août 2011.

      24.  Le 23 septembre 2011, les requérants demandèrent une nouvelle prolongation de l’ordre de quitter le territoire dans l’attente de l’issue de la procédure devant le CCE. La prolongation leur fut refusée.

      25.  Le 27 septembre 2011, les requérants saisirent la Cour d’une demande de mesures provisoires afin que soit suspendu leur transfert vers la France dans l’attente de l’issue de la procédure devant le CCE.

      26.  Le 28 septembre 2011, la Cour refusa d’appliquer la mesure provisoire.

      27.  Par un arrêt du 29 novembre 2011, le CCE se prononça sur le recours en annulation et en suspension ordinaire des décisions de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire.

      28.  Le CCE rejeta le moyen lié à la situation de l’accueil en France et tiré du risque allégué par les requérants d’y être exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Il s’exprima en ces termes :

      « (...) force est de constater que les requérants ne démontrent pas avoir rencontré des difficultés dans leurs rapports avec les autorités françaises, quant à l’accès à des soins de santé pour leur enfant ou aux conditions de leur accueil en tant que demandeurs d’asile. Elles n’apportent en effet pas le moindre élément quant aux circonstances des mauvais traitements qu’elles disent avoir subis, se contentant d’affirmer en termes de requête, sans que cela puisse être étayé par un commencement de preuve quelconque susceptible d’en corroborer la réalité, « qu’ils se sont retrouvés dans une situation d’extrême précarité lors de l’introduction de leur demande d’asile, et qu’ils n’avaient pour seul refuge qu’un foyer de nuit, qu’ils devaient quitter le matin ». Au demeurant si le handicap de leur fille avait été précisé dans le « formulaire Dublin », les parties n’ont aucunement invoqué devant [l’OE] avoir rencontré des difficultés particulières dans le cadre de l’accueil des demandeurs d’asile tel qu’il est organisé par les autorités françaises compétentes. »

      29.  Le CCE reprocha également aux requérants de ne pas avoir fourni l’intégralité des rapports des ONG qu’ils citaient à l’appui de leur requête ne lui permettant pas de vérifier si les extraits produits se rapportaient effectivement à la France.

      30.  Le CCE annula toutefois les décisions attaquées au motif que l’OE n’avait pas établi sur quelle base légale il estimait que la France était l’État responsable de la demande d’asile des requérants.

      31.  Le 23 décembre 2011, l’État belge introduisit un recours en cassation de l’arrêt du CCE devant le Conseil d’État. Il contestait l’analyse faite par le CCE concernant la base légale applicable.

      32.  Par ordonnance du 12 janvier 2012, le Conseil d’État déclara le recours admissible. Par arrêt du 28 février 2013, il le déclara irrecevable pour défaut d’intérêt actuel considérant que le dispositif de l’arrêt entrepris n’était plus susceptible de causer grief aux requérants puisqu’ils étaient retournés en Serbie et avaient quitté le territoire des États membres pendant plus de trois mois de sorte que l’État belge était déchargé de toute obligation éventuelle dans le processus de détermination de l’État membre responsable de leur demande d’asile.

      C.  Procédure en régularisation pour raisons médicales

      33.  Entretemps, le 22 septembre 2011, les requérants avaient introduit une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») au nom de leur fille aînée. Ils faisaient valoir la précarité extrême et les discriminations dont ils avaient été victimes en tant que Roms en Serbie et au Kosovo. Plusieurs rapports internationaux à l’appui, ils soutenaient que, pour cette raison, ils n’avaient aucune garantie de pouvoir y bénéficier des soins requis par l’état de santé de leur fille. Ils demandaient à bénéficier d’un séjour temporaire dans l’attente de l’issue de leur procédure d’asile initiée en Belgique.

      34.  Le 30 septembre 2011, l’OE déclara leur demande irrecevable au motif que le certificat médical du 26 juin 2011 (voir paragraphe 38, ci-dessous), fourni à l’appui de la demande de régularisation, attestait l’existence d’une pathologie et du traitement estimé nécessaire mais, contrairement au prescrit de l’article 9ter § 3, 3o de la loi sur les étrangers, ne mentionnait aucun énoncé quant au degré de gravité de la maladie.

      35.  Les requérants indiquèrent dans leurs observations en réplique qu’ils avaient appris l’existence de cette décision au cours de la procédure devant la Cour.

      D.  Accueil en Belgique et suivi médical

      36.  Le 1er avril 2011, les requérants se virent attribuer par l’Agence pour l’accueil des demandeurs d’asile (« Fedasil ») une structure d’accueil comme lieu obligatoire d’inscription, à savoir, le centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Morlanwez.

      37.  L’assistante sociale du centre recueillit le témoignage des requérants au sujet des conditions dans lesquelles ils avaient accueilli en France en ces termes :

      « La famille a décidé de quitter la France car ils n’avaient aucun moyen de subsistance. Ils vivaient dans un abri de nuit qu’ils devaient quitter en journée. Ils se retrouvaient à la rue dès 7 heures du matin avec les enfants. S. qui est handicapée avait une poussette pour chaise roulante. Ils n’avaient aucune information d’aucune sorte hormis le statut de demandeur d’asile qui leur avait été attribué à leur arrivée. Pas de médecin général, pas d’assistance sociale, pas d’avocat, pas d’interprète. Il leur était impossible de communiquer. Ils ne savaient pas ce qu’ils devaient faire, ce qu’ils attendaient. S. était sans suivi médical d’aucune sorte. Lorsque son état de santé s’est détérioré et qu’il a fallu l’emmener à l’hôpital, c’est la sœur de Madame qui a fait le trajet pour transporter la petite fille aux urgences en voiture et faire office d’interprète. À l’hôpital la petite a fait des crises. Elle a perdu ses cheveux. C’est ce qui a décidé la famille à repartir en Serbie ».

      38.  La fille aînée fut examinée le 26 juin 2011 par un neuro-psychiatre à l’hôpital de Jolimont-Lobbes. À cette occasion, un certificat médical attestant des pathologies dont souffrait l’enfant fut établi.

      39.  Dans le certificat, adressé à l’OE le 1er juillet 2011, le docteur fit état de ce que l’enfant présentait un « tableau d’infirmité motrice cérébrale avec épilepsie », qu’elle souffrait d’une « hypotonie axiale et périphérique majeure », qu’elle ne se tenait pas assise seule et n’était pas propre, qu’elle ne s’exprimait pas verbalement et ne semblait pas comprendre les autres. Il était également précisé que l’enfant était sous traitement médicamenteux et que son état nécessitait un suivi kinésithérapeutique et un matériel adapté (attelles articulées, corset siège). Ce bilan médical fut confirmé par un examen neurologique effectué le 1er juillet 2011.

      40.  La fille aînée fut hospitalisée les 7 et 8 juillet 2011 en raison de ses crises d’épilepsie et un bilan neurologique fut établi à cette occasion.

      41.  Suite à l’accouchement de la requérante le 26 juillet 2011, la famille se vit désigner le 5 août 2011 un nouveau lieu d’accueil dans un centre ouvert adapté aux familles à Saint-Trond dans la province du Limbourg.

      42.  Le 26 septembre 2011, à l’expiration de la prolongation de l’ordre de quitter le territoire, ne pouvant plus bénéficier de l’aide matérielle aux réfugiés, les requérants furent sortis du centre d’accueil de Saint-Trond.

      43.  Les requérants se rendirent à Bruxelles où ils furent orientés par des associations vers une place publique de la commune de Schaerbeek, au centre de l’arrondissement de Bruxelles-Capitale, où d’autres familles d’origine rom sans abri se trouvaient également. Ils y restèrent du 27 septembre au 5 octobre 2011.

      44.  Le 29 septembre 2011, par l’intermédiaire de leur conseil, les requérants saisirent le délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant d’une demande d’intervention urgente auprès des autorités nationales en matière d’accueil des demandeurs d’asile.

      45.  Le jour même, le délégué général adressa un courrier à la directrice générale de Fedasil afin que soit trouvé un hébergement d’urgence.

      46.  Une attestation du délégué général en date du 2 octobre 2011 indique qu’il contacta également la commune de Schaerbeek afin de tenter d’obtenir pour cette famille un hébergement d’urgence. Selon le délégué général, les autorités communales se déclarèrent incompétentes renvoyant la responsabilité aux autorités fédérales, et Fedasil s’estimait incompétent en raison de la décision prise par l’OE quant à la responsabilité de la France pour le traitement de la demande d’asile (voir paragraphe 18 ci-dessus). Fedasil précisa également que le recours introduit auprès du CCE (voir paragraphe 22 ci-dessus) n’avait pas de caractère suspensif, raison pour laquelle le centre d’accueil avait appliqué les règles de fin de l’aide matérielle.

      47.   Le 5 octobre 2011, suite à l’intervention du délégué général, le cabinet de la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, à l’Intégration sociale et à la Lutte contre la pauvreté enjoignit Fedasil de désigner un centre d’accueil d’urgence.

      48.  Après deux jours passés au centre de transit de la commune de Woluwe-Saint-Pierre, également dans l’arrondissement de Bruxelles-Capitale, le 7 octobre 2011, les requérants se virent attribuer une nouvelle structure d’accueil comme lieu obligatoire d’inscription, le centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Bovigny dans la province du Luxembourg à environ 160 km de Bruxelles.

      49.  Le Gouvernement affirme que les requérants ne se sont pas rendus à ce centre. Les requérants, quant à eux, rapportent qu’ils s’y sont rendus par train puis par bus spécial mais qu’ils furent renvoyés à Bruxelles au dispatching de Fedasil au motif que leur « annexe 26quater [ordre de quitter le territoire] n’était pas valable ».

      50.  De retour à Bruxelles le 7 octobre 2011, les requérants débarquèrent à la gare du Nord de Bruxelles où ils restèrent, sans moyen de subsistance et sans hébergement malgré les conditions climatiques, encore près de trois semaines avant que leur retour vers la Serbie soit organisé via une organisation caritative dans le cadre du programme de retour de Fedasil. Les requérants quittèrent la Belgique pour la Serbie le 25 octobre 2011.

      51.  Entre-temps, le 12 octobre 2011, le lieu obligatoire de résidence des requérants avait été modifié en code 207 « no-show » (voir paragraphe 81 ci-dessous) et le 25 novembre 2011, les requérants furent rayés du registre d’attente.

      E.  Retour en Serbie

      52.  De retour en Serbie, l’état de santé de la fille aînée s’aggrava contraignant les requérants à quitter la chambre qu’ils avaient louée en raison de son insalubrité. Ils se rendirent à Novi-Sad chez un parent puis dans la banlieue de Belgrade.

      53.  La fille aînée des requérants fut hospitalisée le 4 décembre 2011 en raison d’une infection pulmonaire. Elle décéda le 18 décembre 2011.

      54.  Dans un courrier du 21 novembre 2012 adressé à leur conseil, les requérants déclarèrent avoir été victimes de plusieurs agressions de la part des Serbes : notamment, des hommes en voiture sont venus lancer des pierres brisant les carreaux de leur logement, leur lançant des menaces, dénonçant leurs liens avec les « Belges » et les sommant de quitter la Serbie. Le premier requérant tenta de se défendre et fut à deux reprises rué de coups par les agresseurs.

      II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

      A.  Procédure « Dublin » de détermination de l’État responsable

      1.  Procédure devant l’OE

      55.  En vertu de la loi sur les étrangers, lOE est compétent pour déterminer quel État est responsable de lexamen de la demande dasile en application du règlement Dublin II (anciennement « règlement Dublin II », voir paragraphes 96-98, ci-dessous). Les dispositions pertinentes de la loi régissant la procédure dexamen de lÉtat responsable étaient les mêmes que celles décrites dans larrêt M.S.S. précité (§§ 129-135).

      56.  Lorsqu’un autre État a accepté la (re)prise en charge, l’OE notifie une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire au demandeur d’asile, par la remise d’un document conforme au modèle figurant à l’annexe 26quater de l’arrêté royal du 8 octobre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour et l’éloignement des étrangers. L’OE indique le pays responsable de l’examen de la demande d’asile, et délivre au demandeur d’asile un laissez-passer pour ce pays pour qu’il puisse s’y rendre.

      2.  Recours devant le CCE

      57.  La décision de l’OE peut être contestée par la voie d’un recours en annulation devant le CCE. Le CCE est une juridiction administrative créée par la loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’État et créant un Conseil du contentieux des étrangers. Les attributions, la compétence, la composition et le fonctionnement du CCE sont régis par les dispositions de la loi sur les étrangers modifiées par la loi précitée du 15 septembre 2006. La procédure à suivre devant le CCE est fixée par un arrêté royal du 21 décembre 2006.

      58. Le recours en annulation n’est pas un recours de plein contentieux. Le contrôle exercé par le CCE consiste en un examen de la légalité de la décision attaquée.

      59.  Le recours en annulation n’est pas suspensif de plein droit de l’exécution de la mesure contestée. La loi prévoit toutefois que le recours en annulation peut être assorti d’une demande de suspension de la mesure contestée soit selon la procédure de l’extrême urgence, elle-même suspensive de plein droit l’exécution de la mesure, soit selon la procédure « ordinaire ».

      60.  À l’époque des faits de la présente affaire, les demandes de suspension étaient régies par les dispositions de l’article 39/82 de la loi sur les étrangers ainsi rédigées :

      « § 1er. Lorsqu’un acte d’une autorité administrative est susceptible d’annulation en vertu de l’article 39/2, le Conseil est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution.

      La suspension est ordonnée, les parties entendues ou dûment convoquées, par décision motivée du président de la chambre saisie ou du juge au contentieux des étrangers qu’il désigne à cette fin.

      En cas d’extrême urgence, la suspension peut être ordonnée à titre provisoire sans que les parties ou certaines d’entre elles aient été entendues.

      Lorsque le requérant demande la suspension de l’exécution, il doit opter soit pour une suspension en extrême urgence, soit pour une suspension ordinaire. Sous peine d’irrecevabilité, il ne peut ni simultanément, ni consécutivement, soit faire une nouvelle fois application de l’alinéa 3, soit demander une nouvelle fois la suspension dans la requête visée au § 3.

      Par dérogation à l’alinéa 4 et sans préjudice du § 3, le rejet de la demande de suspension selon la procédure d’extrême urgence n’empêche pas le requérant d’introduire ultérieurement une demande de suspension selon la procédure ordinaire, lorsque cette demande de suspension en extrême urgence a été rejetée au motif que l’extrême urgence n’est pas suffisamment établie.

      § 2. La suspension de l’exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation de l’acte contesté sont invoqués et à la condition que l’exécution immédiate de l’acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.

      Les arrêts par lesquels la suspension a été ordonnée sont susceptibles d’être rapportés ou modifiés à la demande des parties.

      § 3. Sauf en cas d’extrême urgence, la demande de suspension et la requête en annulation doivent être introduits par un seul et même acte.

      Dans l’intitulé de la requête, il y a lieu de mentionner qu’est introduit soit un recours en annulation soit une demande de suspension et un recours en annulation. Si cette formalité n’est pas remplie, il sera considéré que la requête ne comporte qu’un recours en annulation.

      Une fois que le recours en annulation est introduit, une demande de suspension introduite ultérieurement n’est pas recevable, sans préjudice de la possibilité offerte au demandeur d’introduire, de la manière visée ci-dessus, un nouveau recours en annulation assorti d’une demande de suspension, si le délai de recours n’a pas encore expiré.

      La demande comprend un exposé des moyens et des faits qui, selon le requérant, justifient que la suspension ou, le cas échéant, des mesures provisoires soient ordonnées.

      La suspension et les autres mesures provisoires qui auraient été ordonnées avant l’introduction de la requête en annulation de l’acte seront immédiatement levées par le président de la chambre ou par le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne, qui les a prononcées, s’il constate qu’aucune requête en annulation invoquant les moyens qui les avaient justifiées n’a été introduite dans le délai prévu par le règlement de procédure.

      § 4. Le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne statue dans les trente jours sur la demande de suspension. Si la suspension est ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les quatre mois du prononcé de la décision juridictionnelle.

      Si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, et n’a pas encore introduit une demande de suspension, il peut demander la suspension de cette décision en extrême urgence. Si l’étranger a introduit un recours en extrême urgence en application de la présente disposition dans les cinq jours, sans que ce délai puisse être inférieur à trois jours ouvrables suivant la notification de la décision, ce recours est examiné dans les quarante-huit heures suivant la réception par le Conseil de la demande en suspension de l’exécution en extrême urgence. Si le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers saisi ne se prononce pas dans ce délai, il doit en avertir le premier président ou le président. Celui-ci prend les mesures nécessaires pour qu’une décision soit rendue au plus tard septante-deux heures suivant la réception de la requête. Il peut notamment évoquer l’affaire et statuer lui-même. Si la suspension n’a pas été accordée, l’exécution forcée de la mesure est à nouveau possible.

      (...) »

      61.  Si l’intéressé optait pour la procédure en suspension « ordinaire », il pouvait en cours d’instance demander des mesures provisoires, éventuellement au bénéfice de l’extrême urgence, conformément à l’article 39/84 de la loi.

      62.  Tant la demande de suspension en extrême urgence que la demande de mesures provisoires en extrême urgence nécessitaient, pour qu’elles puissent être accueillies, l’imminence de l’exécution de la mesure d’éloignement (article 39/82, § 4, alinéa 2, et article 39/85, alinéa 1er, de la loi sur les étrangers). Cette exigence, insérée par la loi précitée du 15 septembre 2006, devait être lue à la lumière de l’interprétation donnée à la notion de l’extrême urgence par le Conseil d’État, notamment dans des arrêts de l’assemblée générale de la section d’administration du 2 mars 2005 (nos 141.510, 141.511 et 141.512) :

      « [la partie requérante] doit apporter la démonstration que la procédure de suspension ordinaire ne permettrait pas de prévenir efficacement la réalisation du préjudice grave allégué, en tenant compte de la possibilité d’introduire en cours d’instance une demande de mesures provisoires d’extrême urgence [...], les deux demandes étant alors examinées conjointement.

      (...)

      Il est constant que, hormis dans les cas exceptionnels où ils sont assortis d’une mesure de contrainte en vue du rapatriement, la partie adverse ne procède pas systématiquement au contrôle de l’exécution effective des ordres de quitter le territoire qui sont délivrés ; que dès lors, la seule référence à l’ordre de quitter le territoire qui a été délivré ne suffit pas à démontrer l’existence de l’extrême urgence. »

      63.  Dans la ligne de cette jurisprudence, le CCE considéra que, pour que le péril soit imminent, l’étranger devait faire l’objet d’une mesure de contrainte en vue de l’obliger de quitter le territoire c’est-à-dire faire l’objet d’une mesure de détention en centre fermé en vue de son éloignement. En l’absence d’une telle mesure, l’extrême urgence n’était pas établie (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts des 27 juin 2007, no 456, et 20 février 2008, no 7512).

      64. Postérieurement à l’introduction de la présente requête, la loi sur les étrangers fut modifiée par la loi du 10 avril 2014 portant des dispositions diverses concernant la procédure devant le CCE et devant le Conseil d’État.

      65.  Cette loi réforme notamment le recours en suspension en extrême urgence afin de tenir compte des enseignements de l’arrêt M.S.S. précité, de de la jurisprudence subséquente du CCE (voir, notamment, les sept arrêts d’assemblée générale du 17 février 2011, nos 56.201 à 56.205, 56.207 et 56.208) et de l’arrêt no 1/2014 du 16 janvier 2014 de la Cour constitutionnelle. Dans cet arrêt, saisie d’une requête en annulation de la loi du 15 mars 2012 modifiant la loi sur les étrangers qui instaurait une procédure accélérée pour les demandeurs d’asile en provenance de pays tiers « sûrs », la Cour constitutionnelle se prononça notamment sur le point de savoir si les recours en annulation et en suspension d’extrême urgence remplissaient les critères d’effectivité posés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention et annula partiellement la loi attaquée.

      66.  Les dispositions précitées, nouvellement rédigées, prévoient que le recours en suspension d’extrême urgence devra être introduit dans un délai de dix jours, réduit à cinq si la décision d’éloignement contestée n’est pas la première ayant visé la personne concernée. Les conditions pour qu’il y ait extrême urgence restent identiques. Il faut qu’un éloignement soit imminent, ce qui concerne principalement les personnes détenues (voir ci-dessus, paragraphes 62-63). Toutefois, la loi n’exclut pas que d’autres hypothèses puissent justifier un recours à la procédure d’extrême urgence. La réforme prévoit également que le risque de préjudice grave et irréparable est présumé si la violation invoquée porte sur un droit indérogeable tels les articles 2, 3 ou 4 de la Convention.

      B.  Procédure d’autorisation de séjour pour raisons médicales

      67.  L’article 9ter de la loi sur les étrangers prévoit la possibilité de demander une autorisation de séjour pour des raisons médicales. À l’époque des faits, les parties pertinentes de cette disposition étaient formulées ainsi :

      «  § 1er. L’étranger qui séjourne en Belgique qui démontre son identité conformément au § 2 et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne, peut demander l’autorisation de séjourner dans le Royaume auprès du ministre ou son délégué.

      La demande doit être introduite par pli recommandé auprès du ministre ou son délégué et contient l’adresse de la résidence effective de l’étranger en Belgique.

      L’étranger transmet avec la demande tous les renseignements utiles concernant sa maladie et les possibilités et l’accessibilité de traitement adéquat dans son pays d’origine ou dans le pays où il séjourne.

      Il transmet un certificat médical type prévu par le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres. Ce certificat médical indique la maladie, son degré de gravité et le traitement estimé nécessaire. (...) »

      68.  La procédure d’examen de la demande de régularisation se déroule en deux phases. La première phase consiste en un examen de la recevabilité de cette demande, par l’OE, notamment quant aux mentions devant figurer sur le certificat médical (indication de la maladie, de son degré de gravité et du traitement estimé nécessaire). À cet égard, le CCE a expliqué que « la volonté [du législateur] de clarifier la procédure serait mise à mal s’il était demandé à [l’OE] de se livrer à un examen approfondi de tout certificat médical produit et des pièces qui lui sont jointes, afin d’en déduire la nature de la maladie, le degré de gravité de celle-ci ou le traitement estimé nécessaire, alors que le [fonctionnaire compétent] n’est ni un médecin fonctionnaire, ni un autre médecin désigné » (voir, notamment, CCE, n69.508, arrêt du 28 octobre 2011).

      69.  La seconde phase, dans laquelle n’entrent que les demandes estimées recevables, consiste en une appréciation au fond des éléments énumérés par la loi, par l’OE sur la base d’un avis donné par un fonctionnaire médecin ou un autre médecin désigné.

      70. Un recours en annulation des décisions prises par l’OE sur pied de l’article 9ter peut être introduit devant le CCE (voir paragraphes 57-58, ci-dessus).

      C.  Accueil des demandeurs d’asile

      1.  La loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale

      71.  Le principe général, établi par l’article 57 § 1er de la loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale, est que toute personne et toute famille a droit à l’aide sociale sous la forme la plus appropriée. Celle-ci est prise en charge par les centres publics d’action sociale (« CPAS ») répartis sur tout le territoire belge au niveau communal.

      72.  La loi déroge à ce principe général pour ce qui concerne les étrangers séjournant illégalement en Belgique. L’article 57 § 2 1o de la loi organique prévoit, par dérogation à l’article 57 § 1er, que la mission des CPAS se limite à l’octroi de l’aide médicale urgente pour ces personnes et dont l’état de besoin a été constaté par le CPAS.

      73.  Dans le cas des familles avec enfants qui séjournent illégalement en Belgique et dont l’état de besoin a été constaté par le CPAS (article 57 § 2, 2o), l’aide sociale est limitée à l’aide matérielle indispensable pour le développement de l’enfant. Elle est exclusivement octroyée dans une structure d’accueil gérée par Fedasil ainsi que cela résulte de l’article 60 de la loi « accueil » (voir paragraphe 86, ci-dessous).

      74.  L’arrêté royal du 24 juin 2004 visant à fixer les conditions et modalités pour l’octroi d’une aide matérielle à un étranger mineur qui séjourne avec ses parents illégalement dans le Royaume prévoit qu’afin d’obtenir cette aide, une demande doit être introduite par le mineur ou en son nom par sa famille auprès du CPAS de la résidence habituelle du mineur. Le CPAS vérifie ensuite sur la base d’une enquête sociale si toutes les conditions légales sont remplies et prend sa décision au plus tard dans le mois qui suit la demande.  Lorsque les conditions sont remplies et si les intéressés s’engagent par écrit à accepter la proposition d’hébergement, le CPAS informe les demandeurs qu’ils peuvent obtenir une aide matérielle dans un centre d’accueil. Le demandeur doit alors se présenter au dispatching de Fedasil (voir paragraphe 79, ci-dessous).

      2.  La loi « accueil » du 12 janvier 2007

      75.  L’accueil des demandeurs d’asile est régi par la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et d’autres catégories d’étrangers (« loi accueil ») qui transpose la directive no 2003/9/CE du Conseil de l’Union européenne du 27 janvier 2003 relative aux normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres.

      a)  L’aide matérielle

      76. Les demandeurs d’asile et les membres de leur famille, qui ont pénétré dans le Royaume sans satisfaire aux conditions de séjour et introduisent une demande d’asile auprès de l’OE, ont droit à l’accueil, c’est-à-dire à une aide matérielle leur permettant de mener une vie conforme à la dignité humaine (article 1er de la loi  « accueil »).

      77.  L’aide matérielle comprend l’hébergement, les repas, l’habillement, l’accompagnement médical, social et psychologique, l’octroi d’une allocation journalière ainsi que l’accès à l’aide juridique, à des services tels que l’interprétariat et à des formations (articles 16 à 35 de la loi « accueil »).

      78.  Dans toutes les décisions concernant les mineurs, leur intérêt supérieur prime (article 37 de la loi « accueil »).

      b)  Le lieu obligatoire d’inscription

      79.  L’aide matérielle est octroyée par la structure d’accueil ou par le CPAS désigné par Fedasil comme « lieu obligatoire d’inscription » (articles 9 et 10 de la loi « accueil »). Concrètement, les étrangers qui ont déposé une demande d’asile doivent se rendre au dispatching de Fedasil situé dans le même bâtiment que l’OE pour demander à bénéficier de l’aide matérielle et se voir désigner une structure d’accueil.

      80.  Un registre spécifique recense toutes les personnes ayant introduit une demande d’asile - le registre d’attente - et mentionne leur lieu obligatoire d’inscription sous le code 207.

      81.  Les bénéficiaires de l’accueil sont tenus de résider dans la structure désignée pour bénéficier de l’aide matérielle. S’ils n’y résident pas, le code 207 est complété par l’indication « no-show » et les droits des intéressés sont limités à l’aide médicale urgente en application de l’article 57 § 2 de la loi organique des CPAS (voir paragraphe 72, ci-dessus).

      82.  Par un arrêt no 80/1999 du 30 juin 1999, la Cour d’arbitrage (actuellement la Cour constitutionnelle) a précisé que l’article 57 § 2 ne pouvait être interprété, sous peine d’être discriminatoire, comme visant les étrangers qui, pour les raisons médicales, sont dans l’impossibilité absolue de donner suite à l’ordre de quitter le territoire belge.

      c)  Durée de l’aide matérielle

      83.  Le droit à l’aide matérielle s’ouvre dès l’introduction de la demande d’asile et produit ses effets pendant toute la procédure d’asile. En cas de décision négative à l’issue de la procédure d’asile l’aide matérielle prend fin lorsque le délai d’exécution de l’ordre de quitter le territoire notifié au demandeur d’asile a expiré. L’introduction d’un recours en cassation au Conseil d’État n’engendre un droit à l’aide matérielle que si le recours est déclaré admissible (article 6 de la loi « accueil »).

      84.  À l’époque des faits de la présente affaire, Fedasil avait interprété cette disposition comme signifiant que l’octroi de l’accueil aux demandeurs d’asile sous procédure Dublin était en principe interrompu à l’expiration du délai pour donner suite à l’ordre de quitter le territoire délivré selon le modèle de l’annexe 26quater, moment à partir duquel les intéressés étaient considérés comme séjournant illégalement sur le territoire belge. Dans la lignée de sa pratique antérieure, les instructions de Fedasil du 13 juillet 2012 relatives à la fin de l’aide matérielle indiquaient ce qui suit :

      « Un demandeur d’asile (...) qui se voit notifier une annexe 26quater peut introduire un recours en annulation et en suspension (...) auprès du CCE mais ces recours ne sont pas suspensifs et ne lui donnent par conséquent plus droit à l’aide matérielle. »

      85.  L’aide matérielle peut être prolongée dans certaines situations énumérées par l’article 7 §§ 1er et 2 de la loi « accueil », à condition que la procédure d’asile soit clôturée négativement et qu’elle n’ait pas pour objet une décision désignant un autre État que l’État belge comme responsable du traitement de la demande d’asile. L’article 7 § 3 in fine prévoit que, dans des circonstances particulières liées au respect de la dignité humaine, Fedasil peut déroger aux conditions fixées par l’article 7.

      86.  De plus, en application de l’article 60 de la loi « accueil », en présence de mineurs séjournant avec leurs parents illégalement sur le territoire belge et dont l’état de besoin a été constaté par un CPAS (voir paragraphe 73, ci-dessus), Fedasil doit maintenir l’octroi de l’aide matérielle au sein des structures d’accueil gérées par l’agence.

      d)  Accompagnement médical

      87.  Le bénéficiaire de l’accueil a droit à l’accompagnement médical nécessaire pour mener une vie conforme à la dignité humaine (article 23 de la loi « accueil »). Ce droit s’étend au demandeur d’asile qui ne réside pas dans la structure d’accueil qui lui a été désignée (article 25 § 4).

      3.  Recours

      88.  En vertu de l’article 580, 8o du code judiciaire, le tribunal du travail connaît des contestations relatives à l’application de la loi organique des CPAS et de la loi « accueil ». Il s’ensuit que, contre toute décision prise par un CPAS ou par Fedasil en réponse à une demande, voire à l’absence de décision, un recours est possible devant le tribunal du travail.

      89.  L’article 628, 14o du code judiciaire donne compétence au juge du domicile de l’ayant droit, de sa dernière résidence ou, à défaut, du lieu de sa dernière occupation en Belgique.

      90.  La juridiction peut être saisie, conformément aux dispositions pertinentes du code judiciaire, par la voie ordinaire (simple citation) ou par l’une des voies exceptionnelles, à savoir : en cas d’urgence, en référé par citation d’huissier ou, en cas d’absolue nécessité, sur requête unilatérale. Dans ces derniers cas, le demandeur doit motiver l’urgence ou l’absolue nécessité et expliquer pourquoi la procédure par simple citation n’offre pas de solution suffisamment rapide.

      91.  Le cas échéant, le tribunal du travail peut assortir la condamnation d’une astreinte. Les ordonnances sont signifiées au CPAS ou à Fedasil par voie d’huissier. Selon la pratique, le demandeur d’asile est ensuite convoqué pour recevoir une place d’accueil.

      4.  La « crise de l’accueil »

      92.  Entre 2008 et 2013, et en particulier en 2011, le système d’accueil des demandeurs d’asile en Belgique a connu une « crise » en raison d’une augmentation importante et exceptionnelle du nombre de demandeurs d’asile et d’une situation persistante de saturation du réseau d’accueil géré par Fedasil.

      93.  En réponse à la saturation du réseau d’accueil, interprétée comme un cas de force majeure, Fedasil donna instruction, à partir d’avril 2009, de ne plus accueillir des familles en séjour illégal dont l’état de précarité avait été constaté par le CPAS (voir paragraphe 73, ci-dessus), ces familles n’étant pas considérées comme prioritaires par rapport aux demandeurs d’asile et n’étant pas inscrites sur une liste d’attente. Exception était faite en cas de condamnation, signifiée par huissier, par les tribunaux du travail à accueillir ces familles sous peine d’astreinte (rapport annuel 2010 de Fedasil) ou, à partir de juillet 2011, d’intervention des médiateurs fédéraux. Les instructions furent étendues en avril 2010 aux demandes de prolongation de l’aide matérielle introduites par des personnes ayant reçu une « annexe 26quater ».

      94.  De son côté, le conseil de l’action sociale du CPAS de la ville de Bruxelles, l’un des CPAS les plus sollicités, donna instruction par note interne, dès avril 2009, de refuser d’instruire les demandes des personnes en situation illégale et de les rediriger vers le dispatching de Fedasil.

      95.  La jurisprudence des tribunaux du travail adopta des solutions différentes sur la question de savoir qui, des CPAS ou de Fedasil, devait être condamné à accorder l’aide aux familles en situation illégale. Certaines juridictions condamnèrent les CPAS (par exemple : cour du travail de Liège, arrêt du 7 janvier 2010) considérant que Fedasil pouvait invoquer la force majeure (saturation du réseau) pour ne pas octroyer d’aide matérielle. Les CPAS étaient alors tenus de fournir l’aide. En telle situation, l’exception prévue par l’article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976 (voir paragraphe 73, ci-dessus) ne pouvait s’appliquer et il fallait en revenir à la règle générale figurant au paragraphe 1er de cette disposition, sachant que les CPAS pouvaient dans ce cas récupérer les frais engagés auprès de Fedasil ou de l’État fédéral. D’autres juridictions condamnèrent Fedasil estimant qu’il ne pouvait être question de force majeure dans la mesure où la situation était prévisible. L’autorité fédérale, dont relevait Fedasil, était tenue de prévoir les moyens nécessaires « [au] propre fonctionnement [de Fedasil] » (voir, par exemple, tribunal du travail de Bruxelles, jugement du 14 mai 2009).

      96.  Sur le plan procédural également, la situation de saturation du réseau d’accueil engendra d’importantes difficultés. En ce qui concerne la voie à utiliser pour introduire une instance contre les décisions de Fedasil et des CPAS, la pratique des juridictions du travail divergeait. Alors que certaines acceptaient les demandes introduites par requête unilatérale, d’autres, comme celles de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles dont relevaient les requérants, refusaient aux familles en séjour illégal l’usage de la procédure sur requête unilatérale (voir, par exemple, tribunal du travail de Bruxelles, 16 février 2011). Ensuite, en raison du trop grand nombre de demandes introduites devant les juridictions bruxelloises (dont la compétence résultait de l’élection de domicile des étrangers, ne bénéficiant plus de l’accueil, au siège de l’OE situé à Bruxelles), le président du tribunal du travail de Bruxelles pouvait mettre plus de dix jours pour rendre une ordonnance en référé (voir, par exemple, tribunal du travail de Bruxelles, 6 juin 2011). Enfin, l’exécution des ordonnances condamnant Fedasil ou un CPAS pouvait prendre jusqu’à quatre à six semaines après la signification.

      D.  Détention des familles avec enfants en séjour illégal

      97.  À l’époque des faits, la loi sur les étrangers permettait le placement en centre fermé des familles avec enfants dont le séjour avait cessé d’être régulier ou était devenu irrégulier.

      98.  Toutefois, en pratique, depuis le 1er octobre 2008, il fut mis fin à la détention des familles avec enfants en séjour illégal et des lieux d’hébergement à régime ouvert furent mis à leur disposition dans l’attente de l’exécution de la mesure d’éloignement.

      99.  Le principe de la non-détention des familles avec enfants en séjour illégal fut inscrit dans la loi par la loi du 16 novembre 2011 insérant un article 74/9 dans la loi sur les étrangers.

      III.  LES DOCUMENTS PERTINENTS DES INSTANCES INTERNATIONALES ET NATIONALES

      A.  Le droit de l’Union européenne

      1.  Règlement Dublin

      100.  À l’époque des faits de la présente affaire, la procédure « Dublin » était régie par le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (« règlement Dublin II »).

      101Les principales dispositions pertinentes de ce règlement sont énoncées dans l’arrêt M.S.S. précité (§§ 65-76). En outre, en vertu de l’article 16 § 1 du règlement, l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge, premièrement, le demandeur d’asile dont la demande est en cours d’examen et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d’un autre État membre (article 16 § 1 c)) et, deuxièmement, le ressortissant d’un pays tiers dont il a rejeté la demande et qui se trouve, sans en avoir reçu la permission, sur le territoire d’un autre État membre (article 16 § 1 e)). Les obligations prévues au paragraphe 1 cessent si le ressortissant d’un pays tiers a quitté le territoire des États membres pendant une durée d’au moins trois mois (article 16 § 3).

      102.  Le règlement Dublin II a fait l’objet d’une refonte par le règlement UE no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ». Les lignes principales de la refonte sont énoncées dans l’arrêt Tarakhel c. Suisse [GC] (no 29217/12, §§ 35-36, 4 novembre 2014).

      2.  Directive Accueil

      103.  La directive 2003/9 du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (« la directive Accueil ») prévoit que les États doivent garantir aux demandeurs d’asile :

      - certaines conditions d’accueil matérielles, notamment en ce qui concerne le logement, la nourriture et l’habillement, qui doivent être fournis en nature ou sous forme d’allocations financières. Les allocations devaient être suffisantes pour empêcher que le demandeur ne tombe dans une situation d’indigence ;

      - des dispositions appropriées afin de préserver l’unité familiale ;

      - les soins médicaux et psychologiques ;

      - l’accès des mineurs au système éducatif et aux cours de langues lorsque cela était nécessaire pour leur assurer une scolarité normale.

      104.  La directive Accueil a fait l’objet d’une refonte par la directive no 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dans le but de garantir un régime européen commun concernant les conditions matérielles d’accueil et les droits fondamentaux des demandeurs d’asile, et de faire en sorte que la mise en rétention des demandeurs d’asile ne soit envisagée que comme mesure de dernier ressort.

      105.  Dans l’affaire Cimade et Gisti (C-179/11, arrêt du 27 septembre 2012), la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a précisé qu’un État membre saisi d’une demande d’asile est tenu d’octroyer les conditions minimales d’accueil prévues par la directive Accueil dès l’introduction de la demande d’asile et même à un demandeur d’asile pour lequel il décide, en application du règlement Dublin II, de requérir un autre État membres aux fins de reprendre en charge ce demandeur en tant qu’État membre responsable de l’examen de sa demande d’asile (§ 50). Cette obligation cesse seulement lors du transfert effectif dudit demandeur par l’État membre requérant (§ 58).

      106.  Dans l’affaire Federaal agentschap voor de opvang van asielzoekers c. Selver Saciri, Sanijela Dordevic, Danjel Saciri et Sanela Saciri (C-79/13, arrêt du 27 février 2014), une question préjudicielle fut posée à la CJUE par la cour du travail de Bruxelles concernant les modalités des conditions matérielles d’accueil.  En réponse, la CJUE, se basant sur le texte de la directive Accueil ainsi que sur sa finalité et en soulignant l’importance du respect des droits fondamentaux, en particulier le respect de la dignité humaine, énonça qu’un demandeur d’asile ne pouvait pas être privé, même pendant une période temporaire, de la protection des normes minimales établies par la directive (§ 35). En ce qui concerne le niveau des conditions matérielles d’accueil, la CJUE conclut que l’aide financière devait être suffisante pour garantir un niveau de vie digne et adéquat pour la santé ainsi que pour assurer la subsistance des demandeurs d’asile (§ 40). En outre, les États membres étaient tenus de prendre en compte la situation des personnes ayant des besoins particuliers ainsi que les principes de l’unité familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 41). La CJUE précisa qu’il en résultait que lorsqu’un État membre fournissait ces conditions aux demandeurs sous forme d’allocations financières, elles devaient être suffisantes pour leur permettre de disposer d’un logement, le cas échéant sur le marché privé de la location (§ 42). Lorsqu’il s’agissait d’une famille, ces allocations devaient permettre aux enfants mineurs d’être logés avec leurs parents (§ 45).

      3.  Directive Retour

      107.  La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (« la directive Retour ») régit l’éloignement, encadre le placement en détention lorsqu’il s’avère nécessaire et met en place des garanties procédurales.

      B.  La Charte sociale européenne

      108.  La Belgique a ratifié la Charte sociale européenne le 16 octobre 1990 et la Charte sociale européenne révisée (« la Charte révisée ») le 2 mars 2004. Elle a accepté l’article 17 de la Charte révisée qui est formulé ainsi :

      « En vue d’assurer aux enfants et aux adolescents l’exercice effectif du droit de grandir dans un milieu favorable à l’épanouissement de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques et mentales, les Parties s’engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques ou privées, toutes les mesures nécessaires et appropriées tendant :

      1. a. à assurer aux enfants et aux adolescents, compte tenu des droits et des devoirs des parents, les soins, l’assistance, l’éducation et la formation dont ils ont besoin, notamment en prévoyant la création ou le maintien d’institutions ou de services adéquats et suffisants à cette fin ;

      b. à protéger les enfants et les adolescents contre la négligence, la violence ou l’exploitation ;

      c. à assurer une protection et une aide spéciale de l’État vis-à-vis de l’enfant ou de l’adolescent temporairement ou définitivement privé de son soutien familial ;

      2. (...) »

      109.  Le Comité européen des droits sociaux (« CEDS ») s’est prononcé sur le respect par la Belgique de ses obligations en vertu de l’article 17 de la Charte révisée s’agissant des conditions d’accueil des mineurs étrangers, non accompagnés et accompagnés, en situation irrégulière dans la décision du 23 octobre 2012, Défense des Enfants International (DEI) c. Belgique, réclamation no 69/2011. Les extraits pertinents de la décision sont les suivants :

      « 56. [Selon] la DEI, à cause de la saturation du réseau d’accueil, FEDASIL refuse depuis 2009 d’accueillir les familles en séjour irrégulier, ces dernières n’étant pas considérées comme prioritaires par rapport aux demandeurs d’asile et n’étant pas inscrites sur une liste d’attente. La conséquence de cette situation est que beaucoup de familles sont contraintes de vivre dans la rue avec leurs enfants mineurs. Les Centres publics d’action sociale (CPAS), qui ont une compétence au niveau communal, ont aussi refusé d’intervenir, renvoyant la compétence à FEDASIL. La seule garantie possible est l’introduction d’un recours juridictionnel auprès du Tribunal du travail afin de condamner FEDASIL à les héberger. Selon l’organisation réclamante, au 30 septembre 2010, 1773 familles en séjour irrégulier n’ont pas obtenu de place d’accueil.

      57. La DEI allègue aussi un refus d’accueil ciblé de ces familles, qui font systématiquement l’objet d’un refus même lorsque le réseau n’est pas saturé (...).

      (...)

      82. [Le] Comité considère que le fait que, depuis 2009, aucun logement en centre d’accueil n’ait été garanti aux mineurs étrangers accompagnés en séjour irrégulier (ni par le réseau de FEDASIL, ni par d’autres solutions alternatives) est contraire à l’article 17 §1 de la Charte. La carence persistante relative à l’accueil de ces mineurs démontre en particulier que le Gouvernement n’a pas pris les mesures nécessaires et appropriées pour assurer aux mineurs en question les soins et l’assistance dont il ont besoin, aussi bien que pour les protéger contre la négligence, la violence ou l’exploitation, en causant ainsi un risque sérieux pour la jouissance de leurs droits les plus fondamentaux, tels que le droit à la vie, à l’intégrité psychophysique et au respect de la dignité humaine. De même, le fait qu’au moins 461 mineurs étrangers non accompagnés n’aient pas été accueillis en 2011, et les problèmes posés par l’accueil inapproprié dans les hôtels, conduisent le Comité à considérer que le Gouvernement n’a pas pris des mesures suffisantes pour assurer aux mineurs étrangers non accompagnés non demandeurs d’asile les soins et l’assistance dont ils ont besoin, en exposant ainsi un nombre important d’enfants et d’adolescents à de graves risques pour leur vie et leur santé.

      83. Pour ces raisons, le Comité dit qu’il y a violation de l’article 17 §1 de la Charte. »

      IV.  SITUATION DE LA MINORITÉ ROM EN SERBIE

      110.  La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (« ECRI ») faisait part des constats suivants dans un rapport sur la Serbie (quatrième cycle de monitoring, CRI(2011)21), publié en mai 2011 :

      « 62. Les ONG estiment que deux tiers de la population rom continuent de vivre dans des camps informels sans écoles ni structures médicales ; ces camps ne sont pas approvisionnés en eau, n’ont pas d’électricité et ne sont pas reliés au réseau d’assainissement. Ils sont surpeuplés et sont très éloignés des installations et des services de base. De plus, la majorité des Roms qui y vivent n’ont pas le titre de propriété de leur maison ou de leur terrain, ce qui aggrave leurs problèmes de logement. On trouve des campements roms dans toute la Serbie, la majorité étant située à Belgrade et dans les autres grandes villes et communes. L’amélioration des conditions de vie dans ces camps est l’un des objectifs affichés de la Stratégie d’amélioration de la situation des Roms et l’ECRI espère en conséquence que les mesures prises à cette fin s’accompagneront des ressources nécessaires.

      63. L’ECRI note avec préoccupation la forte opposition du public au relogement des Roms. Le problème se pose notamment lorsque les autorités serbes proposent de reloger des Roms dans des logements décents. La population locale proteste et refuse de voir une population rom s’installer dans son quartier. Il semble donc que des mesures demeurent nécessaires pour lutter contre l’intolérance et le racisme auxquels les Roms sont confrontés dans le secteur du logement.

      64. L’ECRI note avec préoccupation les nombreuses expulsions forcées de Roms à Belgrade et aux alentours (...).

      (...)

      69. L’ECRI note avec préoccupation qu’à de nombreux égards, les conditions d’hygiène et de santé dans de nombreux camps roms ne se sont guère améliorées depuis son premier rapport. La situation sanitaire des Roms, en particulier des femmes, des enfants et des personnes âgées, est particulièrement inquiétante et il est difficile d’avoir accès aux soins de santé faute d’affiliation au régime de sécurité sociale. Le taux de mortalité des enfants roms en Serbie est quatre fois supérieur à celui de la population générale. »

      111.  Dans ses observations finales sur le rapport initial de la Serbie (CERD/C/SRB/CO/1 ; 78ème session, 14 février-11 mars 2011), le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale exprima les préoccupations suivantes et fit les recommandations suivantes :

      « 14. Le Comité est préoccupé par le fait que, dans de nombreux cas, les membres de la population rom vivent dans des communautés marginalisées, ne peuvent pas accéder dans des conditions d’égalité à un logement convenable et sont, en particulier, souvent victimes d’expulsions forcées sans qu’un autre logement adéquat leur soit procuré et sans aucune voie de recours ni compensation en réparation des dommages et destructions causés à leurs biens. Tout en prenant note avec intérêt de la loi sur le logement social, le Comité est préoccupé par les difficultés particulières que rencontrent les Roms pour accéder aux programmes de logements sociaux, avec pour conséquence que la discrimination se perpétue (art. 2, 3, 5 e) iii) et 6 de la Convention).

      Le Comité demande instamment à l’État partie de veiller à ce que toute réinstallation s’effectue à l’avenir sans expulsion forcée et que des garanties soient prises en matière de procédure régulière et de respect de la dignité humaine. Il recommande à l’État partie de renforcer les mesures visant à améliorer les conditions de logement des Roms et, à cet égard, d’accélérer la mise en œuvre du Plan national pour le logement des Roms adopté en 2009. À la lumière des paragraphes 30 et 31 de sa recommandation générale no 27 (2000) concernant la discrimination à l’égard des Roms et de sa recommandation générale no 32 (2009) concernant la signification et la portée des mesures spéciales, il recommande également à l’État partie de redoubler d’efforts pour éviter la ségrégation résidentielle des minorités et l’engage à envisager d’élaborer des programmes de logements sociaux pour les Roms.

      15. Le Comité est préoccupé que les membres de la minorité rom continuent d’être victimes de ségrégation en matière d’accès à l’éducation. Il est également préoccupé par le fait que les enfants roms rapatriés en vertu des accords de réadmission conclus avec les pays d’Europe occidentale sont confrontés à des difficultés supplémentaires pour entrer dans le système éducatif serbe, en raison, notamment, des procédures d’inscription et de placement (art. 3 et 5 e) v) de la Convention).

      Ayant à l’esprit les paragraphes 17 à 26 de sa recommandation générale no 27 et sa recommandation générale no 32, le Comité demande instamment à l’État partie de remédier au problème de la ségrégation de fait dans les établissements scolaires publics et de prendre les mesures nécessaires pour faciliter l’accès à une éducation de qualité, notamment en dispensant au personnel scolaire une formation antidiscrimination, en sensibilisant les parents au problème, en augmentant le nombre d’assistants d’enseignement pour les Roms, en menant des actions préventives contre la ségrégation de fait des élèves roms, et en prenant d’autres mesures pour promouvoir un système d’enseignement n’excluant personne. Il engage également l’État partie à élaborer des procédures spécifiques et appropriées d’accueil, d’évaluation et de placement des enfants rapatriés et à mieux sensibiliser les enseignants à l’importance de ces procédures.

      16. Tout en notant avec satisfaction les efforts déployés par l’État partie pour améliorer la situation des Roms, des Ashkalis et des Égyptiens et pour prévenir et combattre la discrimination raciale contre les membres de ces communautés, le Comité s’inquiète de la discrimination, des préjugés et des stéréotypes dont ils sont victimes, en particulier en matière d’accès à l’emploi et aux services de santé, de participation à la vie politique et d’accès aux lieux publics (art. 2, par. 2, et 5 de la Convention).

      Ayant à l’esprit ses recommandations générales nos 27 et 32, le Comité encourage l’État partie à intensifier ses efforts pour prévenir et combattre la discrimination raciale à l’égard des Roms, des Ashkalis et des Égyptiens. Il recommande à l’État partie de veiller à l’application effective des politiques visant à ce que les Roms, les Ashkalis et les Égyptiens jouissent en toute égalité des droits et libertés énoncés à l’article 5, ainsi que des mesures spéciales destinées à garantir leur égalité effective en matière d’emploi dans les institutions publiques et leur représentation politique appropriée à tous les niveaux. Le Comité encourage également l’État partie à mener activement des campagnes de sensibilisation sur la situation difficile dans laquelle se trouvent ces groupes, en particulier les Roms, et à susciter une solidarité à leur égard. »

      112.  Dans son rapport publié le 22 septembre 2011 à la suite de sa visite en Serbie du 12 au 15 juin 2011 (CommDH(2011)29), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, fit part des constats et préoccupations suivants :

      « 3. Human rights of Roma

      82. In the 2002 census 108.193 persons, approximately 1.44% of the total population, identified themselves as Roma. The actual number is deemed to be much higher. According to the Serbian government’s estimates the actual number of Roma ranges from 250 000 to 500 000.

      (...)

      85. Notwithstanding the government’s efforts to improve the human rights of Roma, the problems facing Roma remain some of the most serious human rights challenges. The Commissioner underlines that the Roma-related projects must be accompanied by resolute efforts to combat prejudice and deep-seated stereotypes against Roma. Efforts are necessary to raise awareness among the Roma population on available mechanisms to combat discrimination. In this context, the Commissioner welcomes the Equality Commissioner’s activities organised in Roma settlements which aim to raise their awareness about the work of her office.

      (...)

      3.a. Access of Roma to health care

      (...)

      89. Despite the progress made in the area of health care, Roma still face barriers due to lack of information, lack of personal identity documents and poverty. The 2005 Law on Health Insurance aims to enhance access of Roma to health care, as well as to improve their living conditions. This law provides for the right to health care for members of vulnerable groups, including Roma.

      90. In 2011 ECRI noted with concern that in many respects, the hygienic and sanitary conditions in many Roma settlements have not improved since ECRI’s first report in 2008. The health situation of Roma, in particular Roma women, children and elderly persons is particularly alarming due to the absence of necessary medical registration. According to UNICEF, although the official estimates show a decrease in Roma child mortality rates since 2005, this rate is still at least four times higher than the national average.

      3.b. Access of Roma to quality education

      (...)

      94. However, it is estimated that the number of Roma children attending pre-school education is between 4% and 7%, while 66% of Roma children (as opposed to 94% of the total population) enrol in primary school. According to the Ministry of Education only 16% of Roma enrol in secondary schools, and less than 1% of young Roma attend college or university.

      (...)

      96. The Commissioner is seriously concerned by the fact that the number of Roma children enrolled in schools for children with mild mental disabilities increased from 26.7% in 2002/2003 to 31% in 2008/2009.

      97. In 2011 ECRI expressed concerns that Roma children still face hidden and overt forms of discrimination by school authorities, school staff, teachers, other children and non-Roma parents. Reportedly, as teachers have lower expectations of Roma pupils, there is a tendency to use lower criteria when assessing their performance. The Commissioner is concerned by reports indicating that due to the increase in Roma children attending schools, there is a tendency among non-Roma parents to transfer their children to other schools with fewer Roma children.

      (...)

      3.c. Access of Roma to employment

      99. ECRI reported in 2011 that Roma in Serbia continue to suffer from a high unemployment rate, low economic activity and almost total exclusion from the public sector. There are almost no Roma in public and state-owned companies, indicating a pattern of discrimination. There are cases where Roma who present themselves for job interviews are informed that the position has been filled, and a few cases of discriminatory job advertising. The majority of Roma are outside the employment system, employed illegally and mostly registered as unemployed.

      3.d. Access by Roma to adequate housing

      100. The majority of Roma in Serbia live in very poor housing conditions. The problems that Roma face in this field are related to the overpopulation of settlements due to the small number of available housing units, unresolved property issues and illegal constructions, and lack of access to public infrastructures. Some studies have indicated that out of the 593 existing Roma settlements in Serbia, 72% have not been legalised, while in Belgrade alone there are 137 informal settlements.

      (...)

      102. The Commissioner has noted with concern reports on the increased number of forced evictions of Roma from informal settlements in Belgrade. He is particularly concerned by the reported failure by the authorities to comply with legal safeguards during evictions. Physical attacks by state officials during evictions and destruction of personal property without compensation have also been reported in various cases such as the one concerning the evictions in the informal Roma settlement Gazela, Belgrade, on 31 August 2009. Following these evictions 114 Roma families were provided with accommodation in metal containers in settlements scattered around the outskirts of Belgrade.

      (...)

      106. The Commissioner is particularly concerned by the housing situation of the Roma displaced from Kosovo, and Roma who are being forcibly returned from Western European countries. Reportedly they make up around 17% of the Roma populations in informal settlements. They face the harshest living conditions. Their difficult situation is aggravated by the lack of personal identity documents (see also below, sub-section on lack of birth registration and personal identification documents among Roma). Prospects for their local integration are generally bleak.

      107. The Commissioner noted that the living conditions in the informal Roma settlement in Marija Bursać, Blok 61, Belgrade, which he visited on 14 June, are clearly sub-standard and may be qualified as degrading. The settlement hosts approximately forty Roma families and consists of wooden barracks, some of which have been severely damaged due to bad weather. The settlement is not connected to the public utilities system and there are no electricity, water and sanitary facilities. Parents told the Commissioner that because of these living conditions sending children to school is a very difficult task. The Commissioner saw children from the settlement washing their faces with dirty water from a nearby polluted stream. The presence of rats was also reported by inhabitants. On the positive side, the Commissioner has noted that almost all of the inhabitants had obtained personal identity documents through the UNHCR’s EU-funded Roma Inclusion Project. »

      EN DROIT

      I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION (CONDITIONS D’ACCUEIL)

      113.  Les requérants se plaignent que leur exclusion des structures d’accueil à partir du 26 septembre 2011 les a exposés à des risques pour la vie et à des traitements inhumains et dégradants. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

      Article 3

      « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

      A.  Sur la recevabilité

      114.  Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que les requérants auraient dû se prévaloir d’autres dispositions de la loi « accueil » et s’adresser au CPAS territorialement compétent. En cas de refus, un recours était possible devant le tribunal du travail.

      115.  Les requérants font valoir qu’ils ont été victimes d’un problème général lié à la saturation du réseau d’accueil et qu’ils ont tenté, sans succès, les seules voies qui leur étaient accessibles pour prévenir leur sortie du centre d’accueil et pour trouver une solution d’hébergement dans l’urgence.

      116.  La Cour est d’avis que les questions soulevées par l’exception préliminaire du Gouvernement se confondent en partie avec celles qu’elle devra examiner dans le cadre de l’examen du bien-fondé des griefs tirés de l’article 3 de la Convention. Il convient dès lors de la joindre à l’examen du bien-fondé de ces griefs et de l’examiner dans ce contexte.

      117.  Elle constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

      B.  Sur le fond

      1.  Thèses des parties

      a)  Les requérants

      118. Sur le terrain l’article 3 de la Convention, les requérants se plaignent que leur exclusion des structures d’accueil à partir du 26 septembre 2011 les a exposés à des risques pour la vie et à des traitements inhumains. Ils expliquent que cette situation résulte d’une particularité du droit belge qui est de mettre fin à l’aide matérielle des demandeurs d’asile Dublin à la date d’expiration du délai pour l’exécution d’un ordre de quitter le territoire (« annexe 26quater ») sans attendre la clôture de la procédure d’asile. À cela s’ajoutait que le recours qu’ils avaient introduit contre cette décision n’avait pas d’effet suspensif, les privant de toute possibilité de demander le sursis à l’exécution de l’ordre de quitter le territoire. Ils se sont alors trouvés en « séjour illégal » au sens du droit belge, alors qu’ils étaient toujours demandeurs d’asile et en attente de la décision finale quant à leur demande.

      119.  Ils font valoir qu’outre le recours en annulation et en suspension de l’ « annexe 26quater », ils ont fait usage, par l’intermédiaire de l’assistante sociale du centre et de leur conseil, de toutes les voies internes qui auraient pu, compte tenu de leur situation de « séjour illégal », être accessibles et utiles pour prévenir leur sortie du centre d’accueil ou trouver une solution d’hébergement : deux demandes de prorogation de l’ordre de quitter le territoire, des sollicitations multiples et motivées de l’OE, une demande de régularisation médicale sur pied de l’article 9ter de la loi sur les étrangers et une demande au CCE de traiter leur affaire en priorité. À chaque occasion, ils ont fait état de tous les éléments en leur possession pour établir leur vulnérabilité. Les autorités n’ont toutefois pas réagi malgré l’urgence à trouver une solution.

      120. Après leur sortie du centre d’hébergement, ne parlant pas les langues du pays et sans ressources, ils ont d’abord erré avant d’être orientés vers une place publique au centre de Bruxelles occupée par d’autres sans-abri issus de la minorité rom de Serbie. Ils y ont passé huit jours, du 27 septembre au 5 octobre 2011, jusqu’à ce que les démarches faites par leur conseil auprès du délégué général aux droits de l’enfant aboutissent, le 5 octobre 2011, à leur accueil pendant deux jours dans un centre de transit, toujours dans l’arrondissement de Bruxelles-Capitale, puis à l’attribution d’une place dans le centre ouvert de Bovigny. Toutefois, quand ils s’y sont présentés, la place leur fut refusée au motif que leur ordre de quitter le territoire « n’était pas valable ». De retour à Bruxelles, les requérants débarquèrent à la gare du Nord où une femme rom les orienta vers une organisation caritative. Là, ils apprirent que leur retour pouvait être pris en charge dans le cadre du programme de retour « volontaire » de Fedasil, ce qu’ils acceptèrent en désespoir de cause, à défaut d’autre solution en Belgique, et ce, malgré les recours pendants. Les requérants expliquent avoir encore dû rester à la gare du Nord pendant une semaine, le temps que leur départ soit organisé le 25 octobre.

      121.  Les requérants soutiennent que les autres possibilités d’obtenir de l’aide mentionnées par le Gouvernement (voir paragraphe 125, ci-dessous) étaient toutes vouées à l’échec en raison du refus opposé par le CPAS de la ville de Bruxelles, dont dépendaient les requérants, et de la politique suivie par Fedasil depuis 2009 de refuser la prise en charge des familles dans leur situation en raison de la saturation du réseau d’accueil. De plus, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, ils ne remplissaient pas les conditions pour demander une prolongation sur la base de l’article 7 de la loi « accueil » puisque leur procédure d’asile n’était pas terminée et que Fedasil avait donné instruction dès avril 2010 de refuser l’application du mécanisme des prolongations de l’accueil aux étrangers ayant reçu une « annexe 26quater » et aux familles avec enfants mineurs en séjour illégal. Quant à l’aide médicale urgente à charge de Fedasil, les requérants font observer qu’elle est réservée par la loi et la pratique aux demandeurs d’asile en procédure et n’était pas accordée aux personnes en séjour illégal. Il en était de même pour l’aide médicale urgente que le CPAS de la ville de Bruxelles refusait d’accorder aux étrangers en séjour illégal. Les requérants font remarquer que cette analyse de la situation est confortée par l’attestation du délégué général aux droits de l’enfant qui fit état de l’échec de ses démarches auprès du CPAS et de Fedasil. Les requérants font en outre valoir que les recours devant les juridictions du travail en matière d’accueil ne présentaient pas les garanties d’effectivité nécessitées par la situation d’urgence dans laquelle ils se trouvaient.

      122.  Les requérants estiment que la situation qu’ils ont vécue était contraire à l’article 3 de la Convention tel qu’il a été interprété par la Cour dans l’arrêt M.S.S. précité (§ 263). L’état de dénuement total, matériel et psychologique, dans lequel les autorités les ont mis en pleine connaissance de cause de leur vulnérabilité en tant que demandeurs d’asile et en tant que famille accompagnée de jeunes enfants dont une jeune fille gravement handicapée a atteint, à leur avis, le seuil de gravité requis par l’article 3. L’obligation de pourvoir aux besoins élémentaires des requérants en tant que demandeurs d’asile faisait également partie des obligations positives de l’État belge en vertu du droit européen et plus particulièrement de la directive Accueil qui prévoit que les demandeurs d’asile Dublin doivent bénéficier de l’accueil jusqu’à leur transfert effectif vers l’État responsable, comme la CJUE l’a confirmé dans l’arrêt Cimade et Gisti précitée (§ 58) (voir paragraphe 105, ci-dessus), ainsi qu’à la Charte sociale européenne révisée (voir paragraphes 108-109, ci-dessus).

      123.  Les requérants soutiennent que les autorités belges n’ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants et n’ont pas fait prévaloir leur intérêt supérieur alors qu’elles auraient dû partir de la présomption que les enfants étaient vulnérables tant en raison de leur qualité d’enfants que par leur histoire personnelle.

      b)  Le Gouvernement

      124.  Le Gouvernement est d’avis que les dispositions prises pour accueillir les requérants étaient adaptées à leur situation. Dès le jour de l’introduction de leur demande d’asile, le 1er avril 2011, ils ont bénéficié de l’accueil dans un centre d’hébergement où la couverture de leurs besoins de base fut assurée conformément à la loi « accueil ». De plus, alors que la délivrance, le 26 mai 2011, de l’ordre de quitter le territoire aurait dû mettre fin à l’aide matérielle, les autorités belges ont décidé de prolonger l’accueil dans un centre d’hébergement adapté en raison de l’état de grossesse de la deuxième requérante et de son accouchement. Après la fin de l’accueil lié à la qualité de demandeur d’asile, le 26 septembre 2011, les autorités belges sont encore intervenues, pour motifs humanitaires, le 5 octobre 2011. Après un accueil de deux jours au centre de transit de la commune de Woluwe-Saint-Pierre, une place d’accueil leur fut désignée à Bovigny mais les requérants ne s’y sont pas rendus. Il faut donc en déduire que les requérants sont à l’origine de la situation qu’ils dénoncent d’autant plus qu’ils ont finalement décidé de leur plein gré d’intégrer un programme de retour volontaire avant même que le CCE ait statué sur leur recours.

      125.  Le Gouvernement reconnaît que les requérants ont été contraints de quitter leur hébergement à l’expiration du délai prolongé de l’ordre de quitter le territoire. Il soutient qu’il ne peut être reproché aux autorités belges d’avoir agi conformément à la loi sans tenir compte des éclairages apportés postérieurement par la CJUE. De plus, les requérants auraient pu et dû, selon lui, faire usage des autres possibilités de bénéficier d’une aide. Ils pouvaient solliciter auprès du CPAS territorialement compétent une demande d’aide sociale sur pied de l’article 60 de la loi « accueil » ou qu’il soit sursis à l’application de l’article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976 en raison d’une impossibilité d’exécuter l’ordre de quitter le territoire pour raisons médicales (voir paragraphes 73 et 86, ci-dessus). Ils pouvaient également saisir Fedasil d’une demande de prolongation de l’aide matérielle sur la base de l’article 7 § 1 de la loi « accueil » eu égard à la présence d’enfants mineurs ou d’une demande d’aide médicale urgente en application de l’article 25 § 4 de la loi « accueil » (voir paragraphes 85 et 87, ci-dessus). Toutes décisions prises en matière d’accueil, voire même l’absence de décision, pouvaient faire l’objet d’un recours devant le tribunal du travail, éventuellement par la voie du référé.

      2.  Observations de l’ONG Coordination et initiatives pour réfugiés et apatrides (« Ciré »), tierce-intervenante

      126.  La tierce-intervenante expose que les faits de l’affaire remontent à une période qualifiée de « crise de l’accueil » au cours de laquelle les demandeurs d’asile arrivés en Belgique se sont retrouvés confrontés à de grandes difficultés pour obtenir de l’aide sociale tant auprès de Fedasil, chargée de l’aide matérielle dans les centres d’hébergement, qu’auprès des CPAS. Elle explique que la situation dans laquelle les requérants et de nombreuses autres familles se trouvaient résultait, d’une part, d’une anomalie du droit belge qui, contrairement au prescrit de la directive Accueil, prévoit qu’il est mis fin à l’accueil des demandeurs d’asile dont il s’agit de déterminer l’État responsable dès lors que le délai pour l’exécution de l’« annexe 26quater » est venu à expiration et, d’autre part, de la position systématique et structurelle adoptée à partir de 2009 par Fedasil et les CPAS de ne plus prendre en charge les familles en séjour illégal. Ces familles se sont retrouvées à la rue sans possibilité de bénéficier de l’aide matérielle.

      127.  En 2011, Fedasil a refusé d’accueillir 553 familles, ce qui correspond à 2 143 personnes et 12 142 mineurs. Après condamnation avec astreinte par le tribunal du travail, Fedasil a finalement accueilli 43 de ces familles. Entre mars 2011 et mai 2012, le Médiateur fédéral a adressé 18 recommandations à Fedasil dont 15 ont été suivies d’effets.

      128.  La tierce-intervenante rappelle que la protection contre le non-refoulement est intégralement applicable aux demandeurs d’asile et que le refus de conditions matérielles d’accueil à des personnes vulnérables peut être constitutif de traitements contraires à l’article 3 comme la Cour l’a reconnu dans l’arrêt M.S.S. mais aussi poser des problèmes particuliers compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant.

      129.  Sachant en outre qu’à défaut de détention et donc de risque imminent d’éloignement au sens de la jurisprudence du CCE, les familles en séjour illégal n’avaient pas accès à une voie de recours suspensive de leur éloignement, elles n’avaient aucune possibilité matérielle d’attendre l’issue du recours déterminant pour la suite de la procédure d’asile.

      3.  Appréciation de la Cour

      a)  Principes généraux

      130.  La Cour rappelle que ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent le droit à l’asile politique (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 113, CEDH 2012) et que les États contractants ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des non-nationaux (voir, parmi beaucoup d’autres, Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006-XII).

      131.  Au titre desdits engagements, les États doivent notamment prendre en considération l’article 3 de la Convention qui consacre l’une des valeurs fondamentales de toute société démocratique et prohibe en termes absolus la torture et les traitements inhumains ou dégradants quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, parmi d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV).

      132.  La Cour a dit à de nombreuses reprises que pour tomber sous le coup de l’interdiction contenue à l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (M.S.S., précité, § 219, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 114, 17 juillet 2014, et Tarakhel, précité, § 94).

      133.  Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (M.S.S., précité, § 220, El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 202, CEDH 2012, et Svinarenko et Slyadnev, précité, § 115).

      134.  Appliquant ces critères sur le terrain des conditions d’existence, la Cour avait, avant l’affaire M.S.S. précitée, considéré qu’il ne pouvait être exclu que la responsabilité de l’État fût engagée sous l’angle de l’article 3 par un traitement dans le cadre duquel un requérant totalement dépendant de l’aide publique serait confronté à l’indifférence des autorités alors qu’il se trouverait dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu’elle serait incompatible avec la dignité humaine. Toutefois, aucune des situations factuelles examinées n’avait été considérée par la Cour comme atteignant le seuil de gravité requis par l’article 3 (voir, par exemple, Budina c. Russie, (déc.), no 45603/05, 18 juin 2009).

      135. À propos d’un ressortissant irakien qui avait obtenu un statut de réfugié provisoire auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et qui se plaignait de ne pas avoir pu faire face à ses besoins élémentaires en Turquie, la Cour affirma qu’il ne pouvait être tiré des articles 3 et 8 de la Convention un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie (Müslim c. Turquie, no 53566/99, § 85, 26 avril 2005).

      136. Avec l’arrêt M.S.S. précité, qui concernait un demandeur d’asile afghan renvoyé par les autorités belges en Grèce en application du règlement Dublin II, la Cour amorça une nouvelle jurisprudence. Après avoir noté qu’à la différence de l’affaire Müslim, l’obligation de fournir des conditions matérielles décentes aux demandeurs d’asile démunis faisait partie du droit positif, la Cour considéra que, pour déterminer si le seuil de gravité requis par l’article 3 était atteint, il fallait accorder un poids tout particulier au statut de demandeur d’asile du requérant. Il appartenait de ce fait à un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable qui avait besoin d’une protection spéciale, besoin faisant, du reste, l’objet d’un large consensus à l’échelle internationale et européenne (M.S.S., précité, § 251).

      137. Évaluant la situation individuelle du requérant, la Cour jugea que les autorités nationales n’avaient pas dûment pris en compte cette vulnérabilité et que la gravité de la situation de dénuement dans laquelle s’était trouvé le requérant, resté plusieurs mois dans l’incapacité à répondre à ses besoins les plus élémentaires, combinée à l’inertie des autorités compétentes en matière d’asile avaient emporté violation de l’article 3 de la Convention (M.S.S., précité, §§ 262-263 ; voir postérieurement à M.S.S. : Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, § 283, 28 juin 2011, et F.H. c. Grèce, no 78456/11, §§ 107-111, 31 juillet 2014).

      138. Dans les affaires relatives à l’accueil d’étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, la Cour a en outre établi que les autorités compétentes devaient considérer que la qualité d’enfant prédominait sur celle d’étrangers en séjour illégal (Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, §§ 55 et 63, 19 janvier 2010, Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, § 62, 13 décembre 2011, et Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 91, 19 janvier 2012). Récemment, l’affaire Tarakhel, qui concernait le renvoi planifié vers l’Italie par les autorités suisses en application du règlement Dublin II d’une famille de ressortissants afghans, donna l’occasion à la Cour d’affirmer que la vulnérabilité des demandeurs d’asile était accentuée dans le cas de familles avec enfants et que les conditions d’accueil des enfants demandeurs d’asile devaient être adaptées à leur âge, de sorte qu’elles ne puissent engendrer pour eux une situation de stress et d’angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme (Tarakhel, précité, § 119).

      b)  Application des principes en l’espèce

      139. Le Gouvernement fait valoir que les autorités belges ont agi avec toute la diligence nécessaire pour assurer l’accueil des requérants, sachant que dès le dépôt de leur demande d’asile, le 1er avril 2011, ils ont bénéficié de l’accueil dans un centre d’hébergement où la couverture de leurs besoins de base fut assurée jusqu’au 26 septembre 2011.

      140.  La Cour observe que cela n’est pas contesté par les requérants. Ce que ceux-ci reprochent aux autorités belges, c’est l’impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés durant la période qui a suivi leur éviction, le 26 septembre 2011, du centre d’hébergement jusqu’à leur départ pour la Serbie, le 25 octobre 2011, de jouir de l’accueil afin de pourvoir à leurs besoins essentiels. L’examen de la Cour portera donc uniquement sur cette dernière période.

      141.  La Cour prend note de la controverse qui existe entre les parties sur le point de savoir si une obligation de continuer à fournir un logement et des conditions matérielles décentes aux requérants faisait partie du droit positif belge et pesait sur les autorités belges en vertu du droit de l’Union européenne, à savoir, la directive Accueil (voir paragraphes 71, 75 et 103, ci-dessus ; voir pour la pertinence de la question, M.S.S., précité, §§ 250 et 263, et S.H.H. c. Royaume-Uni, n60367/10, § 90, 29 janvier 2013).

      142.  La Cour note qu’en vertu de l’article 6 de la loi « accueil » du 12 janvier 2007, l’aide matérielle devait être octroyée pendant toute la procédure d’asile et prendre fin lorsque le délai pour l’exécution de l’ordre de quitter le territoire notifié au demandeur d’asile était expiré. À l’époque des faits, dans le contexte de la « crise de l’accueil », Fedasil avait interprété cette disposition de manière restrictive à l’égard des demandeurs d’asile qui, comme les requérants, étaient sous procédure Dublin. Les intéressés se voyaient privés de l’aide matérielle dès l’expiration du délai pour donner suite à l’ordre de quitter le territoire accompagnant la décision de refus d’examiner leur demande au motif qu’un autre État en était responsable, et ce même si un recours était pendant contre cette décision (voir ci-dessus, paragraphe 84).

      143. La Cour constate, d’après la description de la situation en droit belge faite par les parties, qu’il ne peut en être déduit que les requérants, en tant que famille accompagnée d’enfants mineurs, dont une enfant gravement malade, n’avaient pas de possibilité, au regard du droit belge, de continuer à bénéficier de toute forme d’aide matérielle et médicale. Comme le Gouvernement plaide lui-même, l’ensemble du dispositif législatif formé par la loi « accueil » du 12 janvier 2007 ou de la loi organique du 8 juillet 1976 des CPAS était conçu pour que, dans des situations exceptionnelles, comme celle des requérants, l’aide matérielle et médicale ait pu, en théorie, être prolongée.

      144.  Le Gouvernement reproche d’ailleurs aux requérants de ne pas avoir sollicité ces autres dispositifs. Ils auraient pu et dû, selon lui, demander l’aide sociale au CPAS compétent ou demander à Fedasil une prolongation de l’aide matérielle sur pied de l’article 7 de la loi « accueil » (voir paragraphe 85, ci-dessus). Les requérants font valoir, quant à eux, qu’en pratique, en raison de la saturation du réseau d’accueil pendant la période litigieuse, ces possibilités étaient vouées à l’échec.

      145.  La Cour constate que les allégations des requérants sont confortées par les constats dressés tant par les acteurs qui travaillaient sur le terrain à l’époque des faits, y compris l’organisation tierce-intervenante, que par les juridictions internes et les autorités administratives compétentes, notamment le CPAS de la ville de Bruxelles et Fedasil (voir paragraphes 92-95, ci-dessus). Toutes les décisions et rapports consultés convergent sur ce point : à l’époque des faits, le réseau d’accueil des demandeurs d’asile était arrivé à saturation en raison d’un trop grand nombre de demandeurs d’asile ; dans ce contexte, la politique suivie par le CPAS de la ville de Bruxelles, dont dépendaient les requérants, ainsi que par Fedasil était d’exclure de l’accueil les familles accompagnées d’enfants mineurs qui se trouvaient dans la situation des requérants, c’est-à-dire se trouvant en séjour illégal du fait de la délivrance d’un ordre de quitter le territoire et dans l’attente d’une décision finale dans le cadre de leur procédure d’asile. La majorité des familles concernées se sont retrouvées privées d’hébergement et de toute forme d’aide que ce soit sur la base de la loi « accueil » ou sur celle de la loi organique des CPAS.

      146.  À cela s’ajoute qu’en l’espèce, contrairement à la thèse soutenue par le Gouvernement, des démarches ont été accomplies auprès des autorités compétentes, par la représentante des requérants et par le délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant afin qu’une solution urgente soit trouvée pour héberger la famille requérante (voir paragraphes 44 et 46, ci-dessus).

      147.  Dans ces circonstances, il saurait difficilement être reproché aux requérants de ne pas avoir cherché à trouver une solution pour assurer leur existence à la suite de l’éviction du centre d’hébergement.

      148.  Cette conclusion n’est pas mise à mal par le fait, souligné par le Gouvernement, que les requérants n’ont pas introduit de recours devant les juridictions du travail contre l’absence de décision prise par Fedasil en matière d’accueil. Une telle procédure, qui aurait pu être mise en mouvement par la voie du référé ou de la requête unilatérale, ne répond en effet pas aux exigences d’effectivité requises par la Convention. Les requérants et le Ciré, tiers-intervenante, démontrent que, dans le contexte de la crise de l’accueil, les juridictions de l’arrondissement judiciaire de Bruxelles refusaient l’usage de la procédure sur requête unilatérale aux familles se trouvant dans la même situation que les requérants. Quant à la procédure en référé, il n’est pas contesté que si les requérants avaient saisi le président du tribunal du travail de Bruxelles en référé, outre les difficultés pratiques liées à la désignation d’un avocat et aux délais impartis, ils auraient dû à l’époque des faits attendre environ dix jours pour obtenir une ordonnance. Au surplus, et en tout état de cause, il ressort des décisions examinées par la Cour (voir paragraphes 95-96, ci-dessus) qu’à cette époque, la jurisprudence des juridictions du travail était encore hétéroclite face à la reconnaissance du droit d’accueil aux familles «  séjour illégal » et sous procédure Dublin. Enfin, à supposer même que les requérants aient pu saisir les juridictions du travail et obtenir une condamnation sous astreinte de Fedasil à les héberger, encore eût-il fallu qu’ils en obtiennent l’exécution, ce qui, à l’époque des faits, pouvait prendre plusieurs semaines (voir paragraphe 96, ci-dessus).

      149.  Dans ces conditions, face à une telle incertitude, la Cour est d’avis qu’on ne peut pas non plus reprocher aux requérants de ne pas avoir saisi les juridictions du travail. Elle estime qu’au vu de leur situation particulière et des circonstances spécifiques du réseau d’accueil à l’époque des faits, les requérants étaient dispensés d’épuiser cette voie de recours.

      150. Le Gouvernement considère enfin que les requérants se seraient rendus en partie responsables de leur situation en ne se rendant pas au centre d’hébergement qui leur fut désigné après l’accueil en centre de transit les 5 et 6 octobre 2011, c’est-à-dire au centre de Bovigny. Les requérants affirment s’être rendus au centre désigné et s’être faits renvoyés au dispatching de Fedasil au motif que leur ordre de quitter le territoire n’était pas valable.

      151.  La Cour n’est à l’évidence pas en mesure de vérifier ce qui s’est réellement passé. Cela étant, la Cour n’a pas de difficulté à concevoir, au vu des circonstances, que les requérants, qui n’étaient pas familiers avec la procédure à suivre, se soient trouvés dépassés par la situation et n’aient pas fait preuve de toute la diligence possible pour bénéficier d’un hébergement situé à plus de 150 km de Bruxelles. La Cour estime que cette éventualité ne doit pas être retenue à leur détriment et qu’il appartenait au contraire aux autorités belges de se montrer davantage diligentes dans la recherche d’une solution d’hébergement.

      152.  Eu égard à ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par le Gouvernement, tirée du non-épuisement des voies de recours internes (voir paragraphe 114, ci-dessus).

      153.  La Cour observe ensuite qu’aux fins de l’article 3 de la Convention, bien qu’ils aient reçu un ordre de quitter le territoire, les requérants avaient demandé l’asile aux autorités belges et étaient en cours de procédure à propos de la détermination de l’État responsable de l’examen desdites demandes. Sous peine de priver une telle procédure de toute efficacité par le refus de protéger les droits les plus élémentaires, il y a lieu de considérer que les requérants appartenaient, au même titre que le requérant dans l’affaire M.S.S. (§ 251), à « un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable qui a besoin d’une protection spéciale ». Comme la Cour l’a souligné dans l’affaire Tarakhel précitée (§ 119), cette exigence de « protection spéciale » est d’autant plus importante lorsque les personnes concernées sont des enfants. Elle est encore renforcée en l’espèce, aux yeux de la Cour, par la présence d’enfants en bas âge, dont un nourrisson, et d’une enfant handicapée, eux-mêmes intrinsèquement fragiles et plus vulnérables que les adultes face à la privation de leurs besoins élémentaires.

      154.  La circonstance qu’en l’espèce, les requérants étaient en attente d’une décision définitive quant à la détermination de l’État responsable de l’examen de leur demande d’asile ne les plaçait pas dans une situation différente de celle des requérants dans les affaires précitées au regard de la Convention étant donné que, dans aucune de ces affaires, les autorités de l’État de renvoi ne s’étaient pas prononcées sur le bien-fondé des craintes qu’avaient les intéressés de traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de retour dans le pays qu’ils avaient fui. Le fait qu’en l’espèce, les autorités françaises avaient précédemment examiné des demandes d’asile déposées par les requérants pour les rejeter ne saurait pas davantage entrer en ligne de compte puisque ceux-ci alléguaient devant les instances belges qu’ils étaient arrivés en Belgique après avoir quitté le territoire de l’UE pendant plus de trois mois et avaient demandé la protection des autorités belges sur la base d’une situation nouvelle.

      155. Enfin, et à titre surabondant, la Cour relève que la CJUE s’est prononcée, par des arrêts du 27 septembre 2012 et du 27 février 2014, rendus certes après les faits litigieux dans la présente espèce, sur la portée des exigences de la directive Accueil dans la situation dans laquelle se sont trouvés les requérants en l’espèce. Selon la CJUE, la directive Accueil exige des États membres qu’ils octroient pendant toute la durée de la procédure de détermination de la responsabilité quant à l’examen de leur demande d’asile une aide matérielle suffisante pour garantir un niveau de vie digne et adéquat pour la santé ainsi que pour assurer la subsistance et le logement des intéressés. Les États d’accueil doivent également prendre en compte la situation des personnes ayant des besoins particuliers ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant (voir paragraphes 105-106, ci-dessus).

      156.  La Cour doit ensuite se prononcer, au regard de la jurisprudence rappelée ci-dessus (voir paragraphes 130-138, ci-dessus), sur le point de savoir si les conditions dans lesquelles les requérants ont vécu en Belgique entre le 26 septembre et le 25 octobre 2011 engagent la responsabilité de l’État belge sous l’angle de l’article 3.

      157.  S’agissant de la réalité des conditions d’existence vécues par les requérants, la Cour note qu’elles n’ont pas fait l’objet de débat devant elle. Le Gouvernement reconnaît en effet que les requérants étaient entièrement dépendants des structures d’accueil et qu’ils ont été contraints de quitter leur hébergement, le 26 septembre 2011, en application de la loi belge. Il ne conteste pas non plus qu’ils se sont trouvés, à partir de cette date, sans moyen de subsistance et sans logement, à l’exception des deux nuits en centre de transit.

      158.  La Cour constate que la situation vécue par les requérants a été d’une particulière gravité. Ils expliquent qu’à leur sortie du centre d’hébergement le 26 septembre 2011, ils se sont retrouvés à la rue et se sont installés sur une place publique au centre de Bruxelles où d’autres sans-abri issus de la minorité rom de Serbie se trouvaient déjà. Ils restèrent là - sans aide pour faire face à leurs besoins les plus élémentaires : se nourrir, se laver et se loger - jusqu’au 5 octobre 2011. La circonstance qu’un hébergement en centre d’accueil leur a été proposée par les autorités n’a rien changé à la situation des requérants. Après deux nuits en centre de transit et de retour à Bruxelles le 7 octobre 2011, les requérants débarquèrent à la gare du Nord de Bruxelles où ils restèrent encore près de trois semaines avant que leur retour vers la Serbie soit organisé via une organisation caritative.

      159.  La Cour observe que ce constat de gravité est également celui du Comité européen des droits sociaux, organe de contrôle du respect des droits de l’homme garantis par la Charte sociale européenne, qui a conclu, par une décision du 23 octobre 2012, qu’une situation de ce type ne respectait pas le droit des enfants à la protection énoncé par l’article 17 § 1 de la Charte révisée (affaire Défense des Enfants International (DEI) c. Belgique, réclamation no 69/2011, paragraphes 108-109, ci-dessus).

      160.  Certes, comme le fait valoir le Gouvernement, cette décision est intervenue postérieurement aux faits de l’espèce. Toutefois, elle repose sur le même postulat que celui de la Cour quand elle interprète l’article 3 de la Convention, à savoir que les droits liés à l’interdiction de tout traitement inhumain et dégradant sont accordés aux personnes en raison de la dignité attachée à la personne humaine.

      161.  Enfin, la Cour note que la situation dans laquelle se sont trouvés les requérants aurait pu être évitée ou à tout le moins abrégée si la requête en annulation et en suspension des décisions de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire qu’ils avaient introduite le 16 juin 2011 avait été traitée plus rapidement par le CCE. Ce dernier ne se prononça en effet que le 29 novembre 2011, soit plus de deux mois après que les requérants aient été exclus de la structure d’accueil et plus d’un mois après leur départ de Belgique.

      162.  Au vu de ce qui précède, la Cour est d’avis que la situation vécue par les requérants appelle la même conclusion que dans l’affaire M.S.S. Elle considère que les autorités belges n’ont pas dûment tenu compte de la vulnérabilité des requérants comme demandeurs d’asile et de celle de leurs enfants. Nonobstant le fait que la situation de crise était une situation exceptionnelle, la Cour estime que les autorités belges doivent être considérées comme ayant manqué à leur obligation de ne pas exposer les requérants à des conditions de dénuement extrême pendant quatre semaines, à l’exception de deux nuits, les ayant laissés dans la rue, sans ressources, sans accès à des installations sanitaires, ne disposant d’aucun moyen de subvenir à leurs besoins essentiels. La Cour estime que les requérants ont ainsi été victimes d’un traitement témoignant d’un manque de respect pour leur dignité et que cette situation a, sans aucun doute, suscité chez eux des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir. Elle considère que de telles conditions d’existence, combinées avec l’absence de perspective de voir leur situation s’améliorer, ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention et constituent un traitement dégradant.

      163.  Il s’ensuit que les requérants se sont retrouvés, par le fait des autorités, dans une situation contraire à l’article 3 de la Convention. Dès lors, il y a eu violation de cette disposition.

      II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION (DÉCÈS DE LA FILLE DES REQUÉRANTS)

      164.  Les requérants se plaignent que les conditions d’accueil en Belgique ont entraîné le décès de leur fille aînée. Ils invoquent l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :

      Article 2

      « 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

      (...) »

      165.  Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

      166. Les requérants estiment que le décès de leur fille aînée à la suite d’une infection pulmonaire moins d’un mois après leur retour en Serbie ne serait pas intervenu si les autorités belges ne les avaient pas exposés à des conditions de dénuement matériel total en Belgique et ne les avaient pas ainsi « forcés » à retourner en Serbie où les attendaient les conditions dans lesquels vivent les Roms et qu’ils avaient fuies notamment en raison de l’état de santé de leur fille.

      167.  Le Gouvernement fait valoir que les requérants ne démontrent pas, au-delà de tout doute raisonnable, que le décès de leur fille aînée, intervenu à l’hôpital en Serbie, a été causée par les conditions de séjour en Belgique. À défaut de ces éléments de preuve et en l’absence d’information fiable et objectivement vérifiable sur les motifs d’hospitalisation et les causes exactes du décès, il faut considérer qu’il y a rupture du lien causal entre les conditions prétendument éprouvées en Belgique et les circonstances du décès en Serbie.

      168.  La Cour rappelle que la première phrase de l’article 2 de la Convention astreint l’État non seulement à s’abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction L’article 2 de la Convention peut, dans certaines circonstances bien définies, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même. Cependant, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, sans perdre de vue, en particulier, l’imprévisibilité du comportement humain et les choix opérationnels à faire en matière de priorités et de ressources. Dès lors, toute menace présumée contre la vie n’oblige pas les autorités à prendre des mesures concrètes pour en prévenir la réalisation. Pour qu’il y ait obligation positive, il doit être établi que les autorités savaient ou devaient savoir qu’une personne donnée était menacée de manière réelle et immédiate dans sa vie, et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un point de vue raisonnable, auraient sans doute pallié ce risque (voir, parmi d’autres, Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 89-90, CEDH 2001-III, De Donder et De Clippel c. Belgique, n 8595/06, §§ 68-69, 6 décembre 2011, et Nencheva et autres c. Bulgarie, no 48609/06, §§ 105 et 108, 18 juin 2013).

      169.  A la lumière de ce qui précède, la Cour doit à rechercher si les autorités belges savaient ou devaient savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat que l’état de santé de la fille aînée des requérants se dégrade à la suite de leur éviction du centre d’hébergement à un point tel qu’il ait pu entraîner son décès.

      170.  À cet égard, plusieurs éléments doivent entrer en considération. La Cour note d’abord que si les autorités belges ne pouvaient ignorer la situation de dénuement dans laquelle les requérants se trouveraient à la suite de leur éviction du centre ni que la fille aînée des requérants souffrait de plusieurs pathologies, le certificat médical délivré à l’appui de la demande de régularisation médicale (voir paragraphes 33-34, ci-dessus) ne faisait aucune mention du degré de gravité de ces pathologies. Ensuite et surtout, il ressort de la chronologie des évènements que plusieurs facteurs ont pu contribuer au décès de la fille des requérants et en particulier la circonstance que les requérants ont vécu après leur retour en Serbie, pendant plusieurs semaines, dans des conditions insalubres.

      171.  Dans ces conditions, la Cour est d’avis que les requérants n’ont pas démontré, au-delà de tout doute raisonnable, que le décès de leur fille aînée a été causée par les conditions de leur séjour en Belgique et que les autorités belges auraient manqué à une quelconque obligation positive à ce titre.

      172.  Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

      III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2, 3 ET 13 DE  LA CONVENTION (PROCÉDURES D’ASILE ET DE RÉGULARISATION)

      173.  Les requérants allèguent que leur éloignement, direct ou indirect, vers la Serbie et le refus de régularisation de leur séjour les ont exposés à un risque pour la vie de leur fille aînée et au risque de subir des traitements inhumains et dégradants en violation des articles 2 et 3 de la Convention précités.

      174.  Ils se plaignent également de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour faire valoir ces griefs. Ils invoquent une violation de l’article 13 de la Convention ainsi libellé :

      « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

      A.  Sur la qualification des griefs

      175.   La Cour constate que les griefs des requérants contre la Belgique, tel qu’abordés dans le formulaire de requête puis développés dans les observations écrites, se rapportent principalement i) à leurs craintes d’être exposés, en cas de retour en Serbie, à des risques pour la vie de leur fille et pour leur intégrité physique en violation des articles 2 et 3, raison pour laquelle ils ont demandé l’asile et la régularisation de leur séjour pour raisons médicales en Belgique, et ii) à l’absence d’un recours effectif devant les instances nationales pour faire valoir ces craintes, en violation de l’article 13.

      176.  Elle constate ensuite que les autorités nationales belges n’ont pas examiné le bien-fondé de leurs craintes précitées ni sur le terrain de l’asile ni sur celui de la régularisation. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer à ce sujet. C’est en effet aux autorités nationales, responsables en la matière, d’examiner les craintes des requérants et les documents produits par eux et d’évaluer les risques qu’ils encourent en cas de renvoi dans leur pays d’origine ou vers un pays intermédiaire au regard des articles 2 et 3. Cela résulte du principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention ainsi que du fait que ni la Convention ni aucun de ses Protocoles ne garantit le droit à l’asile politique (M.S.S., précité, § 299, Singh et autres c. Belgique, no 33210/11, § 55, 2 octobre 2012, A.C. et autres c. Espagne, n6528/11, § 93, 22 avril 2014, et Sharifi et autres c. Italie et Grèce, no 16643/09, § 138, 21 octobre 2014).

      177.  Toutefois, la circonstance que les craintes des requérants n’aient pas fait l’objet d’une décision interne ne dispense pas la Cour d’examiner si les requérants avaient des griefs défendables de risque de subir des traitements contraires aux articles 2 et 3 et, dans l’affirmative, s’ils ont bénéficié de garanties effectives, au sens de l’article 13, leur permettant de faire valoir ces griefs et les protégeant contre un refoulement arbitraire vers le pays qu’ils avaient fui (voir, Nuri Kurt c. Turquie, no 37038/97, § 116, 29 novembre 2005, M.S.S., précité, §§ 294-320, Singh et autres, précité, § 55, et Sharifi et autres, précité, § 139).

      178.  Comme elle l’a observé dans l’affaire Sharifi et autres précitée (§ 139), d’un côté, certes, le fait que la Cour a été saisie directement, sous l’angle des articles 2 et 3 de la Convention, des craintes des requérants liées à leur refoulement (direct ou indirect) vers la Serbie, pourrait être regardé comme contraire à la règle de l’épuisement des voies de recours internes posée par l’article 35 § 1 de la Convention. De l’autre, toutefois, l’absence alléguée d’accès effectif à la procédure d’asile pourrait avoir privé les requérants, en pratique, de toute protection au niveau national contre un refoulement arbitraire, au mépris de l’article 13.

      179.  Ces deux volets du principe de subsidiarité, qui s’expriment dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention, entrent autant l’un que l’autre en ligne de compte.

      180.  Dès lors, les griefs relatifs à l’éloignement des requérants vers la Serbie et à l’absence d’accès à un recours effectif en pratique ont lieu d’être examinés sous l’angle de l’article 13, combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention, et non pas sous l’angle des articles 2 et 3 considérés isolément.

      B.  Sur la violation de l’article 13 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention

      1.  Recevabilité

      a)  Exceptions soulevées par le Gouvernement

      181.  En ce qu’elle concerne les recours dans le cadre de la détermination de l’État responsable de la demande d’asile au sens du règlement Dublin, le Gouvernement soutient que cette partie de la requête n’est pas recevable à un double titre. D’une part, les requérants n’ont finalement pas été éloignés par les autorités belges ni directement vers la France ni indirectement vers la Serbie. Au contraire, leur retour en Serbie a résulté de leur volonté. D’autre part, les requérants n’ont pas démontré l’existence d’un risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en France.

      182.  En ce qui concerne le recours contre la décision de refus de régularisation de séjour pour raisons médicales, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes du fait que les requérants n’ont pas introduit de recours contre la décision de l’OE de déclarer irrecevable leur demande fondée sur l’article 9ter de la loi sur les étrangers.

      b)  Appréciation de la Cour

      183.  La Cour rappelle qu’elle a procédé à une qualification juridique des faits sous-jacents aux griefs relatifs à l’éloignement des requérants et au refus de régularisation de leur séjour et a décidé d’examiner ces griefs sous l’angle du seul article 13 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention et donc pas sous l’angle des articles 2 et 3 considérés isolément (voir paragraphes 178-183, ci-dessus). En d’autres termes, la Cour examinera les griefs des requérants sous l’angle de l’obligation de l’État défendeur de fournir aux requérants un « recours effectif » permettant l’examen par une instance nationale de leurs griefs basés sur les articles 2 et 3, sans se prononcer elle-même sur le bien-fondé de ces derniers griefs.

      184. Il s’ensuit que les exceptions soulevées par le Gouvernement, étant donné qu’elles concernent la recevabilité des griefs basés sur le risque d’une violation des articles 2 et 3, sont sans objet et doivent, pour cette raison, être rejetées.

      185.  Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants auraient volontairement quitté la Belgique pour la Serbie, la Cour estime utile de préciser qu’elle considère que le départ « volontaire » des requérants est venu conforter l’extrême dénuement dans lequel se trouvait la famille au point de n’avoir d’autre issue que de retourner en Serbie. Les requérants n’ont jamais renoncé à leurs droits ; il apparait, au contraire, qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour rester en Belgique et les défendre. La Cour renvoie à ce sujet à l’examen de la situation et à sa conclusion sous l’angle de l’article 3 de la Convention (voir paragraphes 139-163, ci-dessus).

      186.  La Cour constate par ailleurs que la partie de la requête relative à l’article 13 n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

      2.  Bien-fondé

      a)  Sur l’existence de griefs défendables

      187.  Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour doit rechercher si les griefs que les requérants tiraient des articles 2 et 3 de la Convention à l’endroit de leur renvoi direct ou indirect en Serbie étaient des griefs « défendables » qu’ils devaient pouvoir soumettre à un examen au fond devant une instance nationale dans le cadre d’une procédure conforme aux exigences de l’article 13 de la Convention.

      188.  La Cour rappelle qu’un grief peut être considéré comme étant défendable dès lors qu’il n’est pas prima facie non fondé et qu’il mérite un examen au fond par les instances nationales compétentes (Çelik et İmret c. Turquie, no 44093/98, § 57, 26 octobre 2004, Nuri Kurt, précité, § 117, Singh et autres, précité, § 84, et Sharifi et autres, précité, §§ 173-174).

      189.  Sachant que les instances nationales sont mieux équipées que la Cour pour établir les faits nécessaires pour une appréciation des craintes alléguées, une décision de leur part rend la tâche de la Cour plus facile et lui permet de se limiter à son rôle subsidiaire post factum (D.P. et J.C. c. Royaume-Uni, no 38719/97, § 136, 10 octobre 2002). Cela étant, ainsi qu’elle l’a déjà souligné (voir paragraphe 177, ci-dessus, et références citées), l’absence d’une telle décision ne la dispense pas d’examiner elle-même si les requérants avaient des griefs défendables à faire valoir devant les autorités belges. Vu la gravité et le caractère potentiellement irréparable de la souffrance prétendument risquée (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 90, série A no 161), le défaut d’examen au niveau interne a pour conséquence que la Cour ne saurait opter pour une interprétation a priori restrictive de la défendabilité des griefs en cause.

      190.  S’agissant de la crainte des requérants d’un retour indirect en Serbie via la France dans le cadre de la procédure Dublin, la Cour note que la demande d’asile déposée par les requérants en France avait été rejetée depuis près d’un an par les autorités de ce pays quand l’OE demanda à la France la reprise en charge des requérants en application du règlement Dublin II (voir paragraphes 14-15, ci-dessus). Les requérants n’avaient donc aucune garantie que les autorités françaises ne les éloignent pas vers la Serbie.

      191.  Quant à la situation en Serbie, pays que les requérants avaient fui, la Cour dispose de plusieurs rapports indiquant que les Serbes d’origine rom faisaient l’objet de discriminations en Serbie, qu’ils y vivaient dans des conditions déplorables, et qu’ils n’avaient pas accès aux soins de santé, au logement ou à l’éducation (voir paragraphes 110-112, ci-dessus). Il faut, de l’avis de la Cour, combiner ces informations aux allégations de discrimination et de mauvais traitements subis en Serbie que les requérants ont fait valoir devant les autorités d’asile belges (voir, ci-dessus, paragraphes 12 et 22) et aux facteurs de vulnérabilité propres aux requérants du fait de la présence d’une jeune fille sévèrement handicapée et de jeunes enfants dont un nourrisson. Ces éléments pris dans leur ensemble suffisent à la Cour pour considérer que les griefs relatifs aux risques en cas de retour en Serbie étaient défendables.

      192.  La Cour écarte donc la thèse du Gouvernement selon laquelle les requérants n’avaient pas de griefs défendables à faire valoir devant les autorités belges quand ils ont introduit leur demande d’asile le 1er avril 2011 et poursuivi la procédure devant le CCE.

      193. De plus, et contrairement à ce que suggère le Gouvernement, la circonstance que les requérants soient finalement partis n’a pas de conséquence sur la défendabilité de leurs griefs. La Cour rappelle en effet que, pour évaluer si les griefs sont défendables, elle doit se placer au moment où les instances nationales les ont examinés même si, comme en l’espèce, le risque de traitements contraires à l’article 3 a évolué dans le temps (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 56, CEDH 2007-V, I. M. c. France, no 9152/09, § 100, 2 février 2012, et Singh et autres, précité, § 80).

      194.  En conclusion, il y a lieu de considérer que les griefs des requérants sur le terrain des articles 2 et 3 auraient été dignes d’un examen au fond devant une instance nationale dans le cadre d’une procédure conforme aux exigences d’effectivité requises par l’article 13. Dès lors, cette disposition est applicable.

      b)  Sur l’effectivité des recours

      i.  Thèses des parties

      195.  Les requérants soutiennent que le recours devant le CCE contre l’ordre de quitter le territoire n’était pas un recours effectif conforme aux exigences de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 2 et 3 pour deux motifs. D’une part, ce recours n’était pas suspensif de leur possible refoulement vers la France. Étant donné qu’en tant que famille, ils ne pouvaient pas faire l’objet d’une mesure de détention, ils n’ont pas eu accès à la procédure de suspension en extrême urgence de la mesure d’éloignement. Ils ont certes demandé la suspension de la mesure mais par la voie « ordinaire » non suspensive de l’ordre de quitter le territoire. Or, conformément à la politique de Fedasil, dans ce cas, l’aide matérielle n’est pas maintenue dans l’attente de la décision du CCE. Étant dans l’impossibilité pratique d’attendre l’issue de la procédure Dublin, les requérants ont été contraints de quitter la Belgique, ce qui a privé leur recours de toute utilité. D’autre part, les requérants se plaignent des limites du contrôle de légalité dans le cadre du recours en annulation, le CCE se limitant d’un examen en droit, et non en fait, sur la base d’une évaluation au moment où la décision de transfert est prise et non au moment où la juridiction se prononce, contrairement aux enseignements de la Cour dans les affaires Salah Sheekh c. Pays-Bas (no 1948/04, § 136, 11 janvier 2007), M.S.S. (précité, § 389), et Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique (n10486/10, § 106, 20 décembre 2011). Enfin, les requérants font valoir qu’ils ont également été privés d’un recours effectif contre la décision de refus de régularisation médicale puisqu’ils en ont appris l’existence qu’au cours de la procédure devant la Cour.

      196.  Le Gouvernement estime que la présente affaire doit être distinguée des affaires citées par les requérants. D’une part, ceux-ci n’ont jamais été en situation d’éloignement, ayant au contraire décidé eux-mêmes de rentrer en Serbie. D’autre part, la décision prise par les autorités à la suite de leur demande d’asile, même si elle portait uniquement sur la détermination de l’État responsable et excluait dès lors l’examen de celle-ci au fond, visait à assurer leur transfert vers la France, pays dans lequel ils n’avaient pas démontré, de manière défendable, qu’ils seraient victimes de traitements contraires à l’article 3 et ne pourraient bénéficier des conditions nécessaires pour faire valoir leurs craintes. Or, dans le cas où les étrangers ne font pas valoir de façon vraisemblable des conséquences potentiellement irréversibles liées à leur renvoi, l’effectivité au sens de l’article 13 ne requiert pas qu’ils disposent d’un recours de plein droit suspensif mais seulement d’une possibilité effective de contester la décision d’expulsion et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité (De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, § 83, CEDH 2012), ce qui n’est pas contesté par les requérants en l’espèce.

      ii.  Appréciation de la Cour

      α)  Sur l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention

      -  Principes généraux

      197.  La Cour rappelle sa jurisprudence bien établie en matière d’application de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention, aux cas d’expulsion d’étrangers, et notamment de demandeurs d’asile potentiels ou déboutés (voir, parmi d’autres, M.S.S., précité, §§ 286-293, et Hirsi Jamaa et autres, précité, §§ 197-200).

      198.  Compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, les voies de recours disponibles doivent présenter des garanties d’accessibilité, de qualité, de rapidité et d’effet suspensif.

      199.  La Convention ayant pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, dans le chef de toute personne relevant de la juridiction des États parties, l’effectivité commande des exigences de disponibilité et d’accessibilité des recours en droit comme en pratique. L’accessibilité en pratique d’un recours est particulièrement importante pour évaluer l’effectivité des recours ouverts aux demandeurs d’asile. Elle implique entre autres que l’exercice d’un recours ne soit pas entravé de manière injustifiée par des actes ou omissions des autorités (voir aussi M.S.S., précité, §§ 318-319 et 392). La Cour prend notamment en considération les obstacles linguistiques, la possibilité d’accès aux informations nécessaires et à des conseils éclairés, les conditions matérielles auxquelles peut se heurter l’intéressé et toute autre circonstance concrète de l’affaire (I.M. c. France, no 9152/09, § 150, 2 février 2012, A.C. et autres, précité, §§ 85-86, et Sharifi et autres, précité, §§ 167-169).

      200.  L’effectivité suppose en outre un recours d’une certaine qualité. L’article 13 exige un contrôle attentif, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (M.S.S., précité, §§ 293 et 387). L’article 13 astreint également l’instance compétente à effectuer un examen complet des griefs défendables tirés de l’article 3 ; les règles procédurales ne peuvent s’opposer à un examen ex nunc de tels griefs (Yoh-Ekale Mwanje, précité, § 106, et Singh et autres, précité, § 91). L’instance nationale doit être compétente pour examiner le contenu des griefs et pour offrir le redressement approprié (voir M.S.S., précité, § 387). Si l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’avoir une issue favorable, l’absence de toute perspective d’obtenir un redressement approprié pose problème sous l’angle de l’article 13 (M.S.S., précité, § 394).

      201.  De plus, l’article 13 commande que les instances de contrôle fassent preuve d’une diligence particulière (A.C. et autres, précité, §§ 88-103). Cela étant, la célérité ne doit pas être privilégiée aux dépens de l’effectivité de garanties procédurales essentielles visant à protéger les intéressés contre un refoulement arbitraire (I.M., précité, § 147, et A.C. et autres, précité, § 100). Tout en étant consciente de la nécessité pour les États de disposer des moyens nécessaires pour faire face au contentieux qui résulte de l’afflux important de demandeurs d’asile, la Cour considère en effet que, tout comme l’article 6 de la Convention, l’article 13 astreint les États à organiser les instances de contrôle de manière à répondre à l’ensemble des exigences d’effectivité (A.C. et autres, précité, § 104).

      202.  Enfin, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 combiné avec l’article 3 suppose un recours qui soit de nature à éviter que le préjudice ne se réalise. Cela signifie que le recours interne doit être suspensif de plein droit de l’exécution de la mesure d’éloignement (Čonka c. Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002-I, Gebremedhin [Gaberamadhien], précité, § 66, R.U. c. Grèce, no 2237/08, § 77, 7 juin 2011, Singh et autres, précité, § 92, et Hirsi Jamaa et autres, précité, §§ 205-207).

      -  Application des principes en l’espèce

      203.  La Cour observe, à la lumière des dispositions légales applicables et de la jurisprudence y relative (voir paragraphes 55-66, ci-dessus), qu’en droit belge, un ordre de quitter le territoire est une décision administrative exécutoire permettant à l’administration d’en poursuivre l’exécution forcée. En l’espèce, l’ordre donné aux requérants le 26 mai 2011 de quitter le territoire fut prolongé jusqu’au 25 septembre 2011 et pouvait ainsi être exécuté à tout moment à partir du 26 septembre 2011. Le 16 juin 2011, les requérants saisirent le CCE d’un recours en annulation et en suspension ordinaire de l’ordre de quitter le territoire.

      204.  Faute d’être détenus en vue de leur rapatriement, les requérants ne pouvaient pas obtenir la suspension en extrême urgence de leur expulsion en attendant que le CCE connaisse de leur recours en annulation au fond. Ils ont donc introduit, en même temps que le recours en annulation, une demande de suspension ordinaire de l’ordre de quitter le territoire. Ils se plaignent que l’exécution de l’ordre de quitter le territoire n’étant pas suspendue par l’effet de cette demande, à partir du 26 septembre 2011, Fedasil a interrompu l’aide matérielle dont ils bénéficiaient jusque-là, ce qui les a contraints à quitter la Belgique vers le pays qu’ils avaient fui sans que le bien-fondé de leurs craintes dans ce pays ait été examiné par les autorités auxquelles ils avaient demandé la protection.

      205.  Le Gouvernement concentre ses arguments sur la situation en France, pays intermédiaire dans le cadre de la procédure Dublin, et déduit de ce que les requérants n’ont pas convaincu le CCE qu’ils y risquaient des traitements contraires à l’article 3, que les requérants ne justifiaient pas du droit à bénéficier d’un recours suspensif de plein droit.

      206. La Cour ne peut pas suivre la thèse du Gouvernement. Les craintes qu’ont exprimées les requérants tant devant les autorités internes que devant elle concernaient les risques de traitements contraires à l’article 3 de la Convention qu’ils disaient encourir en cas de retour, direct ou indirect, en Serbie. Ces griefs étaient, de l’avis de la Cour, défendables (voir paragraphes 187-194, ci-dessus).

      207. Il s’ensuit que les requérants devaient, pour défendre ces griefs devant les juridictions belges, bénéficier d’un recours présentant les garanties d’effectivité requises en cas d’expulsion d’un étranger en vertu des articles 13 et 3 combinés tels qu’elles ont été résumées ci-dessus (voir paragraphes 197-202).

      208.  La Cour constate qu’en droit belge, le recours porté devant le CCE visant l’annulation d’un ordre de quitter le territoire n’est pas suspensif de l’exécution de l’éloignement. La loi sur les étrangers prévoit toutefois des procédures spécifiques pour en demander la suspension, soit la procédure de l’extrême urgence, soit la procédure de suspension « ordinaire » (voir paragraphes 60-63, ci-dessus).

      209.  La demande de suspension en extrême urgence a pour effet de suspendre de plein droit la mesure d’éloignement. En l’état du droit belge applicable à l’époque des faits, avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 avril 2014 (ibidem), le CCE pouvait, sur la base notamment d’un examen du caractère sérieux des moyens fondés sur la violation de la Convention, ordonner, dans un délai de soixante-douze heures, le sursis à l’exécution des décisions attaquées et prévenir de la sorte que les intéressés soient éloignés du territoire avant un examen approfondi de leurs moyens, à effectuer dans le cadre du recours en annulation.

      210.  La suspension de plein droit pouvait également être obtenue par le jeu d’une autre combinaison de recours : d’abord, un recours en annulation et une demande de suspension ordinaire dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision faisant grief ; ensuite, au moment où l’étranger faisait l’objet d’une mesure de contrainte, une demande de mesures provisoires en extrême urgence. Le CCE était alors dans l’obligation légale d’examiner, dans les 72 heures et en même temps, la demande de mesures provisoires en extrême urgence et la demande de suspension ordinaire introduite auparavant. L’introduction de la demande de mesures provisoires en extrême urgence avait, à partir du moment de son introduction, un effet de suspension de plein droit de l’éloignement.

      211.  Toutefois, en vertu de l’interprétation qu’a donnée le CCE de la notion d’extrême urgence, tant la demande de suspension en extrême urgence que la demande de mesures provisoires en extrême urgence nécessitaient, pour pouvoir être déclarées recevables et fondées, l’existence d’une mesure de contrainte, c’est-à-dire, en principe, la détention des intéressés (voir paragraphes 62-63, ci-dessus).

      212.  La Cour observe que ce système, tel que décrit ci-dessus (paragraphe 210), avait pour effet d’obliger l’étranger, qui était sous le coup d’une mesure d’éloignement et qui soutenait qu’il y avait urgence à demander le sursis à exécution de cette mesure, à introduire un recours conservatoire, en l’occurrence une demande de suspension ordinaire. Ce recours, qui n’avait pas d’effet suspensif de plein droit, devait être introduit dans le but de se préserver le droit de pouvoir agir lorsque la véritable extrême urgence, au sens donné par la jurisprudence du CCE, se réalise, c’est-à-dire au moment où l’étranger faisait l’objet d’une mesure de contrainte.

      213.  La Cour estime que ce système appelle plusieurs critiques.

      214.  Premièrement, on ne saurait exclure que, dans un système où la suspension est seulement accordée sur demande, au cas par cas, elle puisse être incorrectement refusée, notamment s’il devait s’avérer ultérieurement que l’instance statuant au fond doive quand même annuler la décision d’expulsion litigieuse pour non-respect de la Convention, par exemple parce qu’elle estime, après un examen plus approfondi, que l’intéressé risquerait quand même de subir des mauvais traitements dans le pays de destination. En pareil cas, le recours en extrême urgence exercé par l’intéressé n’aurait pas présenté l’effectivité voulue par l’article 13 (Čonka, précité, § 82, et A.C. et autres, précité, § 94).

      215.  Il convient de souligner que les exigences de l’article 13, tout comme celles des autres dispositions de la Convention, sont de l’ordre de la garantie, et non du simple bon vouloir ou de l’arrangement pratique. C’est là une des conséquences de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique inhérents à l’ensemble des articles de la Convention (Čonka, précité, § 83, Gebremedhin [Gaberamadhien], précité, § 66, R.U., précité, § 77, et A.C. et autres, précité, § 95).

      216.  Deuxièmement, selon la Cour, si la construction résultant du droit belge peut en théorie se révéler efficace, en pratique, elle peut s’avérer difficilement opérationnelle et très complexe. En l’espèce, le défaut de caractère suspensif de la demande de suspension ordinaire entraîne la fin de l’aide matérielle et a « forcé » les intéressés à retourner vers le pays qu’ils ont fui sans que le bien-fondé de leurs craintes n’ait été examiné ni par la Belgique dont la responsabilité avait été déclinée par l’OE (voir paragraphe 18, ci-dessus), ni par la France dont la responsabilité était contestée par eux alors que quelques mois plus tard, le CCE leur a donné gain de cause sur ce point (voir paragraphe 30, ci-dessus). La Cour estime que le système belge n’a pas présenté, dans les circonstances particulières de l’affaire, les garanties requises par l’article 13 combiné avec l’article 3 de disponibilité et d’accessibilité des recours en droit comme en pratique (voir paragraphes 197-202, ci-dessus).

      217.  Troisièmement, la Cour observe que ce système accule les intéressés, qui se trouvent déjà dans une position vulnérable, à agir encore in extremis au moment de l’exécution forcée de la mesure. Cette situation est d’autant plus préoccupante dans le cas d’une famille accompagnée d’enfants mineurs, sachant que l’exécution de la mesure sous la forme d’un placement en détention, si elle ne peut pas être évitée, doit être réduite au strict minimum conformément, notamment, à la jurisprudence de la Cour (Muskhadzhiyeva et autres, Kanagaratnam, et Popov, précités).

      218.  Quatrièmement, la Cour ne peut faire abstraction des délais de la procédure en cause. Le recours en annulation de l’ordre de quitter le territoire a été introduit le 16 juin 2011 et les plaidoiries ont eu lieu le 26 août 2011. Or, le CCE n’a rendu son arrêt, dans un sens favorable aux requérants, que le 29 novembre 2011 après que ces derniers soient partis vers le pays qu’ils avaient fui et sans que le bien-fondé de leurs craintes, telles que formulées devant les instances d’asile belges, n’ait été examiné par ces autorités ou par les autorités françaises. Cette situation les a privés, en pratique, de la possibilité de poursuivre la procédure en Belgique et en France. Eu égard à la nature des moyens invoqués devant le CCE et aux conséquences graves découlant de la décision attaquée devant lui pour la situation juridique et matérielle des requérants, la Cour estime que le recours en annulation était également inadéquat en raison de sa durée.

      219.  La Cour constate, enfin, que les requérants ont tenté une autre voie pour éviter qu’il ne soit procédé à leur éloignement. En effet, ils ont introduit une demande de régularisation de leur séjour pour raisons médicales fondée sur l’article 9ter de la loi sur les étrangers (voir paragraphe 33, ci-dessus). Toutefois, les requérants n’ont appris l’existence de cette décision qu’ultérieurement au cours de la procédure devant la Cour (voir paragraphes 35-36, ci-dessus). Il s’ensuit qu’ils n’ont pas eu de recours effectif pour contester cette décision non plus.

      220.  Au vu de l’analyse du système belge tel qu’il était en vigueur au moment des faits de la présente affaire, la Cour conclut que les requérants n’ont pas disposé d’un recours effectif, dans le sens d’un recours à la fois suspensif de plein droit et permettant un examen rapide et effectif des moyens tirés de la violation de l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

      β)  Sur l’article 13 combiné avec l’article 2 de la Convention

      221.  Vu la conclusion précédente et les circonstances de l’affaire, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les griefs des requérants sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 2 de la Convention (voir, M.S.S., précité, §§ 322 et 397).

      IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

      222.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

      « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

      A.  Dommage

      223.  Les requérants réclament 64 750 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi, somme qu’ils répartissent comme suit : 3 250 EUR pour chacun des sept requérants à l’origine de la requête correspondant à 125 EUR par requérant par jour passé à la rue (vingt-six jours), et 7 000 euros pour chacun des six requérants actuels suite au décès de la fille aînée.

      224.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

      225.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à la non-violation de l’article 2 de la Convention (voir paragraphe 160, ci-dessus). Elle n’accorde donc aucune indemnité au titre du dommage moral subi en raison du décès de la fille aînée des requérants.

      226.  En revanche, ayant conclu à la violation de l’article 3 et étant convaincue que les requérants ont subi un préjudice moral certain en raison de leurs conditions d’existence en Belgique après leur éviction du centre d’hébergement, la Cour, statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, octroie aux parents requérants, pour eux-mêmes et en tant que représentants des enfants et ayants-droit de leur enfant décédée, la totalité de la somme demandée à ce titre, soit 22 750 EUR.

      B.  Frais et dépens

      227.  Les requérants demandent également 8 120 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Leur représentante fournit à l’appui un état des frais et honoraires et indique que le montant réclamé correspond à quatre-vingt-neuf heures de travail à un tarif horaire de quatre-vingt-dix euros. Le reste concerne des frais de photocopies et de communication.

      228.  Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

      229.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de la particulière complexité de l’affaire, la Cour estime que la somme réclamée est raisonnable et décide de l’accorder dans son entièreté aux parents requérants, pour eux-mêmes et en tant que représentants des enfants et ayants-droit de leur enfant décédée.

      C.  Intérêts moratoires

      230.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

      PAR CES MOTIFS, LA COUR

      1.  Joint au fond, à la majorité, l’exception préliminaire tirée par le Gouvernement du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne les conditions d’accueil et la rejette ;

       

      2.  Rejette, à la majorité, les autres exceptions préliminaires ;

       

      3.  Déclare, à la majorité, la requête recevable ;

       

      4.  Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions d’accueil des requérants en Belgique ;

       

      5.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention ;

       

      6.  Dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

       

      7.  Dit, par six voix contre une, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les griefs tirés de l’article 13 combiné avec l’article 2 de la Convention ;

       

      8.  Dit, par cinq voix contre deux,

      a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, V.M. et G.S.M., pour eux-mêmes et en tant que représentants des enfants et ayants-droit de leur enfant décédée, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

      i)  22 750 EUR (vingt-deux mille sept cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

      ii)  8 120 EUR (huit mille cent vingt euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

      b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

       

      9.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

      Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juillet 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

          Abel Campos                                                                        Işıl Karakaş
        Greffier adjoint                                                                        Présidente

      Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges Sajó, Keller et Kjølbro.

      A.I.K.
      A.C.


      OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

       

      Je ne peux malheureusement pas souscrire au constat de la majorité selon lequel il y a eu violation de l’article 3 de la Convention (conditions d’accueil) et de l’article 13 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention dans la présente affaire.

      J’ai eu le privilège de lire les opinions dissidentes de mes collègues les juges Keller et Kjølbro. Je trouve leurs points de vue très pertinents et convaincants.

      Je souhaiterais seulement ajouter ce qui suit : concernant la violation alléguée de l’article 3 de la Convention (conditions d’accueil), même en admettant qu’il y ait eu une base légale à une obligation d’hébergement dans l’urgence, une place d’accueil avait été attribuée aux requérants. Les explications de ces derniers ne sont pas en mesure de changer le fait qu’une place d’accueil leur était offerte.

      La situation des demandeurs d’hébergement en Belgique est différente de celle observée en Grèce dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC], no 30696/09, CEDH 2011). En Grèce, la situation précaire était le résultat de l’inaction illégale des autorités. Cela n’est pas le cas ici ; en outre, les autorités belges ont apporté un soutien très généreux aux requérants sur une longue période.

      Concernant l’article 13 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention, pour l’évaluation globale d’un risque réel de subir des traitements contraires à ces deux dernières dispositions, je voudrais mentionner que la Serbie est un pays membre du Conseil de l’Europe. De plus, aucun arrêt de la Cour n’a constaté qu’il existait une telle situation concernant les articles 2 et 3 de la Convention. Pour autant, cela ne veut pas dire que la situation des Roms, telle que décrite dans les documents pris en considération par la majorité, n’est pas alarmante d’un point de vue humanitaire.

       


       

      OPINION DISSIDENTE DU JUGE KELLER

      I.  Introduction

      1.  Je partage entièrement la position de la majorité selon laquelle il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention (voir le point 4 du dispositif). Cependant, je ne peux malheureusement pas souscrire au constat de la majorité selon lequel il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention dans la présente affaire.

      2.  Il convient d’abord de rappeler les faits et de démontrer l’importance de la présente affaire pour le système « Dublin » (II), puis de présenter le droit pertinent de l’UE et la jurisprudence y relative (III). Les principes de notre propre jurisprudence seront ensuite discutés (IV) et, enfin, leur application à la présente espèce sera abordée sous l’angle de la « défendabilité » des griefs des requérants (V).

      II.  La portée de la présente affaire

      3.  Il s’agit d’une affaire Dublin concernant une famille rom d’origine serbe qui a été « forcée » de retourner en Serbie. Les requérants allèguent, entre autres, que leur éloignement, direct ou indirect, par la France, vers la Serbie et le refus de régularisation de leur séjour les ont exposés à un risque pour la vie de leur fille aînée et au risque de subir des traitements inhumains et dégradants en violation des articles 2 et 3 de la Convention précités et, sur le terrain de l’article 13 de la Convention, qu’ils n’ont pas bénéficié d’un recours effectif pour faire valoir ces griefs (paragraphes 174 et 175 de l’arrêt). S’agissant d’un transfert « Dublin » et étant donné que la France avait accepté la reprise en charge des requérants en vertu de l’article 16 § 1 du « règlement Dublin II » [CE no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003], les autorités nationales belges n’ont pas examiné le bien-fondé des craintes des requérants ni sur le terrain du droit d’asile ni sur celui de la régularisation (paragraphe 176 de l’arrêt). Du point de vue de la Convention, la question importante qui se pose est celle de savoir si « les griefs que les requérants tiraient des articles 2 et 3 la Convention étaient des « griefs défendables » qu’ils devaient pouvoir soumettre à un examen au fond devant une instance nationale dans le cadre d’une procédure conforme aux exigences de l’article 13 de la Convention » (paragraphe 187 de l’arrêt).

      4.  La présente requête s’inscrit dans le contexte d’une série d’affaires portant sur les effets d’un transfert « Dublin » au regard de la Convention (T.I. c. Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, CEDH 2000-III, K.R.S. c. Royaume-Uni (déc.), no 32733/08, 2 décembre 2008, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, CEDH 2011, et Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, CEDH 2014 (extraits)). La manière dont la Cour examine dans la présente affaire l’exigence de « griefs défendables » sera donc d’une importance générale pour tout l’ordre juridique européen.

      III.  Le droit pertinent de l’UE

      5.  Au sein de l’UE existe une présomption selon laquelle chaque État membre respecte les droits fondamentaux de l’Union. Selon la CJUE, « la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, plus particulièrement, du système européen commun d’asile » est fondée « sur la confiance mutuelle et une présomption de respect, par les autres États membres, du droit de l’Union et, plus particulièrement, des droits fondamentaux » (arrêt de la CJUE du 21.12.2011 - C-411/10 et C-493/10, N.S. contre Secretary of State for the Home Department and Others, § 83). D’après la CJUE, il s’ensuit que les États membres de l’Union « ont le droit d’avoir confiance dans cette présomption dans le cas d’une décision sur le rapatriement dans un autre État membre de la Réglementation Dublin » (ibidem, § 79).

      6.  Cependant, la CJUE a également précisé que cette présomption n’est pas irréfutable : « le droit de l’Union s’oppose à l’application d’une présomption irréfragable selon laquelle l’État membre que l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 343/2003 désigne comme responsable respecte des droits fondamentaux de l’Union » (ibidem, § 105). En conséquence, « dans l’hypothèse où il y aurait lieu de craindre sérieusement qu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne], des demandeurs d’asile transférés vers le territoire de cet État membre, ce transfert serait incompatible avec ladite disposition ». La CJUE a réaffirmé cette jurisprudence (arrêt de la CJUE du 12 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi contre Bundesasylamt, § 60, et arrêt de la CJUE du 14 novembre 2013, C-4/11 Kaveh Puid contre Bundesrepublik Deutschland, § 30), qui est désormais codifiée dans le nouveau « règlement Dublin III » (no 604/2013, article 3 (2)).

      IV.  Les principes découlant de notre jurisprudence

      a.  Le rapport entre le droit de l’UE et la Convention

      7.  Dans la décision T.I. (précitée), la Cour a estimé que le système « Dublin » n’exonérait pas les États parties de leur responsabilité au regard de la Convention et, qu’en conséquence, il lui incombait, également dans le contexte des renvois « Dublin », de vérifier si les obligations de protéger un requérant contre le risque de subir des actes de torture ou des mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention avaient été respectées.

      « La Cour estime qu’en l’espèce le refoulement indirect vers un pays intermédiaire qui se trouve être également un État contractant n’a aucune incidence sur la responsabilité du Royaume-Uni, qui doit veiller à ne pas exposer le requérant à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention par sa décision de l’expulser. Dans ce contexte, le Royaume-Uni ne peut pas non plus s’appuyer d’office sur le système établi par la Convention de Dublin pour attribuer, au sein des pays européens, la responsabilité de statuer sur les demandes d’asile. Lorsque des États établissent des organisations internationales ou, mutatis mutandis, des accords internationaux pour coopérer dans certains domaines d’activité, la protection des droits fondamentaux peut s’en trouver affectée. Il serait contraire au but et à l’objet de la Convention que les États contractants soient ainsi exonérés de toute responsabilité au regard de la Convention dans le domaine d’activité concerné (voir, par exemple, l’arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], n26083/94, § 67, CEDH 1999-I). »

      8.  De plus, dans l’affaire M.S.S. (précitée, § 339), puis dans l’affaire Tarakhel (précitée, §§ 88 et suiv.), la Grande Chambre de la Cour a précisé que la présomption d’équivalence ne s’appliquait pas dans le cadre d’un transfert « Dublin » :

      « La Cour relève que l’article 3 § 2 du règlement Dublin prévoit que, par dérogation à la règle générale inscrite à l’article 3 § 1, chaque État membre peut examiner une demande d’asile qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement. Il s’agit de la clause dite de « souveraineté ». Dans ce cas, cet État devient l’État membre responsable au sens du règlement de l’examen de la demande d’asile et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. »

      b.  Le critère applicable au refoulement

      9.  De la Convention découle l’obligation des États parties de ne pas expulser une personne lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que celle-ci courra, dans le pays de destination, un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention (voir, par exemple, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 152, CEDH 2008, et Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, §§ 90-91, série A no 161).

      10.  À la différence de ce qui est prévu par le droit de l’UE applicable aux transferts « Dublin », le critère pertinent au regard des articles 2 et 3 de la Convention n’est donc pas l’existence de défaillances systémiques dans le pays de destination, mais l’existence d’un risque réel d’y subir des traitements contraires à la Convention. Comme la Cour suprême du Royaume-Uni l’a relevé à juste titre dans un arrêt du 19 février 2014 ([2014] UKSC 12]) cité par la Grande Chambre dans l’affaire Tarakhel (précitée, §§ 52 et suiv.), « une violation des droits garantis par l’article 3 de la Convention peut aussi bien se produire en l’absence de toute défaillance systémique ».

      11.  Cela étant, il existe au sein du Conseil de l’Europe également une présomption selon laquelle chaque État partie respecte ses engagements lui incombant en vertu de la Convention. Dans la décision T.I. (précitée), la Cour a énoncé qu’aucun élément ne lui donnait à penser « que dans cette affaire l’Allemagne pourrait manquer à ses obligations découlant de l’article 3 de la Convention, à savoir garantir au requérant une protection contre le refoulement». Plus explicitement encore, dans la décision rendue dans l’affaire K.R.S. (précitée), qui concernait un transfert « Dublin » vers la Grèce, la Cour, après avoir rappelé que ce pays, en tant qu’État contractant, s’était engagé à respecter les obligations imposées par la Convention et à garantir à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés consacrés par celle-ci, y compris ceux garantis par l’article 3, a relevé que, en l’absence de toute preuve contraire, il convenait « de présumer que la Grèce respectera cette obligation à l’égard de toute personne renvoyée, y compris du requérant ». De plus, la Cour a jugé que cette présomption s’appliquait également s’agissant du respect du droit de l’UE : « il convient donc de présumer que la Grèce se conformera aux obligations qui lui incombent en vertu de ces directives ».

      12.  Certes, dans l’affaire M.S.S (précitée), la Grande Chambre a entre-temps requalifié la situation par rapport à la Grèce et, dans l’affaire Tarakhel (précitée), elle a en outre estimé que le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile en Italie souffrait également de défaillances au regard de la Convention. Cependant, dans ces deux affaires, la Cour a reconfirmé sa jurisprudence antérieure et maintenu le principe développé dans les décisions T.I. et K.R.S. (précitées) selon lequel il existe, en principe, une présomption de respect par chaque État partie de ses engagements lui incombant en vertu de la Convention.

      V.  Sur l’existence des « griefs défendables » en l’espèce

      13.  La majorité arrive à la conclusion que les griefs des requérants « auraient été dignes d’un examen au fond devant une instance nationale dans le cadre d’une procédure conforme aux exigences d’effectivité requises par l’article 13 » (paragraphe 194 de l’arrêt), étant donné que « la demande d’asile déposée par les requérants en France avait été rejetée depuis près d’un an » (paragraphe 190 de l’arrêt), et que, par conséquent, les requérants n’avaient aucune garantie de ne pas être éloignés vers la Serbie, où les attendaient des conditions déplorables et une absence d’accès aux soins de santé, au logement ou à l’éducation (paragraphes 113-115, 193 et 194 de l’arrêt).

      14.  Ainsi, la majorité estime qu’il a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention : « Au vu de l’analyse du système belge tel qu’il était en vigueur au moment des faits de la présente affaire, la Cour conclut que les requérants n’ont pas disposé d’un recours effectif, dans le sens d’un recours à la fois suspensif de plein droit et permettant un examen rapide et effectif des moyens tirés de la violation de l’article 3 de la Convention.» (paragraphe 220 de l’arrêt).

      15.  À mon avis, la majorité ne tient pas suffisamment compte des principes découlant de notre jurisprudence énoncés ci-dessus (IV) et applique ceux-ci de manière erronée à la présente cause.

      16.  Pour que les garanties de l’article 13 de la Convention trouvent à s’appliquer en l’espèce, les griefs selon lesquels le refoulement des requérants vers la France leur ferait courir un risque réel et sérieux de traitements contraires à l’article 3 de la Convention (Soering, précité, §§ 90-91 ; voir le point IV ci-dessus) doivent être qualifiés de défendables. Il incombe donc à la Cour d’examiner l’exigence de griefs défendables par rapport à la situation en France (M.S.S., précité, §§ 341-343). Un grief peut être considéré comme étant défendable dès lors qu’il n’est pas prima facie non fondé et qu’il mérite un examen au fond par les instances nationales compétentes (paragraphes 187 et 188 de l’arrêt).

      17.  En effet, la majorité semble ignorer dans son raisonnement que la France est un État partie à la Convention et que, selon notre jurisprudence (voir le point IV ci-dessus), la Belgique pouvait, en l’absence de toute preuve du contraire, présumer que la France respectait ses obligations en vertu de la Convention et n’expulserait pas les requérants vers la Serbie en cas de risque pour eux de subir un traitement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention.

      18.  En l’espèce, je ne vois aucun indice permettant de réfuter cette présomption. Comme mon collègue le juge Kjølbro le relève dans son opinion dissidente, nous n’avons pas d’informations selon lesquelles le système d’asile en France ne serait pas conforme aux exigences de la Convention. De plus, le seul fait que les requérants avaient, auparavant, déjà fait l’objet d’une décision de rejet de leur demande d’asile par les autorités françaises ne suffit pas non plus, à mon avis, à suggérer que la France ne sauvegarderait pas les droits des requérants sous l’angle de la Convention.

      VI.  Conclusion

      19.  Compte tenu de ce qui précède, je parviens à la conclusion que les autorités belges pouvaient faire confiance à la France en ce que celle-ci respecterait ses engagements lui incombant en vertu de la Convention. Par conséquent, les griefs des requérants selon lesquels leur refoulement vers la France les exposerait à un risque réel et sérieux de traitements contraires à l’article 3 de la Convention ne me semblent pas être défendables. À mon avis, il n’y a donc pas eu de violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

       


       

      OPINION DISSIDENTE DU JUGE KJØLBRO

       

      1.  I respectfully disagree with the majority in their assessment of the applicants’ complaints about the conditions of reception and also the procedure for asylum and regularisation. In my view, there has been no violation of Article 3 of the Convention with regard to the conditions of reception. Nor has there been a violation of Article 13 in combination with Article 3 as regards the procedure for asylum and regularisation.

      The conditions of reception

      2.  As mentioned in the judgment (see paragraph 140), the period relevant for the Court’s assessment is from 26 September 2011, when the applicants were required to leave the reception centre in Saint-Trond, until 25 October 2011, when the applicants voluntarily left Belgium for Serbia. The question is whether there was a violation of Article 3 of the Convention due to the conditions of reception during these 29 days.

      3.  It is important to note that the Belgian authorities had decided, after having obtained the consent of the French authorities and in accordance with the relevant EU legislation (Article 16 § 1 of Council Regulation (EC) no. 343/2003 of 18 February 2003 establishing the criteria and mechanisms for determining the Member State responsible for examining an asylum application lodged in one of the Member States by a third-country national), that the applicants were to be returned to France as the first asylum country responsible for assessing the applicants’ asylum request, and the applicants had been ordered to leave the country. However, the applicants refused to comply with the order and decided to remain in Belgium, and their stay was thus illegal according to domestic legislation.

      4.  A foreigner who wilfully disobeys a decision to leave a country and decides to remain in the country illegally cannot expect to be treated in the same way as foreigners who are residing in the country lawfully while their request for asylum or regularisation is being processed by the authorities. That being stated, it goes without saying that although they were illegally resident in Belgium the applicants were protected by Article 3 of the Convention.

      5.  Under Belgian legislation (the Reception Act) as it was interpreted at the relevant time and prior to the subsequent rulings of the ECJ in C-179/11, judgment of 27 September 2012, and C-79/13, judgment of 27 February 2014 (see paragraphs 105-106 of the judgment), the obligation to provide for the applicants’ material needs ceased to apply when a decision to return the applicants to France as the first asylum country had been adopted and they had been ordered to leave the country. Thus, the general obligation under domestic legislation for the Belgian authorities to provide for the applicants’ material needs no longer applied, as the applicants were unlawfully resident in Belgium (see paragraph 84 of the judgment). On the contrary, it was for the French authorities, in accordance with EU legislation, to care for the applicants and to provide for their material needs. In other words, the applicants no longer had a general right under Belgian legislation (the Reception Act) to have their material needs provided for in the same manner and at the same level as had been the case from 1 April 2011 until 26 September 2011.

      6.  In assessing whether Article 3 of the Convention was violated, it is important to notice that Article 3 of the Convention does not as such guarantee social and economic rights. More specifically, Article 3 does not guarantee a general right to appropriate accommodation or to assistance to provide for basic and material needs (see M.S.S. v. Belgium and Greece [GC], no. 30696/09, § 249, ECHR 2011). Failure to provide persons with accommodation and material needs may, in exceptional circumstances, raise an issue under Article 3 of the Convention, in particular when such a right has entered into positive law (see M.S.S., cited above, §§ 250-253 and 263).

      7.  A foreigner cannot, by wilfully disobeying an order to leave a country and deciding to stay in the country illegally, create a de facto situation where the country in question has a positive obligation under Article 3 of the Convention to provide for the foreigner’s material needs, including accommodation, health care, clothing and food, in the same way as foreigners who are lawfully resident in the country. That would, in my view, amount to creating an independent right to social and economic rights under Article 3 of the Convention.

      8.  The fact that the general obligation under domestic legislation (section 1 of the Reception Act) and EU legislation (Council Directive 2003/9/EC of 27 January 2003 laying down minimum standards for the reception of asylum seekers), as interpreted at the relevant time, to provide for the applicants’ material needs had ceased to apply from the moment the applicants’ stay in the country became illegal (see paragraph 84), did not imply that the applicants were left without access to any support from the Belgian authorities. They did have access to some support, albeit in a more restricted form and of a different and lower level.

      9.  Thus, on 5 October 2011 (see paragraph 47) the applicants were admitted to the transit centre in Woluwe-Saint-Pierre, where they stayed for two days. On 7 October 2011 (see paragraph 48) the applicants were assigned to the reception centre for asylum seekers in Bovigny as their obligatory place of inscription. However, according to the information provided by the authorities, the applicants never showed up at the Bovigny centre (see paragraph 49). For reasons unknown to the Court, the applicants did not wish to make use of the accommodation offered. In my view, there is no basis for questioning the information provided by the Belgian Government to the effect that the applicants did not turn up at the centre.

      10.  Furthermore, the applicants did have access to some social aid, irrespective of their illegal nature of their residence in Belgium. In particular, the applicants could have contacted the competent territorial CPAS and asked for assistance in accordance with section 60 of the Reception Act (see paragraph 86). They could also have addressed the Fedasil and requested assistance in accordance with section 7 §§ 1 and 2 or section 25 § 4 of the Reception Act (see paragraphs 85 and 87). Furthermore, they could have requested urgent medical assistance and essential material aid from CPAS in accordance with section 57 § 2 of the Act laying down organisational principles (see paragraph 72). This would in particular have been feasible had the applicants gone to the Bovigny reception centre for asylum seekers, as they were encouraged to do. Furthermore, had their requests been rejected and they were refused assistance, it would have been possible to challenge such a refusal before the Labour Tribunal (see paragraphs 88-91). The facts that the applicants did not show up at the assigned centre and that they failed to make use of available remedies should not be held against the defendant Government.

      11.  To conclude, and having particular regard to the interpretation of the domestic legislation at the relevant time, the accommodation offered to the applicants, the possibility to seek social assistance and the brief duration of the period in question, the required minimum level of severity under Article 3 has not been reached. Therefore, in my view, there has been no violation of Article 3 of the Convention as regards the applicants’ conditions of reception from 26 September 2011 until 25 October 2011.

      The procedure for asylum and regularisation

      12.  The applicants complain that their removal, direct or indirect, to Serbia and the refusal to regularise their stay in Belgium amounted to a violation of Article 2 and 3 of the Convention, in that it put their oldest daughter’s life at risk and placed all of the applicants at risk of inhuman and degrading treatment (see paragraph 173). Furthermore, they complain that they did not have access to an effective remedy, in violation of Article 13 of the Convention (see paragraph 174).

      13.  As regards the complaint concerning the refusal to regularise the applicants’ stay in Belgium, that is, the refusal to grant the applicants a residence permit for health reasons on the basis of section 9ter of the Aliens Act, the applicants’ request was declared inadmissible by the Aliens Office on 30 September 2011 as the medical report submitted by the applicants in support of their request did not contain the necessary information, that is, it did not mention the degree of gravity of the illness in question as required by domestic law (see paragraphs 34 and 67-70). Furthermore, the applicants did not appeal against the decision by the Aliens’ Office.

      14.  By failing to submit a request in accordance with domestic legislation and by not lodging an appeal against the refusal, the applicants have not, in my view, exhausted domestic remedies (see Vučković and Others v. Serbia, no. 17153/11 and 29 other cases, § 72, 28 August 2012). Therefore, this part of the application should, as regards Articles 3 and 13, be declared inadmissible in accordance with Article 35 of the Convention.

      15.  The remainder of the applicants’ complaints under Articles 3 and 13 concern the alleged risk of inhuman and degrading treatment arising from their removal, direct or indirect, to Serbia, and the lack of an effective remedy to deal with their complaint. The core of the complaint is the alleged risk of ill-treatment in Serbia and the failure of the Belgian authorities to assess their asylum request.

      16.  Article 3 applies if the applicant has adduced evidence capable of proving that there are “substantial grounds for believing” that, if a measure complained of were to be implemented, the applicant would be exposed to a real risk of being subjected to treatment contrary to Article 3 (see M.S.S., cited above, § 365, and Azimov v. Russia, no. 67474/11, §§ 112-113, 18 April 2013). Further, in this context Article 13 only applies if the applicant has an “arguable complaint” that there has been or will be a violation of Article 3 of the Convention (see M.S.S., cited above, §§ 288 and 385).

      17.  The applicants had requested asylum in Belgium; however, the Belgium authorities did not assess the applicants’ asylum request. Instead, the Belgian authorities, in accordance with the relevant domestic legislation and EU legislation, decided that the applicants should be returned to France as the first asylum country responsible for assessing the applicants’ request for asylum. The applicants were not at risk of being returned to Serbia from Belgium. If they did not leave Belgium voluntarily, they could be returned to France. Therefore, the “substantial grounds” and the “arguable complaint” must be assessed in light of the situation in France (see M.S.S., cited above, §§ 341-343). France had accepted the return of the applicants in accordance with the relevant EU legislation and had thus recognised its responsibility for the applicants as asylum seekers; further, France is bound by the Convention.

      18.  There is no basis for alleging that the processing of asylum requests or the conditions of reception for asylum seekers in France in general are deficient and not in conformity with the requirements of the Convention, quite the contrary (see M.S.S., cited above, §§ 344-361 and 364-368). Nor is there any basis for assuming that the applicants, in the specific circumstances of this case, would not be provided with the guarantees of Article 3 and 13 of the Convention were they returned to France. The mere fact that the applicants’ request for asylum in France had been rejected cannot in itself justify an assumption that the applicants would not be protected by Article 3 and Article 13 in France. On the contrary, it can be assumed that the applicants could have requested a reassessment of their asylum request in France on the basis of relevant new facts. Furthermore, the Court does not convincingly argue why the applicants had an “arguable complaint”, taking into account the situation in France.

      19.  In my view, there is therefore no basis for finding a violation of Articles 3 and 13 had the applicants been returned to France as the first asylum country.

      20.  That being stated, I should like to add another observation. Even assuming that the situation in Serbia is relevant for the assessment of whether Belgium has complied with its obligations under Article 3 and 13, it is necessary to assess the relevant background information on the Roma population in Serbia.

      21.  It is well documented that the general situation for the Roma population in Serbia is difficult and has been criticised (see, inter alia, reports of 10 September 2013 and 23 June 2014 from the Advisory Committee on the Framework Convention for the Protection of National Minorities; reports of 15 November 2013, 24 January 2014 and 14 February 2014 from Landinfo; report of 22 September 2011 from the Council of Europe Commissioner for Human Rights; the country report of 8 April 2011 from the USDOS; COI report of 1 March 2010 from the British Home Office).

      22.  However, the fact that the general situation for Roma in Serbia is difficult and has been criticised is an insufficient basis for stating that all persons of Roma origin from Serbia are entitled to protection under Article 3 of the Convention against a return to Serbia. The general background information is, in my view, not even enough to allege that there is “substantial grounds” or “an arguable complaint”. This inevitably depends on an assessment of the applicants’ individual circumstances. Having regard to the specific circumstances of the case, including the nature of the information provided by the applicants to the Belgian authorities and their rejected asylum request in France, I find it questionable that there is a basis for alleging that there are “substantial grounds” or an “arguable complaint”; however, having regard to the reasons set out above, I do not find it necessary to take a final position on that question.

      Conclusion

      23.  For the reasons set out above, I voted for finding no violation of Article 3 of the Convention as regards the conditions of reception, and no violation of Article 13 taken in conjunction with Article 3 as regards the procedure for asylum and regularisation. My main concern is the Court’s finding of a violation of Article 13 taken in conjunction with Article 3. In my view, the Court’s finding may have significant and negative consequences for the proper functioning of the cooperation between EU Member States regarding the processing of requests for asylum, including the return of asylum seekers to the first asylum country in accordance with the relevant EU legislation. In practice, the judgment may be understood as imposing an obligation on EU Member States not only to assess whether an asylum seeker may be returned to another EU Member State as the first asylum country, but also to assess and address the alleged risk of ill-treatment in the country of origin, even when there is no basis for criticising the proper functioning of the asylum procedure or the conditions of reception for asylum seekers in the EU Member State which is the first asylum country.


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