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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ZAFER OZTURK v. TURKEY - 25774/09 - Chamber Judgment (French Text) [2015] ECHR 723 (21 July 2015) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/723.html Cite as: [2015] ECHR 723 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ZAFER ÖZTÜRK c. TURQUIE
(Requête no 25774/09)
ARRÊT
STRASBOURG
21 juillet 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Zafer Öztürk c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
András Sajó, président,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 juin 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 25774/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Zafer Öztürk (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 10 février 2014, la Requête a été communiquée au Gouvernement.
4. Le requérant a été autorisé par le Président de la Chambre à présenter sa cause lui-même et à employer la langue turque pour ses observations écrites, conformément aux articles 34 § 3 et 36 § 5 du Règlement de la Cour.
EN FAIT
5. Le requérant est né en 1947 et réside à Denizli.
6. Le 5 février 2001, l’épouse du requérant, G.Ö., se rendit à l’hôpital public de Denizli, où elle fut examinée par le médecin gynécologue D.P., qui diagnostiqua la présence d’un fibrome utérin, une tumeur bénigne développée à partir des fibres musculaires de l’utérus. Il lui indiqua qu’en raison d’une hémorragie importante, un traitement médicamenteux était d’abord nécessaire avant de procéder par la suite à une intervention chirurgicale.
7. Le même jour, elle fut examinée par le médecin gynécologue M.E.S. à l’hôpital universitaire de Pamukkale, qui confirma le diagnostic de son confrère. Il estima cependant que l’intéressée devait se faire opérer d’urgence.
8. Le 6 février 2001, G.Ö. subit à l’hôpital une hystérectomie vaginale effectuée par le médecin M.E.S.
9. Le 8 février 2001, elle fut renvoyée chez elle.
10. Le 10 février 2001, elle se rendit à l’hôpital pour un examen postopératoire, qui ne révéla pas d’anomalie.
11. Le 12 février 2001, souffrant d’une fièvre élevée et de nausées, G.Ö. se rendit à nouveau à l’hôpital, où elle fut hospitalisée.
12. Les jours suivants, son état de santé empira.
13. Le 18 février 2001, G.Ö. fut transférée à l’hôpital universitaire de l’Égée à İzmir.
14. Le 20 février 2001, elle y décéda d’une hépatite toxique et d’un sepsis.
A. La procédure pénale intentée contre le médecin mis en cause
15. Le 21 mars 2001, le requérant déposa une plainte pénale auprès du parquet de Denizli contre le médecin M.E.S., pour négligence et imprudence ayant entraîné le décès de son épouse G.Ö.
16. Le 25 octobre 2001, le rectorat de l’Université de Pamukkale refusa d’accorder l’autorisation d’engager des poursuites contre le médecin M.E.S.
17. Le requérant fit opposition contre cette décision devant le Conseil d’État.
18. Le 23 octobre 2002, le Conseil d’État autorisa les poursuites pénales et transmit le dossier au parquet.
19. Le requérant se constitua partie intervenante à la procédure pénale entamée devant le tribunal correctionnel de Denizli contre le médecin M.E.S.
20. Les juges décidèrent de saisir le Conseil supérieur de la santé pour expertise.
21. Le 3 décembre 2004, le Conseil supérieur de la santé rendit son rapport, concluant que le médecin M.E.S. avait commis une faute professionnelle. Le passage pertinent en l’espèce de ce rapport se lisait comme suit :
« Au vu des éléments du dossier médical et compte tenu de l’absence d’autopsie, la cause exacte du décès de Mme G.Ö. n’a pas pu être établie de manière définitive.
Le diagnostic posé et le traitement chirurgical proposé au patient étaient conformes aux règles médicales.
La technique opératoire choisie était cependant erronée. En effet, la taille du fibrome était beaucoup trop importante pour envisager une hystérectomie par voie vaginale.
La surveillance postopératoire était insuffisante.
La patiente avait été amenée à quitter l’hôpital de façon précoce, sans que les analyses nécessaires aient été effectuées.
Nous estimons que le médecin mis en cause est fautif pour une part de 2/8.
Le reste de la responsabilité est imputable à des facteurs externes à celui du fonctionnement du service médical. »
22. Le médecin mis en cause contesta les conclusions du Conseil supérieur de la santé. Le tribunal demanda alors une contre-expertise à la chambre spécialisée de l’institut médicolégal.
23. La chambre spécialisée de l’institut médicolégal rendit son rapport définitif le 18 juillet 2007. La partie pertinente en l’espèce dudit rapport se lisait comme suit :
« Le diagnostic de fibrome utérin était correct.
L’indication d’une hystérectomie était appropriée. L’hystérectomie par voie vaginale pouvait être privilégiée par un médecin expérimenté. L’opération avait été réalisée avec succès.
Au vu de l’absence de complication postopératoire, l’intervention chirurgicale [a eu lieu] en conformité avec les règles médicales.
Il n’y avait pas d’obstacle médical à ce que la patiente quitte l’hôpital après l’opération.
Les médicaments utilisés lors de l’anesthésie étaient conformes aux règles médicales.
Le traitement médical administré à la patiente lorsqu’elle est arrivée dans un état fiévreux à l’hôpital le 12 février 2001 était conforme aux règles médicales.
Nous estimons à l’unanimité que le médecin mis en cause n’est pas fautif. »
24. Par un jugement du 13 novembre 2007, le tribunal correctionnel de Denizli décida, sur le fondement du rapport d’expertise du 3 décembre 2004, de condamner le médecin M.E.S. à une peine d’emprisonnement de six mois, laquelle fut commuée en une peine d’amende de 575 YTL (soit environ 340 euros (EUR) à l’époque des faits), assortie d’un sursis à exécution.
25. Par un arrêt du 7 octobre 2008, la Cour de cassation cassa le jugement du 13 novembre 2007. Elle estima que la juridiction de première instance aurait dû décider de surseoir au prononcé du jugement pour une période de cinq ans, en vertu de l’article 231 du code de procédure pénale.
26. Le 29 janvier 2009, le tribunal correctionnel de Denizli, statuant sur renvoi, constata que le délai de prescription était échu et déclara la procédure pénale éteinte.
B. La procédure disciplinaire
27. Sur plainte du requérant, le Conseil de l’Ordre des Médecins examina l’affaire. Un médecin inspecteur fut alors désigné à cet égard. Le médecin mis en cause ne se rendit pas à la convocation du médecin inspecteur. Le médecin inspecteur rendit son rapport le 2 août 2001. Le 17 juillet 2003, le haut conseil de l’Ordre des médecins infligea au médecin M.E.S. une interdiction d’exercer d’une durée d’un mois pour manquement à ses obligations professionnelles de diligence. Dans ses motifs, le haut conseil retint :
- que l’intéressé n’avait pas suffisamment pris en considération l’avis de son confrère D.P., qui avait estimé qu’un traitement médicamenteux était nécessaire préalablement à toute intervention chirurgicale ;
- que la patiente n’avait pas été suffisamment informée du choix de type de l’opération ;
- que les examens et préparations préopératoires étaient insuffisants ;
- et que la sortie de la patiente de l’hôpital après l’opération était prématurée.
Cette décision fut notifiée au médecin M.E.S. le 10 septembre 2003.
28. Le médecin M.E.S. continua d’exercer en dépit de la décision d’interdiction le concernant.
29. Il fut alors condamné à une peine d’amende par le haut conseil de l’Ordre des médecins. Selon les éléments du dossier, le requérant fut informé de l’issue de cette procédure disciplinaire le 5 février 2007.
C. La procédure indemnitaire initiée contre le médecin mis en cause
30. Parallèlement à la procédure pénale, le 17 juin 2005, le requérant introduisit une action en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Denizli à l’encontre du médecin M.E.S.
31. Le tribunal ordonna une expertise auprès de trois professeurs en médecine qui rendirent leur rapport le 15 juillet 2009. Ils estimèrent à l’unanimité :
- qu’en raison de l’absence d’une autopsie, la cause du décès de l’épouse du requérant ne pouvait être établie avec exactitude ;
- que l’indication d’une intervention chirurgicale était appropriée ;
- qu’il n’était pas possible, sur un plan médical, d’établir un lien de causalité entre le décès de la patiente et l’opération qu’elle avait subie ;
- qu’aucune responsabilité fautive n’était imputable au médecin M.E.S.
32. Le 1er octobre 2010, le tribunal débouta le requérant de sa demande d’indemnisation.
33. Le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement.
34. Par un arrêt du 2 février 2012, la Cour de cassation confirma en toutes ses dispositions le jugement attaqué, au motif qu’il était conforme aux règles matérielles et procédurales applicables.
35. Le requérant forma un recours en rectification de l’arrêt.
36. Le 14 juin 2012, la Cour de cassation rejeta également ce recours.
D. La procédure devant la Cour constitutionnelle
37. Le 1er octobre 2012, le requérant saisit la Cour constitutionnelle turque d’un recours individuel, alléguant que le décès de son épouse était dû à une erreur médicale commise lors de l’opération chirurgicale effectuée à l’hôpital, et que les recours intentés devant les tribunaux avaient été ineffectifs.
38. La Cour constitutionnelle turque rejeta ledit recours pour incompétence ratione temporis, en application de l’article 148 § 3 de la Constitution et de l’article 1 § 8 des dispositions transitoires de la loi no 6216 sur la Cour constitutionnelle.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
39. Le requérant allègue que les circonstances du décès de son épouse ont emporté violation de la Convention. Il soutient que la procédure pénale engagée contre le médecin mis en cause ne peut pas être regardée comme équitable car elle s’est heurtée à la prescription. Le requérant déplore également la durée des procédures engagées devant les juridictions nationales, qu’il juge contraire aux exigences de la Convention.
40. Au terme d’un rappel de la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour pour apprécier le bien-fondé de la Requête.
41. La Cour estime qu’il convient d’examiner sous l’angle de l’article 2 de la Convention les griefs formulés par le requérant, étant entendu que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants ou les gouvernements. Dans sa partie pertinente en l’espèce, cette disposition se lit ainsi :
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »
A. Sur la recevabilité
42. La Cour constate que la Requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.
B. Sur le fond
43. Le requérant allègue n’avoir pas pu obtenir un examen prompt et effectif de sa cause. Il réclame la reconnaissance et la réparation de la négligence médicale dont son épouse aurait été victime.
44. Le Gouvernement laisse le grief de l’intéressé à l’appréciation de la Cour.
45. La Cour note à titre liminaire que la Requête ne porte pas sur la question de savoir s’il y a eu une faute d’ordre médical. En effet, il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause les conclusions des expertises en se livrant à des conjectures, à partir des renseignements médicaux dont elle dispose, sur leur caractère correct d’un point de vue scientifique (voir, Tysiąc c. Pologne, no 5410/03, § 119, CEDH 2007-I), et Yardımcı c. Turquie, no 25266/05, § 59, 5 janvier 2010.
46. La question soulevée par la Requête est plutôt celle de savoir si les juridictions nationales peuvent oui ou non passer pour avoir respecté l’exigence de promptitude et de diligence inhérente à l’article 2, dans son volet procédural.
47. À cet égard, la Cour rappelle que l’obligation positive découlant de l’article 2 de la Convention impose aux États l’instauration d’un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées, et le cas échéant d’obliger ceux-ci à répondre de leurs actes (Powell c. Royaume-Uni (déc.), no 45305/99, CEDH 2000-V, et Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 49, CEDH 2002-I).
48. Si l’atteinte au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire, l’obligation positive découlant de l’article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale (Mastromatteo c. Italie [GC], no 37703/97, §§ 89-90, CEDH 2002-VIII).
49. Dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées (Vo c. France [GC], no 53924/00, § 90, CEDH 2004-VIII, et Lazzarini et Ghiacci c. Italie (déc.), no 53749/00, 7 novembre 2002).
50. L’obligation de l’État au regard de l’article 2 de la Convention ne peut être satisfaite si les mécanismes de protection prévus en droit interne n’existent qu’en théorie : il faut surtout qu’ils fonctionnent effectivement en pratique (Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 195, 9 avril 2009), ce qui suppose un examen prompt de l’affaire avec diligence et sans retards inutiles (Byrzykowski c. Pologne, no 11562/05, § 117, 27 juin 2006). En effet, la connaissance des faits et des erreurs éventuellement commises dans l’administration de soins médicaux est essentielle pour permettre aux établissements concernés et au personnel médical de remédier aux défaillances potentielles et de prévenir la survenue d’erreurs similaires. Le prompt examen de telles affaires est donc important pour la sécurité des usagers de l’ensemble des services de santé.
51. En l’espèce, la Cour note que l’épouse du requérant est décédée des suites d’une hépatite toxique et d’un sepsis survenus après une hystérectomie vaginale effectuée par un médecin de l’hôpital universitaire de Pamukkale.
52. De manière générale, il convient de garder à l’esprit que l’adoption de mesures adéquates propres à assurer la protection de la vie des malades est indispensable. Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que le risque que des effets indésirables pour le patient puissent survenir après ou au cours d’un traitement en l’absence de faute des professionnels de santé est inhérent à tout acte médical. Les conséquences anormales et imprévisibles d’une intervention chirurgicale relèvent ainsi de l’aléa thérapeutique.
53. La Cour observe qu’il n’y a pas de controverse entre les parties sur ces points. Leurs vues s’opposent en revanche sur la capacité du système juridictionnel national à contrôler le respect du cadre réglementaire imposé aux médecins et aux hôpitaux et à en sanctionner l’éventuelle méconnaissance.
54. Dès lors, la tâche de la Cour consiste à contrôler l’effectivité des recours dont a disposé le requérant et de déterminer ainsi si le système judiciaire a assuré la mise en œuvre adéquate du cadre législatif et réglementaire conçu pour protéger le droit à la vie des patients ; ce qui implique de vérifier que les procédures initiées ont permis au requérant de faire réellement examiner ses allégations et de faire sanctionner toute méconnaissance de la réglementation par le médecin mis en cause qui aurait éventuellement été constatée.
55. La Cour relève que dans le but de faire établir les circonstances du décès de son épouse et les responsabilités liées à ce décès, le requérant a fait usage de deux voies de droit : une procédure pénale et une procédure civile. La première s’est soldée par une décision constatant la prescription de l’action publique. Quant à la seconde, elle s’est achevée par une décision déboutant l’intéressé de sa demande d’indemnisation, au vu notamment d’un rapport d’expertise du 15 juillet 2009 considérant en substance que le décès relevait de l’aléa thérapeutique et que le médecin mis en cause n’avait commis aucune erreur (paragraphe 31 ci-dessus). Par ailleurs, outre l’usage de ces deux voies de droit, la Cour observe qu’à l’issue d’une procédure disciplinaire, le médecin mis en cause a fait l’objet d’une sanction disciplinaire pour manquement à ses obligations professionnelles de diligence (paragraphes 27-29 ci-dessus).
56. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de s’attarder sur la procédure pénale, car, comme il a été précédemment souligné (paragraphe 48 ci-dessus), l’obligation procédurale découlant de l’article 2 de la Convention n’exige pas nécessairement de l’État qu’il garantisse des poursuites pénales dans de telles affaires. Elle se bornera donc à relever que la procédure pénale, en particulier les expertises, a connu une durée excessive que ni le comportement du requérant ni la complexité de l’affaire ne suffisent à expliquer, et qu’il a fallu aux tribunaux nationaux presque huit ans pour rendre une décision se limitant à constater la prescription. La Cour note également que la sanction disciplinaire initiale prise contre le médecin mis en cause, qui consistait en une interdiction d’exercer la profession pendant un délai d’un mois, n’a pas pu être exécutée. L’intéressé a continué d’exercer en dépit de la décision d’interdiction le concernant. Le fait qu’il a été par la suite condamné à payer une peine d’amende ne change pas le constat selon lequel la mesure disciplinaire initiale n’a pas pu avoir son effet dissuasif.
57. Quant à la procédure civile, elle a commencé le 17 juin 2005 et elle s’est terminée le 14 juin 2012. Elle a ainsi duré environ sept ans. Ce délai n’est assurément pas « raisonnable » dans les circonstances de la cause. En effet, la Cour ne saurait admettre qu’une procédure engagée aux fins de faire la lumière sur des accusations de négligence médicale puisse durer aussi longtemps en droit interne (Kudra c. Croatie, no 13904/07, § 120, 18 décembre 2012 et Süleyman Ege c. Turquie, no 45721/09, § 59, 25 juin 2013).
58. La Cour tient à rappeler que dans les circonstances comme celles de l’espèce, une prompte réaction des autorités est capitale pour maintenir la confiance du public et son adhésion à l’État de droit (Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, no 46477/99, § 72, CEDH 2002-II et Oyal c. Turquie, no 4864/05, §§ 74-76, 23 mars 2010). Il appartient à l’État d’agencer son système judiciaire de manière à permettre à ses tribunaux de répondre aux exigences de la Convention, notamment celles découlant de l’article 2 (voir, mutatis mutandis, R.M.D. c. Suisse, 26 septembre 1997, § 54, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, et Süleyman Ege, précité, § 59).
59. En l’espèce, la Cour estime, eu égard aux éléments qui précèdent, que les autorités nationales n’ont pas traité la cause du requérant liée au décès de son épouse avec le niveau de diligence requis par l’article 2 de la Convention. En conséquence, elle conclut à la violation de cette disposition (voir dans le même sens Šilih, précité, § 211).
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
61. Le requérant réclame 10 000 livres turques (soit environ 3 570 euros (EUR)) pour préjudice matériel et 14 000 YTL (soit environ 5 000 EUR) pour préjudice moral. Il n’a formulé aucune prétention au titre des frais et dépens.
62. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas présenté ses observations relatives à la satisfaction équitable dans le respect du règlement de la Cour dans la mesure où il n’a pas été représenté par un avocat et n’a pas fait usage de l’une des langues officielles de la Cour.
Le Gouvernement estime par ailleurs que les montants demandés par l’intéressé sont excessifs.
63. La Cour note que le requérant a été autorisé à présenter sa cause lui-même et à employer la langue turque pour ses observations écrites (paragraphe 4 ci-dessus).
64. Elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.
65. En revanche, la Cour admet que la violation de l’article 2 dans son volet procédural a causé au requérant un préjudice moral certain que le simple constat de violation opéré par le présent arrêt ne suffit pas à compenser. Dès lors, statuant en équité, elle considère qu’il est raisonnable d’accorder la totalité de la somme demandée, à savoir 5 000 EUR, pour dommage moral.
66. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
1. Déclare, à l’unanimité, la Requête recevable ;
2. Dit, par 5 voix contre 2, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention ;
3. Dit, par 5 voix contre 2,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt , pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juillet 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley
Naismith András Sajó
Greffier Président
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune aux juges Sajó et Spano.
A.S.
S.H.N.
JOINT DISSENTING OPINION
OF JUDGES SAJÓ AND SPANO
I.
1. The positive obligation of the Member States under Article 2 of the Convention in the field of medical negligence requires, first and foremost, that a regulatory framework be set up “compelling hospitals, whether public or private, to adopt appropriate measures for the protection of their patients’ lives” and also “an effective independent judicial system ... so that the cause of death of patients in the care of the medical profession, whether in the public or private sector, can be determined and those responsible made accountable” (see Calvelli and Ciglio v. Italy [GC], §§ 49 and 51, and Powell v. the United Kingdom (dec.), no. 45305/99, ECHR 2000-V). The Court has reiterated that this positive obligation is not an obligation of result but of means only (see Paul and Audrey Edwards v. the United Kingdom, no. 46477/99, § 71, ECHR 2002-II).
2. If the infringement of the right to life or to personal integrity is not caused intentionally, the positive obligation imposed by Article 2 to set up an effective judicial system does not necessarily require the provision of a criminal-law remedy in every case (see Silih v. Slovenia [GC], no. 71463/01, 9 April 2009, § 194). In the specific sphere of medical negligence the obligation may for instance also be satisfied if the legal system affords victims a remedy in the civil courts, either alone or in conjunction with a remedy in the criminal courts, enabling any responsibility of the doctors concerned to be established and any appropriate civil redress, such as an order for damages and/or for the publication of the decision, to be obtained. Disciplinary measures may also be envisaged (see Silih, cited above, § 194).
3. A requirement of promptness and reasonable expedition is implicit in this context. Even where there may be obstacles or difficulties which prevent progress in an investigation in a particular situation, a prompt response by the authorities is vital in maintaining public confidence in their adherence to the rule of law and in preventing any appearance of collusion in or tolerance of unlawful acts. The same applies to Article 2 cases concerning medical negligence. The State’s obligation under Article 2 of the Convention will not be satisfied if the protection afforded by domestic law exists only in theory: above all, it must also operate effectively in practice and that requires a prompt examination of the case without unnecessary delays (see Silih, cited above, § 195).
4. Lastly, as the Grand Chamber reiterated most recently in Silih v. Slovenia, cited above, § 196, apart from the concern for the respect of the rights inherent in Article 2 of the Convention in each individual case, “more general considerations also call for a prompt examination of cases concerning death in a hospital setting. Knowledge of the facts and of possible errors committed in the course of medical care are essential to enable the institutions concerned and medical staff to remedy the potential deficiencies and prevent similar errors. The prompt examination of such cases is therefore important for the safety of users of all health services.”
5. In sum, in our view, the case-law of the Court under Article 2 in the field of medical negligence by health care professionals, whether public or private, allows the member States some flexibility as to the manner in which the cause of death of patients in the care of the medical profession is determined and those responsible are made accountable. It follows that a delicate balance must be struck by the Court in cases of this nature, as “matters such as error of judgment on the part of health professionals or negligent coordination between health professionals in the treatment of a particular patient are [not] sufficient in themselves to call a Contracting State to account” (see Powell, cited above, § 1). In other words, the Court cannot, in the particular sphere of medical negligence, examine complaints in a similar manner to other cases of unintentional deaths engaging the responsibility of the member States. As the majority have not, in our view, adhered to this important dividing line in the Court’s case-law in today’s judgment, as explained in more detail below, we respectfully dissent.
II.
6. The facts are set out in detail in paragraphs 5 to 38 of the judgment. As is clear from the facts, the applicant, the husband of the deceased: (1) lodged a criminal complaint against the doctor responsible, (2) instituted disciplinary proceedings against him, and (3) brought civil court proceedings in tort as well.
7. In this regard we find it important that the disciplinary proceedings began very soon after the tragic incident, the medical inspector issuing his first report on 2 August 2001, only six months after the incident (see paragraph 27 of the judgment). On 17 July 2003, about two and a half years after the incident, the General Medical Council banned the doctor responsible for the treatment of the applicant’s wife from practising his profession for a period of one month for failure to exercise his profession with the requisite diligence. Following the imposition of the ban the doctor continued to work, but was fined on that account by the General Medical Council on 5 February 2007.
8. As noted above, the applicant also brought civil proceedings against the doctor on 17 June 2005, four and a half years after the incident and two years after the conclusion of the disciplinary proceedings, and while the criminal proceedings were still ongoing. The domestic court ordered an expert report which was filed with the court on 15 July 2009, concluding that the doctor was not at fault. In October 2010, the domestic first-instance court rejected the applicant’s claims, the judgment subsequently being upheld on appeal on 2 February 2012 (see paragraphs 30 to 36 of the judgment).
III.
9. In today’s judgment it is stated that it is not necessary in the present case to examine the criminal proceedings, as the positive obligation under Article 2 of the Convention, in cases of this nature, does not necessarily require a criminal remedy (see paragraph 56 of the judgment). The majority’s finding of a violation of the said provision is however based, firstly, on the fact that the doctor continued to practise after the ban had been imposed by the General Medical Council, demonstrating that the disciplinary sanction was not dissuasive (see paragraph 56). Secondly, the majority consider that the unreasonable length of the civil proceedings, which lasted seven years, warrants the finding of a violation of Article 2.
10. We disagree. In our view it is dispositive here that the applicant was afforded the opportunity under Turkish law to bring criminal and disciplinary proceedings against the doctor and also to bring tort proceedings against him. Thus, it is clear that the respondent Government provided the applicant with a sufficient regulatory framework which consisted of various forums for examining the cause of death of his wife and for determining the accountability of the doctor in charge. We emphasise that the reasoning provided by the General Medical Council for banning the doctor from practising (see paragraph 27 of the judgment) suggests that an investigation took place in the disciplinary proceedings which examined the cause of death of the applicant’s wife and the accountability of the doctor. Furthermore, in the civil proceedings, an examination was undertaken of the facts, and court judgments were given on the merits by a first-instance court and on appeal following the receipt of an expert medical report concerning the incident. The fact that the civil court ultimately rejected the applicant’s tort claim against the doctor is of no material relevance in the regulatory analysis under the positive limb of Article 2 in medical negligence cases. Again, it is not the Court’s role in these cases to take a stance on whether an error of professional judgment did in fact take place and whether liability is warranted.
11. It is true that the civil proceedings were not conducted with the requisite promptness. However, the lack of promptness in the civil proceedings cannot, in and of itself, constitute a sufficient basis for finding a violation of the procedural obligation under Article 2 on the particular facts of the present case. Firstly, on the basis of a complaint by the applicant, an examination of the cause of death of the applicant’s wife and an assessment of the disciplinary accountability of the doctor had already been performed and a decision taken in 2003 by the General Medical Council, two and half years after the incident. Therefore, it cannot reasonably be submitted that the disciplinary procedure, which was triggered by the applicant himself, was not carried out in conformity with the procedural obligation under Article 2 in these types of cases.
12. Furthermore, although the purpose behind the requirement of expeditious examination of the cause of a patient’s death, and of the accountability of health care professionals in medical negligence cases, is to provide relatives with the necessary information on the events surrounding the passing of their loved ones, there are also “more general considerations” that call for a prompt examination of cases concerning death in a hospital setting. In this regard we recall, as explained in the Grand Chamber judgment in Silih v. Slovenia (cited above, § 196), that the promptness requirement in the sphere of medical negligence is based on the understanding that “[knowledge] of the facts and of possible errors committed in the course of medical care are essential to enable the institutions concerned and medical staff to remedy the potential deficiencies and prevent similar errors. The prompt examination of such cases is therefore important for the safety of users of all health services.”
13. We note that unlike in Silih, cited above, an examination of the events leading to the death of the applicant’s wife took place in the present case within the disciplinary proceedings, thus enabling the medical establishment to take note promptly of the potential deficiencies and to take the necessary preventive steps for the future.
14. In sum, we consider that taking into account the scope and extent of the disciplinary proceedings and their relative promptness, the mere fact that the civil proceedings were not expeditiously concluded cannot warrant a finding of a violation of the positive obligation of Article 2 in this case. At its core, the applicant’s complaint in this respect falls more readily to be examined under Article 6 § 1 of the Convention as a length-of-proceedings issue. On this basis we note that it was apparently open to the applicant, on being notified of the rejection by the Court of Cassation of his civil claim in 2012, to pursue a claim for compensation for unreasonable length of civil proceedings with the Compensation Commission under Law no. 6384 (see Müdür Turgut and Others v. Turkey (dec.), no. 4860/09, 26 March 2013).
15. In conclusion, we observe lastly that, as this case demonstrates, it is problematic to extend the reach of the Court’s case-law under the positive obligation of Article 2 in medical negligence cases beyond requiring the setting-up of a regulatory framework which affords the relatives of patients who have died the opportunity to have the causes of possible negligent acts investigated and accountability determined. As today’s judgment crosses that delicate dividing line, we are unable to agree with our colleagues that there has been a violation of Article 2 of the Convention in the present case.