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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ROKAS v. GREECE - 55081/09 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2015] ECHR 814 (22 September 2015)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2015/814.html
Cite as: [2015] ECHR 814

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ROKAS c. GRÈCE

     

    (Requête n o 55081/09)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    22 septembre 2015

     

     

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Rokas c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

    András Sajó, président,
    Khanlar Hajiyev,
    Mirjana Lazarova Trajkovska,
    Julia Laffranque,
    Paulo Pinto de Albuquerque,
    Linos-Alexandre Sicilianos,
    Erik Møse, juges,
    et de André Wampach, greffier adjoint d e section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1 er septembre 2015,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1 .  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (n o 55081/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Georgios Rokas (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 septembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2 .  Le requérant a été représenté par M e A. Kotzias-Sofantzis, avocat au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, M me F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’État.

    3 .  Le requérant allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    4 .  Le 1 er septembre 2011 , la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5 .  Le requérant est né en 1959 et réside à Athènes.

    A.  Le contexte de l’affaire

    6 .  Le 27 juin 2001, suite à une plainte soumise par la société « L. A. », des poursuites pénales furent engagées contre le requérant pour faux et usage de faux.

    7 .  Le 13 décembre 2005, le tribunal correctionnel d’Athènes condamna le requérant (jugement n o 78865/2005). Suite à l’appel du requérant, le 20 novembre 2007, la cour d’appel d’Athènes infirma le jugement n o 78865/2005 et l’acquitta (arrêt n o 8228/2007). Le 19 janvier 2008, cet arrêt devint définitif.

    B.  Les faits pertinents au cas d’espèce

    8 .  Entre-temps, le 12 décembre 2002, le requérant avait déposé une plainte auprès du procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes, contre onze personnes représentant la société précitée, pour diffamation et fausse accusation, en raison de la plainte que ces dernières avaient déposée précédemment à son encontre le 27 juin 2001. Dans sa plainte, le requérant se référait explicitement au numéro du dossier de la plainte dirigée à son encontre. Il se constitua aussi partie civile pour une somme de 10 000 euros.

    9 .  Lors de l’instruction préliminaire de l’affaire, il fut constaté que le jugement n o 78865/2005 avait été rendu sur l’affaire connexe précitée et que celle-ci était toujours pendante.

    10 .  Le 20 juin 2006, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes, suspendit la procédure initiée par le requérant le 12 décembre 2002 jusqu’à l’adoption d’une décision définitive dans la procédure instituée contre lui. En vertu de l’article 59 § 2 du code de procédure pénale, le délai quinquennal de prescription des infractions incriminées fut aussi suspendu.

    11 .  Le 30 septembre 2008, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes conclut que les actes incriminés dans la procédure ayant été instituée par le requérant le 12 décembre 2002 étaient couverts par la prescription quinquennale, en vertu des articles 111, 112 et 113 du code pénal. En particulier, le procureur nota que le 20 juin 2006, date à laquelle il avait suspendu la prescription quinquennale, une période de quatre ans, onze mois et vingt-quatre jours s’était déjà écoulée depuis le 27 juin 2001, date à laquelle les délits de diffamation et de fausse accusation étaient prétendument commis. Le procureur admit qu’après le 19 janvier 2008, date à laquelle l’arrêt n o 8228/2007 de la cour d’appel était devenu définitif, le délai de prescription continua de courir pour sept jours de plus, à savoir jusqu’au 27 janvier 2008, date à laquelle la prescription quinquennale prévue par l’article 111 du code pénal fut acquise.

    12 .  Le 16 octobre 2008, le requérant interjeta appel de la décision datée du 30 septembre 2008. Le 4 mars 2009, le procureur près la cour d’appel d’Athènes rejeta son recours (ordonnance n o 924/2008, notifiée au requérant le 10 mars 2009).

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    13 .  Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi :

    Article 111

    « 1.  L’acte punissable s’éteint avec la prescription.

    (...)

    3.  Les délits sont prescrits après cinq ans.

    (...) »

    Article 112

    « Le délai de prescription court à compter du jour de la commission de l’acte punissable. »

    Article 113

    « (...) 2.  Le délai de prescription est reporté pendant la période où la procédure est en cours et jusqu’à ce que la décision qui condamne l’accusé devienne définitive.

    3.  Ce report ne peut pas durer (...) plus de trois ans pour les délits (...) »

    14 .  L’article 59 du code de procédure pénale dispose :

    « 1.  Lorsque l’issue d’un procès pénal dépend de l’issue d’une autre affaire pénale pendante, le premier est suspendu jusqu’à ce qu’une décision irrévocable soit rendue dans la seconde.

    2.  Dans le cas des articles (...) lorsque des poursuites pénales sont engagées quant au fait étant l’objet litigieux du serment prêté, de la plainte déposée ou de la divulgation, le procureur près le tribunal correctionnel suspend la procédure par son propre acte, après l’instruction préliminaire de l’affaire et avec l’avis conforme du procureur près la cour d’appel, jusqu’à la fin des poursuites pénales ».

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    15 .  Le requérant se plaint que l’inertie de la part des autorités nationales dans le déroulement de la procédure, a eu pour conséquence la prescription des délits incriminés devant l’instance pénale compétente. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    16 .  Le Gouvernement affirme que l’article 6 n’est pas applicable en l’espèce. En se référant à l’arrêt Sigalas c. Grèce (n o 19754/02, 22 septembre 2005), le Gouvernement soutient que l’action civile du requérant a été diligentée à des fins purement répressives. En particulier, il relève qu’en l’occurrence, le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile pourrait s’analyser comme « une vengeance privée » ayant pour but non pas d’obtenir une réparation ou de protéger un droit à caractère civil, mais fondamentalement de poursuivre et de faire condamner pénalement les responsables de la société « L. A. ».

    17 .  Le requérant rétorque que son action civile n’était aucunement diligentée à des fins purement répressives et que, partant, l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer en l’espèce.

    18 .  La Cour rappelle que le système juridique grec prévoit que l’intéressé qui dépose une plainte avec constitution de partie civile entame en principe des poursuites judiciaires afin d’obtenir des juridictions pénales une déclaration de culpabilité et, en même temps, une réparation, fût-elle minime (voir Perez c. France [GC], n o 47287/99, §§ 70-71, CEDH 2004-I, et Diamantides c. Grèce (déc.), n o 71563/01, 20 novembre 2003). Dans la présente affaire, il est à noter que la somme de dix mille euros pour laquelle le requérant s’est constitué partie civile confirme le caractère indemnitaire de sa démarche. Il s’ensuit que l’article 6 est applicable en l’occurrence dans son volet civil. Il convient donc de rejeter l’exception d’irrecevabilité pour incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement.

    19 .  Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    20 .  Le requérant affirme que les retards injustifiés des autorités judiciaires compétentes sont à l’origine de la prescription des infractions en cause.

    21 .  Le Gouvernement allègue que l’objet du procès pénal est principalement la répression de l’infraction en question et, de manière secondaire, la satisfaction de la prétention civile introduite par l’intéressé devant la juridiction pénale. De plus, il allègue que la décision du procureur compétent, selon laquelle les infractions incriminées étaient couvertes par la prescription, n’a pas entraîné la perte des prétentions civiles du requérant contre les accusés, car celui-ci avait le droit d’introduire une action civile devant les juridictions civiles.

    22 .  La Cour rappelle que chaque justiciable possède le droit à ce qu’un tribunal connaisse toute contestation relative à ses droits et obligations de caractère civil. C’est ainsi que l’article 6 § 1 consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect ( Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], n o 42527/98, § 43, CEDH 2001-VIII). Le droit d’accès à un tribunal n’est cependant pas absolu ; appelant de par sa nature même une réglementation par l’État, il peut donner lieu à des limitations, lesquelles ne sauraient cependant restreindre l’accès d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même ( Gousis c. Grèce , n o 8863/03, § 33, 29 mars 2007).

    23 .  La Cour note qu’elle a déjà eu l’occasion de se prononcer sur une question similaire à celle posée en l’occurrence, dans son arrêt Anagnostopoulos c. Grèce (3 avril 2003, n o 54589/00). En particulier, la Cour a considéré que :

    « (...) lorsque l’ordre juridique interne offre un recours au justiciable, tel le dépôt d’une plainte avec une constitution de partie civile, l’État a l’obligation de veiller à ce que celui-ci jouisse des garanties fondamentales de l’article 6. En l’espèce, le requérant avait introduit une demande d’indemnisation pour un montant de GRD 15 000, ce qui constitue une [demande ] que les juridictions pénales examinent dans tous les cas sans être obligées de renvoyer aux juridictions civiles. Le requérant avait donc une espérance légitime d’attendre que les tribunaux statuent sur cette demande d’indemnisation, que ce soit de manière favorable ou défavorable. Le retard avec lequel les autorités des poursuites ont traité le dossier, ce qui a entraîné la prescription des infractions incriminées et, par conséquent, l’impossibilité pour le requérant de voir statuer sur sa demande d’indemnisation, a privé ce dernier d’un droit d’accès à un tribunal. » ( Anagnostopoulos c. Grèce, n o 54589/00, § 32, 3 avril 2003).

    24 .  La Cour observe que, dans le cas d’espèce, l’action civile introduite par le requérant le 12 décembre 2002 est restée pendante devant les instances judiciaires compétentes pour une longue période de cinq ans et dix mois environ avant que le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes ne constate, en vertu de la législation pertinente, la prescription des infractions en question. En particulier, la Cour relève un retard important lors de l’instruction préliminaire de l’affaire et jusqu’à la suspension de la procédure par le procureur près le tribunal correctionnel : malgré le fait que le requérant ait expressément signalé dans sa plainte l’existence d’une autre plainte dirigée contre lui et liée à la première, le procureur compétent n’a procédé à la suspension de la procédure que trois ans et demi environ après le dépôt de plainte du requérant (voir, mutatis mutandis, Christensen c. Danemark , n o 247/07, § 97, 22 janvier 2009) . Cette constatation permet à la Cour de conclure que le retard injustifié lors de la procédure préliminaire devant les organes judiciaires compétents a entraîné l’impossibilité pour le requérant de voir statuer sur sa demande d’indemnisation.

    Au vu de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit du requérant d’avoir accès à un tribunal.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    25 .  Aux termes de l article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    26 .  La Cour constate que le requérant ne soumet aucune prétention pour dommage ni pour frais et dépens. Elle en prend note et décide, en conséquence, de ne rien allouer au requérant.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.   Déclare la requête recevable ;

     

    2.   Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    André Wampach Andr á s Saj ó
    Greffier adjoint Président


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