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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TAVIRLAU v. ROMANIA - 43753/10 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section)) French Text [2016] ECHR 136 (02 February 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/136.html
Cite as: [2016] ECHR 136

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    QUATRIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE ŢĂVÎRLĂU c. ROUMANIE

     

    (Requête no 43753/10)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

    STRASBOURG

     

    2 février 2016

     

     

     

    Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Ţăvîrlău c. Roumanie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

              András Sajó, président,
              Vincent A. de Gaetano,
              Boštjan M. Zupančič,
              Paulo Pinto de Albuquerque,
              Krzysztof Wojtyczek,
              Egidijus Kūris,
              Iulia Antoanella Motoc, juges,
    et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 janvier 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43753/10) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Maria Ţăvîrlău (« la requérante »), a saisi la Cour le 8 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  La requérante a été représentée par Me D. Preda, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

    3.  La requérante dénonce une absence d’enquête diligente et effective au sujet de l’intervention chirurgicale erronée subie par son mari. Elle se plaint également de la durée de la procédure ouverte à la suite de sa plainte pénale avec constitution de partie civile formée à ce sujet. Elle invoque les articles 3 et 6 § 1 de la Convention.

    4.  Les 17 septembre 2013 et 29 juin 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

     LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    5.  La requérante est née en 1945 et réside à Bucarest.

    6.  Le 26 octobre 2001, la requérante conduisit son mari aux urgences, celui-ci ayant subi une fracture à la jambe droite. Après examen, le médecin C.S.T. nota par erreur dans le dossier médical que la jambe présentant une fracture était la gauche. Le mari de la requérante fut hospitalisé.

    7.  Le 30 octobre 2001, le mari de la requérante subit une intervention chirurgicale aux fins d’implantation d’une tige métallique dans la jambe fracturée. Au cours de l’intervention, le chirurgien A.H. se rendit compte que la jambe gauche, qui était d’ailleurs paralysée depuis plusieurs années des suites d’un accident vasculaire cérébral, ne présentait aucune fracture. Il y implanta néanmoins une tige et opéra ensuite la jambe droite, fracturée, en implantant une deuxième tige.

    8.  Le 13 février 2002, après avoir énuméré toutes les affections médicales du mari de la requérante, les autorités compétentes attestèrent que celui-ci souffrait d’un handicap grave.

    A.  La plainte pénale déposée par la requérante

    9.  Le 5 avril 2002, la requérante déposa une plainte pénale contre A.H., le chirurgien ayant opéré son mari en octobre 2001, des chefs d’atteinte grave à l’intégrité corporelle et de faux et usage de faux. Elle se constitua également partie civile, à hauteur de 500 millions d’anciens lei roumains (ROL), au titre du dommage moral. Elle alléguait, entre autres, que l’intervention chirurgicale erronée avait conduit à une invalidité permanente constatée par un certificat médical (paragraphe 8 ci-dessus). Sa plainte fut enregistrée le 8 avril 2002.

    10.  Le 24 mars 2003, des poursuites pénales furent engagées contre le chirurgien du chef d’atteinte involontaire à l’intégrité physique.

    11.  Le parquet entendit les médecins C.S.T. et A.H., ainsi que trois témoins.

    12.  Il ordonna également la réalisation de deux expertises médicolégales, qui furent effectuées les 19 février 2003 et 7 septembre 2004. La deuxième expertise, qui fut confirmée par la commission d’avis et de contrôle de l’Institut national de médecine légale le 17 septembre 2004, conclut que l’intervention chirurgicale n’avait pas conduit au classement du mari de la requérante dans la catégorie des personnes présentant un handicap grave, mais qu’elle avait cependant nécessité de 25 à 38 jours de soins médicaux supplémentaires.

    13.  Le dossier médical concernant les soins prodigués au mari de la requérante et des informations concernant les attributions professionnelles des médecins furent versés au dossier de l’enquête.

    14.  Les 22 novembre 2004 et 23 mars 2005, les poursuites furent ouvertes contre C.S.T., puis élargies contre le chirurgien A.H., des chefs de négligence dans l’exercice de la profession et de faux.

    15.  Par une lettre du 24 juin 2005, après le décès de son mari survenu le 17 avril 2005, la requérante informa les autorités qu’elle entendait poursuivre la procédure. Elle précisa qu’elle estimait le préjudice subi à 80 000 RON, dont 17 500 RON pour le dommage matériel et 62 500 RON pour le dommage moral.

    16.  Par un réquisitoire du 1er juillet 2005, les deux médecins furent renvoyés en jugement des chefs de négligence dans l’exercice de leur profession et de faux. Les poursuites furent closes pour les autres chefs d’accusation.

    17.  Par un jugement du 17 décembre 2007, le tribunal de première instance du quatrième arrondissement de Bucarest condamna les deux médecins à des peines d’emprisonnement, respectivement de sept et de neuf mois, avec sursis, du chef de négligence dans l’exercice de leur profession, tout en constatant qu’ils bénéficiaient de la grâce. De plus, le chirurgien A.H. fut condamné à une peine de neuf mois d’emprisonnement avec sursis pour faux. Enfin, les deux médecins furent condamnés conjointement au paiement d’une indemnité s’élevant à 6 000 nouveaux lei roumains (RON - soit environ 1 700 EUR selon le taux de change de la Banque nationale roumaine), au titre du dommage moral, ainsi qu’au remboursement des frais judiciaires correspondant aux honoraires d’avocats engagés par la requérante pour un montant de 400 RON. Pour ce faire, le tribunal conclut que les médecins C.S.T et A.H. avaient fait preuve de négligence, méconnaissant ainsi les attributions professionnelles définies dans leurs fiches de poste. Le tribunal souligna aussi que le médecin C.S.T. avait noté dans le dossier médical du mari de la requérante que la jambe présentant une fracture était la gauche. Il releva par ailleurs que le chirurgien A.H. avait omis de vérifier les informations figurant dans le dossier médical au moment de leur inscription ou, à tout moment, avant l’intervention et que, en outre, il avait sciemment omis de mentionner la réalisation de l’intervention chirurgicale sur la jambe gauche dans la feuille de sortie de l’hôpital. Le tribunal constata que ces omissions avaient conduit à la réalisation d’une intervention chirurgicale inutile qui, bien que n’ayant pas provoqué de troubles de la mobilité, avait pourtant nécessité de 25 à 38 jours de soins médicaux supplémentaires. Il considéra qu’une réparation morale devait être accordée au mari de la requérante pour les souffrances subies à raison des soins supplémentaires occasionnés et du désagrément psychologique provoqué par le fait que l’intéressé s’était vu opérer une jambe qui ne présentait pas de fracture.

    18.  La requérante, ainsi que les autres parties, interjeta appel de ce jugement. Dans son appel, la requérante critiqua les nombreuses demandes faites par les inculpés au motif que celles-ci, selon elle, tendaient à la prolongation de la procédure en vue de l’obtention d’un constat de prescription des faits, et elle dénonça le montant des dommages accordés, qu’elle qualifiait de faible.

    19.  La procédure fut suspendue du 7 novembre 2008 au 15 mai 2009 dans l’attente de la décision de la Haute Cour de cassation et de justice au sujet d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée par les inculpés.

    20.  Par un arrêt du 3 juillet 2009, le tribunal départemental de Bucarest constata la prescription de la responsabilité pénale des deux médecins, mais confirma leur condamnation au paiement de l’indemnité pour dommage moral. Le tribunal départemental estima que la somme allouée par le tribunal de première instance était adéquate par rapport au nombre de jours de soins médicaux supplémentaires résultant de l’intervention chirurgicale litigieuse.

    21.  Par un arrêt définitif du 19 octobre 2009, la cour d’appel de Bucarest confirma l’arrêt du tribunal départemental. L’arrêt fut mis au net le 9 décembre 2009.

    B.  La procédure devant l’ordre des médecins

    22.  Dans l’intervalle, par une décision du 18 octobre 2002, l’ordre des médecins de Bucarest avait constaté que le médecin A.H. était responsable d’une faute médicale au motif qu’il avait établi le dossier médical du mari de la requérante de manière superficielle et qu’il avait omis de prendre les mesures préopératoires exigées. Il infligea un blâme à l’intéressé.

    23.  Sur contestation de la requérante, le 20 mars 2003, l’Ordre national des médecins confirma la décision susmentionnée.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

    24.  La requérante se plaint que le système de santé publique roumain ne permette de garantir ni la protection d’un patient y ayant recours ni celle de sa famille au motif qu’il existe des défaillances dans les procédures censées protéger l’intégrité physique et psychique des individus. Elle reproche en outre aux autorités de ne pas avoir mené une enquête diligente et effective au sujet de l’intervention chirurgicale erronée subie par son mari et elle dénonce le montant de la réparation accordée par les tribunaux qu’elle qualifie de faible. Elle invoque les articles 3 et 6 § 1 de la Convention.

    Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause et n’étant pas liée par celle attribuée par la requérante, la Cour a communiqué la présente requête au Gouvernement sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention.

    Après réception des observations des parties, la Cour estime que les faits dénoncés par la requérante appellent un examen sous l’angle du seul article 8 de la Convention, ainsi libellé :

    « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

    2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

    Sur la recevabilité

    25.  S’appuyant sur les conclusions des tribunaux quant à la constitution de partie civile dans le cadre de la procédure pénale engagée en l’espèce, le Gouvernement excipe d’une exception d’incompatibilité ratione personae du présent grief. À cet égard, il indique d’abord que les tribunaux internes ont accordé une réparation adéquate pour le préjudice moral subi par la requérante en tant que victime indirecte de la négligence médicale et que, de plus, l’ordre des médecins de Bucarest a infligé un blâme au médecin A.H. sur la base de la faute médicale commise.

    26.  La requérante estime que l’État n’a pas octroyé une réparation appropriée pour les souffrances subies par son mari.

    27.  La Cour rappelle que, lorsque les autorités nationales ont constaté une violation et que leur décision constitue un redressement approprié et suffisant de celle-ci, la partie concernée ne peut plus se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention.

    28.  Elle rappelle ensuite que, cela étant, l’atténuation d’une peine ou l’adoption d’une décision ou mesure favorable au requérant par les autorités nationales n’emportera la perte de la qualité de victime que si elle est accompagnée d’une reconnaissance explicite, ou au moins en substance, de la violation, suivie d’une réparation appropriée et suffisante (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 178 et suiv., CEDH 2006-V).

    29. «  Lorsque ces deux conditions sont remplies, le caractère subsidiaire du mécanisme de protection instauré par la Convention empêche la Cour de procéder à son propre examen » ((Yüksel c. Turquie (déc.), no 51902/08, § 46, 9 avril 2013).

    30.  La perte de la qualité de victime dépend, notamment, de la nature du droit dont la violation est alléguée, de la motivation de la décision (Jensen c. Danemark (déc.), no 48470/99, CEDH 2001-X) et de la persistance des conséquences désavantageuses pour l’intéressé après cette décision (Freimanis et Līdums c. Lettonie, nos 73443/01 et 74860/01, § 68, 9 février 2006).

    31.  La qualité de victime d’un requérant peut donc dépendre de l’indemnité qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont celui-ci se plaint devant la Cour. Le caractère approprié et suffisant du redressement offert au requérant dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010).

    32.  La Cour rappelle enfin que, sur le terrain de l’article 2 de la Convention, elle a jugé que les obligations positives énoncées par cet article impliquaient l’obligation pour les autorités de mettre en place un système judiciaire efficace et indépendant permettant d’établir la cause du décès d’un individu et de punir les coupables (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], CEDH 2002, § 51). La forme de l’enquête peut varier selon les circonstances et des poursuites pénales ne sont pas nécessairement exigées dans tous les cas (Furdik c. Slovaquie (déc.), no 42994/05, 2 décembre 2008). En particulier, dans le contexte spécifique des négligences médicales, l’obligation susmentionnée peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en question offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établissement des responsabilités en cause et, le cas échéant, d’obtention de l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt (voir, par exemple, Calvelli et Ciglio, précité, § 51). La Cour rappelle à cet égard qu’il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultat.

    Ces principes valent sans aucun doute également s’agissant, dans le même contexte, d’atteintes graves à l’intégrité physique entrant dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention (Codarcea c. Roumanie, no 31675/04, § 103, 2 juin 2009).

    33.  Dans la présente espèce, la Cour observe en premier lieu que le tribunal de première instance du quatrième arrondissement de Bucarest a clairement reconnu que les médecins avaient commis une négligence fautive dans l’exercice de leurs fonctions, ayant omis de correctement exercer leurs attributions formellement définies et que celle-ci avait conduit à des soins médicaux supplémentaires pour le mari de la requérante (paragraphe 17
    ci-dessus). Elle note que l’ordre des médecins de Bucarest est arrivé aux mêmes conclusions (paragraphe 22 ci-dessus). La Cour observe en second lieu que le tribunal a octroyé une réparation à la requérante (paragraphe 17 ci-dessus). Elle considère que, dans le contexte spécifique de la présente affaire, le montant octroyé correspond à une réparation adéquate et suffisante au sens de l’article 8 de la Convention.

    34.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère qu’il y a eu en l’espèce un redressement approprié de l’atteinte à l’intégrité physique subie par le mari de la requérante et que celle-ci ne peut plus se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention, d’une violation de l’article 8 de la Convention.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    35.  La requérante se plaint d’une durée excessive de la procédure engagée devant les autorités nationales. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    36.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    B.  Sur le fond

    37.  La requérante se plaint d’un caractère déraisonnable de la durée de la procédure, qu’elle impute aux autorités.

    38.  Le Gouvernement indique que la procédure ne relevait pas d’une complexité particulière et qu’aucune période d’inactivité n’était imputable aux autorités. Il ajoute que la requérante a demandé à deux reprises l’ajournement de l’instance devant le tribunal départemental de Bucarest et que la procédure a été suspendue du 7 novembre 2008 au 15 mai 2009 dans l’attente de la décision de la Haute Cour de cassation et de justice au sujet d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée par les inculpés. Enfin, il mentionne que la requérante a entendu faire usage de toutes les voies de recours disponibles en droit interne contre le jugement du tribunal de première instance du quatrième arrondissement de Bucarest du 17 décembre 2007.

    39.  La Cour estime que la période à prendre en considération a débuté le 8 avril 2002, date à laquelle la requérante a introduit sa plainte pénale avec constitution de partie civile (paragraphe 9 ci-dessus), et qu’elle s’est achevée le 19 octobre 2009, avec l’arrêt de la cour d’appel de Bucarest (paragraphe 21 ci-dessus). La procédure en cause a donc duré sept ans, six mois et treize jours pour trois degrés de juridiction. La Cour rappelle que, dans maintes affaires soulevant des questions semblables à celles posées en l’espèce, elle a conclu à une méconnaissance du « délai raisonnable », compte tenu des critères dégagés par sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, parmi beaucoup d’autres, Gorou c. Grèce (no 2) [GC], no 12686/03, §§ 24 et 46, 20 mars 2009, et Floarea Pop c. Roumanie, no 63101/00, §§ 53-55, 6 avril 2010).

    40.  En l’espèce, il suffit à la Cour de constater que les poursuites pénales se sont étalées sur plus de trois ans, alors que peu de mesures d’instruction ont été prises : en effet, le parquet a ordonné la réalisation de deux expertises, entendu la requérante et les deux médecins ayant soigné son mari, ainsi que trois témoins, et fait verser au dossier le dossier médical nécessaire. De l’avis de la Cour, les juridictions nationales auraient dû agir avec plus de diligence compte tenu de l’objet du litige, lequel concernait une négligence médicale et la réparation du préjudice subi à cet égard.

    41.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et eu égard à sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

    Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    42.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommages

    43.  La requérante réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel subi, lequel représenterait des dépenses médicales et d’entretien supplémentaires ainsi qu’un manque à gagner. Elle réclame en outre 288 500 EUR au titre du préjudice moral subi en raison des souffrances et désagréments qui auraient été provoqués par les violations alléguées.

    44.  Le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les violations alléguées et le préjudice matériel réclamé. Il indique par ailleurs que la requérante n’a déposé aucun justificatif pour les frais médicaux.

    45.  S’agissant du préjudice moral, le Gouvernement expose d’abord que les tribunaux nationaux ont déjà alloué à la requérante environ 1 700 EUR à ce titre et que, en tout état de cause, l’intéressée est une victime indirecte et qu’en conséquence sa demande se révèle non étayée. Enfin, la demande de la requérante serait spéculative et excessive.

    46. La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 41 ci-dessus). Dans ces conditions, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette la demande y relative. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 1 600 EUR au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    47.  La requérante demande également 1 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes. Elle verse au dossier deux reçus de 2001 attestant du paiement d’honoraires d’avocats à hauteur de 1 300 000 d’anciens lei roumains (ROL), deux reçus datés de la même année attestant le paiement de consultations médicales s’élevant à 462 000 ROL, ainsi qu’une déclaration notariale de sa fille qui affirmait que, pendant la période 2001-2005, elle avait dépensé les sommes suivantes : 15 000 RON pour les soins médicaux de son père, 5 000 RON pour les honoraires d’avocats et 300 RON pour les frais de transport nécessaires à la réalisation des expertises médicales légales.

    48.  Le Gouvernement estime que la somme réclamée par la requérante n’est pas suffisamment étayée. Il considère que la déclaration notariale de la fille de la requérante ne devrait pas être prise en compte. Enfin, il indique que la requérante s’est vu rembourser par les tribunaux nationaux la somme de 400 RON au titre des frais judiciaires.

    49.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, et étant donné que la requérante s’est vu rembourser les frais judiciaires correspondant aux honoraires d’avocats engagés devant les tribunaux nationaux (paragraphe 17 ci-dessus), la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens exposés au cours de la procédure nationale.

    C.  Intérêts moratoires

    50.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant la durée de la procédure, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 600 EUR (mille six cents euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 février 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

         Fatoş Aracı                                                                          András Sajó
    Greffière adjointe                                                                       Président

     


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