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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ALI AND OTHERS v. GREECE - 13385/14 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2016] ECHR 347 (07 April 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/347.html
Cite as: [2016] ECHR 347

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      PREMIÈRE SECTION

       

       

       

       

       

       

      AFFAIRE ALI ET AUTRES c. GRÈCE

       

      (Requête no 13385/14)

       

       

       

       

       

       

       

       

       

      ARRÊT

       

       

       

       

       

      STRASBOURG

       

      7 avril 2016

       

       

      Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


      En l’affaire Ali et autres c. Grèce,

      La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

                Ledi Bianku, président,
                Aleš Pejchal,
                Armen Harutyunyan, juges,
      et de André Wampach, greffier adjoint de section,

      Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mars 2016,

      Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

      PROCÉDURE

      1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13385/14) dirigée contre la République hellénique et dont six ressortissants bulgares, dont les noms figurent en annexe, (« les requérants »), ont saisi la Cour le 6 février 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

      2.  Les requérants ont été représentés par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par le délégué de son agent, M. K. Georghiadis, assesseur auprès du Conseil juridique de l’État.

      3.  Les requérants allèguent une violation de l’article 3 de la Convention, en raison de leurs conditions de détention à la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, ainsi que de l’article 13 de la Convention.

      4.  Le 12 mars 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

      EN FAIT

      I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

      5.  Les requérants furent poursuivis pour différentes infractions du code pénal et mis en détention provisoire, entre avril et octobre 2013, à la sous-direction de la police des étrangers à Thessalonique faute de disponibilité dans un établissement pénitentiaire. A la date d’introduction de la requête, ils étaient toujours détenus au premier étage et dans la cellule no 3 de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique.

      6.  Les requérants affirment que les toilettes et la douche étaient insalubres. Les lieux n’étaient pas nettoyés. La plupart des détenus étaient des fumeurs, polluant ainsi l’air au sein de leur cellule. Les requérants relèvent l’absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et notent que chacun d’eux avait uniquement droit à 5,85 euros par jour pour commander et se faire livrer des repas de l’extérieur. Cette somme ne pouvait leur garantir trois repas par jour ni du point de vue de la qualité ni de celui de la quantité.

      7.  Le 5 février 2014, les requérants déposèrent, en vertu de l’article 572 du code de procédure pénale, une requête auprès du procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique dans laquelle ils se plaignaient de leurs conditions de détention ; ils ne reçurent aucune réponse.

      II.  LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE NATIONALE ET INTERNATIONALE

      8.  La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 16-22 de l’arrêt Aslanis c. Grèce (no 36401/10, 17 octobre 2013).

      9.  L’article 284 du CPP prévoit :

      « 1.  Celui qui fait l’objet d’un mandat de détention provisoire est conduit à la prison réservée aux prévenus et est présenté au directeur de celle-ci (...). »

      10.  L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé :

      « Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

      EN DROIT

      I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

      11.  Les requérants allèguent que leurs conditions de détention étaient contraires à l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

      « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

      A.  Sur la recevabilité

      12.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

      B.  Sur le fond

      13.  Les requérants se réfèrent à la jurisprudence de la Cour dans des affaires dirigées contre la Grèce, où elle a à plusieurs reprises conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions d’emprisonnement dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire. Ils soutiennent qu’ils restaient enfermés dans leur cellule et qu’ils n’avaient pas de repas d’une qualité nutritionnelle suffisante. Ils allèguent que la mise en détention pour une période prolongée dans des locaux de police est en soi incompatible avec les exigences de l’article 3.

      14.  Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations.

      15.  La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Van der Ven c. Pays-Bas, n50901/99, § 47, CEDH 2003-II). La Cour a ainsi jugé qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI).

      16.  La Cour rappelle également que les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. S’il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3 de la Convention, cette disposition impose néanmoins à l’État de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92-94, et Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006-IX).

      17.  La Cour note qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, d’affaires relatives aux conditions d’emprisonnement dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion, et qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans ces affaires (Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07,juin 2009, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, Efremidi c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011, et Aslanis, précité). Mises à part les déficiences particulières quant à la détention des intéressés dans chacune des affaires précitées, ayant notamment trait au surpeuplement, au manque d’espace extérieur pour se promener, à l’insalubrité et à la qualité de la restauration, la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 de la Convention sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein des commissariats de police, comprises entre deux et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention (Siasios et autres, § 32, Vafiadis, §§ 35-36, Shuvaev, § 39, Tabesh, § 43, Efremidi, § 41, et Aslanis § 39, précités).

      18.  La Cour relève qu’en l’espèce les requérants ont été détenus pendant des périodes dépassant deux mois dans les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique, soit dans des locaux qui, de par leur nature même, ne sont pas adaptés aux besoins d’une incarcération prolongée (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006, et Efremidi, ibidem).

      19.  Par ailleurs, la Cour note que tous les requérants étaient des prévenus, et que l’article 284 du CPP dispose que celui qui fait l’objet d’un mandat de détention provisoire est conduit dans des prisons réservées aux prévenus. Elle relève également que l’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 dispose que la détention dans les commissariats de prévenus et de condamnés est permise uniquement pour le temps strictement nécessaire à leur transfert vers les établissements pénitentiaires ou lorsque leur transfert immédiat n’est pas possible.

      20.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, et vu la jurisprudence précitée en la matière, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.

      II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

      21.  Invoquant l’article 13 de la Convention, les requérants se plaignent de ne pas avoir disposé dans l’ordre juridique interne d’un recours effectif leur permettant de se plaindre de leurs conditions de détention.

      22.  Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations.

      23.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

      24.  Quant au fond, la Cour note, en premier lieu, que les requérants ont saisi, en vertu de l’article 572 du code de procédure pénale, le procureur près le tribunal correctionnel d’une requête tendant à l’amélioration de leurs conditions de détention. Comme il ressort du dossier, cette requête est restée sans réponse. En outre, vu la jurisprudence de la Cour en la matière (voir, parmi d’autres, Lici c. Grèce, no 69881/12, §§ 39-43 et 58, 17 avril 2014), la Cour considère que les requérants ne disposaient pas en l’espèce de recours effectif leur permettant de se plaindre de leurs conditions de détention dans la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention.

      III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

      25.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

      « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

      A.  Dommage

      26.  Les requérants réclament chacun 6 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils disent avoir subi. Ils demandent que ces montants soient versés sur le compte bancaire de leurs avocats.

      27.  Le Gouvernement estime qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. Au demeurant, il estime que 5 000 EUR à chacun des requérants serait une somme suffisante au titre du dommage moral subi.

      28.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants la somme demandée, à savoir 6 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt. Cette somme sera versée sur le compte bancaire de leurs avocats.

      B.  Frais et dépens

      29.  Les requérants demandent conjointement 2 000 EUR pour les frais et dépens exposés devant la Cour. Ils invitent la Cour à verser cette somme directement sur le compte indiqué par leurs représentants, expliquant que laisser à chacun le soin de payer lui-même sa part aux avocats causerait des problèmes logistiques complexes.

      30.  Le Gouvernement souligne que la somme réclamée n’est pas raisonnable et que les requérants ne produisent aucun élément de nature à justifier le niveau de cette prétention. Il estime par ailleurs qu’une somme de 1 000 EUR serait raisonnable pour une affaire de ce type.

      31.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour note d’abord que la somme réclamée n’est pas déraisonnable, compte tenu du nombre des requérants et des violations constatées. Elle considère aussi que la possibilité pour eux de recouvrer leurs représentants après que la Cour ait rendu son arrêt serait problématique, les requérants s’étant dispersés après leur mise en liberté. Elle consent dès lors à ce que la somme de 1 000 EUR soit versée directement sur le compte indiqué par leurs avocats.

      C.  Intérêts moratoires

      32.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

      PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

      1.  Déclare la requête recevable ;

       

      2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

       

      3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

       

      4.  Dit

      a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à verser directement sur le compte bancaire indiqué par leurs avocats :

      i.  6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à chacun des requérants pour dommage moral,

      ii.  1 000 EUR (mille euros), conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens,

      b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

       

      5.  Rejette la demande de satisfaction équitable sur le surplus.

      Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 avril 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      André Wampach                                                                      Ledi Bianku
      Greffier adjoint                                                                        Président


       

      Annexe-

      Liste des requérants

       

       

       

      No.

      Prénom NOM

      Date ou année de naissance

      Nationalité

      1.       

      Mustafa ALI

      21/04/1961

      bulgare

      2.       

      Gancho ANGELOV

      10/12/1979

      bulgare

      3.       

      Ivo HACHOYAN

      22/02/1988

      bulgare

      4.       

      Milen MARINOV

      23/01/1987

      bulgare

      5.       

      Rumen RUMENOV

      11/10/1985

      bulgare

      6.       

      Stoyan STOYANOV

      07/08/1981

      bulgare

       


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