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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KACAN v. TURKEY - 58112/09 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Second Section)) French Text [2016] ECHR 650 (12 July 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/650.html Cite as: [2016] ECHR 650 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KAÇAN c. TURQUIE
(Requête no 58112/09)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juillet 2016
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Kaçan c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Julia Laffranque,
présidente,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58112/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Cem Kaçan (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me A. Bilgiç, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le requérant alléguait en particulier que l’utilisation des transcriptions des écoutes téléphoniques le concernant avait enfreint l’article 6 de la Convention.
4. Le 2 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1968. Il purge actuellement une peine de prison à Istanbul. À l’époque des faits, il tenait un petit commerce à Yüksekova.
A. Genèse de l’affaire
6. En 2005, à la suite d’une enquête des services de renseignement sur un trafic international de drogue, la direction de la lutte contre les stupéfiants de la police d’Istanbul demanda l’autorisation de mettre sur écoute téléphonique un certain V.Ö., considéré comme le principal acteur du trafic en question, ainsi que six autres personnes.
7. Le 30 mars 2005, la 11e chambre de la cour d’assises d’Istanbul accorda l’autorisation requise à l’égard des sept personnes visées et de neuf numéros de téléphone utilisés par celles-ci.
8. Toutes les écoutes furent interrompues le 26 mai 2005 à l’expiration des délais autorisés par la cour d’assises.
9. Le 1er juin 2005, le nouveau code de procédure pénale entra en vigueur.
10. Entre le 3 juin et le 22 juillet 2005, les différentes chambres de la cour d’assises d’Istanbul autorisèrent, par quatorze décisions, des écoutes téléphoniques à l’égard de onze personnes, notamment des sept ayant fait l’objet de la décision du 30 mars 2005. Selon la police, ces personnes changeaient souvent de numéro de téléphone.
11. Le requérant ne figurait pas parmi les personnes mises sur écoute, mais il eut des conversations téléphoniques avec elles.
12. Différentes personnes firent également l’objet de filatures pendant cette période ; des photographies furent prises.
13. Plusieurs suspects furent arrêtés simultanément le 15 août 2005, à différentes adresses d’Istanbul.
B. Les conversations téléphoniques du requérant
14. Le 21 juin 2005, lors d’une conversation téléphonique ayant fait l’objet d’une écoute, Y.B. et K.D. convinrent qu’une personne fournirait une « marchandise » en provenance d’Iran.
15. D’autres conversations conduisirent les policiers à soupçonner le requérant, qui avait parlé à différentes dates avec İ.Ö., K.D., Y.B., H.B. et N.B., placés sur écoute téléphonique à la suite des décisions susmentionnées.
16. Les 27, 28 et 29 juin 2005, le requérant parla au téléphone avec K.D. et Y.B. de certaines sommes d’argent et d’un aller-retour de deux jours en Iran. Il dit qu’il pourrait ainsi « finir son travail et le leur ». Y.B. refusa de payer la somme de « vingt mille » demandée par le requérant. Celui-ci déclara alors qu’il pouvait vendre la marchandise à quelqu’un d’autre.
17. K.D. et Y.B. parlèrent alors entre eux et s’accordèrent sur la somme. Y.B. rappela le requérant à ce sujet, lequel déclara qu’il obtiendrait « la marchandise » le plus rapidement possible et prendrait ensuite contact avec Y.B.
18. Dans une conversation téléphonique du 30 juin 2005, le requérant et Y.B. discutèrent, en kurde, des détails de la livraison. Le même jour, le requérant appela de nouveau Y.B. pour l’informer de son arrivée en Iran.
19. Le 1er juillet 2005, le requérant appela Y.B. pour lui dire qu’il venait de rentrer d’Iran et qu’il voulait lui rendre visite le vendredi suivant.
20. À une date non précisée, le requérant parla à plusieurs reprises avec H.B. et N.B. de la livraison, qui devait avoir lieu à Istanbul depuis Yüksekova.
21. A.O. téléphona à N.B. pour lui dire de charger son véhicule. İ.Ö. parla avec N.B. pour lui dire comment dissimuler la marchandise dans le véhicule. Par la suite, N.B., qui s’était chargé du transport, annonça à H.B. que la livraison avait eu lieu sans problème.
C. La procédure pénale
22. Lors d’opérations policières menées à Istanbul, plusieurs personnes furent arrêtées. Par ailleurs, cent cinquante-trois kilogrammes d’héroïne, vingt kilogrammes de produits auxiliaires utilisés pour la fabrication d’héroïne, deux armes à feu et des munitions, ainsi que deux fausses pièces d’identité, deux faux permis de conduire, un véhicule, vingt et un téléphones portables et quarante-six puces électroniques dites « cartes sims » furent saisis. D’après certains documents versés au dossier par les parties, la livraison susmentionnée, objet des conversations du requérant, concernait soixante-cinq kilogrammes d’héroïne.
23. Le requérant fut arrêté le 25 août 2005 à Yüksekova. Assisté d’un avocat, il affirma tant devant la police que devant le procureur qu’il connaissait les suspects arrêtés durant les opérations policières mais qu’il n’avait aucun lien particulier avec eux. Il indiqua s’être entretenu avec N.B. au sujet d’une transaction qu’ils auraient conclue et au titre duquel ce dernier lui aurait dû de l’argent. Il ajouta s’être rendu une journée en Iran pour distribuer des invitations à un mariage, ses grands-parents vivant là-bas. Il soutint qu’il n’avait rien à voir avec la drogue en question. Le requérant fut remis en liberté le jour même.
24. Le 2 septembre 2005, un mandat d’arrêt fut émis à son encontre par la cour d’assises d’Istanbul. Le requérant prit la fuite.
25. Le 12 septembre 2005, le procureur de la République d’Istanbul déposa un acte d’accusation relatif à ces évènements. Il requit des peines à l’encontre de onze personnes, dont le requérant, variables selon le degré d’implication de chacun dans le trafic de drogue.
26. Durant les audiences, le requérant fut représenté par son avocat, qui déclara que son client était innocent et demanda la levée du mandat d’arrêt le concernant. Ces demandes furent toutes rejetées.
27. Le requérant fut arrêté le 8 septembre 2007 et placé en détention provisoire par le tribunal d’instance pénal de Yüksekova. Il bénéficia de l’assistance d’un avocat tout au long de cette procédure puis, à l’exception de sa première comparution du 23 octobre 2007, devant la cour d’assises d’Istanbul.
28. Lors de ses dépositions devant la police, le procureur et le tribunal d’instance pénal de Yüksekova, puis ultérieurement durant les audiences tenues par la cour d’assises d’Istanbul, le requérant argua que la famille de Y.B. faisait ses courses dans son magasin et que c’est dans ce cadre que ce dernier lui aurait dû de l’argent. Au cours de leurs conversations téléphoniques, il aurait été question de cette somme mais également de tapis iraniens que Y.B. lui aurait demandé d’acheter. Il aurait alors promis d’apporter les tapis afin de récupérer son argent puis aurait demandé une somme d’argent supplémentaire en raison des difficultés qu’il était susceptible de rencontrer à la frontière iranienne. Son avocat réfuta les accusations dirigées contre lui et plaida qu’il n’y avait aucune preuve à l’encontre du requérant mis à part les conversations téléphoniques, lesquelles pouvaient selon lui être interprétées comme portant sur un commerce ordinaire. Lors de toutes les audiences, l’avocat du requérant contesta la validité juridique des preuves constituées par ces conversations car il n’aurait existé aucune décision judiciaire visant le requérant et autorisant son placement sur écoute téléphonique.
29. Les demandes ultérieures de libération du requérant furent toutes rejetées.
30. Durant les audiences, les principaux coaccusés, V.Ö., Y.B., H.Ö., A.O. et T.Y., admirent certains faits et expliquèrent que la drogue était destinée à la Macédoine et à l’Espagne. Ils indiquèrent les noms des acheteurs puis demandèrent des réductions de peine pour avoir aidé au démantèlement du réseau. Cette demande fut rejetée ultérieurement au motif que les informations n’avaient pas permis d’identifier les personnes concernées, notamment celles en charge du transfert de la drogue en Europe.
31. Plusieurs rapports d’expertise relatifs à la drogue et aux autres objets saisis furent versés au dossier.
32. Par un jugement du 26 mai 2008, la cour d’assises d’Istanbul condamna le requérant à une peine de seize ans et trois mois de réclusion. Se fondant sur les enregistrements des conversations téléphoniques de plusieurs des accusés avec le requérant et sur la cohérence de celles-ci avec le déroulement des faits, la cour d’assises jugea qu’il était établi que le requérant fournissait au réseau de la morphine non transformée en provenance d’Iran.
33. Tous les coaccusés furent acquittés du chef d’association criminelle (suç işlemek amacıyla örgüt kurma) au motif qu’il n’avait pas été établi au-delà de tout doute qu’une association systématique au sens de l’article 220 du code pénal avait été mise sur pied. Ils furent néanmoins condamnés du chef de trafic de stupéfiant en collaboration (iştirak halinde uyuşturucu ticareti), au sens de l’article 188 § 3 du code pénal, au vu de l’entente établie. Les coaccusés furent ainsi condamnés à des peines de réclusion variant de six à seize ans et à des amendes. Le coaccusé N.Ç. fut acquitté pour absence de preuves. Dans la partie du jugement relative aux faits, il est également fait mention de plusieurs personnes en fuite.
34. Le 28 mai 2009, à l’issue d’une audience à laquelle l’avocat du requérant participa, la Cour de cassation confirma à la majorité le jugement cité ci-dessus. L’un des juges exprima une opinion dissidente au sujet du requérant et de H.B. Il indiquait qu’il n’y avait pas de décision judiciaire autorisant l’écoute téléphonique de ces personnes, que leurs conversations ainsi interceptées constituaient des preuves obtenues de manière illégale et qu’elles ne pouvaient donc pas être utilisées à leur encontre. Il ajoutait que les conversations en question pouvaient se prêter à différentes interprétations et qu’aucun des coaccusés n’avait mentionné la participation de ces deux personnes au crime en question. Il concluait ainsi que, mis à part les conversations téléphoniques, il n’y avait aucune preuve établissant au-delà de tout doute raisonnable que le requérant avait commis l’infraction reprochée.
35. Le 22 juin 2009, le requérant introduisit une demande sollicitant du procureur général de la République près la Cour de cassation la formation d’une opposition à cet arrêt, en vertu de l’article 308 du code de procédure pénale. Le 9 juillet 2009, le procureur général de la République rejeta cette demande, considérant qu’il n’y avait aucun élément factuel ou juridique qui rendait ce recours nécessaire.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
36. La Cour renvoie à son arrêt Karabeyoğlu c. Turquie (no 30083/10, §§ 37-45, 7 juin 2016) en ce qui concerne les points suivants :
- l’article 22 de la Constitution quant à la liberté de communication,
- l’article 135 du code de procédure pénale (CPP) en vigueur à l’époque des faits quant à l’interception, l’écoute et l’enregistrement des communications,
- l’article 137 du CPP quant à l’exécution des décisions d’interception et à la destruction des données relatives aux communications,
- l’article 138 du CPP sur les preuves obtenues de manière fortuite,
- les règlements sur l’application des mesures de surveillance au sens du CPP,
- les dispositions du code pénal qui prévoient des peines de réclusion pour l’écoute et l’enregistrement illégaux des conversations d’autrui.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
37. Le requérant allègue que les seules preuves à son encontre sont les conversations téléphoniques qu’il a eues avec les accusés, et qu’il n’était pas concerné par les décisions judiciaires autorisant les écoutes, lesquelles ne visaient que les accusés. Il considère ainsi qu’il a fait l’objet d’écoutes illégales et que l’utilisation de ces preuves dans la procédure pénale litigieuse a constitué une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
38. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Se référant à plusieurs arrêts de la Cour, il indique que relèvent de la compétence des tribunaux nationaux l’appréciation des preuves et la décision de recevabilité ou de non-recevabilité de ces preuves eu égard à leur mode d’obtention.
A. Sur la recevabilité
39. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.
B. Sur le fond
40. Le requérant conteste l’admissibilité à titre de preuve et l’interprétation des informations obtenues par des écoutes téléphoniques qui ne le visaient pas directement.
41. Le Gouvernement invite la Cour à dire qu’il n’y a pas eu violation de la Convention.
1. Les principes pertinents
42. La Cour rappelle qu’elle a pour seule tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant pour les États contractants de la Convention. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-96, CEDH 2006-IX).
43. La Cour n’a donc pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne, ou encore sur la culpabilité du requérant. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’« illégalité » en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 89, 10 mars 2009, et les références qui y figurent).
44. Pour déterminer si la procédure dans son ensemble a été équitable, il faut aussi se demander si les droits de la défense ont été respectés. Il faut rechercher notamment si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude. Si un problème d’équité ne se pose pas nécessairement lorsque la preuve obtenue n’est pas corroborée par d’autres éléments, il faut noter que lorsqu’elle est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d’autres éléments à l’appui devient moindre (Bykov précité, §§ 89-90).
45. La Cour a relevé notamment dans les arrêts Khan c. Royaume-Uni (no 35394/97, §§ 25-28, CEDH 2000-V), P.G. et J.H. c. Royaume-Uni (no 44787/98, §§ 37-38, CEDH 2001-IX), Bykov (précité, §§ 72-83) et Dragojević c. Croatie (no 68955/11, §§ 85-102, 15 janvier 2015) que l’emploi d’appareils d’écoute secrète était contraire à l’article 8, puisque le recours à de tels dispositifs était dépourvu de base en droit interne et que l’ingérence dans l’exercice par les requérants concernés du droit au respect de leur vie privée n’était pas « prévue par la loi ». Néanmoins, la Cour avait conclu que l’admission comme preuves des informations ainsi obtenues ne se heurtait pas, dans les circonstances de ces affaires, aux exigences d’équité posées par l’article 6 § 1 de la Convention (Khan, §§ 34-40, P.G. et J.H., §§ 76-81, Bykov, §§ 94-105, Dragojević, §§ 131-135, tous précités).
2. Application de ces principes en l’espèce
46. La Cour observe que le requérant invoque deux arguments pour contester l’utilisation à son procès des éléments obtenus au moyen d’écoutes téléphoniques qui ne le visaient pas directement. Premièrement, il allègue que l’utilisation de ces éléments allait à l’encontre du droit à un procès équitable dès lors que les autorisations judiciaires pour procéder aux écoutes téléphoniques ne le concernaient pas et ne visaient que ses coaccusés, avec lesquels il avait eu des conversations. Deuxièmement, sans contester l’authenticité des informations ainsi recueillies, il considère que celles-ci se prêtaient à une interprétation différente de celle donnée par les juridictions internes.
47. Sur le premier argument, la Cour rappelle avoir déjà dit que l’interception de communications téléphoniques réalisée par le biais d’écoutes opérées sur la ligne d’une tierce personne constitue une ingérence au regard de l’article 8 de la Convention. Une conclusion différente équivaudrait en effet à vider le mécanisme protecteur d’une large partie de sa substance (Lambert c. France, 24 août 1998, §§ 28 et 38-41, Recueil des arrêts et décisions 1998-V).
48. Cela étant, en l’espèce, le requérant ne se plaint pas, même en substance, d’une violation de ses droits garantis par les articles 8 ou 13 de la Convention. Par conséquent, la Cour n’examinera que l’utilisation des écoutes litigieuses dans le procès pénal mené à l’encontre du requérant (voir également Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, § 53, série A no 140, arrêt dans lequel la Cour a indiqué que le grief tiré de l’article 8, pour autant qu’il concernait l’utilisation des conversations litigieuses, était absorbé par celui tiré de l’article 6 de la Convention, qui avait précédemment conduit à examiner l’utilisation de la cassette au cours de l’instruction et du procès). La Cour rappelle que, même dans un cas où une violation de l’article 8 est établie et où les informations obtenues par le biais de ces écoutes sont utilisées, cela n’entraîne pas automatiquement une violation de l’article 6 de la Convention (paragraphe 45 ci-dessus).
49. La Cour rappelle une nouvelle fois que si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (paragraphe 42 ci-dessus). La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve, même recueillie de manière illégale. Il lui incombe seulement de rechercher si le procès a présenté dans l’ensemble un caractère équitable (Schenk, précité, § 46).
50. En l’espèce, le requérant a eu la possibilité de contester tant la recevabilité des transcriptions des écoutes téléphoniques comme moyens de preuve que leur interprétation, et ce au cours de débats contradictoires, aussi bien devant la juridiction de première instance que devant la Cour de cassation, qui a également tenu audience. Que ses efforts en ce sens aient échoué n’y change rien puisqu’il n’y a pas eu méconnaissance des droits de la défense, ce que le requérant n’allègue d’ailleurs pas.
51. La Cour observe en outre que, pour condamner le requérant, la juridiction interne ne s’est pas seulement appuyée sur les enregistrements litigieux mais a étudié la cohérence des faits, en examinant conjointement notamment l’acheminement de la drogue, les conversations tenues par le requérant, ainsi que celles des autres suspects faisant l’objet d’une écoute.
52. Quant à l’argument selon lequel l’interprétation donnée à ces conversations n’était pas correcte, la Cour considère que les autorités judiciaires nationales étaient les mieux placées tant pour apprécier le sens des conversations du requérant et les croiser avec le déroulement des faits que pour juger de l’importance des autres éléments de preuve versés au dossier en rapport avec ces conversations. Rien ne permet de remettre en cause les constats auxquels sont parvenues ces autorités ou de dire que l’examen n’a pas été suffisamment approfondi. Dans ce contexte, la Cour note aussi que l’un des coaccusés a été acquitté pour insuffisance de preuve. On ne peut donc dire que les autorités judiciaires ont agi d’une manière arbitraire ou manifestement déraisonnable dans l’appréciation des faits ou ont exercé leur pouvoir dans le but de condamner toute personne impliquée dans les faits.
53. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la procédure conduite dans l’affaire du requérant, considérée dans son ensemble, n’a pas méconnu les exigences d’un procès équitable. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley Naismith Julia Laffranque
Greffier Présidente