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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KAPES v. GREECE - 8673/13 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section Committee)) French Text [2016] ECHR 693 (21 July 2016)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2016/693.html
Cite as: [2016] ECHR 693

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE KAPES c. GRÈCE

     

    (Requête no 8673/13)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    21 juillet 2016

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Kapes c. Grèce,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :

              Ledi Bianku, président,
              Linos-Alexandre Sicilianos,
              Aleš Pejchal, juges,
    et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8673/13) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Apostolos Kapes (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 janvier 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me K. Demertzis, avocat au barreau de Iraklio. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, O. Souropani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

    3.  Le 6 mars 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Le requérant est né en 1959 et réside à Athènes.

    5.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

    6.  Le 30 avril 2006, le requérant épousa Mme E.H. Une enfant, N., est née de cette union le 2 octobre 2006. Cependant, en août 2006 alors que Mme E.H. était encore enceinte, les époux rompirent leur relation et divorcèrent.

    7.  Un ordre provisoire du 25 avril 2007, puis une décision du 24 septembre 2007 du tribunal de première instance d’Athènes (décision n7573/2007), réglèrent provisoirement la question des contacts du requérant avec sa fille.

    8.  Le 24 octobre 2007, Mme E.H. saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une action tendant à se voir accorder l’autorité parentale sur sa fille ainsi qu’une pension alimentaire. Par une action reconventionnelle du 8 mars 2008, le requérant demanda que l’autorité parentale lui soit accordée au motif que son ex-femme avait des problèmes psychologiques. Il demanda aussi que le tribunal règle les questions du droit de visite pour la période pendant laquelle N. serait sous la garde de sa mère.

    9.  Le 5 mai 2008, le tribunal tint audience après avoir joint les deux actions. Conformément à la législation en vigueur, la présidente invita les parties, avant qu’elle ne se prononce, à trouver un compromis.

    10.  Un compromis fut atteint et la présidente rendit sa décision (no 1637/2008) le 11 novembre 2008.

    11.  Le requérant prétendit que le projet ne reflétait pas le compromis et avait notamment omis d’inclure le chapitre concernant son droit de visite en milieu de semaine, et qui avait donné lieu à d’âpres négociations.

    12.  Par une lettre du 22 décembre 2008, l’avocat du requérant invita la présidente du tribunal de première instance à procéder sans tarder à la mise au net et à la signature de la décision afin que celle-ci devienne exécutoire.

    13.  Le 23 décembre 2008, le requérant déposa une demande en référé (ασφαλιστικά μέτρα), ainsi qu’une demande d’ordre provisoire (προσωρινή διαταγή) afin qu’il puisse voir sa fille pendant les vacances de Noël. Le 24 décembre 2008, la présidente ordonna provisoirement à Mme E.H. (προσωρινή διαταγή) de confier N. à son père du 24 au 26 décembre 2008. En ce qui concerne la demande en référé, le tribunal la rejeta le 13 février 2009 (décision no 1325/2009).

    14.  L’arrêt no 1637/2008 du tribunal de première instance fut mis au net et certifié conforme le 14 janvier 2009.

    15.  Entretemps, le 24 décembre 2008, le requérant, par l’intermédiaire de son avocat, déposa auprès du tribunal de première instance une demande en rectification de la décision no 1637/2008. Il soutenait que la partie concernant le droit de visite ne coïncidait pas avec ce qui avait été décidé lors de la procédure de compromis.

    16.  Le 12 janvier 2009, le requérant introduisit une deuxième action (επιβοηθητική αγωγή) tendant à faire rectifier la décision no 1637/2008 ou, à titre subsidiaire, à la modifier.

    17.  L’audience relative à la demande en rectification et à la deuxième action eut lieu le 16 février 2009 et la décision no 1265/2009 fut rendue le 9 septembre 2009. Ladite décision fixa le droit de visite du requérant. Ladite décision fut mise au net et certifiée conforme le 16 novembre 2009.

    18.  Le 28 décembre 2009, Mme E.H. interjeta appel contre cette décision au motif que les rectifications opérées n’étaient pas indiquées dans le procès-verbal de la décision no 1637/2008 du tribunal de grande instance d’Athènes.

    19.  Le 9 juin 2011, Mme E. H demanda la fixation d’une date d’audience.

    20.  L’audience initiale du 19 janvier 2012 fut reportée au 24 mai 2012, sur demande de Mme E. H, après l’introduction du contre-appel du requérant le 17 janvier 2012. Ce dernier demandait à la cour d’appel, au cas où elle accueillerait l’appel de Mme E.H., d’ordonner un examen psychiatrique de celle-ci et de juger l’affaire au fond.

    21.  Par un arrêt du 14 décembre 2012, la cour d’appel d’Athènes donna gain de cause à Mme E.H. et rejeta le contre-appel du requérant (arrêt n6271/2012). Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 3 avril 2013.

    22.  Le requérant ne se pourvut pas en cassation. Il prétend que comme l’arrêt de la cour d’appel concernait l’appréciation des faits, un pourvoi n’aurait aucune chance de succès.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    23.  La loi no 4239/2014, intitulée « satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes », est entrée en vigueur le 20 février 2014. Cette loi introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable pour le préjudice moral causé par la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions civiles. L’article 3 § 1 dispose :

    « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    24.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    A.  Sur la recevabilité

    25.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Période à prendre en considération

    26.  La période à considérer a débuté le 24 octobre 2007, avec la saisine du tribunal de première instance d’Athènes et s’est terminée le 14 décembre 2012, date à laquelle l’arrêt no 6271/2012 de la cour d’appel d’Athènes a été publié. Elle a donc duré cinq ans et deux mois environ pour deux instances.

    2.  Durée raisonnable de la procédure

    27.  Le requérant considère que la durée de la procédure a été excessive, mettant en cause les défaillances de la procédure de compromis devant le juge, ainsi que la qualité de la décision initiale rendue transcrivant le compromis atteint entre les parties. Il allègue qu’en raison desdites défaillances, il a été obligé de multiplier les démarches auprès des autorités judiciaires, afin d’obtenir la rectification et l’annulation de cette dernière décision.

    28.  Le Gouvernement procède à une analyse chronologique de la procédure en cause et estime qu’elle s’est déroulée de façon générale dans des délais raisonnables. Il allègue que toutes les audiences devant les juridictions internes ont été fixées dans de courts délais et qu’aucune période d’inactivité ne saurait être attribuée aux autorités nationales. Rappelant le principe de l’initiative des parties dans la procédure civile, il considère, s’agissant de la durée de la procédure en appel, qu’il faudrait en déduire une période d’inactivité de deux ans et sept mois imputable aux parties. Pour le reste, il estime que l’ensemble de la procédure a connu un rythme soutenu et sa durée totale s’est étalée sur trois ans environ.

    29.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés. Dans les affaires concernant l’autorité parentale et le droit de visite, l’enjeu du litige pour le requérant est aussi un critère pertinent. Une diligence particulière s’impose en outre eu égard aux éventuelles conséquences qu’une lenteur excessive peut avoir notamment sur la jouissance du droit au respect de la vie familiale. Il s’ensuit que lesdites affaires doivent être traitées avec une célérité particulière (Paulsen-Medalen et Svesson c. Suède, 19 février 1998, § 39, Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 18, CEDH 1999-I, et Tsikakis c. Allemagne, n1521/06, 10 février 2011, § 64).

    30.  En l’espèce, la Cour note que l’affaire ne présentait pas en soi de complexité particulière. Qui plus est, les parties ont atteint un compromis, lors de l’audience initiale du 5 mai 2008 devant le tribunal de première instance. Or, l’arrêt no 1637/2008 de ladite juridiction, transcrivant ledit compromis, n’a été mis au net et certifié conforme que le 14 janvier 2009, à savoir plus de six mois après l’audience. D’ailleurs, s’agissant de la procédure de rectification, même si l’audience devant le tribunal de première instance a été fixée dans un bref délai, une décision n’a été rendue que sept mois environ plus tard. La Cour estime que lesdits délais ne sont pas conformes avec la diligence particulière requise par les autorités compétentes dans des affaires portant sur le droit de visite d’un parent à l’égard de son enfant. En ce qui concerne la procédure en appel, la Cour observe qu’un délai de trois ans s’est écoulé entre l’appel de Mme E. H, ex-épouse du requérant, et la publication de l’arrêt no 6271/2012 de la cour d’appel d’Athènes. À supposer même qu’une période d’un an et de plus de cinq mois, écoulée entre la saisine de ladite juridiction et la demande de fixation d’une date d’audience devant elle, puisse être attribuée à l’inactivité des parties, le Gouvernement ne fournit aucune explication susceptible de justifier la période restante. Or, la Cour considère que celle-ci a été excessive et que les autorités n’ont pas agi avec la célérité qu’exigent les situations de ce type.

    31.  Compte tenu de l’enjeu du litige pour le requérant et de la célérité particulière qui s’imposait en l’espèce en raison des conséquences irrémédiables que le passage du temps risquait de faire peser sur la relation entre le requérant et son enfant, la Cour estime que les juridictions grecques n’ont pas fait preuve de la diligence nécessaire et que la durée globale de la procédure n’était pas raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

    Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

    II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    32.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du fait que la cour d’appel a rejeté son contre-appel. Invoquant l’article 8 de la Convention, il se plaint aussi d’une limitation de ses droits de visite à sa fille mineure en raison des défaillances de la procédure de compromis devant la présidente du tribunal de grande instance et de la longueur de la procédure judiciaire.

    33.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    34.  En outre, en ce qui concerne le grief relatif à l’article 8 de la Convention, la Cour note qu’en omettant de se pourvoir en cassation le requérant n’a pas fait usage d’un recours qui présentait des perspectives raisonnables de succès et était susceptible de lui offrir un redressement approprié dudit grief.

    35.  Partant, le grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention doit être rejeté, conformément à l’article 35 § 1 et 4 de la Convention, pour non-épuisement des voies de recours internes.

    III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    36.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    37.  Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

    38.  Le Gouvernement conteste ces prétentions et invite la Cour à rejeter cette demande. Il considère qu’en tout état de cause, le constat d’une violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du préjudice moral.

    39.  La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Compte tenu des circonstances de la cause et ainsi de l’enjeu du litige pour le requérant, elle lui accorde 3 500 EUR à ce titre.

    B.  Frais et dépens

    40.  Le requérant demande également 4 250 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 10 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Il produit trois factures relatives à la procédure devant les juridictions internes, ainsi que l’accord conclu avec son conseil, concernant ses honoraires à l’égard de la procédure devant la Cour.

    41.  Le Gouvernement conteste ces prétentions et estime que le montant éventuellement accordé au requérant à ce titre ne saurait dépasser les 500 EUR.

    42.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et les frais et dépens sollicités devant les juridictions internes et rejette cette partie de la demande.

    43.  Elle rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leurs réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 350 EUR pour les frais et dépens concernant la procédure devant la Cour.

    C.  Intérêts moratoires

    44.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention relatif à la durée de la procédure en cause et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i)  3 500 EUR (trois mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii)  350 EUR (trois cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens devant la Cour ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      Renata Degener                                                                      Ledi Bianku
    Greffière adjointe                                                                      
    Président


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