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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> REZMIVES AND OTHERS v. ROMANIA - 61467/12 (Judgment : Violation of Article 3 - Prohibition of torture (Article 3 - Degrading treatment) (Substantive aspect) Respondent State to ta...) French Text [2017] ECHR 378 (25 April 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/378.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2017:0425JUD006146712, [2017] ECHR 378, CE:ECHR:2017:0425JUD006146712 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE REZMIVEȘ ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requêtes nos 61467/12, 39516/13, 48231/13 et 68191/13)
ARRÊT
STRASBOURG
25 avril 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Rezmiveș et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Ganna Yudkivska,
présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Iulia Motoc,
Marko Bošnjak, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mars 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent quatre requêtes (nos 61467/12, 39516/13, 48231/13 et 68191/13) dirigées contre la Roumanie et dont quatre ressortissants de cet État, MM. Daniel Arpad Rezmiveș, Laviniu Moşmonea, Marius Mavroian et Iosif Gazsi (« les requérants »), ont saisi la Cour le 14 septembre 2012, le 6 juin 2013, le 24 juillet 2013 et le 15 octobre 2013 respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le premier requérant, M. Rezmiveş, a été représenté par Mme M.C. Boncea et le deuxième requérant, M. Mavroian, par Me N.T. Popescu, avocate à Bucarest. Les troisième et le quatrième requérant, MM. Moşmonea et Gazsi, ont été autorisés par le président de la section, conformément à l’article 36 § 2 du règlement de la Cour (« le règlement »), à présenter leur cause eux-mêmes.
3. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
4. Devant la Cour, les requérants se plaignaient, en particulier, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, des conditions de leur détention dans différents établissements pénitentiaires ou dépôts de la police.
5. Entre le 7 octobre 2013 et le 25 juin 2014, les griefs soulevés par les requérants au titre de l’article 3 de la Convention concernant leurs conditions de détention ont été communiqués au Gouvernement. En même temps, le président de la section, siégeant en tant que juge unique (article 54 § 3 du règlement) a déclaré irrecevable le restant des griefs soulevés dans les présentes requêtes.
6. Le 15 septembre 2015, une chambre de la troisième section a informé les parties que, dès lors qu’il s’agissait d’un problème structurel, la Cour entendait faire application de l’article 61 du règlement, et elle les a invitées à soumettre leurs observations à ce sujet. Conformément aux articles 41 et 61 § 2 c) du règlement, la chambre a également décidé de traiter en priorité les requêtes précitées. Tant le Gouvernement que les requérants ont formulé des observations au sujet de l’application de la procédure de l’arrêt pilote.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
7. Les requérants sont nés respectivement en 1970, en 1966, en 1976 et en 1972. MM. Rezmiveș, Moşmonea et Gazsi sont actuellement détenus respectivement dans les prisons de Timişoara, Pelendava et Baia Mare. M. Mavroian, qui était détenu à la prison de Focşani, a été mis en liberté le 13 janvier 2015.
A. La détention du premier requérant
8. Le 5 avril 2011, le premier requérant fut incarcéré à la prison de Gherla. Il y séjourna jusqu’au 12 mars 2012, date à laquelle il fut transféré à la prison d’Aiud. Le 13 avril 2012, il fut transféré à la prison d’Oradea, où il séjourna jusqu’au 20 décembre 2012, avant d’être transféré, le 5 août 2013, à la prison de Timişoara.
9. Le premier requérant dénonce les conditions de détention dans les prisons de Gherla, d’Aiud et d’Oradea. Il en dénonce notamment le surpeuplement carcéral (d’après lui, entre 1,60 m² et 2,22 m² d’espace vital par détenu), l’absence d’éclairage naturel, la brièveté de la promenade quotidienne et le manque d’activités récréatives. Il indique que, dans la prison d’Aiud, il a partagé une cellule de 20 m² avec 9 codétenus, que, dans les cellules de la prison d’Oradea, en raison d’un surpeuplement très important et de fenêtres de dimensions réduites (80 cm x 80 cm) placées à une hauteur de 1,50 m sur un mur haut de 5 m, l’air était irrespirable. Il ajoute que des seaux étaient utilisés en guise de poubelles et que les toilettes étaient insalubres. Il se plaint que l’espace destiné aux promenades avait une superficie de 80-90 m² et qu’il était insuffisant pour les près de quarante détenus présents. Il indique enfin que toutes ces conditions, combinées avec l’absence de programmes socioculturels et éducatifs ou de cours de formation professionnelle, ont été pour lui la source d’une dépression et de sentiments d’humiliation.
10. Selon les informations fournies par le Gouvernement, fondées sur une lettre en provenance de la direction de l’administration nationale des pénitenciers (ci-après l’« ANP »), le premier requérant a bénéficié, à la prison de Gherla, durant la majeure partie de son incarcération, d’un espace vital compris entre 1,84 m² et 3,06 m². Pour une durée de trois jours, le premier requérant aurait été transféré dans une cellule mesurant 16,35 m² et, pour une durée de quinze jours, il aurait bénéficié d’un espace vital de 3,24 m². Le Gouvernement expose que certains transferts ont été sollicités par le premier requérant lui-même et que les autorités ont veillé à ce que celui-ci fût placé dans des cellules ayant une bonne capacité d’hébergement. Selon le Gouvernement, le premier requérant a eu accès à diverses activités socioculturelles, éducatives et sportives ainsi qu’à des promenades en extérieur.
11. Il ressort de la même lettre que, dans la prison d’Aiud, le premier requérant a bénéficié du 13 au 16 mars 2012 de 3,39 m² d’espace vital, du 16 mars au 2 avril 2012 de 2,47 m² et du 2 au 13 avril 2012 de 2,60 m². Le Gouvernement affirme que le premier requérant a eu la possibilité d’effectuer des promenades quotidiennes, qu’il a eu accès à des activités sportives, qu’il a pu prendre des douches deux fois par semaine et qu’il a séjourné dans des cellules appropriées, bien éclairées et ventilées, avec des toilettes séparées.
12. Selon le Gouvernement, une fois transféré à la prison d’Oradea, le premier requérant a bénéficié d’un espace vital de 6,37 m² (du 13 au 17 avril 2012), de 2,32 m² (du 17 avril au 12 juillet 2012), de 2,24 m² (du 12 juillet au 29 août 2012), de 2,37 m² (du 29 août au 10 octobre 2012 et du 8 novembre au 20 décembre 2012) et de 2,57 m² (du 10 octobre au 8 novembre 2012). Ces affirmations reposent sur la même lettre émanant de la direction de l’ANP, qui atteste également que le premier requérant a été incarcéré dans des cellules adéquates, ventilées, bien éclairées, chauffées pendant l’hiver, et qu’il a bénéficié de promenades journalières, de douches et de bonnes conditions d’hygiène.
B. La détention du deuxième requérant
13. Le 13 février 2008, le deuxième requérant fut placé en détention provisoire à la prison de Craiova. Après sa condamnation, il y purgea sa peine jusqu’au 17 mai 2012, date de son transfert à la prison de Târgu-Jiu. Le 11 juillet 2012, il fut transféré à la prison de Pelendava.
15. Le Gouvernement renvoie au contenu d’une lettre adressée le 3 février 2014 au bureau de l’Agent du Gouvernement par la direction de l’ANP, selon laquelle le deuxième requérant a bénéficié d’un espace vital de 1,40 à 1,73 m² à la prison de Craiova, de 2,07 m² à la prison de Târgu-Jiu et de 2,23 m² à la prison de Pelendava. D’après la même lettre, les cellules étaient pourvues de fenêtres et de toilettes, l’eau chaude était fournie deux fois par semaine, le deuxième requérant avait la possibilité d’effectuer des promenades quotidiennes de trois heures et avait accès à des activités socioculturelles, et la nourriture était conforme aux normes caloriques prévues par la législation nationale. Dans certaines cellules, il y aurait eu des lits superposés à trois niveaux, pourvus de matelas et de draps.
C. La détention du troisième requérant
16. Le 15 décembre 2009, le troisième requérant fut incarcéré à la prison de Rahova pour quelques mois avant d’être transféré successivement dans les prisons de Tulcea (2010), d’Iasi (2010-2014) et de Vaslui (2011-2013).
17. Le troisième requérant se plaint des conditions de détention dans la prison de Rahova, notamment du surpeuplement, de l’absence de ventilation des cellules, de la présence de moisissures sur les murs, de la mauvaise qualité de la nourriture et de la présence de punaises. Il allègue aussi qu’il a été obligé de partager des cellules avec des détenus qui se droguaient et qui souffraient de maladies transmissibles telles que l’hépatite. Il ajoute qu’il a été détenu dans les mêmes conditions à la prison de Tulcea, dans laquelle il dit avoir dû refuser de se nourrir pour pousser les autorités à lui assurer un traitement adéquat pour une affection lombaire. Transféré plusieurs fois à la prison d’Iasi, il affirme y avoir été détenu, à plusieurs reprises, avec un espace vital d’environ 3 m². Il indique avoir été contraint de partager une cellule avec un détenu souffrant de tuberculose et de subir les mêmes conditions que dans les deux premiers centres pénitentiaires, ce à quoi il faut, selon lui, ajouter des matelas hors d’usage et des cellules grouillant de rats. Une fois transféré à la prison de Vaslui, il aurait été incarcéré dans une cellule prévue pour deux personnes avec six codétenus. Il soutient que, en raison de ces conditions de détention, il a développé une prostatite et souffert d’hémorroïdes.
18. Selon les informations fournies par le Gouvernement, fondées sur une lettre de la direction de l’ANP, le troisième requérant a bénéficié, dans les quatre prisons dans lesquelles il a été incarcéré d’un espace vital compris entre 1,50 et 3 m². La lettre s’accompagne de documents justificatifs visant différents aspects des conditions matérielles de détention du troisième requérant dans les trois des quatre prisons où il a été incarcéré.
19. Selon le directeur en chef de l’ANP, à la prison de Tulcea, les cellules dans lesquelles le troisième requérant a été incarcéré étaient bien éclairées et ventilées, et équipées de toilettes, de douches et de lavabos en bon état de fonctionnement, et les détenus avaient accès en permanence à l’eau froide et deux fois par semaine à l’eau chaude. Dans la limite des fonds disponibles, des actions de désinfection auraient eu lieu, des produits d’hygiène auraient été fournis au troisième requérant et la nourriture aurait répondu aux normes qualitatives et quantitatives en vigueur. Il ressort de la copie d’un document relatif au programme de fonctionnement de la centrale thermique de la prison que l’eau chaude était fournie deux fois par semaine pour une durée de deux heures chaque fois. La copie d’un autre document atteste la fourniture, pour les cellules occupées par le requérant, à cinq reprises pendant l’année 2010 (entre le 22 janvier et le 26 octobre 2010), de savon, de dentifrice et de quelques rasoirs à usage unique.
20. Pour ce qui est de la prison d’Iasi, selon la direction de l’ANP, le troisième requérant a été incarcéré dans neuf cellules différentes, bien éclairées et bien ventilées, équipées de toilettes avec cloison. L’eau froide aurait été fournie en permanence et l’eau chaude produite par deux centrales rarement sujettes à des pannes. L’infestation par des parasites n’aurait pu être combattue que partiellement en raison d’un « grand nombre de détenus transférés/ayant transité, ainsi que d’une mauvaise hygiène collective et individuelle des détenus ». La nourriture aurait fait l’objet d’un contrôle par des spécialistes. De plus, les documents produits par le directeur en chef de l’ANP attestent les périodes pendant lesquelles l’eau froide et l’eau chaude ont été fournies (la section no 1 de la prison bénéficiait d’eau chaude pendant une heure chaque fois, trois à cinq fois par semaine, les autres sections pendant une heure chaque fois, deux fois par semaine). Les copies de plusieurs procès-verbaux attestent de la désinfection des bagages des nouveaux détenus, de la désinfection/dératisation, à plusieurs reprises en 2012 et 2013, de certains secteurs de la prison, dont la cellule 10.12 dans laquelle le requérant aurait été incarcéré pendant une durée non précisée. D’autres copies de procès-verbaux attestent de travaux de rafraîchissement de la peinture et de la maçonnerie dans différentes cellules de la prison d’Iasi, dont certaines ayant été occupées par le requérant.
21. Dans la prison de Vaslui, selon la direction de l’ANP, le troisième requérant a occupé des cellules bien éclairées et bien ventilées, équipées de trois lits métalliques superposés pourvus de matelas et de draps, et il a eu accès de manière permanente à l’eau froide et deux fois par semaine à l’eau chaude. En raison d’une insuffisance des fonds budgétaires, certains produits d’entretien auraient été distribués en quantité limitée. La nourriture servie au troisième requérant aurait respecté les normes tant du point de vue de la qualité que de la quantité. Malgré l’existence d’une cantine, les repas auraient été servis dans les cellules, faute de personnel suffisant.
22. Quant aux allégations concernant l’éventuelle cohabitation du troisième requérant avec des détenus atteints de tuberculose et d’hépatite, le Gouvernement affirme que la suspicion de tuberculose visant l’un des codétenus du troisième requérant a donné lieu à un test de dépistage qui se serait révélé négatif pour la personne concernée comme pour tous les détenus de la même cellule, y compris le troisième requérant. À l’appui de ses affirmations, le Gouvernement fournit copie de plusieurs lettres de médecins et des résultats d’une analyse bactériologique de décembre 2010 confirmant l’absence de tuberculose chez le codétenu en question et la présence de simples séquelles. Une lettre du 9 mai 2014, signée par le médecin-chef de la prison de Rahova, atteste que, pendant l’incarcération du troisième requérant, aucun cas d’hépatite n’a été enregistré et qu’aucun codétenu du troisième requérant n’a été malade de la tuberculose.
D. La détention du quatrième requérant
23. Le quatrième requérant a été détenu dans les locaux de la police de Baia Mare du 26 mars au 25 mai 2012 et transféré ensuite à la prison de Gherla.
24. Dans son formulaire de requête, le quatrième requérant dénonce, en ce qui concerne les locaux de détention de la police de Baia Mare, les mauvaises conditions d’hygiène, l’absence de toilettes, d’eau courante, d’éclairage naturel et d’une ventilation suffisante, la présence de rats et l’accès insuffisant aux douches. Pour ce qui est de sa détention dans la prison de Gherla, il soutient avoir souffert du surpeuplement, de l’absence de ventilation des cellules, de l’insuffisance et de l’inadéquation de la nourriture, laquelle aurait, de plus, été servie dans des récipients rouillés, de l’existence d’une seule salle de bains équipée de deux WC, et ce pour les besoins de 27 codétenus, et dépourvue d’eau chaude, ainsi que de l’impossibilité de la nettoyer plus d’une fois par mois.
25. Le Gouvernement affirme que, au dépôt de la police de Baia Mare, les produits nécessaires à l’entretien de la cellule du quatrième requérant ont été fournis par les autorités, que les draps étaient changés deux fois par semaine et que les détenus pouvaient faire leur propre lessive. Selon le Gouvernement, en l’absence de toilettes dans la cellule, le quatrième requérant avait accès, sur demande, à un WC situé en dehors de la cellule. Il n’y aurait pas eu de système de ventilation et l’éclairage naturel aurait été assuré par des fenêtres donnant sur l’extérieur. Le quatrième requérant aurait eu la possibilité de se doucher deux fois par semaine, et l’eau froide et l’eau chaude auraient été fournies. Des opérations de désinfection auraient été effectuées. Quant à la prison de Gherla, selon les affirmations de la direction de l’ANP, le quatrième requérant y a bénéficié d’un espace vital de 2,31 m² (du 6 au 26 mars 2014), de 1,82 m² (du 26 mars au 16 avril 2014), de 2,82 m² (du 16 avril au 6 mai 2014), de 4,49 m² (du 6 mai au 16 juin 2014), de 3,23 m² (du 16 au 30 juin 2014) et de 2,04 m² (à compter du 30 juin 2014). Toujours selon la direction de l’ANP, les détenus y avaient tous accès à l’eau, à une douche deux fois par semaine et à une nourriture suffisante et appropriée, et ils y bénéficiaient de très bonnes conditions d’hygiène ainsi que de chauffage pendant la saison froide.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. Dispositions en matière de fixation et d’exécution des peines et des mesures privatives de liberté
26. Des extraits de la loi no 23/1969 sur l’exécution des peines, abrogée par la loi no 294/2004, figurent dans l’affaire Nastase Silvestru c. Roumanie (no 74785/01, § 23, 4 octobre 2007). L’ordonnance (OUG no 56/2003) sur les droits des prisonniers, entrée en vigueur le 27 juin 2003, a été abrogée le 18 octobre 2006 par l’entrée en vigueur de la loi no 275/2006. La partie pertinente en l’espèce de l’ordonnance peut se lire dans l’arrêt Iacov Stanciu (précité, § 115), de même qu’un résumé des dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 (Iacov Stanciu, précité, § 116).
27. La loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté, entrée en vigueur le 1er février 2014, a abrogé la loi no 275/2006. Son règlement d’application a été publié le 11 avril 2016. La loi no 254/2013 prévoit la possibilité, pour les personnes privées de liberté, de dénoncer auprès d’un juge de surveillance de l’exécution des peines les conditions de détention ne respectant pas les normes internes en matière d’hébergement des personnes détenues. Lesdites normes sont prévues dans l’ordre no 433/2010 du ministère de Justice, entrée en vigueur le 15 février 2010, et concernent les normes obligatoires en matière de détention dans les prisons (paragraphe 34 ci-dessous). Le juge peut ordonner à l’administration d’un établissement de détention de remédier aux conditions dénoncées. Ses décisions peuvent être contestées devant le tribunal de première instance dont relève l’établissement de détention et elles ont force obligatoire pour l’établissement en cause.
28. Le 1er février 2014, un nouveau code de procédure pénale (ci-après le « NCPP ») est entré en vigueur. Le NCPP prévoit, en matière de poursuites, de nouvelles mesures préventives, telles que le contrôle judiciaire (articles 211-2151), le contrôle judiciaire sous caution (articles 216-217) et l’assignation à résidence (articles 218-222). Par une décision (no 712) du 4 décembre 2014, publiée au Journal officiel (Monitorul oficial) du 15 janvier 2015, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles les dispositions des articles 211-217 du NCPP. A la suite de cette décision, une ordonnance (OUG no 82/2014) a modifié le texte des articles 207-208 et 216 précitées et a introduit l’article 2151. L’assignation à résidence peut être ordonnée, pendant les poursuites, pour une durée initiale de trente jours et ne peut être prolongée que pour une durée totale de cent quatre-vingts jours au maximum (article 222, alinéa 9, du NCPP). Pendant la procédure se déroulant devant la chambre préliminaire ou devant le tribunal, la mesure d’assignation à résidence ne peut être ordonnée que pour une durée de trente jours (article 222, alinéa 12, du NCPP). La possibilité pour le procureur de renoncer à l’action publique est prévue à l’article 318 du NCPP. Cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle le 20 janvier 2016, par une décision de la Cour constitutionnelle, publiée au Journal officiel du 31 mars 2016.
29. Un nouveau code pénal (ci-après le « NCP ») est entré en vigueur le 1er février 2014. Les durées maximales des peines pour certaines infractions (vol qualifié, faux témoignage, harcèlement sexuel, séquestration, escroquerie, trafic de mineurs, violation du domicile, dilapidation, etc.) ont été abaissées. De nouveaux délits y figurent en matière patrimoniale (voir, à titre d’exemple, l’abus de confiance par fraude aux créditeurs, l’escroquerie en matière d’assurances, le détournement d’enchères publiques, l’abus de faiblesse avec conséquences patrimoniales) et ils sont sanctionnés par des peines allant de un an à cinq ans d’emprisonnement.
30. Le NCP a maintenu les trois peines principales qui étaient prévues par l’ancien code pénal : la réclusion à vie, la peine d’emprisonnement et l’amende (article 53 du NCP).
31. La libération conditionnelle peut être prononcée, dans le cas d’une personne condamnée à perpétuité, si celle-ci a exécuté au moins vingt ans de détention, a fait preuve d’une bonne conduite et a respecté toutes les obligations de nature civile imposées par l’arrêt de condamnation (article 99 du NCP). Dans le cas des personnes condamnées à une peine de prison, la libération conditionnelle peut être décidée si l’intéressé a déjà exécuté les deux tiers d’une peine n’excédant pas dix ans, ou les trois quarts d’une peine supérieure à dix ans mais inférieure à vingt ans, si le régime d’exécution est ouvert ou semi-ouvert, si le demandeur a respecté toutes les obligations de nature civile imposées par l’arrêt de condamnation et si le tribunal est favorable à la réinsertion sociale du détenu (article 100, alinéa 1, du NCP).
32. La renonciation à l’application d’une peine, telle que prévue à l’article 80 du NCP, peut être décidée si le délit présente un faible niveau de gravité et si le tribunal estime que la conduite du condamné, ses efforts pour réduire les conséquences de son acte et les possibilités de réhabilitation justifient une telle mesure. La mesure prévue à l’article 80 ne s’applique ni aux personnes ayant été déjà condamnées, ni à celles qui se sont soustraites aux poursuites ou aux procédures pénales, ni dans le cas où la peine prévue pour l’infraction est supérieure à cinq ans de prison. Le NCP prévoit la possibilité, pour les personnes condamnées à une peine d’amende ou à une peine de deux ans d’emprisonnement, compte tenu de leur conduite avant la condamnation, de bénéficier de l’ajournement du prononcé de la peine à condition d’exécuter les obligations civiles prévues dans l’arrêt de condamnation (articles 83-90 du NCP). Enfin, en vertu de l’article 159 du NCP, il est possible pour les parties de conclure un accord amiable évitant ainsi la responsabilité pénale à condition que l’action pénale ait été entamée d’office.
33. La loi no 252/2013, entrée en vigueur le 1er février 2014, régit l’organisation et le fonctionnement du système de probation.
34. En vertu de l’ordre no 433/2010 concernant les normes obligatoires en matière de détention dans les prisons, l’espace vital devrait être au minimum de 4 m² pour les détenus placés en régime fermé ou de haute sécurité et pour les mineurs et les personnes placés en détention provisoire, et au minimum de 6 m3 pour les détenus placés en régime semi-ouvert ou ouvert. En matière d’éclairage des cellules, l’ordre impose aux autorités pénitentiaires de garantir la présence de fenêtres assez larges pour que les détenus puissent lire à la lumière naturelle. L’ordre recommande également que les repas soient servis dans des salles spécialement aménagées. En ce qui concerne l’aménagement et l’ameublement de l’espace de vie, l’ordre prévoit un lit avec matelas et draps pour chaque détenu et des lits superposés à deux étages au maximum (exceptionnellement des lits superposés à trois étages, à condition que les 6 m3 d’espace vital par détenu soient respectés).
35. L’ordre no 429/2012 du ministère de la Justice concernant l’assistance médicale des personnes privées de liberté et placées sous la responsabilité de l’ANP est entré en vigueur le 21 février 2012. Toute personne exécutant une peine privative de liberté et faisant l’objet d’une mesure éducative d’internement dans un centre de rééducation ou placée en détention provisoire (article 3) a droit, gratuitement, à l’assistance médicale et à des médicaments.
B. Dispositions concernant la responsabilité civile délictuelle
36. En vertu de l’article 1349 (1) du code civil, toute personne doit respecter les règles de conduite imposées par la loi ou la coutume et s’abstenir de porter atteinte, par ses actions ou inactions, aux droits ou intérêts légitimes d’autrui. Tout fait de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1357 du code civil).
C. Données statistiques concernant le nombre de personnes détenues dans les établissements relevant de l’ANP
37. L’ANP publie sur son site Internet[1] des statistiques concernant le nombre de personnes incarcérées dans l’ensemble des unités placées sous son autorité. Selon ces données, 33 434 personnes étaient incarcérées le 31 décembre 2013, 28 225 le 26 janvier 2016 et 28 062 le 9 août 2016 pour une capacité totale de 18 820 places. D’après les mêmes données, le taux d’occupation de l’ensemble des établissements sous l’autorité de l’ANP était de 154,36 % le 23 juin 2015, de 153,87 % le 14 juillet 2015, de 150,92 % le 15 septembre 2015, de 150,74 % le 29 mars 2016, de 150,41 % le 17 mai 2016 et de 149,11 % le 9 août 2016. Pour calculer les taux d’occupation, l’ANP a fixé l’espace vital à 4 m², comme le prévoit l’ordre no 433/2010 (paragraphe 34 ci-dessus).
D. Recommandations formulées par l’avocat du peuple
38. L’avocat du peuple, saisi par des détenus dénonçant les mauvaises conditions de détention dans certaines prisons, a réalisé plusieurs enquêtes, constaté des déficiences et publié des recommandations à l’attention de la direction de l’ANP. Chacune des recommandations indiquait aux responsables des établissements pénitenciers les mesures à prendre afin de remédier aux mauvaises conditions de détention constatées.
39. Dans sa Recommandation no 26 du 7 novembre 2014, l’avocat du peuple a constaté un surpeuplement grave à la prison de Miercurea-Ciuc (1 m² d’espace vital par détenu), un mauvais éclairage, l’absence d’endroit de séchage du linge, l’insuffisance du mobilier, l’absence de cantine dans laquelle servir les repas et la présence de punaises. À la prison de Târgu-Jiu, le 17 novembre 2014, l’avocat du peuple a constaté le surpeuplement (entre 1,21 et 2,52 m² d’espace de vie par détenu) et l’absence de cantine (Recommandation no 29). À cette dernière date, il a constaté que l’eau courante fournie aux détenus à la prison de Jilava était impropre à la consommation (Recommandation no 30), qu’il y avait un surpeuplement très important (183,99 %), qu’il n’y avait pas de mobilier suffisant et que l’eau n’était pas fournie en permanence à la prison de Galati (Recommandation no 31).
40. Le 24 novembre 2015, l’avocat du peuple a enquêté, entre autres, sur des allégations de mauvaises conditions de détention à la prison de Botoşani. Il a constaté qu’un plaignant était incarcéré dans une cellule surpeuplée (2,13 m² par détenu), que les repas étaient servis dans les cellules, que les douches étaient inutilisables et que, selon les affirmations des codétenus du plaignant, il y avait parfois des rats, des souris, des poux et des punaises (Recommandation no 24). Le surpeuplement (2,21 m² par détenu), l’insuffisance en groupes sanitaires et l’absence de cloison pour les toilettes ont également été constatés dans la prison de Pelendava (Recommandation no 28 du 23 décembre 2015). Lors d’une enquête effectuée en 2016 à la prison de Botoşani, l’avocat du peuple a constaté que le taux d’occupation de cette prison était, en novembre 2015, de 159,88 %, que la cellule d’un plaignant offrait un espace vital de 2 m² et que les matelas étaient très usés. Selon les codétenus du plaignant, il y avait des punaises. L’avocat du peuple a également noté la présence d’un mobilier inadéquat et insuffisant et d’un éclairage naturel et artificiel insuffisant (Recommandation no 10 du 30 mars 2016).
E. Initiative législative tendant à améliorer les conditions de détention dans les établissements relevant de l’ANP
41. Du 3 au 13 novembre 2016, le ministère de la Justice a organisé un débat public visant un projet de modification de la loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté. Ce projet de loi a pour but d’instaurer un mécanisme compensatoire, permettant aux détenus se trouvant dans des conditions de surpeuplement chronique, de bénéficier d’une remise de peine de trois jours pour chaque intervalle de trente jours exécutés dans des cellules surpeuplées. Le 23 novembre 2016, le Gouvernement roumain a adopté le projet de loi de modification de la loi no 254/2013. Ce projet devra ensuite être examiné par le Parlement.
III. LES DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE
A. Le Comité des Ministres
42. Le 30 septembre 1999, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation Rec(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Ladite recommandation se lit en particulier comme suit :
« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, (...)
Recommande aux gouvernements des États membres :
- de prendre toutes les mesures appropriées, lorsqu’ils revoient leur législation et leur pratique relatives au surpeuplement des prisons et à l’inflation carcérale, en vue d’appliquer les principes énoncés dans l’Annexe à la présente Recommandation ;
Annexe à la Recommandation no R (99) 22
I. Principes de base
1. La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate.
2. L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement. Les pays dont la capacité carcérale pourrait être globalement suffisante mais mal adaptée aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir à une répartition plus rationnelle de cette capacité.
3. Il convient de prévoir un ensemble approprié de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, éventuellement graduées en termes de sévérité ; il y a lieu d’inciter les procureurs et les juges à y recourir aussi largement que possible.
4. Les États membres devraient examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté.
5. Afin de concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, une analyse détaillée des principaux facteurs contribuant à ces phénomènes devrait être menée. Une telle analyse devrait porter, notamment, sur les catégories d’infractions susceptibles d’entraîner de longues peines de prison, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, les attitudes et préoccupations du public ainsi que les pratiques existantes en matière de prononcé des peines.
(...)
III. Mesures à mettre en œuvre avant le procès pénal
Éviter l’action pénale - Réduire le recours à la détention provisoire
10. Des mesures appropriées devraient être prises en vue de l’application intégrale des principes énoncés dans la Recommandation no (87) 18 concernant la simplification de la justice pénale, ce qui implique, en particulier, que les États membres, tout en tenant compte de leurs principes constitutionnels ou de leur tradition juridique propres, appliquent le principe de l’opportunité des poursuites (ou des mesures ayant le même objectif) et recourent aux procédures simplifiées et aux transactions en tant qu’alternatives aux poursuites dans les cas appropriés, en vue d’éviter une procédure pénale complète.
11. L’application de la détention provisoire et sa durée devraient être réduites au minimum compatible avec les intérêts de la justice. Les États membres devraient, à cet effet, s’assurer que leur législation et leur pratique sont conformes aux dispositions pertinentes de la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la jurisprudence de ses organes de contrôle et se laisser guider par les principes énoncés dans la Recommandation no R (80) 11 concernant la détention provisoire s’agissant, en particulier, des motifs permettant d’ordonner la mise en détention provisoire.
12. Il convient de faire un usage aussi large que possible des alternatives à la détention provisoire, telles que l’obligation, pour le suspect, de résider à une adresse spécifiée, l’interdiction de quitter ou de gagner un lieu déterminé sans autorisation, la mise en liberté sous caution, ou le contrôle et le soutien d’un organisme spécifié par l’autorité judiciaire. À cet égard, il convient d’être attentif aux possibilités de contrôler au moyen de systèmes de surveillance électroniques l’obligation de demeurer dans un lieu stipulé.
13. Il s’impose, pour soutenir le recours efficace et humain à la détention provisoire, de dégager les ressources financières et humaines nécessaires et, le cas échéant, de mettre au point les moyens procéduraux et les techniques de gestion appropriés.
(...)
V. Mesures à mettre en œuvre au-delà du procès pénal
La mise en œuvre des sanctions et mesures appliquées dans la communauté - L’exécution des peines privatives de liberté
22. Pour faire des sanctions et des mesures appliquées dans la communauté des alternatives crédibles aux peines d’emprisonnement de courte durée, il convient d’assurer leur mise en œuvre efficiente, notamment :
- en mettant en place l’infrastructure requise pour l’exécution et le suivi de ces sanctions communautaires, en particulier en vue de rassurer les juges et les procureurs sur leur efficacité ;
- en mettant au point et en appliquant des techniques fiables de prévision et d’évaluation des risques ainsi que des stratégies de supervision, afin d’identifier le risque de récidive du délinquant et de garantir la protection et la sécurité du public.
23. Il conviendrait de favoriser le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées, telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du surpeuplement carcéral (grâces collectives, amnisties).
24. La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté.
25. Il faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle, créer dans la communauté les meilleures conditions de soutien et d’aide au délinquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d’amener les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette mesure comme une option valable et responsable.
26. Des programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrôle et de traitement au-delà de la libération devraient être conçus et mis en œuvre de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer la sécurité et la protection du public et à inciter les juges et procureurs à considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, comme des options constructives et responsables. »
43. La deuxième partie de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006, lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres) est dédiée aux conditions de détention. Dans ses passages pertinents en l’espèce, elle se lit comme suit :
« 18.1 Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération.
18.2 Dans tous les bâtiments où des détenus sont appelés à vivre, à travailler ou à se réunir :
a. les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrée d’air frais, sauf s’il existe un système de climatisation approprié ;
b. la lumière artificielle doit être conforme aux normes techniques reconnues en la matière ; et
c. un système d’alarme doit permettre aux détenus de contacter le personnel immédiatement.
18.3 Le droit interne doit définir les conditions minimales requises concernant les points répertoriés aux paragraphes 1 et 2.
18.4 Le droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral.
18.5 Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus (...). »
44. Le 7 mai 2012, dans son mémorandum déclassifié lors de la 1144e réunion des Délégués des Ministres (juin 2012), le Comité des Ministres a évalué les mesures générales adoptées en exécution de 93 affaires roumaines concernant principalement le surpeuplement et les conditions matérielles de détention dans les établissements pénitentiaires et les dépôts de la police (groupe d’affaires Bragadireanu (no 22088/04)). La situation dans les locaux de détention de la police a été caractérisée comme « fort préoccupante » car, en plus du surpeuplement, les cellules étaient situées au sous-sol des bâtiments abritant les commissariats de police, l’aération et l’accès à la lumière du jour y étaient insuffisants et les possibilités d’activités hors cellule étaient très limitées. Le Comité des Ministres a indiqué que d’importantes mesures complémentaires étaient encore nécessaires afin d’assurer que les dépôts de la police offrent des conditions entièrement compatibles avec les exigences découlant de l’article 3 de la Convention. Les autorités ont été encouragées à transférer tous les prévenus dans des établissements pénitentiaires. La situation du surpeuplement était estimée « très préoccupante » dans la grande majorité des établissements pénitentiaires roumains.
45. Le 23 octobre 2014, les autorités roumaines ont présenté un plan révisé d’actions contenant des informations actualisées sur les progrès dans la mise en œuvre des actions prioritaires pour l’exécution de ce groupe d’affaires. Les mesures générales adoptées en exécution de 93 affaires concernant principalement le surpeuplement et les conditions matérielles de détention dans les établissements pénitentiaires et les dépôts de la police en Roumanie ont fait l’objet d’une évaluation par le Comité des Ministres.
46. Le 12 février 2015, le Comité des Ministres a publié un mémorandum[2] qui évaluait les mesures générales prises ou envisagées dans ces affaires pour régler les problèmes du surpeuplement et des mauvaises conditions de détention. Quant aux dépôts de la police, selon les conclusions de ce mémorandum, outre le surpeuplement, un certain nombre d’entre eux étaient structurellement inadaptés à des détentions de longue durée. En plus du surpeuplement grave et de l’absence de lits individuels, les cellules auraient été situées au sous-sol des commissariats, et la ventilation et l’accès à la lumière naturelle y auraient été insuffisants. Les autorités roumaines ont été encouragées à y assurer des conditions de vie appropriées, à revoir le système de détention provisoire dans les dépôts de la police, à s’assurer que les prévenus n’y soient pas détenus durant des périodes prolongées et qu’ils soient rapidement transférés dans des établissements pénitentiaires. Les nouvelles mesures prévues par le nouveau code de procédure pénale (l’assignation à domicile, le contrôle judiciaire, le sursis à l’application d’une peine et la dispense de peine) et destinées, entre autres, à réduire le surpeuplement carcéral ne semblaient pas pouvoir contribuer d’une manière significative à la diminution de la population carcérale. D’après les conclusions du même mémorandum, les établissements pénitentiaires en Roumanie continuaient d’être gravement surpeuplés et les conditions matérielles d’y être précaires. L’élargissement de l’éventail des mesures alternatives à une peine de prison, l’assouplissement des conditions d’accès à la libération conditionnelle, le bon fonctionnement des services de probation et la poursuite des projets de modernisation du parc pénitentiaire figuraient parmi les recommandations adressées aux autorités roumaines.
47. Concernant les recours susceptibles d’être exercés relativement aux griefs liés au surpeuplement et à l’inadéquation des conditions matérielles, le Comité des Ministres a évalué, dans le même mémorandum, les voies préventives (loi no 254/2013) et il a constaté qu’elles ne permettaient pas aux tribunaux internes de réaliser un examen global des aspects dénoncés et d’ordonner des mesures de redressement lorsque la norme nationale minimale était incompatible avec les exigences résultant de la jurisprudence de la Cour. Des doutes ont également été exprimés quant à l’efficacité des décisions rendues par les juges de surveillance, surtout dans un contexte marqué par un surpeuplement structurel. Quant au volet compensatoire, le Comité des Ministres a constaté que les exemples présentés par les autorités en matière de responsabilité délictuelle de droit commun ne permettaient pas d’établir avec la certitude voulue l’existence d’un recours compensatoire en la matière. Le Comité des Ministres a recommandé des mesures additionnelles visant à satisfaire pleinement aux indications adressées par la Cour aux autorités roumaines dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, 24 juillet 2012) quant à la mise en place d’un système adéquat et effectif de voies de recours.
B. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci-après, le « CPT »)
48. Dans son deuxième rapport général d’activités (CPT/Inf (92) 3 [FR]), publié le 13 avril 1992, le CPT a fait référence, entre autres, aux conditions d’emprisonnement :
« 46. La question du surpeuplement relève directement du mandat du CPT. Tous les services et activités à l’intérieur d’une prison seront touchés si elle doit prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a été prévue. La qualité générale de la vie dans l’établissement s’en ressentira, et peut-être dans une mesure significative. De plus, le degré de surpeuplement d’une prison, ou dans une partie de celle-ci, peut être tel qu’il constitue, à lui seul, un traitement inhumain ou dégradant.
47. Un programme satisfaisant d’activités (travail, enseignement et sport) revêt une importance capitale pour le bien-être des prisonniers. Cela est valable pour tous les établissements, qu’ils soient d’exécution des peines ou de détention provisoire. Le CPT a relevé que les activités dans beaucoup de prisons de détention provisoire sont extrêmement limitées. L’organisation de programmes d’activités dans de tels établissements, qui connaissent une rotation assez rapide des détenus, n’est pas matière aisée. Il ne peut, à l’évidence, être question de programmes de traitement individualisé du type de ceux que l’on pourrait attendre d’un établissement d’exécution des peines. Toutefois, les prisonniers ne peuvent être simplement laissés à leur sort, à languir pendant des semaines, parfois des mois, confinés dans leur cellule, quand bien même les conditions matérielles seraient bonnes. Le CPT considère que l’objectif devrait être d’assurer que les détenus dans les établissements de détention provisoire soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée. Dans les établissements pour prisonniers condamnés, évidemment, les régimes devraient être d’un niveau encore plus élevé.
48. L’exercice en plein air demande une mention spécifique. L’exigence d’après laquelle les prisonniers doivent être autorisés chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air, est largement admise comme une garantie fondamentale (de préférence, elle devrait faire partie intégrante d’un programme plus étendu d’activités). Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception (y compris ceux soumis à un isolement cellulaire à titre de sanction) devraient bénéficier quotidiennement d’un exercice en plein air. Il est également évident que les aires d’exercice extérieures devraient être raisonnablement spacieuses et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempéries.
49. L’accès, au moment voulu, à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain.
À cet égard, le CPT doit souligner qu’il n’apprécie pas la pratique, constatée dans certains pays, de prisonniers devant satisfaire leurs besoins naturels en utilisant des seaux dans leur cellule, lesquels sont, par la suite, vidés à heures fixes. Ou bien un WC devrait être installé dans les locaux cellulaires (de préférence dans une annexe sanitaire), ou bien des moyens devraient être mis en œuvre qui permettraient aux prisonniers de sortir de leur cellule à tout moment (y compris la nuit) pour se rendre aux toilettes, sans délai (...).
Les prisonniers devraient aussi avoir un accès régulier aux douches ou aux bains. De plus, il est souhaitable que les locaux cellulaires soient équipés de l’eau courante.
50. Le CPT souhaite ajouter qu’il est particulièrement préoccupé lorsqu’il constate dans un même établissement une combinaison de surpeuplement, de régimes pauvres en activités et d’un accès inadéquat aux toilettes ou locaux sanitaires. L’effet cumulé de telles conditions peut s’avérer extrêmement néfaste pour les prisonniers.
51. Il est également essentiel pour les prisonniers de maintenir de bons contacts avec le monde extérieur. Par-dessus tout, les prisonniers doivent pouvoir maintenir des liens avec leur famille et leurs amis proches. Le principe directeur devrait être de promouvoir le contact avec le monde extérieur ; toute limitation à de tels contacts devrait être fondée exclusivement sur des impératifs sérieux de sécurité ou sur des considérations liées aux ressources disponibles. »
49. Dans son septième rapport général d’activités (CPT/Inf (97) 10 [FR]), publié le 22 août 1997, le CPT a fait référence, entre autres, aux situations de surpeuplement :
« 13. (...) Une prison surpeuplée signifie, pour le détenu, être à l’étroit dans des espaces resserrés et insalubres ; une absence constante d’intimité (cela même lorsqu’il s’agit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activités hors cellule limitées à cause d’une demande qui dépasse le personnel et les infrastructures disponibles ; des services de santé surchargés ; une tension accrue et, partant, plus de violence entre détenus comme entre détenus et personnel. Cette énumération est loin d’être exhaustive.
À plus d’une reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes du surpeuplement avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes.
14. En vue de s’attaquer au problème du surpeuplement, certains pays ont pris pour option d’accroître leur parc pénitentiaire. Pour sa part, le CPT est loin d’être convaincu que l’accroissement des capacités d’accueil constituera à lui seul une solution durable. En effet, plusieurs États européens se sont lancés dans de vastes programmes de construction d’établissements pénitentiaires pour découvrir que leur population carcérale augmentait de concert. À l’inverse, dans certains États, l’existence de politiques visant à limiter ou moduler le nombre de personnes emprisonnées a contribué de manière importante au maintien de la population carcérale à un niveau gérable. (...). »
50. Dans son onzième rapport général d’activités (CPT/Inf (2001) 16), publié le 3 septembre 2001, le CPT s’est notamment exprimé comme suit :
28. Le phénomène du surpeuplement carcéral continue de ronger les systèmes pénitentiaires à travers l’Europe et mine gravement les tentatives faites pour améliorer les conditions de détention. Les effets négatifs du surpeuplement carcéral ont déjà été mis en exergue dans des rapports généraux d’activités précédents. Au fur et à mesure de l’extension de son champ d’activité à travers le continent européen, le CPT a été confronté à d’énormes taux d’incarcération et, en conséquence, à un surpeuplement carcéral grave. Le fait qu’un État incarcère un si grand nombre de ses citoyens ne peut s’expliquer de manière convaincante par un taux de criminalité élevé ; l’attitude générale des membres des services chargés de l’application des lois et des autorités judiciaires en doit, en partie, être responsable.
(...)
29. Dans un certain nombre de pays visités par le CPT, et notamment en Europe centrale et orientale, les détenus sont souvent hébergés dans des grands dortoirs comportant la totalité ou la plupart des installations dont se servent quotidiennement les détenus, comme les aires pour dormir et de séjour ainsi que les installations sanitaires. Le CPT a des objections quant au principe même de telles modalités d’hébergement dans des prisons fermées et, ses objections sont encore plus fortes lorsque, comme cela est fréquemment le cas, les dortoirs en question hébergent des détenus dans des espaces extrêmement exigus et insalubres. (...) De grands dortoirs impliquent inévitablement un manque d’intimité dans la vie quotidienne des détenus. En outre, le risque d’intimidation et de violence est élevé. (...) Tous ces problèmes sont exacerbés lorsque le nombre de détenus dépasse un taux d’occupation raisonnable ; en outre, dans une telle situation, la charge excessive pesant sur les installations communes comme les lavabos et les toilettes ainsi qu’une aération insuffisante pour un si grand nombre de personnes mènera souvent à des conditions de détention déplorables (...).
Accès à la lumière du jour et à l’air frais
30. Le CPT observe fréquemment l’existence de dispositifs, comme des volets, des jalousies ou des plaques métalliques placés devant les fenêtres des cellules qui privent les détenus d’accès à la lumière du jour et empêchent l’air frais de pénétrer dans les locaux. De tels dispositifs sont particulièrement fréquents dans les établissements de détention provisoire. Le CPT accepte entièrement que des mesures spécifiques de sécurité, destinées à prévenir le risque de collusion et/ou d’activités criminelles, peuvent s’avérer nécessaires par rapport à certains détenus. Toutefois, des mesures de cette nature devraient constituer l’exception et non la règle. Ceci suppose que les autorités compétentes examinent le cas de chaque détenu, afin de déterminer si des mesures de sécurité spécifiques se justifient réellement dans son cas. En outre, même lorsque de telles mesures sont requises, elles ne devraient jamais impliquer que les détenus concernés soient privés de lumière du jour et d’air frais. Il s’agit là d’éléments fondamentaux de la vie, auxquels tout détenu a droit ; de plus, l’absence de ces éléments génère des conditions favorables à la propagation de maladies et, en particulier, de la tuberculose.
(...). »
51. Le CPT a visité, en 1995, 1999, 2001, 2002, 2003, 2004, 2006, 2009 et 2010, différents établissements pénitentiaires ou dépôts de police roumains. Les rapports publiés à la suite de ces visites ont fait état, en général, d’un surpeuplement important et d’un mauvais état d’hygiène des établissements en question.
52. Dans un rapport publié le 24 novembre 2011 à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 5 au 16 septembre 2010, le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents locaux de détention de la police où il s’était rendu. La plupart des cellules des dépôts visités étaient surpeuplées, en mauvais état d’entretien, l’accès à la lumière naturelle et à l’aération étaient médiocres, l’éclairage artificiel était insuffisant, les toilettes n’étaient pas totalement cloisonnées et les détenus ne recevaient pas de produits d’hygiène corporelle. Dans certains dépôts les détenus ne recevaient qu’un seul repas par jour et la nourriture était de mauvaise qualité. Dans d’autres dépôts le détenus étaient obligés de passer 23 heures par jour enfermés dans leurs cellules. En somme, les dépôts de police visités ont été considérés comme impropres à l’hébergement de longue durée de personnes privées de liberté. La partie du rapport concernant les recommandations se lit comme suit :
« Le CPT recommande, une fois encore, aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de garantir que, dans les dépôts de la police :
- chaque personne détenue dispose d’un espace de vie d’au moins 4 m² dans les cellules collectives ;
- chaque personne détenue dispose d’un matelas et de couvertures propres ;
- l’accès à la lumière naturelle, l’éclairage artificiel et l’aération soient adéquats dans les cellules ; tout dispositif surnuméraire fixé aux fenêtres doit être enlevé ;
- les toilettes intégrées dans les cellules soient cloisonnées ;
- l’état d’entretien et de propreté des cellules et des installations sanitaires soit correct ;
- les personnes détenues disposent de produits d’hygiène personnelle de base ;
- une alimentation satisfaisante (du point de vue de la qualité et de la quantité) soit servie aux personnes détenues, conformément aux Règles pénitentiaires européennes ;
- toutes les personnes détenues pendant plus de 24 heures bénéficient d’au moins une heure d’exercice en plein air chaque jour.
Le CPT recommande en outre aux autorités roumaines de poursuivre leurs efforts afin de proposer une forme ou une autre d’activité, en plus de la promenade quotidienne, aux personnes détenues plus de quelques jours dans les dépôts de la police.
(...). »
53. Le même rapport contient des constats quant à la situation d’un établissement pénitentiaire. Selon les conclusions du rapport, une partie des cellules de cette prison était surpeuplée (avec un taux de moins de 3 m² par détenu), avec des installations sanitaires sales et malodorantes. Il n’y avait pas d’accès à l’eau chaude. Le CPT a formulé les recommandations suivantes :
« (...)
62. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre des mesures, à la prison de Poarta Albă, afin de :
- réduire les taux d’occupation des cellules des quartiers II et IV, l’objectif étant d’offrir le minimum de 4 m² d’espace de vie par détenu tel que fixé par la réglementation en vigueur ;
- réparer/rénover les installations sanitaires du quartier II (dans les cellules) et du quartier IV (dans les cellules et dans les douches collectives) ;
- permettre aux détenus du quartier IV de bénéficier d’une douche chaude au moins une fois par semaine ; il convient à cet égard de prendre en considération la Règle 19.4 des Règles pénitentiaires européennes ;
- procéder, dès que possible, à la rénovation complète du quartier IV ;
- vérifier la qualité et la quantité de nourriture distribuée aux détenus en veillant au respect strict des normes minimales en matière d’apports journaliers, et assurer un contrôle régulier des stocks, notamment de viande.
(...). »
54. Du 5 au 17 juin 2014, une délégation du CPT a visité un certain nombre de locaux de la police (les dépôts de la police nos 1, 10, 11 et 12 de la ville de Bucarest, les postes de police d’Afumaţi et de Cernica, le dépôt de l’Inspectorat de police d’Arad, ainsi que le dépôt de l’Inspectorat de police du département de Bihor) et quatre établissements pénitenciers (Arad, Oradea, Târgşor et Bucarest-Rahova). Le rapport (CPT/Inf (2015) 31) réalisé à la fin de cette visite a été publié le 28 septembre 2015. Quant aux détentions dans les dépôts de police, le CPT a constaté que des nombreux détenus y faisaient encore l’objet de séjours prolongés, alors que ces structures n’étaient pas adaptées à des tels séjours. Le CPT a recommandé aux autorités roumaines de ne plus exposer les détenus à des séjours prolongés dans les dépôts de police et de s’assurer que leur détention ait lieu en établissements pénitentiaires. À l’exception de deux (Oradea et Arad), la plupart dépôts de police visités présentaient les mêmes conditions que celles observées en 2010 (surpeuplement, vétusté, insalubrité, lumière naturelle et ventilation insuffisantes). Pour ce qui était des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, le CPT constata que le surpeuplement demeurait un problème important et recommanda aux autorités roumaines de redoubler les efforts pour développer une politique pénale qui mette l’accent sur des mesures non privatives de liberté. La prison d’Arad, rénovée entre 1998-2010, présentait des conditions matérielles généralement satisfaisantes, à l’exception des signes de délabrement des certaines cellules, des murs décrépis, des lits et des armoires endommagés et des problèmes d’infestation des vermines. La prison d’Oradea, bâtie dans le 19ème siècle, avait des bâtiments vétustes, avec des cellules surpeuplées et des murs et plafonds subissant des infiltrations d’eau, parfois sans lumière artificielle et sans accès à la lumière naturelle, avec du mobilier et des matelas en mauvais état. La prison de Târgşor présentait également des cellules surpeuplées, mal aérés, avec des lits triples et un accès limité à la lumière naturelle et de la lumière artificielle très insuffisante. En matière d’installations sanitaires et hygiène, le CPT a constaté que les WC et lavabos des annexes sanitaires étaient délabrés dans plusieurs cellules et que des pommeaux de douche manquaient (Arad et Oradea) ; que les toilettes étaient impropres et que peu de savon, de détergent et de serviettes hygiéniques était distribué aux détenus (Târgşor). Des nombreuses plaintes avaient été enregistrées par la délégation du CPT en ce que concernaient la quantité et la qualité de la nourriture. Malgré les efforts déployés dans les trois prisons afin de fournir du travail et/ou des activités socio-éducatives aux détenus, la grande majorité de la population carcérale n’exerçait pas de telles activités.
Les recommandations faites par le CPT à la suite de cette visite se lisent comme suit :
« A. Établissements des forces de l’ordre
(...)
À la lumière des remarques qui précèdent, le CPT en appelle aux autorités roumaines afin de prendre les mesures qui s’imposent en vue de garantir que, dans les dépôts de police :
- les personnes détenues disposent d’un espace vital d’au moins 4 m² dans les cellules collectives (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest) ;
- les cellules disposent d’un accès suffisant à la lumière, naturelle et artificielle, et qu’elles soient aérées (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest et dépôt d’Arad); les dispositifs surnuméraires de grilles/barreaux des fenêtres doivent être enlevés et les fenêtres élargies (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest) ;
- chaque personne détenue ait un matelas et du linge de lit propres (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest et dépôt d’Arad) ;
- les annexes sanitaires se trouvant dans les cellules des dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest et du dépôt d’Oradea soit complètement cloisonnées (c’est-à-dire jusqu’au plafond) ;
- les personnes placées au dépôt d’Arad aient immédiatement accès à des toilettes convenables y compris la nuit ; l’utilisation des seaux et bouteilles devrait être abandonnée ;
- l’entretien et la propreté des cellules et installations sanitaires soient régulièrement assurés ;
Pour ce qui est de la nourriture, référence est faite aux remarques et recommandations faites aux paragraphes 62 et 64.
En outre, le Comité recommande que les cours de promenade des dépôts visités soient améliorées en tenant compte des remarques faites au paragraphe 40. Le CPT recommande également que les autorités poursuivent leurs efforts pour offrir une forme ou une autre d’activité, en dehors de la promenade quotidienne, aux personnes détenues plus de quelques jours dans les dépôts.
B. Établissements pénitentiaires
(...)
58. Le CPT recommande que les mesures suivantes soient prises dans les établissements visités à la lumière des remarques des paragraphes 54 à 57 :
- revoir les taux d’occupation dans les cellules afin de garantir un minimum de 4 m² d’espace vital par détenu dans les cellules collectives sans compter l’annexe sanitaire (prisons d’Oradea et de Târgşor) ;
- faire les rénovations et réparations nécessaires dans les unités E3 et E4 de la prison d’Oradea, et veiller à remplacer le mobilier et les matelas endommagés ;
- garantir à tous les détenus de l’unité E3 de la prison d’Oradea et aux détenues dans les cellules sombres du régime fermé de la prison de Târgşor un accès suffisant à la lumière naturelle, et une aération adéquate des cellules pendant la journée ; l’accès à la lumière artificielle devrait en outre être amélioré dans les cellules du régime fermé de la prison de Târgşor ; des solutions devraient être trouvées pour éviter de maintenir la lumière allumée toute la nuit par l’installation, par exemple, de veilleuses ;
- procéder à des désinfestations régulières des bâtiments de la prison d’Arad.
En outre, les cellules des prisons visitées devraient être équipées de système d’appel.
(...)
61. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures suivantes au regard des remarques faites aux paragraphes 59 et 60 :
- réparer et rénover les installations sanitaires des unités concernées des prisons d’Arad, Oradea et Târgşor ; à Oradea les murs et plafonds endommagés par les infiltrations doivent également être réparés ;
- fournir suffisamment de produits d’hygiène personnelle aux détenus ainsi que du détergent pour nettoyer leurs cellules.
(...)
64. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre des mesures afin de garantir que la qualité et la quantité de nourriture distribuée aux détenus dans les prisons visitées, et dans tous les autres établissements pénitentiaires de Roumanie, respectent les normes minimales en matière d’apports journaliers en protéines et vitamines. Le Comité invite les autorités à veiller à ce que les normes caloriques actuellement en discussion respectent les normes minimales en matière d’apports journaliers et souhaiterait recevoir copie des nouvelles normes en temps utile.
Le CPT recommande également que les cuisines soient régulièrement inspectées et en portant une attention particulière et constante au respect des normes d’hygiène. En outre, le CPT souhaiterait recevoir confirmation que le surgélateur défectueux de la cuisine de la prison d’Oradea a bien été remplacé.
4. Activités
(...)
Le CPT recommande aux autorités roumaines de redoubler d’efforts pour développer les programmes d’activités proposés aux condamnés, y compris en régime fermé, et aux prévenus, notamment dans les prisons d’Oradea et de Târgşor. L’objectif devrait être que ces deux catégories de détenus soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (soit 8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée.
Il convient à cet égard de disposer d’un personnel adéquat, notamment des psychologues, éducateurs et assistants sociaux, en nombre suffisant. Le CPT recommande que les équipes de psychologues, éducateurs et assistants sociaux dans les trois prisons visitées soient renforcées en commençant par pourvoir les postes vacants dans les prisons visitées dans les plus brefs délais. »
55. Dans sa réponse au rapport du CPT relatif à la visite que celui-ci a effectuée du 5 au 17 juin 2014 (paragraphe 54 ci-dessus), le gouvernement roumain affirme que les autorités internes manifestent un intérêt pour l’élimination des déficiences constatées et analysent la possibilité de réduire le nombre des lits afin de respecter la norme d’espace vital de 4 m² pour chaque personne privée de liberté dans les dépôts de police. Il précise que divers programmes de financement contribuent à améliorer les conditions de détention des personnes placées en détention provisoire. Selon lui, diverses activités récréatives sont assurées dans les centres de rétention et de détention provisoire. La nourriture des personnes placées en détention provisoire serait assurée par l’intermédiaire des établissements pénitentiaires de proximité, par les inspectorats départementaux de la police et, dans certains cas, par des sociétés externes.
56. Quant aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, le Gouvernement mentionne dans sa réponse un certain nombre d’améliorations des conditions de détention dans les prisons visitées par le CPT. Ainsi, des lits supplémentaires auraient été installés dans la prison d’Oradea, des travaux pour réduire l’humidité y auraient également été effectués, des matelas et certains accessoires de literie y auraient été remplacés ; une partie des détenus auraient été transférés depuis la prison de Târgşor, et des fonds auraient été alloués pour l’amélioration des installations sanitaires, électriques et d’éclairage nocturne ; des travaux de désinfection et de dératisation dans la prison d’Arad auraient été confiés à un professionnel, et les matelas et accessoires de literie auraient été en partie remplacés. En revanche, la mise en place d’un système d’alerte/alarme aurait nécessité des fonds spéciaux et une base juridique différente. Enfin, des travaux visant à l’amélioration des installations sanitaires et d’hygiène auraient été prévus pour ces trois prisons.
C. Le Comité européen pour les problèmes criminels (ci-après le CDPC)
« IV. Les raisons du recours abusif à la privation de liberté et du surpeuplement carcéral
(...)
d. Le recours limité aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté
71. La Recommandation no R (92) 16 relative aux Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (SMC) établit un ensemble de normes et de principes pour appliquer de telles sanctions et mesures et, ce faisant, incite les États membres à introduire un système fiable qui favorise, au niveau de la justice, le recours aux SMC plutôt qu’à l’incarcération. Les SMC peuvent être un moyen de maintenir le juste équilibre entre la protection de la société, la réparation du préjudice causé aux victimes et la prise en compte des besoins des délinquants en termes d’insertion sociale.
72. Les SMC peuvent, en tout ou en partie, remplacer les peines d’emprisonnement. Il peut s’agir par exemple d’une obligation de soins, d’amendes, de la confiscation de biens, de peines avec sursis subordonnées au respect, par l’auteur de l’infraction, de certaines conditions, de travaux d’intérêt général et de maintes autres sanctions et mesures, généralement tout spécialement adaptées à l’intéressé et aux circonstances de l’infraction. Elles ont toutes en commun de punir l’infraction commise par une sanction/réaction adaptée et donc efficace, qui peut même contribuer à prévenir la récidive. Les sanctions économiques, associées à des SMC ou comme seule mesure alternative à l’incarcération, semblent assez efficaces et ont souvent plus d’effet sur le délinquant que la simple incarcération.
(...)
75. Les travaux d’intérêt général constituent un exemple en la matière. Ils permettent de maintenir les délinquants au sein de la société, de développer leurs compétences sociales et professionnelles et de favoriser leur réinsertion sociale. Le rôle des collectivités locales dans ce cadre est essentiel, car ce sont elles qui doivent offrir les possibilités de travail d’intérêt général. Elles deviennent donc des partenaires dans la lutte contre la criminalité d’une façon qui sort des méthodes traditionnelles de justice pénale, tout en facilitant l’insertion sociale des délinquants, un indicateur fondamental d’une société inclusive.
(...)
V. Comment remédier au surpeuplement carcéral ?
a. La privation de liberté comme mesure de dernier recours
84. Comme indiqué plus haut, le principe de la privation de liberté comme mesure de dernier recours est consacré par les recommandations pertinentes du Comité des Ministres. Ces textes invitent les États membres à recourir aux peines privatives de liberté uniquement lorsque la gravité de l’infraction, combinée aux circonstances individuelles de l’espèce, rendent manifestement inadéquate tout autre sanction ou mesure. Si cette approche est largement acceptée, dans la réalité les interprétations varient, ce qui peut conduire à des transcriptions différentes de ce principe en mesures et règles concrètes dans les différents systèmes de justice pénale. (...).
85. Dans nombre de ses arrêts, la Cour a réaffirmé que, compte tenu à la fois de la présomption d’innocence et de la présomption en faveur de la libération, la détention provisoire doit être l’exception et non la règle et ne peut être qu’une mesure de dernier recours. Dans l’affaire Torreggiani c. Italie, la Cour a rappelé, dans le contexte de l’élaboration des politiques pénales et de l’organisation du système pénitentiaire, les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe invitant les États à inciter les procureurs et les juges à recourir aussi largement que possible aux mesures alternatives à la détention et à réorienter leur politique pénale vers un moindre recours à l’enfermement dans le but, entre autres, de résoudre le problème de la croissance de la population carcérale.
86. Pour éviter tout recours excessif à la détention provisoire et à l’incarcération, les tribunaux devraient appliquer la privation de liberté comme une mesure de dernier recours. Malheureusement, trop souvent, l’incarcération est une mesure de premier ressort et n’est pas considérée ni acceptée comme un mode exceptionnel d’exécution d’une sanction pénale. Les tribunaux ne devraient priver quiconque de sa liberté au simple motif qu’une telle mesure est légale et exécutée conformément à la loi, mais parce que la mesure est raisonnable et nécessaire en toutes circonstances (évaluées au cas par cas). Il est donc nécessaire d’appliquer le principe de proportionnalité et d’évaluer avec soin le risque de récidive ainsi que le risque de tort causé à la société.
87. La durée de la détention provisoire devrait être fixée par la loi et/ou devrait être revue à intervalles réguliers. La durée de la détention provisoire ne devrait en aucun cas être supérieure à celle de la sanction prévue pour l’infraction présumée. Outre la nécessité de fixer dans le droit la durée de la détention provisoire, l’opportunité de prolonger la détention de tout prévenu ou suspect devrait être régulièrement réexaminée. En effet, avec le temps, la nécessité impérieuse de placer quelqu’un en détention provisoire peut s’atténuer, voire disparaître.
88. La détention provisoire peut durer plusieurs mois, voire des années, car le prévenu peut être considéré comme un détenu jusqu’à la décision de la juridiction de dernier recours. Il semble donc souhaitable d’envisager d’enfermer les personnes condamnées par un tribunal de première instance avec les détenus définitivement condamnés uniquement après que le tribunal de première instance a rendu son jugement, de façon à éviter les situations de surpeuplement en établissements de détention provisoire et à commencer à préparer leur réinsertion en vue de leur libération future. (...).
(...)
100. Seule une minorité de la population carcérale est condamnée à des peines d’emprisonnement longues ou à la réclusion à perpétuité. Cependant, avec le temps, le nombre de ces détenus enfermés pendant des décennies, voire pour la vie, s’accumule. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tout détenu de la sorte devrait avoir le droit, à intervalles réguliers, de demander sa libération anticipée, et cette demande devrait être dûment considérée et les décisions en la matière dûment motivées.
(...)
b. La révision du droit pénal, la dépénalisation et les alternatives aux poursuites pénales
(...)
112. On peut considérer que seuls les actes et les comportements gravement néfastes ou comportant un risque de préjudice ou de danger réel pour autrui devraient être pénalisés et sanctionnés par des peines d’emprisonnement. L’impératif de proportionnalité entre le préjudice réel causé par l’infraction commise et le risque réel posé par l’auteur de l’infraction d’une part et le degré de punition d’autre part est un autre élément essentiel à prendre en compte.
113. Parallèlement, il est nécessaire de reconnaître pleinement que les infractions commises par des personnes dangereuses méritent une attention particulière et appellent souvent de longues peines de privation de liberté au nom de la protection de la société et des victimes potentielles. Ce fait doit être considéré comme pleinement justifié. La définition de la dangerosité peut varier, mais celle proposée par le Comité des Ministres dans sa Recommandation CM/Rec(2014)3 relative aux délinquants dangereux peut servir de point de départ utile. Elle dispose en effet qu’« un délinquant dangereux est une personne ayant été condamnée pour un crime sexuel ou avec violence d’une extrême gravité contre une ou plusieurs personnes et présentant une probabilité très élevée de récidiver en commettant d’autres crimes sexuels ou violents d’une extrême gravité contre des personnes ». La violence peut être définie comme l’utilisation intentionnelle de la force physique ou psychologique.
114. En somme donc, une révision générale du système de justice pénale ou tout du moins, la révision des types d’infractions, de leur dangerosité pour la société et des sanctions prévues dans les codes pénaux, serait une mesure bienvenue car cela permettrait d’étudier la cohérence ainsi que les principes et les valeurs qui sous-tendent la politique pénale de tel ou tel pays, tout en offrant l’occasion de lutter contre le surpeuplement carcéral. Certes, il s’agit d’une tâche difficile, mais elle n’est pas impossible et elle peut ouvrir la voie à des réformes durables du droit pénal, qui pourra ainsi être modernisé.
115. En conséquence, pour réduire durablement la population carcérale, il importe d’étudier les possibilités, d’un point de vue législatif :
- de dépénaliser certaines infractions (certains pays ont dépénalisé la conduite en état d’ivresse et l’usage de drogue et remplacé les sanctions pénales par des sanctions administratives et des obligations de soins ; d’autres ont dépénalisé l’immigration irrégulière ; d’autres encore ont remplacé l’incarcération pour non-paiement d’une amende par des travaux d’intérêt général) ;
- d’individualiser les peines prononcées en ce qui concerne leur nécessité et leur proportionnalité ;
- de favoriser la déjudiciarisation par rapport au processus de justice pénale (par exemple, suspension de l’affaire, suspension du prononcé de la peine) au moyen de la médiation, de la réparation et du dédommagement des victimes ;
- de prévoir suffisamment de mesures alternatives à la détention provisoire ;
- de prononcer des peines avec sursis, assorties ou non de conditions ;
- de remplacer, pour certaines infractions, les peines d’emprisonnement par des sanctions et mesures appliquées dans la communauté (travaux d’intérêt général, dédommagement des victimes, surveillance électronique, etc.) ;
- de prévoir suffisamment de types de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté et de mettre fin à la pratique du renvoi automatique en prison en cas de non-respect des conditions imposées dans le prononcé de la peine ou l’obligation de soins ;
- d’élargir les possibilités en matière de libération anticipée.
(...). »
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
58. Compte tenu de la similitude des présentes requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles soulèvent, la Cour juge approprié d’ordonner leur jonction (article 42 § 1 du règlement de la Cour).
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
59. Les requérants allèguent que les conditions de leurs détentions respectives dans les prisons de Gherla, d’Aiud, d’Oradea, de Craiova, de Târgu-Jiu, de Pelendava, de Rahova, de Tulcea, d’Iaşi et de Vaslui, ainsi que dans les locaux de la police de Baia Mare constituent des traitements inhumains et dégradants, contraires à l’article 3 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
60. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Les requérants
61. Le premier requérant soutient que les cellules qu’il a occupées dans les prisons de Gherla et d’Aiud étaient surpeuplées et que les cellules qu’il a occupées à la prison d’Oradea souffraient d’un grave manque d’hygiène, que les installations sanitaires étaient dégradées et insuffisantes pour le nombre élevé de détenus et que ceux-ci n’avaient pas accès à la lumière naturelle.
62. Le deuxième requérant soutient avoir souffert de conditions matérielles de détention qu’il qualifie d’inhumaines.
63. Le troisième requérant allègue avoir subi des conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention dans les cellules des prisons dans lesquelles il a été incarcéré. Il réitère sa description des conditions de détention dans les prisons de Rahova, de Tulcea, d’Iaşi et de Vaslui (paragraphe 17 ci-dessus), en particulier le surpeuplement (entre 1,88 et 2,46 m² d’espace vital) et l’absence d’hygiène dans la prison de Rahova, le surpeuplement (entre 1,81 et 3,17 m² d’espace vital), l’insuffisance de la lumière naturelle (fenêtre de 1,13 x 1,15 m), la fourniture d’eau chaude seulement deux fois par semaine et une salle de bains équipée d’une petite douche, d’un lavabo et d’un WC dans la prison de Tulcea, le surpeuplement très important (entre 1,38 et 1,84 m² d’espace vital), l’absence de lumière naturelle et de ventilation dans les cellules de la prison de Vaslui, et le surpeuplement (environ 1,24 m² d’espace vital), l’absence d’hygiène et la présence d’un seul WC pour tous les codétenus dans la prison d’Iasi.
64. En plus de la difficulté créée par le surpeuplement des cellules, le troisième requérant dénonce l’obligation de prendre ses repas dans la cellule, sur son propre lit, et la présence de certains meubles réduisant d’autant l’espace vital (par exemple 1,17 m² occupé à la prison d’Iasi, 0,60 m² à la prison de Rahova ou 0,78 m² à la prison de Tulcea). Pour ce qui est des conditions d’hygiène qu’il qualifie de « déplorables », le troisième requérant renvoie aux constats de la Cour dans l’arrêt Iamandi c. Roumanie (no 25867/03, § 61, 1er juin 2010). Il indique que l’eau chaude était fournie deux fois par semaine, pour une durée maximum de deux heures, et renvoie aux arrêts Kalashnikov c. Russie (no 47095/99, § 99, CEDH 2002-VI) et Iamandi (précité, § 61), ainsi qu’aux constats d’un rapport de l’organisation non gouvernementale « Association pour la défense des droits de l’homme-comité Helsinki » (ci-après « APADOR-CH ») rédigé à la suite d’une visite effectuée à la prison de Rahova, qui confirmerait que les murs et plafonds des toilettes étaient détériorés, et ce en contrariété avec les normes du CPT en la matière. L’absence des fonds budgétaires nécessaires au maintien d’un niveau d’hygiène adéquat est confirmée, aux dires du troisième requérant, par les affirmations de la direction de la prison de Vaslui (page 3, première annexe aux observations du Gouvernement). De plus, le troisième requérant soutient avoir été obligé de partager une cellule avec des détenus toxicomanes ou atteints de tuberculose ou d’hépatite.
65. En somme, le troisième requérant, se référant à la jurisprudence de la Cour, considère que les conditions de sa détention dans les quatre prisons s’analysent en un traitement contraire à l’article 3 de la Convention et il demande à la Cour de conclure à la violation de cette disposition.
66. Enfin, le quatrième requérant soutient avoir été détenu dans des conditions « inhumaines » dans les locaux de détention de la police de Baia Mare ainsi qu’à la prison de Gherla, situation contraire, selon lui, aux normes européennes en la matière.
b) Le Gouvernement
67. S’agissant du premier requérant, le Gouvernement renvoie aux informations relatives aux conditions de détention fournies par l’ANP (paragraphe 10 ci-dessus) et affirme que les autorités pénitentiaires ont déployé des efforts qui auraient assuré à l’intéressé des cellules avec une bonne capacité d’hébergement.
68. Quant au deuxième requérant, le Gouvernement réitère les informations fournies par l’ANP (paragraphe 15 ci-dessus) et soutient que les autorités internes ont fait tous les efforts adéquats pour garantir des bonnes conditions matérielles de détention.
69. Pour ce qui est du troisième requérant, le Gouvernement fait référence aux renseignements fournis par l’ANP (paragraphes 19-22 ci-dessous). Il affirme que des mesures d’hygiène ont été prises (fourniture de produits d’hygiène et désinsectisations régulières), que la qualité de la nourriture a été contrôlée par le personnel médical et que des traitements médicaux pour différentes affections ont été administrés au troisième requérant pendant sa détention. Concernant l’éventuel risque de contamination par la tuberculose, le Gouvernement affirme que le seul codétenu potentiellement atteint avait été soumis à des tests médicaux qui auraient infirmé ces craintes et que les autorités internes ont agi conformément au plan de prévention de la tuberculose.
70. Le Gouvernement soutient que, dans les locaux de la police de Baia Mare, le quatrième requérant a reçu des produits d’hygiène ou pouvait se les procurer lui-même, qu’il n’y avait pas de toilettes dans les cellules mais que les détenus pouvaient y avoir accès sur demande, que la lumière naturelle était assurée par des fenêtres donnant sur l’extérieur, qu’il y avait un système de ventilation et que l’intéressé avait accès aux douches deux fois par semaine. Pour ce qui est des informations relatives aux cellules occupées par le quatrième requérant à la prison de Gherla, le Gouvernement renvoie aux informations fournies par l’ANP (paragraphe 25 ci-dessus).
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
i. Sur la prohibition de la torture et des peines et traitements inhumains et dégradants
71. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (voir, notamment, Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et al., § 315, CEDH 2014 (extraits) ; El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 195, CEDH 2012 ; Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 87, CEDH 2010 ; Labita c. Italie [GC], no 26772/95 § 119, CEDH 2000-IV ; et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999-V). En effet, l’interdiction de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants est une valeur de civilisation étroitement liée au respect de la dignité humaine. L’article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention, et d’après l’article 15 § 2, il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (ibidem).
ii. Sur la protection des personnes privées de liberté contre des traitements contraires aux garanties énoncées à l’article 3 de la Convention
72. La Cour rappelle que, si les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains inconvénients, la souffrance et l’humiliation infligées dans le cadre de l’exécution d’une peine de prison ne doivent toutefois en aucun cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime. La Cour rappelle également que l’incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Au contraire, dans certains cas, la personne incarcérée peut avoir besoin d’une protection accrue en raison de la vulnérabilité de sa situation et parce qu’elle se trouve entièrement sous la responsabilité de l’État. La Cour rappelle dans ce contexte que l’article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, §§ 130-131, 22 octobre 2009).
73. La Cour rappelle encore que, selon sa jurisprudence, un traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III). Bien que le but du traitement soit un élément à prendre en compte, pour ce qui est de savoir en particulier s’il visait à humilier ou rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Peers, précité, § 74).
74. Enfin, s’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, § 46, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 142, 10 janvier 2012 ; Alver c. Estonie, no 64812/01, § 50, 8 novembre 2005 ; Kehayov c. Bulgarie, no 41035/98, § 64, 18 janvier 2005 ; et Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 102, CEDH 2002-VI).
iii. Sur le surpeuplement
75. Les principes généraux en matière de surpeuplement carcéral sont résumés dans l’arrêt Khlaifia et autres c. Italie ([GC}, no 16483/12, §§ 164-166, 15 décembre 2016), où la Cour a notamment rappelé que lorsque le surpeuplement atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (voir, s’agissant d’établissements pénitentiaires, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005). En effet, l’exiguïté extrême dans une cellule de prison est un aspect particulièrement important qui doit être pris en compte afin d’établir si les conditions de détention litigieuses étaient « dégradantes » au sens de l’article 3 de la Convention (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 104, 20 octobre 2016).
76. Ainsi, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpeuplement sévère, la Cour a jugé que cet élément, à lui seul, suffisait pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale, bien que l’espace jugé souhaitable par le CPT pour les cellules collectives soit de 4 m², il s’agissait de cas de figure où l’espace personnel accordé au requérant était inférieur à 3 m² (Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et al., § 68, 8 janvier 2013 ; Ananyev et autres, précité, §§ 144-145 ; Sulejmanovic c. Italie, no 22635/03, § 43, 16 juillet 2009 ; Kantyrev c. Russie, no 37213/02, §§ 50-51, 21 juin 2007 ; Andreï Frolov c. Russie, no 205/02, §§ 47-49, 29 mars 2007 ; et Kadikis c. Lettonie, no 62393/00, § 55, 4 mai 2006).
77. La Cour a récemment confirmé que l’exigence de 3 m² de surface au sol par détenu (incluant l’espace occupé par les meubles, mais non celui occupé par les sanitaires) dans une cellule collective doit demeurer la norme minimale pertinente aux fins de l’appréciation des conditions de détention au regard de l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, §§ 110 et 114). Elle a également précisé qu’un espace personnel inférieur à 3 m² dans une cellule collective fait naître une présomption, forte mais non irréfutable, de violation de cette disposition. La présomption en question peut notamment être réfutée par les effets cumulés des autres aspects des conditions de détention, de nature à compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel ; à cet égard, la Cour tient compte de facteurs tels que la durée et l’ampleur de la restriction, le degré de liberté de circulation et l’offre d’activités hors cellule, et le caractère généralement décent ou non des conditions de détention dans l’établissement en question (ibidem, §§ 122-138).
iv. Sur d’autres aspects concernant les conditions matérielles de détention
78. En revanche, dans des affaires où le surpeuplement n’était pas important au point de soulever à lui seul un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base (voir également les éléments ressortant des règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres, citées au paragraphe 43 ci-dessus). Comme la Cour l’a précisé dans son arrêt Muršić (précité, § 139 ; voir également Khlaifia, précité, § 167), lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation du caractère adéquat ou non des conditions de détention. Aussi, dans pareilles affaires, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, telles qu’un manque de ventilation et de lumière (Torreggiani et autres, précité, § 69 ; voir également Moisseiev c. Russie, no 62936/00, §§ 124-127, 9 octobre 2008 ; Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008 ; et Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007), un accès limité à la promenade en plein air (István Gábor Kovács c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012 ; Efremidze c. Grèce, no 33225/08, § 38, 21 juin 2011 ; Yevgeniy Alekseyenko c. Russie, no 41833/04, §§ 88-89, 27 janvier 2011 ; Gladkiy c. Russie, no 3242/03, § 69, 21 décembre 2010 ; Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, § 39, 29 octobre 2009 ; et Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, § 36, 2 juillet 2009) ou un manque total d’intimité dans les cellules (Szafransky c. Pologne, no 17249/12, §§ 39-41, 15 décembre 2015 ; Veniosov c. Ukraine, no 30634/05, § 36, 15 décembre 2011 ; Mustafayev c. Ukraine, no 36433/05, § 32, 13 octobre 2011 ; Belevitski c. Russie, no 72967/01, §§ 73-79, 1er mars 2007 ; Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, CEDH 2005-X (extraits) ; et Novosselov c. Russie, no 66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005).
79. Concernant les installations sanitaires et l’hygiène, la Cour rappelle que l’accès libre à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain, et que les détenus doivent jouir d’un accès facile à ce type d’installation, qui doit leur assurer la protection de leur intimité (Ananyev et autres, précité, §§ 156 et 157; voir également les éléments ressortant des Règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres, citées au paragraphe 43 ci-dessus). À cet égard, la Cour rappelle qu’une annexe sanitaire qui n’est que partiellement isolée par une cloison n’est pas acceptable dans une cellule occupée par plus d’un détenu (Canali c. France, no 40119/09, § 52, 25 avril 2013), qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des mauvaises conditions d’hygiène en cellule (Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, § 103, 25 novembre 2014 ; Ananyev et autres, précité, §§ 156-159 ; Florea c. Roumanie, no 37186/03, § 59, 14 septembre 2010 ; Modarca c. Moldavie, no 14437/05, §§ 65-69, 10 mai 2007 ; et Kalachnikov, précité, §§ 98-103). Un autre aspect sanctionné par la Cour en matière d’hygiène est la présence de cafards, rats, poux, punaises ou autres parasites. Elle a rappelé que les autorités des centres de détention doivent combattre ce type d’infestation par des moyens efficaces de désinfection, des produits d’entretien, des fumigations et des vérifications régulières des cellules, en particulier la vérification de l’état des draps et des endroits destinés au stockage de la nourriture (Ananyev et autres, précité, § 159).
v. Sur la détention dans les commissariats de police
80. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 dans des requêtes dirigées contre la Grèce par des étrangers en voie d’expulsion qui se trouvaient détenus dans des commissariats de police (voir, notamment, Horshill c. Grèce, no 70427/11, §§ 43-53, 1er août 2013 ; Chkhartishvili c. Grèce, no 22910/10, §§ 52-64, 2 mai 2013 ; et Bygylashvili c. Grèce, no 58164/10, §§ 55-62, 25 septembre 2012).
b) Application de ces principes aux présentes affaires
81. La Cour observe tout d’abord que les requérants ont occupé durant la majeure partie de leur détention des cellules surpeuplées dans les prisons de Gherla, d’Aiud et d’Oradea (le premier requérant), de Craiova, de Târgu-Jiu et de Pelendava (le deuxième requérant), de Rahova, de Tulcea, de Iasi et de Vaslui (le troisième requérant) et de Gherla (le quatrième requérant). Cette situation est d’ailleurs confirmée par les informations fournies par le Gouvernement (paragraphes 10-12, 15, 18 et 25 du présent arrêt). La Cour constate que l’espace personnel attribué aux requérants a été dans la majeure partie de leur détention de moins de 3 m², ce qui conduit la Cour a conclure, conformément à sa jurisprudence (paragraphe 77 ci-dessus) qu’il y a en l’espèce une forte présomption de violation de l’article 3. Quant aux demandes de transfert entre les différentes cellules de la prison de Gherla qui auraient été formulées par le premier requérant (paragraphe 10 ci-dessus), la Cour rappelle qu’elles n’exonèrent pas les autorités de l’obligation de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine et qu’elle ne soit pas exposée à des situations de surpeuplement carcéral (paragraphe 72 ci-dessus).
82. La Cour doit donc vérifier s’il existe des facteurs propres à réfuter cette présomption. À ce sujet, elle relève que le manque sévère d’espace vital dont les requérants ont souffert pendant plusieurs mois semble avoir encore été aggravé par d’autres traitements allégués par les intéressés. La Cour a pris en considération notamment l’absence d’éclairage naturel, la très courte durée de la promenade journalière, les toilettes insalubres et parfois dépourvues de cloison, ainsi que l’absence d’activités socioculturelles (pour le premier requérant), l’insuffisance des installations sanitaires et l’accès insuffisant à l’eau chaude (pour le deuxième requérant), l’absence de ventilation des cellules, la présence de moisissures dans une partie des cellules, la présence d’insectes et de rats, la vétusté des matelas, la mauvaise qualité de la nourriture, la présence de punaises (pour le troisième requérant), la mauvaise qualité de la nourriture, l’insuffisance des installations sanitaires et l’absence d’hygiène (pour le quatrième requérant). Toutes ces conditions, bien que ne constituant pas en soi un traitement inhumain et dégradant, n’ont pas manqué d’engendrer chez les requérants des souffrances supplémentaires.
83. La Cour note par ailleurs que le Gouvernement conteste les aspects concernant les conditions matérielles de détention dénoncés par les requérants et qu’il invoque les lettres d’information reçues de la part de la direction de l’ANP. À ce sujet, rappelant que, dans des affaires similaires, la Cour a fait application du principe affirmanti incumbit probatio lorsque le Gouvernement était le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant, force est de constater que la description des conditions matérielles comme conformes aux exigences de l’article 3 n’est pas étayée par des éléments de preuve suffisants (voir, mutatis mutandis, Artimenco c. Roumanie, no 12535/04, § 35, 30 juin 2009, et Branduse c. Roumanie, no 6586/03, § 48, 7 avril 2009). Quant aux documents versés par le Gouvernement au sujet des conditions matérielles de détention subies par le troisième requérant dans les prisons de Tulcea, d’Iasi et de Vaslui (paragraphes 19-21 ci-dessus), la Cour constate que, malgré les efforts déployés par les autorités internes pour améliorer les conditions de détention du troisième requérant, elles ne sont pas en mesure de contredire les allégations de l’intéressé concernant l’absence de ventilation des cellules, la présence de moisissures dans une partie d’entre elles, la présence d’insectes et de rats et la vétusté des matelas (paragraphe 17 ci-dessus). Il ressort même de ces documents que le troisième requérant a dû endurer de mauvaises conditions d’hygiène dans les prisons d’Iasi et de Vaslui (paragraphes 20-21 ci-dessus). Le Gouvernement n’a donc fourni aucun document ou explication pertinente pour amener la Cour à rejeter les allégations de l’intéressé comme non étayées (voir, mutatis mutandis Ogica c. Roumanie, no 24708/03, § 43, 27 mai 2010). Il en va de même pour les griefs formulés par le quatrième requérant concernant les conditions matérielles de détention dans le dépôt de la police de Baia Mare. Le Gouvernement ne conteste pas l’absence de toilettes et l’absence de ventilation, et n’étaye aucunement son déni des autres aspects dénoncés (l’absence d’eau courante, d’éclairage naturel, la présence de rats) (paragraphe 25 ci-dessus).
84. Cela étant, s’agissant des allégations formulées par le troisième requérant concernant l’éventuelle cohabitation avec des détenus atteints de tuberculose ou d’hépatite, la Cour constate que, ainsi qu’il ressort des éléments versés au dossier par le Gouvernement (paragraphe 22 ci-dessus), la suspicion de contamination par la tuberculose a été infirmée à la suite de tests de dépistage et qu’aucun cas d’hépatite n’a été enregistré pendant l’incarcération du troisième requérant.
85. La Cour note ensuite que la description détaillée que les requérants font des conditions matérielles dans les prisons dans lesquelles ils ont été détenus est similaire à la situation retenue par la Cour dans plusieurs autres affaires de ce type. À cet égard, la Cour renvoie aux constats concernant les prisons de Gherla (Ciprian Vladut et Ioan Florin Pop c. Roumanie, nos 43490/07 et 43304/07, §§ 59-63, 16 juillet 2015 ; Apostu c. Roumanie, no 22765/12, § 83, 3 février 2015 ; Tirean c. Roumanie, no 47603/10, §§ 37-46, 28 octobre 2014 ; Axinte c. Roumanie, no 24044/12, §§ 49-50, 22 avril 2014 ; Leontiuc c. Roumanie, no 44302/10, §§ 56-62, 4 décembre 2012 ; et Radu Pop c. Roumanie, no 14337/04, §§ 95-101, 17 juillet 2012), d’Aiud (Tirean, précité, §§ 40-46 ; Macovei c. Roumanie, no 28255/08, §§ 29-32, 19 novembre 2013 ; et Gagiu c. Roumanie, no 63258/00, §§ 77-82, 24 février 2009), d’Oradea (Ardelean c. Roumanie, no 28766/04, §§ 51-54, 30 octobre 2012, et Hadade c. Roumanie, no 11871/05, §§ 73-78, 24 septembre 2013), de Craiova (Axinte, précité, §§ 44-50 ; Enache c. Roumanie, no 10662/06, §§ 56-62, 1er avril 2014 ; et Ciolan c. Roumanie, no 24378/04, §§ 39-46, 19 février 2013), de Târgu-Jiu (Bordenciu c. Roumanie, no 36059/12, §§ 22-33, 22 septembre 2015), de Pelendava (voir la requête no 46833/14 du groupe d’affaires Matei et 17 autres c. Roumanie, nos 32435/13 et 17 autres, arrêt du 7 avril 2016), de Rahova (Apostu, précité, § 83 ; Iacov Stanciu, précité, §§ 171-179 ; Flamanzeanu c. Roumanie, no 56664/08, §§ 89-100, 12 avril 2011 ; et Pavalache c. Roumanie, no 38746/03, §§ 87-101, 18 janvier 2011), de Tulcea (Bahna c. Roumanie, no 75985/12, §§ 43-53, 13 novembre 2014), d’Iasi (Todireasa c. Roumanie (no 2) no 18616/13, §§ 56-64, 21 avril 2015 ; Bahna, précité, §§ 43-53 ; Axinte, précité, §§ 46-50 ; Ticu c. Roumanie, no 24575/10, §§ 62-68, 1er octobre 2013 ; Olariu c. Roumanie, no 12845/08, §§ 26-32, 17 septembre 2013 ; Mazalu c. Roumanie, no 24009/03, §§ 42-54, 12 juin 2012 ; Petrea c. Roumanie, no 4792/03, §§ 43-50, 29 avril 2008), et de Vaslui (Todireasa c. Roumanie (no 2), précité, §§ 56-64, et Bahna, précité, §§ 43-53).
86. Les conditions matérielles de détention régnant dans les locaux de détention de la police roumaine ont fait l’objet d’une analyse par la Cour dans plusieurs affaires, dans lesquelles elle a constaté le surpeuplement, la médiocrité des conditions d’hygiène, l’inadéquation des annexes sanitaires et la possibilité très limitée de passer du temps à l’extérieur de la cellule (voir, notamment, Gomoi c. Roumanie, no 42720/10, §§ 24-28, 22 mars 2016 ; Ghiroga c. Roumanie, no 53168/12, §§ 31-36, 16 mai 2015 ; Valerian Dragomir c. Roumanie, no 51012/11, § 47, 16 septembre 2014 ; Mihăilescu c. Roumanie, no 46546/12, § 57, 1er juillet 2014 ; Zamfirachi c. Roumanie, no 70719/10, § 66, 17 juin 2014 ; Voicu c. Roumanie, no 22015/10, § 53, 10 juin 2014 ; Florin Andrei c. Roumanie, no 33228/05, § 45, 15 avril 2014 ; Ciobanu c. Roumanie et Italie, no 4509/08, §§ 47-50, 9 juillet 2013 ; Marin Vasilescu c. Roumanie, no 62353/09, §§ 33-37, 11 juin 2013) ; Artimenco, précité, § 35 ; et Viorel Burzo c. Roumanie, no 75109/01 et 12639/02, §§ 98-99, 30 juin 2009).
87. De plus, eu égard aux constats du CPT lors des visites qu’il a effectuées en 2010 et en 2014 dans certains établissements pénitentiaires et dépôts de la police (paragraphes 52-54 ci-dessus), aux évaluations par le Comité des Ministres des mesures générales adoptées en exécution du groupe d’affaires Bragadireanu (précité) (paragraphes 44, 46 et 47 ci-dessus), aux recommandations émises par l’avocat du peuple à l’issue des enquêtes ouvertes à la suite des plaintes formulées par certains détenus (paragraphes 39-40 ci-dessus), ainsi qu’aux données statistiques officielles visant la population carcérale en Roumanie (paragraphe 37 ci-dessus), la Cour ne peut que considérer comme crédibles les allégations des requérants relatives aux conditions matérielles de leur détention.
88. Ces circonstances suffisent à la Cour pour conclure que la forte présomption de violation de l’article 3 (paragraphe 77 ci-dessus) ne peut être réfutée, le Gouvernement n’ayant pas réussi à démontrer la présence de facteurs propres à compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel. Même si la Cour admet qu’en l’espèce rien n’indique qu’il y ait eu intention d’humilier ou de rabaisser les requérants, l’absence d’un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l’article 3 (voir, parmi d’autres, Peers, précité, § 74). La Cour estime que les conditions de détention en cause, compte tenu également de la durée d’incarcération des requérants, ont soumis les intéressés à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.
89. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
90. Aux termes de l’article 46 de la Convention :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »
A. Arguments des parties
1. Le Gouvernement
91. Le Gouvernement indique que les autorités roumaines ont mis en place une série de mesures importantes visant à assurer le plein respect de l’article 3 de la Convention. Se déclarant conscient des constats faits par la Cour en matière de conditions de détention et de la jurisprudence développée par elle à la suite de l’arrêt Iacov Stanciu (précité), le Gouvernement assure avoir redoublé d’efforts pour améliorer les conditions matérielles de détention et diminuer le taux de surpeuplement en milieu carcéral. Des mesures législatives, administratives et budgétaires auraient ainsi été prises dans ce sens.
92. Le Gouvernement cite à cet égard les NCP et NCPP, la loi sur l’exécution des peines et la loi régissant l’organisation et le fonctionnement du service de probation (paragraphes 27, 28, 29 et 33 ci-dessus). Il expose que, en matière de détention provisoire, le NCP prévoit des mesures alternatives (assignation à résidence, contrôle judiciaire sous caution) et que, concernant la détention après condamnation, les limites légales de certains délits ont été réduites et que la peine d’amende remplace la peine de prison (notamment pour les délits visant le patrimoine). Il cite également l’article 64 du NCP (l’exécution de la peine d’amende par des travaux d’intérêt public), l’article 80 du NCP (la renonciation à l’application d’une peine à environ 49 000 personnes en 2014) et l’article 83 du NCP (l’ajournement de l’application d’une peine). La loi no 213/2013 aurait contribué et continuerait de contribuer à la diminution de la population carcérale. Ainsi, entre 2013 et 2014, il y aurait eu une diminution du nombre des personnes placées en détention provisoire (- 31,75 %), du nombre des personnes incarcérées (- 20 %) et du nombre total des personnes renvoyées en justice. Une diminution importante des inculpés renvoyés en jugement pour des délits contre le patrimoine aurait été enregistrée en 2014 par rapport aux années 2011-2013. Un nombre croissant de détenus auraient bénéficié de la libération conditionnelle entre 2013 et 2014. Le système de probation serait de plus en plus efficace et compterait dans ses registres 26 749 personnes. Selon le Gouvernement, l’avocat du peuple est l’une des institutions de contrôle des conditions de détention dans le cadre du mécanisme national de prévention.
93. De plus, le Gouvernement renvoie aux mesures planifiées dans la cadre de la « Stratégie de développement du système judiciaire pour la période 2015-2020 » qui viseraient, entre autres, l’amélioration des conditions de détention et l’augmentation des chances de réinsertion sociale des personnes privées de liberté. À ses dires, une « Stratégie de réinsertion sociale », adoptée en juin 2015, fera diminuer, à moyen et à long terme, d’une manière durable le phénomène infractionnel et la population carcérale.
94. Selon le Gouvernement, des fonds importants ont été affectés à la rénovation de certains dépôts de la police et à l’augmentation de la capacité d’hébergement de certains établissements pénitentiaires (1 164 000 euros (EUR) en 2014). De plus, le projet de création de deux nouveaux établissements pénitentiaires (1 000 places) aurait reçu l’aval budgétaire en 2015.
95. En matière de surveillance des conditions de détention, le Gouvernement indique qu’il existe un service de coordination des centres de détention provisoire, chargé de centraliser les données relatives au taux d’occupation des centres de détention. Selon les données de ce service, la durée moyenne de détention d’un prévenu dans les locaux de détention de la police est d’environ trente jours. Les détenus ne bénéficiant pas d’un espace vital de 4 m² seraient transférés dans d’autres centres de détention. Au niveau de l’ANP, la surveillance des détenus incarcérés aurait pour effet de diminuer les conséquences du surpeuplement. Le budget de l’ANP aurait été augmenté en 2015 de 225 000 EUR. À compter de mars 2015, à la suite d’une décision du directeur de l’ANP, les femmes incarcérées et les personnes internées dans les centres éducatifs auraient bénéficié en permanence de l’accès à l’eau chaude.
96. En matière de voies de recours internes, le Gouvernement estime que le cadre législatif actuel, à savoir la loi no 254/13 (paragraphe 27 ci-dessus) offre un recours préventif efficace en matière de conditions matérielles de détention. Ce recours consisterait en la saisine du juge délégué pour l’exécution des peines qui ordonne aux différentes prisons d’assurer aux détenus les normes minimales d’hébergement telles qu’établies par la jurisprudence de la Cour. Pour exécuter ces jugements, l’ANP recommanderait aux prisons de transférer certains détenus dans d’autres cellules ou d’autres prisons. Le Gouvernement a versé au dossier vingt-deux exemples de jurisprudence, dont dix-neuf décisions ordonnant à différentes prisons de garantir aux détenus un espace vital de 4 m², trois concernant l’obligation de réparer le mobilier dans la cellule d’un requérant, de repeindre les murs d’une salle de bains et de se conformer aux normes d’hygiène. Pour ce qui est du recours compensatoire, selon le Gouvernement, la voie de la responsabilité civile délictuelle prévue par le code civil (paragraphe 36 ci-dessus) peut être empruntée par les requérants qui souhaitent voir réparer un préjudice découlant de conditions matérielles contraires à l’article 3 de la Convention. À ce titre, le Gouvernement a versé au dossier copie d’une décision interne ordonnant aux autorités internes d’indemniser un détenu en raison du traitement médical et du régime alimentaire inadéquats qu’il aurait subis pendant sa détention. Deux autres décisions auraient ordonné à la prison de Jilava d’indemniser deux détenus pour absence d’accès à l’eau chaude pendant deux mois pour l’un et quatre mois pour l’autre. Un dernier exemple de jurisprudence concernerait l’indemnisation d’un détenu au motif qu’il a été obligé de cohabiter avec des détenus fumeurs dans un dépôt de la police et qu’il n’a pas eu accès aux toilettes en permanence.
97. Le Gouvernement considère que les mesures générales exposées ci-dessus ont eu pour but de réduire le nombre de détenus, de mettre l’accent sur les sanctions non privatives de liberté, d’augmenter la capacité d’hébergement des centres de détention et d’améliorer les conditions de détention. De plus, une centaine de requêtes enregistrées par la Cour en 2015 se seraient soldées par un règlement l’amiable. Le Gouvernement se dit cependant conscient que des lacunes doivent encore être comblées pour que le système actuel soit conforme aux standards conventionnels en matière de conditions de détention. Selon lui, les autorités ont entrepris des efforts pour lutter contre le surpeuplement, et elles poursuivent et intensifient leurs plans de modernisation et d’investissement. Un nouveau mémorandum, adopté le 19 janvier 2016, mettrait l’accent sur la consolidation du système de probation (notamment par l’augmentation du nombre d’officiers de probation), sur l’amélioration des conditions de détention et sur le développement des mesures alternatives. Ainsi, un plan d’investissement d’un montant total de 838,45 millions d’EUR, à répartir entre l’ANP, la direction nationale de probation et le ministère de l’Intérieur, serait prévu pour la période 2016-2023. D’après le Gouvernement, d’ici à la fin de 2023, 10 895 nouvelles places de détention seraient ainsi créées, 1 651 places seraient modernisées et 5 847 personnes seraient recrutées par l’ANP. D’ici à 2018, 626 conseillers de probation et 171 assistants administratifs seraient recrutés dans le cadre de la direction nationale de probation. Entre 2018 et 2020, 1 769 nouvelles places de détention seraient créées dans les établissements de police. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement considère que l’application de la procédure d’arrêt pilote n’est pas opportune.
2. Les requérants
98. Le premier requérant apprécie l’intention du gouvernement roumain d’améliorer les conditions de détention dans les prisons et dans les établissements de la police. Il considère néanmoins qu’il a subi et continue de subir les conséquences négatives de conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention et il prie la Cour de statuer sur sa requête dans les meilleurs délais.
99. Le deuxième requérant considère que les plans présentés par le Gouvernement pour améliorer les conditions de détention ne font aucune référence à la réparation du préjudice subi par les détenus. Il demande à la Cour de statuer sur sa requête et de lui octroyer les indemnités sollicitées au titre de l’article 41 de la Convention.
100. Le troisième requérant considère que l’adoption d’un arrêt pilote serait la manière la plus adéquate de chercher à résoudre le problème structurel des mauvaises conditions de détention en Roumanie. Il estime que des obligations concrètes à la charge des autorités devraient être édictées et leur mise en œuvre suivie par le Comité des Ministres. Il cite à cet égard l’arrêt pilote Ananyev et autres (précité). Pour ce qui est du surpeuplement, il se réfère aux données statistiques publiées par l’ANP, selon lesquelles, en octobre 2015, le taux d’occupation des prisons en Roumanie aurait été de 150,68 % avec une population carcérale comptant 28 383 détenus pour une capacité d’hébergement de 18 336 détenus. Il indique que, toujours d’après l’ANP, dans certaines prisons les détenus étaient obligés de partager les lits, par exemple dans la prison de Ploiesti, dans laquelle se serait rendu APADOR-CH en 2012 et dans laquelle 31 détenus auraient disposé de 24 lits. Il ajoute que la situation était similaire dans les locaux de détention de la police (il cite le cas du dépôt de la police d’Iasi, visité par APADOR-CH en 2014, où trois prévenus auraient partagé une cellule de 6,21 m²). Quant aux conditions matérielles de détention, le troisième requérant renvoie aux constats de la Cour relatifs à l’hygiène, à l’insuffisance et au non-fonctionnement des toilettes et des lavabos, à l’absence d’eau chaude, à l’accès limité aux douches, à la présence de cafards, de poux et de rats, à l’état hors d’usage des matelas et du linge de lit et à la mauvaise qualité de la nourriture (Iacov Stanciu, précité, § 175). Des rapports de visite plus récents réalisés par APADOR-CH confirmeraient la présence de cafards et de moisissures et la non-conformité des toilettes aux normes d’hygiène dans certaines prisons, et l’absence de toilettes dans les cellules des dépôts de la police. En matière d’accès aux soins, le troisième requérant indique que le manque accru de personnel médical dans les prisons est confirmé par des chiffres officiels publiés par l’ANP (sur 1 147 postes approuvés seulement 730 auraient été occupés). Cela se traduit, d’après le troisième requérant, par une tâche très lourde pour les médecins des prisons et une baisse de la qualité de l’acte médical. À cela s’ajouterait l’absence de fonds suffisants, ce qui aurait une influence directe sur les traitements médicaux accordés aux détenus. Le troisième requérant demande enfin à la Cour de ne pas geler les affaires similaires pendantes devant elle pour ne pas accroître le préjudice des victimes.
101. Le quatrième requérant estime que les observations formulées par le Gouvernement ne concernent aucun des aspects des mauvaises conditions matérielles de sa détention dans les locaux de la police de Baia Mare et il persiste dans sa requête.
B. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
102. La Cour rappelle que l’article 46 de la Convention interprété à la lumière de l’article 1 impose à l’État défendeur l’obligation légale de mettre en œuvre, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles appropriées pour garantir le droit d’un requérant dont la Cour a constaté la violation. L’État doit également appliquer ces mesures à l’égard des autres personnes se trouvant dans la même situation que le requérant, l’objectif pour lui devant être de résoudre les problèmes qui ont conduit la Cour à son constat de violation (voir, parmi d’autres, Rutkowski et autres c. Pologne, nos 72287/10 et al., § 200, 7 juillet 2015 ; Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 142, CEDH 2014 ; Torreggiani et autres, précité, § 83 ; Broniowski c. Pologne, [GC], no 31443/96, §§ 192-193, CEDH 2004-V et les références qui y sont citées).
103. Afin de faciliter une mise en œuvre effective de ses arrêts, la Cour peut adopter une procédure d’arrêt pilote lui permettant de mettre clairement en lumière l’existence de problèmes structurels à l’origine des violations et d’indiquer à l’État défendeur des mesures pour y remédier (voir la Résolution Res(2004)3 relative aux arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent, adoptée par le Comité des Ministres le 12 mai 2004, et Broniowski, précité, §§ 189-194). Cette démarche judiciaire est toutefois suivie dans le respect des rôles respectifs des organes de la Convention : il appartient au Comité des Ministres d’évaluer la mise en œuvre des mesures individuelles et générales en vertu de l’article 46 § 2 de la Convention (Rutkowski et autres, précité, § 201, et les références qui y sont citées).
104. Un autre but important de la procédure d’arrêt pilote est d’inciter l’État défendeur à trouver, au niveau national, une solution aux nombreuses affaires individuelles nées du même problème structurel, donnant ainsi effet au principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention. En effet, ce n’est pas en répétant les mêmes conclusions dans un grand nombre d’affaires que la Cour s’acquitte forcément au mieux de sa tâche, qui consiste selon l’article 19 de la Convention à « assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (...) Convention et de ses Protocoles » (Rutkowski et autres, précité, § 202, et Varga et autres c. Hongrie (nos 14097/12 et al., § 96, 10 mars 2015).
105. La procédure de l’arrêt pilote a pour but de faciliter le redressement le plus rapide et le plus efficace des dysfonctionnements qui affectent la protection des droits conventionnels en cause dans l’ordre juridique interne. Si elle doit tendre principalement au règlement de pareils dysfonctionnements et à la mise en place, le cas échéant, de recours internes effectifs permettant de dénoncer les violations commises, l’action des États défendeurs peut aussi comprendre l’adoption de solutions ad hoc telles que des règlements amiables avec les requérants ou des offres unilatérales d’indemnisation, en conformité avec les exigences de la Convention (Rutkowski et autres, précité, § 202 ; Varga et autres, précité, § 97 ; et Torreggiani et autres, précité, § 86). La Cour peut donc décider d’ajourner l’examen de toutes les affaires similaires, donnant ainsi aux États défendeurs une possibilité de les régler selon ces diverses modalités. Si toutefois l’État défendeur n’adopte pas ces mesures à la suite de l’arrêt pilote et s’il persiste à méconnaître la Convention, la Cour n’a d’autre choix que de reprendre l’examen de toutes les requêtes similaires portées devant elle et de statuer sur celles-ci afin de garantir le respect effectif de la Convention (Ališić et autres, précité, § 143).
2. Application de ces principes en l’espèce
a) Sur l’existence d’une situation incompatible avec la Convention appelant l’application de la procédure de l’arrêt pilote en l’espèce
106. La Cour souligne que les premiers constats de violation de l’article 3 de la Convention à raison de conditions de détention inadéquates dans certaines prisons en Roumanie datent de 2007-2008 (Bragadireanu, précité, et Petrea, précité) et que, depuis l’adoption de ces arrêts, leur nombre n’a cessé de croître. On compte en effet 93 arrêts de violation entre 2007 et 2012. La plupart des affaires concernaient, comme les présentes espèces, le surpeuplement carcéral et différents autres aspects récurrents des conditions matérielles de détention (mauvaise hygiène, ventilation et éclairage insuffisants, installations sanitaires non fonctionnelles, nourriture insuffisante ou inadéquate, accès limité aux douches, présence de rats, cafards, poux, etc.).
107. Eu égard à l’afflux important de requêtes portant sur le même sujet, la Cour a estimé nécessaire de s’adresser, en 2012, aux autorités roumaines en vertu de l’article 46 de la Convention. L’existence et l’ampleur du problème structurel identifié par la Cour dans l’affaire Iacov Stanciu (précité) a justifié l’indication de mesures générales visant à améliorer les conditions matérielles dans les prisons roumaines, mesures combinées avec un système adéquat et efficace de voies de recours internes, préventifs et compensatoires, afin d’assurer le plein respect des articles 3 et 46 de la Convention (Iacov Stanciu, précité, §§ 195-199).
108. Parallèlement, le Comité des Ministres a évalué, à deux reprises, les mesures générales adoptées par les autorités roumaines en réponse aux constats par la Cour, et ses conclusions n’ont fait que confirmer une situation préoccupante dans la grande majorité des dépôts de la police et des prisons, qui continuaient à être gravement surpeuplés et dont les conditions matérielles étaient précaires. Selon le comité des Ministres, des mesures additionnelles étaient nécessaires pour mettre en place un système adéquat et efficace de voies de recours (paragraphe 47 ci-dessus). La réalité de la situation est aussi confirmée par les derniers rapports du CPT, qui soulignent l’importance du problème lié au surpeuplement dans les établissements pénitentiaires roumains. Les mêmes rapports considèrent les dépôts de la police comme inadéquats pour des détentions prolongées, car généralement surpeuplés, dépourvus d’accès direct à des toilettes, mal ventilés et souffrant d’un manque d’hygiène. Quant aux établissements pénitentiaires, le CPT a constaté que le surpeuplement persistait dans les prisons roumaines, que certaines d’entre elles souffraient de mauvaises conditions d’hygiène, d’un éclairage et d’une ventilation insuffisants, d’installations sanitaires non fonctionnelles, d’une nourriture inadéquate ainsi que d’activités socioculturelles insuffisantes (paragraphes 52-54 ci-dessus). Tous ces constats sont également confirmés par les recommandations de l’avocat du peuple, qui, après avoir visité certaines prisons, a demandé aux autorités pénitentiaires de mettre un terme au surpeuplement, aux mauvaises conditions d’hygiène, à l’absence de cantine, à la présence de rats, souris et punaises, à l’absence de cloison pour les toilettes, et leur a également demandé de fournir de l’eau potable et un mobilier suffisant et de permettre l’accès à des douches en état de fonctionnement (paragraphes 39-40 ci-dessus).
109. Plus de quatre ans après l’identification du problème structurel, la Cour procède à l’examen des présentes affaires après avoir déjà conclu, dans 150 arrêts, à la violation de l’article 3 de la Convention à raison du surpeuplement et des conditions matérielles inadéquates dans plusieurs prisons et dépôts de la police roumains. Le nombre des constats de violation de la Convention à ce titre n’a cessé de croître. La Cour note que, en août 2016, 3 200 requêtes similaires étaient pendantes devant elle et qu’elles pourraient donner lieu à l’avenir à de nouveaux arrêts concluant à la violation de la Convention. La persistance de déficiences structurelles majeures causant des violations répétées de la Convention est non seulement un facteur aggravant quant à la responsabilité de l’État au regard de la Convention à raison d’une situation passée ou actuelle, mais également une menace pour l’effectivité à l’avenir du dispositif de contrôle mis en place par la Convention (voir, mutatis mutandis, Broniowski, précité, § 193).
110. La Cour note que la situation des requérants ne peut pas être dissociée du problème général qui tire son origine d’un dysfonctionnement structurel propre au système carcéral roumain, qui a touché et est susceptible de toucher encore à l’avenir de nombreuses personnes. Malgré les mesures législatives, administratives et budgétaires adoptées au niveau interne, le caractère structurel du problème identifié en 2012 persiste et la situation constatée est, dès lors, constitutive d’une pratique incompatible avec la Convention (voir, mutatis mutandis, Torreggiani et autres, précité, § 88).
111. Au regard de cette situation, la Cour estime que les présentes affaires se prêtent à l’application de la procédure de l’arrêt pilote (voir, mutatis mutandis, Varga et autres, précité, § 100 ; Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10 et al., § 271, 27 janvier 2015 ; Torreggiani et autres, précité, § 90 ; et Ananyev et autres, précité, § 190).
b) Mesures à caractère général
112. La Cour rappelle que ses arrêts ont un caractère essentiellement déclaratoire et qu’il appartient en principe à l’État défendeur de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII). Toutefois, cela n’empêche pas la Cour de suggérer, à titre purement indicatif, le type de mesures que l’État roumain pourrait prendre pour mettre un terme à la situation structurelle constatée (voir, mutatis mutandis, Ananyev et autres, précité, § 195).
113. Elle observe que l’État roumain a récemment pris des mesures susceptibles de contribuer à réduire le phénomène de la surpopulation dans les établissements pénitentiaires et les conséquences de celle-ci. Elle se félicite des démarches accomplies par les autorités nationales et ne peut qu’encourager l’État roumain à poursuivre dans cette voie. Néanmoins, il convient de constater que, malgré les efforts entrepris, le taux d’occupation des prisons roumaines reste très élevé, situation qui confirme les constats établis par l’avocat du peuple, le Comité des Ministres et le CPT (paragraphes 39-40, 46 et 54, ci-dessus).
114. Aux yeux de la Cour, des mesures générales de deux types devraient être mises en place pour remédier au problème structurel constaté dans le présent arrêt.
i. Mesures visant à diminuer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention
115. Ainsi qu’il ressort des données officielles publiées par l’ANP, le taux d’occupation de l’ensemble des établissements pénitentiaires roumains varie entre 149,11 % et 154,36 % (paragraphe 37 ci-dessus). À cet égard, il convient de rappeler que la majorité des arrêts les plus récents concernent des requérants qui purgent leur peine dans un espace vital de moins de 3 m², voire, pour certains d’entre eux, de moins de 2 m². Or la Cour rappelle que, lorsque l’État n’est pas en mesure de garantir à chaque détenu des conditions de détention conformes à l’article 3 de la Convention, elle l’encourage à agir de manière à réduire le nombre des personnes incarcérées, notamment en appliquant davantage des mesures punitives non privatives de liberté (Norbert Sikorski, précité, § 158) et en réduisant à son minimum le recours à la détention provisoire (voir, entre autres, Varga et autres, précité, § 104 ; Ananyev et autres, précité, § 197 ; et Orchowski c. Pologne, no 17885/04, § 150, 22 octobre 2009).
116. Certes, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer aux États la manière dont ils doivent organiser leurs systèmes pénaux et pénitentiaires, car ces processus soulèvent des questions complexes d’ordre juridique et pratique qui dépassent sa fonction judiciaire (Torreggiani et autres, précité, § 95). Néanmoins, la Cour renvoie aux recommandations émises par le CPT, aux évaluations effectuées par le Comité des Ministres et aux recommandations présentées dans le Livre blanc sur le surpeuplement carcéral, qui identifient un certain nombre de solutions possibles pour combattre le surpeuplement et les conditions matérielles inadéquates de détention (voir, respectivement, les paragraphes 49 et 54, 42, 46 et 57 ci-dessus).
117. En matière de détention avant condamnation, la Cour note d’abord que les dépôts attachés aux commissariats de police ont été considérés par le CPT et par le Comité des Ministres comme « structurellement inadaptés » pour des détentions dépassant quelques jours (paragraphes 44, 46, 52 et 54 ci-dessus). De plus, la Cour rappelle avoir déjà jugé que ces locaux étaient des lieux destinés à accueillir des personnes pour de très courtes durées (voir notamment sa jurisprudence citée au paragraphe 80 ci-dessus). Eu égard à ces constats, les autorités internes doivent s’assurer que les prévenus soient transférés dans une prison à l’issue de leur garde à vue. La Cour note que la réforme implémentée par le Gouvernement a eu pour effet une certaine réduction de l’effectif de la population placée en détention provisoire (paragraphe 92 ci-dessus). Elle se félicite des démarches accomplies et encourage l’État roumain de s’assurer de la continuité de cette réforme et d’explorer également la possibilité de faciliter l’utilisation d’un plus grand recours aux mesures alternatives à la détention provisoire (paragraphes 42 et 92 ci-dessus).
118. Pour ce qui est de la détention après condamnation, la Cour prend note avec intérêt de la reforme amorcée par le Gouvernement, qui se concentre, entre autres sur la réduction des limites des peines pour certaines infractions, sur l’amende pénale en tant qu’alternative à la peine à prison, sur la renonciation à une peine et l’ajournement de l’application d’une peine, ainsi que sur les effets positifs du système de probation (paragraphe 92 ci-dessus). Bien que les effets immédiats de cette réforme ne se fassent pas ressentir de manière significative au niveau du taux de surpeuplement, qui continue d’être assez élevé (paragraphe 37 ci-dessus), pareille mesures, doublées d’une diversification des peines alternatives à la détention (voir paragraphes 46 et 57 ci-dessus) pourraient avoir un impact positif sur la réduction du nombre des personnes incarcérées. D’autres pistes à explorer, tels que l’assouplissement des conditions de la renonciation à l’application d’une peine, de l’ajournement du prononcé d’une peine (paragraphe 32 ci-dessus), et surtout l’élargissement des possibilités d’accès à la liberté conditionnelle (paragraphes 31 et 42 ci-dessus), ainsi qu’un fonctionnement efficace du service de probation (voir paragraphe 97 ci-dessus), pourraient constituer des sources d’inspiration pour le gouvernement défendeur afin de résoudre le problème de l’accroissement de la population carcérale et des conditions matérielles inadéquates de détention.
119. Par ailleurs, la Cour note que la nouvelle stratégie du Gouvernement prévoit également des investissements en vue de la création de places de détention supplémentaires (paragraphe 94 et 97 ci-dessus). Bien que cette initiative démontre la volonté des autorités de trouver une solution au problème du surpeuplement carcéral, la Cour rappelle la Recommandation Rec(99)22 du Comité des Ministres selon laquelle cette mesure n’est pas, en principe, propre à offrir une solution durable pour remédier ce problème (paragraphe 42 ci-dessus). De plus, compte tenu des conditions matérielles et d’hygiène très précaires dans les prisons roumaines, des fonds devraient continuer à être également consacrés à des travaux de rénovation des lieux de détention existants.
120. La Cour laisse à l’État défendeur le soin de faire, sous le contrôle du Comité des Ministres, les démarches concrètes qu’il estimera nécessaires pour atteindre les buts recherchés par les indications ci-dessus et compatibles avec les conclusions contenues dans le présent arrêt.
ii. Voies de recours
121. En ce qui concerne la ou les voies de recours internes à adopter pour faire face au problème systémique reconnu dans les présentes affaires, la Cour rappelle que, en matière de conditions de détention, les remèdes « préventifs » et ceux de nature « compensatoire » doivent coexister de manière complémentaire. Ainsi, lorsqu’un requérant est détenu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention, le meilleur redressement possible est la cessation rapide de la violation du droit à ne pas subir des traitements inhumains et dégradants. De plus, toute personne victime de conditions de détention portant atteinte à sa dignité doit pouvoir obtenir une réparation pour la violation subie (Ananyev et autres, précité, §§ 97-98 et 210-231 ; et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 29, 10 mai 2007).
122. Comme la Cour l’a déjà dit dans l’arrêt Iacov Stanciu (précité, §§ 197-198), l’État défendeur doit mettre en place un recours préventif, permettant au juge de surveillance de l’exécution et aux tribunaux de mettre fin à la situation contraire à l’article 3 de la Convention et d’octroyer une indemnisation si un tel constat a été fait.
123. S’agissant des recours préventifs, la Cour observe avec intérêt que les exemples fournis par le Gouvernement (paragraphe 96 ci-dessus) attestent que les tribunaux internes analysent les situations de surpeuplement dénoncées par certains détenus et est consciente des efforts conséquents et soutenus des autorités pour assurer le respect de la norme interne établissant l’espace vital pour chaque détenu. La Cour reconnait cette évolution importante que les tribunaux internes opèrent récemment dans leur jurisprudence, mais constate, en revanche, qu’il est difficile d’imaginer la possibilité effective pour les détenus bénéficiant d’une décision favorable d’obtenir le redressement de leur situation, sans que les conditions de détention dans les prisons roumaines, décrites aux paragraphes 106 et108 ci-dessus, ne connaissent pas une amélioration.
124. Quant aux recours compensatoires, la Cour note avec satisfaction que certains tribunaux analysent les différents aspects visant les conditions matérielles de détention et indemnisent à ce titre certains détenus (paragraphe 96 ci-dessus). Cependant, elle constate qu’en droit roumain la responsabilité délictuelle est un régime qui est fondé sur la responsabilité subjective et qui repose donc sur la faute de l’auteur du dommage (paragraphe 36 ci-dessus). Or, en matière de mauvaises conditions de détention, la Cour rappelle que la charge de la preuve, qui incombe aux justiciables, ne doit pas peser un poids excessif. De plus, la Cour rappelle à ce sujet que les mauvaises conditions de détention ne sont pas nécessairement le résultat de défaillances imputables à l’administration pénitentiaire, mais qu’elles ont le plus souvent pour origine des facteurs plus complexes, comme des problèmes de politique pénale (Iacov Stanciu, précité, § 199). Même lorsque la possibilité d’obtenir une indemnité est prévue, une voie de recours peut ne pas offrir de chances raisonnables de succès, notamment lorsque l’octroi d’une indemnisation est conditionné à l’établissement d’une faute de la part des autorités (Ananyev et autres, précité, § 113 ; Roman Karasev c. Russie, no 30251/03, §§ 81-85, 25 novembre 2010 ; et Shilbergs c. Russie, no 20075/03, §§ 71-79, 17 décembre 2009). Dès lors, les exemples fournis par le Gouvernement ne démontrent pas avec la certitude voulue l’existence d’un recours compensatoire effectif en la matière.
125. La Cour encourage l’État roumain à mettre en place un recours compensatoire spécifique, susceptible de permettre d’obtenir une indemnisation adéquate pour toute violation de la Convention s’étant déjà produite en raison d’un espace vital insuffisant et/ou des conditions matérielles précaires. Dans ce contexte, la Cour note avec intérêt l’initiative législative concernant la remise de peine (paragraphe 41 ci-dessus), qui peut constituer un redressement adéquat en cas de mauvaises conditions matérielles de détention à condition que, d’une part, elle soit explicitement octroyée pour réparer la violation de l’article 3 de la Convention et que, d’autre part, son impact sur le quantum de la peine de la personne intéressée soit mesurable (Stella et autres c. Italie (déc.), nos 49169/09 et al., §§ 59-60, 16 septembre 2014). Enfin, la Cour note qu’un recours compensatoire vient d’être implémenté par les autorités hongroises, à la suite de l’arrêt Varga et autres (précité).
126. À cet égard, compte tenu de l’importance et de l’urgence du problème identifié et de la nature fondamentale des droits en question, la Cour considère qu’un délai raisonnable pour la mise en œuvre des mesures à caractère général est nécessaire. Toutefois, elle considère qu’il n’incombe pas à la Cour, à ce stade, d’établir un tel délai, le Comité des Ministres étant mieux placé pour ce faire. Cela étant, la Cour conclut que le Gouvernement roumain doit fournir, en coopération avec le Comité des Ministres, dans les six mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif, un calendrier précis pour la mise en œuvre des mesures générales appropriées.
c) Procédure à suivre dans les affaires similaires
127. La Cour rappelle qu’elle peut se prononcer dans l’arrêt pilote sur la procédure à suivre dans l’examen de toutes les affaires similaires (voir également, mutatis mutandis, Torreggiani et autres, précité, § 100 ; Xenides-Arestis c. Turquie, no 46347/99, § 50, 22 décembre 2005 ; et Broniowski, précité, § 198).
128. La Cour décide, en attendant que les autorités internes adoptent, sous le contrôle du Comité des Ministres, des mesures nécessaires sur le plan national, d’ajourner l’examen des requêtes non communiquées ayant pour objet unique ou principal le surpeuplement carcéral et les mauvaises conditions de détention dans les prisons et les dépôts attachés aux commissariats de police en Roumanie. Elle précise qu’elle peut néanmoins à tout moment déclarer une requête de ce type irrecevable ou la rayer de son rôle en cas d’accord amiable entre les parties ou de règlement du litige par d’autres moyens, conformément aux articles 37 et 39 de la Convention. En revanche, s’agissant des requêtes déjà communiquées au gouvernement défendeur, la Cour pourra poursuivre leur examen (voir, mutatis mutandis, Torreggiani et autres, précité, § 101).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
129. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
130. Les requérants réclament les sommes suivantes en réparation des préjudices qu’ils estiment avoir subis. Le premier requérant réclame 100 000 EUR pour préjudice moral en raison de la souffrance physique et psychique qu’il aurait endurée. Il sollicite également 10 000 EUR pour dommage matériel (rente viagère). Le deuxième requérant sollicite 20 000 EUR pour dommage moral en raison des mauvaises conditions matérielles de sa détention, lesquelles auraient affecté son état de santé. Le troisième requérant demande 20 000 EUR pour la souffrance psychique et physique que lui auraient causée les conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention. Il demande également le versement d’une retraite à vie d’un montant de 1 200 lei roumains (RON) en raison de la perte de sa capacité de travail, qui serait due aux mauvaises conditions de sa détention. Le quatrième requérant réclame 150 000 EUR sans préciser à quel titre.
131. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes.
132. La Cour estime que les premier et troisième requérants n’ont pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel et rejette leurs demandes à ce titre. En revanche, elle estime que les requérants ont subi un préjudice moral certain. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au premier requérant 3 000 EUR, au deuxième requérant 5 000 EUR, au troisième requérant 5 000 EUR et au quatrième requérant 3 000 EUR pour dommage moral.
B. Frais et dépens
133. Le premier requérant sollicite le remboursement des frais et dépens qu’il aurait dû engager pour défendre ses droits, sans donner d’autres précisions. Le troisième sollicite 1 875 EUR pour les frais et dépens engagés dans la procédure devant la Cour.
134. Pour ce qui est du premier requérant, le Gouvernement invite la Cour à ne rien allouer au titre des frais et dépens, faute de documents justificatifs. Quant au troisième requérant, le Gouvernement demande à la Cour de lui octroyer un montant raisonnable, au motif que l’affaire porte sur un sujet déjà analysé dans plusieurs affaires similaires.
135. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, en l’absence de précisions quant à la nature de la procédure interne à laquelle se réfère le premier requérant ainsi que de tout document justificatif, la Cour rejette sa demande relative aux frais et dépens. Pour ce qui est des frais encourus par le troisième requérant, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 850 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle et l’accorde à ce requérant.
C. Intérêts moratoires
136. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
4. Dit que l’État défendeur devra, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, fournir, en coopération avec le Comité des Ministres, un calendrier précis pour la mise en œuvre des mesures générales appropriées aptes à résoudre le problème du surpeuplement carcéral et des mauvaises conditions de détention, et ce conformément aux principes de la Convention tels qu’énoncés dans le présent arrêt ;
5. Décide d’ajourner, avant l’adoption des mesures nécessaires sur le plan national, toutes les requêtes similaires non encore communiquées dirigées contre la Roumanie, étant entendu qu’en vertu de la Convention elle peut toujours, à tout moment, déclarer telle ou telle de ces requêtes irrecevable ou la rayer de son rôle ;
6. Dit
a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur :
i. 3 000 EUR (trois mille euros) au premier requérant, 5 000 EUR (cinq mille euros) au deuxième requérant, 5 000 EUR (cinq mille euros) au troisième requérant et 3 000 EUR (trois mille euros) au quatrième requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 1 850 EUR (mille huit cent cinquante euros) au troisième requérant, plus tout montant pouvant être dû par ce requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 avril 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Marialena Tsirli Ganna Yudkivska
Greffière Présidente
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Wojtyczek.
G.Y.
M.T.
OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK
1. Le présent arrêt touche une question importante, qui fait actuellement l’objet de débats publics dans un certain nombre de pays et qui intéresse vivement l’opinion publique, à savoir la question du choix des politiques pénales.
2. Je note, dans ce contexte, que le mandat de la Cour a été défini de façon restrictive à l’article 19 de la Convention : « assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses Protocoles ». De plus, dans l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention les États parties se sont engagées à organiser des élections dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. La mise en œuvre de cet article suppose la création d’un parlement doté du pouvoir législatif et de la capacité d’effectuer des choix politiques exprimés dans les textes des lois. Il n’appartient pas à la Cour de s’immiscer dans la sphère politique, laquelle relève de la compétence exclusive des parlements et gouvernements nationaux. Ainsi, le choix de la politique pénale appartient aux parlements nationaux. Ceux-ci peuvent, en principe, opter soit pour une politique plus répressive, qui suppose un nombre plus important de places dans les prisons, soit pour une politique moins sévère, qui requiert un nombre moins important de places dans les établissements pénitentiaires.
Il faut rappeler, en même temps, que la sanction pénale, qu’elle soit privative de liberté ou non, constitue une ingérence cruciale dans la sphère de la liberté des personnes. Si l’ingérence touche le champ des droits protégés par la Convention, elle doit être proportionnée au poids des valeurs que celle-ci protège. Lorsqu’il limite les droits protégés par la Convention, l’État doit choisir les instruments qui sont les moins restrictifs pour ces droits.
D’un autre côté, la Convention peut exiger la mise en œuvre d’une législation pénale appropriée, capable de protéger efficacement les droits et les valeurs proclamés dans ce traité. Le défaut de sévérité d’une sanction pénale dans le cas de certains types de violations des droits de l’homme peut engager la responsabilité de l’État. Une ingérence insuffisante dans la liberté de l’homme peut ainsi constituer une violation de la Convention (voir, par exemple, Nikolova et Velichkova c. Bulgarie, no 7888/03, §§ 61-62, 20 décembre 2007, Ali et Ayşe Duran c. Turquie (no 1 sur 4), no 42942/02, § 66, 8 avril 2008, et A. c. Croatie (no 1 sur 7), no 55164/08, §§ 66-67 et 78, 14 octobre 2010).
3. Je note que, dans un certain nombre d’arrêts concernant la surpopulation carcérale, la Cour a mis l’accent sur la liberté des États quant au choix des moyens pour résoudre ce problème et qu’elle a essayé de garder la neutralité dans les conflits concernant le choix des politiques pénales (voir, par exemple, Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, 8 janvier 2013, et Neshkov c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, 27 janvier 2015).
4. Je constate que, dans la présente affaire, la Cour se prononce expressément sur la question de la politique pénale qui serait souhaitable, d’une part, en prônant la mise en place de mesures qui visent à réduire le nombre des personnes condamnées à des peines privatives de liberté (paragraphes 115 et 118 de l’arrêt) et, d’autre part, en exprimant des réserves quant à la possibilité de résoudre le problème par un programme de construction de nouvelles prisons (paragraphe 119 de l’arrêt).
Il est vrai que les recherches en sciences sociales démontrent que les politiques pénales sévères n’ont pas les effets escomptés. Toutefois, de lege lata, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas compétence pour se prononcer sur la rationalité des choix en matière de politique pénale.
5. Pour pouvoir formuler des recommandations rationnelles sur les modifications qui seraient souhaitables en matière de politique pénale, il est indispensable d’étudier au préalable en détail un certain nombre d’éléments, en particulier la nature et l’ampleur de la criminalité dans la société en question, le droit pénal en vigueur ainsi que le nombre de places dans les prisons considéré dans le contexte de la criminalité existante. Toute recommandation en la matière qui ne serait pas fondée sur des analyses minutieuses des éléments mentionnés n’a aucun pouvoir de persuasion.
Or la Cour formule des recommandations relativement à la future politique pénale sans avoir analysé de façon suffisamment approfondie les questions ci-dessus. Il ne paraît pas convaincant de formuler des recommandations visant à adoucir la politique pénale roumaine sans avoir au préalable démontré que l’état du droit pénal en Roumanie permet d’introduire, dans le contexte spécifique de la criminalité dans la société de ce pays, des sanctions moins sévères sans que cela porte pour autant préjudice à la protection pénale des valeurs fondamentales et des droits des personnes. De plus, même les politiques pénales les moins répressives vont nécessairement aboutir à une surpopulation carcérale si le nombre de places dans les prisons reste insuffisant par rapport aux besoins découlant d’un niveau donné de criminalité. D’une façon générale, une politique pénale rationnelle doit être adaptée avant tout, dans la mesure du possible, à la nature et à l’ampleur de la criminalité plutôt qu’à la capacité des prisons, même si la question de l’allocation optimale des ressources disponibles est un élément important qui doit inévitablement être pris en considération.
6. Je note que la question du choix de la politique dans le domaine en question est d’autant plus sensible que des mesures prises par le gouvernement roumain pour assouplir la politique pénale concernant la corruption (l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 13/2017 sur la modification et la mise en œuvre de la loi no 286/2009 relative au code pénal et de la loi no 135/2010 relative au code de procédure pénale , publiée dans le Journal officiel no 92/2017 et abrogée le 5 février 2017, Ordonanţa de urgenţă nr. 13/2017 pentru modificarea şi completarea Legii nr. 286/2009 privind Codul penal şi a Legii nr. 135/2010 privind Codul de procedură penală) ont provoqué des manifestations de masse dans ce pays.