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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ZAMFIR v. ROMANIA - 47826/14 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Fourth Section Committee) French Text [2019] ECHR 227 (19 March 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/227.html Cite as: [2019] ECHR 227 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ZAMFIR c. ROUMANIE
(Requête n o 47826/14)
ARRÊT
STRASBOURG
19 mars 2019
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Zamfir c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l'homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque,
président,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
juges,
et de Andrea Tamietti,
greffier adjoint
de section
,
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 47826/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Cătălin Zamfir (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 juillet 2014 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, M me C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères. 3. Le 22 avril 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1978 et réside à Bucarest. 5. En 2006, le requérant fut incarcéré pour purger une peine de douze ans d'emprisonnement pour complicité de trafic de stupéfiants. La fiche médicale établie lors de son placement en détention mentionnait qu'il était en bonne santé. Au cours de sa détention, le requérant fut transféré dans différentes prisons.6 . Souffrant de troubles digestifs, d'une perte de poids et de douleurs localisées au niveau du foie, le requérant fut hospitalisé du 20 au 23 janvier 2014 à l'hôpital de la prison de Jilava. Les médecins diagnostiquèrent une hépatite chronique.
7 . À la sortie de l'hôpital du requérant, les analyses de laboratoire prescrites pour permettre de déterminer la présence du virus de l'hépatite étaient toujours en cours. L'état général du requérant s'était amélioré, mais il souffrait d'un ictère modéré. Les médecins lui recommandèrent de suivre un régime alimentaire adapté à son état de santé, de se soumettre à un traitement hépatoprotecteur et de prendre des vitamines.
8. Le requérant fut transféré à la prison de Giurgiu.9 . Le 22 février 2014, les analyses confirmèrent l'infection du requérant par le virus de l'hépatite C.
10 . Le requérant saisit le parquet pour se plaindre de défaillances dans le traitement de l'hépatite. Le 20 mars 2014, l'administration pénitentiaire lui répondit qu'il bénéficierait d'un traitement après la confirmation du diagnostic.
11. Le requérant saisit le juge délégué à l'exécution des peines d'une plainte pour dénoncer une absence de traitement et de régime alimentaire adaptés à son état de santé.12 . Par un jugement du 24 mars 2014, le juge délégué accueillit partiellement la plainte. Il estima que le refus de la direction de la prison de Giurgiu de suivre les recommandations des médecins était illégal et il ordonna à la direction de la prison de Giurgiu de fournir au requérant le traitement prescrit à sa sortie de l'hôpital. Quant au régime alimentaire, le juge constata que le requérant bénéficiait d'un régime adapté à son état de santé.
13 . Les 20 et 29 mai 2014, de nouvelles analyses détectèrent une importante charge virale de l'hépatite ainsi qu'une fibrose et une inflammation du foie.
14 . Le 24 juin 2014, un médecin de l'administration pénitentiaire prescrivit à nouveau au requérant un médicament hépatoprotecteur.
15 . Le 22 juillet 2014, l'administration pénitentiaire transmit à la caisse d'assurance maladie la demande du requérant tendant à son inscription au programme national de traitement de l'hépatite.
16 . La demande fut approuvée et, à partir du 21 novembre 2014, le requérant reçut pendant quatre mois deux médicaments antiviraux, peginterferon et ribavirium.
17 . En novembre 2014, il reçut également soixante comprimés d'un médicament hépatoprotecteur pour un traitement d'environ un mois.
18. En février 2015, de nouvelles analyses indiquèrent que la charge virale était passée sous le seuil de détection.19 . En mars 2015, sur recommandation des médecins, le traitement antiviral et hépatoprotecteur fut renouvelé pour une durée de huit mois. Le requérant bénéficia toutefois du seul traitement antiviral.
20. En 2017, le requérant fut remis en liberté conditionnelle.EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
21. Le requérant se plaint d'une absence de prise en charge médicale appropriée de ses problèmes de santé lors de sa détention. Il invoque l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
22. Constatant que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.B. Sur le fond
1. Arguments des parties
23. Le requérant estime avoir été humilié par la direction de la prison de Giurgiu, qui aurait ignoré sa maladie et n'aurait fait aucun effort pour le soigner. Il dénonce une absence de traitement hépatoprotecteur et un retard dans l'administration du traitement antiviral. Il allègue que, désormais, il est obligé de suivre à vie un traitement antiviral et un régime alimentaire contraignant. 24. Le Gouvernement estime que le requérant a bénéficié d'un suivi médical adéquat dans la prison de Giurgiu.25 . Il expose que le requérant a subi les examens médicaux nécessaires et que, une fois la présence du virus de l'hépatite C confirmée, l'administration pénitentiaire a fait les démarches nécessaires pour l'admission du requérant au programme national de traitement de cette maladie. Il affirme que le cas du requérant ne constituait pas une urgence médicale et il indique que l'accès à ce programme passe par une liste d'attente. En tout état de cause, il soutient que le délai de mise en place du traitement antiviral n'a pas porté préjudice à l'état de santé du requérant compte tenu de la lenteur, selon lui, de l'évolution de la maladie.
26. En outre, le Gouvernement estime qu'il aurait été absurde d'administrer au requérant des médicaments hépatoprotecteurs et des vitamines en l'absence, à ses dires, d'études cliniques prouvant les effets de ces produits sur le virus de l'hépatite C.2. Appréciation de la Cour
27. La Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence en matière de traitement médical accordé aux personnes détenues (voir, parmi d'autres, Kudła c. Pologne [GC], n o 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI ; Gennadiy Naumenko c. Ukraine , n o 42023/98, § 112, 10 février 2004 ; Rivière c. France , n o 33834/03, § 62, 11 juillet 2006 et Cirillo c. Italie , n o 36276/10, §§ 35-37, 29 janvier 2013). 28. La Cour relève d'emblée qu'il n'est pas contesté en l'espèce que l'hépatite chronique du requérant a été diagnostiquée en janvier 2014 et que la présence du virus de l'hépatite C a été confirmée en février 2014 (paragraphes 6 et 9 ci-dessus). Elle note que selon la doctrine médicale , l'hépatite chronique C'est une maladie grave qui expose à un risque de fibrose pouvant évoluer vers une cirrhose. À cet égard, elle observe que, en mai 2014, des analyses ont mis en évidence l'existence d'une fibrose chez le requérant (paragraphe 13 ci-dessus). 29. La Cour note également qu'il n'est pas contesté que le requérant a bénéficié d'une alimentation adaptée à son état de santé, mais qu'il n'a reçu aucun traitement médicamenteux avant novembre 2014. Entre novembre 2014 et octobre 2015, l'intéressé a été soigné pendant un an avec des médicaments antiviraux et il a reçu un médicament hépatoprotecteur pendant environ un mois (paragraphes 16, 17 et 19 ci-dessus). 30. La Cour estime nécessaire d'examiner l'argument du Gouvernement selon lequel l'absence de traitement hépatoprotecteur et le délai d'administration du traitement antiviral n'ont pas porté préjudice à l'état de santé du requérant pendant la durée de sa détention à la prison de Giurgiu. 31. À ce sujet, la Cour souligne que la dégradation de la santé du détenu ne joue pas en soi un rôle déterminant quant au respect de l'article 3 de la Convention. En effet, il ressort de la jurisprudence qu'il ne peut y avoir violation de l'article 3 du seul fait de l'aggravation de l'état de santé de l'intéressé, mais qu'une telle violation peut en revanche découler de lacunes dans les soins médicaux (voir, dans ce sens, Kotsaftis c. Grèce , n o 39780/06, § 53, 12 juin 2008, et la jurisprudence qui y est citée). Ainsi, la Cour se doit de rechercher si, en l'espèce, les autorités nationales ont fait ce que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles eu égard à la gravité de la maladie du requérant. Dans ce but, il convient d'examiner la question des soins dispensés au requérant. 32. En l'espèce, la Cour constate que la direction de la prison de Giurgiu a refusé, excepté une fois, de suivre les recommandations des médecins et de fournir au requérant le traitement hépatoprotecteur qui lui avait été prescrit (paragraphes 10 et 17 ci-dessus). De surcroît, elle a refusé d'exécuter le jugement du 24 mars 2014 qui lui avait ordonné de fournir ce traitement au requérant (paragraphe 12 ci-dessus). 33. La Cour ne saurait souscrire à la thèse du Gouvernement concernant la justification de ce refus, à savoir la prétendue inefficacité des médicaments hépatoprotecteurs. Elle note que ce traitement a été prescrit par des médecins qui ont examiné le requérant à sa sortie de l'hôpital (paragraphe 7 ci-dessus). D'autres médecins ont ensuite renouvelé la recommandation en juin 2014 et en mars 2015 (paragraphes 14 et 19 ci-dessus). De surcroît, la Cour relève que les arguments que la direction de la prison a avancés pour justifier ce refus ont été examinés et rejetés par le juge délégué, qui a estimé que le refus en cause était illégal (paragraphe 12 ci-dessus). 34. Quant au traitement antiviral, la Cour constate qu'il a été administré au requérant à partir du 21 novembre 2014, soit environ neuf mois après la confirmation de l'infection par le virus de l'hépatite C (paragraphe 16 ci-dessus). 35. Selon le Gouvernement, ce délai s'explique par l'absence d'urgence de la prise en charge de la maladie du requérant et par l'existence d'une liste d'attente des bénéficiaires du programme national de traitement de cette maladie (paragraphe 25 ci-dessus). 36. La Cour note que la demande d'inscription au programme national de traitement a été transmise à la caisse d'assurance maladie le 22 juillet 2014 (paragraphe 15 ci-dessus), soit cinq mois après la date de la confirmation du diagnostic de l'hépatite C, le 22 février 2014 (paragraphe 9 ci-dessus). Le Gouvernement n'a pas fourni d'explication au sujet de ce délai qui a retardé le début du traitement antiviral, alors que les analyses de mai 2014 avaient décelé une importante charge virale, une fibrose et une inflammation du foie (paragraphe 13 ci-dessus). 37. Aux yeux de la Cour, ce délai, combiné avec le refus de la direction de la prison de Giurgiu de fournir, hormis la période d'un mois en novembre 2014, le traitement hépatoprotecteur recommandé, a constitué pour le requérant une épreuve particulièrement pénible. 38. Les défaillances susmentionnées, dont les autorités internes sont responsables, sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que ces dernières ont manqué à leur devoir de protéger la santé du requérant en lui fournissant une assistance médicale appropriée à sa maladie pendant la période comprise entre le 23 janvier et le 21 novembre 2014. 39. Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
40. Aux termes de l'article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
41. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral. 42. Le Gouvernement estime que la somme sollicitée est excessive. 43. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 10 000 EUR pour préjudice moral.B. Frais et dépens
44. Le requérant n'ayant pas demandé le remboursement de frais et dépens, la Cour n'est appelée à octroyer aucune somme à ce titre.C. Intérêts moratoires
45. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 mars 2019, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti
Paulo Pinto de Albuquerque
Greffier adjoint
Président