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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BUTURUGA v. ROMANIA - 56867/15 (Judgment : Preliminary objection joined to merits and dismissed : Fourth Section) French Text [2020] ECHR 136 (11 February 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/136.html
Cite as: [2020] ECHR 136, ECLI:CE:ECHR:2020:0211JUD005686715, CE:ECHR:2020:0211JUD005686715

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QUATRIÈME SECTION

 

 

 

 

 

AFFAIRE BUTURUGĂ C. ROUMANIE

 

(Requête no 56867/15)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

Art 3 et Art 8• Obligations positives • Respect de la correspondance • Cyberviolence en tant que forme de violence domestique • Manquement des autorités à aborder l’enquête pénale sous l’angle de la violence conjugale • Absence d’examen sur le fond de la plainte pour cyberviolence étroitement liée à la plainte pour violences conjugales • Nécessité d’appréhender de manière globale le phénomène de violence conjugale dans toutes ses formes

 

 

STRASBOURG

 

11 février 2020

 

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Buturugă c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Jon Fridrik Kjølbro, président,
          Faris Vehabović,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Branko Lubarda,
          Carlo Ranzoni,
          Georges Ravarani,
          Jolien Schukking, juges,
et de Andrea Tamietti, grefier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2019 et le 14 janvier 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56867/15) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Gina-Aurelia Buturugă (« la requérante »), a saisi la Cour le 11 novembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante a été représentée par Me L. Cojocaru, avocate à Tulcea. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait avoir été victime de violence domestique et critiquait l’absence d’action de la part des autorités de l’État.

4.  Le 29 mars 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La requérante est née en 1970 et réside à Tulcea.

6.  Elle se plaint d’avoir été victime de violence domestique. Elle dit avoir subi, pendant son mariage avec M.V., des violences physiques et des menaces de mort répétées qui se seraient aggravées en novembre 2013. Elle précise que ce fut pendant cette période que son ex‑mari et elle discutaient de l’éventualité d’un divorce et que celui-ci a finalement été prononcé le 30 janvier 2014.

A.  La plainte pénale relative aux incidents des 17 et 22 décembre 2013

7.  La requérante allègue que, le 17 décembre 2013, elle a été menacée de mort par M.V. : celui-ci aurait menacé de la jeter par le balcon afin de faire croire à un suicide. L’intéressée soutient en outre que, le 22 décembre 2013, M.V. l’a frappée à la tête et a menacé de la tuer avec une hache, et qu’elle s’est alors réfugiée dans une pièce de leur appartement et a appelé à l’aide.

8.  Le 23 décembre 2013, la requérante obtint un certificat médicolégal attestant qu’elle avait besoin de trois à quatre jours de soins médicaux en raison des lésions qu’elle présentait et que ces lésions pouvaient dater du 22 décembre 2013.

9.  Toujours le 23 décembre 2013, elle déposa plainte contre M.V. devant le parquet près le tribunal de première instance de Tulcea (« le parquet »). Le 6 janvier 2014, elle déposa une nouvelle plainte contre M.V. et réitéra ses allégations quant aux violences et menaces qu’elle disait avoir subies. La requérante allègue que les autorités ont essayé de la persuader de retirer sa plainte au motif que ses lésions auraient été légères.

10.  À une date non précisée, la requérante se constitua partie civile et demanda la réparation des préjudices matériel et moral qu’elle estimait avoir subis.

11.  Le 18 mars 2014, elle demanda, comme élément de preuve dans le cadre de la procédure pénale, une perquisition électronique de l’ordinateur de la famille, alléguant que M.V. avait abusivement consulté ses comptes électroniques, dont son compte Facebook, et qu’il avait fait des copies de ses conversations privées, de ses documents et de ses photos. Par une ordonnance du 2 juin 2014, la police de Tulcea rejeta la demande de la requérante au motif que les éléments susceptibles d’être ainsi recueillis étaient sans rapport avec les infractions de menaces et de violences reprochées à M.V.

12.  Le 2 juillet 2014, la requérante versa au dossier du parquet une copie du jugement du 13 mars 2014 du tribunal de première instance de Tulcea (« tribunal de première instance ») qui avait délivré une ordonnance de protection en sa faveur (paragraphe 23 ci-dessous).

13.  Le 11 septembre 2014, la requérante déposa une nouvelle plainte pénale contre M.V. pour violation du secret de la correspondance.

14.  La police entendit la requérante, ainsi que sa fille, sa mère et sa belle-sœur en tant que témoins. Ces dernières indiquèrent que leur parente leur avait parlé des violences subies par elle.

15.  D’après la requérante, sa mère a déclaré l’avoir hébergée après son départ du domicile conjugal, qui aurait été dicté par la peur, et avoir vu les marques de violence et les excoriations qui auraient été provoquées par son ex-époux. Cependant, toujours selon l’intéressée, les policiers n’ont pas consigné la déclaration de sa mère dans son intégralité au motif qu’elle n’aurait pas été pertinente. En outre, également d’après la requérante, les témoins ont été entendus de manière irrégulière, sans avoir prêté serment, et leurs déclarations ont été consignées de manière incomplète. Le Gouvernement conteste les allégations de la requérante, s’appuyant sur les procès-verbaux d’audition des témoins qui comportent les signatures de ceux-ci.

16.  Le 25 novembre 2014, la police procéda à l’interrogation de M.V. en qualité de suspect.

17.  Par une décision du 17 février 2015, le parquet classa l’affaire. L’ordonnance de classement était fondée sur les articles 193 §§ 1 et 2, 206 § 1 et 302 § 2 du nouveau code pénal réprimant les coups et les autres violences, la menace et la violation du secret de la correspondance respectivement (paragraphe 32 ci-dessous). Dans cette ordonnance, le parquet indiqua que, le 17 décembre 2013, la requérante avait bien été menacée de mort par son ex-époux, mais il estimait que le comportement de ce dernier n’était pas suffisamment grave pour être qualifié d’infraction. Par conséquent, il décida d’infliger une amende administrative de 1 000 lei roumains (RON - environ 250 euros (EUR)) à M.V. En outre, le parquet considéra qu’il n’y avait pas d’éléments prouvant les faits de violence qui auraient été commis le 22 décembre 2013. Ainsi, selon le parquet, le certificat médicolégal délivré le jour suivant (paragraphe 8 ci-dessus) prouvait que la requérante avait subi des violences, mais il n’établissait pas avec certitude que M.V. en était l’auteur. S’agissant de la plainte relative à la violation du secret de la correspondance, le parquet la rejeta pour tardiveté.

18.  La requérante contesta l’ordonnance du 17 février 2015 devant le parquet. Par une ordonnance du 9 mars 2015, le procureur en chef du parquet rejeta sa contestation.

19.  La requérante contesta ensuite les ordonnances du parquet devant le tribunal de première instance, se plaignant notamment d’une insuffisance des éléments de preuve recueillis. Elle soutenait également que l’infraction de violation du secret de la correspondance devait faire l’objet d’un examen d’office, même en l’absence d’une plainte formelle de la partie lésée.

20.  La requérante allègue avoir demandé à consulter le dossier du parquet et s’être, à cette occasion, rendu compte de l’absence de certains éléments de preuve, notamment des demandes adressées par elle au parquet et de plusieurs procès-verbaux de la police. Le Gouvernement conteste ces allégations, se référant au dossier du parquet, dont il a envoyé copie à la Cour. Ce dossier comporte les copies des plaintes pénales formées par la requérante les 23 décembre 2013 et 6 janvier et 11 septembre 2014 (paragraphes 9 et 13 ci-dessus). Le dossier comporte également les copies des déclarations que la requérante a faites à la police et des déclarations de M.V. et des témoins (la fille, la belle-sœur et la mère de la requérante). Ces déclarations sont signées par leurs auteurs respectifs. Le dossier comporte aussi un certain nombre de demandes adressées aux autorités de l’enquête par la requérante ainsi que de procès-verbaux dressés au cours de la procédure par la police.

21.  Par une décision définitive du 25 mai 2015, le tribunal de première instance rejeta la contestation de la requérante. Le tribunal confirma les conclusions du parquet selon lesquelles les menaces subies par la requérante de la part de M.V. ne présentaient pas le degré de péril social nécessaire pour être qualifiées d’infractions et qu’il n’y avait pas de preuve directe que les lésions que l’intéressée avait subies avaient été causées par M.V. S’agissant de la plainte de la requérante relative à la violation alléguée du secret de la correspondance, le tribunal jugea qu’elle était sans rapport avec l’objet de l’affaire et que les données publiées sur les réseaux de socialisation étaient publiques. Le tribunal rejeta en outre les arguments de la requérante quant aux irrégularités commises lors de la consignation des déclarations des témoins (paragraphe 15 ci-dessus).

B.  La demande relative à l’obtention d’une ordonnance de protection

22.  À une date non précisée, la requérante demanda au tribunal de première instance la délivrance d’une ordonnance de protection (ordin de protecţie) contre M.V., sur le fondement de la loi no 217/2003 sur la prévention et la lutte contre la violence domestique (« la loi no 217/2003 » ; paragraphe 33 ci-dessous).

23.  Par un jugement exécutoire en date du 13 mars 2014, le tribunal de première instance, se fondant sur la déclaration de la mère de la requérante, entendue en qualité de témoin, et sur le certificat médicolégal du 23 décembre 2013 (paragraphe 8 ci-dessus), jugea que M.V. avait agressé et menacé son ex-épouse. Il accueillit en conséquence la demande de la requérante, et il délivra une ordonnance de protection valable pour une durée de six mois et rédigée en ces termes :

« Pendant la durée de l’ordonnance de protection, [le tribunal] établit les mesures suivantes à la charge de la partie défenderesse :

- l’expulsion de l’immeuble sis à Tulcea (...) ;

- l’obligation de garder une distance minimale de 200 mètres par rapport à la partie demanderesse ;

- l’interdiction de se déplacer à l’adresse des parents de la partie demanderesse à Tulcea (...) ;

- l’interdiction d’établir tout contact par téléphone, par correspondance ou de toute autre manière avec la partie demanderesse. »

24.  Le 17 mars 2014, la police informa M.V. de l’ordonnance de protection prise à son encontre. Le Gouvernement a envoyé les copies de deux procès-verbaux rédigés par la police de Tulcea à cette fin, qui comportent également la signature de la requérante.

25.  Entre-temps, M.V. avait interjeté appel du jugement susmentionné. Par un arrêt du 18 septembre 2014, le tribunal départemental de Tulcea le débouta et confirma les faits établis par le tribunal de première instance.

26.  La requérante allègue que la police a mis en application l’ordonnance de protection avec retard et que M.V. ne l’a pas respectée. À cet égard, elle précise que ce dernier s’est rendu à proximité de l’immeuble d’habitation de ses parents et qu’elle a reçu des menaces de sa part par l’intermédiaire d’un membre de sa famille. Elle ajoute que son ex-époux a pris contact avec elle par l’intermédiaire d’un médiateur, afin de la convaincre de retirer ses plaintes pénales en échange d’un partage plus favorable des biens communs, tout en la menaçant de déposer une plainte pénale contre elle pour diffamation. Elle soutient aussi que M.V. est rentré en contact avec sa mère et sa fille, et qu’elle en a informé la police à plusieurs reprises, en vain.

27.  Le Gouvernement fait valoir qu’il n’a identifié dans le dossier des autorités internes aucune demande de protection faite par la requérante pendant la période de mise en application de l’ordonnance de protection, c’est-à-dire jusqu’au 13 septembre 2014 (paragraphe 23 ci-dessus) et que la requérante n’a pas demandé le renouvellement de l’ordonnance après le 13 septembre 2014.

C.  L’incident survenu le 29 octobre 2015

28.  La requérante se réfère également à un incident survenu le 29 octobre 2015, au cours duquel M.V. l’aurait poursuivie dans la rue. Elle indique avoir saisi la police de Tulcea le 3 novembre 2015 pour demander les enregistrements des caméras de surveillance installées à proximité des lieux publics où elle disait avoir été poursuivie par M.V.

29.  Le Gouvernement indique qu’une procédure pénale pour harcèlement était pendante devant le parquet au moment de l’échange des observations en la présente affaire (27 juillet 2017). Dans le cadre de cette procédure, la police entendit la requérante et son ex-mari et obtint les enregistrements des caméras de surveillance placées à proximité du lieu indiqué par la requérante. Le témoin qui accompagnait la requérante lors de l’incident ne put être entendu car il était entre-temps parti à l’étranger.

30.  Les parties n’ont pas informé la Cour de l’issue de cette procédure.

II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

A.  Le droit interne

31.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ancien code pénal roumain, notamment celles relatives aux infractions de coups et autres violences et de menaces, sont décrites dans l’arrêt E.M. c. Roumanie (no 43994/05, § 41, 30 octobre 2012). L’ancien code pénal comportait en outre la disposition suivante :

Article 195 - la violation du secret de la correspondance

« 1. Quiconque, de manière illicite, ouvre la correspondance d’un tiers ou intercepte les conversations ou les communications téléphoniques d’un tiers, ses communications télégraphiques ou celles réalisées par tout autre moyen de transmission à longue distance est passible d’une peine d’emprisonnement allant de six mois à trois ans.

(...)

3. L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée. »

32.  Les dispositions pertinentes en l’espèce du nouveau code pénal, en vigueur depuis le 1er février 2014, sont ainsi libellées :

Article 193 - les coups et autres violences

« 1. Les coups ou autres actes de violence causant des souffrances physiques sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et deux ans ou d’une amende.

2. Le fait de causer des lésions traumatiques ou d’affecter la santé d’une personne, [lorsqu’il entraîne un état dont la gravité nécessite] quatre-vingt-dix jours de soins médicaux au maximum, est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et cinq ans ou d’une amende.

3. L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée. »

Article 199 - la violence en famille

« 1. Si les faits visés aux articles 188 [le meurtre], 189 [le meurtre qualifié] et 193‑195 [les coups et autres violences, les lésions corporelles et les coups et blessures ayant causé la mort] sont commis à l’encontre d’un membre de la famille, [la limite] maximale spéciale de la peine prévue par la loi est majorée d’un quart.

2. Dans le cas des infractions prévues aux articles 193 et 196 [les lésions corporelles résultant d’une négligence], l’action pénale peut être déclenchée d’office. La conciliation des parties exclut la responsabilité pénale. »

Article 206 - la menace

« 1. Le fait de menacer une personne de l’accomplissement d’une infraction ou d’un fait préjudiciable à son encontre ou contre une autre personne, s’il est de nature à inquiéter [la personne menacée], est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et un an ou d’une amende, sans que la peine appliquée puisse dépasser la sanction prévue par la loi pour l’infraction faisant l’objet de la menace. »

Article 302 - la violation du secret de la correspondance

« 1. L’ouverture, la soustraction, la destruction ou la rétention sans droit de la correspondance adressée à autrui ainsi que la divulgation sans droit du contenu d’une telle correspondance, même si celle-ci a été envoyée ouverte ou a été ouverte par erreur, sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et un an ou d’une amende.

2. L’interception sans droit d’une conversation ou d’une communication effectuée par téléphone ou par tout moyen électronique de communication est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et trois ans ou d’une amende.

(...)

7. Pour les faits visés au premier paragraphe, l’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée. »

Article 360 - l’accès illégal à un système informatique

« 1. L’accès sans droit à un système informatique est passible d’une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et trois ans ou d’une amende.

2. Les faits visés au premier paragraphe qui ont été commis en vue d’obtenir des données informatiques sont passibles d’une peine d’emprisonnement comprise entre six mois et cinq ans.

(...) »

33.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 217/2003 (paragraphe 22 ci-dessus) sont résumées dans l’arrêt E.M. c. Roumanie (précité, §§ 43-45). En particulier, la loi no 217/2003 définit ainsi les formes dans lesquelles se manifeste la violence domestique :

Article 4

« La violence en famille se manifeste sous les formes suivantes :

a) la violence verbale - (...) ;

b) la violence psychologique - l’imposition de la volonté ou du contrôle personnel (...), le contrôle de la vie privée (...), la surveillance du domicile, du lieu de travail ou d’autres lieux fréquentés par la victime (...) ;

c) la violence physique - (...) ;

d) la violence sexuelle - (...) ;

e) la violence économique - (...) ;

f) la violence sociale - (...) ;

g) la violence spirituelle - (...) »

B.  Le droit international

34.  Le droit international pertinent en la matière est exposé en partie dans l’affaire Opuz c. Turquie (no 33401/02, §§ 72-82, CEDH 2009).

1. Le système des Nations Unies

35.  Dans ses observations finales concernant le rapport valant septième et huitième rapports périodiques de la Roumanie[1], examinées le 6 juillet 2017, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a fait état de ses préoccupations quant à un sous‑signalement aux autorités d’enquête des cas de violence sexiste contre les femmes et les filles, notamment des violences psychologiques et économiques, du harcèlement sexuel et du viol conjugal. Le Comité des Nations Unies a ainsi recommandé, entre autres, aux autorités roumaines de veiller à ce que tous les cas signalés de violence sexiste à l’égard des femmes et des filles fassent l’objet d’enquêtes en bonne et due forme, que les auteurs de ces violences soient poursuivis et que les peines infligées soient proportionnelles à la gravité du crime.

36.  Selon un rapport[2] sur la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles rendu en 2015 par une commission spécialisée des Nations Unies (The UN Broadband Commission for digital development working group on broadband and gender), la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles doit être approchée à la lumière de la définition que donnent les Nations Unies de la violence à l’encontre des femmes et des filles. Selon ce rapport, la cyberviolence présente ainsi les spécificités suivantes [traduction du greffe] :

« Le terme « cyber » est utilisé pour comprendre les différentes manières dont Internet exacerbe, amplifie ou diffuse l’abus. Le spectre complet des comportements va du harcèlement en ligne au désir d’infliger des blessures physiques, y compris [la commission] d’agressions sexuelles, de meurtres et [d’incitations au] suicide. La cyberviolence revêt différentes formes et les types de comportements observés dans le cadre de celle-ci depuis son apparition ont connu une rapide évolution - et, en l’absence de contrôle, ils continueront à évoluer - tout comme les plateformes et les outils numériques et virtuels se sont propagés. »

Ce rapport dresse un inventaire des formes que peut prendre la cyberviolence contre les femmes et identifie six catégories : l’intrusion (hacking), l’imitation (impersonation), la surveillance (tracking), le harcèlement/le spamming, le recrutement et la distribution malveillante. Il définit l’intrusion comme l’utilisation de la technologie en vue d’obtenir un accès illégal ou non-autorisé aux systèmes ou ressources afin d’obtenir des informations personnelles, de les modifier ou d’insulter la victime, et prend par exemple la forme de violation des mots de passe et de contrôle des fonctionnalités de l’ordinateur. La surveillance suppose l’utilisation de la technologie pour surveiller les activités et les comportements de la victime, en temps réel ou chronologiquement (au moyen, par exemple, de la surveillance GPS ou de la surveillance des touches afin de recréer les activités de la victime sur l’ordinateur).

2. Le système du Conseil de l’Europe

37.  Les dispositions de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (« la Convention d’Istanbul ») sont décrites dans l’affaire M.G. c. Turquie (no 646/10, § 54, 22 mars 2016). Cette dernière convention est entrée en vigueur à l’égard de la Roumanie le 1er septembre 2016.

38.  La Convention d’Istanbul comporte notamment les dispositions suivantes :

Article 3 - Définitions

« Aux fins de la présente Convention :

a) le terme « violence à l’égard des femmes » doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ;

b) le terme « violence domestique » désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ;

(...) »

39.  Elle comporte également, au chapitre V, des dispositions de droit matériel et définit plusieurs types de violence domestique, dont la violence psychologique, le harcèlement, la violence physique ou sexuelle (articles 33-36). Les articles 33 et 34, pertinents en l’espèce, sont ainsi rédigés :

Article 33 - Violence psychologique

« Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de porter gravement atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte ou les menaces. »

Article 34 - Harcèlement

« Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, d’adopter, à plusieurs reprises, un comportement menaçant dirigé envers une autre personne, conduisant celle-ci à craindre pour sa sécurité. »

40.  Le Groupe de travail du Conseil de l’Europe sur le harcèlement en ligne et les autres formes de violences en ligne, notamment contre les femmes et les enfants, a proposé, dans une étude réalisée en 2018[3] (Mapping study on cyber violence), la définition suivante [traduction du greffe] :

« La cyberviolence est l’utilisation des systèmes informatiques afin de causer des violences, de les faciliter ou d’en menacer des individus, qui provoque ou est susceptible de provoquer un préjudice ou une souffrance physiques, sexuels, psychologiques ou économiques et peut inclure l’exploitation des circonstances, des caractéristiques ou des vulnérabilités individuelles. »

Cette étude précise que certaines formes de cybercrimes telles que l’accès illégal aux données personnelles intimes ou la destruction de données peuvent aussi être considérées comme des actes de cyberviolence. Elle dresse également un inventaire des actions relevant de la cyberviolence contre les femmes : violations informatiques de la vie privée (ICT-related violations of privacy), crimes informatiques de haine (ICT-related hate crimes), cyberharcèlement, menaces informatiques directes de violence physique, crimes informatiques (cybercrime) et exploitation sexuelle et abus sexuel contre les enfants en ligne. Les violations informatiques de la vie privée comprennent les intrusions dans l’ordinateur et la prise, le partage et la manipulation des données et des images, y compris des données intimes. La cybersurveillance (cyberstalking) est une surveillance en ligne. Elle comprend une série de comportements répétés et intrusifs, tels que la traque, le harcèlement et les menaces, et génèrent de la peur chez la victime. L’étude renvoie également à des recherches selon lesquelles la cybersurveillance par des partenaires intimes survient souvent dans le contexte de la violence conjugale et représente une forme de contrôle coercitif.

C. Les données disponibles dans l’Union européenne

41.  Une enquête européenne menée entre mars et septembre 2012 par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a indiqué que 30 % des femmes roumaines ont déclaré avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part d’un partenaire ou d’un tiers et 39 % des femmes roumaines ont déclaré avoir subi une forme de violence psychologique de la part d’un partenaire. Selon les conclusions du rapport publié en mars 2014, dans l’Union européenne, la violence à l’égard des femmes est principalement l’action d’un partenaire actuel ou ancien, 22 % des femmes ayant signalé avoir été victimes de violences physiques ou sexuelles au sein de leur couple. En outre, 33 % des femmes ont signalé de telles violences de la part d’un partenaire de vie ou d’un tiers[4]. Selon, le même rapport, 5% des femmes âgées de plus de 15 ans ont déjà été victimes de cyberharcèlement[5].

42.  L’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes a rendu en 2017 un rapport sur la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles[6]. D’après ce rapport, même si les données statistiques font encore défaut, les études existantes laissent toutefois supposer que les femmes sont davantage ciblées par certaines formes de cyberviolence que les hommes. Le rapport cite des experts selon lesquels il serait plus adapté de considérer la cyberviolence comme un prolongement de la violence hors ligne. D’après ce rapport, la police pratique souvent une distinction erronée entre la cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles commise en ligne et celle commise hors ligne, considérant les pratiques que subissent les victimes davantage comme des « incidents » que comme des comportements systématiques qui perdurent.  Le rapport comprend en outre les passages suivants :

« La cyberviolence à l’encontre des femmes et des filles se présente sous différentes formes, entre autres: traque furtive en ligne, porno­graphie contre leur gré (ou « vengeance pornographique »), insultes et harcèlement fondés sur le genre, honte faite aux femmes et aux filles (slut shaming), pornographie non sollicitée, « sextorsion », menaces de viol et de mort, divulgation d’informations personnelles (doxing) et trafic facilité par des moyens électroniques.

(...)

La traque furtive en ligne est une traque exercée au moyen de courriers électroniques, de messages texte (ou en ligne) ou de l’Internet. Elle se compose d’incidents répétés qui peuvent être individuellement inoffensifs ou non, mais qui, accumulés, peuvent générer chez la victime un sentiment d’insécurité, lui causer une certaine détresse, l’effrayer ou l’alarmer.

Comme pour la violence entre partenaires intimes perpétrée hors ligne, la cyberviolence à l’encontre des femmes peut se manifester sous différentes formes : sexuelle, psychologique et, de plus en plus, économique, les informations diffusées en ligne compromettant l’emploi en cours de la victime ou l’efficacité de ses recherches d’emploi futures. Il convient également de ne pas sous-estimer les effets psychiques potentiels de cette violence perpétrée dans le cyberespace (...) ».

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 8 DE LA CONVENTION

43.  La requérante dénonce un manque d’effectivité de l’enquête pénale concernant les faits de violence conjugale dont elle dit avoir été l’objet. Elle se plaint que sa sécurité personnelle n’ait pas été assurée de manière adéquate. Elle critique également le refus des autorités d’examiner sa plainte relative à la violation de sa correspondance par son ex-époux. Elle invoque les articles 5, 6 et 8 de la Convention.

44.  La Cour rappelle que, en vertu du principe jura novit curia, elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause ; elle n’est pas tenue par les moyens de droit avancés par le requérant en vertu de la Convention et de ses Protocoles et elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant (Radomilja et autres c. Croatie [GC], no 37685/10, §§ 114 et 126, 20 mars 2018). En l’espèce, eu égard aux circonstances dénoncées par la requérante et à la formulation de ses griefs, la Cour examinera ces derniers sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention (voir, pour une approche similaire, E.S. et autres c. Slovaquie, no 8227/04, §§ 25-44, 15 septembre 2009). Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

45.  Le Gouvernement soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité, dont la requérante conteste la pertinence.

1. Sur la mise en application de l’ordonnance de protection

46.  Le Gouvernement fait valoir, d’une part, que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes parce qu’elle n’a pas saisi les autorités pour se plaindre d’un incident ayant eu lieu pendant la période de validité de l’ordonnance de protection délivrée par les tribunaux internes (paragraphes 23 et 27 ci-dessus) et, d’autre part, que son grief est tardif parce qu’il a été, selon lui, présenté à la Cour plus de six mois après la date à laquelle l’ordonnance a pris fin, c’est-à-dire le 13 septembre 2014.

47.  La requérante estime que le délai de six mois en l’espèce a commencé à courir le 25 mai 2015, date de la décision définitive du tribunal de première instance (paragraphe 21 ci‑dessus).

48.  La Cour estime que les exceptions soulevées par le Gouvernement sont plutôt des arguments de fond en ce qu’elles ont trait à l’effectivité des mécanismes de protection des victimes de la violence conjugale mis en place par la législation interne. Elle note que la requérante a épuisé les voies de recours à sa disposition, puisqu’elle a déposé des plaintes pénales contre son ex-époux (paragraphe 9 ci-dessus) et a aussi utilisé les dispositions de la loi no 217/2003 pour se voir délivrer une ordonnance de protection à l’encontre de son ex-époux (paragraphe 22 ci‑dessus). La question de savoir si la protection offerte à la requérante par cette ordonnance a été efficace ou non est un argument de fond que la Cour examinera plus loin (paragraphe 71 ci-dessous). De plus, la Cour estime qu’il convient en l’espèce d’envisager globalement toutes les voies de recours dont la requérante disposait (voir, mutatis mutandis, Kalucza c. Hongrie, no 57693/10, §§ 49‑50, 24 avril 2012) et qu’il serait formaliste de scinder le grief et de calculer en l’espèce le délai de six mois à compter du 13 septembre 2014, date à laquelle l’ordonnance de protection a pris fin, alors que le grief de la requérante vise également l’enquête pénale pour menaces et coups et violences qui s’est finalisée par la décision du 25 mai 2015 du tribunal de première instance (paragraphe 21 ci‑dessus ; pour un examen global de tous les recours à la disposition de la requérante victime de violence domestique, voir Bălşan c. Roumanie, no 49645/09, §§ 64‑69, 23 mai 2017). La Cour rejette donc les exceptions du Gouvernement.

2. Sur la plainte relative à la violation du secret de la correspondance

49.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes quant au grief tiré de la violation du secret de la correspondance de la requérante. Il allègue à cet égard que l’intéressée n’a pas formé d’action en responsabilité civile délictuelle contre son ex-époux, action qui était selon lui plus adéquate eu égard au fait que l’intéressée se plaignait d’une violation de sa correspondance par un particulier.

50.  La requérante estime qu’elle a épuisé les voies de recours à sa disposition.

51.  La Cour considère que cette exception est étroitement liée à la substance du grief de la requérante et décide par conséquent de la joindre au fond (paragraphe 73 ci-dessous).

3. Autres motifs d’irrecevabilité

52.  Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  La requérante

53.  La requérante estime que l’État roumain n’a pas respecté ses obligations positives. Elle soutient que les autorités n’ont pas abordé l’affaire comme une affaire de violence conjugale mais comme une simple affaire de violences entre particuliers et qu’elles n’ont pas mené l’enquête avec la diligence requise par ce genre d’infractions, qui ont été commises dans un lieu privé et sont difficiles à prouver. Elle ajoute que les autorités sont restées passives : elles n’ont pas entendu les voisins, n’ont pas surveillé les communications et n’ont pas fait appel à des mesures spécifiques d’enquête.

54.  Elle soutient que l’ordonnance de protection a été mise en application par la police avec du retard et de manière incomplète. Selon elle, la police n’a pas immédiatement communiqué à son ex-époux le contenu de l’ordonnance et, pendant la période de validité de celle-ci, les autorités ont ignoré le comportement abusif de son ex-époux, qui aurait essayé de l’intimider pendant la procédure de partage des biens en ne se présentant pas aux audiences devant les tribunaux et en recourant à des médiateurs qui l’auraient harcelée (paragraphe 26 ci-dessus).

55.  Elle soutient que les faits de violation du secret de la correspondance reprochés à son ex-époux ont un caractère pénal et qu’ils ont un lien direct avec les actes de violence, les menaces, et l’intimidation dont elle dit avoir fait l’objet. Elle estime que les autorités étaient tenues d’examiner ces faits d’office, sans plainte préalable de sa part, et que dès lors elle n’était pas tenue de déposer plainte dans le délai prescrit par la loi.

56.  La requérante estime que l’attitude des autorités a encouragé son ex‑époux à continuer à se comporter librement puisqu’il était, selon elle, conscient de la clémence des institutions de l’État.

b)  Le Gouvernement

57.  Le Gouvernement considère que l’enquête pénale menée en l’espèce a été effective. Il indique que le cadre réglementaire était adéquat et qu’il l’est toujours depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal. Il estime que la requérante a dénoncé un incident relatif à des violences physiques survenu le 22 décembre 2013 et deux incidents relatifs à des violences verbales survenus les 17 et 22 décembre 2013. Il expose que la requérante a bénéficié des mesures de protection fondées sur la loi no 217/2013, mais allègue que le niveau de preuves requis pour prononcer de telles mesures n’est pas le même que celui requis pour prononcer une condamnation pénale. Il indique que, lors de l’enquête pénale, tous les témoins qui pouvaient connaître les détails de l’affaire ont été entendus. Il ajoute que les preuves ont été dûment examinées, qu’il n’y a pas eu de preuve directe de l’agression de la requérante et que celle-ci n’a pas saisi les autorités immédiatement après les incidents dénoncés, mais quelques jours après. Selon le Gouvernement, l’affaire se distingue des affaires E.M. c. Roumanie (no 43994/05, 30 octobre 2012) et Bălşan (précitée) par l’absence de preuves directes et par le caractère ponctuel de la violence physique.

58.  S’agissant de l’effectivité des mesures de protection, le Gouvernement rappelle que l’ordonnance de protection délivrée par les tribunaux couvrait la période du 13 mars au 13 septembre 2014 (paragraphe 23 ci-dessus). Il estime que les autorités ont agi avec célérité en octroyant à la requérante une mesure de protection pendant six mois, une période suffisante à ses yeux pour régler les problèmes entre les époux. Il indique que les autorités de police ont eu un retard de trois jours pour mettre en application l’ordonnance de protection, en raison de l’absence de l’ex‑époux de son domicile, mais que ce retard n’a causé aucun préjudice à la requérante. Le Gouvernement ajoute que celle-ci n’a porté à la connaissance des autorités aucun incident étant survenu pendant la période couverte par l’ordonnance de protection (paragraphe 27 ci-dessus), que l’incident signalé par l’intéressée a eu lieu le 29 octobre 2015 (paragraphe 28 ci-dessus), soit en dehors de cette période, et qu’il a été dûment examiné.

59.  Enfin, le Gouvernement indique que l’État roumain a respecté ses obligations positives en réglementant l’infraction de violation du secret de la correspondance. Il explique le choix du législateur de conditionner le déclenchement de l’action pénale à la plainte préalable de la partie lésée par le souci de ménager aux victimes le droit de décider ou non de rendre publics, dans le cadre de procédures judiciaires, des aspects tenant à leur vie privée. Il expose que le délai de trois mois pour former une plainte préalable est adéquat et suffisant et que les conditions formelles exigées pour cette plainte ne sont pas excessives. Il indique que, en l’espèce, la requérante a formé sa plainte en dehors du délai de trois mois et que, de plus, elle ne s’est pas prévalue de la possibilité de saisir les tribunaux d’une action civile à l’encontre de son ex-époux (paragraphe 49 ci-dessus).

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

60.  La Cour rappelle que, combinée avec l’article 3 de la Convention, l’obligation que l’article 1 de la Convention impose aux Hautes Parties contractantes de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés consacrés par la Convention leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des tortures, à des traitements ou à des châtiments inhumains ou dégradants, même administrés par des particuliers. Les enfants et autres personnes vulnérables en particulier, dont font partie les victimes de violences domestiques, ont droit à la protection de l’État, sous la forme d’une prévention efficace, les mettant à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l’intégrité de la personne (Opuz c. Turquie, no 33401/02, § 159, CEDH 2009, et Bălşan, précité, § 57). Ces obligations positives, qui se chevauchent souvent, consistent en : a) l’obligation de prendre des mesures raisonnables dans le but de prévenir les mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance, et b) l’obligation procédurale de mener une enquête effective lorsqu’un individu fait valoir un grief défendable d’avoir subi des mauvais traitements (Bălşan, précité, § 57).

61.  Pour que l’on puisse parler d’une obligation positive, il doit être établi que les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance à l’époque de l’existence d’un risque réel et immédiat pour un individu identifié de subir des mauvais traitements du fait des actes criminels d’un tiers et qu’elles sont restées en défaut de prendre, dans le cadre de leurs pouvoirs, des mesures qui auraient raisonnablement pu être réputées de nature à éviter ce risque (Đorđević c. Croatie, no 41526/10, § 139, CEDH 2012). De plus, la Cour a jugé que les États ont une obligation positive d’établir et d’appliquer effectivement un système de répression de toute forme de violence conjugale et d’offrir des garanties procédurales suffisantes aux victimes (Opuz, précité, § 145, et Bălşan, précité, § 57 in fine).

62.  Elle rappelle également que, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut également imposer à l’État des obligations positives inhérentes à un respect effectif des droits qu’il garantit (Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, § 108 in fine, 5 septembre 2017 (extraits)). Le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. Il existe en effet différentes manières d’assurer le respect de la vie privée, et la nature de l’obligation de l’État dépend de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 79, CEDH 2013, avec les références citées).

b)  Application des principes généraux au cas d’espèce

63.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que le Gouvernement ne conteste pas expressément l’applicabilité en l’espèce de l’article 3 de la Convention (paragraphe 57 ci‑dessus). Elle note qu’il n’est pas contesté non plus par le Gouvernement que le droit de la requérante au respect de sa vie privée et de sa correspondance, tel que garanti par l’article 8 de la Convention, entre en jeu. À cet égard, les arguments du Gouvernement visent plutôt à soutenir que les autorités nationales ont respecté leurs obligations positives au titre de la Convention, en mettant à la disposition de la requérante des recours aptes à faire examiner ses griefs et à lui accorder une réparation le cas échéant (paragraphes 49 et 59 ci-dessus).

64.  La Cour note ensuite que la requérante dénonce plusieurs défaillances du système de protection des victimes de la violence conjugale, qu’elle examinera ci-dessous.

i. Sur l’enquête relative aux mauvais traitements

65.  Comme elle l’a déjà constaté dans l’arrêt Bălşan (précité, § 63), la Cour note que, en l’espèce, la requérante avait à sa disposition un cadre réglementaire, fondé notamment sur les dispositions du code pénal réprimant de manière plus sévère les violences conjugales (paragraphe 32 ci-dessus) et sur celles de la loi no 217/2003 (paragraphe 33 ci-dessus), pour se plaindre de la violence dont elle disait être victime et pour demander la protection des autorités. La Cour recherchera ensuite si les règles et pratiques litigieuses - en particulier le respect par les autorités nationales des règles procédurales pertinentes et la manière dont les mécanismes de droit pénal ont été mis en œuvre en l’espèce - ont été défaillantes au point d’emporter violation des obligations positives s’imposant à l’État défendeur en vertu de la Convention (Valiulienė c. Lituanie, no 33234/07, § 79, 26 mars 2013).

66.  La Cour note que la requérante a saisi les autorités, les 23 décembre 2013 et 6 janvier 2014, pour dénoncer le comportement violent de son ex‑époux (paragraphe 9 ci-dessus). S’appuyant sur un certificat médico‑légal (paragraphe 8 ci-dessus), elle faisait notamment état de menaces et des violences que lui aurait infligées son ex-époux. Toutefois, la Cour constate que les autorités n’ont pas abordé les faits en la présente affaire du point de vue de la violence conjugale. Ainsi, la Cour note que la décision du parquet du 17 février 2015 de classer l’affaire était fondée sur les articles du nouveau code pénal qui répriment les violences entre particuliers et non pas sur les dispositions du code qui répriment plus sévèrement la violence conjugale (paragraphe 17 ci-dessus ; pour les dispositions du nouveau code pénal, voir paragraphe 32 ci-dessus). La Cour note ensuite que le tribunal de première instance, dans sa décision du 25 mai 2015, n’a pas donné une autre qualification juridique aux faits retenus à la charge de l’ex‑époux (paragraphe 21 ci-dessus).

67.  La Cour insiste sur la diligence particulière que requiert le traitement des plaintes pour violences domestiques et estime que les spécificités des faits de violences domestiques telles que reconnues dans la Convention d’Istanbul (paragraphe 38 ci-dessus) doivent être prises en compte dans le cadre des procédures internes (M.G. c. Turquie, précité, § 93). En l’espèce, elle constate que l’enquête interne menée par les autorités nationales n’a pas pris en compte ces spécificités.

68.  Qui plus est, la Cour estime que les conclusions auxquelles est arrivé le tribunal de première instance sont sujettes à caution. Ainsi, elle note que le tribunal a conclu que les menaces subies par la requérante n’étaient pas suffisamment graves pour être qualifiées d’infractions et qu’il n’y avait pas de preuve directe que les lésions de l’intéressée avaient été causées par son ex-époux (paragraphe 21 ci-dessus). La Cour n’est pas convaincue que de telles conclusions aient l’effet dissuasif apte à enrayer un phénomène aussi grave que la violence conjugale. De plus, elle note que si aucune autorité interne n’a contesté la réalité et la gravité des lésions subies par la requérante, aucun élément d’enquête n’a permis d’identifier la personne responsable. Ainsi, elle observe que les autorités de l’enquête se sont limitées à entendre comme témoins les proches de la requérante (sa mère, sa fille et sa belle‑sœur ; paragraphe 14 ci‑dessus), mais qu’aucun autre élément de preuve n’a été recueilli afin d’identifier l’origine des lésions qu’a subies la requérante et, le cas échéant, les personnes responsables. Dans une affaire comme la présente, qui concerne des actes allégués de violence familiale, il revenait aux autorités d’enquête de prendre les mesures nécessaires pour éclaircir les circonstances de la cause ; de telles mesures auraient pu inclure par exemple l’audition de témoins supplémentaires, comme des voisins, ou la confrontation des témoins et parties (voir, mutatis mutandis, E.M. c. Roumanie, précité, §§ 66 et 68).

69.  La Cour note ensuite que le Gouvernement expose que l’effectivité de l’enquête a été compromise en raison du fait que la requérante n’a saisi les autorités que plusieurs jours après les incidents dénoncés, et que la violence physique qu’elle aurait subie a eu un caractère ponctuel (paragraphe 57 ci‑dessus). Toutefois, la Cour n’y voit pas d’arguments décisifs. En effet, elle note que la requérante a saisi les autorités dans les délais légaux et qu’à aucun moment les autorités de l’enquête ne lui ont indiqué que sa plainte pour menaces et violences était tardive. Les incidents dénoncés par la requérante auraient eu lieu les 17 et 22 décembre 2013 (paragraphe 7 ci-dessus), alors que la première plainte fut présentée par elle le 23 décembre 2013 (paragraphe 9 ci-dessus) ; on ne saurait estimer qu’un délai excessif s’est écoulé entre les faits et la saisine des autorités. Dès lors, dans les circonstances de la présente espèce, le comportement de la requérante ne démontre pas un défaut de diligence de sa part, d’autant plus que l’impact psychologique est un aspect important à prendre en considération dans des affaires de violence domestique (Valiulienė, précité, § 69). Qui plus est, le Gouvernement n’a pas établi devant la Cour que le délai dans le dépôt des plaintes a eu des conséquences directes sur l’enquête, rendant, par exemple, impossible l’examen de certains éléments matériels de preuve ou l’audition de certains témoins.

70.  La Cour ne saurait non plus donner un poids décisif au fait que la requérante n’a dénoncé aux autorités qu’un seul incident impliquant la violence physique. Elle note que la requérante a obtenu un certificat médico-légal attestant qu’elle avait besoin de trois à quatre jours de soins médicaux en raison des lésions qu’elle présentait (paragraphe 8 ci-dessus) et que le Gouvernement n’a pas contesté la gravité des lésions (paragraphe 57 ci-dessus). La Cour note ensuite qu’aucun élément n’a été présenté ni devant les autorités nationales ni devant elle pour envisager la présente affaire sous un autre angle que celui de la violence conjugale et le caractère ponctuel de l’incident dénoncé ne saurait mener à une autre conclusion.

71.  Il est vrai que la requérante a utilisé avec succès les dispositions de la loi no 217/2003 et que, le 13 mars 2014, le tribunal de première instance a délivré une ordonnance de protection en sa faveur pour une durée de six mois (paragraphe 23 ci-dessus). Elle relève également que la requérante soutient que son ex-époux n’a pas respecté les dispositions de l’ordonnance de protection (paragraphe 26 ci-dessus). Toutefois, la Cour observe que les allégations selon lesquelles l’intéressée a saisi la police à cet égard ne sont pas étayées par les éléments de preuve versés au dossier par les parties (paragraphes 26-27 ci-dessus). La Cour note néanmoins que l’ordonnance de protection a été rendue pour une période ultérieure aux incidents des 17 et 22 décembre 2013 dénoncés par la requérante et que les effets de cette ordonnance ont été sans conséquences sur l’effectivité de l’enquête pénale menée en l’espèce.

72.  Dès lors, la Cour estime que, même si le cadre juridique mis en place par l’État défendeur a offert une forme de protection à la requérante (paragraphe 65 ci-dessus), celle-ci est intervenue après les faits violents dénoncés et n’a pas pu remédier aux carences de l’enquête.

ii. Sur l’enquête relative à la violation du secret de la correspondance

 

 

75.  Or, en l’espèce, la Cour note que la plainte pénale déposée par la requérante pour violation du secret de la correspondance n’a pas été examinée sur le fond par les autorités internes. Ainsi, elle constate que la demande de perquisition électronique de l’ordinateur de la famille formée par la requérante le 18 mars 2014 a été rejetée par la police de Tulcea au motif que les éléments susceptibles d’être recueillis de cette façon étaient sans rapport avec les infractions de menaces et de violences reprochées à M.V. (paragraphe 11 ci‑dessus). La Cour relève ensuite que la plainte pénale déposée le 11 septembre 2014 pour violation du secret de la correspondance a été rejetée par l’ordonnance du parquet du 17 février 2015 pour tardiveté (paragraphes 13 et 17 ci‑dessus). La Cour estime qu’en procédant ainsi les autorités de l’enquête ont fait preuve d’un formalisme excessif, d’autant plus que, selon les arguments de la requérante (paragraphe 55 ci-dessus), non contredits par le Gouvernement, le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er février 2014, et donc avant la première demande de la requérante visant à obtenir une perquisition informatique de l’ordinateur de la famille, permettait la saisine d’office des autorités d’enquête dans le cas d’interception sans droit d’une conversation effectuée par tout moyen électronique de communication, la condition d’une plainte préalable étant prévue seulement pour l’ouverture, la soustraction, la destruction ou la rétention sans droit de la correspondance adressée à autrui (voir l’article 302 du nouveau code pénal, cité au paragraphe 32 ci-dessus).

76.  Quant à la décision définitive du 25 mai 2015 du tribunal de première instance selon laquelle la plainte de la requérante relative à la violation alléguée du secret de la correspondance était sans rapport avec l’objet de l’affaire et les données publiées sur les réseaux sociaux étaient publiques (paragraphe 21 ci-dessus), la Cour estime que ses conclusions sont sujettes à caution. Elle rappelle avoir déjà accepté que des actes tels que surveiller, accéder à ou sauvegarder sans droit la correspondance du conjoint peuvent être pris en compte lorsque les autorités nationales enquêtent sur des faits de violence domestique (paragraphe 74 ci‑dessus). Elle estime que de telles allégations de violation de la correspondance appellent de la part des autorités un examen sur le fond afin de pouvoir appréhender de manière globale le phénomène de violence conjugale dans toutes ses formes.

77.  En outre, la Cour note que la requérante a allégué que son ex-époux avait abusivement consulté ses comptes électroniques, dont son compte Facebook, et qu’il avait fait des copies de ses conversations privées, de ses documents et de ses photos (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Elle en déduit que la requérante faisait référence à un ensemble de données et de documents électroniques qui n’étaient pas limités aux données qu’elle aurait publiées sur les réseaux sociaux. La Cour estime que la conclusion du tribunal de première instance selon laquelle les données en cause étaient publiques est problématique dans la mesure où les autorités nationales n’ont pas procédé à un examen sur le fond des allégations de la requérante pour pouvoir ainsi qualifier la nature des données et des communications visées.

78.  La Cour conclut donc que les allégations de la requérante selon lesquelles son ex-époux avait abusivement intercepté, consulté et sauvegardé ses communications électroniques n’ont pas été examinées sur le fond par les autorités nationales. Celles-ci n’ont pas procédé à des actes de procédure afin de recueillir des preuves permettant d’établir la réalité des faits ou leur qualification juridique. La Cour estime que les autorités ont fait preuve d’un formalisme excessif en écartant tout rapport avec les faits de violence conjugale que la requérante avait déjà portés à leur attention et qu’elles ont ainsi failli à prendre en considération les diverses formes que peut prendre la violence conjugale.

iii. Conclusion

79.  La Cour conclut que les autorités nationales n’ont pas abordé l’enquête pénale comme soulevant le problème spécifique de la violence conjugale (paragraphes 66-67 et 78 ci-dessus) et que, en procédant ainsi, ont failli de donner une réponse adaptée à la gravité des faits dénoncés par la requérante. L’enquête sur les actes de violence a été défaillante et aucun examen sur le fond de la plainte pour violation du secret de la correspondance, qui est, de l’avis de la Cour, étroitement liée à la plainte pour violences, n’a été effectué. Il y a dès lors eu manquement aux obligations positives au regard des articles 3 et 8 de la Convention et violation de ces dispositions.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

80.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

81.  La requérante réclame 30 358 RON, soit environ 6 645 EUR, au titre du préjudice matériel qu’elle estime avoir subi en raison de la perte de son salaire après novembre 2014 et des frais des consultations médicales dont elle a bénéficié en 2017. Elle réclame également 12 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi en raison des souffrances physiques et morales causées par la violence conjugale.

82.  Le Gouvernement s’oppose à l’octroi de la somme réclamée au titre du préjudice matériel, arguant de l’absence d’un lien de causalité avec l’objet de la requête. Quant à la somme demandée au titre du préjudice moral, il estime qu’elle est exorbitante et injustifiée.

83.  La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

84.  La requérante demande également 2 136,85 RON, soit environ 467 EUR, pour les frais et dépens qu’elle dit avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Elle présente certains documents justificatifs relatifs notamment aux honoraires de l’avocate l’ayant représentée devant la Cour, aux frais de poste et de traduction des documents et aux examens médicaux subis les 23 et 24 décembre 2013.

85.  Le Gouvernement invite la Cour à accorder à la requérante une somme qui corresponde aux dépenses réelles, prouvées, raisonnables et nécessaires encourues dans le cadre de la procédure.

86.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 457 EUR tous frais confondus et l’accorde à la requérante.

C.  Intérêts moratoires

87.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Joint au fond l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement sur le terrain de l’article 8 de la Convention et la rejette ;

 

2.  Déclare la requête recevable ;

 

3.  Dit qu’il y a eu violation des articles 3 et 8 de la Convention en raison du manquement aux obligations positives découlant de ces articles ;

 

4.  Dit

a)  que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i.  10 000 EUR (dix mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii.  457 EUR (quatre cent cinquante-sept euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 février 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Andrea Tamietti                                                                Jon Fridrik Kjølbro
  Greffier adjoint                                                                        Président

 



[1] https://www.ohchr.org/EN/Countries/ENACARegion/Pages/ROIndex.aspx

[2] https://en.unesco.org/sites/default/files/genderreport2015final.pdf

[3] https://rm.coe.int/t-cy-2017-10-cbg-study-provisional/16808c4914

[4] https://fra.europa.eu/sites/default/files/fra_uploads/fra-2014-vaw-survey-main-results-apr14_en.pdf (voir pages 28, 29 et 74).

[5] Ibidem, p. 87

[6] https://eige.europa.eu/publications/cyber-violence-against-women-and-girls


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