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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> JEZIOR v. POLAND - 31955/11 (Judgment : Freedom of expression-{general} : First Section Committee) French Text [2020] ECHR 399 (04 June 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/399.html
Cite as: [2020] ECHR 399, CE:ECHR:2020:0604JUD003195511, ECLI:CE:ECHR:2020:0604JUD003195511

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PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE JEZIOR c. POLOGNE

(Requête no 31955/11)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

4 juin 2020

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Jezior c. Pologne,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

          Pere Pastor Vilanova, président,
          Krzysztof Wojtyczek,
          Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 avril 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31955/11) dirigée contre la République de Pologne et dont un ressortissant de cet État, M. Andrzej Jezior (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 mai 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par M. A. Bodnar, alors juriste de la Fondation Helsinki pour les droits de l’homme de Varsovie (« la Fondation Helsinki »), remplacé ultérieurement par Mme D. Bychawska-Siniarska, également juriste de la même fondation. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord Mme J. Chrzanowska, puis M. J. Sobczak, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 24 septembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

4.  L’ONG ARTICLE 19 (« un tiers intervenant ») a été autorisée par le président à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement) et a présenté ses observations.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1961 et réside à Ryglice.

A.    Le contexte de l’affaire

6.  Le requérant, alors candidat au poste de conseiller municipal, tenait à l’époque des faits un blog sur Internet sur l’actualité de la commune dont il était résidant. Sur le blog en question, l’intéressé publiait des textes, entre autres, sur la campagne politique en vue des élections municipales alors en cours. Le blog du requérant était alimenté par des commentaires que les internautes pouvaient y déposer sans s’inscrire. L’intéressé publia sur son blog un message à l’intention des internautes où l’on pouvait lire ceci :

« Je vous prie de publier uniquement des commentaires réfléchis, conformes à la réalité, et non des suppositions. Les commentaires ne peuvent offenser personne. Je vous prie d’être courageux et de soussigner vos commentaires, au lieu de les publier sous couvert d’anonymat. Un commentaire soussigné vaut beaucoup plus. »

7.  Selon les stipulations du règlement intérieur du portail Internet hébergeant le blog du requérant, les administrateurs des blogs sur ce portail étaient responsables de leur contenu. Le blog de l’intéressé était pourvu de système de notification de nouveaux contenus mais le requérant ne s’en servait que très rarement. Z.J., fils du requérant, l’aidait à administrer son blog. Dans ce cadre, il effectuait ponctuellement une surveillance à l’égard des contenus générés par des utilisateurs et supprimait ceux que lui paraissaient injurieux envers autrui.

8.  Le 5 novembre 2010, soit environ deux semaines avant la date du vote, aux alentours de vingt-trois heures, un commentaire anonyme visant B.K., maire et candidat à sa propre réélection, lequel était soutenu par le comité électoral adversaire de celui du requérant, fut déposé sur le blog de l’intéressé. Ce commentaire contenait, entre autres, les propos ci-après :

« 1. « descend d’une vielle famille de bandits aux traditions criminelles »

2. « sa mère a tué son époux » et « la mère de notre criminel a terrassé son époux d’un coup mortel au cœur »

3. « la raison du conflit était l’amant de la mère de K » et « cet amant a fait un gosse à Mme K., jeune sœur du maire, qui est à moitié Tchèque »

4. « les enfants de K. perpétuent les traditions criminelles de la famille »

5. « ...les fils du maire...sont devenus des trafiquants de drogues »

6. « l’un des fils...est actuellement en prison »

7. « la sœur de B. a extorqué des crédits bancaires et se dérobe actuellement à la justice »

8. « nous pouvons alors affirmer avec toute certitude que le maire K. descend d’une famille de bandits aux traditions criminelles »

9. « il s’est engagé dans une carrière criminelle il y a environ vingt ans »

10. « craignant de perdre son poste, B. a également triché aux élections et à présent exerce illégalement la fonction de maire »

11. « Profitant de l’ignorance des gens et de ses relations criminelles, il s’est mis à racheter des terrains sis à W.L. »

12. « K. a également permis que la société T. de Z., avec laquelle il avait des affinités, gagne des marchés publiques de la commune (...), ce qui avait permis les transferts des fonds public de la caisse communale »

13. « ...les traditions criminelles de la famille de K. ont été cette fois-ci perpétrées par B. lui-même ». »

9.  Z.J. retira immédiatement ce commentaire du blog mais celui-ci avait été mis en ligne de nouveau quelques minutes plus tard, suite à quoi J.Z. l’avait supprimé encore une fois avant d’avoir activé le système de contrôle d’accès et d’inscription préalable des utilisateurs au moyen d’une adresse électronique. Le lendemain, Z.J. renonça à cette mesure.

10.  Le 9 novembre 2010, un commentaire identique à celui susvisé fut déposé sur le blog du requérant. Celui-ci le retira le jour-même dès qu’il avait été averti de sa publication, puis rétablit le contrôle d’accès et d’inscription préalable des utilisateurs. Ces mesures furent maintenues en application pendant une période d’une durée d’environ trois mois.

B.     La procédure diligentée contre le requérant en vertu de la loi sur les élections aux conseils municipaux, aux conseils de district et aux assemblées régionales (Ordynacja wyborcza do rad gmin, rad powiatów i sejmików województw, « la loi sur les élections locales »)

11.  Le 12 novembre 2010, B.K. assigna le requérant en justice en vertu de l’article 72 de cette loi (paragraphe 23).

12.  Par une décision du 15 novembre 2010, le tribunal régional de Tarnów accueillit l’action de B.K. Il interdit au requérant de continuer à diffuser les propos indiqués au paragraphe 8 et lui ordonna de présenter des excuses sous douze heures à compter de la clôture de la procédure en faisant paraître sur son blog la déclaration suivante :

« Je présente mes excuses au M. B.K. - candidat à la fonction de maire (...) - pour avoir diffusé sur mon blog édité à l’adresse (...) les informations non-avérées sur lui et sur sa famille et attentatoires à ses droits de la personnalité, en particulier, celles indiquant que [sont cités ici les propos indiqués au paragraphe 8]. »

Le tribunal condamna en outre le requérant à verser 5 000 PLN [1] à un organisme caritatif et à rembourser au plaignant les frais de procédure à hauteur de 240 PLN.

13.  Dans les attendus de sa décision, le tribunal mit l’accent sur le caractère particulier de la procédure réglementée par la loi sur les élections locales, laquelle procédure pouvait être diligentée en cas de diffusion dans un matériel de propagande électorale d’informations non-avérées sur un candidat aux élections. Il indiqua que cette procédure avait pour finalité de faire en sorte que les propos non-avérés et susceptibles de nuire à la réputation d’un candidat aux élections soient au plus vite rectifiés. En se plaçant sur le terrain de l’article susvisé de cette loi combiné à l’article 24 du code civil (« CC »), le tribunal jugea que les commentaires incriminés constituaient un matériel de propagande électorale et que leur contenu était non-avéré et attentatoire à la réputation de B.K. en tant que candidat aux élections. Il estima de plus que le fait que le requérant eût permis que les propos formulés de la sorte soient disséminées sur son blog devait être considéré comme une action illicite de la part de l’intéressé. Selon le tribunal, le requérant en tant qu’hébergeur du blog en question devait veiller à ce que les commentaires déposés par des internautes soient conformes à la réalité, surtout qu’il disposait à cette fin des moyens d’ordre technique. Sur ce point, le tribunal nota, tout particulièrement, que le requérant avait la possibilité d’exiger des internautes qu’ils s’identifient préalablement au dépôt de leurs commentaires respectifs. Il ajouta qu’en vertu des stipulations du règlement intérieur du portail Internet hébergeant le blog du requérant, l’intéressé était responsable du contenu généré par des internautes. Le tribunal considéra enfin que les mesures prononcées à l’encontre de l’intéressé étaient proportionnées à la gravité du préjudice occasionné au plaignant par la publication des commentaires incriminés.

14.  Le 16 novembre 2010, le requérant forma un recours contre cette décision devant la cour d’appel de Cracovie. Il soutint, tout particulièrement, que le tribunal de première instance n’avait pas tenu compte du caractère particulier d’un blog sur Internet en tant que support de communication et qu’à tort, il l’avait jugé responsable des commentaires publiés sur son site Internet par un tiers. Il argua que le tribunal de première instance était resté en défaut d’appliquer les dérogations prévues à l’article 14 de la loi du 18 juillet 2002 sur la prestation de services par voie électronique (« la loi de 2002 », paragraphe 26), bien que lui-même eût retiré les commentaires litigieux sans délai dès qu’il avait été averti de leur publication. Le requérant soutint de plus que l’obliger de censurer en amont chaque commentaire sur son site aurait été contraire aux dispositions de l’article susvisé de cette loi. Selon lui, en omettant d’appliquer les dispositions pertinentes de l’article 14 de la loi de 2002, le tribunal de première instance avait enfreint à son égard l’article 24 du CC.

15.  Par une décision du 17 novembre 2010, portée à la connaissance du requérant le 18 novembre 2010, la cour d’appel de Cracovie rejeta le recours du requérant. Souscrivant aux attendus de la décision attaquée, la cour d’appel jugea que le requérant était bel et bien responsable des commentaires déposés par des tiers, dès lors qu’il n’avait pas empêché la mise en ligne de ceux-ci. Le message à l’intention des internautes que l’intéressé avait publié était, selon la cour d’appel, insuffisant pour que l’intéressé pût s’exonérer de sa responsabilité. La cour d’appel estima de plus que le requérant s’était prévalu à tort des dispositions de l’article 14 de la loi de 2002 combinées à celles des articles 23 et 24 du CC. Sur ce point, elle nota, tout particulièrement, que le requérant ne pourrait se dégager de sa responsabilité à raison de contenu illicite généré par des tiers que s’il avait efficacement bloqué l’accès à ce contenu immédiatement dès qu’il avait eu connaissance de l’illicéité. Or, en l’espèce, tel n’avait pas été le cas.

C.    La procédure tendant au respect du droit à la réputation de B.K.

16.  Le 19 avril 2011, à la suite de son échec électoral, B.K. diligenta contre le requérant une action en protection de son droit à la réputation sur le fondement des articles 23 et 24 du CC (paragraphes 24-25). Les faits sur lesquels ce recours de B.K. était fondé étaient les mêmes que ceux qui avaient auparavant fait l’objet d’un examen par les tribunaux nationaux au cours de la procédure décrite aux paragraphes 11-15.

17.  Par un jugement du 3 octobre 2011, le tribunal régional de Tarnów accueillit l’action, obligea le requérant de présenter des excuses à B.K. en faisant paraître une déclaration dans la presse et condamna l’intéressé à verser à B.K. 1 000 PLN à titre d’indemnisation.

18.  Le requérant fit appel de ce jugement.

19.  Par un arrêt du 19 janvier 2012, la cour d’appel de Cracovie annula le jugement attaqué et rejeta la demande de B.K., considérant que les arguments du requérant à propos de la violation alléguée à son égard par le tribunal de première instance de l’article 24 du CC combiné aux articles 14 et 15 de la loi de 2002 étaient fondés. Notant qu’il ne faisait aucun doute que les commentaires litigieux étaient non-avérés et avaient nui aux droits de la personnalité de B.K. ni que le requérant lui-même n’était pas à l’origine de ces propos, la cour d’appel estima que, dans ces circonstances, la question était de savoir si et dans quelle mesure l’intéressé lui-même pouvait être tenu pour responsable de l’atteinte en cause, consécutive à la publication desdits commentaires, aux droits de la personnalité de B.K. La cour d’appel observa qu’aux fins de l’appréciation de l’éventuelle illicéité des faits imputés au requérant, le tribunal inférieur aurait dû prendre en compte les dispositions susvisées de la loi de 2002. Selon elle, dès lors que le requérant hébergeait un blog sur Internet il devait, en cette qualité, être considéré comme prestataire de services d’hébergement (« hosting ») dont il est question dans cette loi.

20.  La cour d’appel considéra que les impératifs de la liberté d’expression et le caractère spécifique de services d’hébergement sur Internet excluent toute forme de contrôle préalable de la part de l’hébergeur à l’égard du contenu hébergé, d’où l’absence à l’article15 de la loi de 2002 d’une quelconque obligation en ce sens de celui-ci. Selon elle, même en cas de dépôt sur un site Internet du contenu susceptible de nuire aux biens d’autrui, le moindre contrôle en amont à l’égard de ce contenu de la part de l’hébergeur du site en question serait contraire à la liberté d’expression.

21.  La cour d’appel indiqua que la question de savoir de quelles conditions particulières le requérant avait fait dépendre la possibilité pour des internautes de déposer des commentaires sur son site Internet était dépourvue de toute pertinence pour l’issue de la présente affaire. Selon elle, imputer à l’intéressé la responsabilité à raison de commentaires publiés par un tiers, en conséquence de son supposé défaut de contrôler en amont ces contenus et de faciliter la découverte de l’identité de l’auteur des commentaires incriminés, était injustifié, dès lors que la responsabilité d’un hébergeur de site Internet à raison de contenu généré par des tiers ne dépend pas de la possibilité d’établir l’identité des tiers concernés. La cour d’appel estima qu’en aucun cas, le fait que le requérant eût permis aux internautes de déposer des commentaires sous couvert d’anonymat ne pouvait être considéré comme une quelconque action illicite de sa part.

22.  La cour d’appel considéra que la responsabilité du requérant à raison de commentaires incriminés ne pourrait être engagée que si l’intéressé avait méconnu l’obligation lui incombant en vertu de l’article 15 de la loi de 2002 de les retirer promptement. Or, l’intéressé avait immédiatement retiré les commentaires en cause dès qu’il avait été averti de leur présence sur son site Internet. Par conséquent, il n’avait commis aucune action illicite constitutive d’une atteinte aux biens de la personnalité de B.K.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNEs Pertinents

A.    La loi sur les élections locales dans sa formulation applicable à l’époque des faits

23.  L’article 72 de cette loi en ses passages pertinents en l’espèce est ainsi libellé :

« § 1.  Dans le cas où des affiches, des slogans, des brochures, des déclarations ou d’autres formes de publicité ou de matériel de campagne renferment des données ou des informations mensongères, les candidats aux élections locales ou les représentants de bureaux électoraux peuvent demander au tribunal régional de rendre une décision :

1.  interdisant [au défendeur] de publier ces données ou informations ;

2.  ordonnant la confiscation des supports en question ;

3.  ordonnant de corriger les informations ;

4.  autorisant la publication d’une réponse aux déclarations portant atteinte aux droits personnels des intéressés ;

5.  faisant obligation [au défendeur] de présenter des excuses à la partie lésée ;

6.  ordonnant [au défendeur] de verser jusqu’à 10 000 PLN à un organisme caritatif.

(...) »

B.     Le code civil

24.  L’article 23 du code civil énonce, dans une liste non exhaustive, un certain nombre de droits appelés « droits de la personnalité » (dobra osobiste). Cet article est ainsi libellé :

« Les droits de la personnalité d’un individu, tels que, notamment, le droit à la santé, le droit à la liberté, le droit à la réputation (cześć), le droit à la liberté de conscience, le droit au nom ou à un pseudonyme, le droit à l’image, le droit au secret de la correspondance, le droit à l’inviolabilité du domicile, les droits sur les œuvres scientifiques ou artistiques, [ainsi que] les droits sur les inventions et améliorations, sont protégés par le droit civil indépendamment de toute protection énoncée dans d’autres dispositions légales. »

25.  L’article 24 du code civil prévoit des modes de réparation des atteintes aux droits de la personnalité. En vertu de cet article, une personne risquant de subir une atteinte à l’un de ces droits peut exiger que l’auteur potentiel ne commette pas l’acte préjudiciable, à moins que l’acte en question ne soit pas illégal. En cas d’atteinte effective, la personne lésée peut notamment demander à ce que l’auteur fasse une déclaration rectificative sous une forme appropriée ou lui verse une réparation équitable. Si l’atteinte portée à un droit de la personnalité cause un préjudice financier, la personne lésée peut demander une indemnisation.

C.    La loi du 18 juillet 2002

26.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de cette loi sont ainsi libellées :

Article 14

« 1. N’est pas responsable au titre du contenu stocké celui qui, en fournissant l’accès au réseau de communication en vue de stockage de ce contenu par le bénéficiaire du service, n’ait pas connaissance du caractère illicite du contenu en cause ou de l’activité y afférente et qui rend l’accès à ce contenu ou à cette activité impossible dès le moment où il reçoit une notification officielle ou celle de la part d’une source crédible à ce propos.

2. Le prestataire qui a reçu une notification officielle du caractère illicite du contenu stocké, fourni par le bénéficiaire, et qui a rendu l’accès à ce contenu impossible, n’est pas tenu responsable envers ce dernier des préjudices lui ayant été occasionnés par le manque d’accès au contenu en cause de ce bénéficiaire.

3. Le prestataire qui a reçu l’information crédible sur le caractère illicite du contenu stocké et fourni par le bénéficiaire du service, et qui a rendu l’accès à ce contenu impossible, n’est pas responsable envers ce bénéficiaire du service au titre du préjudice consécutif à son manque d’accès audit contenu, s’il a informé promptement de son intention de rendre impossible l’accès à ce contenu.

4. Les dispositions des alinéas 1 à 3 ne s’appliquent pas si le prestataire du service a repris le contrôle sur le bénéficiaire de celui-ci, au sens de la loi sur la protection de la concurrence et des consommateurs. »

Article 15

« Le prestataire des services indiqués aux articles 12- 14 n’est pas tenu de contrôler les contenus transmis, stockés ou rendus accessibles dont il est question à ces articles. »

D.    Jurisprudence pertinente de la Cour suprême polonaise

27.  Dans un arrêt du 8 juillet 2011 (affaire IV CSK 665/10), la Cour suprême a dit qu’un prestataire de services fournis par voie électronique consistant à offrir à d’autres à titre gracieux un accès à des forums de discussion sur Internet, n’est tenu par aucune obligation de faciliter la découverte de l’identité de ceux qui y ont déposé des commentaires et n’est pas non plus responsable à raison d’éventuelle violation des droits de la personnalité d’autrui [consécutive à ces commentaires] sauf s’il savait que les commentaires incriminés portent atteinte à ces droits mais ne les avait pas retirés promptement.

III. LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX ET LES NORMES DE L’UNION EUROPÉENNE PERTINENTS

28.  Les instruments internationaux et normes de l’Union européenne pertinents en l’espèce sont présentés aux paragraphes 44-57 de l’arrêt Delfi A.S. c. Estonie [GC], no 64569/09, 16 juin 2015.

EN DROIT

I. SUR LA DEMANDE DU GOUVERNEMENT DE RAYER LA REQUÊTE DU RÔLE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 37 DE LA CONVENTION

29.  Par une lettre du 25 juin 2013, le Gouvernement a invité la Cour à rayer l’affaire du rôle et a joint le texte d’une déclaration unilatérale. Dans ladite déclaration, le Gouvernement a reconnu qu’il y avait eu, dans la présente affaire, violation de l’article 10 de la Convention à raison de décisions prononcées les 15 et 17 novembre 2010 par les juridictions nationales ayant statué en application de la loi électorale. Le Gouvernement a de surcroît proposé de verser au requérant la somme de 3 000 EUR au titre de la satisfaction équitable et a invité la Cour à rayer la requête du rôle en application de l’article 37 § 1 (c) de la Convention.

30.  Le requérant s’est opposé à l’offre du Gouvernement et a prié la Cour de statuer par un arrêt. Il a souligné que l’affaire revêtait de l’importance pour la jurisprudence et la législation européennes et nationales, que la déclaration du Gouvernement ne lui permettait pas d’efficacement demander la réouverture de la procédure nationale et qu’en tout état de cause, le montant proposé au titre de la satisfaction équitable était insuffisant.

31.  La Cour estime que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire (Tahsin Acar c. Turquie [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2004III, et Melnic c. République de Moldova, no 6923/03, § 22, 14 novembre 2006).

32.  En l’espèce, la Cour a examiné les termes de la déclaration unilatérale du Gouvernement. À la lumière des circonstances de l’affaire, elle est d’avis que la déclaration n’offre pas une base suffisante pour considérer qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de l’affaire.

33.  En conclusion, elle rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et décide par conséquent de poursuivre l’examen de la recevabilité et du fond de l’affaire.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

34.  Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant se plaint que les décisions prononcées à son encontre à l’issue de la procédure que les juridictions nationales avaient diligentée en application de la loi sur les élections locales ont emporté violation à son égard de son droit à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. (...)

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique (...) à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (...). »

A.    Sur la recevabilité

35.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.    Arguments des parties

36.  Le requérant soutient que les décisions incriminées s’analysent en une ingérence injustifiée dans son droit à la liberté d’expression, laquelle ingérence n’était pas, selon lui, « prévue par la loi » ni « nécessaire dans une société démocratique ».

37.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

2.    Observations du tiers intervenant

38.  Article 19 estime que les principales caractéristiques des blogs sur Internet sont la possibilité pour tout un chacun de s’auto-publier en ligne sans aucun contrôle éditorial préalable de son contenu et celle d’y déposer son commentaire sur un sujet d’actualité. Dans le même temps, l’arrivée de l’Internet et la quantité impressionnante d’informations mises en ligne quotidiennement font augmenter le risque que tout un chacun encourt de voir sa responsabilité engagée à raison de propos publiés sur la Toile. En ce qui concerne les intermédiaires sur Internet, ceux-ci bénéficient, en principe, dans la majorité des pays du régime d’exonération de responsabilité à raison de contenu généré par des tiers, bien que cette exonération n’ait pas de portée absolue.

39.  Selon Article 19, les intermédiaires sur Internet ne devraient pas être responsables du contenu généré par des internautes lorsqu’ils n’ont pas participé directement à la modification de ce contenu. Selon lui, les intermédiaires concernés devraient uniquement être tenus de retirer le contenu en question mais à condition que son illicéité soit préalablement établie dans une décision de justice. Ce constat est, selon lui, encore plus pertinent lorsque l’intermédiaire a préalablement mis en place un système de contrôle à l’égard du contenu généré par des tiers. Selon Article 19, conclure dans le sens contraire aurait eu un effet inhibiteur sur la liberté d’expression sur Internet.

40.  Article 19 considère que les hébergeurs des blogs sur Internet ne devraient pas être tenus pour responsables à raison de contenu généré par des tiers lorsqu’ils ont appliqué les mesures nécessaires à la suppression des propos illicites dès notification.

3.    Appréciation de la Cour

41.  Il ne fait aucun doute que les décisions prononcées à l’encontre du requérant constituent une ingérence des autorités publiques dans l’exercice par celui-ci de sa liberté d’expression, au sens de l’article 10 de la Convention.

42.  La Cour rappelle que, pour ne pas enfreindre l’article 10 de la Convention, une telle ingérence doit avoir été « prévue par la loi », poursuivre un but légitime au regard du paragraphe 2 et, de surcroît, être nécessaire dans une société démocratique pour atteindre ce but (Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt v. Hungary, no 22947/13, § 46, 2 février 2016).

43.  La Cour observe qu’en l’espèce, le requérant soutient que l’ingérence était dépourvue de base légale, en ce que lui-même a été sanctionné à raison de son supposé défaut de contrôler en amont le contenu générés par des internautes, bien qu’il ne fût tenu par aucune obligation légale en la matière.

44.  La Cour observe que, pour sanctionner le requérant, les tribunaux nationaux de deux instances se sont fondés sur les dispositions de l’article 72 de la loi sur les élections locales combinées avec celles des articles 23 et 24 du CC. Elle note que la cour d’appel de Cracovie a explicitement écarté l’application de l’article 14 de la loi de 2002, jugeant que le requérant ne pouvait se prévaloir de causes d’exonération de responsabilité de cette disposition dès lors qu’il n’avait pas efficacement empêché la mise en ligne des commentaires litigieux (paragraphe 15).

45.  La Cour rappelle dans ce contexte qu’il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et appliquer le droit interne (voir, par exemple, l’arrêt Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, § 35, CEDH 1999‑III). Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’opportunité des techniques choisies par le législateur d’un État défendeur pour réglementer tel ou tel domaine ; son rôle se limite à vérifier si les méthodes adoptées et les conséquences qu’elles entraînent sont en conformité avec la Convention (Gorzelik c. Pologne [GC], no 44158/98, § 67, CEDH 2004-I). Par conséquent, la Cour se limitera à examiner si l’application faite par les juridictions nationales des dispositions de l’article 72 de la loi sur les élections locales combinées avec celles des articles 23 et 24 du CC était prévisible aux fins de l’article 10 § 2 de la Convention.

46.  En l’espèce, la Cour observe que les commentaires litigieux ont été publiés sur le site du requérant en période préélectorale environ deux semaines avant la date du vote et qu’ils visaient le maire sortant et candidat à sa réélection. La Cour note ensuite que les juridictions nationales ont qualifié ces commentaires de matériel de propagande électorale lequel contenait, selon elles, les informations non-avérées sur le plaignant et attentatoires à la réputation de celui-ci en tant que candidat aux élections. Dans ces circonstances et eu égard à la teneur des commentaires incriminés, la Cour estime que le requérant pouvait, en principe, prévoir que sa responsabilité à raison de leur mise en ligne sur son blog pourrait être engagée sur le terrain de l’article 72 de la loi sur les élections locales combiné avec les articles 23 et 24 du CC. La Cour estime par conséquent que l’ingérence incriminée était « prévue par la loi », au sens de l’article 10 de la Convention (mutatis mutandis, Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt v. Hungary, précité, § 51).

47.  La Cour observe que l’ingérence visait un but légitime prévu par le paragraphe 2 de l’article 10, à savoir la protection de la réputation d’autrui, plus particulièrement, celle de B.K. en tant que candidat aux élections locales. Reste à déterminer si elle était « nécessaire dans une société démocratique ».

48.  La Cour renvoie à cet égard aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux autres, Hertel c. Suisse, 25 août 1998, § 46, Recueil 1998-VI ; Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 87, CEDH 2005-II, Mouvement raëlien suisse c. Suisse [GC], no 16354/ 06, § 48, CEDH 2012, Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 100, CEDH 2013, et plus récemment, Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, § 131, CEDH 2015).

49.  Elle rappelle de plus avoir déjà dit que, grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites Internet contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité, et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information (Ahmet Yıldırım c. Turquie, no 3111/10, § 48, CEDH 2012, Delfi AS, précité, § 133). Dans le même temps, les communications en ligne et leur contenu risquent assurément bien plus que la presse de porter atteinte à l’exercice et à la jouissance des droits et libertés fondamentaux, en particulier du droit au respect de la vie privée (Comité de rédaction de Pravoye Delo et Shtekel c. Ukraine, no 33014/05, §§ 63-64, CEDH 2011, Delfi AS, précité, § 128).

50.  La Cour rappelle aussi que le droit à la protection de la réputation est un droit qui relève, en tant qu’élément du droit au respect de la vie privée, de l’article 8 de la Convention (Pfeifer c. Autriche, no 12556/03, § 35, 15 novembre 2007, et Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, no 34147/06, § 40, 21 septembre 2010). Cependant, pour que l’article 8 trouve à s’appliquer, l’atteinte à la réputation doit atteindre un certain seuil de gravité et avoir été portée de manière à nuire à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée (A. c. Norvège, no 28070/06, § 64, 9 avril 2009, et Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 83, 7 février 2012).

51.  Lorsqu’elle examine la nécessité dans une société démocratique d’une restriction apportée à la liberté d’expression en vue de la « protection de la réputation ou des droits d’autrui », la Cour peut être amenée à vérifier si les autorités nationales ont ménagé un juste équilibre entre deux valeurs garanties par la Convention et qui peuvent entrer en conflit dans certaines affaires, à savoir, d’une part, la liberté d’expression protégée par l’article 10 et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 (Hachette Filipacchi Associés c. France, no 71111/01, § 43, 14 juin 2007, MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, § 142, 18 janvier 2011, et Axel Springer AG, précité, § 84).

52.  La Cour a déjà dit dans de précédentes affaires que, les droits garantis respectivement par l’article 8 et par l’article 10 méritant par principe un égal respect, l’issue d’une requête ne saurait normalement varier selon qu’elle a été portée devant elle, sous l’angle de l’article 10 de la Convention, par l’éditeur d’un article injurieux, ou, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, par la personne faisant l’objet de cet article. Dès lors, la marge d’appréciation doit en principe être la même dans les deux cas (Axel Springer AG, précité, § 87, et Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 106, CEDH 2012, avec les références aux affaires Hachette Filipacchi Associés, précité, § 41, Timciuc c. Roumanie (déc.), no 28999/03, § 144, 12 octobre 2010, et Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, § 111, 10 mai 2011). Si la mise en balance de ces deux droits par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis dans la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (Axel Springer AG, précité, § 88, et Von Hannover (no 2), précité, § 107, avec les références à MGN Limited, précité, §§ 150 et 155, et Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06, 28957/06, 28959/06 et 28964/06, § 57, 12 septembre 2011). En d’autres termes, la Cour reconnaît de façon générale à l’État une ample marge d’appréciation lorsqu’il doit ménager un équilibre entre des intérêts privés concurrents ou différents droits protégés par la Convention (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 77, CEDH 2007-I, Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, § 113, CEDH 1999-III, et Ashby Donald et autres c. France, no 36769/08, § 40, 10 janvier 2013).

53.  La Cour rappelle qu’en procédant à cette appréciation dans les affaires dans lesquelles un protagoniste avait joué un rôle d’intermédiaire sur Internet, elle-même a mis en évidence un certain nombre de facteurs pertinents : le contexte dans lequel s’inscrivent les commentaires ; les mesures adoptées par le support de publication pour empêcher ou supprimer les commentaires diffamatoires ; la question de savoir si c’est la responsabilité de l’auteur du commentaire qui doit être retenue plutôt que celle de l’intermédiaire ainsi que les conséquences de la procédure interne pour le support de publication (Delfi AS, précité, §§ 142-143).

54.  En l’espèce, en ce qui concerne le contexte des commentaires incriminés, la Cour observe que les juridictions nationales ont jugé que ceux-ci étaient diffamants envers B.K. et avaient nui à la réputation de celui-ci en tant que candidat aux élections locales (paragraphes 13-15). La Cour n’aperçoit aucun motif pour s’écarter de la conclusion à laquelle les juridictions nationales sont parvenues sur ce point, eu égard au libellé des commentaires litigieux.

55.  La Cour observe ensuite que le site Internet sur lequel les commentaires litigieux ont été déposés était administré par le requérant à titre gracieux et que son intérêt se limitait en pratique aux seuls résidants de la commune dont l’intéressé lui-même était résidant (mutatis mutandis Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt, précité, § 64, Phil, précité, § 31, et a contrario Delfi AS, précité, § 144). La Cour observe de plus que les juridictions nationales ont reconnu l’utilité de ce site Internet pour la collectivité. Elle note qu’en l’espèce, il n’a pas été soutenu que les commentaires litigieux aient été une réaction aux propos du requérant lui‑même ni que celui-ci les ait attisés d’une quelconque manière (Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt, précité, § 73).

56.  La Cour observe qu’en l’espèce, le requérant a choisi de permettre aux internautes de déposer des commentaires sans s’inscrire au préalable mais en même temps avait mis en place certaines mesures en vue de la détection de contenus potentiellement illicites. Ainsi, elle note que le site de l’intéressé était pourvu de système de notification de nouveaux contenus et que les contenus déposés sur le site en question étaient ponctuellement contrôlés par un proche de l’intéressé. La Cour observe de plus que le requérant a publié un message à l’intention des internautes les invitant à se conformer aux règles de bonne conduite et à respecter les droits d’autrui (paragraphe 6-7).

57.  La Cour note que le requérant a immédiatement retiré les commentaires litigieux dès qu’il avait été averti de leur présence (comparer avec Delfi AS et Phil, affaires précitées, dans lesquelles les contenus illicites sont restés en ligne pendant six semaines et neuf jours, respectivement). De plus, il a temporairement instauré le contrôle d’accès et l’obligation d’inscription préalable des utilisateurs au moyen d’une adresse électronique (paragraphes 9-10).

58.  La Cour note que les juridictions nationales ont reproché au requérant de ne pas avoir appliqué de mesures suffisamment efficaces pour empêcher la mise en ligne des commentaires incriminés. Or, elle-même estime qu’exiger du requérant de partir du principe que certains commentaires non filtrés pourraient être contraires à la loi reviendrait à exiger de lui une capacité d’anticipation excessive et irréaliste, ce qui serait de nature à mettre en péril le droit de communiquer les informations sur Internet (Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt, précité, § 82, Pihl, précité, § 31).

59.  Quant à la possibilité d’engager la responsabilité de l’auteur des commentaires incriminés, la Cour note que, hormis seule la déclaration du requérant selon laquelle cette possibilité n’était pas inexistante, les parties ne lui ont soumis aucune information pertinente sur ce point. Elle observe qu’il n’apparaît pas que B.K. lui-même ait jamais entrepris une quelconque démarche à cette fin mais avait choisi de se retourner directement contre le requérant en tant qu’hébergeur du site Internet sur lequel les commentaires le concernant avaient été déposés. La Cour relève de plus qu’à la date du dépôt par B.K. de la plainte de celui-ci visant le requérant, les commentaires litigieux ne se trouvaient plus sur le site de l’intéressé.

60.  En ce qui concerne les conséquences de la procédure interne, la Cour observe que le requérant s’est vu enjoindre de cesser de disséminer les propos litigieux et de s’en excuser en faisant paraître une déclaration. Il a été en outre obligé de payer 5 000 PLN à un organisme caritatif et de rembourser au plaignant les frais de procédure de 240 PLN (paragraphe 12). La Cour estime que, à la suite de l’application cumulative des mesures susmentionnées à son encontre, le requérant a subi une sanction susceptible d’avoir un effet inhibiteur sur quelqu’un qui, comme lui-même en l’espèce, administrait à titre entièrement gracieux un blog sur Internet sur des sujets importants pour la collectivité. Sur ce point, la Cour rappelle avoir dit que l’imputation d’une responsabilité relativement à des commentaires émanant de tiers peut avoir des conséquences négatives sur l’espace réservé aux commentaires d’un portail Internet et produire un effet dissuasif sur la liberté d’expression sur Internet (Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et Index.hu Zrt, précité § 86, Phil, précité, § 35).

61.  En conclusion, la Cour estime que les juridictions nationales ayant statué dans la procédure diligentée à l’encontre du requérant en vertu de la loi sur les élections locales n’ont pas ménagé un juste équilibre entre le droit à la liberté d’expression de l’intéressé et celui, concurrent, de B.K. au respect de sa réputation en tant que candidat aux élections locales. Leurs décisions s’analysant en une ingérence disproportionnée dans le droit à la liberté d’expression du requérant n’étaient donc pas nécessaires dans une société démocratique.

62.  Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

63.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

64.  Le requérant demande 2 020 euros (EUR) pour dommage matériel, montant qu’il ventile comme suit : 1 250 EUR pour la somme qu’il avait versée en application des décisions nationales, 360 EUR pour le prêt bancaire qu’il avait dû contracter afin de pouvoir payer cette somme et les différents frais de la procédure nationale, 60 EUR pour le remboursement des frais de la procédure nationale et 350 EUR pour les dépenses afférentes au traitement médical auquel lui-même avait eu recours à la suite de la procédure nationale diligentée à son encontre. Il demande en outre, pour dommage moral, la somme de 7 000 EUR.

65.  Le Gouvernement estime que le montant réclamé pour le dommage moral est excessif et qu’aucun lien de causalité n’existe entre la violation alléguée et le montant correspondant aux dépenses médicales du requérant. Il considère que le montant réclamé au titre de frais de la procédure nationale correspond aux frais et dépens et non au dommage matériel.

66.  La Cour observe que la somme de 1 250 EUR relève du dommage matériel et que le requérant a suffisamment étayé sa demande y afférente. Par conséquent, elle considère qu’il y a lieu de la lui octroyer. Pour ce qui est des éléments concernant les frais de la procédure nationale, la Cour estime, comme le Gouvernement, que ceux-ci correspondent à la demande concernant les frais et dépens (mutatis mutandis Dinu c. Roumanie, no 64356/14, § 90, 7 février 2017). En ce qui concerne les autres montants réclamés pour le dommage matériel, la Cour n’aperçoit aucun de lien de causalité entre ceux-ci et la violation constatée et rejette la partie de la demande y afférente. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 7 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.     Frais et dépens

67.  Le requérant demande également 150 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 1 800 EUR pour ses frais de représentation devant la Cour.

68.  Le Gouvernement considère que, faute d’élément justificatif, aucune somme ne devrait être allouée à ce titre.

69.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour accorde au requérant 60 EUR pour les frais de la procédure nationale.

70.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

3.      Dit

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii. 60 EUR (soixante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 juin 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

  Renata Degener                                                               Pere Pastor Vilanova
Greffière adjointe                                                                       Président



[1].  Environ 1 250 EUR


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