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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ZULUFOIU v. ROMANIA - 66110/13 (Judgment : Right to a fair trial : Fourth Section Committee) French Text [2020] ECHR 436 (09 June 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/436.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2020:0609JUD006611013, CE:ECHR:2020:0609JUD006611013, [2020] ECHR 436

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ZULUFOIU c. ROUMANIE

(Requête no 66110/13)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

9 juin 2020

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Zulufoiu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

          Faris Vehabović, président,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Carlo Ranzoni, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 66110/13) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ilie Zulufoiu (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 octobre 2013,

les observations des parties,

Notant que le 18 décembre 2014, le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant l’équité de la procédure a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 mai 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La requête concerne, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, la condamnation en appel du requérant sur la base des témoignages que le tribunal de première instance qui a relaxé le requérant du chef de dégradation de biens appartenant à autrui avait jugés insuffisants.

EN FAIT

2.  Le requérant est né en 1953 et réside à Slatina.

3.  Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

4.  En 2010, G.S. porta plainte contre le requérant et l’accusa d’avoir vandalisé sa voiture le 31 décembre 2009, alors qu’elle était stationnée dans un parking près de son domicile, à Slatina. Il fournit un enregistrement vidéo d’une caméra de surveillance du parking.

5.  À la demande du parquet près le tribunal de première instance de Slatina, la police scientifique procéda à deux expertises techniques, qui conclurent que la taille et la corpulence du requérant et celles de la personne filmée étaient similaires, mais qu’en l’absence d’images du visage de cette dernière il était impossible d’établir avec certitude qu’il s’agissait du requérant. Plusieurs témoins furent entendus par le parquet et déclarèrent, après avoir visionné les images filmées, qu’ils reconnaissaient le requérant. D’autres témoins affirmèrent que, le 31 décembre 2009, l’intéressé n’était pas à Slatina.

6.  Le 22 septembre 2011, le parquet rendit un non-lieu et infligea au requérant une amende administrative pour dégradation. S’appuyant sur les déclarations des témoins à charge, il estima que, sur fond d’une relation conflictuelle préexistante, le requérant avait vandalisé la voiture de G.S. Ce dernier et le requérant contestèrent devant le tribunal de première instance de Slatina (« le tribunal ») l’ordonnance de non-lieu rendue par le parquet.

7.  Le tribunal entendit le requérant, G.S. et seize témoins à charge et à décharge. Sept témoins déclarèrent qu’ils avaient reconnu le requérant sur les images filmées. Un témoin, qui avait fait une déclaration similaire devant le parquet, se rétracta. Les témoins à décharge déclarèrent qu’ils avaient passé la journée du 31 décembre 2009 en compagnie de l’intéressé dans une autre localité.

8.  Par un jugement du 6 décembre 2012, le tribunal relaxa le requérant au bénéfice du doute. Il releva que les expertises techniques n’avaient pas permis de l’identifier sur les images filmées. Il écarta les déclarations des témoins à charge au motif qu’elles étaient « hautement subjectives ». Soulignant que ces témoins n’avaient pas assisté directement à l’incident et qu’ils étaient des amis de G.S., il émit des doutes quant à la fiabilité de leurs témoignages. Il estima que leur perception subjective de l’enregistrement ne pouvait pas remplacer les conclusions des expertises scientifiques.

9.  G.S. fit appel de ce jugement. Le tribunal départemental d’Olt (« le tribunal départemental ») entendit G.S. et le requérant.

10.  Par un arrêt définitif du 11 avril 2013, le tribunal départemental accueillit l’appel formé par G.S. et condamna le requérant au paiement d’une amende pénale de 1 500 lei roumains (RON), soit environ 310 euros (EUR), du chef de dégradation et au versement de dommages et intérêts à G.S. d’un montant total de 5 427 RON (environ 1 130 EUR). Il le condamna également au paiement des frais et dépens à hauteur de 2 500 RON (environ 520 EUR).

11.  Le tribunal départemental jugea qu’il ressortait des déclarations des huit témoins à charge que le requérant avait commis les faits de dégradation. Il estima que ces témoignages étaient corroborés par les similarités relevées par les expertises techniques entre l’aspect physique du requérant et celui de la personne surprise en train de vandaliser la voiture. Quant aux déclarations des témoins à décharge, le tribunal départemental les écarta au motif qu’elles étaient subjectives dès lors qu’il s’agissait de membres de la famille du requérant ou de personnes proches de ce dernier.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

12.  Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale (CPP) en vigueur avant le 1er février 2014 définissant l’étendue de la compétence et des pouvoirs des juridictions saisies d’un recours sont décrites dans l’arrêt Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 17-18, 26 juin 2012).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

13.  Le requérant se plaint d’une violation de son droit à un procès équitable dans le cadre de la procédure pénale menée contre lui : il reproche au tribunal départemental de l’avoir condamné sans qu’il ait procédé lui-même à une nouvelle audition des témoins dont les déclarations ont été prises en compte pour fonder sa condamnation. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.    Sur la recevabilité

14.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.    Arguments des parties

15.  Le requérant considère que sa condamnation sans qu’il ait été procédé à l’audition des témoins s’analyse en une méconnaissance de son droit à un procès équitable.

16.  Le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas eu de violation du droit du requérant à un procès équitable dès lors que l’arrêt de condamnation n’était pas fondé exclusivement sur les déclarations des témoins à charge, mais sur d’autres preuves, à savoir l’enregistrement vidéo et les expertises techniques.

2.    Appréciation de la Cour

17.  La Cour renvoie aux principes généraux régissant les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel, qu’elle a rappelés dans l’affaire Găitănaru (précité, § 26-28 ; voir, également, Flueraş c. Roumanie, no 17520/04, § 53-55, 9 avril 2013, et Moinescu c. Roumanie, no 16903/12, § 33-35, 15 septembre 2015).

18.  En l’espèce, elle note que le tribunal départemental a fondé la condamnation du requérant sur les comptes rendus des dépositions faites au cours de l’enquête par huit témoins à charge (paragraphe 8 ci-dessus). Elle constate que ces dépositions ont joué un rôle important dans la condamnation de l’intéressé dès lors que le tribunal a jugé qu’elles étaient « pertinentes » pour l’établissement des faits et qu’elles corroboraient les conclusions des expertises techniques (paragraphe 11 ci-dessus).

19.  Il appartenait sans doute au tribunal départemental d’apprécier les diverses données recueillies. Il n’en demeure pas moins que le requérant a été reconnu coupable sur la base des témoignages que les premiers juges avaient estimés insuffisants pour le condamner (paragraphe 8 ci-dessus).

20.  Par conséquent, la Cour considère qu’une nouvelle audition de ces témoins était nécessaire, et ce d’autant plus qu’un doute subsistait quant à la fiabilité de leurs dépositions dès lors qu’ils n’avaient pas assisté à l’incident du 31 décembre 2009 et que le tribunal de première instance avait estimé que leurs déclarations étaient « hautement subjectives » (paragraphe 8 ci‑dessus).

21.  Eu égard à ces éléments, la Cour considère que l’omission du tribunal départemental d’entendre ces témoins avant de déclarer l’intéressé coupable a sensiblement réduit les droits de la défense (Destrehem c. France, no 56651/00, § 45, 18 mai 2004, Dan c. République de Moldova, n8999/07, §§ 31-35, 5 juillet 2011, et Lazu c. République de Moldova, n46182/08, §§ 36-44, 5 juillet 2016).

22.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

23.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

24.  Le requérant demande 10 151 lei roumains (RON, environ 2 120 euros (EUR)) au titre du dommage matériel qu’il estime avoir subi. Il expose que cette somme correspond aux montants qu’il dit avoir payés au titre de l’amende pénale, des dommages et intérêts et des frais et dépens dans la procédure judiciaire interne ainsi que dans la procédure d’exécution forcée. Il demande également 50 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.

25.  Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il considère que la somme réclamée est excessive et soutient que l’intéressé peut demander la réouverture de la procédure devant les tribunaux internes, ce qui pourrait constituer une réparation satisfaisante du préjudice allégué.

26.  La Cour note qu’en l’espèce la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié des garanties d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. En ce qui concerne le dommage matériel allégué, elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure aurait abouti si l’infraction à la Convention n’avait pas eu lieu (voir, mutatis mutandis, Alexe c. Roumanie, no 66522/09, § 48, 3 mai 2016). Il n’y a dès lors pas lieu d’accorder au requérant une indemnité pour dommage matériel.

27.  S’agissant de la demande formulée pour préjudice moral, malgré le fait que la Cour ne saurait certes spéculer sur ce qu’aurait été l’issue du procès si les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention avaient été respectées, elle estime toutefois qu’il n’est pas déraisonnable de penser que l’intéressé a subi un préjudice moral réel dans le cadre dudit procès (Alexe, précité, § 50). En conséquence, elle accorde au requérant à ce titre 1 500 EUR.

B.     Frais et dépens

28.  Le requérant demande également 3 200 RON (environ 670 EUR) pour les frais et dépens qu’il dit avoir engagés dans le cadre des procédures menées devant les juridictions internes et devant la Cour. À l’appui de sa demande, il présente des récépissés attestant le paiement d’honoraires d’avocat et de frais de traduction.

29  Le Gouvernement estime que les sommes sollicitées ne sont pas justifiées par des documents pertinents. En particulier, en ce qui concerne les honoraires d’avocat, il indique que l’avocat n’a pas produit de récapitulatif de ses heures de travail.

30.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant, tous frais confondus, la somme de 670 EUR.

C.    Intérêts moratoires

31.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

b)     1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

c)     670 EUR (six cent soixante-dix euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

d)    qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juin 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Ilse Freiwirth                                                                     Faris Vehabović
Greffière adjointe                                                                       Président


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