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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CERNICA AND NARTEA v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 2521/14 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Second Section Committee) French Text [2021] ECHR 1001 (30 November 2021)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/1001.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2021:1130JUD000252114, [2021] ECHR 1001, CE:ECHR:2021:1130JUD000252114

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE CERNICA ET NARTEA c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requêtes nos 2521/14 et 11831/14)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

30 novembre 2021

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Cernica et Nartea c. République de Moldova,


La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Carlo Ranzoni, président,

          Valeriu Griţco,

          Marko Bošnjak, juges,

et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu :


Les requêtes (no 2521/14 et no 11831/14) contre la République de Moldova et dont deux ressortissants de cet État, M. Ion Cernica (« le premier requérant »), né en 1962 et résidant à Sărătenii Vechi et Mme Galina Nartea (« la seconde requérante »), née en 1951 et résidant à Orhei, représentés par MMihail Bătrîncea, avocat à Orhei, ont saisi la Cour respectivement le 16 décembre 2013 et le 22 janvier 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


la décision partielle du 1er septembre 2015 de joindre les deux présentes requêtes aux requêtes nos 16000/10 et autres et de porter à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement »), représenté successivement par son agent ad interim Mme R. Revencu et son agent M. M. Gurin, les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus,


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 novembre 2021,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  Les requérants disposent de décisions de justice définitives ordonnant à une entreprise d’État le paiement de 1 720 EUR au premier requérant et 3 145 EUR à la seconde requérante à titre de dettes. Ces décisions étant restées non-exécutées pour des périodes allant de dix à quinze ans en raison de l’insolvabilité de l’entreprise, les requérants ont entamé des recours indemnitaires pour dépassement de la durée raisonnable. Dans le cas du premier requérant, les tribunaux saisis par son action sur le fond de la loi n87/2011 constatèrent la violation des droits du requérant et allouèrent un montant de 470 EUR au titre de dommage moral. Dans le cas de la seconde requérante, son action fût rejetée comme mal fondée. Les requérants se plaignent de la violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

I.         SUR LA JONCTION DES REQUÊTES


2.  Le 1er septembre 2015, la Cour avait décidé de joindre les deux présentes requêtes aux requêtes nos 16000/10 et autres (Ialtexgal Aurica S.A. c. République de Moldova et 60 autres requêtes (déc.), nos 16000/10 et autres, 1er septembre 2015). Elle estime cependant qu’il est nécessaire de disjoindre les présentes requêtes du groupe des requêtes en question.


3.  En même temps et compte tenu de la similitude des deux présentes requêtes, la Cour estime approprié de les examiner conjointement en un seul arrêt.

II.      SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION et de l’article 1 du PROTOCOLE No1


4.  À propos de l’exception formulée par le Gouvernement au sujet de la perte de la qualité de victimes des requérants, après examen de leurs recours indemnitaires au niveau interne, la Cour estime qu’elle se trouve étroitement liée à la substance des griefs des requérants et qu’il y a lieu de la joindre au fond (voir, parmi d’autres Botezatu c. République de Moldova, no 17899/08, § 18, 14 avril 2015).


5.  Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.


6.  Tout d’abord, la Cour estime nécessaire de trancher sur la question de savoir si l’État peut être tenu pour responsable pour les dettes de l’entreprise débitrice. Les critères applicables sont exposés dans les arrêts de la Cour, dont Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine (no 60642/08, §§ 114-115, 6 novembre 2012), Mikhaïlenki et autres c. Ukraine (nos 35091/02 et 9 autres, §§ 43-46, CEDH 2004‑XII) et Cooperativa Agricola Slobozia-Hanesei c. Moldova (no 39745/02, §§ 17-19, 3 avril 2007).


7.  Eu égard à la jurisprudence précitée, la Cour constate que la société débitrice était une entreprise fondée par le Gouvernement et dont la gestion des activités et du patrimoine était entièrement sous le contrôle des autorités de l’État. La Cour conclut que ces éléments suffisent à constater le caractère public de la société débitrice et que l’État doit être tenu responsable de ses dettes envers les requérants.


8.  La Cour observe ensuite que les requérants ont usé du recours indemnitaire interne introduit par la loi no 87/2011. Il lui appartient donc de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, du moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant (voir Cristea c. République de Moldova, no 35098/12, §25, 12 février 2019, Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 84, CEDH 2006‑V).


9.  Les principes applicables dans les affaires concernant le défaut d’exécution d’une créance contre l’État ont été résumés dans l’affaire Cooperativa Agricola Slobozia-Hanesei, précité, § 26, 3 avril 2007, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, §§ 65-70, CEDH 2009.


10.  La Cour considère qu’en l’espèce, les autorités de l’État n’ont pas pris les mesures appropriées pour faire exécuter les jugements rendus en faveur des requérants dans un délai raisonnable et que les requérants peuvent toujours se prétendre victimes de la violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Il y a donc lieu de rejeter l’exception du Gouvernement tirée de la perte de qualité de victimes des requérants.


11.  Partant, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 du de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


12.  À titre de dommage matériel, le premier requérant réclame un montant de 33 360 EUR et la seconde requérante 30 000 EUR. Tous deux fondent leurs prétentions sur l’évolution des prix de l’immobilier, or ils estiment que le montant de leur créance contre l’État leur aurait permis à l’époque d’acheter des logements, dont les prix actuels s’élèvent aux montants allégués. À titre de dommage moral, le premier requérant réclame 2 000 EUR et la seconde requérante réclame 10 000 EUR.


13.  Le Gouvernement conteste ces montants.


14.  La Cour ne distingue aucun lien de causalité entre les violations constatées et les montants des dommages matériaux allégués par les requérants. Toutefois, dans la mesure où les décisions en leur faveur n’ont toujours pas été exécutées, la Cour décide d’octroyer au titre de dommage matériel les montants correspondants aux créances non-exécutées, soit 1 720 EUR au premier requérant et 3 145 EUR à la seconde requérante.


15.  En ce qui concerne le dommage moral, la Cour se réfère aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir notamment Cristea, precité, § 58, Botezatu, précité, §§ 40-41) et octroie au premier requérant 2 000 EUR et à la seconde requérante 3 200 EUR, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.


16.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Décide de disjoindre les présentes requêtes des requêtes nos 16000/10 et autres ;

2.      Décide de joindre les deux présentes requêtes ;

3.      Déclare les requêtes recevables ;

4.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ;

5.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser à titre de dommage matériel, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 1 720 EUR (mille sept cent vingt euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, au premier requérant ;

ii. 3 145 EUR (trois mille cent quarante-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à la seconde requérante ;

b)     que l’État défendeur doit verser à titre de dommage moral, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, au premier requérant ;

ii. 3 200 EUR (trois mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à la seconde requérante ;

c)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 novembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 {signature_p_2}

   Hasan Bakırcı                                                                      Carlo Ranzoni
  Greffier adjoint                                                                         Président

 


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