[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (Italie)]
«Articles 43 CE, 49 CE et 56 CE Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime Réglementation nationale révoquant une concession relative à la réalisation de lignes ferroviaires à grande vitesse et limitant les droits d'indemnisation»
- La présente demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale del Lazio (Italie) a été introduite dans le cadre d'un litige opposant, d'une part, trois consortiums à savoir le Consorzio cepav due, le Consorzio COCIV et le Consorzio IRICAV DUE (ci'après respectivement «CEPAV DUE», «COCIV» et «IRICAV DUE») et, d'autre part, l'État italien en la personne de la Presidenza del Consiglio dei Ministri (présidence du Conseil des ministres) et du Ministero dei Trasporti e della Navigazione (ministère des Transports et de la Navigation), au sujet de l'annulation d'actes administratifs pris en exécution d'une réglementation nationale révoquant une concession relative à la réalisation de lignes d'un réseau ferroviaire à grande vitesse et limitant les droits d'indemnisation. Les intervenants au principal sont Rete Ferroviaria Italiana SpA (ci'après «RFI») et Treno Alta Velocità SpA (ci'après «TAV»).
- Le renvoi préjudiciel porte sur des problèmes découlant d'une situation dans laquelle des principes fondamentaux du droit communautaire dans le domaine de la passation des marchés publics ont été apparemment enfreints. Ces problèmes concernent notamment l'obligation et les possibilités pour un État membre de corriger par la suite les erreurs passées commises en matière de passation de marchés publics.
II Le cadre juridique
A Le droit communautaire
- L'article 43 CE dispose:
«Dans le cadre des dispositions visées ci'après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre sont interdites. [...]
La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et le gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»
- L'article 49, premier alinéa, CE, prévoit:
«Dans le cadre des dispositions visées ci'après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.»
- L'article 56, paragraphe 1, CE, énonce:
«Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.»
B La réglementation nationale
- L'article 12 du décret'loi n° 7 du 31 janvier 2007 (2) (ci'après le «décret'loi n° 7/2007»), converti dans une version modifiée en article 13 de la loi n° 40 du 2 avril 2007 (3), comporte notamment les dispositions suivantes:
«paragraphe 8'quinquiesdecies. Pour permettre que la réalisation du système à grande vitesse s'opère par des attributions et selon des modalités de concurrence conformes aux règles en vigueur du droit national et du droit communautaire, ainsi que dans des délais et des limites de dépenses qui soient compatibles avec les priorités et les programmes d'investissement des infrastructures ferroviaires, dans le respect [...] des engagements assumés par l'État vis'à 'vis de l'Union européenne quant à la réduction du déficit et de la dette publique:
a) il est procédé au retrait des concessions attribuées à TAV SpA par l'Ente Ferrovie dello Stato le 7 aoà»t 1991, dans la limite de la ligne Milan'Vérone et de la ligne complémentaire Vérone'Padoue, y compris les interconnexions y afférentes, et le 16 mars 1992 concernant la ligne Milan'Gênes, y compris les interconnexions y afférentes et leurs compléments et modifications ultérieurs;
b) est en outre retirée l'autorisation donnée au concessionnaire de la Rete Ferroviaria Italiana SpA [... quant à ] la poursuite du rapport conventionnel avec la société TAV SpA relatif [aux lignes à grande vitesse concernées].»
Selon le paragraphe 8'sexiesdecies de ce même article, les effets des retraits s'étendent à l'ensemble des rapports conventionnels établis dans ce contexte entre TAV et les entrepreneurs généraux.
Le paragraphe 8'septiesdecies prévoit qu'il est pourvu au remboursement, selon les prescriptions définies au paragraphe 8'duodevicies, des dépenses relatives aux projets qui font l'objet de la révocation, dans les limites des seuls coà»ts effectivement supportés.
Enfin, aux termes du paragraphe 8'duodevicies, «[l]e texte suivant est ajouté à l'article 21'quinquies de la loi n° 241, du 7 aoà»t 1990 [...]:
[...] Si le retrait d'un acte administratif aux effets durables ou instantanés produit des effets sur des rapports contractuels, l'indemnisation versée par l'administration aux intéressés s'effectue sur la base du seul critère du dommage subi et prend en considération l'éventuelle connaissance ou faculté de connaissance par les parties contractantes, du caractère contraire à l'intérêt public de l'acte administratif faisant l'objet d'un retrait, comme de l'éventuelle participation des parties contractantes ou d'autres sujets de droit à l'appréciation erronée de la compatibilité de cet acte avec l'intérêt public.»
III Les faits du litige au principal et la question préjudicielle
- Au début des années 1990, les autorités italiennes ont décidé de mettre en place un réseau ferroviaire à grande vitesse.
- Aux fins de la réalisation de ce réseau, un dispositif à plusieurs étapes a été élaboré: l'entreprise Ferrovie dello Stato (chemins de fer italiens, ci'après «FS») (4), en qualité de concessionnaire du Ministero dei Trasporti e della Navigazione, a confié, par concession du 7 aoà»t 1991 ainsi que par convention d'exécution du 24 septembre 1991, à la société TAV, créée par elle, la conception, la construction et l'exploitation économique du réseau ferroviaire à grande vitesse. Il ressort de la convention d'exécution du 24 septembre 1991 que la société concessionnaire TAV devait s'acquitter de ses obligations en ayant recours à des entrepreneurs généraux figurant parmi les principaux groupes industriels italiens ou entièrement garantis par ceux'ci (ci'après la «règle de concession de 1991»). Sur les trois grands groupes italiens désignés à cet effet, seul FIAT est intervenu lui'même en qualité d'entrepreneur général, tandis que les deux autres groupes ont agi comme garants pour les consortiums d'entrepreneurs généraux IRICAV UNO, IRICAV DUE, CEPAV UNO et CEPAV DUE. Le consortium COCIV a été désigné pour la réalisation d'une autre ligne. Enfin, les entrepreneurs généraux ont confié l'exécution des travaux à des entreprises adjudicataires.
- Ledit système présentait par conséquent des ordres de rapports qui s'articulaient de la manière suivante:
entre le Ministero dei Trasporti e della Navigazione et FS (par la suite RFI);
entre RFI et TAV;
entre TAV et les entrepreneurs généraux, et
entre les entrepreneurs généraux et les entreprises adjudicataires.
- La juridiction de renvoi expose que seul le premier de ces rapports se caractérisait par une nature de droit public et a fait l'objet d'une concession. Le deuxième rapport qui présentait à l'origine également les caractéristiques d'une concession a pris, à la suite de la privatisation de FS, une nature contractuelle de droit privé. Les autres rapports étaient dès l'origine des contrats.
- La concession attribuée par FS à TAV portait sur six lignes à grande vitesse à réaliser en priorité ainsi que sur une autre ligne à construire le cas échéant. Entre'temps, l'entreprise RFI est entre autres issue de FS (5).
- En 2000, les autorités italiennes ont retiré par voie législative, en ce qui concerne certaines des lignes ferroviaires prévues, les concessions attribuées à TAV. Ce retrait a été abrogé en 2002 par une loi ultérieure. La Commission européenne a alors adressé à la République italienne une lettre de mise en demeure, la disposition réservant l'attribution des concessions à des entreprises italiennes étant jugée contraire aux articles 43 CE et 49 CE. La procédure d'infraction a été par la suite suspendue après que plusieurs modifications ont été apportées aux dispositions déterminant la répartition des travaux à exécuter (6).
- Par l'article 12 du décret-loi n° 7/2007, il a été prévu de procéder au retrait de la concession pour les lignes Milan'Vérone, Milan'Gênes et Verone'Padoue attribuées en 1991/1992 et non encore réalisées. Cela concerne les demanderesses au principal étant donné que l'autorisation qui avait été délivrée à RFI par le Ministero dei Trasporti e della Navigazione pour la poursuite du rapport conventionnel avec TAV relatif aux lignes ferroviaires à grande vitesse en cause a été en même temps retirée et que les effets de ce retrait s'étendent à l'ensemble des rapports conventionnels existant dans ce contexte entre TAV et les entrepreneurs généraux. Il résulte de l'article 12 du décret'loi n° 7/2007 que les prestations fournies par les demanderesses au principal sont remboursées dans les limites des seuls coà»ts effectivement supportés, à l'exclusion d'une indemnisation du manque à gagner.
- Dans le litige devant la juridiction de renvoi afférent à cette situation, les trois demanderesses au principal ont demandé l'annulation de ces dispositions en faisant valoir qu'elles sont contraires aux article 43 CE, 49 CE et 56 CE ainsi qu'aux principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Dans ces conditions, elles ont proposé qu'une demande de décision préjudicielle soit introduite.
- Par ordonnance du 23 mai 2007, le Tribunale amministrativo del Lazio (Italie) a posé à la Cour la question suivante:
Les dispositions de l'article 12 du décret'loi n° 7 du 31 janvier 2007, converti dans une version modifiée en article 13 de la loi n° 40 du 2 avril 2007, en ce qu'elles procèdent au retrait des concessions relatives à la réalisation des lignes ferroviaires de grande vitesse indiquées, en étendant les effets de ce retrait aux conventions conclues avec les entrepreneurs généraux, et en ce qu'elles limitent l'indemnisation admissible en faveur de ces derniers selon les dispositions du paragraphe 8'duodevicies, sont'elles contraires aux dispositions des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE ainsi qu'aux principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime?
- Selon la juridiction de renvoi, il est douteux que l'article 12 du décret'loi n° 7/2007, prévoyant le retrait des concessions, satisfasse aux conditions énoncées par la jurisprudence communautaire.
- Cette juridiction estime que la disposition nationale en cause est discriminatoire dès lors qu'elle s'applique de manière manifestement sélective à certains seulement des sujets de droit titulaires de rapports contractuels pour la réalisation de travaux publics, soit plus particulièrement les entrepreneurs généraux chargés de l'exécution des lignes ferroviaires précédemment indiquées. Ladite disposition n'énonce pas non plus de raisons claires et précises d'intérêt public étayant la révocation des concessions et la caducité qui en découle des conventions conclues avec ces mêmes entrepreneurs généraux, mais n'évoque que d'hypothétiques raisons de convenance économique. En outre, la disposition en question ne fournit aucune garantie du caractère approprié de la mesure législative en cause pour atteindre l'objectif poursuivi. En effet, la réduction des dépenses ne serait pas démontrée et il semblerait au contraire qu'un allongement des délais de réalisation soit la conséquence inévitable. La juridiction de renvoi relève enfin qu'aucun lien étroit n'est mis en évidence entre les moyens utilisés et l'objectif poursuivi, de sorte qu'il n'est pas certain que les moyens mis en œvre soient proportionnés à l'objectif à atteindre.
IV La procédure devant la Cour
- L'ordonnance de renvoi a été déposée au greffe de la Cour le 30 juillet 2007.
- Dans sa décision de renvoi, le Tribunale amministrativo del Lazio a demandé que le renvoi préjudiciel soit soumis à une procédure accélérée, en application de l'article 104 bis, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour. Le président de la Cour a rejeté cette demande par ordonnance du 19 octobre 2007.
- CEPAV DUE, COCIV et IRICAV DUE, RFI et TAV, la République italienne ainsi que la Commission ont présenté des observations dans le délai prévu à l'article 23 du règlement de procédure de la Cour.
- Après la clôture de la procédure écrite, une audience a eu lieu le 11 juin 2008, à laquelle CEPAV DUE, COCIV et IRICAV DUE, RFI et TAV, le gouvernement italien ainsi que la Commission ont participé en présentant leurs observations orales.
V Les principaux arguments des parties
- CEPAV DUE, COCIV et IRICAV DUE font valoir que les attributions faites en 1991 et en 1992, c'est'à 'dire avant l'expiration du délai de transposition de la directive 90/531/CEE (7), aux fins de la réalisation du réseau ferroviaire à grande vitesse en Italie l'ont été dans le plein respect du droit communautaire. Toutefois, les trois consortiums parties au principal seraient à présent concernés par une discrimination interdite en vertu des articles 43 CE et 49 CE, puisque la révocation des conventions en cause ne les frappe qu'eux seuls et pas d'autres opérateurs du secteur. à cet égard, il conviendrait de considérer que les articles 43 CE, 49 CE et 56 CE s'appliquent même lorsque les entreprises concernées sont situées dans un seul et même État membre. Ne serait'ce qu'en raison de l'importance que revêt le réseau ferroviaire européen à grande vitesse, on ne saurait considérer qu'il ne s'agit en l'espèce que d'une situation interne, limitée au droit national.
- Selon lesdits consortiums, la réduction de l'indemnisation éventuelle au préjudice effectivement subi, à l'exclusion du manque à gagner (8), enfreint en outre les principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Sur le fondement des conventions conclues, qui couvrent ce que TAV contesterait à tort non seulement la conception mais également la réalisation de la ligne en question, ils auraient acquis une confiance légitime dans la possibilité de pouvoir profiter des avantages prévus dans la convention initiale. Cette confiance aurait été encore renforcée lorsque d'autres entreprises participant à la réalisation du réseau global ont pu poursuivre, après achèvement de la phase de conception et conclusion d'un acte complémentaire avec TAV, en passant à la phase de réalisation. S'agissant des lignes en cause, les consortiums concernés en l'espèce auraient en partie avancé au point de pouvoir conclure avec TAV cet acte complémentaire. Un accord aurait déjà été partiellement trouvé quant au texte de l'acte complémentaire.
- Les consortiums relèvent en outre que la passation réalisée à l'époque sans appel d'offres n'est conforme à la réglementation communautaire que si l'attribution globale a effectivement eu lieu en 1991, avant l'expiration du délai de transposition de la directive 90/531. Cet élément aurait également conforté la confiance acquise quant au maintien des conventions existantes. Il conviendrait enfin de signaler la confiance qui s'est créée du fait de la longue durée des conventions et plus particulièrement après l'abrogation du retrait des concessions en 2002.
- Finalement, cette confiance aurait été encore affermie par la suspension de la procédure d'infraction par la Commission européenne. Dans la perspective de cette suspension, une réunion se serait tenue le 28 juillet 2004 entre les trois consortiums parties au principal, TAV et les ministères italiens compétents; au cours de cette réunion, il aurait été annoncé que la Commission ne donnerait pas de suites à la procédure d'infraction si la proportion de marchés passés avec des tiers par adjudication sur avis de marché était portée des 40 % prévus jusqu'alors à un seuil supérieur à 50 %. Les trois consortiums concernés auraient ensuite consenti à augmenter cette proportion jusqu'à 60 %. Seuls les trois consortiums se seraient vu demander à l'époque cet engagement, car, s'agissant des lignes qui se trouvaient déjà dans la phase de réalisation, il aurait été trop tard pour faire une telle concession supplémentaire.
- De tous ces éléments, il ressortirait donc clairement que TAV n'a nullement enfreint la directive 90/531 lors de l'attribution faite aux consortiums concernés.
- Le retrait de la concession lié à l'article 12 du décret'loi n° 7/2007 ne saurait par conséquent pas être justifié au regard du droit communautaire. Les autres motifs de ce retrait avancés par le législateur, tels que la réduction des délais de réalisation et des coà»ts, seraient erronés et, ne serait'ce que pour cette raison, ils seraient donc impropres à justifier cette disposition législative. En outre, ils seraient tous dictés par des considérations d'opportunité économique et ne correspondraient donc pas à des raisons impérieuses d'intérêt général, seules susceptibles de constituer une justification. Par ailleurs, les mesures ne seraient ni propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi ni proportionnées.
- L'ensemble de ces éléments entraînerait une situation d'incertitude absolue quant aux rapports contractuels formés avec les pouvoirs publics italiens. Il s'ensuivrait qu'une participation d'entreprises, et plus particulièrement de celles d'autres États membres, à des appels d'offres pour des marchés publics en Italie serait non seulement moins attrayante, mais également peu attirante. Une telle situation ne serait pas compatible avec les articles 43 CE, 49 CE et 56 CE. Elle entraverait la liberté d'établissement et la libre prestation de services ainsi que la libre circulation des capitaux. Cette dernière serait notamment restreinte de façon injustifiée dans la mesure où les autorités publiques italiennes constituent un cocontractant aussi inconstant qu'en l'espèce et que les prises de participation, en provenance d'autres États membres, dans le capital d'entreprises en Italie, qui opèrent dans le secteur des marchés publics, perdraient de leur attrait. Une telle perte de l'attrait à exercer ses activités en tant qu'entreprise en Italie dans le secteur des marchés publics serait également contraire à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services.
- RFI et TAV font observer, à titre liminaire, que la réalisation d'un réseau ferroviaire européen à grande vitesse constitue une des priorités de la politique commune des transports.
- Selon RFI et TAV, la question préjudicielle est irrecevable en tout ou en partie, notamment parce que tous les éléments essentiels du litige au principal se situent à l'intérieur d'un même État membre. En outre, en ce qui concerne la pertinence de l'article 56 CE, la juridiction nationale aurait exposé de manière insuffisante le cadre factuel et juridique de la saisine de la Cour.
- à titre subsidiaire, RFI et TAV font valoir que les dispositions nationales litigieuses n'ont fait qu'abroger le régime discriminatoire antérieur. Ils notent que ce régime était incompatible avec le droit communautaire en ce qu'il prévoyait l'attribution des marchés à des entreprises exclusivement nationales, en dehors de toute procédure garantissant la transparence et l'égalité des chances aux autres opérateurs communautaires. Les dispositions nationales en cause en l'espèce ne comporteraient aucune violation des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE. Bien au contraire, elles assureraient le respect de ces articles dans la mesure où, pour les tronçons du réseau ferroviaire italien à grande vitesse dont les travaux de réalisation n'auraient pas encore commencé, elles mettraient fin à l'ancienne attribution pour soumettre désormais les projets à une procédure de passation conforme au droit communautaire.
- RFI et TAV considèrent que, pour autant qu'une justification s'impose, les dispositions nationales en cause sont justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général. Ils observent que le réseau ferroviaire italien à grande vitesse, qui fait partie intégrante de la politique des réseaux transeuropéens au sens des articles 3, paragraphe 1, sous o), CE et 154 CE et suivants, doit être achevé aussi rapidement que possible. L'attribution directe du projet qui a été opérée en 1991 en dehors de toute procédure transparente, puis confirmée en 2002, ne constituerait pas la meilleure solution pour réaliser le projet. à cet égard, il serait apparu nécessaire de mettre un terme aux rapports contractuels formés en 1991, dans la mesure où ils n'avaient débouché sur rien, en mettant ainsi fin à une longue série de difficultés et à l'inertie auxquelles se serait heurtée la réalisation en Italie de ce projet d'infrastructure fondamental.
- Pour ce qui concerne les principes du droit communautaire tels que la sécurité juridique et la protection de la confiance légitime, selon la jurisprudence de la Cour, ces principes ne sauraient être invoqués pour justifier le maintien de pratiques contraires au droit communautaire. Il ne serait d'ailleurs pas exact que les consortiums concernés, dont on pouvait s'attendre à ce qu'ils se comportent en opérateurs économiques prudents et avisés, aient pu compter, dans la situation nationale en question, sur le maintien des rapports contractuels.
- Le gouvernement italien tient la question préjudicielle pour irrecevable dans la mesure où, premièrement, la juridiction de renvoi ne précise pas le lien entre les dispositions communautaires visées dans la question préjudicielle et les dispositions nationales en cause dans le litige au principal, deuxièmement, cette juridiction méconnaît que les dispositions nationales en question concernent une situation purement interne à l'État membre et, troisièmement, la Cour de justice n'est pas compétente pour apprécier la proportionnalité des mesures nationales en cause au principal.
- La Commission estime que la Cour de justice n'est pas compétente en l'espèce pour répondre à la question préjudicielle, puisque l'objet du litige concerne une affaire purement interne à un État membre et ne présente aucun élément de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par les dispositions du traité. La révocation des contrats initialement attribués serait une situation qui n'affecte et n'est susceptible d'affecter, vu la règle d'attribution exclusive établie à l'époque, que des entreprises italiennes. Selon la Commission, la légalité de l'attribution faite à cette époque est une question distincte à traiter séparément. En outre, la juridiction de renvoi ne préciserait pas en quoi les dispositions du traité auxquelles elle fait référence seraient pertinentes. S'agissant des principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, la Commission souligne que ces principes ne trouvent à s'appliquer que pour ce qui relève du champ d'application du droit communautaire.
VI Appréciation juridique
A Sur la recevabilité de la question posée à la Cour
- CEPAV DUE, COCIV et IRICAV DUE, le gouvernement italien et la Commission considèrent tous que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable, étant donné que le litige à l'origine de cette demande porte sur une situation purement interne à un État membre dont la solution relève du seul droit national. Ils estiment que le droit communautaire ne s'applique pas en l'espèce.
- Dans ce contexte, il convient d'analyser par étapes progressives la question préjudicielle quant à sa recevabilité.
- à cet égard, rappelons que, dans le cadre de la coopération entre la Cour de justice et les juridictions nationales telle que prévue à l'article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire pendante devant lui, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour (9).
- Dès lors que les questions posées par les juridictions nationales portent sur l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, la Cour est donc, en principe, tenue de statuer, à moins qu'il ne soit manifeste que la demande de décision préjudicielle tend, en réalité, à l'amener à statuer au moyen d'un litige construit ou à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, que l'interprétation du droit communautaire demandée n'ait aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige, ou encore que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (10).
- Dans un premier stade de l'analyse de la question déférée en l'espèce, il convient de souligner que, dans le cadre d'une procédure préjudicielle, il n'appartient pas à la Cour de dire si des dispositions nationales sont contraires au droit communautaire. Par conséquent, la Cour n'est pas compétente pour répondre à la question dans la formulation qui lui a été soumise. Afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, la Cour peut cependant reformuler la question.
- Les termes de la question peuvent être reformulés en ce sens que la juridiction de renvoi souhaite savoir si une réglementation nationale telle que celle en cause, en ce qu'elle procède au retrait des concessions relatives à la réalisation des lignes ferroviaires à grande vitesse, en étendant les effets de ce retrait aux conventions conclues avec les entrepreneurs généraux, et en ce qu'elle limite l'indemnisation admissible en faveur de ces derniers, est compatible avec les dispositions des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE ainsi qu'avec les principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
- Ainsi formulée, la question porte sur l'interprétation de droit communautaire et il y a donc lieu d'y répondre dans le cadre de la procédure prévue à l'article 234 CE, à moins que l'une des circonstances énoncées au point 39 des présentes conclusions ne s'y oppose, ce qui ne semble pas être le cas en l'espèce. La critique, émise dans certaines des observations, selon laquelle la Cour ne disposerait pas d'éléments de fait ou de droit suffisants pour répondre de façon utile à la question qui lui a été posée, ne peut certes pas être totalement écartée en ce qui concerne l'article 56 CE. Toutefois, cela n'emporte pas l'irrecevabilité de la question, puisque, tout bien considéré, suffisamment d'indications sont en tout cas disponibles pour permettre une réponse en ce qui concerne les articles 43 CE et 49 CE et que certains éléments se dégagent également concernant l'article 56 CE, comme nous le verrons plus loin.
- Par ailleurs, l'appréciation au fond visant à savoir si des mesures nationales telles que celles en cause en l'espèce relèvent respectivement des dispositions communautaires en question est un problème d'interprétation du droit communautaire et non pas un problème de recevabilité de la demande. Ce n'est dès lors que dans le cadre de cette interprétation qu'il sera possible de déterminer si l'on se trouve en présence d'une situation devant être considérée comme «purement interne».
B Sur la question préjudicielle
- La question reformulée au point 41 des présentes conclusions, visant à savoir si une réglementation nationale telle que celle en cause, en ce qu'elle procède au retrait des concessions relatives à la réalisation de lignes ferroviaires à grande vitesse, en étendant les effets de ce retrait aux conventions conclues avec les entrepreneurs généraux, et en ce qu'elle limite l'indemnisation admissible en faveur de ces derniers, est compatible avec les dispositions des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE ainsi qu'avec les principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comporte deux branches que nous aborderons séparément.
1. Sur la première branche de la question préjudicielle
- La première branche de la question préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE ainsi que des principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime sous l'angle de la compatibilité, à cet égard, d'une disposition nationale qui procède au retrait des concessions relatives à la réalisation de lignes ferroviaires à grande vitesse, en étendant les effets de ce retrait aux conventions conclues avec les entrepreneurs généraux.
a) La portée de la première branche de la question préjudicielle
- S'agissant du contexte, il convient de rappeler que la Communauté favorise l'interconnexion et l'interopérabilité des réseaux nationaux de trains à grande vitesse, comme le confirme notamment la directive 96/48/CE du Conseil relative à l'interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen à grande vitesse (11) ou la refonte de cette directive par la directive 2008/57/CE du Parlement européen et du Conseil relative à l'interopérabilité du système ferroviaire au sein de la Communauté (12).
- En vue d'apporter une réponse utile à la question préjudicielle, l'examen de la Cour ne saurait se limiter à prendre en considération une disposition nationale telle que celle, expressément visée par la juridiction de renvoi, de l'article 12 du décret'loi n° 7/2007 qui a procédé au retrait des concessions en cause relatives à la réalisation des lignes ferroviaires à grande vitesse. Au contraire, une vision complète des choses suppose nécessairement d'y inclure aussi la situation dont la révocation est en cause.
- En revanche, la perspective telle qu'elle a été esquissée par la juridiction de renvoi et telle que l'ont retenue également les consortiums parties au principal et même la Commission (13) ne fait qu'effleurer le litige au principal, puisqu'il n'est pas tenu compte de la situation de départ dont la suppression est présentement en discussion. Une telle approche nous semble erronée.
- Au regard de la situation d'ensemble, il convient notamment de prendre en considération que, selon les faits, dans le cadre de l'attribution en vue de la mise en place du réseau ferroviaire à grande vitesse, les autorités nationales ont arrêté un régime en vertu duquel le concessionnaire TAV devait s'acquitter de ses obligations en ayant recours aux services d'entrepreneurs généraux figurant parmi les principaux groupes industriels italiens ou entièrement garantis par ceux'ci. Cette règle de concession datant de 1991 doit être prise en considération.
- Or, cette prise en compte du tableau complet implique inéluctablement, eu égard à la formulation de la question préjudicielle évoquant la «compatibilité» de la résiliation en cause, que se pose en outre la question de la «nécessité» d'une telle résiliation. Il ne ressort pas clairement de la décision de renvoi si la juridiction nationale a également voulu inclure cet aspect que RFI et TAV ont abordé devant la Cour.
- à cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l'article 234 CE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause relève de la compétence de la juridiction nationale. Toutefois, afin de donner à celle'ci une réponse utile, la Cour peut, dans un esprit de coopération avec les juridictions nationales, lui fournir toutes les indications qu'elle juge nécessaires (14). En l'espèce, cela implique qu'une réponse utile devrait tenir compte tant des aspects relatifs à la «compatibilité» que de ceux afférents à la «nécessité».
b) Éclaircissements quant au droit communautaire applicable
- Il convient en outre de préciser quelles dispositions communautaires sont applicables.
- Indépendamment du point de savoir si la situation de passation de l'époque pouvait être qualifiée d'attribution d'une concession de services ou d'attribution d'un marché de services point qu'il appartient au juge national d'apprécier (15) ?, en l'espèce, il y a lieu en tout état de cause d'interpréter le droit communautaire primaire. Dans la mesure où il s'est agi de la passation d'une concession de services ? hypothèse qui a été retenue par le juridiction de renvoi c'est le droit primaire qui s'applique en l'absence de droit dérivé (16). Dans l'hypothèse où il s'est agi de la passation d'un marché de services dans le secteur des transports, le droit primaire s'applique également, ne serait'ce que du fait de l'inapplicabilité ratione temporis du droit dérivé existant en la matière (17). Enfin, il y a lieu de relever qu'une disposition nationale telle que celle du litige au principal doit, même si la situation caractérisée par une structure relationnelle complexe comportant des sous'traitances ? n'est pas en partie de nature à relever du droit des marchés publics, en tout état de cause être appréciée à l'aune du droit primaire. En effet, même en dehors du droit des marchés publics, un État membre ne peut bien entendu pas porter atteinte de façon discriminatoire aux dispositions du droit primaire.
- Outre l'article 12 CE, les obligations découlant tant de la liberté d'établissement garantie par l'article 43 CE que celles découlant de la libre prestation de services garantie par l'article 49 CE peuvent, en principe, être affectées par une disposition du droit national qui régit une situation telle que celle visée en l'espèce en excluant des entreprises ou des groupes d'entreprises étrangers, y compris ceux d'autres États membres de l'Union européenne, de façon protectionniste au profit d'entreprises ou de groupes d'entreprises nationaux. En effet, une telle disposition écarte de la réalisation du réseau ferroviaire à grande vitesse en Italie des entreprises et des groupes d'entreprises d'autres États membres qui sinon pourraient y participer dans l'exercice de ces trois libertés. Théoriquement, cela peut également affecter, selon le cas de figure, le principe de la libre circulation des capitaux énoncé à l'article 56, paragraphe 1, CE, puisqu'il n'est pas à exclure que des prises de participation au capital soient également concernées par une telle exclusion. En l'espèce, nous limiterons cependant la discussion aux articles 43 CE et 49 CE qui, à l'évidence, sont principalement concernés.
c) Interprétation du droit primaire applicable
- Les articles 43 CE et 49 CE prévoient, ainsi qu'il ressort explicitement du texte de ces dispositions, une interdiction des restrictions qui vise tant les restrictions discriminatoires que les restrictions non'discriminatoires (18). En tant qu'interdiction des discriminations, ils proscrivent toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la nationalité (19).
- Il n'y a pas lieu en l'espèce d'examiner plus en détail l'interdiction des restrictions aux libertés fondamentales, y compris la justification de telles restrictions dans certaines conditions (20). De toute évidence, du fait de l'obligation de recourir à des entreprises italiennes et de l'exclusion qui en résulte d'entreprises d'autres États membres, nous sommes en présence d'une situation à caractère directement discriminatoire, qui prévoit une différence de traitement pour les entreprises et groupes d'entreprises nationaux et étrangers, fondée par conséquent sur la nationalité. Selon la jurisprudence, une telle situation ne peut être compatible avec le droit communautaire que si elle relève d'une disposition dérogatoire expresse, tel l'article 46 CE (21) relatif aux régimes spéciaux justifiés par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (22). Or, étant donné qu'un régime de cette nature n'a pas été exposé et ne peut pas même être discerné en l'espèce, il y a lieu de considérer qu'il s'agit en l'occurrence d'une discrimination directe qui est incompatible avec le traité CE.
- La circonstance que, le cas échéant, il y ait eu également en partie dès le début ou par la suite des apports de capitaux étrangers, n'est pas de nature à modifier cette conclusion. En effet, quelle que soit l'efficacité de la règle de concession de 1991, ce qui importe c'est l'intention dans laquelle cette règle a été introduite par le gouvernement (23). En l'espèce, le but protectionniste ressort clairement du libellé de cette règle.
- En pareil cas, un État membre est toujours tenu de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin immédiatement à la discrimination. En particulier, l'article 10 CE impose à toutes les autorités des États membres l'obligation d'assurer le respect des règles du droit communautaire dans le cadre de leurs compétences (24). Cela inclut également l'obligation de rétablir une situation conforme au droit communautaire.
- Par conséquent, l'accent est mis sur les deux perspectives tant de la «compatibilité» que de la «nécessité» que nous évoquions au début. Dans une situation telle que celle qui nous occupe en l'espèce, les mesures qui rétablissent une situation conforme au droit communautaire sont non seulement compatibles avec le droit communautaire, mais également exigées par celui'ci.
d) Les principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime
- Nous examinerons ci'après la portée des principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, qui ont été évoqués dans la question préjudicielle, par rapport à l'élimination d'un manquement dans une situation telle que celle de l'espèce.
- Ainsi que nous l'avons déjà exposé dans nos conclusions présentées dans l'affaire Commission/Allemagne (C-503/04) (25), selon une jurisprudence constante, un État membre doit prendre toutes les mesures nécessaires à l'élimination d'un manquement sans pouvoir y opposer aucun obstacle. En particulier, d'après une jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait se prévaloir de problèmes internes dans la mise en œvre et la transposition d'une norme communautaire. Il en va de même pour les dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique (26).
- Cela vaut également pour les litiges que peut susciter, en ce qui concerne les cocontractants, l'annulation de contrats conclus en violation du droit communautaire (27). Dans l'arrêt Commission/Allemagne (C-503/04), la Cour a clairement indiqué qu'un État membre ne saurait échapper à sa propre responsabilité en droit communautaire en se prévalant des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, du principe pacta sunt servanda ainsi que du droit de propriété, à supposer même que le pouvoir adjudicateur puisse se voir opposer ces principes et ce droit par ses cocontractants en cas de résiliation du contrat (28).
- Le droit communautaire ne spécifie pas les modalités suivant lesquelles il y a lieu de faire cesser ou de corriger la situation contraire au droit communautaire. En particulier, la jurisprudence de la Cour en matière de manquement dans le domaine de la passation de marchés publics ne fournit jusqu'à présent aucun précédent qui mette en évidence des critères pour résoudre une telle situation triangulaire contraire au droit communautaire.
- Des lignes directrices transposables en vue de la résolution conforme au droit communautaire d'une situation triangulaire de cette nature peuvent cependant être tirées de la jurisprudence de la Cour en matière de récupération d'aides par les États membres, puisque la situation de l'indispensable correction d'un comportement contraire au droit communautaire ayant existé ou ayant commencé dans le passé est comparable.
- Il résulte de la jurisprudence relative à la récupération d'aides que, en l'absence de dispositions communautaires précises, la nécessaire correction doit avoir lieu selon les dispositions du droit national, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire (29). Cela implique que les modalités prévues par le droit national ne peuvent aboutir à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile la mise en œvre de la réglementation communautaire. L'application de la législation nationale doit se faire d'une façon non discriminatoire par rapport aux procédures visant à trancher des litiges nationaux du même type (30).
- Dans ce contexte, il n'est pas considéré comme contraire au droit communautaire que le droit national prenne également en considération les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, étant donné que ces derniers font partie de l'ordre juridique communautaire. Toutefois, l'intérêt de la Communauté, consistant ici en l'existence d'une situation de marché non discriminatoire, doit être pleinement pris en considération lors de l'appréciation des intérêts en cause (31).
- Il ressort de la jurisprudence que ce n'est qu'à la condition que le bénéficiaire d'une mesure ait été de bonne foi quant à la régularité de celle'ci qu'il est en mesure d'en contester la rectification qui le prive des avantages dont il jouissait jusque-là (32).
- à cet égard, il y a lieu également de rappeler que l'interprétation que, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 234 CE, la Cour donne d'une règle du droit communautaire éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle telle qu'elle doit ou aurait dà» être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur. En d'autres termes, un arrêt préjudiciel a une valeur non pas constitutive, mais purement déclarative, avec la conséquence que ses effets remontent, en principe, à la date de l'entrée en vigueur de la règle interprétée (33).
- Il incombe à la juridiction nationale d'apprécier en détail les mesures nationales de correction d'une situation contraire au droit communautaire, dont il s'agit en l'espèce. Toutefois, à cet effet, la Cour peut, dans un esprit de coopération constructive, fournir des éléments qui résultent de l'interprétation du droit communautaire. Dans des circonstances telles que celles de l'espèce, il paraît utile d'indiquer que l'on ne saurait considérer que ladite bonne foi puisse exister en présence d'une disposition manifestement et directement discriminatoire telle celle imposant l'obligation de recourir à des entreprises italiennes et impliquant de ce fait l'exclusion des entreprises d'autres États membres. Il nous semble que des arguments tels que ceux avancés par les consortiums parties au principal en ce qui concerne la confiance légitime, tirés du fait que des événements ultérieurs seraient venus conforter ou confirmer la prétendue confiance dans les conventions existantes, ne peuvent pas non plus, en principe, emporter la conviction. Ni l'un de ces évènements postérieurs ni la longue durée de la relation contractuelle y compris la circonstance du retrait d'une interruption de cette relation ne sont en effet de nature à effacer le fait de savoir que l'on profite d'une situation discriminatoire. Même la suspension d'une procédure d'infraction par la Commission européenne, aussi incompréhensible qu'elle puisse être, n'est pas de nature à faire disparaître cette conscience de la situation. En particulier, compte tenu de la jurisprudence selon laquelle la Commission n'est pas tenue d'engager ou de mettre en œvre une procédure d'infraction (34), le fait qu'une procédure ouverte n'a pas été poursuivie ne permet pas de conclure qu'une situation telle que celle décrite en l'espèce soit conforme au droit communautaire.
- En conséquence, il y a lieu de répondre à la première branche de la question préjudicielle que les dispositions des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE ne s'opposent pas en principe à une réglementation nationale telle que celle en cause, en ce qu'elle procède au retrait des concessions relatives à la réalisation des lignes ferroviaires à grande vitesse, en étendant les effets de ce retrait aux conventions conclues avec les entrepreneurs généraux. En revanche, ces dispositions du traité, en combinaison avec l'article 10 CE, exigent la cessation et la rectification immédiates d'une attribution de marché dans la mesure où elle enfreint ces règles du traité. En l'absence de dispositions communautaires précises, la nécessaire correction doit avoir lieu selon les dispositions du droit national, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire.
2. Sur la deuxième branche de la question préjudicielle
- Par la deuxième branche de la question, la juridiction de renvoi souhaite savoir si une réglementation nationale telle que celle en cause, en ce qu'elle limite l'indemnisation admissible en faveur desdits entrepreneurs généraux, est compatible avec les dispositions des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE ainsi qu'avec les principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
- à cet égard, il faut constater que les questions relatives à une indemnisation éventuelle relèvent du domaine des mesures, évoquées au point 65 ci'dessus, visant à corriger le comportement contraire au droit communautaire, correction qui, dans les cas tels que celui de l'espèce, doit avoir lieu en application des dispositions du droit national. Par ailleurs, dans une telle situation, nous ne voyons aucun lien avec une infraction éventuelle aux articles 43 CE, 49 CE et 56 CE. L'argument avancé par les parties demanderesses au principal, selon lequel c'est elles seules et aucun autre opérateur économique qui seraient concernées par la révocation des conventions en question, ne fait apparaître aucun lien de rattachement au droit communautaire. En outre, les principes communautaires de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime trouvent à s'appliquer non pas de façon autonome, mais seulement à condition qu'une réglementation nationale relève du champ d'application du droit communautaire. Or, eu égard aux considérations qui précèdent, le régime national d'indemnisation en cause ne tombe pas dans le domaine d'application du droit communautaire.
- Nous rappelons qu'il appartient à la juridiction nationale d'apprécier en détail les mesures nationales de correction d'une situation contraire au droit communautaire, dont il s'agit en l'espèce (35). Cela inclut la question des modalités d'une indemnisation éventuelle qui, en l'absence de dispositions communautaires précises, doit également avoir lieu selon les dispositions pertinentes du droit national, en prenant pleinement en considération l'intérêt de la Communauté. à ce propos, nous renvoyons à ce qui a été exposé aux points 69 et 70 ci'dessus.
- En conséquence, il convient de répondre à la seconde branche de la question préjudicielle que les modalités d'une indemnisation éventuelle doivent, en l'absence de dispositions communautaires, être appréciées selon les dispositions du droit national, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire.
VII Conclusion
- Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Tribunale amministrativo regionale del Lazio:
Les dispositions des articles 43 CE, 49 CE et 56 CE ne s'opposent pas en principe à une réglementation nationale telle que celle en cause, en ce qu'elle procède au retrait des concessions relatives à la réalisation des lignes ferroviaires à grande vitesse, en étendant les effets de ce retrait aux conventions conclues avec les entrepreneurs généraux. En revanche, ces dispositions du traité, en combinaison avec l'article 10 CE, exigent la cessation et la rectification immédiates d'une attribution de marché dans la mesure où elle enfreint ces règles du traité. En l'absence de dispositions communautaires précises, la nécessaire correction, y compris l'appréciation des modalités d'une indemnisation éventuelle, doit avoir lieu selon les dispositions du droit national, sous réserve des limites qu'impose le droit communautaire.
1 Langue originale: l'allemand.
2 GURI n° 26, du 1er février 2007.
3 GURI n° 77, du 2 avril 2007, supplément ordinaire n° 91.
4 L'entreprise nationale a été démembrée en 2000. Il en est résulté entre autres la partie intervenante RFI chargée de gérer l'infrastructure du groupe FS.
5 Voir également note 4 ci'dessus.
6 La juridiction de renvoi rappelle que la Commission avait du reste relevé dès l'époque où elle a formulé ses griefs que l'attribution des marchés en cause, intervenue à une date antérieure à la date de l'applicabilité en Italie de la directive 90/531/CEE, n'était pas soumise aux règles de cette directive.
7 Le délai de transposition de la directive 90/531/CEE du Conseil, du 17 septembre 1990, relative aux procédures de passation des marchés dans le secteur de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 297, p. 1), a expiré le 1er juillet 1992.
8 CEPAV DUE, COCIV et IRICAV DUE relèvent en outre que l'indemnisation ainsi limitée pourra être encore réduite en vertu d'une autre disposition légale sous certaines conditions relatives à la connaissance, lors de la passation de marchés, d'atteintes à l'intérêt public.
9 Arrêt du 29 janvier 2008, Promusicae (C-275/06, non encore publié au Recueil, point 36 et jurisprudence citée).
10 Arrêt Promusicae (précité à la note 9, point 37 et jurisprudence citée). Une distinction doit être faite à cet égard entre les conditions de fond et de forme de la recevabilité; voir Schwarze, EU'Kommentar, article 234 CE, points 29 et suivants.
11 Directive 96/48/CE du Conseil, du 23 juillet 1996, relative à l'interopérabilité du système ferroviaire transeuropéen à grande vitesse (JO L 235, p. 6).
12 Directive 2008/57/CE du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, relative à l'interopérabilité du système ferroviaire au sein de la Communauté (JO L 191, p.1).
13 à l'audience, en réponse à des questions qui lui ont été posées, le Commission a finalement admis que l'action d'un État membre mettant fin à une situation contraire au droit communautaire peut revêtir une pertinence communautaire.
14 Voir, entre autres, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE (C-49/07, non encore publié au Recueil, point 30).
15 Selon la jurisprudence, il est possible de déterminer s'il s'agit d'une concession en vérifiant si la «rétribution» de l'entreprise bénéficiaire d'une attribution consiste à obtenir le droit d'exploiter sa propre prestation (voir, notamment, arrêt du 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, C-324/98, Rec. p. I'10745, point 58). Lorsqu'une rémunération a été définie ou peut être définie, il ne s'agit pas d'une concession.
16 En effet, même lorsqu'une situation de passation de marchés publics est, en l'état du droit communautaire applicable ratione temporis, exclue du champ d'application des directives communautaires en matière de marchés publics, les entités adjudicatrices concluant le contrat en question sont, néanmoins, tenues de respecter les règles fondamentales du traité CE en général et le principe de non'discrimination en raison de la nationalité en particulier (voir, notamment, arrêt Telaustria et Telefonadress, précité à la note 15, point 60, qui est transposable à cet égard).
17 Le délai de transposition de la directive 90/531 (précitée à la note 7), qui exclut du reste la passation de concessions de son champ d'application, a expiré le 1er juillet 1992.
18 L'évolution de l'interprétation des dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services, passant d'une interdiction des discriminations à une interdiction des restrictions, est qualifiée par Wyatt comme constituant l'un des développements sans doute les plus importants dans ces branches du droit (Wyatt: «The right of Establishment and the Freedom to Provide Services», dans Arnull/Dashwood/Dougan/Ross/Spaventa/Wyatt: European Union Law, 5ème édition, 2006, p. 749 et suivantes). Everling retrace ce processus en mettant tout particulièrement l'accent sur les arrêts Kraus et Gebhard (Everling: «Das Niederlassungsrecht in der EG als Beschränkungsverbot, Tragweite und Grenzen», dans Everling: Unterwegs zur Europäischen Union, Ausgewählte Aufsätze 1985'2000, 2001, p. 258 et suivantes). Voir également Spaventa: Free Movement of Persons in the European Union, Barriers to Movement in their Constitutional Context, 2007, p. 99, qui parle de «The Gebhart (R)evolution». Defalque/Pertek, Steinfeld/Vigneron qualifient l'interdiction des discriminations comme étant une forme de l'interdiction des restrictions (Defalque/Pertek/Steinfeld/Vigneron: Marché intérieur Libre circulation des personnes et des capitaux. Rapprochement des législations, Commentaire J. Mégret, 3e édition, 2006, p.45). S:t Clair Renard: Fri rörlighet för tjänster tolkning av artikel 49, 2007, p.321, parle d'une interprétation combinée, en visant par là l'interdiction des restrictions discriminatoires et non'discriminatoires.
19 Voir, s'agissant de l'article 43 CE, par exemple arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze (C-222/04, Rec. p. I'289, point 99) et, s'agissant de l'article 49 CE, par exemple arrêt du 11 décembre 2003, AMOK (C-289/02, Rec. p. I'15059, points 25 et 26). Pour une analyse détaillée de cette interdiction des discriminations, voir entre autres: Tobler: Indirect Discrimination. A Case Study into the Development of the Legal Concept of Indirect Discrimination under EC Law, 2005, p. 305 et suivantes, qui examine notamment les délimitations entre discrimination directe et indirecte, d'une part, et entre discrimination indirecte et restriction, d'autre part; Wyatt: «The Right of Establishment and the Freedom to Provide Services», précité à la note 18, p. 769 et 770; S:t Clair Renard: Fri rörlighet för tjänster - tolkning av artikel 49, précité à la note 18, p. 84 à 107, qui considère que l'interdiction des discriminations a acquis, malgré l'approche plus large de l'interdiction des restrictions, une portée autonome (ibidem, p. 323).
20 Selon la jurisprudence, les mesures nationales restrictives de l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité ne peuvent être justifiées que si elles remplissent quatre conditions: s'appliquer de manière non discriminatoire, répondre à des raisons impérieuses d'intérêt général, être propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre; voir, notamment, arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard (C-55/94, Rec. p. I'4165, point 37); du 4 juillet 2000, Haim (C-424/97, Rec. p. I'5123, point 57), et du 13 décembre 2007, Commission/Italie (C-465/05, Rec. p. I'11095, point 18). Compte tenu de la nature particulière de certaines prestations de services, on ne saurait considérer comme incompatibles avec le traité des exigences spécifiques imposées au prestataire, qui seraient motivées par l'application de règles régissant ces types d'activités. Toutefois, la libre prestation des services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une activité sur le territoire de l'État destinataire, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi. En particulier, lesdites exigences doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir l'observation des règles professionnelles et d'assurer la protection du destinataire des services et elles ne doivent pas aller au'delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs; voir arrêt du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, Rec. p. I'4221, point 15).
21 En ce qui concerne le droit d'établissement; toutefois, en vertu de l'article 55 CE cela s'applique également en matière de libre prestation des services.
22 Arrêt du 25 juillet 1991, Collectieve Antennevoorziening Gouda (C-288/89, Rec. p. I'4007, point 11 et jurisprudence citée). Voir, pour plus de détails, Barnard, The Substantive Law of the EU: The Four Freedoms, 2004, p. 235 (tableau), 236 et 240.
23 Arrêt du 24 novembre 1982, Commission/Irlande (249/81, Rec. p. 4005, point 25).
24 Voir, plus particulièrement, arrêts du 13 janvier 2004, Kühne & Heitz (C-453/00, Rec. p. I'837, point 20), et du 12 février 2008, Kempter (C-2/06, non encore publié au Recueil, point 25).
25 Conclusions du 28 mars 2007 (arrêt du 18 juillet 2007, Rec. p. I'6153), points 73 et suivants.
26 Arrêts du 2 décembre 1980, Commission/Italie (42/80, Rec. p. 3635, point 4); du 2 décembre 1986, Commission/Belgique (239/85, Rec. p. 3645, point 13), et du 14 mai 2002, Commission/Allemagne (C-383/00, Rec. p. I'4219, point 18). Le fait mis en évidence par une jurisprudence constante que des difficultés internes dans la mise en œvre du droit communautaire ne sauraient dispenser les États membres de respecter ce droit, constitue une composante essentielle de la garantie d'une application uniforme du droit communautaire: voir, à cet égard, Stettner, «Gemeinschaftsrecht und nationales Recht», dans Dauses (éd.), Handbuch des EU'Wirtschaftsrechts, IV, point 13.
27 Voir, à cet égard, nos conclusions dans l'affaire Commission/Allemagne (précitées à la note 25, point 74, où d'autres références sont citées).
28 Arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne (C-503/04, Rec. p. I'6153, points 33 et suivants, spécialement point 36).
29 L'évolution de cette jurisprudence ressort en particulier des arrêts du 20 septembre 1983, Deutsche Milchkontor e.a. (205/82 à 215/82, Rec. p. 2633, point 19), du 20 mars 1997, Alcan Deutschland (C-24/95, Rec. p. I'1591, point 24 et jurisprudence citée), du 3 juillet 2001, Commission/Belgique (C-378/98, Rec. p. I'5107, point 51), et du 19 septembre 2002, Huber (C-336/00, Rec. p. I'7699, point 55).
30 Arrêt Huber (précité à la note 29, point 55 et jurisprudence citée).
31 Arrêt Huber (précité à la note 29, points 56 et 57 et jurisprudence citée).
32 Arrêts Alcan Deutschland (précité à la note 29, point 25), du 16 juillet 1998, Oelmühle et Schmidt Söhne (C-298/96, Rec. p. I'4767, point 29), et Huber (précité à la note 29, point 58).
33 Arrêt Kempter (précité à la note 24, point 35 et jurisprudence citée).
34 Ordonnance du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission (C-72/90, Rec. p. I'2181, point 13).
35 Voir point 69 ci'dessus des présentes conclusions.