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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> ThyssenKrupp Nirosta (anciennement ThyssenKrupp Stainless) v Commission (Competition) French Text [2010] EUECJ C-352/09 (26 October 2010)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2010/C35209_O.html
Cite as: [2010] EUECJ C-352/09, [2010] EUECJ C-352/9

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AVIS JURIDIQUE IMPORTANT: The source of this judgment is the web site of the Court of Justice of the European Communities. The information in this database has been provided free of charge and is subject to a Court of Justice of the European Communities disclaimer and a copyright notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.



CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 26 octobre 2010 (1)

Affaire C-352/09 P

ThyssenKrupp Nirosta GmbH, anciennement ThyssenKrupp Nirosta AG, anciennement ThyssenKrupp Stainless AG

contre

Commission européenne

«Pourvoi – Concurrence – Ententes sur le marché des produits plats en acier inoxydable – Annulation d’une décision de la Commission – Adoption d’une nouvelle décision après l’expiration du traité CECA – Choix de la base juridique – Continuité de l’ordre juridique communautaire et cohérence des traités – Principes régissant l’application de la loi dans le temps – Principe de l’autorité de la chose jugée – Conditions en vertu desquelles l’autorité de la chose jugée peut être étendue à un motif de l’arrêt – Respect du principe du contradictoire et du droit à un procès équitable – Imputabilité des infractions – Responsabilité d’une entreprise pour l’infraction aux règles de la concurrence commise par une autre entreprise sur le fondement d’une déclaration unilatérale – Absence de continuité économique – Principe de la responsabilité personnelle et de la personnalité des peines – Prescription – Objet de la suspension – Effet erga omnes ou inter partes – Effet d’un arrêt d’annulation sur le calcul du délai de prescription»





1.        La présente affaire a pour objet le pourvoi formé par ThyssenKrupp Nirosta GmbH (2) à l’encontre de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless/Commission (3).

2.        Cette affaire a pour origine la décision 2007/486/CE de la Commission, du 20 décembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (Affaire COMP/F/39.234 – Extra d’alliage, réadoption) (4). Par cette décision, la Commission des Communautés européennes a constaté que Thyssen Stahl AG (5) a enfreint, du 16 décembre 1993 au 31 décembre 1994, l’article 65 CA en modifiant et en appliquant les valeurs de référence de la formule de calcul d’un extra d’alliage. À ce titre, la Commission a infligé une amende de 3 168 000 euros à TKS.

3.        Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les demandes de TKS tendant, d’une part, à l’annulation de la décision litigieuse et, d’autre part, à la réduction de l’amende.

4.        En substance, ce pourvoi soulève plusieurs questions relatives à l’application de principes fondamentaux du droit au contentieux de la concurrence. Certaines de ces questions sont identiques, voire étroitement liées à celles qui se posent dans le cadre des pourvois introduits contre l’arrêt du Tribunal du 31 mars 2009, ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission (6), dans les affaires jointes C-201/09 P et C-216/09 P, actuellement pendantes devant la Cour, dans lesquelles nous présentons également des conclusions.

5.        La première question concerne la validité de la base juridique de la décision litigieuse. En effet, compte tenu de l’expiration du traité CECA et de l’absence de dispositions transitoires, la Commission s’est fondée sur les dispositions du règlement (CE) n° 1/2003 (7) pour constater et sanctionner l’infraction commise à l’article 65, paragraphe 1, CA. Sur ce point, nous considérerons que le Tribunal a légitimement pu considérer qu’une telle base juridique était valide.

6.        La deuxième question concerne l’étendue de l’autorité de la chose jugée. Peut-on, sans débat contradictoire, considérer que le fond a été examiné? Il est évident que non. Et c’est en étendant l’autorité de la chose jugée à un point de droit de l’arrêt, qui n’a fait l’objet d’aucune contestation ni d’aucune discussion devant lui, que le Tribunal a, selon nous, commis une erreur de droit. En effet, aucun système de droit ne peut tolérer que le respect des garanties fondamentales du procès équitable, parmi lesquelles figure le principe du contradictoire, cède le pas à une extension démesurée de l’autorité de la chose jugée. Pour ces raisons, nous proposerons à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué.

7.        La troisième question concerne l’imputabilité des pratiques. En substance, la question est de savoir si la Commission pouvait légitimement imputer à TKS la responsabilité de l’infraction commise par une autre entreprise, et ce sur le fondement d’une déclaration unilatérale émise par TKS. Nous considérerons qu’une telle imputabilité est illégale en tant qu’elle méconnaît le principe de la responsabilité personnelle et néglige la circonstance décisive, résultant d’une jurisprudence constante de la Cour, de l’absence de continuité économique entre les deux entreprises. Nous préciserons, en outre, qu’une autorité publique telle que la Commission, en charge de veiller à l’application des principes fixés à l’article 81 CE, ne peut déroger aux règles et aux principes relatifs à l’imputabilité des pratiques sur la base de conventions particulières établies par les entreprises.

8.        Enfin, la quatrième question concerne l’interprétation des règles de prescription. La question est de savoir si la Commission est encore en mesure de condamner Thyssen au paiement d’une amende en raison des agissements anticoncurrentiels qu’elle a commis entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994. D’une part, il conviendra d’examiner si, lorsqu’un recours est introduit devant le juge de l’Union, la suspension de la prescription a un effet relatif, c’est-à-dire qu’elle ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise requérante, ou erga omnes, auquel cas la suspension de la prescription pendant la procédure juridictionnelle vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient ou non formé un recours. D’autre part, il conviendra d’examiner les effets d’un arrêt d’annulation d’une décision de la Commission sur le calcul du délai de prescription. Après un examen de la nature et de la portée de la suspension de la prescription, nous soutiendrons que de telles poursuites sont prescrites depuis le 24 avril 2002.

I –    Le cadre juridique

A –    Les dispositions du traité CECA

9.        L’article 65 CA dispose:

«1.   Sont interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui tendraient, sur le marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence et en particulier:

a)      à fixer ou à déterminer les prix;

b)      à restreindre ou à contrôler la production, le développement technique ou les investissements;

c)      à répartir les marchés, produits, clients ou sources d’approvisionnement.

[…]

4.     Les accords ou décisions interdits en vertu du paragraphe 1 du présent article sont nuls de plein droit et ne peuvent être invoqués devant aucune juridiction des États membres.

La [Commission] a compétence exclusive, sous réserve des recours devant la Cour, pour se prononcer sur la conformité avec les dispositions du présent article desdits accords ou décisions.

5.     La [Commission] peut prononcer contre les entreprises qui auraient conclu un accord nul de plein droit, appliqué ou tenté d’appliquer, par voie d’arbitrage, dédit, boycott, ou tout autre moyen, un accord ou une décision nuls de plein droit ou un accord dont l’approbation a été refusée ou révoquée, ou qui obtiendraient le bénéfice d’une autorisation au moyen d’informations sciemment fausses ou déformées, ou qui se livreraient à des pratiques contraires aux dispositions du paragraphe 1, des amendes et astreintes au maximum égales au double du chiffre d’affaires réalisé sur les produits ayant fait l’objet de l’accord, de la décision ou de la pratique contraires aux dispositions du présent article, sans préjudice, si cet objet est de restreindre la production, le développement technique ou les investissements, d’un relèvement du maximum ainsi déterminé à concurrence de 10 % du chiffre d’affaires annuel des entreprises en cause, en ce qui concerne l’amende, et de 20 % du chiffre d’affaires journalier, en ce qui concerne les astreintes.»

10.      Conformément à l’article 97 CA, le traité CECA a expiré le 23 juillet 2002.

B –    Les dispositions du traité CE

11.      L’article 305, paragraphe 1, CE, abrogé à la suite de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, énonçait:

«Les dispositions du présent traité ne modifient pas celles du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, notamment en ce qui concerne les droits et obligations des États membres, les pouvoirs des institutions de cette Communauté et les règles posées par ce traité pour le fonctionnement du marché commun du charbon et de l’acier.»

C –    Le règlement n° 1/2003

12.      Le règlement n° 1/2003, nous le rappelons, est relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE.

13.      L’article 7, paragraphe 1, de ce règlement est rédigé comme suit:

«Si la Commission, agissant d’office ou saisie d’une plainte, constate l’existence d’une infraction aux dispositions de l’article 81 [CE] ou 82 [CE], elle peut obliger par voie de décision les entreprises et associations d’entreprises intéressées à mettre fin à l’infraction constatée […] Lorsque la Commission y a un intérêt légitime, elle peut également constater qu’une infraction a été commise dans le passé.»

14.      En vertu de l’article 23, paragraphe 2, sous a), dudit règlement, la Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et aux associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions des articles 81 CE ou 82 CE.

15.      L’article 25 du règlement n° 1/2003 édicte les dispositions relatives à la prescription des poursuites.

16.      Ces règles sont en substance identiques à celles visées dans la décision n° 715/78/CECA de la Commission, du 6 avril 1978, relative à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (8).

17.      En application de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1/2003, la prescription en matière de poursuites est acquise dès lors que la Commission n’a pas prononcé une amende ou une sanction dans un délai de cinq ans à compter du jour où l’infraction a pris fin.

18.      Néanmoins, en vertu de l’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision n° 715/78 et de l’article 25, paragraphes 3 et 4, du règlement n° 1/2003, cette prescription peut être interrompue par tout acte de la Commission qui vise à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. Parmi ces actes figurent les demandes de renseignements, les mandats d’inspection, l’engagement d’une procédure ou la notification de la communication des griefs. Cette interruption vaut à l’égard de toutes les entreprises qui ont participé à l’infraction.

19.      L’article 2, paragraphe 3, de la décision n° 715/78 et l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 fixent un délai butoir. Ils disposent que la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption. Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait prononcé une amende ou une astreinte. Ce délai est prorogé de la période pendant laquelle la prescription a été suspendue.

20.      Enfin, l’article 3 de la décision n° 715/78 et l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 précisent que la prescription en matière de poursuites est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant la Cour.

II – Le cadre factuel

21.      Les faits, tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés de la manière suivante.

22.      Le 1er janvier 1995, la société de droit allemand Krupp Thyssen Nirosta GmbH est née d’une concentration des activités dans le secteur des produits plats en acier inoxydable de Thyssen et de Fried Krupp AG Hoesch-Krupp. Thyssen a continué ses activités de manière indépendante dans d’autres secteurs (9).

23.      Sur la base des informations demandées le 16 mars 1995 auprès de plusieurs producteurs d’acier inoxydable, la Commission a, le 19 décembre 1995, adressé à 19 entreprises une communication des griefs. Après que certaines entreprises, dont TKS et Thyssen, ont fait connaître leur souhait de coopérer, la Commission leur a adressé, le 24 avril 1997, une nouvelle communication des griefs à laquelle TKS et Thyssen ont répondu individuellement.

24.      Par une lettre du 23 juillet 1997 adressée à la Commission (ci-après la «déclaration du 23 juillet 1997»), TKS a indiqué ce qui suit:

«Concernant la procédure mentionnée en objet [Affaire IV/35.814 − ThyssenKrupp Stainless], vous avez demandé au représentant légal de [Thyssen] […] que [TKS] confirme expressément qu’elle endossait la responsabilité des actes éventuellement passés par [Thyssen], à la suite du transfert du secteur d’activité des produits plats inoxydables de [Thyssen], dans la mesure où les produits plats inoxydables, qui font l’objet de la présente procédure, sont concernés, et ce également pour la période remontant jusqu’à l’année 1993. Par la présente, nous vous le confirmons expressément.»

25.      Par la décision 98/247/CECA (10), la Commission a constaté que la plupart des producteurs de produits plats en acier inoxydable, parmi lesquels TKS et Thyssen, ont enfreint l’article 65, paragraphe 1, CA en convenant, au cours d’une réunion tenue à Madrid le 16 décembre 1993, d’augmenter de manière concertée leurs prix à partir du 1er février 1994.

26.      Sur le fondement de la déclaration du 23 juillet 1997, la Commission a uniquement notifié cette décision à TKS. Elle lui a, partant, infligé une amende en raison non seulement de ses agissements propres, mais également des faits reprochés à Thyssen et visant la période entre le mois de décembre 1993 et le 1er janvier 1995.

27.      Le 11 mars 1998, TKS a introduit un recours visant, notamment, à l’annulation de la décision initiale.

28.      Par l’arrêt du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission (11), le Tribunal a annulé la décision initiale en ce qu’elle imputait à TKS la responsabilité de l’infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA commise par Thyssen et a réduit l’amende en conséquence. Il a estimé que la Commission n’avait pas mis TKS en mesure de présenter ses observations sur les faits reprochés à Thyssen et avait violé, dès lors, les droits de la défense de TKS.

29.      Par un arrêt du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission (12), la Cour a rejeté les pourvois introduits par TKS et la Commission contre cet arrêt.

30.      À la suite d’échanges avec TKS et Thyssen, la Commission a, le 5 avril 2006, adressé à la première une nouvelle communication des griefs. TKS a répondu à celle-ci le 17 mai 2006 et une audition publique a eu lieu le 15 septembre 2006.

31.      Le 20 décembre 2006, la Commission a adopté la décision litigieuse. Seule TKS est destinataire de cette décision. Aux termes de son préambule, ladite décision était fondée, notamment, sur le traité CECA et son article 65 CA ainsi que sur le traité CE et le règlement n° 1/2003. Le dispositif de la décision litigieuse prévoit:

«Article premier

[Thyssen] a enfreint l’article 65, paragraphe 1, [CA] du 16 décembre 1993 au 31 décembre 1994 en modifiant et en appliquant les valeurs de référence de la formule de calcul de l’extra d’alliage, pratique qui a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser le jeu normal de la concurrence sur le marché commun.

Article 2

1.     Pour l’infraction visée à l’article [1er], une amende de 3 168 000 euros est infligée.

2.     [TKS] ayant assumé, par [la déclaration] du 23 juillet 1997, la responsabilité du comportement de [Thyssen], l’amende est infligée à [TKS].

[…]»

III – Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

32.      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 février 2007, TKS a introduit un recours en annulation fondé sur l’article 230 CE contre la décision litigieuse.

33.      Ce recours était fondé sur dix moyens.

34.      Les deux premiers moyens concernaient la base juridique de la décision litigieuse et visaient respectivement une violation du principe nulla poena sine lege en raison de l’application de l’article 65, paragraphe 1, CA après le 23 juillet 2002 et le caractère illégal de l’application combinée du règlement nº 1/2003 et de l’article 65 CA.

35.      Par le troisième moyen, TKS a soutenu que la Cour, dans l’arrêt du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission, précité, a constaté avec autorité de la chose jugée qu’elle n’était pas responsable des agissements commis par Thyssen. Elle s’est, ensuite, prévalue de l’illégalité de la déclaration du 23 juillet 1997 dans le cadre de son quatrième moyen.

36.      Par les cinquième et sixième moyens, TKS a invoqué une violation du principe de sécurité juridique et du principe non bis in idem. Par le septième moyen, elle a fait valoir une violation des règles de prescription, considérant que l’infraction commise par Thyssen était prescrite. Les huitième et neuvième moyens étaient tirés d’une violation des droits de la défense en raison, d’une part, d’une violation du droit d’accès au dossier et, d’autre part, de l’irrégularité de la communication des griefs.

37.      À titre subsidiaire, TKS a soutenu, dans le cadre du dixième moyen, que le montant de l’amende a été calculé de façon erronée, la Commission n’ayant pas tenu compte de son absence de contestation de la réalité de l’infraction dans son ensemble.

38.      Aux points 37 et 38 de l’arrêt attaqué, il est précisé que les parties ont été entendues à l’audience du 11 décembre 2008 et que, lors de cette audience, TKS a indiqué révoquer la déclaration du 23 juillet 1997, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience.

39.      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours et condamné TKS aux dépens.

40.      En substance, il a estimé que l’application de l’article 65, paragraphe 1, CA après le 23 juillet 2002 à des faits antérieurs à cette date ne viole pas le principe nulla poena sine lege et que, aux fins de cette application, la Commission pouvait fonder sa compétence sur le règlement nº 1/2003. Le Tribunal a considéré que la Cour avait, dans l’arrêt du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission, précité, constaté avec autorité de la chose jugée que TKS était, en vertu de la déclaration du 23 juillet 1997, responsable des agissements de Thyssen.

41.      Selon le Tribunal, les bases juridiques de la sanction et du transfert de la responsabilité étaient déterminées avec une clarté suffisante, d’une part, par les articles 7, paragraphe 1, et 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 et, d’autre part, par la déclaration du 23 juillet 1997. La prétendue violation du principe non bis in idem a été rejetée car, en vertu de ladite déclaration, l’infraction de Thyssen aurait été imputable à TKS. Cette infraction n’était pas prescrite, selon le Tribunal, dès lors que la prescription devrait être appréciée dans le chef de TKS et qu’elle était suspendue pendant la procédure juridictionnelle visant la décision initiale.

42.      Enfin, le Tribunal a jugé que la communication des griefs était régulière et que la Commission n’a pas violé le droit de TKS d’accès au dossier ni commis d’erreur en n’ayant pas tenu compte de la prétendue absence de contestation de la réalité de ladite infraction.

IV – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

43.      Au soutien de son pourvoi, TKS demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et, à titre encore subsidiaire, de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée en vertu de l’article 2 de la décision litigieuse. Elle demande, en outre, à ce que la Commission soit condamnée aux dépens.

44.      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de TKS aux dépens.

V –    Le pourvoi

45.      TKS soulève cinq moyens tirés, pour le premier, d’une violation du principe nulla poena sine lege en raison de l’application de l’article 65, paragraphe 1, CA après le 23 juillet 2002, d’une application erronée de l’article 23 du règlement n° 1/2003 à l’article 65, paragraphe 1, CA, d’une violation de la souveraineté des États signataires du traité CECA et du caractère inapplicable aux faits de la présente affaire de l’arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, González y Díez/Commission (13).

46.      Par son deuxième moyen, TKS fait valoir que le fait qu’on lui a imputé la responsabilité des agissements de Thyssen n’a pas été constaté avec l’autorité de la chose jugée dans l’arrêt de la Cour du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission, précité, que le Tribunal a méconnu la portée du principe res judicata, qu’il a violé ses droits de la défense et qu’il a erronément jugé que la déclaration du 23 juillet 1997 a opéré un transfert de responsabilité de Thyssen à elle.

47.      Le troisième moyen est tiré d’un manque de précision tant de la base juridique de la décision litigieuse que du transfert de responsabilité, précision que le Tribunal aurait erronément constatée. Par le quatrième moyen, TKS reproche au Tribunal une violation des dispositions régissant la prescription. Le cinquième moyen est tiré d’une violation des principes régissant le calcul du montant de l’amende.

A –    Les observations liminaires

48.      L’examen de ces moyens nécessite, au préalable, de rappeler la nature de la procédure de mise en œuvre des règles de concurrence.

49.      Si cette procédure ne relève pas stricto sensu de la matière pénale, elle n’en revêt pas moins une nature quasi répressive. En effet, les amendes visées à l’article 23 du règlement n° 1/2003 sont, par leur nature et leur importance, assimilables à une sanction pénale et la Commission, eu égard à ses fonctions d’enquête, d’instruction et de décision, intervient avant tout d’une manière répressive à l’égard des entreprises. À notre sens, ladite procédure relève donc de la «matière pénale» au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (14) et doit, par conséquent, présenter les garanties prévues par le volet pénal de cette disposition (15).

50.      Cette position est dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci retient trois critères afin de déterminer si une accusation relève de la matière pénale, à savoir la qualification juridique de l’infraction en droit interne, la nature répressive et dissuasive de la sanction ainsi que le degré de sévérité de la sanction dont est, a priori, passible la personne concernée (16). Le premier critère n’a qu’une valeur formelle et relative et les deux autres sont alternatifs (17). La Cour européenne des droits de l’homme a adopté ce raisonnement pour de nombreuses sanctions administratives (18), au nombre desquelles figurent les sanctions infligées par les autorités nationales de concurrence (19). En effet, compte tenu de l’objectif du droit de la concurrence (sauvegarde de l’ordre public économique), de la nature des sanctions (effet à la fois préventif et punitif, dépourvu de toute idée de réparation d’un préjudice) et de l’importance de celles-ci (peine pécuniaire d’un montant élevé), ces procédures doivent être soumises, selon la Cour européenne des droits de l’homme, aux garanties prévues à l’article 6 de la CEDH.

51.      La jurisprudence de notre Cour suit cette voie. Celle-ci, relevant la spécificité du contentieux de la concurrence, fait une application des principes élémentaires du droit répressif et des garanties fondamentales inscrites à l’article 6 de la CEDH. Ainsi, dans l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni (20), la Cour a admis l’applicabilité du principe de la responsabilité personnelle aux règles de la concurrence (21). Puis, dans l’arrêt Hüls/Commission (22), la Cour s’est référée au principe de la présomption d’innocence garantie à l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH. Dans cette affaire, le juge de l’Union a considéré que, compte tenu de la nature de l’infraction en cause ainsi que de la nature et du degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence doit s’appliquer aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes (23).

52.      Ces éléments démontrent à suffisance que, dans le cadre de l’examen de ce pourvoi, une attention particulière devra être portée au respect des garanties fondamentales reconnues aux articles 47 à 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (24) ainsi qu’à l’article 6 de la CEDH.

B –    Sur le premier moyen, tiré de l’absence de base juridique de la décision litigieuse

53.      En substance, TKS soutient que la Commission a, en raison de l’expiration du traité CECA le 23 juillet 2002, perdu sa compétence pour sanctionner une infraction à l’article 65 CA et qu’il n’existe aucun texte habilitant cette institution à appliquer cette disposition.

1.      Les arguments des parties

54.      Le premier moyen se subdivise en quatre branches tirées, premièrement, de la violation du principe nulla poena sine lege en raison de l’application de l’article 65, paragraphe 1, CA après le 23 juillet 2002, deuxièmement, du caractère illégal de l’application combinée de l’article 23 du règlement n° 1/2003 et de l’article 65, paragraphe 1, CA, troisièmement, de la violation de la souveraineté des États signataires du traité CECA et, quatrièmement, du caractère inapplicable de l’arrêt González y Díez/Commission, précité, auquel le Tribunal se réfère dans l’arrêt attaqué.

a)      Sur la première branche, tirée d’une violation du principe nulla poena sine lege en raison de l’application de l’article 65, paragraphe 1, CA après l’expiration du traité CECA, le 23 juillet 2002

55.      Selon TKS, fonder une décision sur l’article 65 CA après le 23 juillet 2002 afin de sanctionner des infractions ayant cessé avant l’expiration du traité CECA violerait le principe de la légalité des délits et des peines. En effet, admettre que certaines pratiques qui relevaient du traité CECA relèvent aujourd’hui du traité CE du fait de la continuité du droit de l’Union irait à l’encontre des principes de la convention de Vienne sur le droit des traités (25) et reviendrait à admettre une interprétation par analogie des dispositions du droit pénal.

56.      Du fait de l’expiration du traité CECA et de l’absence de mesures transitoires concernant l’article 65 CA, la Commission ne disposerait plus, après le 23 juillet 2002, de compétences issues de cet article. La question de la correspondance entre les articles 65 CA et 81 CE ainsi que celle de l’application de la lex specialis ne seraient donc plus pertinentes dans la présente affaire.

57.      En premier lieu, la Commission considère que les traités CECA et CE relèvent bien d’un ordre juridique unique, dans le cadre duquel le traité CECA constituait une lex specialis par rapport au traité CE. Ainsi, le principe nulla poena sine lege serait respecté puisque, après l’expiration du traité CECA, les mêmes ententes sont toujours prohibées par une règle en substance identique à l’article 65 CA, l’article 81 CE. En conséquence, en application des principes généraux du droit gouvernant l’application de la loi dans le temps et sous réserve du principe de la lex mitior, c’est le droit en vigueur au moment des faits qui doit être appliqué.

58.      En second lieu, la Commission s’estime toujours compétente pour appliquer l’article 65, paragraphe 1, CA. En effet, les traités CECA et CE constitueraient un ordre juridique unique, eu égard au régime d’interdiction unique des infractions aux règles de concurrence, à la compétence unique de la Commission en ce domaine ainsi qu’au rapport de lex specialis et de lex generalis entre les deux traités, caractérisé, notamment, par la nature générale de l’interdiction des ententes prévue à l’article 81 CE. S’appliquent à cet ordre juridique les principes généraux de droit commun, en particulier ceux gouvernant l’application de la loi dans le temps, ce qui justifierait le maintien de la compétence de la Commission malgré l’expiration du traité CECA.

b)      Sur la deuxième branche, tirée du caractère illégal de l’application combinée de l’article 23 du règlement n° 1/2003 et de l’article 65, paragraphe 1, CA

59.      En premier lieu, TKS déduit de l’expiration du traité CECA l’absence de toute base juridique sanctionnant une violation de l’article 65, paragraphe 1, CA. Celle-ci rappelle l’interdiction de l’interprétation par analogie en droit des sanctions pénales et fait valoir que le Tribunal s’est livré à une telle interprétation en admettant que la Commission puisse se fonder sur l’article 23 du règlement n° 1/2003 pour sanctionner des violations du traité CECA.

60.      En deuxième lieu, TKS rappelle qu’il n’est pas du devoir du juge de l’Union de combler un vide juridique résultant de l’absence de disposition transitoire concernant l’article 65 CA.

61.      En troisième lieu, elle estime que, eu égard au principe d’attribution des compétences, les compétences de la Commission définies dans le traité CE sont strictement limitées à ce traité. En considérant que l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003, en tant que règle de procédure, est applicable dans la présente affaire, le Tribunal aurait commis une erreur de droit. De plus, les principes de l’application de la loi dans le temps ne trouveraient plus à s’appliquer étant donné que la Commission aurait perdu toute compétence pour sanctionner des infractions à l’article 65 CA.

62.      La Commission considère que le Tribunal a fait une exacte application des principes de l’application de la loi dans le temps. En effet, le statut de lex generalis de l’article 81 CE induirait une applicabilité générale de l’article 23 du règlement n° 1/2003, rendant inutile toute disposition transitoire concernant l’article 65 CA. De plus, en fondant sa compétence sur cette disposition, la Commission n’aurait violé aucun principe général d’interprétation, étant donné que la question de la compétence correcte serait sans rapport avec celle de la légalité des peines et que la Cour aurait déjà admis dans sa jurisprudence une interprétation téléologique de dispositions répressives (26).

c)      Sur la troisième branche, tirée de la violation de la souveraineté des États signataires du traité CECA

63.      TKS est d’avis que l’arrêt attaqué viole la souveraineté des États signataires du traité CECA dans la mesure où, avec l’expiration de ce traité, la compétence pour infliger des sanctions dans son domaine aurait été restituée aux États membres, les États signataires n’ayant conféré le pouvoir de sanction à la Commission que jusqu’à cette date.

64.      La Commission doute que TKS puisse, en sa qualité de personne morale de droit privé, invoquer une telle violation. En raison de la continuité au sein d’un même ordre juridique, les États membres, qui auraient confirmé unanimement la décision litigieuse au sein du comité consultatif, n’auraient jamais possédé ni récupéré des compétences pour réprimer les ententes dans le secteur en cause. TKS viserait ainsi à obtenir une impunité dans les cas anciens, incompatible avec l’importance de l’interdiction des ententes.

d)      Sur la quatrième branche, tirée du caractère inapplicable de l’arrêt González y Díez/Commission, précité

65.      Selon TKS, la référence du Tribunal à l’arrêt González y Díez/Commission, précité, serait dénuée de pertinence car l’objet du litige (les aides d’État) et les effets de la distorsion de concurrence ne seraient pas comparables avec ceux de la présente affaire. En outre, l’infraction en cause ne produirait pas d’effets pour l’avenir.

66.      La Commission considère que certains aspects de la présente affaire et de l’arrêt González y Díez/Commission, précité, sont comparables dans la mesure où, dans les deux cas, l’ensemble des faits s’est déroulé avant l’expiration du traité CECA, mais la procédure de récupération de l’aide ou de sanction a eu lieu après le 23 juillet 2002. De plus, dans les deux affaires, les distorsions de concurrence pourraient produire des effets néfastes pour l’avenir.

2.      Notre appréciation

67.      Nous examinerons ensemble les quatre branches du premier moyen. TKS invite, en substance, la Cour à se prononcer sur le point de savoir si, après l’expiration du traité CECA, la Commission pouvait constater et sanctionner une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA en fondant sa compétence sur les dispositions du règlement n° 1/2003, qui, nous le rappelons, constitue le règlement d’application de l’article 81 CE.

68.      En effet, dans la présente affaire, la Commission s’est fondée sur l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 pour constater l’infraction. En outre, pour infliger l’amende à TKS, la Commission s’est appuyée sur l’article 23, paragraphe 2, de ce règlement. Néanmoins, la Commission a calculé le montant de cette amende par référence non pas à la méthode de calcul retenue dans cette dernière disposition, mais à la méthode fixée à l’article 65, paragraphe 5, CA, et ce en application du principe de la lex mitior.

69.      Ce n’est pas la première fois que la Commission fonde une décision sur une combinaison du droit matériel et du droit procédural dérivant des traités CECA et CE. Elle a procédé de manière identique dans deux autres affaires (27).

70.      La Commission a agi ainsi dans la mesure où il n’existe aucune disposition transitoire lui permettant de constater et de condamner une violation de l’article 65, paragraphe 1, CA après l’expiration du traité CECA. Par conséquent, si elle ne réussit pas à adopter une décision avant l’expiration dudit traité, en raison de la découverte tardive des agissements anticoncurrentiels ou, comme tel est le cas dans la présente affaire, de l’annulation d’une première décision, aucun texte ne lui permet d’assurer le respect des droits et des obligations découlant de ladite disposition.

71.      Ensuite, aucun des deux règlements d’application des règles communautaires de concurrence ne vise les situations acquises sous l’empire du traité CECA, que ce soit le règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962 (28), ou le règlement n° 1/2003. Seule la communication de la Commission sur certains aspects du traitement des affaires de concurrence résultant de l’expiration du traité CECA (29) évoque cette situation. En effet, le point 31 de cette communication prévoit ce qui suit:

«Si, dans l’application des règles communautaires de la concurrence à des accords, la Commission constate une infraction dans un domaine relevant du traité CECA, le droit matériel applicable est, quelle que soit la date d’application, celui en vigueur au moment où les faits constitutifs de l’infraction se sont produits. En tout état de cause, sur le plan procédural, le droit applicable après l’expiration du traité CECA sera le droit CE […]»

72.      En raison de cette lacune, la Commission a adopté une première solution que le Tribunal a rejetée dans les arrêts du 25 octobre 2007, SP/Commission (30), Riva Acciaio/Commission (T-45/03), Feralpi Siderurgica/Commission (T-77/03), et Ferriere Nord/Commission (T-94/03). Dans chacune de ces affaires, la Commission avait exclusivement fondé sa compétence sur les dispositions du traité CECA, et ce malgré l’expiration de ce dernier. Ainsi, dans la décision adoptée le 17 décembre 2002 à l’égard de Ferriere Nord SpA, la Commission s’était fondée, pour constater une infraction à l’article 65, paragraphe 1, CA, sur l’article 65, paragraphe 4, CA et, pour infliger une amende à l’entreprise, sur l’article 65, paragraphe 5, CA.

73.      Le Tribunal a annulé l’ensemble de ces décisions pour défaut de compétence. En particulier, il a rappelé que, conformément à la jurisprudence de la Cour (31), la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution communautaire à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci.

74.      Dans aucune desdites affaires, la Commission n’a introduit de pourvoi.

75.      Dans la présente affaire, la Commission présente donc une nouvelle solution, en fondant sa décision sur une combinaison du droit matériel issu du traité CECA et du droit procédural dérivé du traité CE, en vigueur au moment de l’adoption de la décision litigieuse.

76.      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a confirmé la légalité de cette combinaison en se fondant sur une interprétation téléologique des règles instituées par le législateur de l’Union. Pour reconnaître à la Commission le pouvoir d’adopter une telle décision, le Tribunal a articulé son raisonnement en trois temps. Tout d’abord, aux points 75 à 79 de l’arrêt attaqué, il a rappelé la nature et la portée du traité CECA dans l’ordre juridique de l’Union. Ensuite, aux points 80 à 84 de cet arrêt, le Tribunal s’est fondé sur la cohérence et l’identité des objectifs poursuivis par les deux traités en faisant une application des règles d’interprétation dégagées par la Cour. Enfin, aux points 85 à 89 dudit arrêt, le Tribunal a vérifié que la Commission avait agi en respectant le principe de légalité et, en particulier, les principes gouvernant l’application de la loi dans le temps.

77.      Dans les présentes conclusions, nous soutiendrons, comme le Tribunal, la validité de cette base juridique et nous reprendrons, en cela, les lignes de son raisonnement.

78.      Dans l’ordre juridique de l’Union, le traité CECA constituait un régime spécifique aux secteurs sidérurgique et houiller, dérogeant aux règles à vocation générale établies dans le cadre du traité CE. Le rapport entre ces deux traités était réglé à l’article 305 CE. Cette disposition avait pour effet d’exclure l’application du traité CE et de son droit dérivé aux marchandises relevant des secteurs sidérurgique et houiller lorsque les questions soulevées faisaient l’objet d’une réglementation spécifique établie dans le cadre du traité CECA (32).

79.      Néanmoins, en l’absence de dispositions spécifiques, le traité CE et les dispositions prises pour son application s’appliquaient aux produits relevant de cette communauté sectorielle (33) et, à la suite de la disparition de celle-ci le 23 juillet 2002, le champ d’application général du traité CE s’est étendu aux secteurs initialement régis par le traité CECA.

80.      Cette succession du cadre juridique du traité CE à celui du traité CECA s’est inscrite dans le contexte d’une unité «fonctionnelle» entre les deux communautés (34). Très tôt, la Cour a reconnu l’existence d’un ordre juridique unique (35). Elle a également admis l’existence d’un ordre juridique continu, dans lequel, sauf expression contraire du législateur de l’Union, la continuité des structures juridiques devait être assurée en cas de changement de législation (36).

81.      Les arrêts Busseni (37) et Lucchini (38), sur lesquels le Tribunal fonde son raisonnement, illustrent la manière dont la Cour conçoit cette unité fonctionnelle entre les deux traités. Ces deux affaires concernaient la compétence de la Cour pour statuer dans le cadre d’un renvoi préjudiciel en interprétation des règles du traité CECA.

82.      La première affaire visait la situation dans laquelle cette compétence n’était pas expressément prévue à l’article 41 CA, contrairement au texte de l’article 234 CE. Afin de combler cette lacune, la Cour est allée au-delà des différences textuelles existant entre les deux dispositions et s’est fondée sur les objectifs communs poursuivis par celles-ci ainsi que sur la finalité et la cohérence des traités. Elle a ainsi indiqué qu’«il serait […] contraire à [cette] finalité et à [cette] cohérence […] que, lorsque sont en cause des règles issues des traités [CE] et CEEA, la fixation de leur sens et de leur portée relève en dernier ressort de la Cour […], alors que, lorsque les normes en cause se rattachent au traité CECA, cette compétence demeurerait du seul ressort des multiples juridictions nationales, dont les interprétations pourraient diverger, et que la Cour […] serait sans qualité pour assurer une interprétation uniforme de ces normes [(39)]» (40).

83.      La Cour a, par la suite, appliqué ce raisonnement dans l’affaire Lucchini, précitée. Celle-ci visait la situation dans laquelle, en raison de l’expiration du traité CECA, la Cour perdait sa compétence pour statuer sur des questions préjudicielles concernant l’interprétation et l’application dudit traité. La Cour, en admettant que l’article 41 CA n’avait effectivement plus vocation à s’appliquer, a considéré qu’il serait non seulement contraire à la finalité et à la cohérence des traités, mais également inconciliable avec la continuité de l’ordre juridique communautaire que la Cour soit sans qualité pour assurer une interprétation uniforme des normes se rattachant au traité CECA qui continuent de produire des effets après l’expiration de ce dernier (41).

84.      C’est sur la base de cette jurisprudence que le Tribunal a reconnu à la Commission la compétence litigieuse. Au-delà des différences textuelles existant entre les articles 65, paragraphe 1, CA et 81 CE, le Tribunal a souligné que ces deux dispositions sont interprétées de la même manière par le juge de l’Union et visent des objectifs identiques.

85.      La rédaction des articles 65, paragraphe 1, CA et 81, paragraphe 1, CE suffit, en effet, à établir que les États membres ont entendu retenir les mêmes règles et le même champ d’intervention des Communautés. Pour différentes qu’elles soient dans leur lettre, ces dispositions expriment l’une et l’autre les mêmes nécessités, celle d’établir un marché commun sur lequel s’exerce une concurrence saine et efficace et celle d’établir, à cette fin, une prohibition des accords ayant pour objet ou pour effet de fausser le jeu normal de la concurrence. Comme l’a relevé le Tribunal, la poursuite d’une concurrence non faussée dans les secteurs sidérurgique et houiller n’a donc pas été interrompue du fait de l’expiration du traité CECA, elle a simplement continué dans le cadre du traité CE. En outre, les articles 65, paragraphe 1, CA et 81, paragraphe 1, CE protègent les mêmes intérêts juridiques. Sur le plan des moyens d’actions, ces deux dispositions reposent sur des prémisses similaires (42) et leur mise en œuvre relève de la même autorité, à savoir la Commission.

86.      Dans ces conditions et sous réserve du respect des principes gouvernant l’application de la loi dans le temps, il nous semble que le Tribunal pouvait conclure à bon droit que la continuité de l’ordre juridique communautaire et des objectifs qui président à son opération exigeait que la Communauté européenne, en tant qu’elle succédait à la Communauté européenne du charbon et de l’acier, assure, à l’égard des situations nées sous l’empire du traité CECA, le respect des droits et des obligations qui s’imposaient à ce titre aux États membres et aux particuliers (43). Admettre que, à la suite de l’expiration du traité CECA, la Communauté serait dépourvue d’une telle qualité nous semble donc contraire à la finalité et à la cohérence des traités voulues par le législateur de l’Union et inconciliable avec la continuité de l’ordre juridique communautaire reconnue par la Cour.

87.      Cette interprétation ne peut évidemment s’entendre que si la Communauté, représentée en l’occurrence par la Commission, agit en respectant les principes généraux gouvernant l’application de la loi dans le temps (44). Ces principes, rappelés par le Tribunal au point 85 de l’arrêt attaqué, sont les suivants.

88.      En ce qui concerne les règles de procédure, celles-ci sont censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur. En d’autres termes, la Commission doit poursuivre l’infraction commise sous l’empire du traité CECA dans les formes et selon la procédure prescrites par les dispositions en vigueur à la date de sa décision, soit celles prévues dans le cadre du règlement n° 1/2003.

89.      En revanche, tel n’est pas le cas des règles de fond. Celles-ci ne sont pas rétroactives, sauf expression contraire du législateur de l’Union (45). Le droit matériel applicable demeure donc celui en vigueur au moment où l’infraction a été commise. Ladite règle permet de garantir la sécurité juridique des individus qui doivent tout simplement pouvoir connaître les limites de leur liberté individuelle sans être, par la suite, surpris dans leurs prévisions par une loi rétroactive.

90.      Une telle règle découle du principe de légalité des délits et des peines consacré à l’article 49, paragraphe 1, de la charte ainsi qu’à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH.

91.      L’article 49, paragraphe 1, de la charte précise ce qui suit:

«Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.»

92.      L’analyse menée par le Tribunal au point 89 de l’arrêt attaqué nous semble parfaitement conforme à ce principe. En effet, l’article 65, paragraphe 1, CA, qui définit l’infraction, constituait bien la règle de fond applicable et effectivement appliquée par la Commission. La décision litigieuse concernait bien une situation juridique définitivement acquise antérieurement à l’expiration du traité CECA puisque celle-ci a eu lieu entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994. En outre, compte tenu de sa nature de lex specialis, le traité CECA et les règles prises pour son application étaient bien les seuls applicables à ce type de situations, acquises avant son expiration. Enfin, comme l’a indiqué le Tribunal, le législateur de l’Union n’avait aucunement prévu une application rétroactive de l’article 81 CE après l’expiration du traité CECA.

93.      En adoptant la décision litigieuse, la Commission a donc bien condamné une action qui, au moment où elle a été commise, constituait une infraction. Lorsque cette infraction a été commise entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, elle était définie avec clarté et précision à l’article 65, paragraphe 1, CA. En outre, ladite infraction était punissable d’une sanction clairement définie à l’article 65, paragraphe 5, CA. Les entreprises étaient donc parfaitement informées des conséquences de leurs actes, autant dans le cadre de la première procédure ayant mené à l’adoption de la décision initiale que dans celui de la présente procédure. Notons, enfin, que, dans le cadre si particulier d’une réadoption de la décision, TKS ne pouvait pas légitimement se fonder sur l’expiration du traité CECA pour échapper à une condamnation par la Commission (pour autant que l’infraction commise par Thyssen lui est imputable).

94.      À présent, en ce qui concerne les règles de procédure, nous savons que, dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 81 CE, les dispositions habilitant la Commission à adopter une décision de condamnation et à sanctionner les entreprises ayant commis une infraction à l’article 81 CE sont respectivement, depuis l’entrée en vigueur, le 1er mai 2004, du règlement n° 1/2003, les articles 7, paragraphe 1, et 23, paragraphe 2, de ce règlement. Jugeant que ces dispositions constituent des règles de procédure, le Tribunal a donc avalisé l’application immédiate de celles-ci.

95.      C’est sur ce dernier point que nous nous écartons de l’analyse du Tribunal. En effet, l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 n’habilite pas seulement la Commission à infliger une amende. Il fixe également le montant de celle-ci. Dans ces conditions, il nous semble que cette disposition constitue une règle de droit matériel.

96.      Pour autant, nous comprenons que, dans le contexte particulier de la présente affaire, la Commission s’est fondée sur ladite disposition afin de disposer d’un pouvoir de sanction à l’égard de TKS. En ce qui concerne le montant de l’amende, la Commission a, en vertu du principe de la lex mitior figurant à l’article 49, paragraphe 1, de la charte, calculé celui-ci conformément à l’article 65, paragraphe 5, CA afin que TKS bénéficie de la sanction la plus légère.

97.      Au vu de ce qui précède, il nous semble que le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que la Commission pouvait, dans une situation telle que celle en cause, se fonder sur les articles 7, paragraphe 1, et 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 pour constater et sanctionner les ententes réalisées dans le secteur relevant du champ d’application du traité CECA.

98.      Nous devons, néanmoins, relever que, contrairement à ce qu’a indiqué le Tribunal au point 84 de l’arrêt attaqué, la Commission était en mesure d’agir ainsi non pas après le 23 juillet 2002, date à laquelle le traité CECA a expiré, mais à compter du 1er mai 2004, date à laquelle le règlement n° 1/2003 est entré en vigueur.

99.      Cette erreur n’entraîne, néanmoins, aucune conséquence quant à la solution du litige.

100. Au vu de l’ensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.

C –    Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne l’imputabilité à TKS de la responsabilité des agissements de Thyssen

1.      Les arguments des parties

101. Dans le cadre du deuxième moyen, TKS soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la question relative au fait qu’on lui a imputé la responsabilité des agissements commis par Thyssen était revêtue de l’autorité de la chose jugée.

102. Ce moyen est divisé en trois branches.

103. Dans le cadre de la première branche, TKS soutient, en substance, que le Tribunal a adopté une interprétation erronée du point 88 de l’arrêt de la Cour ThyssenKrupp/Commission, précité. Selon TKS, audit point, celle-ci aurait jugé qu’elle n’était pas matériellement responsable des agissements de Thyssen et ce point serait aujourd’hui revêtu de l’autorité de la chose jugée. Par conséquent, la Commission ne pouvait valablement lui infliger une amende pour le comportement infractionnel de Thyssen.

104. La Commission estime que TKS dénature l’arrêt attaqué. En effet, ainsi que l’a jugé le Tribunal, la Cour aurait reconnu que, compte tenu de la déclaration du 23 juillet 1997, la Commission était en droit d’imputer à TKS la responsabilité des agissements de Thyssen. En outre, l’interprétation de TKS se heurterait à l’objet même du pourvoi incident introduit devant la Cour. En effet, celui-ci était circonscrit à la question de la renonciation au droit d’être entendu. Ainsi, la Cour n’était pas tenue d’examiner au fond la déclaration de prise en charge de responsabilité.

105. Dans le cadre de la deuxième branche, TKS soutient, d’une part, que le Tribunal a méconnu le principe de l’autorité de la chose jugée en étendant la portée de ce principe au-delà de l’objet du litige visé dans la procédure précédente. En effet, l’objet de cette procédure aurait été limité à la violation des droits de la défense de TKS dans le cadre de l’adoption de la décision initiale. Selon elle, l’autorité de la chose jugée ne pourrait donc pas faire obstacle à un recours contre une nouvelle décision, dans le cadre duquel elle pourrait faire valoir l’illégalité de la déclaration du 23 juillet 1997. À cet égard, TKS rappelle que les faits relatifs au prétendu transfert de la responsabilité des agissements de Thyssen à elle ont changé compte tenu de la révocation de ladite déclaration entre la décision initiale et la décision litigieuse.

106. D’autre part, TKS soutient que, ce faisant, le Tribunal viole ses droits de la défense puisqu’il la prive de la possibilité d’invoquer des moyens qu’elle n’avait encore jamais invoqués.

107. La Commission est d’avis que les arguments de TKS sont en contradiction avec ceux présentés en première instance, en vertu desquels elle aurait soutenu que le juge de l’Union avait déjà définitivement tranché la question du transfert de responsabilité. Ce moyen serait donc nouveau et de ce fait irrecevable au stade du pourvoi.

108. En outre, selon une jurisprudence constante, l’autorité de la chose jugée s’attacherait aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par l’arrêt en cause. La Commission précise que tant la procédure contentieuse dirigée contre la décision initiale que celle ayant abouti à l’arrêt attaqué auraient exigé l’analyse de la question de savoir si elle pouvait imputer, sur la base de la déclaration du 23 juillet 1997, à TKS la responsabilité de l’infraction commise par Thyssen.

109. La déclaration du 23 juillet 1997 aurait donc fait l’objet du litige dans ces procédures et, aux points 59 et 62 de l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité, le Tribunal aurait effectué le constat de l’imputabilité qui n’aurait pas été attaqué sous pourvoi et qui aurait, de plus, été confirmé sur le fond par la Cour. Étant tenue, aux termes de l’article 233 CE, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour, la Commission aurait été obligée de prendre en considération ces constatations. De plus, l’adoption de la décision litigieuse étant intervenue dans la même procédure administrative que la décision initiale, TKS ne saurait présenter des affirmations différentes sur les mêmes faits.

110. En ce qui concerne la révocation de la déclaration du 23 juillet 1997, la Commission soutient que celle-ci n’était juridiquement plus possible car la décision litigieuse avait été adoptée entre temps.

111. Dans le cadre de la troisième branche, TKS fait valoir l’illégalité du transfert de responsabilité opéré par la Commission sur la base de la déclaration du 23 juillet 1997. Premièrement, elle n’entendait répondre que des actions en responsabilité civile engagées contre Thyssen. Deuxièmement, en ce qui concerne l’application des règles de concurrence, elle ne serait pas le successeur juridique de Thyssen, ce qui, conformément à la jurisprudence, ne permettrait pas un transfert de responsabilité. Troisièmement, un tel transfert contreviendrait au principe jus publicum privatorum pactis mutari non potest, en vertu duquel une convention particulière ou privée ne peut pas modifier les conséquences juridiques découlant du droit public.

112. La Commission conteste ces arguments. En premier lieu, elle rappelle que TKS a révoqué la déclaration du 23 juillet 1997 uniquement devant le Tribunal, au cours de la procédure engagée contre la décision litigieuse. Cette révocation interviendrait de telle façon que la prescription serait acquise en ce qui concerne les agissements commis par Thyssen.

113. En deuxième lieu, toutes les parties auraient mesuré qu’il s’agissait non pas d’une délégation en droit civil, mais d’une prise en charge de la responsabilité de l’infraction en vue de l’amende. Cela ressortirait des termes employés par TKS et des constatations de fait effectuées par le juge de l’Union dans le cadre de la procédure engagée contre la décision initiale.

114. En troisième lieu, l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 ne ferait pas obstacle à ce qu’une entreprise ayant acquis une branche d’activité dans des conditions telles que celles en cause se voie infliger une amende lorsqu’elle a déclaré sans ambiguïté à la Commission qu’elle souhaitait assumer la responsabilité de l’entente. Cette situation n’est pas comparable, de l’avis de la Commission, à une déclaration adressée à celle-ci et l’informant d’une prise en charge de responsabilité convenue bilatéralement entre deux entreprises. Par un tel transfert de responsabilité, la compétence d’exécution de la Commission serait susceptible d’être contrariée du fait, par exemple, d’un chiffre d’affaires moins important ou d’une situation de détresse financière de la société prenant en charge la responsabilité.

2.      Notre appréciation

115. Avant d’entamer l’examen du deuxième moyen, il est nécessaire de rappeler le raisonnement adopté par le Tribunal dans l’arrêt attaqué ainsi que les étapes de la procédure.

a)      L’arrêt attaqué

116. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que les questions de la validité de la déclaration du 23 juillet 1997 et de la légalité de l’imputabilité de la responsabilité des agissements de Thyssen à TKS avaient été définitivement tranchées par le juge de l’Union et qu’elles étaient donc, à présent, revêtues de l’autorité de la chose jugée.

117. À cette fin, le Tribunal a examiné la portée des arrêts rendus dans le cadre de la procédure engagée contre la décision initiale.

118. Le Tribunal a, tout d’abord, examiné, au point 114 de l’arrêt attaqué, la portée de l’arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité. Il est ainsi parti de la prémisse que «la discussion et la conclusion subséquente du Tribunal d’une violation des droits de la défense de TKS avaient comme préalable nécessaire le constat de la validité de la déclaration du 23 juillet 1997 [(46)], par laquelle TKS avait confirmé assumer la responsabilité des actes passés par Thyssen».

119. Ce «constat» figure au point 62 de l’arrêt du Tribunal Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité. Celui-ci est libellé comme suit:

«[…] il n’est pas contesté que, compte tenu de la [déclaration du 23 juillet 1997], la Commission était exceptionnellement en droit d’imputer à cette dernière la responsabilité du comportement infractionnel reproché à Thyssen [(47)] […]. En effet, il y a lieu de considérer qu’une telle déclaration, qui répond, notamment, à des considérations économiques propres aux opérations de concentration entre entreprises, implique que la personne morale sous la responsabilité de laquelle les activités d’une autre personne morale ont été placées, postérieurement à la date de l’infraction découlant desdites activités, soit tenue d’en répondre, même si, en principe, il appartient à la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise concernée au moment où l’infraction a été commise de répondre de celle-ci.»

120. Le Tribunal a, ensuite, examiné, aux points 116 à 138 de l’arrêt attaqué, la portée de l’arrêt de la Cour du 14 juillet 2005, ThyssenKrupp/Commission, précité.

121. À cet égard, il s’est concentré sur le point 88 dudit arrêt. Ce point répond au moyen invoqué par la Commission dans le cadre de son pourvoi incident. Celle-ci contestait la conclusion du Tribunal selon laquelle elle n’avait pas respecté les droits de la défense de TKS. En particulier, elle reprochait à celui-ci de ne pas avoir tenu compte de l’existence de circonstances exceptionnelles lui permettant d’imputer directement à TKS la responsabilité des agissements de Thyssen.

122. Le point 88 de l’arrêt ThyssenKrupp/Commission, précité, est rédigé comme suit:

«S’agissant des prétendues circonstances exceptionnelles invoquées par la Commission [pour lui permettre d’imputer à TKS la responsabilité des agissements de Thyssen], il suffit de rappeler tout d’abord que TKS n’est pas le successeur économique de Thyssen, celle-ci ayant continué d’exister en tant que personne morale distincte jusqu’à la date d’adoption de la [décision initiale]. Ensuite, l’unité d’action qui a pu caractériser le comportement de Thyssen et de TKS après le 1er janvier 1995 ne suffit pas à justifier l’imputation à TKS des agissements de Thyssen avant cette date, en raison du principe […] selon lequel une personne morale ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont spécifiquement reprochés. En ce qui concerne, enfin, les déclarations qui auraient été faites par TKS sur les activités de Thyssen au cours de la procédure administrative, il a déjà été indiqué […] qu’elles ne permettent pas d’imputer à TKS la responsabilité pour les agissements de Thyssen avant ladite date.»

123. La Cour a, par conséquent, rejeté le moyen invoqué par la Commission au soutien de son pourvoi incident.

124. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que ce point avait uniquement pour objet de répondre à l’argument de la Commission concernant l’existence de circonstances exceptionnelles et ne permettait pas de conclure que, selon la Cour, TKS ne pouvait pas être déclarée responsable des agissements de Thyssen.

125. Par conséquent, au point 139 de l’arrêt attaqué, le Tribunal conclut que «le juge communautaire a estimé que la Commission était exceptionnellement en droit d’imputer à TKS, compte tenu de la déclaration du 23 juillet 1997, la responsabilité du comportement reproché à Thyssen» et, au point 144 de cet arrêt, que «[c]e point de droit […], tenant à la validité de la déclaration du 23 juillet 1997 comme base juridique de l’imputation des agissements de Thyssen à [TKS] et de la sanction subséquente infligée à cette dernière, a déjà été examiné et tranché définitivement par le juge communautaire et qu’il est donc revêtu de l’autorité de la chose jugée» (48). Au point 145 dudit arrêt, le Tribunal estime ainsi que «[c]ette autorité de la chose jugée fait obstacle à ce que [ledit] point de droit soit à nouveau soumis au Tribunal et examiné par celui-ci» et rejette, par conséquent, le moyen tiré de l’illégalité du transfert de responsabilité comme étant irrecevable.

b)      Notre analyse

126. Comme TKS, nous sommes d’avis que l’analyse du Tribunal sur cette question est entachée de plusieurs erreurs de droit.

127. Premièrement, nous pensons que le Tribunal a adopté une interprétation erronée du point 88 de l’arrêt de la Cour ThyssenKrupp/Commission, précité.

128. En effet, audit point, la Cour a, selon nous, très clairement désavoué la conclusion que le Tribunal a tirée au point 62 de l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité, quant à l’existence de prétendues circonstances exceptionnelles. Une simple lecture du point 88 de l’arrêt ThyssenKrupp/Commission, précité, suffit pour s’en convaincre. Ce faisant, le Tribunal ne pouvait pas légitimement considérer, au point 139 de l’arrêt attaqué, que le «juge communautaire» avalisait une telle imputabilité. Cela est constitutif, à notre avis, d’une première erreur de droit.

129. Deuxièmement, nous pensons que le Tribunal n’a pas correctement appliqué le principe de l’autorité de la chose jugée dans la mesure où les questions tirées de la validité de la déclaration du 23 juillet 1997 et de la légalité du transfert de responsabilité n’ont fait l’objet d’aucun débat contradictoire entre les parties au cours de la première instance.

130. La Cour a reconnu l’importance fondamentale que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe du respect de l’autorité de la chose jugée (49). Ce principe est l’expression du principe de la sécurité juridique (50). Il garantit la stabilité du droit et des relations juridiques ainsi qu’une bonne administration de la justice. En effet, les décisions juridictionnelles qui ne peuvent plus faire l’objet de recours acquièrent dans les rapports sociaux un caractère incontestable et deviennent des faits juridiques. Ces faits doivent être respectés.

131. Il est généralement admis que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet de la décision. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et entre les mêmes parties. L’autorité de la chose jugée fait ainsi obstacle à ce que les parties saisissent le juge d’une prétention identique à celle dont le bien-fondé ou le non-fondé a déjà été jugé et permet donc d’éviter la remise en cause indéfinie des situations déjà jugées.

132. La Cour a admis que l’autorité de la chose jugée s’attache non seulement au dispositif de la décision juridictionnelle, mais également aux motifs qui sont le soutien nécessaire de celle-ci et en sont indissociables. Elle indique ainsi, en vertu d’une jurisprudence constante, que l’«autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision juridictionnelle en cause» (51). En revanche, sauf erreur de notre part, la Cour ne s’est pas prononcée sur les limites à l’étendue d’une telle autorité lorsque les garanties procédurales du procès équitable n’ont pas été respectées.

133. Or, tel est l’objet de la présente affaire. En effet, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a étendu l’autorité de la chose jugée à un motif qui n’a fait l’objet d’aucune contestation portée devant lui et qui, en outre, n’a donné lieu à aucun débat contradictoire entre les parties. Nous pensons qu’une telle interprétation du principe de l’autorité de la chose jugée, en tant qu’elle viole des garanties procédurales essentielles au déroulement d’un procès équitable et, en particulier, le principe du contradictoire, constitue une erreur de droit.

134. En effet, peut-on raisonnablement admettre que l’autorité de la chose jugée s’étende à un motif touchant au fond des droits en procès alors même que les parties n’ont pas effectivement débattu?

135. Le principe du contradictoire constitue un principe fondamental du droit de l’Union (52) qui relève du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable garanti, d’une part, à l’article 47 de la charte et, d’autre part, à l’article 6 de la CEDH.

136. La Cour a réaffirmé l’importance et les contours de ce principe dans l’arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a. (53). Le principe du contradictoire s’applique à toutes les procédures susceptibles d’aboutir à une décision d’une institution communautaire qui affecte de manière sensible les intérêts d’une personne. Par conséquent, il s’applique devant les juridictions de l’Union. En outre, il a vocation à bénéficier à toutes les parties à un litige, tant les personnes privées que les États membres ou les institutions.

137. Selon la Cour, le principe du contradictoire confère à chaque partie à un procès le droit de prendre connaissance des éléments sur lesquels le juge va fonder sa décision et de pouvoir les discuter. Cela permet une meilleure information du juge. La soumission à la discussion des parties de tous les éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la solution du litige permet ainsi au juge de statuer en toute impartialité et en toute connaissance de cause, en fait comme en droit. Cela permet également de fonder la confiance que les justiciables doivent pouvoir avoir dans le fonctionnement de la justice. Cette confiance implique que les parties aient l’assurance d’avoir pu s’exprimer sur tous les éléments sur lesquels le juge a fondé sa décision.

138. Cette jurisprudence est conforme à l’interprétation que retient la Cour européenne des droits de l’homme du droit à un procès contradictoire. Celui-ci participe au droit à un procès équitable visé à l’article 6 de la CEDH et dans la mesure où cette convention tend à garantir des droits concrets et effectifs, il impose, notamment, à la charge de tout tribunal, l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuves des parties.

139. Le principe du contradictoire ne confère pas seulement à chaque partie le droit de prendre connaissance des preuves et des observations présentées devant le juge et de les discuter. Il implique également, ainsi que l’a expressément reconnu la Cour dans l’arrêt Commission/Irlande e.a., précité, «le droit des parties de prendre connaissance des moyens de droit relevés d’office par le juge, sur lesquels celui-ci entend fonder sa décision, et de les discuter». En effet, selon la Cour, pour satisfaire aux exigences liées au droit à un procès équitable, il importe que les parties aient connaissance et puissent débattre contradictoirement tant des éléments de fait que des éléments de droit qui sont décisifs pour l’issue de la procédure. Ainsi, à l’exception des cas particuliers tels que, notamment, ceux prévus par les règlements de procédure des juridictions de l’Union, le juge ne peut pas fonder sa décision sur un moyen de droit relevé d’office, fût-il d’ordre public, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations sur ledit moyen.

140. La Cour a déduit cette obligation de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en vertu de laquelle le juge doit lui-même respecter le principe du contradictoire, notamment lorsqu’il tranche un litige sur la base d’un motif retenu d’office (54).

141. Dans la présente affaire, il ressort clairement des termes du point 62 de l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité, que le Tribunal a d’office soulevé la légalité du transfert de responsabilité opéré par la Commission (55). En effet, ainsi que le relève le Tribunal au point 114, dernier tiret, de l’arrêt attaqué, le constat de la validité de la déclaration du 23 juillet 1997 constituait un préalable nécessaire à la conclusion subséquente d’une violation des droits de la défense.

142. Néanmoins, ce point de droit n’a fait l’objet d’aucune discussion effective entre les parties. D’une part, il ne s’agissait pas d’un point litigieux que les parties ont soumis à la contestation devant le juge. Les parties n’ont donc pas discuté. D’autre part, le Tribunal n’a pas invité les parties à formuler leurs observations lorsqu’il a soulevé d’office ledit point de droit.

143. La légalité du transfert de responsabilité était pourtant une question décisive pour l’issue de la procédure. En outre, sa résolution ne s’imposait pas avec évidence. Les termes employés par le Tribunal dans l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité, et les considérations adoptées par la Cour dans le cadre du pourvoi montrent que la légalité de ce transfert de responsabilité prêtait et prête encore sérieusement à discussion.

144. Tout d’abord, au point 62 de cet arrêt, le Tribunal ne fournit pas d’explications convaincantes sur les raisons pour lesquelles il y avait lieu, dans la présente affaire, de déroger au principe fondamental de la personnalité des peines. Bien qu’il fasse référence à l’existence de prétendues «considérations économiques propres aux opérations de concentration entre entreprises» pour justifier, à titre exceptionnel, un tel transfert de responsabilité, cette justification nous semble bien trop vague pour s’écarter de la jurisprudence constante de la Cour en ce qui concerne l’imputabilité des pratiques.

145. Ensuite, la Cour a très clairement désavoué la conclusion que tire le Tribunal au même point 62 quant à l’existence de prétendues circonstances exceptionnelles. Or, l’autorité de la chose jugée, en tant qu’elle constitue un principe fondamental du droit, source de sécurité et de stabilité, n’impose-t-elle pas qu’elle puisse être identifiée d’emblée, avec certitude? En réalité, la Cour n’a jamais été saisie de la légalité d’une telle déclaration.

146. Par conséquent, en l’absence de débat contradictoire ainsi que d’explications convaincantes de la part du Tribunal, et compte tenu également du désavœu de la Cour, nous pensons que le Tribunal ne pouvait pas légitimement considérer que le juge de l’Union avait définitivement statué sur les questions relatives à la légalité de la déclaration du 23 juillet 1997 et du transfert de responsabilité y afférent.

147. Troisièmement, nous pensons que, en opposant une fin de non-recevoir à TKS, le Tribunal rompt l’équilibre entre les parties, plaçant la requérante dans une situation de net désavantage par rapport à la Commission.

148. En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, toutes les parties ont le droit de faire valoir leur position de manière équilibrée sans que la procédure ne procure un avantage particulier à l’une d’elles (56). Cela fait partie du droit à bénéficier d’un procès équitable.

149. Or, la solution retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué conduit à ce que TKS ne puisse plus remettre en cause la légalité de la déclaration du 23 juillet 1997 et du transfert de responsabilité y afférent, alors même qu’elle n’a jamais été entendue sur ce point. Alors que dans le cadre de la procédure engagée contre la décision initiale, TKS a été privée de la possibilité de faire valoir ses observations, elle se voit, à présent, opposer une fin de non-recevoir tenant à l’autorité de la chose jugée. En revanche, en ce qui concerne la Commission, le Tribunal a reconnu sans aucun débat contradictoire qu’elle était exceptionnellement en droit de se fonder sur cette déclaration, puis a opposé à la contestation formée par TKS le principe de l’autorité de la chose jugée. À notre avis, une telle appréciation peut donner l’impression qu’il existe un déséquilibre au profit de la Commission.

150. Au vu de l’ensemble de ces considérations, nous sommes d’avis que le Tribunal, en estimant que le juge de l’Union a définitivement statué sur la question de la légalité du transfert de responsabilité, a adopté une interprétation erronée de l’arrêt de la Cour ThyssenKrupp/Commission, précité, et a, en outre, violé le principe de l’autorité de la chose jugée. Ce faisant, le Tribunal a également privé TKS du droit à bénéficier d’un procès équitable.

151. Par conséquent, nous proposons à la Cour de déclarer que le deuxième moyen invoqué par TKS est fondé et d’annuler l’arrêt attaqué.

D –    Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

152. En cas d’annulation de l’arrêt frappé de pourvoi, l’article 61 du statut de la Cour de justice prévoit que celle-ci peut soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue, soit statuer elle-même sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

153. Le litige dans la présente affaire concerne les poursuites engagées par la Commission en raison de l’infraction commise par Thyssen entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994. La décision litigieuse a pour seul objet d’imputer à TKS, sur le fondement de la déclaration du 23 juillet 1997, la responsabilité des agissements anticoncurrentiels commis par Thyssen et de lui imposer, en conséquence, une amende.

154. Tout d’abord, il convient de déterminer si la Commission pouvait légitimement imputer à TKS la responsabilité de l’infraction commise par Thyssen sur le fondement de la déclaration du 23 juillet 1997.

155. Si, comme nous le pensons, la Commission n’était pas en droit d’agir ainsi, la question est de savoir si elle peut légitimement poursuivre Thyssen pour les agissements que cette dernière a commis entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994 compte tenu des règles de prescription.

156. Ces deux questions ont fait l’objet d’un débat contradictoire devant la Cour. Par conséquent, nous sommes d’avis que le litige, sur ces deux points, est en état d’être jugé.

157. Nous proposons donc à la Cour d’examiner les quatrième et septième moyens d’annulation soulevés par TKS devant le Tribunal.

1.      Sur l’imputabilité à TKS de la responsabilité de l’infraction commise par Thyssen

a)      Les arguments des parties (57)

158. Dans le cadre de son quatrième moyen d’annulation, TKS conteste la légalité de l’imputabilité de la responsabilité de l’infraction commise par Thyssen. Elle soutient que la déclaration du 23 juillet 1997 ne permettait pas à la Commission une telle imputabilité. TKS se fonde, d’une part, sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en cas de succession juridique, le successeur ne peut pas être tenu pour responsable des agissements commis par son prédécesseur lorsque ce dernier existe encore. D’autre part, TKS rappelle les considérations que la Cour a développées au point 88 de l’arrêt ThyssenKrupp/Commission, précité, en vertu desquelles il n’y aurait eu aucune succession économique entre les deux entreprises et que ni l’unité d’action existant entre ces dernières ni les déclarations faites par TKS au cours de la procédure administrative ne permettaient de justifier cette imputabilité. Enfin, TKS se prévaut du principe jus publicum privatorum pactis mutari non potest pour soutenir qu’une convention particulière telle que la déclaration du 23 juillet 1997 ne peut pas modifier les conséquences juridiques attachées à l’application des règles du droit public, a fortiori du droit pénal.

159. La Commission conteste une telle argumentation. Dans la lignée des observations déposées au cours de la procédure engagée contre la décision initiale, la Commission a, de nouveau, indiqué lors de l’audience que la situation en cause relevait d’un cas de succession économique. En outre, elle a estimé qu’il n’existait aucun obstacle juridique à ce qu’elle tienne compte d’une telle déclaration, exprimée librement et consciemment par TKS, pour imputer à celle-ci la responsabilité des agissements anticoncurrentiels de Thyssen.

b)      Notre appréciation

160. Nous ne pouvons pas partager l’argumentation de la Commission.

161. En effet, en rendant TKS responsable de l’infraction commise par Thyssen, la Commission viole le principe de la responsabilité personnelle et le corollaire de celui-ci, à savoir le principe de la personnalité des peines et des sanctions, sur lequel est fondée l’imputabilité des ententes illicites (58).

162. Ces principes constituent des garanties fondamentales issues du droit répressif. Conformément au principe de la responsabilité personnelle, nul n’est responsable que de son propre fait. En vertu du principe de la personnalité des peines, une peine ne peut être subie par une autre personne que le coupable. Ces principes s’opposent donc à l’engagement de la responsabilité d’une personne physique ou d’une personne morale qui n’a été ni l’auteur ni le complice d’une infraction et constituent ainsi autant de limites à l’exercice du jus puniendi des pouvoirs publics. Ils constituent également autant de limites à l’usage des personnes privées qui ne peuvent se reconnaître faussement coupables d’une infraction qu’elles n’ont pas commise.

163. Ainsi que nous l’avons indiqué, la Cour a admis l’applicabilité du principe de la responsabilité personnelle aux règles de la concurrence dans l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité. Dans cette affaire, le juge a considéré que, compte tenu de la nature de l’infraction en cause ainsi que de la nature et du degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, la responsabilité pour la commission d’une infraction aux règles de la concurrence a un caractère personnel (59). Déjà, dans l’arrêt Hüls/Commission, précité, la Cour avait fait une application du principe de la présomption d’innocence (60). Or, nous ne voyons pas comment le respect de ce principe pourrait s’accommoder de la condamnation d’une personne qui se reconnaît faussement coupable.

164. Ainsi, lorsqu’une entité économique enfreint les règles de la concurrence, il incombe à la personne physique ou à la personne morale qui exploite cette entité de répondre des conséquences de ses propres actes même si, au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entreprise a été placée sous la responsabilité d’une autre personne (61). Tant que la personne morale qui dirigeait l’entreprise au moment de l’infraction existe, la responsabilité du comportement infractionnel de l’entreprise suit cette personne morale, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction ont été repris après la période d’infraction par une tierce personne (62).

165. Néanmoins, dans un domaine tel que celui de la concurrence, les autorités de poursuites sont confrontées à des conduites intriquées, qui se manifestent par des comportements insidieux susceptibles de masquer ou de modifier l’identité de l’auteur des faits (à la suite, par exemple, de restructurations, de cessions ou d’autres changements juridiques ou organisationnels (63)). Pour éviter que des entreprises échappent aux sanctions infligées par la Commission et afin d’assurer une mise en œuvre efficace des règles de la concurrence, la Cour permet, de façon stricte, qu’un agissement anticoncurrentiel commis par une société soit imputé à une autre dans deux types de situations, à savoir, premièrement, lorsque les entreprises en cause appartiennent à un groupe de sociétés (ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire) et, deuxièmement, lorsque la nouvelle entreprise poursuit l’activité de l’auteur des faits d’une manière telle qu’il existe une «continuité économique» entre la première et la seconde (64).

166. Cependant, le critère tiré de la «continuité économique» ne peut jouer qu’au cas où la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise aurait cessé d’exister juridiquement ou économiquement après la commission de l’infraction (65). Or, c’est là que le bât blesse.

167. En effet, si les activités à travers lesquelles Thyssen a pu concourir à l’infraction ont été cédées à TKS à partir du 1er janvier 1995, Thyssen n’a pas perdu son existence juridique et a continué à exercer des activités économiques dans d’autres secteurs, en dehors de tout lien structurel avec TKS. Ainsi que l’a relevé la Commission au point 10 des motifs de la décision litigieuse, Thyssen existait encore au jour de l’adoption de cette décision, le 20 décembre 2006. Comme l’a relevé la Cour au point 88 de l’arrêt ThyssenKrupp/Commission, précité, nous ne sommes donc pas dans le cadre d’une succession économique entre les deux entreprises. Par conséquent, Thyssen devait être considérée comme responsable de tous les agissements auxquels elle a participé avant le transfert de sa branche d’activité à TKS le 1er janvier 1995. À cet égard, telle était l’intention première de la Commission puisque, le 24 avril 1997, celle-ci a adressé une communication des griefs distincte à TKS et à Thyssen. Chacune de ces entreprises y a d’ailleurs répondu de manière distincte.

168. Dans ces conditions, la Commission, à l’article 2, paragraphe 2, de la décision litigieuse, ne pouvait pas déroger au principe de la responsabilité personnelle en rendant TKS responsable du comportement infractionnel que Thyssen a adopté entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994.

169. La décision litigieuse méconnaît donc le principe de la responsabilité personnelle et néglige la circonstance décisive, résultant d’une jurisprudence constante de la Cour, de l’absence de continuité économique entre TKS et Thyssen.

170. En outre, la Commission ne pouvait pas légitimement se fonder sur la déclaration du 23 juillet 1997 pour déroger à l’application des règles du droit de la concurrence.

171. En agissant ainsi, la Commission méconnaît la nature de ces règles et se départit du rôle qui lui incombe au titre de celles-ci. Lesdites règles sont d’ordre public. D’une part, elles permettent d’assurer l’établissement d’une concurrence saine et efficace sur le marché commun en prohibant les accords anticoncurrentiels et participent, par conséquent, à l’accomplissement des missions confiées à l’Union. D’autre part, elles permettent de veiller au bien-être du consommateur en le protégeant de certaines pratiques des entreprises. Dans cette mesure, il s’agit de règles de droit impératives qui s’imposent à tous et que les parties ne peuvent donc pas écarter par l’intermédiaire de conventions particulières.

172. Or, rappelons, à cet égard, qu’il incombe à la Commission, en premier, de veiller à l’application des principes fixés à l’article 81 CE (66). Elle ne peut donc pas accepter une déclaration unilatérale telle que la déclaration du 23 juillet 1997 qui aboutit à déroger aux règles et aux principes relatifs à l’imputabilité des pratiques anticoncurrentielles. De la même façon, elle ne peut pas tolérer une déclaration par laquelle une entreprise se reconnaît faussement coupable d’une infraction qu’elle n’a pas commise.

173. Par conséquent, au vu de ces considérations, nous sommes d’avis que la décision litigieuse est entachée d’une violation du principe de la responsabilité personnelle en ce qui concerne l’imputabilité de l’infraction commise par Thyssen entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994.

174. Ainsi, nous pensons que l’article 2, paragraphe 2, de la décision litigieuse doit être annulé en tant qu’il impute à TKS la responsabilité de ladite infraction.

175. L’infraction reprochée à Thyssen est constituée et celle-ci a été entendue puisque la Commission a adressé une communication des griefs distincte à Thyssen le 24 avril 1997, à laquelle Thyssen a répondu séparément. Ainsi que cela ressort du point 13 des motifs de la décision litigieuse, Thyssen a répondu à la communication des griefs en son nom propre.

176. La question est, à présent, de savoir si la Commission est encore en mesure de condamner Thyssen au paiement d’une amende en raison des agissements anticoncurrentiels qu’elle a commis entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994, tels que définis à l’article 1er de la décision litigieuse.

2.      Sur la prescription du pouvoir de la Commission de sanctionner l’infraction commise par Thyssen

177. Dans le cadre de son septième moyen d’annulation, TKS prétend que l’infraction commise par Thyssen est prescrite depuis 1999 ou, au plus tard, depuis 2003. Elle soutient, notamment, qu’il n’y aurait eu aucune interruption de la prescription, ni de suspension de celle-ci, Thyssen n’ayant pas été partie à la procédure engagée contre la décision initiale. En outre, elle fait valoir que, puisque l’infraction qui lui est reprochée est une infraction commise par Thyssen, la sanction qui lui est infligée ne peut l’être que dans la mesure où elle pouvait être imposée à son prédécesseur en droit, à savoir Thyssen.

178. La Commission conclut au rejet de ce moyen (67).

179. Compte tenu des données factuelles de l’affaire, l’examen de ce moyen dépend de l’interprétation des règles relatives à la prescription et, en particulier, de celles concernant la suspension de la prescription visées aux articles 2 et 3 de la décision n° 715/78 et à l’article 25 du règlement n° 1/2003. Pour des raisons de clarté et compte tenu du fait que les termes desdites dispositions sont en substance identiques, nous viserons uniquement les dispositions du règlement n° 1/2003.

180. Deux questions se posent.

181. La première concerne la portée de la suspension. La question est de savoir si, lorsqu’un recours est introduit devant le juge de l’Union, la suspension de la prescription a un effet relatif, c’est-à-dire qu’elle ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise requérante, ou erga omnes, auquel cas la suspension de la prescription pendant la procédure vaut à l’égard de toutes les entreprises ayant participé à l’infraction, qu’elles aient ou non formé un recours. Contrairement à ce qui est expressément prévu pour l’interruption de la prescription, l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 reste silencieux sur ce point.

182. Cette question est identique à celle qui se pose dans le cadre du pourvoi introduit contre l’arrêt rendu par le Tribunal dans l’affaire ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission, précitée. Dans cet arrêt, celui-ci a considéré que la suspension de la prescription prévue à l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise requérante (68). La Cour doit, pour la première fois, statuer sur ce point.

183. La seconde question concerne les effets d’un jugement d’annulation. La question est de savoir si l’annulation d’une décision de la Commission à l’issue de la procédure juridictionnelle rend la suspension de la prescription, comme la décision elle-même, rétroactivement inexistante. La Cour a répondu par la négative dans l’arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (69).

184. Pour les raisons que nous exposerons, nous ne partageons ni la position que le Tribunal a adoptée dans l’arrêt ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission, précité, ni celle adoptée par la Cour dans l’arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité. En effet, cette interprétation des règles de la prescription, combinée aux jeux des multiples actes interruptifs de prescription et à la longueur des procédures, vide de son sens le principe même de la prescription.

185. La présente affaire en est une parfaite illustration puisque, quinze ans après la fin de l’infraction, Thyssen n’est toujours pas fixée sur son sort. Cela résulte d’une multiplication des actes interruptifs de prescription (au nombre de six), de l’annulation de la décision initiale en ce qui concerne TKS et de la suspension de la prescription pendant une durée de onze ans (70). Pour surprenant que cela puisse paraître, la prescription de dix ans fixée à l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 n’est toujours pas acquise. Elle le sera au mois d’avril 2016, soit 21 ans après la fin de l’infraction.

a)      Les considérations liminaires

186. Avant d’aborder l’examen de ces questions, il est nécessaire de rappeler la nature et la portée des règles de prescription dans le cadre du contentieux de la concurrence.

187. La prescription des poursuites constitue un principe universel et fondamental de notre droit. Elle peut être définie comme une cause d’extinction de l’action publique par l’effet de l’écoulement d’une période de temps depuis le jour de la commission de l’infraction. Elle s’applique, en principe, à toutes les infractions, même les plus graves, à la seule exception des crimes contre l’humanité déclarés imprescriptibles conformément aux exigences internationales. À l’expiration du délai de prescription, l’action publique est éteinte et plus aucune poursuite n’est possible contre les participants à l’infraction.

188. La prescription tend à établir la paix sociale et répond à un souci commun de sécurité juridique. Dans son arrêt du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission (71), la Cour a ainsi affirmé, au sujet de la prescription, que l’«exigence fondamentale de la sécurité juridique s’oppose à ce que la Commission puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs» et que, pour remplir sa fonction, un délai de prescription doit être fixé d’avance (72). Classiquement, plusieurs justifications sont apportées à la prescription. Tout d’abord, avec le temps, la répression perd sa raison d’être à cause de la disparition progressive du trouble causé à l’ordre public par l’infraction. Ensuite, dans un esprit plus protecteur des intérêts des personnes et des entreprises en cause, les preuves de l’infraction sont plus difficiles à conserver ou à établir au terme d’un certain délai. Enfin et surtout, la prescription permet de sanctionner l’inertie, la carence ou bien la négligence des autorités en charge des poursuites et favorise le jugement des auteurs d’infractions dans un délai raisonnable.

189. En ce qui concerne les infractions au droit de la concurrence, la prescription est acquise dans un délai de cinq ans à compter du jour où l’infraction a pris fin, et ce en vertu de l’article 25, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1/2003. Néanmoins, conformément à l’article 25, paragraphe 3, de ce règlement, cette prescription peut être interrompue par tout acte de la Commission qui vise à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. Cette interruption anéantit rétroactivement le délai qui a déjà couru et marque le point de départ d’un nouveau délai. En outre, en vertu de l’article 25, paragraphe 6, dudit règlement, la prescription peut être suspendue lorsqu’une procédure juridictionnelle est en cours. Dans ce cas, le délai de prescription s’arrête momentanément de courir.

190. Enfin, le législateur de l’Union a prévu à l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003 que la prescription est acquise dans un délai maximal de dix ans sans que la Commission ait prononcé une amende. Il ajoute, néanmoins, que ce délai est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue.

b)      Sur la première question, relative à l’effet relatif ou absolu de la suspension de la prescription

191. Nous pensons que la suspension de la prescription pendant la procédure juridictionnelle doit valoir à l’égard de toutes les entreprises qui ont participé à l’infraction, qu’elles aient ou non formé un recours.

192. Nous ne partageons donc pas la position que le Tribunal a adoptée dans l’arrêt ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission, précité, selon laquelle la suspension ne vaut qu’à l’égard de l’entreprise requérante, et ce pour deux raisons.

193. Premièrement, cette position ne tient pas compte de la nature objective de la prescription. En effet, la prescription s’attache uniquement aux faits. Elle présente un caractère réel qui est indépendant des personnes en cause. Ainsi, lorsque l’action que la Commission peut engager s’éteint par l’effet de la prescription, cette extinction concerne l’ensemble des faits en cause et bénéficie à tous les participants.

194. En ce qui concerne l’interruption de la prescription, cela ressort très clairement de l’article 25, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 puisqu’il est indiqué que l’«interruption de la prescription vaut à l’égard de toutes les entreprises et associations d’entreprises ayant participé à l’infraction». Le texte de l’article 25, paragraphe 6, de ce règlement relatif à la suspension de la prescription est plus général et ne précise pas ce point. Néanmoins, dans le silence des textes, les effets entraînés par l’interruption et la suspension de la prescription doivent être identiques. Toutes deux constituent des exceptions à la prescription. Celle-ci étant objective, elles doivent donc toutes deux s’appliquer aux faits eux-mêmes. Cela s’impose d’autant plus que nous sommes dans le cadre d’une infraction complexe, continue et surtout collective.

195. Deuxièmement, la solution retenue par le Tribunal entraîne un effet pernicieux. L’effet relatif de la suspension peut, effectivement, aboutir à ce que la Commission ne puisse plus engager d’actions à l’égard d’une entreprise laissée à tort de côté, puisque cette action pourrait être prescrite.

196. Nous ne voyons donc aucune raison d’introduire une distinction qui nous semblerait artificielle entre les effets de l’une ou de l’autre à l’égard des entreprises ayant participé à l’infraction.

197. Aux fins de l’application de l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 à la présente affaire, nous proposons donc à la Cour de considérer que la suspension de la prescription pendant la procédure juridictionnelle doit valoir à l’égard de toutes les entreprises qui ont participé à l’infraction, qu’elles aient ou non formé un recours.

c)      Sur la seconde question, relative aux effets d’un arrêt d’annulation d’une décision sur le calcul du délai de prescription

198. Comme nous l’avons indiqué, la Cour a déjà été saisie de la question des effets d’un arrêt d’annulation d’une décision sur le calcul du délai de prescription dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, relative à une entente anticoncurrentielle dans le domaine du polychlorure de vinyle. Les faits de cette affaire sont assez semblables à la présente affaire puisque la première décision de condamnation de la Commission a été annulée par le juge de l’Union, les entreprises se prévalant alors de la prescription des poursuites.

199. Dans cet arrêt, la Cour a rejeté l’argument soulevé par les requérantes selon lequel l’annulation de cette première décision avait rendu la suspension de la prescription, comme la décision elle-même, rétroactivement inexistante. La Cour a considéré qu’une telle interprétation priverait de tout son sens la règle de la suspension, puisque, selon elle, «c’est le fait même qu’un recours est pendant devant le Tribunal ou la Cour qui justifie la suspension, et non les conclusions auxquelles parviennent ces juridictions dans leur arrêt» (73).

200. Par ce raisonnement, nous comprenons que la Cour souhaite préserver le droit de poursuite de la Commission des longueurs de la procédure juridictionnelle. En effet, en admettant que l’annulation de la décision entraîne la disparition rétroactive de la suspension, le juge de l’Union s’expose et expose la Commission à ce que la prescription soit acquise à l’issue de la procédure juridictionnelle, compte tenu de la durée de cette dernière.

201. Pour louable que soit cette intention, nous ne pensons pas qu’elle puisse autoriser une interprétation telle que celle retenue dans ledit arrêt.

202. Tout d’abord, si nous partageons la conclusion selon laquelle la suspension est bien justifiée par l’existence d’un recours juridictionnel et non par l’issue de la procédure juridictionnelle, il n’en reste pas moins que le juge de l’Union doit tirer toutes les conséquences d’un arrêt d’annulation.

203. En effet, aux termes de l’article 264, paragraphe 1, TFUE, «[s]i le recours est fondé, la Cour […] déclare nul et non avenu l’acte contesté». Par l’effet d’un jugement d’annulation, l’acte en cause disparaît donc rétroactivement de l’ordonnancement juridique. En vertu de la jurisprudence, cet acte est donc censé n’avoir jamais existé (74). Quant à ses effets, ils sont, en principe, anéantis rétroactivement, à moins que la Cour n’indique, conformément à l’article 264, paragraphe 2, TFUE, ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. À cet égard, il ne paraît pas douteux, à nos yeux, que les effets juridiques de l’acte en cause sont exclusivement ceux figurant dans son dispositif.

204. En ce qui concerne les parties, la Cour considère qu’elles doivent être «replacées dans la situation antérieure et […] reprendre l’examen des questions litigieuses pour les résoudre conformément au droit [de l’Union]» (75). En d’autres termes, les parties doivent être remises dans le même et semblable état où elles se trouvaient avant l’acte annulé. Par conséquent, en application de ces principes, les circonstances procédurales postérieures à l’acte en question ne sauraient en aucun cas être prises en compte. De la même façon qu’un acte d’instruction invalide ne peut pas être interruptif de prescription, le recours contre une décision non avenue ne peut pas être suspensif.

205. Replacer les parties dans la situation antérieure, c’est, après l’arrêt d’annulation, les considérer dans leur situation juridique respective comme si l’acte annulé n’avait jamais été pris. Reprendre l’examen des questions litigieuses pour les résoudre conformément au droit de l’Union, c’est considérer, au jour du nouvel examen, quelles sont les règles juridiques qui s’appliquent, tant de forme que de fond, comme si la sanction devait être prise pour la première fois. Si, par exemple, la base juridique qui permettait d’asseoir la sanction a disparu, évidemment l’action ne pourra reprendre. Si le délai pour agir est expiré, on ne voit pas pourquoi il faudrait, néanmoins, que l’action restât possible.

206. Dans le contentieux de la concurrence, cela devrait donc signifier que l’annulation de la décision entraîne avec elle la disparition rétroactive de la suspension de la prescription et que la Commission doit, dans le délai qui lui reste avant que la prescription ne soit acquise, adopter une nouvelle décision conforme au droit de l’Union.

207. L’application d’une solution contraire se heurte, de surcroît, à l’obligation du respect du délai raisonnable garanti tant aux articles 41, paragraphe 1, et 47, paragraphe 2, de la charte qu’à l’article 6 de la CEDH (76).

208. En effet, l’interprétation des règles fixées à l’article 25 du règlement n° 1/2003 ne doit, sous aucun prétexte, priver l’entreprise du droit d’être poursuivie et jugée dans un délai raisonnable. Le respect de ce principe fondamental s’impose, tout d’abord, à la Commission en charge de la phase administrative de la procédure (77). Il s’impose également au juge de l’Union, chargé du contrôle de légalité des décisions de la Commission (78).

209. Les règles de prescription comme le principe du délai raisonnable font du temps un impératif dans l’organisation des procédures. Ils traduisent le souci légitime de l’ordre juridique de soumettre à certains délais l’exercice du pouvoir de poursuite qui incombe à la Commission et l’exercice du contrôle de légalité qui relève des autorités juridictionnelles. Ainsi que l’a jugé la Cour dans l’arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission (79), il importe d’éviter que les droits de la défense puissent être irrémédiablement compromis en raison de la durée excessive de la phase d’instruction et que cette durée soit susceptible de faire obstacle à l’établissement de preuves visant à réfuter l’existence de comportements de nature à engager la responsabilité des entreprises concernées. Pour cette raison, la Cour juge que l’appréciation de la source de l’éventuel affaiblissement de l’efficacité des droits de la défense doit s’étendre à l’ensemble de la procédure, administrative et juridictionnelle, en se référant à la durée totale de celle-ci (80).

210. Or, une procédure pour infraction au droit de la concurrence, qui se prescrit, en principe, dans un délai de cinq ans et qui est toujours en cours 20 ans après la commission de l’infraction, respecte-t-elle le délai raisonnable?

211. La Commission, comme le juge de l’Union, doit donc s’assurer que la mise en œuvre des règles de prescription favorise le jugement des auteurs d’infractions dans un délai raisonnable et dans le cadre d’une procédure diligente. Si des questions d’ordre matériel empêchent la réalisation de ces objectifs, il appartient à l’Union, après analyse, d’y apporter les solutions nécessaires.

212. Au vu de ces éléments, nous proposons donc à la Cour de considérer que, aux fins de l’application de l’article 25, paragraphe 6, du règlement n° 1/2003 à la présente affaire, l’annulation de la décision à l’issue de la procédure juridictionnelle a rendu la suspension, comme la décision elle-même, rétroactivement inexistante.

d)      L’application à la présente affaire

213. Au vu de ces éléments, l’infraction commise par Thyssen entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994 est prescrite depuis le 24 avril 2002.

214. En effet, l’annulation de la décision initiale a rendu la première suspension de la prescription, comme cette décision, inexistante. Le dernier acte interruptif de la prescription a donc été la notification de la communication des griefs le 24 avril 1997. Conformément à l’article 25, paragraphe 5, du règlement n° 1/2003, la prescription court à nouveau à partir de chaque interruption. Par conséquent, la prescription quinquennale en ce qui concerne l’infraction commise par Thyssen a été acquise le 24 avril 2002.

215. L’infraction commise par Thyssen est, par conséquent, prescrite.

VI – Sur les dépens

216. Aux termes de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

217. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

218. Dans la présente affaire, la Commission a succombé sur la majeure partie de ses prétentions. Nous proposons, par conséquent, à la Cour de condamner la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que 50 % des dépens exposés par TKS.

219. TKS supportera 50 % de ses dépens.

VII – Conclusion

220. Au regard des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de déclarer:

«1)      L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 1er juillet 2009, ThyssenKrupp Stainless AG/Commission (T-24/07), est annulé.

2)      L’article 2, paragraphe 2, de la décision 2007/486/CE de la Commission, du 20 décembre 2006, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (Affaire COMP/39.234 – Extra d’alliage, réadoption), est annulé en tant qu’il impute à ThyssenKrupp Stainless AG la responsabilité de l’infraction commise par Thyssen Stahl AG entre le 16 décembre 1993 et le 31 décembre 1994.

3)      L’infraction commise par Thyssen Stahl AG est prescrite.

4)      La Commission européenne supportera ses propres dépens ainsi que 50 % de ceux exposés par ThyssenKrupp Stainless AG.

5)      ThyssenKrupp Stainless AG supportera 50 % de ses propres dépens.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Anciennement ThyssenKrupp Nirosta AG, anciennement ThyssenKrupp Stainless AG, ci-après «TKS».


3 – T-24/07, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué».


4 – JO 2007, L 182, p. 31, ci-après la «décision litigieuse».


5 – Ci-après «Thyssen».


6 – T-405/06, Rec. p. II-771.


7 – Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO L 1, p. 1).


8 – JO L 94, p. 22. Lesdites règles trouvent leur origine dans le règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1), qui n’est pas applicable dans la présente affaire.


9 – À la suite d’une série de changements de dénomination sociale, Krupp Thyssen Nirosta GmbH est successivement devenue ThyssenKrupp Stainless AG et, enfin, ThyssenKrupp Nirosta GmbH.


10 – Décision du 21 janvier 1998 relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (Affaire IV/35.814 − Extra d’alliage) (JO L 100, p. 55, ci-après la «décision initiale»).


11 – T-45/98 et T-47/98, Rec. p. II-3757.


12 – C-65/02 P et C-73/02 P, Rec. p. I-6773.


13 – T-25/04, Rec. p. II-3121.


14 – Convention signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»).


15 – Sur cette question, voir affaires actuellement pendantes devant la Cour KME Germany e.a./Commission (C-272/09 P) ainsi que Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Commission (C-73/10 P).


16 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A n° 22, § 82. Pour un exposé de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne l’application de ces critères, voir Cour eur. D. H., arrêt Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, § 29 à 39.


17 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Ezeh et Connors c. Royaume-Uni du 9 octobre 2003, Recueil des arrêts et décisions 2003-X, § 86.


18 – Par exemple, à propos d’une contravention administrative infligée à la suite d’un accident de la circulation, voir Cour eur. D. H., arrêt Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A n° 73; à propos d’une sanction infligée en raison d’une infraction douanière, voir Cour eur. D. H., arrêt Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A n° 141-A; à propos d’une sanction infligée par le conseil des marchés financiers français, voir Cour eur. D. H., décision Didier c. France du 27 août 2002, Recueil des arrêts et décisions 2002-VII; à propos d’une majoration d’impôt infligée dans le cadre d’une procédure de redressement fiscal, voir Cour eur. D. H., arrêt Jussila c. Finlande, précité, et, à propos d’un blâme infligé par la commission bancaire française, voir Cour eur. D. H., arrêt Dubus S.A. c. France du 11 juin 2009.


19 – À cet égard, voir Cour eur. D. H., décisions Melchers and Co. c. Allemagne du 9 février 1990; Société Stenuit c. France du 30 mai 1991, et Lilly c. France du 3 décembre 2002. Voir, également, Cour eur. D. H., arrêts précités Jussila c. Finlande, § 43 et Dubus S.A. c. France, § 35, ainsi que, pour une interprétation isolée, Cour eur. D. H., arrêt OOO Neste et autres c. Russie du 3 juin 2004.


20 – Arrêt du 8 juillet 1999 (C-49/92 P, Rec. p. I-4125).


21 – Point 78. Cette jurisprudence a été confirmée (voir arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97/08 P, non encore publié au Recueil, point 77).


22 – Arrêt du 8 juillet 1999 (C-199/92 P, Rec. p. I-4287).


23 – Point 150.


24 – JO 2010, C 83, p. 389, ci-après la «charte».


25 – Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331.


26 – Arrêt du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission (C-76/06 P, Rec. p. I-4405).


27 – Voir arrêts précités González y Díez/Commission, qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi, et ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission, qui, nous le rappelons, fait l’objet de pourvois actuellement pendants devant la Cour (C-201/09 P et C-216/09 P).


28 – Premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204).


29 – JO 2002, C 152, p. 5.


30 – T-27/03, T-46/03, T-58/03 et T-79/03 et T-80/03, T-97/03 et T-98/03, Rec. p. II-4331.


31 – Voir arrêt du 4 avril 2000, Commission/Conseil (C-269/97, Rec. p. I-2257), dans lequel celle-ci a jugé que les «actes communautaires doivent être adoptés conformément aux règles du traité en vigueur au moment de leur adoption» (point 45).


32 – Voir arrêt du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter (C-408/04 P, Rec. p. I-2767, point 88 et jurisprudence citée).


33 – Voir arrêt du 2 mai 1996, Hopkins e.a. (C-18/94, Rec. p. I-2281, point 14 ainsi que jurisprudence citée).


34 – Arrêt du 15 juillet 1960, Campolongo/Haute Autorité (27/59 et 39/59, Rec. p. 795, 824).


35 – Voir avis 1/91, du 14 décembre 1991 (Rec. p. I-6079, point 21).


36 – Arrêt du 25 février 1969, Klomp (23/68, Rec. p. 43, point 13).


37 – Arrêt du 22 février 1990 (C-221/88, Rec. p. I-495, points 8 à 16).


38 – Arrêt du 18 juillet 2007 (C-119/05, Rec. p. I-6199).


39 – Souligné par nos soins.


40 – Arrêt Busseni, précité (point 16).


41 – Arrêt Lucchini, précité (point 41).


42 – Il est, à cet égard, intéressant de noter que, conformément aux lignes directrices établies en 1998 par le législateur de l’Union, le calcul de l’amende infligée à une entreprise qui a violé l’article 65, paragraphe 1, CA ou l’article 81, paragraphe 1, CE se fonde sur les critères établis dans le cadre du traité CE, à savoir la gravité et la durée de l’infraction [voir lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement n° 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3)].


43 – Point 83 de l’arrêt attaqué.


44 – Voir arrêt de la Cour du 14 février 2008, Varec (C-450/06, Rec. p. I-581), dans lequel celle-ci a rappelé que les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (point 27).


45 – Par exception à cette règle, la Cour considère que les règles de fond peuvent viser des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur lorsque l’examen de leurs termes, de leurs finalités ou de leur économie permet de leur attribuer un tel effet (arrêt Varec, précité).


46 – Souligné par nos soins.


47 – Souligné par nos soins.


48 – Souligné par nos soins.


49 – Voir arrêt du 29 juin 2010, Commission/Luxembourg (C-526/08, non encore publié au Recueil, point 26 et jurisprudence citée).


50 – Arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss (C-126/97, Rec. p. I-3055, point 46). Voir, également, Cour eur. D. H., arrêt Brumărescu c. Roumanie du 28 octobre 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-VII, dans lequel le juge européen affirme sans ambages que la sécurité juridique commande que «la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause» (point 61).


51 – Voir arrêt Commission/Luxembourg, précité (point 27 et jurisprudence citée).


52 – Arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C-413/06 P, Rec. p. I-4951, point 61).


53 – C-89/08 P, non encore publié au Recueil, points 50 à 59. Pour un exposé du contenu dudit principe, voir points 87 à 107 de nos conclusions dans cette affaire.


54 – Arrêt Commission/Irlande e.a., précité (point 54).


55 – Audit point, le Tribunal a indiqué qu’«il n’est pas contesté que, compte tenu de la déclaration […] [du] 23 juillet 1997, la Commission était exceptionnellement en droit d’imputer à [TKS] la responsabilité du comportement infractionnel reproché à Thyssen [et que,] [e]n effet, il y a lieu de considérer qu’une telle déclaration, qui répond, notamment, à des considérations économiques propres aux opérations de concentration entre entreprises, implique [un tel transfert]».


56 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Ernst et autres c. Belgique du 15 juillet 2003, § 60.


57 – Pour un exposé plus exhaustif des arguments des parties, voir points 105 à 109 de l’arrêt attaqué.


58 – Arrêt Akzo Nobel e.a./Commission, précité (point 56 ainsi que jurisprudence citée).


59 – Point 78.


60 – Point 150.


61 – Voir arrêts du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission (C-248/98 P, Rec. p. I-9641, point 71); Cascades/Commission (C-279/98 P, Rec. p. I-9693, point 78); Stora Kopparbergs Bergslags/Commission (C-286/98 P, Rec. p. I-9925, point 37); SCA Holding/Commission (C-297/98 P, Rec. p. I-10101, point 25), ainsi que du 11 décembre 2007, ETI e.a. (C-280/06, Rec. p. I-10893, point 39 et jurisprudence citée).


62 – Voir, notamment, arrêt SCA Holding/Commission, précité (point 25).


63 – En effet, dans une telle situation, la Cour considère que l’objectif de réprimer les comportements contraires aux règles de la concurrence et d’en prévenir le renouvellement au moyen de sanctions dissuasives serait compromis (voir arrêt ETI e.a., précité, point 41 ainsi que jurisprudence citée).


64 – Voir arrêts du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 84); du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission (29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 9), et Commission/Anic Partecipazioni, précité (point 145).


65 – Voir arrêt ETI e.a., précité (point 40). Voir, également, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, dans lequel la Cour a rejeté l’argument qu’une société accusée d’un comportement punissable avait exposé pour s’exonérer de toute responsabilité, à savoir qu’elle avait cédé à une autre l’activité dans le cadre de laquelle elle s’était rendue coupable de l’infraction qui lui était reprochée (point 145). Cette affaire concernait le cas de deux entreprises existantes et opérationnelles dont l’une avait simplement cédé une certaine partie de ses activités à l’autre, et qui n’avaient pas de lien structurel entre elles.


66 – Voir article 105, paragraphe 1, TFUE.


67 – Pour un exposé plus exhaustif des arguments des parties, voir points 193 à 198 de l’arrêt attaqué.


68 – Points 151 à 158. Pour motiver son raisonnement, le Tribunal a avancé les raisons suivantes. La suspension de la prescription constituant une exception au principe de la prescription quinquennale, cette notion doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. La suspension concernant, par définition, une hypothèse dans laquelle la Commission a déjà adopté une décision, il n’est plus nécessaire d’attacher un effet erga omnes à cette suspension. Enfin, conformément à l’arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a. (C-310/97 P, Rec. p. I-5363), l’effet relatif des procédures judiciaires et les conséquences attachées à cet effet par la Cour s’opposeraient, en principe, à ce que le recours introduit par une entreprise destinataire de la décision en cause ait une incidence sur la situation des autres destinataires de cette décision.


69 – C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375, points 142 à 157. En ce qui concerne le Tribunal, voir, en particulier, arrêts du 6 octobre 2005, Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission (T-22/02 et T-23/02, Rec. p. II-4065, points 80 à 102), et ArcelorMittal Luxembourg e.a./Commission, précité (points 151 à 158), qui, nous le rappelons, fait l’objet de pourvois actuellement pendants devant la Cour (C-201/09 P et C-216/09 P).


70 – Thyssen a mis fin à l’infraction le 1er janvier 1995. Le délai de prescription a été interrompu à son égard, comme à l’égard de l’ensemble des entreprises parties à l’entente, le 24 avril 1997, à la suite de l’envoi de la communication des griefs, puis le 21 janvier 1998, date à laquelle la décision initiale a été rendue. Celui-ci a couru jusqu’au 11 mars 1998, soit pendant un mois et demi environ, date à laquelle TKS a introduit un recours en annulation devant le Tribunal. La prescription a été suspendue jusqu’au 13 décembre 2001, date à laquelle le Tribunal a rendu l’arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité, soit pendant sept ans et deux mois. Le délai de prescription a, de nouveau, été interrompu le 5 avril 2006 par l’envoi de la nouvelle communication des griefs puis le 20 décembre 2006 par la notification de la décision litigieuse. Ce délai a donc couru entre le 20 décembre 2006 et le 6 février 2007, date à laquelle TKS a introduit le recours en annulation contre la décision litigieuse, soit pendant un mois et demi environ. Ledit délai a, de nouveau, été suspendu entre l’introduction de ce recours et le 1er juillet 2009, date à laquelle le Tribunal a rendu l’arrêt attaqué, soit pendant deux ans et cinq mois. Le délai de prescription a couru, de nouveau, entre cette dernière date et l’introduction, le 2 septembre 2009, du présent pourvoi, soit pendant deux mois. Depuis cette dernière date et jusqu’à aujourd’hui, la prescription est suspendue depuis un an environ.


71 – C-74/00 P et C-75/00 P, Rec. p. I-7869.


72 – Points 139 et 140. Voir, également, arrêt du 2 octobre 2003, International Power e.a./NALOO (C-172/01 P, C-175/01 P, C-176/01 P et C-180/01 P, Rec. p. I-11421, points 106 et 107).


73 – Points 152 et 153.


74 – Voir arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil (22/70, Rec. p. 263, point 59); du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission (97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 30), et du 26 avril 1994, Roquette Frères (C-228/92, Rec. p. I-1445, point 17).


75 – Arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, précité (point 60).


76 – Pour un exposé du contenu de ce principe, voir points 267 et suiv. de nos conclusions rendues dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission (C-385/07 P, Rec. p. I-6155).


77 – Arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission (T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739, points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée), dans lequel celui-ci a relevé que le «respect par la Commission d’un délai raisonnable lors de l’adoption de décisions à l’issue des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue […] un principe général du droit communautaire».


78 – La Cour a introduit, en droit de la concurrence, le droit à être jugé dans un délai raisonnable dans le cadre des procédures de concurrence dans l’arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417). Elle a, ensuite, considéré dans l’arrêt Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, précité, que le non-respect de cette obligation pouvait donner lieu à une demande en indemnité en vertu d’un recours introduit contre la Communauté dans le cadre des articles 268 TFUE et 340, deuxième alinéa, TFUE.


79 – C-113/04 P, Rec. p. I-8831.


80 – Points 55 et 56 ainsi que jurisprudence citée.


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