X (Advocate General's Opinion) (French Text) [2014] EUECJ C-87/13_O (4 September 2014)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C8713_O.html
Cite as: [2014] EUECJ C-87/13_O, ECLI:EU:C:2014:2164, EU:C:2014:2164

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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Juliane Kokott

présentées le 4 septembre 2014 (1)

Affaire C-87/13

Staatssecretaris van Financiën

contre

X

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nerderlanden (Royaume des Pays-Bas)]

«Législation fiscale – Liberté d’établissement – Impôt national sur le revenu– Déduction plus élevée des charges d’entretien d’un bâtiment classé situé sur le territoire national et occupé par son propriétaire – Ressortissant néerlandais qui réside dans un bâtiment classé en Belgique alors qu’il exerce une activité professionnelle et est assujetti illimité aux Pays-Bas»





I –    Introduction

1.        Le Royaume des Pays-Bas souhaite avantager fiscalement la conservation de son patrimoine culturel. C’est pourquoi il accorde une déduction fiscale plus élevée pour l’entretien de bâtiments classés néerlandais.

2.        Le litige au principal concerne un ressortissant néerlandais qui habite et entretient un bâtiment, certes classé, mais situé en Belgique. Bien que la totalité de ses revenus soit imposée aux Pays-Bas, ce contribuable ne bénéficie d’aucun avantage fiscal pour l’entretien du bâtiment classé belge. En effet, la Royaume des Pays-Bas veut seulement aider les bâtiments classés néerlandais. Dans la présente affaire, la Cour devra se prononcer sur le point de savoir si cette limitation de l’avantage fiscal au patrimoine culturel national est compatible avec les libertés fondamentales.

II – Le cadre juridique

3.        Conformément à l’article 2.5, paragraphe 1, de la Wet inkomsbelasting 2001, dans la version de 2004 (loi néerlandaise relative à l’impôt sur le revenu, ci-après la «loi relative à l’impôt sur le revenu»), le résident d’un autre État membre peut décider d’être traité comme un contribuable résident aux Pays-Bas.

4.        Conformément à la loi relative à l’impôt sur le revenu, un contribuable est imposé pour les revenus de logements dont il est propriétaire, que ces logements soient donnés en location ou qu’il les occupe. Les revenus de logements occupés par leur propriétaire sont évalués en appliquant un certain pourcentage à la valeur de ces logements.

5.        Les charges liées aux logements occupés par leur propriétaire peuvent être déduites, jusqu’à une certaine limite, des revenus de ces logements. Lorsqu’il s’agit de bâtiments classés, il est possible de faire valoir la partie des charges excédant cette limite au titre d’une «déduction à caractère personnel». Cette règle s’applique aussi aux bâtiments donnés en location. L’article 6.31 de la loi relative à l’impôt sur le revenu subordonne la déduction à l’inscription du bâtiment dans un registre conformément à l’article 6 ou à l’article 7 de la Monumentenwet 1988 (loi néerlandaise relative à la protection des monuments). La juridiction de renvoi interprète ces dispositions en ce sens qu’il est possible d’inscrire seulement un bâtiment situé aux Pays-Bas.

III – Le litige au principal

6.        Le litige au principal a pour objet un avis d’imposition sur le revenu pour l’année 2004 adressé à M. X.

7.        M. X a la nationalité néerlandaise. En 2004, il a transféré sa résidence des Pays-Bas à son château en Belgique. Il est propriétaire du château, qui, avec ses abords, est classé en vertu du droit belge en tant que monument ou site rural protégé. Aux Pays-Bas, M. X a poursuivi son activité de gérant d’une société dont il est l’unique associé. En Belgique, il ne touche aucun revenu d’activité professionnelle.

8.        À sa demande, M. X a été traité comme un contribuable résidant aux fins de l’impôt sur le revenu pour l’année 2004. Dans sa déclaration d’impôt il a fait valoir 18 140 EUR en tant que déduction à caractère personnel pour des charges d’entretien et des amortissements concernant le château situé en Belgique. M. X aurait aussi pu faire valoir ces charges dans le cadre de l’impôt sur le revenu belge, en optant pour un type d’imposition déterminé. Toutefois, il y a renoncé car, en fin de compte, pour lui, cela n’aurait pas été avantageux fiscalement.

9.        L’administration fiscale néerlandaise a refusé la déduction à caractère personnel au motif que le château belge n’était pas inscrit dans un registre conformément à l’article 6 ou à l’article 7 de la loi sur les monuments. M. X a introduit un recours contre cette décision.

IV – La procédure devant la Cour

10.      Le Hoge Raad der Nederlanden, qui, entretemps, a été saisi du litige, estime qu’il est possible que les dispositions néerlandaises relatives à la déduction à caractère personnel pour les bâtiments classés enfreignent le droit de l’Union. C’est pourquoi, le 21 février 2013, en vertu de l’article 267 TFUE, elle a posé à la Cour les questions suivantes:

1.      Le droit de l’Union, et en particulier la réglementation en matière de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux, s’oppose-t-il à ce qu’une personne résidant en Belgique qui, à sa demande, est imposée comme contribuable résident aux Pays-Bas, et qui a exposé des dépenses relatives à un château qui est son habitation propre, situé en Belgique et considéré dans cet État comme monument et site rural protégé, ne puisse pas déduire ces dépenses pour l’imposition des revenus aux Pays-Bas, au motif que le château n’a pas été enregistré aux Pays-Bas comme monument historique protégé?

2.      Dans quelle mesure importe-t-il à cet égard que l’intéressé puisse déduire, pour l’impôt sur le revenu dans son pays de résidence, la Belgique, lesdites dépenses de ses revenus mobiliers actuels ou à venir, par le choix d’une imposition progressive de ces revenus ?

11.      Tout d’abord, la présente affaire avait été jointe à l’affaire C-133/13 aux fins de la procédure et de l’arrêt. Dans ces affaires jointes, des observations ont été présentées par M. X, Mme Q (partie au litige au principal dans l’affaire C-133/13), la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, ainsi que la Commission européenne, en juillet 2013. Ensuite la jonction des affaires a été annulée.

V –    L’appréciation en droit

12.      En posant les deux questions préjudicielles, auxquelles je répondrai conjointement, la juridiction de renvoi veut savoir en substance si le droit de l’Union permet de limiter à des bâtiments situés sur le territoire national un avantage fiscal national accordé à des bâtiments classés occupés par leur propriétaire. La juridiction de renvoi estime notamment que la disposition néerlandaise pourrait être incompatible avec la liberté d’établissement, consacrée à l’article 43 CE (voir sous A), ainsi qu’avec la libre circulation des capitaux consacrée à l’article 56, paragraphe 1, CE (voir sous B).

A –    La liberté d’établissement

1.      Restriction

13.      Une disposition accordant un avantage fiscal telle que la disposition néerlandaise pourrait restreindre la liberté d’établissement d’un contribuable comme M. X.

14.      A priori, M. X peut se prévaloir de la liberté d’établissement. En tant que gérant d’une société dont il est l’unique actionnaire, il exerce une activité non salariée au sens de l’article 43, second alinéa, CE (2). Le fait que M. X, qui exerce son activité aux Pays-Bas, est lui-même un ressortissant néerlandais ne s’oppose pas non plus à l’application de la liberté d’établissement. Certes, aux termes de son premier alinéa, première phrase, l’article 43 CE, protège seulement l’établissement «des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre», ce qui n’est pas le cas de M. X. Cependant, la jurisprudence de la Cour a étendu le champ de protection de la liberté d’établissement. Ainsi, tout ressortissant d’un État membre, indépendamment de sa nationalité, qui exerce une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de résidence relève du champ d’application de l’article 43 CE (3). C’était le cas de M. X, puisque, pendant la période concernée, il avait sa résidence en Belgique et il gérait les affaires de sa société aux Pays-Bas.

15.      Toute disposition nationale qui défavorise des non-résidents par rapport à des résidents peut restreindre la liberté d’établissement (4). En raison de la disposition néerlandaise, au contraire d’un résident, un non-résident n’a pas la possibilité de faire valoir une déduction à caractère personnel pour des charges liées à un bâtiment classé qu’il occupe. La circonstance que, comme le souligne le Royaume des Pays-Bas, l’avantage fiscal néerlandais s’applique aussi à des biens immobiliers qui ne sont pas occupés par leur propriétaire et que, à cet égard, résidents et non-résidents sont traités de la même manière, ne change rien à ce constat.

16.      Contrairement à l’avis de la République fédérale d’Allemagne, ce traitement défavorable de non-résidents restreint aussi l’exercice par une personne comme M. X de son activité professionnelle protégée par la liberté d’établissement. En effet, la disposition accordant un avantage fiscal conduit en fin de compte à faire peser une charge fiscale différente sur les revenus de l’activité professionnelle, selon que M. X réside dans un bâtiment classé situé aux Pays-Bas ou dans un autre État membre.

17.      Nous considérons que cette interprétation large de la notion de restriction est impérative car, dans une autre affaire, la Cour a déjà constaté que l’octroi d’un avantage fiscal seulement pour des logements situés sur le territoire national acquis à des fins d’habitation personnelle restreint la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement des personnes qui acquièrent un logement à des fins d’habitation personnelle dans un autre État membre (5).

18.      Par conséquent, en l’espèce il y a lieu de constater une restriction à la liberté d’établissement.

19.      Selon la jurisprudence, une telle restriction n’est légitime que lorsqu’elle concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables (voir ci-dessous, sous 2) ou lorsqu’elle est justifiée par un impératif d’intérêt général (6) (voir sous 3).

2.      La comparabilité objective des situations

20.      Dans l’arrêt Nordea Bank Danmark, la Cour n’a pas suivi notre proposition d’abandonner l’examen de la comparabilité objective des situations. Au contraire, en matière de droit fiscal, elle semble lui accorder encore plus d’importance (7).

21.      En l’espèce, se pose la question de savoir si la situation d’un contribuable, dont le bâtiment classé qu’il occupe est situé aux Pays-Bas et dont les revenus issus de ce bâtiment sont imposés dans cet État membre et la situation d’un contribuable, dont le bâtiment classé qu’il occupe est situé dans un autre État membre et dont les revenus de ce bâtiment sont également imposés aux Pays-Bas, sont objectivement comparables.

22.      Deux différences entre ces situations conduisent à se demander si elles sont objectivement comparables. Premièrement, dans un cas il s’agit d’un résident, dans l’autre d’un non-résident. Deuxièmement, dans un cas le bâtiment est classé en vertu du droit néerlandais, dans l’autre en vertu du droit belge.

a)      La différence de résidence entre les contribuables

23.      S’agissant de la différence de résidence des contribuables faisant l’objet de la comparaison, il convient de renvoyer à la jurisprudence constante selon laquelle en matière d’impôt sur le revenu, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables. En effet, il existe entre eux des différences objectives tant en ce qui concerne la source de revenu que la capacité contributive personnelle ainsi que la prise en compte de la situation personnelle et familiale (8). C’est pourquoi, le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu’il accorde au résident n’est, en règle générale, pas discriminatoire (9).

24.      Néanmoins, cette jurisprudence n’a qu’une application restreinte, si bien que l’on pourrait douter qu’elle ait valeur de principe. En effet, la Cour considère par ailleurs qu’il y a en tout état de cause une discrimination entre résidents et non-résidents si, nonobstant leur résidence dans des États membres différents, ceux-ci se trouvent dans une situation comparable (10). Seule une telle approche au cas par cas est conforme à la jurisprudence constante selon laquelle la comparabilité des situations doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par la disposition en cause (11). C’est pourquoi, notamment lorsqu’il s’agit d’avantages fiscaux, la Cour a, à plusieurs reprises, exigé en outre qu’il existe entre les résidents et les non-résidents une différence objective pour pouvoir considérer que leurs situations ne sont pas objectivement comparables (12).

25.      Par conséquent, il faut toujours examiner au cas par cas, sur le fondement de la disposition nationale en cause, si la situation des résidents et celle des non-résidents sont comparables. La jurisprudence ne permet pas de dégager un principe selon lequel, en règle générale, elles ne le seraient pas.

b)      Les différences entre les droits en matière de protection des monuments

26.      C’est pourquoi, en l’espèce, seule la deuxième différence pourrait rendre les situations objectivement incomparables, à savoir la circonstance que dans le cas de figure du contribuable résident, le logement est classé en vertu du droit néerlandais et dans le cas de M. X, il est classé en vertu du droit belge.

27.      D’après les indications de la juridiction de renvoi, la disposition en cause relative à la déduction fiscale de certaines charges, dont les charges d’entretien, de bâtiments classés a pour objectif de préserver le patrimoine culturel des Pays-Bas.

28.      Dans ces conditions, un bâtiment classé belge ne pourrait pas être objectivement comparable à un bâtiment classé néerlandais. En effet, la disposition vise seulement la promotion du patrimoine culturel situé aux Pays-Bas.

29.      Toutefois, cette façon de voir ne nous paraît pas appropriée.

30.      Certes, la République française a fait remarquer à juste titre que la Cour a jugé, notamment dans l’arrêt Persche, que les situations d’un organisme national et d’un organisme étranger sont objectivement comparables du point de vue de l’avantage fiscal seulement si ces deux organismes poursuivent des objectifs d’intérêt général identiques (13). Une différence de traitement est alors possible lorsque les organismes étrangers poursuivent des objectifs autres que ceux de la disposition fiscale nationale (14).

31.      Cependant, aux fins de l’examen de la comparabilité objective, l’objectif d’une disposition accordant un avantage fiscal ne peut pas être défini de manière purement nationale. En effet, autrement, tous les États membres pourraient tout simplement exclure les situations transfrontalières en définissant de manière purement nationale l’objectif d’une disposition nationale accordant un avantage fiscal. Si une disposition a un objet purement national, cela est au contraire la raison de supposer qu’elle restreint une liberté fondamentale. À la deuxième étape de l’examen de la comparabilité objective des situations, cet objet purement national ne peut pas directement rendre la restriction admissible. C’est pourquoi, s’il convient d’examiner la comparabilité objective des situations du point de vue de l’objectif d’une disposition nationale, cet objectif doit justement être défini en faisant abstraction de l’objet purement national de la disposition accordant un avantage fiscal.

32.      En l’espèce, cela signifie que la situation du non-résident, M. X, est objectivement comparable à celle d’un résident si son bâtiment peut aussi bénéficier d’une protection en tant que patrimoine culturel. Or, comme le château de M. X est classé en vertu du droit belge, a priori, il y a lieu de considérer qu’il en va bien ainsi.

33.      Contrairement à l’avis de la République française, le fait que le bien immobilier belge n’est pas soumis aux dispositions néerlandaises en matière de monuments classés, et notamment pas aux obligations et restrictions que cela comporte généralement, ne rend pas les situations objectivement incomparables. En effet, d’une part, le droit belge impose sans doute des contraintes comparables au propriétaire d’un bien immobilier belge. D’autre part, le fait qu’un contribuable comme M. X peut, le cas échéant, se soumettre volontairement aux dispositions néerlandaises en matière de monuments classés ne permet pas de considérer que les situations ne sont pas objectivement comparables.

c)      Conclusion relative à la comparabilité objective des situations

34.      Par conséquent, en l’espèce, la situation d’un contribuable, dont le bâtiment classé qu’il occupe est situé aux Pays-Bas et dont les revenus issus de ce bâtiment sont imposés dans cet État membre, et la situation d’un contribuable, dont le bâtiment classé qu’il occupe est situé dans un autre État membre et dont les revenus de ce bâtiment sont également imposés aux Pays-Bas, sont objectivement comparables.

3.      La raison impérative d’intérêt général

35.      Il reste à examiner si une disposition accordant un avantage fiscal pour des bâtiments classés, comme la disposition néerlandaise en cause, qui prend en compte uniquement des bâtiments classés situés sur le territoire national, est justifiée par une raison impérative d’intérêt général.

36.      Tout d’abord, il convient de préciser que, à cet égard, il ne saurait s’agir de savoir si le Royaume des Pays-Bas peut aider des bâtiments classés nationaux. En effet, a priori, cet objectif pourrait aussi être atteint si les dispositions néerlandaises accordant un avantage fiscal s’appliquaient aussi à des bâtiments classés étrangers. Le Royaume des Pays-Bas ne pourrait pas opposer à cela qu’une extension de l’avantage fiscal à des bâtiments classés étrangers entraînerait une réduction de recettes fiscales. En effet, selon une jurisprudence constante, la nécessité de prévenir la réduction de recettes fiscales ne figure pas parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une limitation d’une liberté instituée par le traité (15).

37.      Par conséquent, en l’espèce, il convient seulement de se demander s’il est possible de trouver une raison justifiant qu’un État membre limite à des bâtiments classés situés sur le territoire national l’avantage fiscal qu’il accorde.

38.      C’est pourquoi l’arrêt Commission/Italie, invoqué par plusieurs parties à la procédure, n’a qu’une pertinence limitée pour l’espèce. D’après cet arrêt, la conservation du patrimoine historique et artistique (national) peut constituer une raison impérative justifiant une restriction à la libre prestation de services (16). Toutefois cet arrêt avait pour objet des restrictions imposées à l’activité d’agents économiques étranger dans l’État membre en cause, en l’occurrence des guides touristiques, pour des raisons de conservation du patrimoine culturel national. Néanmoins, il ne se posait pas la question de savoir si une disposition d’un État membre accordant un avantage fiscal peut être limitée au patrimoine culturel national.

39.      À cet égard, il importe plutôt que, selon la jurisprudence, les États membres sont libres de décider quels intérêts de la collectivité qu’ils veulent promouvoir, en octroyant des avantages fiscaux(17). Par conséquent, il appartient aux États membres de définir l’objectif poursuivi par une disposition accordant un avantage fiscal.

40.      Néanmoins, dans différents arrêts, la Cour n’a pas autorisé une limitation de l’avantage fiscal à des objets purement nationaux au motif que l’objectif poursuivi pouvait aussi bien être atteint avec une aide étrangère. Ainsi, dans l’arrêt Petersen, elle n’a pas vu pourquoi seules les entreprises établies sur le territoire allemand pouvaient soutenir la politique de développement allemande (18). Dans l’arrêt relatif à la prime allemande d’accession à la propriété à des fins d’habitation personnelle, elle a considéré que l’objectif visant à satisfaire la demande de logements est tout autant atteint si l’acquisition de logements à l’étranger à des fins d’habitation personnelle était également aidée(19). De surcroît, dans plusieurs arrêts relatifs à la déduction des dons la Cour a constaté qu’un État membre ne saurait réserver le bénéfice d’avantages fiscaux aux seuls organismes, poursuivant certains objectifs d’intérêt général, qui sont établis sur son territoire (20).

41.      Toutefois, en fin de compte ces arrêts concernaient tous la question de savoir comment l’objectif défini par l’État membre peut aussi être atteint grâce à des agents économiques résidents d’un autre État membre. Cependant, en l’espèce, le résident d’un autre État membre, M. X. ne contribue pas à la réalisation de l’objectif poursuivi par la disposition néerlandaise accordant un avantage fiscal. En effet, les charges d’entretien que M. X fait valoir dans le cadre de l’imposition aux Pays-Bas ne servent pas à préserver des bâtiments classés situés aux Pays-Bas.

42.      Or, si, selon la jurisprudence, le Royaume des Pays-Bas est libre de décider quels objectifs il veut promouvoir, alors, la décision de n’aider que les bâtiments classés situés aux Pays-Bas conduit a priori à justifier la restriction à la liberté d’établissement imposée en l’espèce.

43.      Néanmoins, le droit de l’Union ne peut pas laisser les États membres totalement libre de définir les objectifs à promouvoir. Cela n’est pas lié uniquement à l’interdiction des aides d’État prévue à l’article 87, paragraphe 1 CE (actuel article 107, paragraphe 1, TFUE). Pour justifier une restriction aux libertés fondamentales, il faut aussi que l’objectif promu par l’avantage fiscal ne soit pas, du moins en tant que tel, manifestement protectionniste comme lorsque une disposition fiscale vise uniquement à promouvoir l’activité économique d’entreprises nationales ou des produits nationaux (21).

44.      Cependant, en l’espèce, l’objectif que poursuit l’État membre par le biais de la disposition accordant un avantage fiscal trouve lui-même un fondement dans les traités et peut donc servir à justifier la limitation d’une liberté fondamentale. Ainsi, l’article 30 CE (actuel article 36 TFUE) prévoit une justification de restrictions quantitatives entre États membres pour des raisons «de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique». En outre, en vertu de l’article 151, paragraphe 1, CE (actuel l’article 167, paragraphe 1, TFUE), la Communauté doit contribuer «à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale». Il ressort de ces dispositions que les traités font bien relever la conservation du patrimoine culturel d’un contexte purement national et que, par conséquent, la promotion de la culture nationale est un objectif légitime en droit de l’Union(22).

45.      De surcroît, selon la jurisprudence, la volonté de garantir l’existence d’un certain lien de rattachement entre la société de l’État membre concerné et le bénéficiaire d’une prestation est susceptible de constituer une considération objective d’intérêt général (23). En l’espèce, ce lien existe entre la société du Royaume des Pays-Bas et le patrimoine culturel néerlandais, dont la conservation est le but de la mesure accordant un avantage fiscal. Comme, par conséquent, la disposition ne vise pas à aider une personne en particulier, les liens existant entre M. X et la société néerlandaise importent peu.

46.      Ainsi, la limitation de la liberté d’établissement, par la disposition néerlandaise accordant un avantage fiscal, est justifiée par l’objectif légitime de conservation du patrimoine culturel national. Compte tenu de cet objectif poursuivi par le Royaume des Pays-Bas, l’exclusion de la promotion du patrimoine culturel d’autres États membres ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

4.      Conclusion

47.      La liberté d’établissement ne s’oppose pas à la limitation aux bâtiments situés sur le territoire national d’un avantage fiscal national accordé pour les bâtiments classés occupés par leur propriétaire, lorsque l’objectif à promouvoir est la conservation du patrimoine culturel national.

B –    La libre circulation des capitaux

48.      En l’espèce, il importe peu que la disposition néerlandaise accordant un avantage fiscal constitue, ou non, également une restriction à la libre circulation des capitaux consacrée à l’article 56, paragraphe 1, CE. De toute façon une telle restriction serait justifiée par l’objectif de conservation du patrimoine culturel néerlandais. Les considérations que nous avons exposées ci-dessus s’appliqueraient alors aussi.

C –    Conclusion

49.      Par conséquent, les libertés fondamentales invoquées ne s’opposent pas à une disposition nationale comme celle en cause en l’espèce, qui limite à des bâtiments situés sur le territoire national un avantage fiscal accordé pour des bâtiments classés occupés par leur propriétaire.

VI – Conclusion

50.      C’est pourquoi nous proposons de répondre comme suit aux questions préjudicielles du Hoge Raad der Nederlanden:

Ni la liberté d’établissement consacrée à l’article 43 CE ni la libre circulation des capitaux consacrée à l’article 56, paragraphe 1, CE ne s’opposent à une disposition nationale en vertu de laquelle une personne résidant en Belgique qui, à sa demande, est imposée comme contribuable résident aux Pays-Bas, et qui a exposé des dépenses relatives à un château qui est son habitation propre, situé en Belgique et considéré dans cet État comme monument et site rural protégé, ne puisse pas déduire ces dépenses pour l’imposition des revenus aux Pays-Bas, au motif que le château n’a pas été enregistré aux Pays-Bas comme monument historique protégé.


1 – Langue originale: le français.


2 – Voir arrêt Asscher (C-107/94, EU:C:1996:251, point 26).


3 – Voir arrêt Commission/Allemagne (C-152/05, EU:C:2008:17, point 20); voir aussi arrêt N (C-470/04, EU:C:2006:525, point 28); voir, concernant la libre circulation des travailleurs, arrêt Renneberg (C-527/06, EU:C:2008:566, point 36 et la jurisprudence citée).


4 – Voir en ce sens, notamment, arrêts Stanton et L’Étoile 1905 (143/87, EU:C:1988:378, point 13); Bosman (C-415/93, EU:C:1995:463, point 94); Renneberg (EU:C:2008:566, point 43); et Filipiak (C-314/08, EU:C:2009:719, point 58).


5 – Arrêt Commission/Allemagne (EU:C:2008:17, points 24 et 25).


6 – Voir seulement arrêt Nordea Bank (C-48/13, EU:C:2014:2087, point 23 et la jurisprudence citée).


7 – Voir mes conclusions Nordea Bank (C-48/13, EU:C:2014:153, points 22 à 28) et arrêt Nordea Bank (EU:C:2014:153, points 23 et 24).


8 – Voir notamment arrêts Schumacker (C-279/93, EU:C:1995:31, points 31 et 32); Wielockx (C-80/94, EU:C:1995:271, point 18); Gielen (C-440/08, EU:C:2010:148, point 43); et Commission/Estonie (C-39/10, EU:C:2012:282, point 50).


9 – Voir seulement Schumacker (EU:C:1995:31, points 34); et Commission/Estonie (EU:C:2012:282, point 50).


10 – Voir arrêts Gschwind (C-391/97, EU:C:1999:409, point 26); et Commission/Estonie (EU:C:2012:282, point 51).


11 – Voir seulement arrêts X Holding (C-337/08, EU:C:2010:89, point 22); et SCA Group Holding (C-39/13 à C-41/13, EU:C:2014:1758, point 28).


12 – Voir arrêts Talotta (C-383/05, EU:C:2007:181, point 19); Renneberg (EU:C:2008:566, point 60); et Gielen (EU:C:2010:148, point 44).


13 – Arrêt Persche (C-318/07, EU:C:2009:33, points 48 à 50).


14 – Arrêt Persche (EU:C:2009:33, point 47).


15 – Arrêt Commission/Autriche (C-10/10, EU:C:2011:399, point 40 et la jurisprudence citée).


16 – Arrêt Commission/Italie (C-180/89, EU:C:1991:78, points 19 et 20).


17 – Voir arrêts Centro di Musicologia Walter Stauffer (C-386/04, EU:C:2006:568, point 39); Persche (EU:C:2009:33, point 48); et Tankreederei I (C-287/10, EU:C:2010:827, point 30).


18 – Arrêt Petersen (C-544/11, EU:C:2013:124, point 61).


19 – Arrêt Commission/Allemagne (EU:C:2008:17, point 28).


20 – Voir arrêts Persche (EU:C:2009:33, point 44); et Commission/Autriche (EU:C:2011:399, point 33).


21 –      Voir en ce sens également arrêt Tankreederei I (EU:C:2010:827, point 32).


22 –      Voir aussi, déjà, arrêt Centro di Musicologia Walter Stauffer (C-386/04, EU:C:2006:568, point 45) dans la version française.


23 – Voir arrêt Gottwald (C-103/08, EU:C:2009:597, point 32 et la jurisprudence citée).

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