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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Eesti Pagar (Competition - Opinion) French Text [2018] EUECJ C-349/17_O (25 September 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C34917_O.html Cite as: EU:C:2018:768, ECLI:EU:C:2018:768, [2018] EUECJ C-349/17_O |
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Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MELCHIOR WATHELET
présentées le 25 septembre 2018 (1)
Affaire C‑349/17
Eesti Pagar AS
contre
Ettevõtluse Arendamise Sihtasutus,
Majandus- ja Kommunikatsiooniministeerium
[demande de décision préjudicielle formée par la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie)]
« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Règlement (CE) n° 800/2008 – Aides ayant un effet incitatif – Présentation d’une demande d’aide avant le début de la réalisation du projet – Appréciation de cette condition – Compétences des autorités nationales – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Obligation incombant ou non aux autorités nationales de récupérer une aide considérée illégale – Principe général du droit de l’Union de confiance légitime – Prescription – Absence de décision de la Commission européenne ou d’une juridiction nationale – Identification du délai applicable à la récupération d’une aide illégale par une autorité nationale – Base juridique – Intérêts – Obligation ou non de réclamer des intérêts – Base juridique – Modalités d’application »
1. Le présent renvoi préjudiciel, introduit par la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie), soulève une série de questions importantes et sensibles en matière d’aides d’État.
2. En particulier, il porte, premièrement, sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 800/2008 (2) ; deuxièmement, sur l’obligation incombant aux États membres de récupérer des aides illégales ; troisièmement, sur le principe général du droit de l’Union de la confiance légitime ; quatrièmement, sur le délai de prescription applicable à la récupération par un État membre d’une aide illégale ; et, cinquièmement, sur l’obligation incombant aux États membres de réclamer des intérêts lors de la récupération d’une aide illégale.
3. Ce renvoi a été présenté dans le cadre d’un litige opposant Eesti Pagar AS à l’Ettevõtluse Arendamise Sihtasutus [Fondation pour le développement de l’entreprise, (EAS)] et au Majandus- ja Kommunikatsiooniministeerium (ministère des Affaires économiques et des Communications, ci-après le « ministère ») au sujet de la légalité d’une décision d’EAS, confirmée par le ministère sur recours hiérarchique d’Eesti Pagar, ordonnant la récupération auprès de cette société d’un montant de 526 300 euros, majoré d’intérêts, au titre d’une aide antérieurement versée par EAS à Eesti Pagar.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 (3) prévoit :
« Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité […] Toutefois, les réglementations sectorielles peuvent prévoir un délai inférieur qui ne saurait aller en deçà de trois ans. »
5. Conformément à l’article 14, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 659/1999 (4) :
« 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire (ci‑après dénommée “décision de récupération”). La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit [de l’Union].
2. L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération. »
6. L’article 15, paragraphe 1, de ce règlement dispose :
« Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans. »
7. L’article 9 du règlement (CE) n° 794/2004 (5) dispose :
« 1. Sauf dispositions contraires prévues par une décision spécifique, le taux d’intérêt applicable à la récupération des aides d’État octroyées en violation de l’article [108], paragraphe 3, du traité [FUE] est un taux en pourcentage annuel fixé par la Commission avant chaque année civile.
2. Le taux d’intérêt est calculé en ajoutant 100 points de base au taux du marché monétaire à un an. Si ces taux ne sont pas disponibles, c’est le taux du marché monétaire à trois mois qui sera utilisé ou, à défaut, le rendement des obligations d’État.
3. En l’absence de données fiables sur le marché monétaire ou le rendement des obligations d’État ou de données équivalentes, ou dans des cas exceptionnels, la Commission peut fixer, en étroite coopération avec l’État membre ou les États membres concernés, un taux d’intérêt applicable à la récupération des aides d’État sur la base d’une méthode différente et des renseignements dont elle dispose.
4. Le taux d’intérêt applicable à la récupération des aides d’État sera révisé une fois par an. Le taux de base sera calculé sur la base du taux du marché monétaire à un an enregistré en septembre, octobre et novembre de l’année considérée. Le taux ainsi calculé s’appliquera pour toute l’année suivante.
5. Par ailleurs, pour tenir compte de variations fortes et subites, une mise à jour sera effectuée chaque fois que le taux moyen, calculé sur les trois mois précédents, s’écarte de plus de 15 % du taux en vigueur. Ce nouveau taux entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant les mois ayant servi au calcul. »
8. L’article 11 de ce règlement précise :
« 1. Le taux d’intérêt applicable est le taux en vigueur à la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire.
2. Le taux d’intérêt est appliqué sur une base composée jusqu’à la date de récupération de l’aide. Les intérêts courus pour une année produisent des intérêts chaque année suivante.
3. Le taux d’intérêt visé au paragraphe 1 s’applique pendant toute la période jusqu’à la date de récupération de l’aide. Cependant, si plus d’un an s’est écoulé entre la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire et la date de sa récupération, le taux d’intérêt est recalculé annuellement, sur la base du taux en vigueur au moment du nouveau calcul du taux. »
9. L’article 101 du règlement (CE) n° 1083/2006 (6) prévoit :
« L’application d’une correction financière par la Commission n’affecte pas l’obligation de l’État membre de procéder au recouvrement prévu à l’article 98, paragraphe 2, du présent règlement et de récupérer l’aide d’État au titre de l’article [107] du traité [FUE] et au titre de l’article 14 du [règlement n° 659/1999]. »
10. Le considérant 28 du règlement général d’exemption par catégorie expose :
« Afin de garantir que l’aide est nécessaire et constitue une incitation à développer d’autres activités ou projets, il convient d’exclure du champ d’application du présent règlement les aides en faveur d’activités que le bénéficiaire entreprendrait déjà aux conditions normales du marché. En ce qui concerne les aides couvertes par le présent règlement accordées à une PME [petite et moyenne entreprise], il y a lieu de considérer qu’une telle incitation existe lorsque la PME a présenté une demande d’aide à l’État membre avant le lancement des activités liées à la mise en œuvre du projet ou des activités bénéficiant de l’aide. […] »
11. Aux termes de l’article 8, paragraphes 1 et 2, de ce règlement :
« 1. Le présent règlement n’exempte que les aides qui ont un effet incitatif.
2. Les aides accordées aux PME, couvertes par le présent règlement, sont réputées avoir un effet incitatif si, avant le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question, le bénéficiaire a présenté une demande d’aide à l’État membre concerné. »
12. Conformément à l’article 125, intitulé « Fonctions de l’autorité de gestion », paragraphes 4 et 5, du règlement (UE) n° 1303/2013 (7) :
« 4. En ce qui concerne la gestion financière et le contrôle du programme opérationnel, l’autorité de gestion :
a) vérifie que les produits et services cofinancés […] sont conformes au droit applicable, au programme opérationnel et aux conditions de soutien de l’opération ;
[…]
c) met en place des mesures antifraude efficaces et proportionnées, tenant compte des risques identifiés ;
[…]
5. Les vérifications effectuées conformément au paragraphe 4, premier alinéa, point a), couvrent notamment les procédures suivantes :
a) des vérifications administratives concernant chaque demande de remboursement présentée par les bénéficiaires ;
b) des vérifications sur place portant sur les opérations.
La fréquence et la portée des vérifications sur place sont proportionnées au montant de l’aide publique affecté à une opération et au degré de risque identifié par de telles vérifications et par les audits de l’autorité d’audit sur l’ensemble du système de gestion et de contrôle. »
13. L’article 143, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, intitulé « Corrections financières effectuées par les États membres », prévoit :
« 1. Il incombe en premier lieu aux États membres de rechercher les irrégularités, de procéder aux corrections financières nécessaires et d’entamer des procédures de recouvrement. […]
2. Les États membres procèdent aux corrections financières requises en rapport avec les irrégularités individuelles ou systémiques détectées dans les opérations ou les programmes opérationnels. Les corrections financières consistent à annuler tout ou partie de la participation publique pour une opération ou un programme opérationnel. […] »
14. À l’article 2, point 23, du règlement (UE) n° 651/2014 (8) figure la définition suivante :
« “début des travaux” : soit le début des travaux de construction liés à l’investissement, soit le premier engagement juridiquement contraignant de commande d’équipement ou tout autre engagement rendant l’investissement irréversible, selon l’événement qui se produit en premier. L’achat de terrains et les préparatifs tels que l’obtention d’autorisations et la réalisation d’études de faisabilité ne sont pas considérés comme le début des travaux. Dans le cas des rachats, le “début des travaux” est le moment de l’acquisition des actifs directement liés à l’établissement acquis ; »
15. L’article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1589 (9), intitulé « Coopération avec les juridictions nationales », indique :
« Aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, et de l’article 108 […] TFUE, les juridictions des États membres peuvent demander à la Commission de leur fournir des informations en sa possession ou un avis sur des questions relatives à l’application des règles en matière d’aides d’État. »
16. Le point 38 des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 (2006/C 54/08) (JO 2006, C 54, p. 13) relève :
« Il importe de veiller à ce que l’aide régionale ait réellement pour effet d’inciter à réaliser des investissements qui ne le seraient pas sinon dans les régions assistées. Par conséquent, une aide ne peut être accordée au titre de régimes d’aides que si le bénéficiaire a présenté une demande à cet effet et si l’autorité responsable de l’administration du régime a ensuite confirmé par écrit(39) que, sous réserve de vérifications plus détaillées, le projet en principe remplissait les conditions d’admissibilité fixées dans le régime avant le début des travaux(40). Tous les régimes d’aides doivent aussi mentionner expressément ces deux conditions(41). Dans le cas d’une aide ad hoc, l’autorité compétente doit avoir délivré une lettre d’intention selon laquelle elle accordera l’aide avant le début des travaux, mais sous réserve de l’autorisation de la mesure en cause par la Commission. S’ils commencent avant que les conditions établies au présent paragraphe ne soient respectées, c’est l’ensemble du projet qui perd son droit à l’aide. »
17. La note de bas de page n° 40 (n° 39 dans la version estonienne) de ces lignes directrices précise :
« L’expression “début des travaux” signifie soit le début des travaux de construction, soit le premier engagement ferme de commander des équipements, à l’exclusion des études de faisabilité préliminaires. »
18. Les points 16, 20 et 41 de la communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (2009/C 85/01) (JO 2009, C 85, p. 1) indiquent :
« 16. Les actions intentées devant les juridictions nationales dans le domaine des aides d’État peuvent parfois porter sur l’applicabilité d’un règlement d’exemption par catégorie et/ou d’un régime d’aides existant ou autorisé. Lorsque l’applicabilité d’un tel règlement ou régime est mise en cause, la juridiction nationale doit se borner à apprécier si toutes les conditions énoncées dans le règlement ou le régime en question sont remplies. Si tel n’est pas le cas, elle ne peut apprécier la compatibilité d’une aide, dans la mesure où cette appréciation relève de la compétence exclusive de la Commission.
[…]
20. Le rôle de la Commission consiste essentiellement à examiner la compatibilité des aides projetées avec le marché [intérieur] sur la base des critères énoncés aux articles [107], paragraphes 2 et 3, du traité [FUE]. Cette appréciation de la compatibilité relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions [de l’Union]. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice, les juridictions nationales ne sont pas habilitées à déclarer qu’une aide d’État est compatible avec l’article [107], paragraphes 2 et 3, du traité [FUE].
[…]
41. Pour s’acquitter de l’obligation de récupérer les intérêts au titre de la période d’illégalité, les juridictions nationales doivent déterminer le montant des intérêts à récupérer. Les principes suivants s’appliquent à cet égard :
a) Le point de départ est le montant nominal de l’aide ;
b) Lorsqu’elles déterminent le taux d’intérêt applicable et la méthode de calcul, les juridictions nationales devraient tenir compte du fait que la récupération des intérêts au titre de la période d’illégalité par une juridiction nationale poursuit le même objectif que la récupération des intérêts par la Commission en vertu de l’article 14 du règlement [n° 659/1999]. En outre, les demandes de récupération des intérêts au titre de la période d’illégalité sont des demandes introduites en vertu du droit [de l’Union] qui sont directement fondées sur l’article [108, paragraphe 3, TFUE]. […] ;
c) Pour garantir la cohérence avec l’article 14 du règlement [n° 659/1999] et le respect du principe d’effectivité, la Commission estime que la méthode de fixation des intérêts utilisée par la juridiction nationale ne doit pas être moins stricte que celle prévue par le règlement d’exécution. Les intérêts au titre de la période d’illégalité doivent donc être calculés sur une base composée et le taux d’intérêt applicable ne doit pas être inférieur au taux de référence ;
d) En outre, de l’avis de la Commission, il découle du principe d’équivalence que, lorsque la méthode de fixation du taux d’intérêt prévue par le droit national est plus stricte que celle prévue par le règlement d’exécution, la juridiction nationale doit également appliquer les règles nationales plus strictes aux demandes fondées sur l’article [108, paragraphe 3, TFUE] ;
e) La date à partir de laquelle les intérêts doivent être calculés est toujours la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire. La date jusqu’à laquelle les intérêts doivent être calculés dépend de la situation à la date du prononcé de la décision par la juridiction nationale […] ».
B. Le droit estonien
19. L’article 26, paragraphes 5 et 6, de la Perioodi 2007-2013 struktuuritoetuse seadus (loi sur les aides structurelles pour la période 2007-2013 ; ci-après la « STS ») (10), intitulé « Récupération de l’aide », prévoyait :
« (5) Une décision de récupération peut être prise au plus tard le 31 décembre 2025. Dans le cas visé à l’article 88 du [règlement n° 1083/2006], une décision de récupération peut être prise jusqu’à l’expiration de la période fixée par le gouvernement pour la conservation des documents.
(6) Le gouvernement établit les conditions et la procédure de récupération et de remboursement de l’aide. »
20. L’article 28, paragraphes 1 à 3, de cette loi, intitulé « Intérêts et intérêts moratoires », énonce :
« (1) Des intérêts s’appliquent au montant résiduel d’une aide à récupérer sur le fondement de l’article 26, paragraphes 1 et 2, de la présente loi. Le taux d’intérêt applicable au montant résiduel de l’aide à récupérer est l’Euribor 6 mois + 5 % par an. Le calcul des intérêts court sur une période de 360 jours.
(11) Des intérêts ne sont pas exigés si le revenu généré est récupéré et si le bénéficiaire de l’aide a rempli les obligations d’information mises à sa charge concernant le revenu généré par le projet, conformément aux modalités prévues à l’article 21, paragraphe 2, de la présente loi.
(2) Les intérêts sont calculés à partir de la date de prise d’effet de la décision de récupération, sur la base du taux d’intérêt en vigueur le dernier jour ouvrable du mois précédant le mois calendrier au cours duquel la décision a été prise. Si une infraction pénale a été commise lors de la demande ou de l’utilisation de l’aide, les intérêts sont calculés à partir de la date à laquelle l’aide a été versée, sur la base du taux d’intérêt en vigueur à cette date.
(3) Les intérêts courent jusqu’au jour du remboursement de l’aide, sans aller toutefois au-delà de l’échéance de remboursement, et, en cas de report, jusqu’à l’échéance du remboursement final. […] »
21. Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, du määrus nr 278 « Toetuse tagasinõudmise ja tagasimaksmise ning toetuse andmisel ja kasutamisel toimunud rikkumisest teabe edastamise tingimused ja kord » (décret n° 278 du 22 décembre 2006, portant sur les conditions et procédure de récupération et de remboursement d’une aide, ainsi que de transmission des informations relatives à une irrégularité commise lors de l’octroi et l’utilisation de l’aide) (11), intitulé « Récupération de l’aide » :
« La décision de récupérer l’aide est prise en vertu d’une appréciation discrétionnaire dans le délai de 45 jours calendrier ou, lorsque le montant à récupérer excède 127 823 euros, de 90 jours calendrier, à compter de la date à laquelle les motifs d’une récupération de l’aide sont connus. Dans les cas où cela se justifie, ce délai de décision peut être prolongé d’une durée raisonnable. »
22. L’article 1er du määrus nr 44 « Tööstusettevõtja tehnoloogiainvesteeringu toetamise tingimused ja kord » [décret n° 44 du ministre du 4 juin 2008, portant sur les conditions et la procédure de soutien des investissements technologiques des entreprises industrielles (entré en vigueur le 15 juin 2008) (RTL 2008, 48, 658 ; RT I, 04.01.2013, 9, ci-après le « décret n° 44 »)], intitulé « Champ d’application », dispose notamment :
« (1) Les conditions et la procédure de soutien aux investissements technologiques des entreprises industrielles (ci-après la “mesure”) sont fixées aux fins de la mise en œuvre des objectifs de la “capacité d’innovation et de croissance des entreprises” de l’axe prioritaire du programme opérationnel “amélioration de l’environnement économique”.
(2) Peuvent être octroyées, au titre de la mesure : 1) une aide régionale, accordée conformément aux dispositions du [règlement général d’exemption par catégorie], et soumise aux dispositions de ce même règlement et de l’article 342 de la [konkurentsiseadus (loi sur la concurrence)] ; […] »
II. Le litige au principal et les questions préjudicielles
23. Le 28 août 2008, Eesti Pagar a conclu un contrat de vente aux termes duquel elle s’engageait auprès de la société Kauko-Telko Oy à acquérir une chaîne de production de pain moulé et de pain de mie au prix de 2 770 000 d’euros. Conformément à ses stipulations, le contrat a pris effet après le versement d’une première avance de 5 %, intervenu le 3 septembre 2008.
24. Le 29 septembre 2008, Eesti Pagar a conclu avec la société Nordea Finance Estonia AS un contrat de leasing, à la suite duquel les parties ont, le 13 octobre 2008, conclu un contrat de vente tripartite, par lequel Kauko-Telko s’engageait à vendre cette chaîne de production de pain à Nordea Finance Estonia, qui s’est engagée à donner celle-ci en leasing à Eesti Pagar. Ce contrat a pris effet à sa signature.
25. Le 24 octobre 2008, Eesti Pagar a présenté à EAS, sur le fondement de l’article 1er du décret n° 44, une demande d’aide pour l’acquisition et l’installation de ladite chaîne de production de pain. Par une décision du 10 mars 2009, EAS a fait droit à cette demande pour un montant de 526 300 euros.
26. Le 8 janvier 2014, EAS a pris une décision de récupération auprès d’Eesti Pagar du montant de l’aide, majoré de 98 454 euros au titre des intérêts composés afférents à la période comprise entre la date du versement de l’aide et la date de la décision de récupération. Aux termes de cette décision, un contrôle ex post effectué au mois de décembre 2012 avait révélé l’existence du contrat de vente du 28 août 2008, conclu avant la présentation de la demande d’aide auprès d’EAS, de sorte que l’effet incitatif requis par l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie ne serait pas démontré.
27. Le 10 février 2014, Eesti Pagar a introduit auprès du ministère un recours hiérarchique contre cette décision de récupération, qui a été rejeté par la Majandus- ja Kommunikatsiooniministeeriumi käskkiri nr 14-0003 Vaideotsus (décision du ministère n° 14-0003) du 21 mars 2014.
28. Le 21 avril 2014, Eesti Pagar a saisi le Tallinna Halduskohus (le tribunal administratif de Tallinn, Estonie) d’un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision de récupération d’EAS et de la décision confirmative du ministère, à titre subsidiaire, à la constatation de leur illégalité en ce qui concerne la récupération de l’aide et, à titre encore plus subsidiaire, à leur annulation en ce qui concerne les intérêts réclamés. Par jugement du 17 novembre 2014, cette juridiction a rejeté ce recours dans son intégralité.
29. Le 16 décembre 2014, Eesti Pagar a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi qui l’a rejeté par un arrêt du 25 septembre 2015.
30. Le 26 octobre 2015, Eesti Pagar a formé un pourvoi en cassation, auquel la Riigikohus (Cour suprême, Estonie) a fait partiellement droit, par un arrêt du 9 juin 2016, en annulant l’arrêt de la juridiction de renvoi ainsi que le point 1.1 du dispositif de la décision de récupération, de même que la partie du point 1.2 concernant les intérêts, qu’il convenait de chiffrer à partir de la somme des intérêts composés calculée conformément au point 1.1 ; quant au reste, elle a renvoyé l’affaire devant la juridiction de renvoi pour un nouvel examen. Cet arrêt du Riigikohus (Cour suprême) est notamment fondé sur les considérations suivantes :
– un engagement ferme d’acheter des équipements avant d’introduire la demande d’aide n’exclut pas un effet incitatif lorsque l’acheteur peut se délier sans difficultés excessives du contrat en cas de refus de l’aide, ce qui n’apparaîtrait pas exclu en l’espèce ;
– aucune disposition du droit de l’Union n’obligeant expressément et impérativement les États membres à récupérer une aide sans décision de la Commission, la récupération d’une telle aide à l’initiative de l’État membre relève d’une décision discrétionnaire de ses autorités ;
– dans le cadre de la récupération d’une aide à l’initiative de l’État membre, il convient de procéder à une appréciation discrétionnaire en prenant en compte la confiance légitime du bénéficiaire, confiance qui peut naître de l’action d’une autorité nationale ;
– s’il n’est pas certain, en l’espèce, que s’applique le délai de prescription de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 pour les cas de la récupération d’aides structurelles payées par l’État membre, en tout état de cause, le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 ne s’aurait s’appliquer en l’absence d’une décision de la Commission sur la récupération d’une aide ;
– ni le droit estonien ni le droit de l’Union ne fournissent de base juridique pour réclamer des intérêts pour la période comprise entre le paiement de l’aide et sa récupération, étant donné, notamment, que les articles 9 et 11 du règlement n° 794/2004 ne viseraient, conformément à l’article 14, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 659/1999, que les intérêts afférents à une aide qui doit être récupérée en vertu d’une décision de la Commission et que l’article 4, paragraphe 2, et l’article 5, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 2988/95 ne prévoient pas d’obligation de payer des intérêts mais supposent qu’une telle obligation est prévue par des actes du droit de l’Union ou des États membres.
31. Dans le cadre de la procédure ainsi reprise devant la juridiction de renvoi, Eesti Pagar affirme notamment que les contrats qu’elle avait conclus le 28 août, le 29 septembre et le 13 octobre 2008 n’étaient pas contraignants, dès lors que, en cas de refus de l’aide, elle aurait facilement pu y mettre fin, à moindres frais de dédit. Le projet n’aurait pas été réalisé sans l’aide demandée et EAS aurait dû examiner sur le fond son effet incitatif.
32. Cette société prétend également que la conclusion de ces contrats était connue par EAS au moment de la présentation de la demande d’aide et que leur conclusion avant la présentation de ladite demande lui aurait été recommandée par un représentant d’EAS. Par l’octroi de l’aide demandée, EAS aurait ainsi créé à son égard une confiance légitime dans la légalité de l’aide.
33. En outre, Eesti Pagar fait valoir qu’il n’existe aucune obligation pour EAS de récupérer l’aide, que, à titre subsidiaire, sa récupération serait prescrite en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du décret n° 278 et de l’article 26, paragraphe 6, de la STS, voire de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95, et que les intérêts réclamés sont contraires à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphes 1 à 3, de la STS.
34. EAS et le ministère considèrent que la demande d’aide ne satisfaisait pas aux conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie et que, en vertu notamment de l’article 101 du règlement n° 1083/2006, EAS était tenue de réclamer à Eesti Pagar le remboursement de l’aide.
35. EAS conteste avoir eu, lors de l’examen de la demande, connaissance des contrats conclus par Eesti Pagar le 28 août, le 29 septembre et le 13 octobre 2008, et avoir recommandé leur conclusion. Elle n’aurait ainsi créé aucune confiance légitime à l’égard de ladite société. Le ministère estime que, en tout état de cause, ni la bonne foi du bénéficiaire ni le comportement d’un organe administratif ne dispensent de l’obligation de rembourser une aide illégale.
36. Selon EAS et le ministère, le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 s’applique, au moins par analogie, en l’espèce et l’obligation de payer des intérêts résulte de l’article 11, paragraphe 2, et de l’article 14, paragraphe 2, de ce même règlement.
37. Le 30 décembre 2016, la Commission a présenté des observations à la juridiction de renvoi en qualité d’amicus curiae, conformément à l’article 29, paragraphe 1, du règlement 2015/1589.
38. La juridiction de renvoi relève, en premier lieu, que, si, en vertu d’une règle de droit interne liant les juridictions ne statuant pas en dernière instance à l’appréciation portée en droit par une juridiction de degré supérieur, elle est liée par l’arrêt du 9 juin 2016 de la Riigikohus (Cour suprême), en ce que ce dernier exprime sa position sur l’interprétation et l’application du droit, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’existence d’une telle règle ne saurait la priver de la faculté prévue à l’article 267 TFUE de saisir la Cour des questions d’interprétation du droit de l’Union.
39. En deuxième lieu, elle exprime des doutes sur le point de savoir si l’analyse de la Riigikohus (Cour suprême), selon laquelle il était possible d’apprécier la question de savoir si la personne qui a présenté une demande afin de recevoir une aide aurait pu, au cas où cette aide lui aurait été refusée, se délier des contrats sans difficulté excessive, vaut également pour l’appréciation de l’effet incitatif effectuée par l’État membre sur le fondement du règlement général d’exemption par catégorie, ainsi que sur le point de savoir si l’autorité de l’État membre est compétente pour apprécier sur le fond la question de savoir si l’aide revêt un effet incitatif.
40. En troisième lieu, cette juridiction considère qu’il ne ressort pas clairement de la jurisprudence de la Cour qu’un État membre, lorsqu’il prend la décision de récupérer une aide illégale sans décision en ce sens de la Commission, est autorisé à se fonder sur les principes nationaux du droit de la procédure administrative et à prendre en compte la confiance légitime que l’autorité nationale a fait naître à l’égard du bénéficiaire de l’aide.
41. En quatrième lieu, la juridiction de renvoi estime qu’une incertitude demeure également sur le point de savoir s’il convient, pour une décision de récupération d’une aide illégale prise par une autorité d’un État membre, de se référer au délai de prescription de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95 ou au délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999.
42. En cinquième lieu, cette juridiction précise que, bien que la Riigikohus (Cour suprême) ait résolu le litige partiellement en ce qui concerne les intérêts et ait annulé la décision de récupération en ce que celle-ci obligeait Eesti Pagar à payer des intérêts, il reste nécessaire, pour résoudre l’affaire, de connaître les conditions auxquelles le droit de l’Union subordonne le paiement d’intérêts en cas de récupération d’une aide illégale à l’initiative d’un État membre.
43. Or, la jurisprudence de la Cour ne trancherait pas de manière suffisamment claire le point de savoir si l’autorité de l’État membre, lorsqu’elle récupère une aide illégale de sa propre initiative, a l’obligation de se référer aux objectifs énoncés à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, indépendamment des règles du droit interne applicables pour exiger des intérêts et de calculer les intérêts conformément aux dispositions des articles 9 et 11 du règlement n° 794/2004.
44. C’est dans ces circonstances que le Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« [1)] L’article 8, paragraphe 2, du [règlement général d’exemption par catégorie] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cadre de cette disposition, la “réalisation du projet ou de l’activité” a débuté lorsque l’activité à subventionner consiste [notamment] à acquérir des équipements et que le contrat de vente portant sur ces équipements a été conclu ? Les autorités de l’État membre sont-elles compétentes pour apprécier la méconnaissance du critère prévu [à] cette disposition au regard des frais de dédit du contrat dont la conclusion est constitutive d’une violation de l’exigence d’un effet incitatif ? À supposer que les autorités de l’État membre aient une telle compétence, jusqu’à quel montant (en pourcentage) peut-on considérer que les frais de dédit du contrat représentent un coût d’importance suffisamment marginale pour que l’exigence de l’effet incitatif soit satisfaite ?
[2)] L’autorité de l’État membre a-t-elle l’obligation de récupérer une aide illégale qu’elle a octroyée même si la Commission […] n’a pas rendu de décision en ce sens ?
[3)] L’autorité de l’État membre qui décide d’octroyer l’aide en considérant à tort qu’il s’agit d’une aide répondant aux conditions pour l’exemption par catégorie, mais qui, en réalité, octroie une aide illégale, peut-elle créer une confiance légitime [à l’égard] du bénéficiaire de cette aide ? En particulier, est-il suffisant, pour créer une confiance légitime [à l’égard] du bénéficiaire de l’aide, que l’autorité de l’État membre, lors de l’octroi de l’aide illégale, ait connaissance des circonstances en raison desquelles l’aide ne relève pas de l’exemption par catégorie ?
Si la réponse à la question précédente est affirmative, il est alors nécessaire de mettre en balance l’intérêt public avec l’intérêt du particulier. Dans le cadre d’une telle mise en balance, est-il pertinent que la Commission ait rendu une décision déclarant l’aide en question incompatible avec le marché [intérieur] ?
[4)] Quel délai de prescription s’applique à la récupération de l’aide illégale par l’autorité de l’État membre ? S’agit-il d’un délai de [dix] ans, au terme desquels l’aide devient une aide existante au sens de l’article 1er et de l’article 15 du [règlement n° 659/1999] et ne peut plus être récupérée, ou de [quatre] ans, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du [règlement n° 2988/95] ?
La base juridique d’une telle récupération, lorsque l’aide a été octroyée au titre d’un fonds structurel, est-elle l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], ou bien le [règlement n° 2988/95] ?
[5)] Lorsque l’autorité de l’État membre récupère une aide illégale, a-t-elle dans ce cadre l’obligation de réclamer au bénéficiaire des intérêts sur cette aide illégale ? Dans l’affirmative, quelles règles s’appliquent au calcul des intérêts, notamment en ce qui concerne le taux d’intérêt et la période sur laquelle courent lesdits intérêts ? »
III. La procédure devant la Cour
45. Des observations écrites ont été soumises par Eesti Pagar, par les gouvernements estonien et grec ainsi que par la Commission. EAS et toutes les parties ci-dessus, sauf le gouvernement grec, ont été entendues lors de l’audience, qui s’est tenue le 18 juin 2018.
IV. Analyse
A. Sur les antécédents du litige au principal
1. Synthèse des observations des parties
46. La Commission relève que la juridiction de renvoi n’a formulé aucune conclusion définitive, tout d’abord, sur le caractère contraignant des contrats conclus, ensuite, sur la connaissance par EAS, lors de l’appréciation de la demande d’aide, de la conclusion de ces contrats et, enfin, sur l’existence d’une recommandation d’EAS à l’adresse d’Eesti Pagar de conclure ces contrats.
47. Cette institution précise qu’elle déduit de l’arrêt du 9 juin 2016 de la Riigikohus (Cour suprême) ainsi que de la demande de décision préjudicielle, d’une part, qu’au moins le contrat de vente tripartite du 13 octobre 2008 constituait un engagement ferme et, d’autre part, que la juridiction de renvoi était partie de l’hypothèse que EAS avait connaissance de la conclusion des contrats mais n’avait pas recommandé leur conclusion à Eesti Pagar.
48. Selon Eesti Pagar, le contrat conclu le 28 août 2008 n’était, au fond, qu’un accord préalable et non un contrat définitivement contraignant, ce contrat ne devant pas, selon les deux parties, entrer en vigueur si EAS n’octroyait pas l’aide demandée. Il serait établi que le coût supporté par elle pour se désengager de la relation née sur le fondement de cet accord préalable se serait limité à 5 % du prix total du contrat, somme qu’Eesti Pagar avait payée avant d’introduire la demande d’aide.
49. S’agissant du contrat de leasing conclu le 29 septembre 2008, il ressortirait de ses termes que, contrairement aux affirmations de la juridiction de renvoi, les obligations en découlant ne devaient prendre effet que lors de la réunion d’une série de conditions. Or, en vertu de ces conditions, ce contrat n’aurait pris effet que le 7 novembre 2008 et donc après la présentation de la demande d’aide.
50. Eesti Pagar souligne que le contrat conclu le 13 octobre 2008 n’a généré aucune obligation à son égard et n’a eu aucun autre objet que celui du contrat conclu le 28 août 2008. En outre, EAS ne se serait référée à ce contrat ni dans la décision de récupération ni dans la procédure pendante devant la juridiction de renvoi.
51. Cette société maintient, par ailleurs, qu’il ressort d’une série d’éléments de preuve qu’EAS avait connaissance desdits contrats et lui avait recommandé leur conclusion avant la présentation de la demande d’aide.
2. Appréciation
52. Il est clair que, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, c’est au seul juge de renvoi de faire les constatations factuelles que la Cour ne peut réviser (ainsi que le souhaiterait en l’espèce Eesti Pagar).
53. Cela dit, je pense (comme la Commission) que la juridiction de renvoi semble n’avoir encore formulé aucune conclusion définitive, tout d’abord, sur le caractère contraignant ou non des contrats conclus le 28 août, le 29 septembre et le 13 octobre 2008 (12), ensuite, sur la connaissance par EAS, lors de l’appréciation de la demande d’aide, de la conclusion antérieure de ces contrats et, enfin, sur l’existence d’une recommandation d’EAS à l’adresse d’Eesti Pagar de conclure ces contrats avant la présentation de la demande d’aide (13).
54. Certes, cela ne facilite pas la tâche de la Cour, puisque, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il est souhaitable et « peut être avantageux, selon les circonstances, que les faits de l’affaire soient établis et que les problèmes de pur droit national soient tranchés au moment du renvoi à la Cour » (14).
55. En tout état de cause, afin de donner des réponses utiles à la juridiction de renvoi, je vais envisager chacune de ces hypothèses, dont, en particulier, celles dans lesquelles EAS avait connaissance desdits contrats et a recommandé à Eesti Pagar de les conclure avant la présentation de sa demande.
B. Sur la recevabilité des questions préjudicielles
1. Synthèse des observations des parties
56. Eesti Pagar soutient que, par son arrêt du 9 juin 2016, la Riigikohus (Cour suprême) a résolu l’essentiel du litige au niveau national, de sorte que les questions préjudicielles sont, en raison du stade de la procédure auquel elles interviennent, irrecevables et dépourvues de pertinence, à l’exception de la quatrième question, la Riigikohus (Cour suprême) ayant elle-même précisé dans ledit arrêt que la saisine de la Cour à titre préjudiciel ne pouvait être pertinente qu’en ce qui concerne la question de la prescription.
57. Par ailleurs, cette société estime que la première question ne serait pas, telle quelle, pertinente et reposerait sur la supposition erronée d’une méconnaissance d’un effet incitatif, que la seconde devrait plutôt viser l’existence d’une base juridique pour une obligation à l’égard d’un État membre de récupérer une aide de sa propre initiative, que la troisième procéderait d’une description incomplète des faits, EAS lui ayant recommandé la conclusion des contrats conclus le 28 août, le 29 septembre et le 13 octobre 2008, et que la quatrième devrait être complétée en ce sens qu’elle vise la récupération d’une aide à l’initiative d’une autorité nationale et reposerait sur la supposition erronée qu’une obligation de récupération découlerait de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
2. Appréciation
58. Je relève que, dans son arrêt du 9 juin 2016, la Riigikohus (Cour suprême) a fondé l’annulation du jugement antérieur de la juridiction de renvoi et l’annulation partielle de la décision litigieuse notamment sur l’interprétation de plusieurs dispositions du droit de l’Union, sans que cette juridiction suprême ait déféré à la Cour une demande de décision préjudicielle. La Commission, intervenue dans le litige au principal en qualité d’amicus curiae, conformément à la demande faite par la juridiction de renvoi au titre de l’article 29, paragraphe 1, du règlement n° 2015/1589, a contesté tant devant la juridiction de renvoi que devant la Cour la quasi-totalité des appréciations du droit de l’Union effectuées par la Riigikohus (Cour suprême).
59. Si la juridiction de renvoi relève qu’elle est liée, en vertu du droit estonien, par l’interprétation et l’application du droit effectuée par la Riigikohus (Cour suprême), elle considère que cela ne saurait la priver de la faculté prévue à l’article 267 TFUE de saisir la Cour de questions d’interprétation du droit de l’Union. Sa demande est ainsi essentiellement fondée sur les doutes qu’elle nourrit quant à l’interprétation du droit de l’Union faite par la Riigikohus (Cour suprême).
60. Certes, une juridiction inférieure conserve, en principe, dans une telle situation, la faculté de soumettre à la Cour des questions préjudicielles (15), mais il faut, pour que les questions posées ne soient pas hypothétiques, que le litige ne soit pas encore définitivement tranché par l’arrêt de la juridiction suprême estonienne.
61. À mon avis, il ressort de manière claire de la décision de renvoi que le litige au principal est encore pleinement soumis à l’appréciation de la juridiction de renvoi en ce qui concerne les sujets faisant l’objet des première à quatrième questions préjudicielles.
62. S’agissant de la cinquième question, relative aux intérêts, la juridiction de renvoi relève elle-même que la Riigikohus (Cour suprême) a partiellement résolu le litige au principal en ayant annulé la décision de récupération en ce que celle-ci obligeait Eesti Pagar à payer des intérêts. Selon elle, il reste néanmoins nécessaire, pour résoudre l’affaire pendante devant elle, de connaître les conditions auxquelles le droit de l’Union subordonne le paiement d’intérêts en cas de récupération d’une aide illégale à l’initiative d’un État membre.
63. En tout état de cause, je pense (comme la Commission) que la Riigikohus (Cour suprême) a souligné dans son arrêt du 9 juin 2016 que la juridiction de renvoi devait encore trancher la question du calcul des intérêts, ce qui n’exclut donc pas une nouvelle détermination des intérêts annulés si jamais la Commission devait prendre une décision de récupération de l’aide.
C. Sur la première question préjudicielle relative à l’effet incitatif de l’aide
1. Synthèse des observations des parties
64. Eesti Pagar considère qu’il ressort clairement des circonstances de l’affaire et des éléments de preuve produits que l’aide a eu un effet incitatif. Elle souligne qu’elle n’aurait pas réalisé le projet sans cette aide, qu’elle n’avait conclu aucun accord définitivement contraignant avant la présentation de la demande et que, lors de l’appréciation du caractère contraignant d’un contrat, il y aurait lieu de prendre en considération la possibilité de dédit et le coût marginal que cela entraîne.
65. En revanche, il n’est pas possible de s’appuyer sur une note de bas de page des lignes directrices, qui ne seraient pas contraignantes, pour affirmer que l’aide n’avait pas d’effet incitatif. En tout état de cause, l’on ne saurait partir d’une approche formelle et on devrait procéder à une analyse détaillée de la question de savoir s’il est difficile ou non de se délier des contrats.
66. Le document de synthèse figurant dans la « foire aux questions » de la Commission s’adressant aux autorités nationales chargées d’appliquer le règlement général d’exemption par catégorie, il incomberait à ces autorités d’effectuer ladite analyse détaillée sur le point de savoir si les travaux ont commencé, analyse qui se distinguerait, par ailleurs, de celle de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur. Le gouvernement grec partage cette analyse.
67. Partant, selon Eesti Pagar, lorsque la Commission prétend en l’espèce que ledit document de synthèse ne peut pas servir de référence, elle défendrait une position contraire aux principes généraux de droit de confiance légitime, de clarté ainsi que de sécurité juridique et violerait le droit de cette société à une bonne administration prévu à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
68. Eesti Pagar se demande, enfin, si l’objectif poursuivi à l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie pourrait être atteint si la compétence de l’autorité nationale se limitait à un constat de pur fait relatif à la conclusion ou non d’un contrat avant la présentation de la demande d’aide.
69. Le gouvernement estonien considère que, lors de l’appréciation de l’effet incitatif, l’autorité compétente de l’État membre ne peut se référer qu’à la condition chronologique de l’effet incitatif prévue à l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie, qui est que la réalisation du projet ou de l’activité ne puisse être entamée qu’après la présentation de la demande d’aide. Cette autorité n’aurait pas la possibilité d’apprécier d’autres circonstances, notamment la question de savoir quels étaient les frais de dédit. Ce serait seulement de cette façon qu’il serait possible de garantir l’application uniforme des conditions de l’exemption par catégorie et de préserver la compétence exclusive de la Commission pour procéder à une appréciation sur le fond de l’effet incitatif, ce qui serait confirmé par le point 16 de la communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales.
70. S’agissant de la notion de « début de la réalisation du projet », le gouvernement estonien estime qu’il suffit, pour enfreindre la condition de l’effet incitatif, que le bénéficiaire de l’aide contracte le premier engagement ferme de commander des équipements avant la présentation de la demande d’aide. Une telle conséquence pourrait être déduite de la note de bas de page n° 40 des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 et serait confortée par l’article 2, point 23, du règlement n° 651/2014.
71. La Commission relève que le considérant 28 du règlement général d’exemption par catégorie définit le début de la réalisation du projet ou de l’activité comme étant « le lancement des activités liées à la mise en œuvre du projet ou des activités bénéficiant de l’aide » et estime que la conclusion des contrats du 28 août, du 29 septembre et du 13 octobre 2008 constitue une activité liée à la mise en œuvre du projet bénéficiant de l’aide. Par conséquent, il serait manifeste que l’aide litigieuse au principal ne soit pas conforme à l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie et qu’elle serait donc illégale, étant donné qu’elle a été octroyée en méconnaissance de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
72. Cette conclusion ne serait infirmée ni par les considérations figurant aux points 106 à 109 de l’arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission (C‑630/11 P, EU:C:2013:387), ni par l’argument d’Eesti Pagar selon lequel celle-ci aurait pu mettre fin aux contrats sans difficultés et à des frais de dédit marginaux, ni encore par le document de synthèse figurant dans la « foire aux questions » de la Commission.
73. En effet, tout d’abord, la Cour aurait, certes, admis auxdits points que le caractère nécessaire de l’aide projetée pouvait être démontré sur la base de critères autres que l’antériorité de la demande d’aide. Toutefois, cette constatation serait intervenue dans le contexte de l’appréciation par la Commission, en vertu de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, de la compatibilité d’une aide et ne serait donc pas pertinente dans la présente affaire, où la question se pose dans le cadre de la mise en œuvre du règlement général d’exemption par catégorie par une autorité nationale. Cela résulterait du fait que les règles concernant l’exemption par catégorie devraient être claires, dépourvues de marge d’appréciation et faciles à appliquer par les autorités des États membres.
74. Ensuite, les libellés de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie et de son considérant 28 excluraient toute possibilité d’interprétation qui dépendrait de la possibilité de mettre fin aux contrats ou de l’importance des frais de dédit, dès lors que ces dispositions visent « le début de la réalisation du projet ou de l’activité en question » et « le lancement des activités liées à la mise en œuvre du projet ou des activités bénéficiant de l’aide ». Si la Commission peut tenir compte de la difficulté de mettre fin aux contrats ou des frais de dédit pour apprécier le critère de l’effet incitatif au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, il n’en irait pas de même des autorités de l’État membre lors de l’application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie.
75. Enfin, la Commission souligne qu’une « foire aux questions » élaborée par les services de la Commission ne saurait modifier le contenu d’un règlement, que le document susmentionné n’est ni contraignant ni pertinent pour les autorités et pour les juridictions nationales, et que, n’exprimant pas le point de vue officiel de la Commission, il ne serait pas contraignant pour la Commission non plus. En tout état de cause, ledit document concernerait uniquement la conclusion d’accords préliminaires tels que des études de faisabilité préliminaires, et non celle de contrats liés à l’acquisition d’équipements faisant l’objet d’une aide.
2. Appréciation
76. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter la notion de « début de la réalisation du projet » figurant à l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie et de préciser les compétences dont jouissent les autorités nationales lors de l’application de cette disposition. En effet, ainsi que la juridiction de renvoi l’admet elle-même au point 29 de la demande de décision préjudicielle, la principale question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’aide régionale qui a été octroyée à Eesti Pagar respectait l’exigence d’effet incitatif prévu à la disposition précitée (16).
77. Je pense tout d’abord qu’une compétence des autorités nationales d’apprécier l’effet incitatif réel d’une aide qu’elles octroient ne heurte pas la compétence exclusive de la Commission d’apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur.
78. Je relève que, comme le système du règlement général d’exemption par catégorie ne prévoit aucune intervention de la Commission, une telle analyse relève logiquement de la compétence des autorités nationales chargées de la mise en œuvre dudit règlement.
79. Ensuite, je suis d’accord avec le gouvernement estonien et la Commission qui estiment que la logique sous-tendant le règlement général d’exemption par catégorie requiert que les critères à appliquer soient clairs et simples afin de garantir une application cohérente à travers l’Union.
80. À propos de la notion de « début de la réalisation du projet », la Commission a précisé dans ses lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 que « le premier engagement ferme de commander des équipements, à l’exclusion des études de faisabilité préliminaires », constituait un tel début.
81. Malgré le caractère non contraignant pour la Cour de telles lignes directrices, je pense que la Cour peut prendre cette définition comme point de départ, d’autant plus que la Commission l’a reprise, comme le relève à juste titre le gouvernement grec, à l’article 2, point 23, de son nouveau règlement général d’exemption par catégorie n° 651/2014, aux termes duquel le « début des travaux » peut consister notamment en un « premier engagement juridiquement contraignant de commande d’équipement ou tout autre engagement rendant l’investissement irréversible » (c’est moi qui souligne).
82. Or, si seul un engagement contractuel ferme peut constituer un tel début, il y a lieu, me semble-t-il, de vérifier au cas par cas la nature des engagements éventuellement pris avant la présentation d’une demande d’aide par un bénéficiaire potentiel.
83. Cette logique se trouve d’ailleurs corroborée par le document de synthèse figurant dans la « foire aux questions » de la Commission. En effet, je suis tout à fait d’accord avec ce qui ressort de ce document rédigé par les services de la Commission aux fins de l’application du règlement général d’exemption par catégorie, à savoir que le critère du « début des travaux », au sens, notamment, de la note de bas de page des lignes directrices précitée doit être interprétée en ce sens que, même si des accords ont été conclus et des versements effectués avant la présentation d’une demande d’aide, une approche purement formelle ne peut suffire et que s’impose une analyse détaillée de la question de savoir si, d’un point de vue économique, il est possible ou non et à quel prix de se délier des contrats signés, voire si le bénéficiaire de l’aide perdrait une somme d’argent importante s’il devait résilier les contrats en cas de non-obtention de l’aide (17).
84. Ainsi que le relève Eesti Pagar, l’objectif poursuivi à l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie ne pourrait être atteint si la compétence de l’autorité nationale se limitait à un constat de pur fait relatif à la conclusion ou non, avant la présentation de la demande d’aide, d’un contrat. En particulier, l’effet incitatif serait tout à fait susceptible de faire défaut dans un scénario où un demandeur conclurait, le lendemain de la présentation d’une demande d’aide, un contrat ferme avec l’intention de l’exécuter, et peu importerait que l’aide lui soit ou non octroyée.
85. À ce stade, ainsi que l’avait déjà fait à juste titre la Riigikohus (Cour suprême) (au point 21 de son arrêt du 9 juin 2016), il convient d’aborder la jurisprudence « HGA » (18), qui soutient l’analyse qui précède et dont l’historique est intéressant.
86. Tout d’abord, dans ladite affaire, le Tribunal de l’Union européenne avait examiné le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation quant à l’existence d’un effet d’incitation. Après avoir souligné, au point 215 de son arrêt (19), que le critère de l’antériorité de la demande d’aide par rapport au début de l’exécution du projet d’investissement constituait un critère simple, pertinent et adéquat permettant à la Commission de présumer qu’un régime d’aides était doté d’un effet incitatif, le Tribunal a indiqué, au point 226 dudit arrêt, qu’il convenait de déterminer si les requérantes en première instance avaient démontré l’aptitude du régime à garantir l’effet incitatif, même en l’absence d’introduction de la demande avant le début de l’exécution du projet d’investissement.
87. Selon l’avocat général Bot (20), « le Tribunal a commis une erreur de droit dans la mesure où il aurait dû juger non pas, comme il l’a fait aux points 215 et 226 de l’arrêt attaqué, que le critère de la demande préalable est un critère simple, pertinent et adéquat permettant à la Commission de présumer d’un effet incitatif, mais que le caractère préalable de la demande d’aides à l’exécution des projets, après approbation par la Commission, est une condition incontournable de la nécessité de celle-ci. Ce caractère incontournable ne pourrait être remis en cause et rendre admissible l’examen d’autres circonstances que dans l’hypothèse où, dans le cadre de l’examen de la compatibilité d’un régime d’aides particulier, des éléments (correspondances, déclarations, décisions, notifications, etc.) émanant de la seule Commission, auraient été de nature à induire en erreur sur l’applicabilité ou les conditions d’applicabilité au régime en cause de la disposition du point 4.2, dernier alinéa, des lignes directrices de 1998. Cette appréciation nous semble confortée par les précautions supplémentaires édictées par la Commission dans les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 ».
88. Cette approche n’a pas été suivie par la Cour.
89. La Cour a jugé (voir points 106 et suivants de son arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C-630/11 P, EU:C:2013:387), en substance, que la condition de l’antériorité de la demande d’aide par rapport au début de l’exécution du projet d’investissement n’était qu’une présomption réfragable – partant, permettant aux bénéficiaires d’aide de fournir des preuves alternatives démontrant que la mesure en question avait bien un effet incitatif.
90. De plus, ainsi que le relève la doctrine (21), « [i]n the light of the [HGA] case law it may […] be concluded that where soft law guidelines purport to introduce a legal obligation to submit a specific application form in order to be considered as eligible for an aid scheme it is highly questionable that if an applicant has failed to do so, the Commission could conclude that the aid would be incompatible without more. It is submitted that, in the light of [that case law], the failure to comply with such formalities should not establish a non-rebuttable presumption that the aid has no incentive effect and is incompatible – the Commission should look at the circumstances of the case to assess whether the (potential) beneficiary has an incentive to change its behavior. It will of course be for the Member States [or the beneficiaries] to provide sufficient evidence to support this claim ».
91. Il ressort de ce qui précède que l’autorité qui octroie l’aide ne peut pas s’abriter derrière le formalisme et qu’elle doit apprécier sur le fond si les travaux ont débuté au sens où l’entend le règlement général d’exemption par catégorie que je viens d’exposer.
92. Même si la Commission est intervenue tant devant la juridiction de renvoi que devant la Cour avec une argumentation par laquelle elle conteste tout pouvoir d’appréciation à l’égard des autorités nationales (22), je pense que – comme le document de synthèse, auquel j’ai fait référence au point 83 des présentes conclusions, s’adresse notamment aux autorités nationales chargées d’appliquer le règlement général d’exemption par catégorie – il ne doit y avoir aucun doute raisonnable quant au fait qu’il incombe à ces autorités d’effectuer ladite analyse détaillée sur le point de savoir si les travaux ont commencé, analyse qui se distingue, par ailleurs, de celle de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, étant entendu qu’une entreprise qui envisage de demander une aide est évidemment autorisée à tenir compte de ce document de synthèse.
93. En effet, le droit d’apprécier si l’aide est compatible avec le marché intérieur, qui n’appartient qu’à la Commission, n’exclut pas que l’autorité nationale puisse et doive apprécier sur le fond la compatibilité de l’aide avec le règlement général d’exemption par catégorie, sans adopter une approche purement formelle.
94. Ainsi, s’agissant des doutes injustifiés exprimés au point 29 de la décision de renvoi quant à la compétence de l’autorité de l’État membre pour apprécier la présence d’un effet incitatif sur le fond, je considère qu’il a été exposé de manière suffisamment claire que l’autorité de l’État membre a la compétence d’apprécier la présence d’un effet incitatif de l’aide sur le fond. Suivre l’approche contraire saperait l’application du règlement général d’exemption par catégorie et l’octroi d’aides sur son fondement parce que l’autorité de l’État membre ne pourrait pas vérifier si le critère de l’effet incitatif est rempli.
95. En outre, l’autorité nationale doit vérifier la présence d’un effet incitatif dans la mesure où elle est obligée de se conformer audit règlement pour décider de l’octroi ou du refus de l’aide.
96. Cela étant, si l’autorité nationale ou le bénéficiaire, responsables conjointement du respect de ce règlement, ont des doutes sérieux sur l’existence ou non d’un effet incitatif, ils peuvent s’adresser à la Commission dans la mesure où cette dernière est habituée à effectuer des analyses complexes en la matière.
97. En conclusion sur ce point, si l’appréciation de la question de savoir si les engagements pris par Eesti Pagar avant la présentation de la demande d’aide constituent – dans les faits – un « engagement ferme » au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie (à l’exclusion d’engagements « préalables » ou autrement « réversibles ») relève, bien sûr, de la compétence de la juridiction de renvoi, la Cour doit lui donner les éléments d’interprétation de cette disposition qui pourront lui être utiles.
98. À cet égard, une situation telle que celle en cause au principal, qui fait apparaître un ensemble de contrats conclus entre trois parties, doit, en principe, être appréhendée en regardant les relations contractuelles prises dans leur ensemble plutôt qu’en analysant individuellement chacun des contrats, mais cela dépend évidemment de l’analyse factuelle desdits contrats que seul le juge de renvoi peut effectuer (23).
99. Il convient, lors de l’appréciation du caractère contraignant des contrats au regard de l’effet incitatif, de prendre également en considération la possibilité de dédit et le coût marginal que cela entraîne pour Eesti Pagar, compte tenu du coût total du projet.
100. Ainsi que le relève le gouvernement grec, pour considérer que le contrat en cause et les versements correspondants qui interviennent dans le cadre de son exécution constituent un « premier engagement ferme » de commander des équipements et qu’ils constituent donc un « début des travaux », il importe peu que le contrat soit expressément qualifié de définitif. En revanche, dans l’hypothèse où les conditions du dédit sont extrêmement lourdes par rapport à l’ensemble de l’opération économique, spécialement en raison du montant exigé en cas de résiliation, il conviendra de constater un début de réalisation au sens de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie. En revanche, si les parties contractantes ont convenu, notamment, que leur contrat n’entrerait en vigueur que si un emprunt était obtenu et que si la demande d’aide était acceptée ou si le coût du dédit était réduit, il pourra être considéré qu’il n’y a pas de début de réalisation au sens de la disposition précitée. La circonstance avérée que l’autorité nationale aurait conseillé Eesti Pagar de signer les engagements dès avant la demande d’aide est à prendre en compte.
101. Par conséquent, pour répondre à la question de savoir si une aide accordée sur la base du règlement général d’exemption par catégorie a un effet incitatif, il convient de procéder à une analyse détaillée des clauses contractuelles et des circonstances factuelles qui ont entouré la conclusion des contrats en cause.
D. Sur la deuxième question préjudicielle relative à l’obligation pour un État de récupérer une aide illégale en l’absence même d’une décision de la Commission
1. Synthèse des observations des parties
102. Eesti Pagar soutient qu’aucun texte juridique n’oblige clairement les autorités d’un État membre à récupérer de leur propre initiative, en l’absence d’une décision de la Commission l’ordonnant, une aide qu’elles ont octroyée en application du règlement général d’exemption par catégorie et invoque la marge d’appréciation que, selon elle, le droit estonien laisse aux autorités nationales à ce sujet.
103. Le gouvernement grec rappelle que, conformément à l’article 14, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, la Commission est compétente pour récupérer les aides illégales et qu’il découle de l’article 107 et de l’article 108, paragraphe 2, TFUE que les juridictions des États membres peuvent ordonner une telle récupération. Partant, en l’absence d’une décision de récupération adoptée soit par la Commission, soit par une juridiction d’un État membre, il n’existerait, en effet, pas d’obligation générale directe pour les autorités administratives des États membres de demander le remboursement d’une aide. Cela étant, s’agissant spécifiquement des aides octroyées à partir de ressources de fonds structurels, l’article 125, paragraphes 4 et 5, et l’article 143 du règlement n° 1303/2013 créeraient l’obligation pour les autorités compétentes nationales de s’efforcer de récupérer les montants qui ont été octroyés en violation du droit applicable.
104. Le gouvernement estonien considère que l’État membre doit récupérer une aide illégale telle que celle en cause au principal, qui a été accordée en violation de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie et de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et ce indépendamment de toute décision de la Commission. L’article 107, paragraphe 1, TFUE et le principe de coopération loyale obligent en effet l’État membre à prendre toutes les mesures propres à garantir l’efficacité du droit de l’Union.
105. La Commission soutient, en substance, qu’une aide illégale doit être récupérée par toutes les autorités nationales, tant les juridictions que les autorités administratives.
2. Appréciation
106. Même s’il semble que la constatation d’une telle obligation est inédite dans la jurisprudence de la Cour, celle-ci n’ayant statué qu’à propos de décisions de la Commission ou de procédures juridictionnelles nationales, je suis d’accord avec le gouvernement estonien pour considérer qu’il convient de déduire de l’article 107, paragraphe 1, et de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ainsi que du principe de coopération loyale inscrit à l’article 4 TUE, une obligation incombant aux autorités nationales de récupérer de leur propre initiative des aides illégales (24).
107. Je pense (comme la Commission) qu’une aide qui ne correspond pas aux dispositions du règlement général d’exemption par catégorie est une aide illégale, contraire à l’interdiction de mise à exécution prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui a un effet direct. L’obligation de récupération en résultant incombe également aux autorités administratives. Il appartiendra donc aux autorités (et aux juridictions) nationales de tirer toutes les conséquences de la violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes de mise à exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés en méconnaissance de cette disposition.
108. En l’espèce, si le critère de l’effet incitatif prévu à l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie n’est pas rempli lors de l’octroi de l’aide, l’aide ne répond pas aux conditions prévues dans le règlement général d’exemption par catégorie. L’aide n’a pas non plus été approuvée par la Commission en suivant la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, ou à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Dans cette situation, on serait alors en présence d’une aide qui, en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE est incompatible avec le marché intérieur.
109. Dès lors, l’État membre doit d’office et dans les meilleurs délais récupérer pareille aide incompatible avec le marché intérieur ; il doit ce faisant rectifier l’illégalité et rétablir la situation qui aurait prévalu si le droit de l’Union avait été respecté. Cette obligation incombe à l’État membre en vertu du principe de coopération loyale (article 4 TUE), qui oblige l’État membre à prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union.
110. Cette « nouvelle voie » de récupération d’aides considérées illégales exige-t-elle cependant qu’il soit manifeste que l’aide est illégale ? Que les autorités nationales compétentes aient seulement quelques doutes sur le caractère légal de l’aide ne suffirait pas alors à créer l’obligation de récupération.
111. À mon avis, si la récupération doit s’appuyer sur une démonstration d’illégalité (par un concurrent du bénéficiaire ou par l’autorité nationale elle-même (25)), un simple doute sur la légalité d’une aide n’est pas pour l’autorité nationale un motif suffisant de récupérer l’aide, dans la mesure où l’on se situe dans le cadre du règlement général d’exemption par catégorie et, donc, d’une aide prétendument exemptée, mais il n’est pour autant pas requis que la violation dudit règlement soit manifeste.
112. Il s’ensuit que la réponse à la deuxième question me paraît devoir être que, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, l’autorité d’un État membre a l’obligation de récupérer une aide illégale qu’elle a octroyée en violation du règlement général d’exemption par catégorie, lorsqu’elle constate que cette aide a été octroyée illégalement, que la Commission ait ou non adopté une décision de récupération en ce sens et que la violation dudit règlement soit manifeste ou non. Cela étant, un simple doute ne saurait suffire à cet égard.
E. Sur la troisième question préjudicielle relative au principe de confiance légitime
1. Synthèse des observations des parties
113. Eesti Pagar fait valoir que le principe général de confiance légitime fait partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et s’impose, lors de l’exercice de leurs compétences respectives, à la Commission et aux autorités nationales, y compris lors de la mise en œuvre du règlement général d’exemption par catégorie. Or, étant donné que, dans ladite mise en œuvre, ce serait l’autorité nationale compétente qui statuerait sur une demande d’aide, sans aucune intervention de la Commission, ce serait bien cette autorité qui pourrait avoir créé une confiance légitime à l’égard du demandeur.
114. Par ailleurs, selon Eesti Pagar, le principe de l’opérateur diligent ne saurait, en l’espèce, s’opposer à la reconnaissance de sa confiance légitime, dès lors que, en application du règlement général d’exemption par catégorie, l’intervention de la Commission ne serait pas prévue. Or, l’application de ce principe ne saurait aller jusqu’à exiger d’elle un niveau d’expertise supérieur à celui d’EAS en ce qui concerne les exigences de ce règlement, ni a fortiori qu’elle doive exercer un contrôle sur EAS qui aurait d’ailleurs changé son interprétation dudit règlement après l’octroi de l’aide.
115. Dans ses observations écrites, le gouvernement grec n’aborde pas cette question.
116. Le gouvernement estonien et la Commission considèrent que, pour faire naître une confiance légitime, il faut qu’une autorité compétente ait donné à l’opérateur des assurances précises qui ne peuvent être en contradiction avec le droit de l’Union applicable et qui ont fait naître une attente raisonnable à l’égard d’un opérateur diligent. En outre, il faudrait que la mise en balance des intérêts publics et privés soit favorable aux intérêts privés. Or, de l’avis du gouvernement estonien et de la Commission, aucune de ces conditions n’est remplie en l’occurrence.
117. En premier lieu, la confiance légitime alléguée reposant sur l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie, ce gouvernement et cette institution font valoir qu’EAS n’est pas une autorité compétente pour interpréter cette disposition. Cette dernière imposerait au bénéficiaire de l’aide la responsabilité de s’assurer du respect des conditions qu’elle impose. Ainsi, les autorités nationales ne seraient pas compétentes pour donner au bénéficiaire un avis sur la conformité d’un soutien financier avec les exigences du ladite disposition. Par conséquent, les autorités nationales ne sauraient faire naître une confiance légitime à l’égard des bénéficiaires d’aides.
118. En deuxième lieu, le gouvernement estonien et la Commission soutiennent que le silence d’une autorité administrative, qu’elle ait ou non connaissance de certaines circonstances, n’équivaut pas à des renseignements précis, inconditionnels et concordants. Partant, un tel silence ne saurait faire naître une confiance légitime.
119. En troisième lieu, la Commission fait valoir que, dans le cadre de la mise en balance des intérêts publics et privés, il n’est pas pertinent que la Commission ait ou non rendu une décision déclarant l’aide en question incompatible avec le marché intérieur. Les aides d’État étant en principe interdites, le droit de l’Union interdirait de laisser une aide d’État illégale aux mains du bénéficiaire, étant donné qu’une telle distorsion de concurrence serait contraire à l’intérêt général.
2. Appréciation
120. La troisième question préjudicielle, relative à la confiance légitime, présente un lien étroit avec le second volet de la première question (à savoir la compétence des autorités nationales dans la mise en œuvre du règlement général d’exemption par catégorie).
121. Tout d’abord, la thèse défendue par la Commission s’agissant de la première question préjudicielle, qui à la fois s’appuie sur un critère nécessitant une certaine appréciation (à savoir, sur l’effet incitatif) et conteste, dans la présente procédure, toute compétence des autorités nationales pour effectuer ces appréciations est difficilement compréhensible.
122. En effet, le règlement général d’exemption par catégorie exemptant précisément les autorités nationales de l’obligation de notification de l’aide si ses conditions sont remplies, je pense qu’il est difficile de tirer argument de la méconnaissance de la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE lorsque le bénéficiaire et l’autorité nationale compétente considèrent que ces conditions sont remplies.
123. Ensuite, en principe, pour faire naître une confiance légitime, il faut qu’une autorité compétente ait donné au bénéficiaire des assurances précises qui ne peuvent être en contradiction avec le droit de l’Union applicable et qui ont fait naître une attente raisonnable à l’égard d’un opérateur diligent. En outre, il faudrait que la mise en balance des intérêts publics et privés soit favorable aux intérêts privés.
124. Or, sur la base du dossier tel que présenté devant la Cour, je pense (comme le gouvernement estonien et la Commission) qu’aucune de ces conditions ne semble être remplie en l’occurrence, a fortiori dans la mesure où il résulte de la jurisprudence que même une juridiction nationale ne peut faire naître une confiance légitime quant à l’absence d’aide d’État (26).
125. Si la juridiction de renvoi estime, sur base de la réponse à la première question, que l’aide a été accordée en violation de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie, EAS aura de ce fait violé l’article 108, paragraphe 3, TFUE, ce qui exclut toute confiance légitime dont pourrait se prévaloir le bénéficiaire.
126. De plus, un opérateur prévoyant et avisé dans la situation d’Eesti Pagar devait aussi vérifier que les conditions de l’article 8, paragraphe 2, du règlement général d’exemption par catégorie étaient remplies (27). Par ailleurs, l’obligation du bénéficiaire de l’aide de vérifier que la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE a été respectée ne dépend pas du comportement de l’autorité nationale et cette conclusion s’impose « même si cette dernière était à ce point responsable de l’illégalité de la décision que son retrait apparaît comme contraire à la bonne foi » (28).
127. Telle pourrait être la situation dans l’affaire en cause où Eesti Pagar estime ne pas avoir été traitée de manière juste et équitable parce que l’autorité nationale l’aurait encouragée à conclure le(s) contrat(s) ou, à tout le moins, était consciente de l’existence dudit(desdits) contrat(s) lors de la demande de subvention.
128. Si la seule connaissance par les agents d’EAS des contrats antérieurement conclus par cette société n’équivaut pas per se à la fourniture d’assurances précises, il ne saurait être exclu d’emblée qu’il pourrait en aller autrement si la conclusion desdits contrats avait été recommandée à Eesti Pagar par EAS. Toutefois, si cela était avéré, ne se poserait alors qu’une question de responsabilité de l’État et non de confiance légitime qui permettrait d’éviter la récupération de l’aide.
129. Partant, il convient de répondre à la troisième question préjudicielle que l’autorité de l’État membre qui décide d’octroyer une aide en considérant à tort qu’elle répond aux conditions de l’exemption par catégorie octroie de ce fait une aide illégale et ne peut créer une confiance légitime à l’égard du bénéficiaire de cette aide. Le fait qu’elle ait eu préalablement connaissance du non-respect d’une de ces conditions, voire ait mal conseillé le bénéficiaire, est à cet égard non pertinent.
F. Sur la quatrième question préjudicielle (délai de prescription applicable) et sur la cinquième question préjudicielle (obligation de réclamer des intérêts)
130. Il convient de traiter ces deux questions ensemble car elles soulèvent la même question clé (celle de savoir quelle règle doit s’appliquer dans une situation telle que celle en cause au principal) (29).
1. Synthèse des observations des parties
a) Sur la quatrième question préjudicielle
131. Eesti Pagar soutient, en substance, que le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 ne vaut que pour l’action de la Commission et estime que rien ne permet d’assimiler une institution nationale telle qu’EAS à la Commission. En revanche, soit le délai de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 2988/95, soit la législation nationale pertinente pourrait s’appliquer à une telle action en récupération.
132. Le gouvernement grec est d’avis que le délai de prescription de dix ans prévu à l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 est d’application.
133. Le gouvernement estonien et la Commission estiment que, si une autorité ou une juridiction nationale donne directement effet, par une décision de récupération d’une aide, à l’interdiction de mise à exécution prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, les règles de procédure nationales doivent être appliquées. Toutefois, il conviendrait d’appliquer le droit national en tenant compte du principe d’effectivité du droit de l’Union. À cet égard, afin de préserver la compétence exclusive dont dispose la Commission pour approuver ou pour interdire les aides avant leur mise à exécution, le droit national devrait permettre la récupération de l’aide illégale pendant dix ans au moins à partir de l’octroi d’une aide illégale à son bénéficiaire, ce délai étant prévu à l’article 15 du règlement n° 659/1999.
134. S’agissant du délai de prescription de quatre ans à partir de la réalisation de l’irrégularité, prévu à l’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 2988/95 pour les aides structurelles, ce gouvernement et cette institution font valoir que ce règlement est dépourvu de pertinence dans la présente affaire, puisque les règles relatives aux aides d’État constituent un régime spécial, qui découle directement d’une disposition ayant un rang plus élevé que ce règlement, à savoir l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Cette analyse serait d’ailleurs confortée par l’article 101 du règlement nº 1083/2006, aux termes duquel l’article 14 du règlement n° 659/1999 s’appliquerait à la récupération des aides d’État.
b) Sur la cinquième question préjudicielle
135. Eesti Pagar relève que, dans son arrêt du 9 juin 2016, revêtu de l’autorité de la chose jugée, la Riigikohus (Cour suprême) a dit pour droit que la présente affaire ne relevait pas du champ d’application des articles 9 et 11 du règlement n° 794/2004 et qu’elle avait annulé, sur ce fondement, la décision de récupération s’agissant des intérêts.
136. Selon cette société, l’on ne saurait pas non plus appliquer ces dispositions par analogie, en l’espèce, dès lors que leur libellé ne viserait que l’intérêt afférent aux décisions de récupération de la Commission et que ce règlement aurait été adopté aux fins de l’application du règlement n° 659/1999, lequel ne traiterait que de l’action de la Commission, à l’exclusion de celle des autorités des États membres. Or, l’on ne pourrait déduire de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ni base, ni droit, ni obligation, à l’adresse d’une institution d’un État membre, pour exiger des intérêts lors de la récupération d’une aide.
137. Le gouvernement grec estime que, dans l’hypothèse du remboursement d’une aide illégale par suite de la décision d’une juridiction nationale, le droit national s’applique, en particulier, s’agissant des dispositions relatives au taux d’intérêt des créances de l’État. Cependant, afin de garantir l’objectif des dispositions relatives aux aides d’État, la méthode de calcul des intérêts ne devrait pas être moins stricte que celle prévue à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 ou aux articles 9 à 11 du règlement n° 794/2004. En effet, le droit national devrait assurer la réalisation de l’objectif des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État, à savoir la suppression totale de l’avantage économique obtenu par le bénéficiaire par la récupération intégrale du bénéfice tiré, ce qui inclurait les intérêts légaux.
138. Le gouvernement estonien et la Commission sont d’avis que les juridictions et les autorités nationales devraient appliquer avant tout les règles de procédure nationales en ce qui concerne le taux applicable, la méthode à appliquer et la fixation du point de départ des intérêts.
139. Toutefois, lorsqu’elles réclament des intérêts, les juridictions et les autorités nationales devraient prendre en compte le principe d’effectivité du droit de l’Union. Par conséquent, il conviendrait non pas d’appliquer par analogie la méthode prévue à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 659/1999 et aux articles 9 et 11 du règlement n° 794/2004, mais de l’utiliser pour vérifier que, lors du calcul des intérêts, le droit national applicable est conforme audit principe d’effectivité.
2. Appréciation
a) Délai de prescription applicable à la récupération par une autorité nationale
140. Au point 41 de sa communication relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales, la Commission fait référence, concernant les intérêts à réclamer, au règlement n° 659/1999 et prône, en substance, une application par analogie dudit règlement par les juridictions nationales. De même, dans la présente procédure, elle invoque le principe d’effectivité pour défendre une application des règles figurant dans ce règlement tant au délai de prescription de la récupération d’une aide par une autorité nationale qu’aux intérêts à réclamer dans cette hypothèse.
141. Cette argumentation découle de la crainte de la Commission que, d’une part, des périodes de prescription prévues par le droit national plus courtes que celle prévue à l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999 compromettent les pouvoirs qui lui sont conférés par ce règlement et que, d’autre part, des dispositions nationales moins strictes que celles prévues dans ledit règlement quant aux intérêts à réclamer compromettent la récupération intégrale de l’aide illégalement accordée, telle qu’exigée à l’article 107, paragraphe 1, et à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
142. Cette argumentation fait apparaître une tension entre l’objet du règlement n° 659/1999, qui est limité à la seule procédure devant la Commission, et l’extension par analogie de son application aux procédures nationales, afin de préserver les objectifs poursuivis par lesdites dispositions du droit primaire.
143. En ce qui concerne la prescription, se pose en outre une question de cohérence réglementaire, étant donné que l’aide octroyée à Eesti Pagar relève des règlements nos 1083/2006 et 2988/95, dont le dernier prévoit un délai de prescription de quatre ans.
144. Dans ses observations écrites, la Commission a fondé la priorité du règlement n° 659/1999 sur le fait qu’il a été adopté sur le fondement du droit primaire. À la suite de la remarque faite par la Cour lors de l’audience, à savoir qu’il en était de même des deux autres règlements, la Commission a indiqué qu’elle devait « préciser et ajuster » ses observations écrites, reconnaissant que les trois règlements étaient des instruments de droit dérivé qui ont la même place dans la hiérarchie des normes et que la méthode de financement ou la source ne jouaient aucun rôle dans les règles de prescription.
145. Toutefois, selon la Commission, si les trois règlements sont a priori applicables en l’espèce, ils poursuivraient des finalités différentes et tant l’applicabilité directe de l’article 108, paragraphe 3, TFUE que la nécessité de préserver les prérogatives de la Commission commanderaient l’application (même « indirecte ») du règlement n° 659/1999, le principe d’effectivité empêchant dès lors un délai de prescription inférieur à dix ans.
146. Je ne partage pas cette thèse.
147. En effet, je ne vois pas en quoi l’application en cas de récupération proprio motu d’une aide par une autorité nationale, d’un délai de prescription inférieur à dix ans prévu par un autre règlement ou la législation nationale, empêcherait la prise par la Commission d’une décision de récupération de cette aide. La Commission peut « toujours » pendant dix ans se saisir de l’examen d’une aide suspecte, et ce malgré l’expiration du délai de prescription appliqué dans la procédure nationale, ce que la Commission a reconnu lors de l’audience.
148. Dès lors, comme l’a relevé la Riigikohus (Cour suprême), il ne convient pas en l’espèce d’appliquer « indirectement » ou par analogie le règlement n° 659/1999. Ce dernier ne vaut, selon son libellé, que pour l’action de la Commission et il ne convient pas d’assimiler l’action d’une autorité nationale à celle de la Commission.
149. À cet égard, aux points 34 et 35 de son arrêt du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (C‑368/04, EU:C:2006:644), la Cour a précisé que, si le règlement n° 659/1999 contenait des règles de nature procédurale qui s’appliquent à toutes les procédures administratives en matière d’aides d’État pendantes devant la Commission, il ressortait toutefois du considérant 2 et de l’ensemble des dispositions de ce règlement que celui-ci ne contenait aucune disposition relative aux pouvoirs et aux obligations des juridictions nationales, lesquels restent régis par les dispositions du traité, telles qu’interprétées par la Cour. Il me semble que cette logique doit s’appliquer, a fortiori, aux pouvoirs et aux obligations des autorités administratives nationales.
150. Le gouvernement estonien et la Commission plaident toutefois pour une prise en compte, au titre du principe d’effectivité, de l’article 14 du règlement n° 659/1999 et des articles 9 et 11 du règlement n° 794/2004.
151. Or, les règlements nos 1083/2006 et 2988/95 étant directement applicables, à mon avis, il n’y a plus de place pour une prise en compte des règlements nos 659/1999 et 794/2004.
152. D’ailleurs, je pense (comme Eesti Pagar) qu’il serait contraire aux principes de bonne administration, de confiance légitime (clarté juridique) et de sécurité juridique d’appliquer par analogie le délai de dix ans prévu dans le règlement n° 659/1999 à la récupération d’une aide initiée par une autorité nationale – sans décision de récupération correspondante de la Commission. En effet, les règles de prescription doivent être clairement déterminées et, face à une décision d’une autorité nationale, le particulier ne peut se voir imposer un délai de prescription fixé par une disposition qui ne fait référence qu’à une décision de la Commission.
153. Dès lors, dans une affaire comme celle au principal – relative à la récupération d’aides structurelles payées par l’État membre – il convient d’appliquer le délai de quatre ans prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 2988/95, relatif à la protection des intérêts financiers [de l’Union].
154. En effet, l’aide en cause a été octroyée à Eesti Pagar sur la base du décret n° 44, adopté en vertu de la loi sur les aides structurelles pour la période 2007-2013 (la STS). Conformément à son article 1er, paragraphe 2, la STS s’applique à l’octroi et à l’utilisation des ressources allouées à l’aide structurelle sur la base d’un programme opérationnel approuvé par la Commission, conformément à l’article 32, paragraphe 5, du règlement nº 1083/2006. Par conséquent, l’aide octroyée à Eesti Pagar est une aide financée à partir de fonds structurels de l’Union, dont le règlement nº 2988/95 régit les aspects qui y sont liés.
155. Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement nº 2988/95, «[e]st constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit [de l’Union] résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général [de l’Union] ou à des budgets gérés par celle-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte [de l’Union], soit par une dépense indue ».
156. Il résulte de ce qui précède que le délai de prescription applicable à la récupération de l’aide illégale en cause par l’autorité de l’État membre est de quatre ans, tel que le prévoit l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 2988/95 (30).
b) Intérêts appliqués à la récupération par une autorité nationale
157. Selon la Cour, « l’application d’intérêts composés constitue un moyen particulièrement approprié afin de parvenir à une neutralisation de l’avantage concurrentiel conféré illégalement aux entreprises bénéficiaires de ladite aide d’État » (31). L’objectif de la récupération des intérêts est de supprimer, «[d]u point de vue du bénéficiaire de l’aide, l’avantage indu [qui] aura consisté, d’une part, dans le non-versement des intérêts qu’il aurait acquittés sur le montant en cause de l’aide compatible, s’il avait dû emprunter ce montant sur le marché dans l’attente de la décision de la Commission, et, d’autre part, dans l’amélioration de sa position concurrentielle face aux autres opérateurs du marché pendant la durée de l’illégalité ». C’est pourquoi, selon la Cour, «une mesure qui consisterait uniquement en une obligation de récupération sans intérêts ne serait pas propre, en principe, à remédier aux effets de l’illégalité» (32).
158. Dans la mesure où pour la prescription je propose d’appliquer le règlement nº 2988/95, se pose la question de savoir si des intérêts peuvent également être réclamés sur le fondement dudit règlement.
159. Aux termes de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de ce règlement, « [t]oute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu […] par l’obligation […] de rembourser les montants indûment perçus […] L’application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l’avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d’intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire » (c’est moi qui souligne).
160. L’article 5, paragraphe 1, sous b), dudit règlement prévoit que « [l]es irrégularités intentionnelles ou causées par négligence peuvent conduire aux sanctions administratives suivantes : […] b) le paiement d’un montant excédant les sommes indûment perçues ou éludées, augmentées, le cas échéant, d’intérêts ; […] »
161. Le règlement nº 2988/95 ne prévoit donc pas le paiement inconditionnel d’intérêts.
162. Ce n’est évidemment pas le rôle de la Cour d’interpréter le droit national, mais, selon l’arrêt du 9 juin 2016 de la Riigikohus (Cour suprême), le droit estonien ne permet pas de réclamer à la requérante le paiement d’intérêts pour la période comprise entre la date à laquelle l’aide a été payée et la date de la récupération.
163. Cela dit, je pense que, comme l’impose la jurisprudence de la Cour sur les aides d’État rappelée ci-dessus, des intérêts doivent être réclamés directement en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE afin de parvenir à la neutralisation de l’avantage concurrentiel conféré illégalement aux entreprises bénéficiaires d’aides d’État.
164. Si les juridictions et les autorités nationales appliquent avant tout, pour calculer les intérêts dus, les règles de procédure nationales relatives au taux applicable à la méthode de calcul (simples ou composés) et à la fixation du point de départ du délai de paiement des intérêts, je pense (comme la Commission) qu’en réclamant des intérêts lors de la récupération de l’aide, elles doivent poursuivre le même objectif que la Commission, en respectant le principe d’effectivité du droit de l’Union. L’application de ce principe implique de ne pas appliquer une disposition nationale qui n’assurerait pas l’effectivité des règles relatives aux aides d’État (33).
165. Si la Commission devait prendre cette décision dans une affaire dont elle serait saisie, elle appliquerait l’article 14, paragraphe 2, du règlement nº 659/1999 et les articles 9 et 11 du règlement nº 794/2004.
166. Or, la finalité d’une décision nationale de récupération d’une aide illégale est la même que celle d’une décision de récupération de la Commission, à savoir de priver le bénéficiaire de l’aide de l’intégralité de l’avantage indu, en ce compris les intérêts (34).
167. Par conséquent, il convient non pas d’appliquer par analogie la méthode prévue à l’article 14, paragraphe 2, du règlement nº 659/1999 et aux articles 9 et 11 du règlement nº 794/2004, comme l’indique la Riigikohus (Cour suprême) au point 41 de son arrêt du 9 juin 2016, mais de l’utiliser pour vérifier que, lors du calcul des intérêts, le droit national applicable est conforme au principe d’effectivité (35), en anticipant en quelque sorte ce que ferait la Commission en pareil cas.
168. Les autorités de l’État membre doivent donc faire en sorte que le taux d’intérêt, la méthode à appliquer et la période couverte assurent l’élimination d’un avantage concurrentiel illégal.
169. Or, en cas d’aide illégale, l’avantage concurrentiel illégal se produit dès l’octroi de l’aide. Si l’on calculait les intérêts à partir seulement de la décision de récupération, l’avantage concurrentiel illégal subsisterait pour la période comprise entre l’octroi de l’aide et l’adoption de la décision de récupération, au cours de laquelle le bénéficiaire de l’aide a pu profiter de l’aide en violation de l’interdiction de mise à exécution. L’application du droit de l’Union et les intérêts des autres justiciables pourraient en pareil cas être compromis par l’inaction des autorités de l’État membre et l’effectivité du droit de l’Union ne serait pas assurée.
170. La Riigikohus (Cour suprême) a reconnu, au point 41 de son arrêt du 9 juin 2016, que l’objectif de l’élimination de la distorsion de concurrence constatée justifierait de calculer les intérêts à partir de l’octroi de l’aide et que le seul problème était l’absence d’une base juridique correcte à cette fin. Je pense que la base juridique du calcul des intérêts est l’article 108, paragraphe 3, TFUE, interprété en liaison avec le principe d’effectivité.
171. Il convient donc de répondre à la cinquième question qu’en cas de récupération d’une aide illégale par une autorité nationale, les intérêts que celle-ci décide d’y ajouter doivent être calculés selon le droit national applicable, sous réserve du respect du principe d’effectivité du droit de l’Union. Cela implique qu’en vue d’assurer la disparition intégrale de l’avantage indu procuré par l’aide en cause le calcul des intérêts devra se faire en conformité avec l’article 14, paragraphe 2, du règlement nº 659/1999, aux termes duquel les intérêts courent à compter de la date d’octroi de l’aide, et avec les articles 9 et 11 du règlement nº 794/2004 de la Commission, aux termes desquels les intérêts doivent être calculés sur une base composée et le taux d’intérêt applicable ne doit pas être inférieur au taux de référence.
V. Conclusion
172. Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie) comme suit :
1. L’article 8, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 800/2008 de la Commission, du 6 août 2008, déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché [intérieur] en application des articles [107] et [108] du traité [FUE] (règlement général d’exemption par catégorie) doit être interprété en ce sens que, dans le cadre de cette disposition, la « réalisation du projet ou de l’activité » a débuté lorsque l’activité à subventionner consiste notamment à acquérir des équipements et que des contrats aux fins de l’acquisition de ces équipements ont été conclus, la conclusion de tels contrats constituant le lancement des activités liées à la mise en œuvre du projet.
Toutefois, pour répondre à la question de savoir si une aide accordée sur la base dudit règlement a un effet incitatif, il convient de procéder à une analyse détaillée des clauses contractuelles et des circonstances factuelles qui ont entouré la conclusion des contrats en cause.
Les autorités de l’État membre sont compétentes pour apprécier la méconnaissance du critère de l’effet incitatif prévu à l’article 8, paragraphe 2, de ce règlement, notamment au regard des frais de dédit du contrat en cause.
2. L’autorité de l’État membre a, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, l’obligation de récupérer une aide illégale qu’elle a octroyée en violation du règlement n° 800/2008 lorsqu’elle constate que cette aide a été octroyée illégalement, que la Commission ait ou non adopté une décision de récupération en ce sens et que la violation dudit règlement soit manifeste ou non. Cela étant, un simple doute ne saurait suffire à cet égard.
3. L’autorité de l’État membre qui décide d’octroyer une aide en considérant à tort qu’elle répond aux conditions de l’exemption par catégorie octroie de ce fait une aide illégale et ne peut créer une confiance légitime à l’égard du bénéficiaire de cette aide. Le fait qu’elle ait eu préalablement connaissance du non-respect d’une de ces conditions, voire ait mal conseillé le bénéficiaire, est à cet égard non pertinent.
4. Le délai de prescription applicable à la récupération de l’aide illégale en cause par l’autorité de l’État membre est de quatre ans, tel que le prévoit l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers [de l’Union européenne].
5. En cas de récupération d’une aide illégale par une autorité nationale, les intérêts qu’elle décide d’y ajouter doivent être calculés selon le droit national applicable sous réserve du principe d’effectivité du droit de l’Union. Cela implique qu’en vue d’assurer la disparition intégrale de l’avantage indu procuré par l’aide en cause le calcul des intérêts devra se faire en conformité avec l’article 14, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108] du traité [FUE], aux termes duquel les intérêts courent à compter de la date d’octroi de l’aide, et avec les articles 9 et 11 du règlement nº 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article [108] du traité [FUE], aux termes desquels les intérêts doivent être calculés sur une base composée et le taux d’intérêt applicable ne doit pas être inférieur au taux de référence.
1 Langue originale : le français.
2 Règlement de la Commission du 6 août 2008 déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché [intérieur] en application des articles [107] et [108] du traité [FUE] (Règlement général d’exemption par catégorie) (JO 2008, L 214, p. 3), ci-après le « règlement général d’exemption par catégorie ».
3 Règlement du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers [de l’Union européenne] (JO 1995, L 312, p. 1).
4 Règlement du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d’application de l’article [108] du traité [FUE] (JO 1999, L 83, p. 1).
5 Règlement de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article [108] du traité [FUE] (JO 2004, L 140, p. 1).
6 Règlement du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) n° 260/1999 (JO 2006, L 210, p. 25).
7 Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) n° 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320)
8 Règlement de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité [FUE] (JO 2014, L 187, p. 1).
9 Règlement du Conseil du 13 juillet 2015 portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2015, L 248, p. 9).
10 Adoptée le 7 décembre 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RT I 2006, 59, 440 ; RT I, 03.02.2011, 3) dans la version en vigueur du 1er janvier 2012 au 30 juin 2014.
11 Entré en vigueur le 1er janvier 2007 (RT I 2006, 61, 463 ; RT I, 05.07.2011, 20) et adopté, notamment, sur la base de l’article 26, paragraphe 6, de la STS, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2012 au 28 août 2014.
12 Selon le point 20 de l’arrêt de la Riigikohus (Cour suprême), « [l]es juridictions ont suffisamment motivé leur affirmation selon laquelle la requérante, avant de présenter une demande d’aide le 24 octobre 2008, a contracté un engagement ferme aux fins de l’acquisition d’équipements. Même si l’on considère que le contrat de vente bilatéral du 28 août 2008 était conditionnel en vertu de l’échange de lettres préalable entre les parties [référence au dossier], il n’est fait aucune référence à une condition quelconque dans le cas du contrat de vente tripartite conclu le 13 octobre 2008 avec la participation du bailleur ».
13 La juridiction de renvoi a interrogé les témoins lors de l’audience du 11 avril 2017, mais elle n’a formulé aucune conclusion définitive sur cette question (voir le compte rendu d’audience du 11 avril 2017).
14 Voir arrêts du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association e.a. (36/80 et 71/80, EU:C:1981:62, point 6), et du 16 juillet 1992, Meilicke (C‑83/91, EU:C:1992:332, point 26). Voir, également, arrêt du 30 mars 2000, JämO (C‑236/98, EU:C:2000:173, point 31).
15 Voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2010, Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, points 25 à 32).
16 Lors de l’audience, il a été confirmé que les fonds en question en l’espèce provenaient du Fonds européen de développement régional. Il s’agit d’un des fonds structurels européens qui vise à renforcer la cohésion économique et sociale au sein de l’Union en corrigeant les déséquilibres régionaux.
17 Le document anglais intitulé « General Block Exemption Regulation (GBER) – Frequently Asked Questions » est disponible sur le site Internet de la Commission sous le lien « http://ec.europa.eu/competition/state_aid/legislation/gber_practical_faq_en.pdf » et répond à la question « Is it contrary to the incentive effect requirement of Art. 8 to conclude agreements and make payments based on them, in particular preliminary contracts for purchase options and pre-contracts of sale, before the aid application is submitted ? » comme suit : « Footnote 40 of the Regional Aid Guidelines defines “start of work” as either the start of construction work or the first firm commitment to order equipment, excluding preliminary feasibility studies. Whether the agreements and payments made on the basis of these agreements can be considered a “first firm commitment” to start the project does not necessarily depend on the formal classification of the agreements in question, but on the terms of those agreements. If contractual obligations make it difficult from an economic standpoint to abandon the project in a given case, particularly because a considerable sum of money would be lost, work will be deemed to have started within the meaning of Art. 8. A more detailed examination of the specific circumstances of the case would be needed to see if this is indeed the case. »
18 Arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission (C-630/11 P, EU:C:2013:387, points 106 à 109).
19 Arrêt du 20 septembre 2011, Regione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./CommissionRegione autonoma della Sardegna e.a./Commission (T‑394/08, T‑408/08, T‑453/08 et T‑454/08, EU:T:2011:493).
20 Conclusions dans l’affaire HGA, C-630/11 P (EU:C:2013:194, point 66).
21 Voir Werner, P., et Verouden, V. (éd.), EU State Aid Control : Law and Economics, Wolters Kluwer, Alphen-sur-le-Rhin, 2017, p. 208.
22 Selon la Commission, le règlement général d’exemption par catégorie est autoexécutoire.
23 EAS a soutenu lors de l’audience qu’il s’agissait en l’espèce plutôt de trois contrats distincts qui devraient être appréciés de façon individuelle et non comme un ensemble.
24 L’obligation de récupération incombe d’ailleurs à toutes les autorités nationales, tant les juridictions que les autorités administratives, conformément à ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo/Comune di Milano, 103/88, EU:C:1989:256, points 30 et 31).
25 En l’absence de décision d’ouverture d’examen de la compatibilité d’aide par la Commission.
26 Arrêt du 1er mars 2017, SNCM/Commission (T-454/13, EU:T:2017:134, point 299) ; voir, également, sur ce point l’arrêt du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission (T-309/12, EU:T:2014:676, points 237 à 241), ainsi que l’arrêt du 16 mai 2000, France/Ladbroke Racing et Commission (C‑83/98 P, EU:C:2000:248, points 58 à 61), et les conclusions de l’avocat général Cosmas, présentées le 23 novembre 1999 (EU:C:1999:577, points 53 à 98).
27 Surtout dans un contexte d’exemption par catégorie, le bénéficiaire doit savoir qu’il prend un risque puisque l’aide n’est pas notifiée à la Commission.
28 Arrêt du 20 mars 1997, Land Rheinland-Pfalz/Alcan Deutschland (C‑24/95, EU:C:1997:163, point 41).
29 Une question potentiellement analogue semble se poser aussi dans l’affaire C‑387/17, Fallimento Traghetti del Mediterraneo (également pendante devant la Cour), dans le cadre du recours en dommages et intérêts d’un concurrent du bénéficiaire d’une aide contre l’État italien en raison du préjudice prétendument subi du fait du versement prématuré de l’aide.
30 Cela étant, si le droit national prévoit un délai plus long, ce dernier sera applicable (voir, à la note 35 des présentes conclusions, le même principe pour le calcul des intérêts).
31 Arrêt du 3 septembre 2015,A2A SpA/Agenzia delle Entrate (C-89/14, EU:C:2015:537, point 42).
32 Arrêt du 22 février 2008, Centre d’exportation du livre français (CELF) et ministre de la Culture et de la Communication/Société internationale de diffusion et d’édition (SIDE) (C-199/06, EU:C:2008:79, points 50 à 54).
33 Arrêt du 5 octobre 2006, Commission/France (C-232/05, EU:C:2006:651, point 53).
34 La raison en est que la mise à exécution anticipée de l’aide illégale a pour effet que, le cas échéant, les concurrents subissent plus tôt les effets de l’aide. Le bénéficiaire de l’aide en a donc retiré un avantage indu (arrêt du 22 février 2008, CELF et ministre de la Culture et de la Communication, C-199/06, EU:C:2008:79, points 50 à 52 et 55). La Cour a déclaré que la juridiction nationale devait ordonner le paiement d’intérêts même après que la Commission a adopté une décision positive (ledit arrêt CELF, points 52 et 55). Dans ce cas, les intérêts portent uniquement sur la période d’existence de l’avantage concurrentiel, pendant laquelle le bénéficiaire de l’aide a disposé prématurément de l’aide (c’est-à-dire avant la décision positive de la Commission).
35 Si le droit national prévoit des intérêts plus élevés que les intérêts garantis par le droit de l’Union, il convient d’appliquer ces dispositions plus rigoureuses. Voir arrêt du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen GmbH/Land Nordrhein-Westfalen (C-505/14, EU:C:2015:742, point 40).
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