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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Paysera LT (Freedom of establishment - Opinion) French Text [2018] EUECJ C-389/17_O (04 October 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C38917_O.html Cite as: EU:C:2018:817, ECLI:EU:C:2018:817, [2018] EUECJ C-389/17_O |
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Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MELCHIOR WATHELET
présentées le 4 octobre 2018 (1)
Affaire C‑389/17
« Paysera LT » UAB, anciennement « EVP International » UAB
en présence de
Lietuvos bankas
[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie)]
« Renvoi préjudiciel – Établissements de monnaie électronique – Directive 2009/110/CE – Règles en matière de fonds propres – Fonds requis pour l’exercice d’activités liées à l’émission de monnaie électronique – Notion d’“activité liée à l’émission de monnaie électronique” – Émission de la monnaie électronique au profit du vendeur à la valeur nominale des fonds reçus »
1. La monnaie électronique est-elle de la fausse monnaie, voire de la monnaie de singe (2) ?
2. Ce renvoi préjudiciel, introduit par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie), porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, et de l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/110/CE (3). Il a été présenté dans le cadre d’un litige opposant « Paysera LT » UAB, anciennement « EVP International » UAB (ci-après « Paysera »), à la Lietuvos bankas (Banque [centrale] de Lituanie), au sujet des méthodes de calcul des fonds propres à appliquer à certaines opérations de paiement et de la qualification de certaines opérations comme services de paiement « liés à l’émission de monnaie électronique ».
I. Le cadre juridique
A. La directive DME II
3. Selon le considérant 11 de la directive DME II :
« Il convient d’établir un régime de capital initial, associé à un régime de capital permanent, afin d’assurer une protection adéquate des consommateurs et de garantir une gestion saine et prudente des établissements de monnaie électronique. Étant donné la spécificité de la monnaie électronique, il y a lieu de prévoir une méthode additionnelle pour le calcul du capital permanent. Il convient de conserver un pouvoir discrétionnaire complet en matière de contrôle, afin de veiller à ce que, pour tous les prestataires de services de paiement, les mêmes risques soient soumis aux mêmes prescriptions et que la méthode de calcul couvre la situation commerciale spécifique d’un établissement de monnaie électronique donné. Il convient également de prévoir l’obligation, pour l’établissement de monnaie électronique, de maintenir une séparation entre les fonds des détenteurs de monnaie électronique et les fonds employés par l’établissement de monnaie électronique aux fins d’autres activités commerciales. Les établissements de monnaie électronique devraient en outre être soumis à des réglementations efficaces en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. »
4. Aux termes de l’article 2, point 2, de la directive DME II, intitulé « Définitions », la monnaie électronique est « une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement telles que définies à l’article 4, point 5), de la directive 2007/64/CE et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l’émetteur de monnaie électronique ».
5. L’article 5, paragraphes 2 et 3, de la directive DME II, intitulé « Fonds propres », dispose :
« 2. En ce qui concerne les activités visées à l’article 6, paragraphe 1, point a), qui ne sont pas liées à l’émission de monnaie électronique, les fonds propres requis d’un établissement de monnaie électronique sont calculés conformément à l’une des trois méthodes (A, B ou C) énoncées à l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive 2007/64/CE. Les autorités compétentes déterminent quelle méthode est appropriée conformément à la législation nationale.
En ce qui concerne l’activité d’émission de monnaie électronique, les fonds propres requis d’un établissement de monnaie électronique sont calculés conformément à la méthode D exposée au paragraphe 3.
Les établissements de monnaie électronique détiennent à tout moment des fonds propres qui sont supérieurs ou égaux à la somme des montants requis visés aux premier et deuxième alinéas.
3. Méthode D : les fonds propres d’un établissement de monnaie électronique pour l’activité d’émission de monnaie électronique s’élèvent à 2 % au minimum de la moyenne de la monnaie électronique en circulation. »
6. L’article 6 de la directive DME II, intitulé « Activités » prévoit, à son paragraphe 1, sous a) :
« 1. Outre l’émission de monnaie électronique, les établissements de monnaie électronique sont habilités à exercer chacune des activités suivantes :
a) la prestation des services de paiement énumérés en annexe de la directive 2007/64/CE »
7. L’article 11 de la directive DME II, intitulé « Émission et remboursement » dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Les États membres veillent à ce que les émetteurs de monnaie électronique émettent de la monnaie électronique à la valeur nominale contre la remise de fonds.
2. Les États membres veillent à ce que les émetteurs de monnaie électronique remboursent, à la demande du détenteur de monnaie électronique, à tout moment et à la valeur nominale, la valeur monétaire électronique détenue. »
B. La directive 2007/64/CE
8. L’article 4, points 3 et 5, de la directive 2007/64/CE (4), intitulé « Définitions », vise les notions de « services de paiement » et d’« opération de paiement » :
« 3) “services de paiement” : toute activité exercée à titre professionnel énumérée dans l’annexe ;
[…]
5) “opération de paiement” : une action, initiée par le payeur ou le bénéficiaire, consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire ; »
9. L’article 8, de la directive DSP, intitulé « Calcul des fonds propres », prévoit à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Nonobstant les exigences de capital initial énoncées à l’article 6, les États membres exigent que les établissements de paiement détiennent à tout moment des fonds propres calculés selon l’une des trois méthodes ci-après, conformément à ce que déterminent les autorités compétentes conformément à la législation nationale :
Méthode A
Le montant des fonds propres d’un établissement de paiement est au moins égal à 10 % de ses frais généraux fixes de l’année précédente. Les autorités compétentes peuvent ajuster cette exigence en cas de modification significative de l’activité de l’établissement de paiement par rapport à l’année précédente. Lorsqu’un établissement de paiement n’a pas enregistré une année complète d’activité à la date du calcul, il est exigé que le montant de ses fonds propres soit au moins égal à 10 % des frais généraux fixes correspondants prévus dans son plan d’affaires, à moins que les autorités compétentes n’exigent un ajustement de ce plan.
Méthode B
Le montant des fonds propres de l’établissement de paiement est au moins égal à la somme des éléments suivants, multipliée par le facteur d’échelle k déterminé au paragraphe 2, où le volume des paiements (VP) représente un douzième du montant total des opérations de paiement exécutées par l’établissement de paiement au cours de l’année précédente :
a) 4,0 % de la tranche du VP allant jusqu’à 5 000 000 EUR
plus
b) 2,5 % de la tranche du VP comprise entre 5 000 000 EUR et 10 000 000 EUR
plus
c) 1 % de la tranche du VP comprise entre 10 000 000 et 100 000 000 EUR
plus
d) 0,5 % de la tranche du VP comprise entre 100 000 000 et 250 000 000 EUR
plus
e) 0,25 % de la tranche du VP supérieure à 250 000 000 EUR.
Méthode C
Le montant des fonds propres de l’établissement de paiement est au moins égal à l’indicateur applicable défini au point a), après application du facteur de multiplication déterminé au point b) puis du facteur d’échelle k déterminé au paragraphe 2 :
a) L’indicateur applicable est la somme des éléments suivants :
– produits d’intérêts,
– charges d’intérêts,
– commissions et frais perçus, et
– autres produits d’exploitation.
Chaque élément est inclus dans la somme avec son signe, positif ou négatif. Les produits exceptionnels ou inhabituels ne peuvent pas être utilisés pour calculer l’indicateur applicable. Les dépenses liées à l’externalisation de services fournis par des tiers peuvent minorer l’indicateur applicable si elles sont engagées par une entreprise faisant l’objet d’un contrôle au titre de la présente directive. L’indicateur applicable est calculé sur la base de l’observation de douze mois effectuée à la fin de l’exercice précédent. Il est calculé sur l’exercice précédent. Cependant, les fonds propres calculés selon la méthode C ne peuvent pas être inférieurs à 80 % de la moyenne des trois exercices précédents pour l’indicateur applicable. Lorsque des chiffres audités ne sont pas disponibles, des estimations peuvent être utilisées.
b) Le facteur de multiplication est égal à :
i) 10 % de la tranche de l’indicateur applicable allant jusqu’à 2 500 000 EUR ;
ii) 8 % de la tranche de l’indicateur applicable comprise entre 2 500 000 EUR et 5 000 000 EUR ;
iii) 6 % de la tranche de l’indicateur applicable comprise entre 5 000 000 EUR et 25 000 000 EUR ;
iv) 3 % de la tranche de l’indicateur applicable comprise entre 25 000 000 EUR et 50 000 000 EUR ;
v) 1,5 % de la tranche de l’indicateur applicable supérieure à 50 000 000 EUR.
2. Le facteur d’échelle k à utiliser pour appliquer les méthodes B et C est égal à :
a) 0,5 lorsque l’établissement de paiement ne fournit que le service de paiement repris au point 6 de l’annexe ;
b) 0,8 lorsque l’établissement de paiement fournit le service de paiement repris au point 7 de l’annexe ;
c) 1 lorsque l’établissement de paiement fournit l’un des services de paiement repris aux points 1 à 5 de l’annexe. »
10. L’annexe de la directive DSP, intitulée « Services de paiement (article 4, point 3) », énonce la liste des activités considérées comme telles :
« 1. Les services permettant de verser des espèces sur un compte de paiement et toutes les opérations qu’exige la gestion d’un compte de paiement.
2. Les services permettant de retirer des espèces d’un compte de paiement et toutes les opérations qu’exige la gestion d’un compte de paiement.
3. L’exécution d’opérations de paiement, y compris les transferts de fonds sur un compte de paiement auprès du prestataire de services de paiement de l’utilisateur ou auprès d’un autre prestataire de services de paiement :
– l’exécution de prélèvements, y compris de prélèvements autorisés unitairement,
– l’exécution d’opérations de paiement par le biais d’une carte de paiement ou d’un dispositif similaire,
– l’exécution de virements, y compris d’ordres permanents.
4. L’exécution d’opérations de paiement dans le cadre desquelles les fonds sont couverts par une ligne de crédit accordée à l’utilisateur de services de paiement :
– l’exécution de prélèvements, y compris de prélèvements autorisés unitairement,
– l’exécution d’opérations de paiement par le biais d’une carte de paiement ou d’un dispositif similaire,
– l’exécution de virements, y compris d’ordres permanents.
5. L’émission et/ou l’acquisition d’instruments de paiement.
6. Les transmissions de fonds.
7. L’exécution d’opérations de paiement, lorsque le consentement du payeur à une opération de paiement est donné au moyen de tout dispositif de télécommunication, numérique ou informatique et que le paiement est adressé à l’opérateur du système ou du réseau de télécommunication ou informatique, agissant uniquement en qualité d’intermédiaire entre l’utilisateur de services de paiement et le fournisseur de biens ou services. »
II. Le litige au principal et la question préjudicielle
11. Paysera est une société lituanienne possédant des licences d’établissement de monnaie électronique et d’établissement de paiement attribuées par la Banque de Lituanie, lui conférant le droit d’émettre de la monnaie électronique et de fournir des services liés à l’émission de cette monnaie, ainsi que d’autres services de paiement.
12. À la suite du contrôle de l’activité de la requérante au principal opéré par le conseil de surveillance de la Banque de Lituanie, il a été constaté, par la décision attaquée, que cette requérante n’avait pas respecté les méthodes de calcul des fonds propres requis, dès lors que la Banque de Lituanie a considéré que les services en cause n’étaient pas liés à l’émission de monnaie électronique.
13. En effet, les services liés à l’émission de monnaie électronique sont soumis à des obligations de maintien de fonds propres calculés selon la méthode D, définie à l’article 5, paragraphe 3, de la directive DME II, exigeant pour ces établissements un capital permanent moins élevé que si ceux-ci fournissaient des services de paiement non liés à l’émission de monnaie électronique et pour lesquels les besoins en fonds propres sont calculés selon les méthodes A, B et C, définies à l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive DSP.
14. Le conseil de surveillance a notamment refusé de reconnaître comme des services de paiement liés à l’émission de monnaie électronique les activités suivantes opérées par la requérante :
– les paiements (virements) opérés par un détenteur de monnaie électronique à partir d’un compte de monnaie électronique qu’il détient dans son établissement de monnaie électronique vers les comptes de tiers, ouverts dans des établissements de crédit (ci-après le « service I ») et ;
– le recueil de paiements au titre de biens et/ou de services que livrent ou fournissent les clients (opérateurs) d’un établissement de monnaie électronique possédant des comptes de monnaie électronique, auprès des personnes acquérant ces biens ou services, qui ne participent pas au système de monnaie électronique (ci-après le « service II »).
15. La juridiction de renvoi s’interroge, dès lors, sur le point de savoir si ces deux services doivent être qualifiés de services liés ou non liés à l’émission de monnaie électronique.
16. Dans ces conditions, le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 5, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la [directive DME II], doit-il être interprété en ce sens que, dans les circonstances de l’espèce, sont considérés comme des services de paiement liés (ou non liés) à l’émission de monnaie électronique :
a) une opération de paiement par laquelle, sur demande (sur ordre) du détenteur de monnaie électronique à l’établissement de monnaie électronique (l’émetteur), la monnaie électronique (les fonds à rembourser) est transférée à sa valeur nominale sur le compte bancaire d’un tiers ; et
b) une opération de paiement par laquelle, sur l’ordre du vendeur, l’acheteur (le payeur) des biens et (ou) services transfère (verse) des fonds au titre des biens et (ou) services à l’établissement de monnaie électronique (émetteur de monnaie électronique) qui, après la réception de ces fonds, émet la monnaie électronique au profit du vendeur (détenteur de la monnaie électronique) à la valeur nominale des fonds reçus ? »
III. Procédure devant la Cour
17. Aucune des parties au principal n’a jugé nécessaire de déposer des observations dans la présente procédure. Le gouvernement lituanien, le gouvernement polonais et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Le gouvernement lituanien et la Commission ont assisté à l’audience, qui s’est tenue le 27 juin 2018.
IV. Analyse
A. Synthèse des observations des parties
18. En premier lieu, le gouvernement lituanien estime, contrairement à la juridiction de renvoi, que la notion d’« émission de monnaie électronique » ne peut englober l’émission et le remboursement effectifs de la monnaie électronique.
19. L’activité d’émission de monnaie électronique ne devrait être considérée que comme l’échange d’une formation nominale de valeur monétaire en transférant cette valeur sur un support électronique afin que les personnes, en acceptant la monnaie électronique émise par l’établissement de monnaie électronique comme forme de règlement, puissent opérer entre elles, avec cette valeur, des opérations de paiement. De plus, une fois que le détenteur de monnaie électronique aurait remboursé la monnaie électronique qu’il possède à la valeur monétaire nominale, il ne lui serait plus possible de réaliser les opérations de paiement en monnaie électronique avec cette valeur monétaire.
20. En second lieu, sur la notion de « services de paiement liés à l’émission de monnaie électronique », le gouvernement lituanien soutient que l’application de différentes méthodes de calcul des fonds propres aurait pour effet que le besoin de capital permanent des établissements de monnaie électronique fournissant des services de paiement non liés à l’émission de monnaie électronique soit plus grand que pour les établissements de monnaie électronique ne fournissant pas de services de paiement non liés à l’émission d’une telle monnaie.
21. Le principal critère pour apprécier si des services de paiement spécifiques doivent être considérés comme liés ou non liés à l’émission de monnaie électronique serait l’étendue du risque potentiel dans chaque cas concret. Ceci serait confirmé par la proposition de la Commission du 9 octobre 2008 (5), contenant notamment une modification des exigences en matière de capital permanent dans la proposition de nouvelle directive, avec de nouvelles méthodes de calcul s’appuyant sur la nature des établissements de monnaie électronique et la nature du risque.
22. Les exigences plus élevées en matière de calcul du capital seraient donc imposées aux établissements fournissant des services de paiement non liés à l’émission de monnaie électronique, dès lors que ceux-ci apportent un spectre plus large de services de paiement.
23. Le gouvernement lituanien rappelle, premièrement, que c’est l’adoption de la directive DME II qui a permis aux établissements de commerce électronique de développer leur activité pour fournir, en plus des services étroitement liés à l’émission de monnaie électronique, des services de paiement énumérés en annexe de la directive DSP, et notamment l’octroi de certains crédits.
24. Deuxièmement, si des services de paiement non liés à l’émission de monnaie électronique sont fournis, le risque éventuel englobe non seulement les détenteurs de monnaie électronique, mais aussi les tiers ne participant pas au système (le cercle de ces tiers pouvant être très vaste et indéfini) et qui n’ont donc pas conclu de contrat avec un établissement de monnaie électronique – la défense de leurs intérêts serait par conséquent plus limitée.
25. Pour le gouvernement lituanien, deux conditions cumulatives devraient être remplies pour qu’un service soit considéré comme lié à l’émission de monnaie électronique : i) la monnaie électronique doit être émise au moment du service, et ii) le service doit être effectué entre participants au système de monnaie électronique.
26. Sur le rapport entre le service I et l’émission de monnaie électronique, le gouvernement lituanien affirme qu’il n’a pas de doute sur le fait que, avant de commencer à opérer le service I, la monnaie électronique doit avoir déjà été émise, et il considère que le service I correspond à un virement tel que prévu au point 3, troisième tiret, de l’annexe de la directive DSP.
27. Pour effectuer les virements vers les comptes bancaires, les clients des établissements de crédit accepteraient non pas de la monnaie électronique, mais des fonds, perçus une fois la monnaie électronique convertie à sa valeur monétaire nominale. Le service I serait donc l’opération par laquelle l’établissement de monnaie électronique (l’émetteur) transfère, à la demande du détenteur de monnaie électronique, la monnaie électronique, après l’avoir convertie à sa valeur monétaire nominale, sur le compte du tiers dans un établissement de crédit.
28. L’opération de paiement aurait dès lors été effectuée entre le détenteur de la monnaie électronique et un tiers. Il s’agirait donc d’un paiement « sortant ». Un tel paiement ne pourrait être considéré comme lié à l’émission de monnaie électronique que s’il était effectué entre deux participants au système de monnaie électronique.
29. Le gouvernement lituanien souligne également que le service I n’est pas lié ou considéré comme identique à un remboursement de la monnaie électronique. En effet, en vertu de l’article 11, paragraphe 2, de la directive DME II, un remboursement de monnaie électronique serait seulement la restitution au détenteur de monnaie électronique de ressources monétaires à la valeur nominale.
30. Cette définition serait d’ailleurs cohérente avec les objectifs de la directive DME II, énoncés dans son préambule, qui viseraient à préserver et à renforcer la confiance des détenteurs de monnaie électronique qui pourront à tout moment récupérer celle-ci à sa valeur nominale.
31. Dans le cas du service I, la monnaie électronique ne serait pas restituée au détenteur de monnaie électronique à sa valeur nominale. L’objectif du détenteur de monnaie électronique serait d’opérer les paiements et les règlements au titre de biens et services. Le mode et la forme du remboursement de l’argent revêtiraient d’ailleurs une importance déterminante pour établir si un service concret doit être considéré comme un remboursement de la monnaie électronique ou un service de paiement non lié à l’émission de monnaie électronique.
32. Sur le rapport entre le service II et l’émission de monnaie électronique, le gouvernement lituanien rappelle qu’il est fourni de la manière suivante : 1) sur ordre du vendeur, l’acheteur transfère les fonds au titre des biens ou des services acquis sur le compte bancaire du demandeur ; et 2) une fois les fonds reçus, l’établissement de monnaie électronique émet aussitôt la monnaie électronique qu’il affecte sur le compte de monnaie électronique du négociant.
33. Ainsi, en premier lieu, il serait incontestable que, lors du service II, les fonds reçus de la part du donneur d’ordre sont convertis en monnaie électronique et sont crédités sur le compte du détenteur de monnaie électronique. Toutefois, le paiement lui-même serait d’abord opéré à la valeur nominale et non en monnaie électronique. L’opération de paiement serait considérée comme achevée au moment où l’établissement de monnaie électronique reçoit les fonds sur son compte dans un établissement de crédit. La monnaie électronique ne serait émise que dans un second temps. Cette émission ultérieure de la monnaie électronique ne serait que le résultat du fait qu’un contrat correspondant est conclu entre le fournisseur de biens et/ou le prestataire de services, d’une part, et l’établissement de monnaie électronique, d’autre part. Le service II ne répondrait pas non plus au second critère développé par le gouvernement lituanien, en ce qu’il serait opéré entre un tiers et un détenteur de monnaie électronique.
34. En second lieu, il s’agirait en l’espèce d’un paiement « entrant » dans le système de monnaie électronique et non d’un paiement « opéré » au sein de ce système, entre ses participants.
35. Dès lors, le service II ne saurait non plus être considéré comme un service lié à l’émission de monnaie électronique.
36. Le gouvernement polonais estime, tout d’abord, que l’expression « services de paiement qui ne sont pas liés à l’émission de monnaie électronique » doit être comprise comme faisant référence aux services de paiement, cités dans la directive DSP et fournis par un établissement donné, sans émission de monnaie électronique, pour la réalisation de ces services de paiement. A contrario, les services de paiement liés à l’émission de monnaie électronique seraient les services de paiement effectués avec une émission de monnaie électronique par un établissement de monnaie électronique donné.
37. Ainsi, un établissement de monnaie électronique exerçant l’activité d’émission de monnaie électronique et de fourniture de services de paiement liés à cette émission serait tenu de maintenir ses fonds propres, au moins au niveau calculé en vertu de la méthode D, prévue par la directive DME II.
38. Cependant, si cet établissement fournit également d’autres services de paiement, notamment en ce qui concerne les paiements en monnaie scripturale, les niveaux minimaux de fonds propres exigés devraient alors être calculés conformément aux méthodes A, B ou C, définies à l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive DSP.
39. Cette interprétation serait corroborée par l’article 2, paragraphe 2, de la directive DME II, qui définit la monnaie électronique.
40. Premièrement, la monnaie électronique ne serait pas assimilable à la monnaie scripturale et ne saurait y être identifiée. Cette dernière constituerait en effet une écriture comptable dans les livres de l’établissement de paiement ou de la banque sur le compte bancaire du client, indiquant l’existence d’une obligation de l’établissement de paiement de payer (rembourser) une somme d’argent déterminée. Le règlement effectué en monnaie scripturale, et donc par l’intermédiaire d’établissements de paiement ou de banques, ne constituerait pas de jure la fourniture d’un service monétaire compris comme le transfert de contrôle sur les espèces, mais seulement une cession de la créance portant sur le paiement d’un montant déterminé en espèces et du règlement lié à celui-ci, combinés avec le changement de débiteur, si le payeur et le destinataire du paiement opèrent avec d’autres établissements de paiement ou banques.
41. Deuxièmement, la monnaie électronique, contrairement à la monnaie scripturale, ne serait pas une écriture comptable exprimant l’obligation de payer des espèces, mais une valeur monétaire émise et stockée sous forme électronique, y compris magnétique, liée à l’obligation de son rachat systématique, auprès de son détenteur, par l’émetteur. Il consisterait ainsi en un transfert du contrôle sur des valeurs monétaires entre le payeur et le destinataire du paiement.
42. La monnaie électronique serait donc similaire aux espèces, qui fonctionnent également par transfert de contrôle. La différence résiderait dans le caractère immatériel de cette monnaie et dans l’absence d’obligation générale de l’accepter.
43. La valeur monétaire serait émise en échange d’espèces ou de monnaie scripturale et entraînerait une obligation de rachat de la valeur monétaire. Le rachat se produirait par le paiement, en espèces ou en valeur scripturale, correspondant à la valeur de la monnaie électronique émise en échange du remboursement de la valeur monétaire émise. À la suite de l’émission de monnaie électronique, l’émetteur (l’établissement de monnaie électronique) procéderait en quelque sorte à la vente de la valeur monétaire, c’est-à-dire qu’il la mettrait à la disposition de l’acheteur, en échange du paiement d’une certaine somme d’argent et il s’engagerait, dans le même temps, à acheter ces valeurs monétaires à chacun de leurs titulaires.
44. La monnaie électronique serait ainsi émise dans le but d’effectuer des opérations de paiement. Ne pourraient donc être considérées comme de la monnaie électronique les valeurs monétaires émises à d’autres fins ou les valeurs monétaires au moyen desquelles il n’est pas possible d’effectuer des opérations de paiement. On ne pourrait également parler de monnaie électronique que lorsque celle-ci est acceptée par au moins deux personnes et qu’aucune des deux n’en est l’émettrice.
45. Partant, si la conception d’un service de paiement donné devait supposer que toutes les opérations de paiement soient effectuées avec de la monnaie scripturale créée à la suite de l’achat de monnaie électronique, cela impliquerait que le service en cause ne peut pas être considéré comme un service lié à l’émission de monnaie électronique.
46. Ne pourraient donc être considérés comme des services liés à l’émission de monnaie électronique, les services qui sont mis en œuvre par l’utilisation de la monnaie scripturale générée à la suite d’une conversion préalable de monnaie électronique en monnaie bancaire, dans le but de faire apparaître ultérieurement la monnaie scripturale sur un compte bancaire du destinataire du paiement. Pour des raisons similaires, ne pourraient pas non plus être considérés comme des services liés à l’émission de monnaie électronique les services de paiement qui consistent à accepter des paiements en monnaie scripturale, puis à convertir les fonds reçus en monnaie électronique.
47. Par conséquent, les services fournis par la requérante au principal n’auraient pas la nature de services de paiement liés à l’émission de monnaie électronique puisqu’ils sont exécutés au moyen de l’utilisation de monnaie scripturale.
48. La Commission soutient, en substance, qu’il conviendrait d’apprécier, au cas par cas, si les services de paiement en cause sont des services indépendants ou subsidiaires.
49. Le service I concernerait une opération de paiement par laquelle, sur ordre du détenteur de la monnaie électronique, l’établissement de monnaie électronique rembourse les fonds à leur valeur nominale et les transfère sur le compte bancaire d’un tiers, ce qui serait confirmé par l’article 5, paragraphe 2, de la directive DME II.
50. Le service II concernerait un service de paiement par lequel, sur ordre du vendeur, l’acheteur des biens et/ou services transfère des fonds au titre de ces biens et/ou services à l’établissement de monnaie électronique qui, après réception de ces fonds, émet la monnaie électronique au profit du vendeur à la valeur nominale des fonds reçus.
51. La Commission estime que la fourniture de services de paiement, que ceux-ci soient liés ou non à l’émission de monnaie électronique, doit s’apprécier du point de vue de l’établissement de monnaie électronique. Dans le cadre du service II, l’établissement de monnaie électronique recevrait de l’acheteur des biens et/ou services des fonds au profit du détenteur de monnaie électronique et émettrait à nouveau de la monnaie électronique. Ce service serait donc nécessaire pour permettre l’émission de monnaie électronique. Il ne s’agirait pas d’un service indépendant.
52. Dès lors, les services I et II devraient être considérés comme des services de paiement liés à l’émission de monnaie électronique.
B. Appréciation
1. Observations préliminaires
53. En guise d’introduction, je donnerai quelques exemples connus de monnaie électronique, tels Proton en Belgique, miniCASH à Luxembourg, Moneo en France ou Geldkarte en Allemagne (tous sur un support sous forme de carte) mais aussi PayPal au niveau mondial (la monnaie n’est stockée que sur un réseau, le support étant « informatique » ou virtuel) – tandis que le bitcoin n’est pas une monnaie électronique (6).
54. La question préjudicielle a pour objet d’interpréter l’expression « activités visées à l’article 6, paragraphe 1, point a), [de la directive DME II] qui ne sont pas liées à l’émission de monnaie électronique », utilisée à l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive.
55. L’affaire en cause soulève ainsi la question de savoir si sur la base de cette disposition : i) une opération de paiement par laquelle, sur demande du détenteur de monnaie électronique à l’établissement de monnaie électronique, la monnaie électronique (les fonds à rembourser) est transférée à sa valeur nominale sur le compte bancaire d’un tiers ; et ii) une opération de paiement par laquelle, sur ordre du vendeur, l’acheteur des biens et/ou services transfère, au titre des biens et/ou services achetés, des fonds à l’établissement de monnaie électronique (émetteur de monnaie électronique) qui, après la réception de ces fonds, émet la monnaie électronique au profit du vendeur (détenteur de cette monnaie) à la valeur nominale des fonds reçus, doivent être ou non considérées comme des activités « liées à l’émission de monnaie électronique ».
56. L’enjeu est de taille, puisqu’en fonction de la fourniture, ou non, de services liés à l’émission de monnaie électronique par l’établissement en cause, les exigences en matière de fonds propres varient, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la directive DME II.
57. Ainsi, les établissements de monnaie électronique ayant des activités de services liées à l’émission de monnaie électronique devront calculer leurs fonds propres en vertu de la méthode D (7), alors que ceux exerçant des activités qui ne sont pas liées à l’émission de monnaie électronique verront leurs exigences en matière de fonds propres calculées en vertu des méthodes A, B ou C (8), qui imposent des exigences en matière de fonds propres plus importantes que la méthode D.
2. Le texte de la directive DME II
58. Les questions de la juridiction de renvoi sont liées au fait que l’article 5, paragraphe 2, et l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive DME II ne définissent pas (9) « les activités […] qui ne sont pas liées à l’émission de monnaie électronique » (article 5, paragraphe 2) ni les « activités liées » à cet égard, ni même les « services de paiement » [article 6, paragraphe 1, sous a)] que les établissements de monnaie électronique peuvent effectuer, la dernière disposition se contentant de renvoyer à une liste figurant à l’annexe de la directive DSP (10).
59. Je remarquerai seulement que le texte parle d’activités « liées » ou non, ce qui me paraît exclure l’argument du gouvernement lituanien selon lequel – pour relever de l’article 5, paragraphe 2, de la directive DME II – les opérations en cause doivent être totalement « intégrées » au système de monnaie électronique.
60. D’autres articles de la directive DME II méritent l’analyse.
61. L’article 1er, paragraphe 1, de la directive DME II, qui définit son champ d’application (de même que sa portée réglementaire), prévoit que cet acte de l’Union fixe « les règles concernant [l]’émission de monnaie électronique ». L’article 11, paragraphe 1, de la même directive, qui figure dans le titre III, intitulé « Émission et remboursement », impose l’émission de la monnaie électronique à la valeur nominale contre la remise de fonds. L’article 11, paragraphe 2, de ladite directive, impose quant à lui le remboursement de la monnaie électronique à la valeur nominale et à tout moment à la demande du détenteur de cette monnaie.
62. Pour replacer ces dispositions de l’article 11 dans le cadre des autres dispositions de la directive DME II, à mon avis la juridiction de renvoi a raison de penser que « l’émission de monnaie électronique » au sens de ladite directive englobe, entre autres, l’émission de cette monnaie et son remboursement.
63. En effet, on peut de même considérer que l’objectif de la monnaie électronique (que l’on peut déduire de la définition qu’en donne l’article 2, paragraphe 2, de la directive DME II, à savoir de réaliser des opérations de paiement) ne signifie pas que seules les opérations de paiement au moyen de monnaie électronique se rattachent aux services de paiement liés à l’émission concernée de monnaie électronique. Il est évident que l’émission de cette monnaie et son remboursement sont habituellement opérés sous forme d’opérations de paiement à partir d’autres fonds (11).
64. Je pense (comme la Commission) qu’il ressort aussi de la notion de monnaie électronique définie à l’article 2, paragraphe 2, de la directive DME II, qui fait référence aux opérations de paiement définies à l’article 4, point 5, de la directive DSP (12), que les services de paiement liés à la monnaie électronique englobent les services liés non seulement à l’émission, mais aussi au remboursement de la monnaie électronique.
65. Le gouvernement lituanien soutient que l’article 11, paragraphes 1 et 2, de la directive DME II ferait clairement la distinction entre l’émission et le remboursement qui ne pourraient donc être considérés comme liés.
66. Cet argument ne saurait prospérer.
67. En effet, il convient de souligner que, certes, l’émission et le remboursement sont bien deux actions distinctes et sont alors réglées par l’article 11, paragraphes 1 et 2, de la directive DME II, respectivement. Or, il est clair que la volonté du législateur de l’Union était qu’ils soient néanmoins étroitement liés.
68. L’article 11, paragraphe 2, de la directive DME II dispose que « [l]es États membres veillent à ce que les émetteurs de monnaie électronique remboursent […] à tout moment […] la valeur monétaire de la monnaie électronique détenue ». Dès lors, le droit de se faire rembourser est créé automatiquement et est inconditionnel. Il ne s’agit alors plus d’une action autonome.
69. Il s’ensuit que, pour être « lié », le service de paiement en cause doit être indispensable à l’émission ou au remboursement de monnaie électronique.
70. Je suis d’accord avec la Commission qu’il ressort de la directive DME II que les services de paiement – liés ou pas – peuvent être fournis en dehors du système de monnaie électronique.
71. Il est normal que tant l’émission que le remboursement de la monnaie électronique présentent toujours un certain lien avec un compte bancaire classique. Contrairement à ce que soutient le gouvernement lituanien, il est dès lors indifférent à cet égard que la personne perde la possibilité de payer en monnaie électronique.
72. Partant, l’émission de la monnaie électronique et son remboursement sont des actions séparées, mais non autonomes.
73. En effet, la notion de « remboursabilité » s’entend comme la possibilité, pour le consommateur, de récupérer son argent électronique à tout moment par virement ou en espèces (13).
74. En d’autres termes, l’émission de monnaie électronique ne constitue qu’une partie seulement du processus, l’autre partie correspondant au remboursement de cette monnaie (14).
75. Cette dualité est bien expliquée par P. Storrer qui écrit (notamment au sujet de la transposition de la directive DME II en droit français) que « [l]es unités de monnaie électronique sont dites unités de valeur, chacune constituant une créance incorporée dans un titre […] la notion de créance sur l’émetteur est caractéristique de la monnaie électronique et permet de la distinguer de la monnaie scripturale indissociable de son contenant, le compte […] [Il ne s’agit que de] deux versants d’un même titre [de] créance – La créance de monnaie électronique présente deux versants, selon que l’on se place du côté du détenteur : créance de remboursement […], ou du côté de l’accepteur : créance de conversion […] Nous pensons […] que la monnaie électronique est remboursable par nature, remboursement par ailleurs soumis à un régime détaillé qui constitue l’essentiel du droit contractuel de la monnaie électronique […] [L]a monnaie électronique nous semble plutôt remboursable par nature qu’elle l’est en vertu de son régime. Car cette remboursabilité ajoutera un critère supplémentaire à l’identification d’un produit de monnaie électronique davantage qu’elle sera une conséquence de sa qualification » (15).
76. Pour revenir à l’article 11, paragraphe 2, de la directive DME II, celui-ci impose aux États membres de veiller à ce que les émetteurs de monnaie électronique remboursent, à la demande du détenteur de monnaie électronique, à tout moment et à la valeur nominale, la valeur monétaire de la monnaie électronique détenue (une règle analogue est imposée à l’émission de cette monnaie par le paragraphe 1 dudit article). Par ailleurs, tant l’émission de monnaie électronique que le remboursement de celle-ci s’effectuent moyennant des opérations de paiement à partir d’autres fonds (par exemple, moyennant une opération par carte de paiement ou une opération courante de transfert de crédits).
77. Partant, les services de paiement « qui ne sont pas [liés] à l’émission de monnaie électronique » visés à l’article 5, paragraphe 2, de la directive DME II devraient également inclure les services de paiement non liés au remboursement de la monnaie électronique.
78. Dans la mesure où les services de paiement liés à l’émission (ou au remboursement) de la monnaie électronique ne sont pas autrement définis dans la directive DME II, je pense (comme la Commission) qu’il y a lieu de considérer comme des services de paiement « [liés] à l’émission de monnaie électronique » (article 5, paragraphe 2, de la directive DME II) tous les services de paiement qui sont nécessaires pour permettre l’émission ou le remboursement de la monnaie électronique. En d’autres termes, ces services doivent revêtir un caractère subsidiaire dans l’émission de la monnaie électronique.
79. Dès lors, il conviendra d’apprécier au cas par cas si les services de paiement considérés sont des services indépendants ou subsidiaires. Si le service de paiement est fourni dans le but de permettre l’émission ou le remboursement de la monnaie électronique, ce service devra être considéré comme lui étant lié.
3. Application aux deux opérations visées dans la présente affaire
80. Le premier cas évoqué dans la question préjudicielle concerne une opération de paiement par laquelle, sur ordre du détenteur de la monnaie électronique, l’établissement de monnaie électronique rembourse les fonds à leur valeur nominale et les transfère à cette valeur sur le compte bancaire d’un tiers.
81. Le transfert des fonds issus d’un remboursement effectué par un établissement de monnaie électronique est étroitement lié à l’émission de monnaie électronique, laquelle, comme je l’ai déjà indiqué, devrait aussi inclure le remboursement.
82. Toutefois, le transfert de ces fonds remboursés ne devrait faire partie que d’une seule et même opération qu’effectue l’établissement de monnaie électronique. Dans l’éventualité où le transfert des fonds remboursés sur un autre compte bancaire ne ferait pas l’objet d’une seule et même opération, il faudrait considérer ledit transfert comme un service de paiement indépendant.
83. En vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la directive DME II, l’établissement de monnaie électronique est tenu de protéger, conformément à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive DSP, les fonds qu’il a reçus en échange de la monnaie électronique émise.
84. Je partage l’avis de la Commission que cela signifie que l’établissement de monnaie électronique a l’obligation (16) de protéger ces fonds à concurrence des montants de monnaie électronique déposés sur les comptes de l’établissement. En revanche, il n’existe pas d’obligation semblable de protéger les fonds une fois que la monnaie électronique a été remboursée. Cette réglementation peut être fondée sur le fait que le transfert de fonds doit intervenir immédiatement après que l’établissement de monnaie électronique aura remboursé les fonds au détenteur de la monnaie électronique. Si les fonds remboursés sont retenus plus longtemps par l’établissement de monnaie électronique, l’article 7, paragraphe 3, de la directive DME II dispose que les exigences en matière de protection prévues à l’article 9 de la directive DSP s’appliquent. Il s’ensuit que les fonds doivent être protégés pour qu’un service de paiement indépendant puisse être fourni conformément aux dispositions de la directive DSP.
85. Partant, la juridiction de renvoi a raison quand elle conclut dans l’ordonnance de renvoi que, dans la mesure où l’émission de monnaie électronique englobe aussi le remboursement de la monnaie prévu à l’article 11, paragraphe 2, de la directive DME II, il convient de considérer le service de paiement concerné (service I) comme une opération de paiement « liée à l’émission de monnaie électronique » au sens des articles 5 et 6 de cette directive, lorsque les fonds remboursés sont transférés à la demande du titulaire de la monnaie électronique sur un compte bancaire détenu par un tiers.
86. Le deuxième cas évoqué par la juridiction de renvoi concerne le service de paiement par lequel, sur ordre du vendeur, l’acheteur (le payeur) des biens et/ou services transfère des fonds au titre de ces biens et/ou services à l’établissement de monnaie électronique (émetteur de monnaie électronique) qui, après la réception de ces fonds, émet la monnaie électronique au profit du vendeur (détenteur de la monnaie électronique) à la valeur nominale des fonds reçus.
87. Ainsi que le relève à juste titre la Commission, la fourniture de services de paiement, que ceux-ci soient liés ou non à l’émission de monnaie électronique, doit être considérée du point de vue de l’établissement de monnaie électronique.
88. Dans le cas de figure en cause, l’établissement de monnaie électronique reçoit des fonds de l’acheteur des biens et/ou services et les transfère au vendeur en émettant de la monnaie électronique. Dans ce cas, le service de paiement dans le cadre duquel l’établissement de monnaie électronique reçoit des fonds et émet de la monnaie électronique est nécessaire pour permettre l’émission même de monnaie électronique ; il ne s’agit donc pas d’un service indépendant.
89. Partant, je suis également d’accord avec la juridiction de renvoi sur le fait que la circonstance que les acheteurs (payeurs) des biens et/ou services, en transférant (versant) les fonds à la requérante (l’établissement de monnaie électronique), visent non pas l’émission de la monnaie électronique, mais le paiement des biens et/ou services, n’est pas significative. Ces acheteurs (payeurs) opèrent les paiements concernés à la requérante au titre des biens et/ou services achetés sur ordre de l’opérateur (client de la requérante) et ce dernier a conclu un contrat avec la requérante, qui, après la réception des fonds concernés de la part des acheteurs, émet aussitôt la monnaie électronique à la valeur nominale des fonds reçus. Par conséquent, l’objectif des acheteurs ne s’oppose pas à l’existence d’un lien direct entre l’opération de paiement et l’émission de monnaie électronique.
90. Je suis donc d’avis que le second service de paiement concerné (service II) doit également être considéré comme une activité « liée à l’émission de monnaie électronique ».
V. Conclusion
91. Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Lietuvos vyriausiasis administracinis teismas (Cour administrative suprême de Lituanie) de la manière suivante :
L’article 5, paragraphe 2, de la directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE, doit être interprété en ce sens que, dans les circonstances de l’espèce, sont considérés comme des services de paiement liés à l’émission de monnaie électronique les services de paiement :
a) par lesquels le détenteur de monnaie électronique demande à l’établissement de monnaie électronique qui émet la monnaie électronique d’effectuer une seule opération, comprenant à la fois le remboursement de la monnaie électronique et le transfert des fonds sur le compte bancaire d’un tiers, et
b) par lesquels, sur l’ordre du vendeur, l’acheteur (le payeur) des biens et/ou services transfère des fonds au titre des biens et/ou services à l’établissement de monnaie électronique (émetteur de monnaie électronique) qui, après la réception de ces fonds, émet la monnaie électronique au profit du vendeur (détenteur de la monnaie électronique) à la valeur nominale des fonds reçus.
1 Langue originale : le français.
2 Même si on trouve cette dernière expression associée plutôt au bitcoin (Storrer, P., Droit de la monnaie électronique, RB Édition, Paris, 2014, p. 23). Voir note 6 des présentes conclusions.
3 Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE (JO 2009, L 263, p. 7, ci-après la « directive DME II »).
4 Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO 2007, L 319, p. 1 ; ci-après la « directive DSP »).
5 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 2000/46/CE [COM(2008) 627 final].
6 Même si un grand nombre de personnes pensent (à tort) que tel est le cas. Il s’agit plutôt d’une monnaie virtuelle, qui « ne répond pas non plus à la définition d’un moyen de paiement au sens du Code monétaire et financier, et plus particulièrement à la définition de la monnaie électronique, dans la mesure où le bitcoin n’est pas émis contre […] remise de fonds. De plus, contrairement à la monnaie électronique, le bitcoin n’est pas assorti d’une garantie légale de remboursement à tout moment et à la valeur nominale » (Banque de France, Les dangers liés au développement des monnaies virtuelles : l’exemple du bitcoin, Focus, nº 10, 5 décembre 2013).
7 Exposée à l’article 5, paragraphe 3, de la directive DME II.
8 Énoncées à l’article 8, paragraphes 1 et 2, de la directive DSP.
9 Cela n’a pas été le cas non plus pour la directive précédente [directive 2000/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 septembre 2000, concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements (JO 2000, L 275, p. 39)]. Voir, par exemple, Vereecken, M., « Monnaie électronique : commentaire des directives européennes », Euredia, nº 1, 2004, p. 43-79, qui, j’ajoute, reste souvent pertinent également pour les dispositions de la (nouvelle) directive DME II.
10 Il convient de souligner que si cette annexe précise les activités que les émetteurs de monnaie électronique sont habilités à exercer, elle ne se prononce nullement sur le point de savoir si ces activités sont liées ou non liées à l’émission de monnaie électronique.
11 Voir article 11, paragraphes 1 et 2, de la directive DME II.
12 Les opérations de paiement sont définies à l’article 4, point 5, de la directive DSP comme « une action, initiée par le payeur ou le bénéficiaire, consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire ».
13 Voir article 5 de la proposition de la Commission [COM(2008) 627 final], citée à la note 5 des présentes conclusions.
14 Voir, au sujet du principe de remboursabilité, notamment Poullet, C., et Vuitton, R., « La remboursabilité de la monnaie électronique », Bulletin du Cercle François Laurent, nº 3, 2004, p. 93-147.
15 Voir Storrer, P., Droit de la monnaie électronique, RB Édition, Paris, 2014, p. 61-65. Voir également Lasserre Capdeville, J., « Le droit régissant le paiement par monnaie électronique en France », Revue Lamy Droit des affaires, nº 73, juillet-août 2012, p. 93-97.Pour l’Autriche, voir Gerhartinger, H., Elektronisches Geld im österreichischen Bank- und Privatrecht, Bank Verlag Wien, Cologne, 2010. Voir, également, Bulearcă, A., « Electronic Money, Means of Payment in Domestic and International Economic Exchanges. Statutory Changes at EU and EEA Level », dans Sararu, C.-S. (éd.), Studies of Business Law: Recent Developments and Perspectives, Peter Lang, Francfort-sur-le-Main, 2013, p. 195-210, qui aborde aussi la transposition de la directive DME II en Roumanie.
16 Lorsqu’il applique les méthodes prévues à l’article 9, paragraphe 1, sous a), b) ou c), de la directive DSP.
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