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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Kanyama v Council (External relations - Judgment) French Text [2020] EUECJ T-167/18 (12 February 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2020/T16718.html Cite as: [2020] EUECJ T-167/18 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
12 février 2020 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en République démocratique du Congo – Gel des fonds – Prorogation de l’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes visées – Obligation de motivation – Droits de la défense – Obligation pour le Conseil de communiquer les éléments nouveaux justifiant le renouvellement des mesures restrictives – Erreur de droit – Erreur manifeste d’appréciation – Droit de propriété – Droit au respect de la vie privée et familiale – Proportionnalité – Présomption d’innocence – Exception d’illégalité »
Dans l’affaire T‑167/18,
Célestin Kanyama, demeurant à Kinshasa (République démocratique du Congo), représenté par Mes T. Bontinck, P. De Wolf, M. Forgeois et A. Guillerme, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J.-P. Hix, Mmes H. Marcos Fraile et S. Van Overmeire, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2017/2282 du Conseil, du 11 décembre 2017, modifiant la décision 2010/788/PESC concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2017, L 328, p. 19), en ce qu’elle concerne le requérant,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),
composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, R. da Silva Passos (rapporteur), Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. C. Mac Eochaidh, juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 4 juillet 2019,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le requérant, M. Célestin Kanyama, est un ressortissant de la République démocratique du Congo.
2 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives imposées par le Conseil de l’Union européenne en vue de l’instauration d’une paix durable en République démocratique du Congo et de l’exercice de pressions sur les personnes et entités agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à cet État.
3 Le 18 juillet 2005, le Conseil a adopté, sur le fondement des articles 60, 301 et 308 CE, le règlement (CE) no 1183/2005, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre des personnes agissant en violation de l’embargo sur les armes imposé à la République démocratique du Congo (JO 2005, L 193, p. 1).
4 Le 20 décembre 2010, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2010/788/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo et abrogeant la position commune 2008/369/PESC (JO 2010, L 336, p. 30).
5 Le 12 décembre 2016, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2016/2230, modifiant le règlement no 1183/2005 (JO 2016, L 336 I, p. 1).
6 À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2016/2231, modifiant la décision 2010/788 (JO 2016, L 336 I, p. 7).
7 Les considérants 2 à 4 de la décision 2016/2231 se lisent comme suit :
« (2) Le 17 octobre 2016, le Conseil a adopté des conclusions faisant état d’une profonde préoccupation quant à la situation politique en République démocratique du Congo (RDC). En particulier, il y condamnait vivement les actes d’une extrême violence qui ont été commis les 19 et 20 septembre à Kinshasa, indiquant que ces actes ont encore aggravé la situation d’impasse dans laquelle se trouve le pays du fait de la non-convocation des électeurs à l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel fixé au 20 décembre 2016.
(3) Le Conseil a souligné que, afin d’assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue et des élections, le gouvernement de la RDC doit clairement s’engager à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et cesser toute instrumentalisation de la justice. Il a également exhorté tous les acteurs à rejeter l’usage de la violence.
(4) Le Conseil s’est également déclaré prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition, y compris le recours à des mesures restrictives contre ceux qui sont responsables de graves violations des droits de l’homme, incitent à la violence ou qui font obstacle à une sortie de crise consensuelle, pacifique et respectueuse de l’aspiration du peuple de la RDC à élire ses représentants. »
8 L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :
« Les mesures restrictives prévues à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 5, paragraphes 1 et 2, sont instituées à l’encontre des personnes et entités :
a) faisant obstacle à une sortie de crise consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en [République démocratique du Congo], notamment par des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, ou des actions portant atteinte à l’État de droit ;
b) contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ;
c) associées à celles visées [sous] a) et b),
dont la liste figure à l’annexe II. »
9 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes visées à l’article 3 ».
10 L’article 5, paragraphes 1, 2 et 5, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques que les personnes ou entités visées à l’article 3 possèdent ou contrôlent directement ou indirectement, ou qui sont détenus par des entités que ces personnes ou entités ou toute personne ou entité agissant pour leur compte ou sur leurs instructions, qui sont visées aux annexes I et II, possèdent ou contrôlent directement ou indirectement.
2. Aucun fonds, autre avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit.
[...]
5. En ce qui concerne les personnes et entités visées à l’article 3, paragraphe 2, l’autorité compétente d’un État membre peut autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, ou la mise à disposition de certains fonds ou ressources économiques, dans les conditions qu’elle juge appropriées, après avoir établi que les fonds ou ressources économiques concernés sont :
a) nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes et entités et des membres de la famille de ces personnes physiques qui sont à leur charge, notamment pour couvrir les dépenses consacrées à l’achat de vivres, au paiement de loyers ou au remboursement de prêts hypothécaires, à l’achat de médicaments et au paiement de frais médicaux, d’impôts, de primes d’assurance et de redevances de services publics ;
b) exclusivement destinés au règlement d’honoraires d’un montant raisonnable et au remboursement de dépenses engagées dans le cadre de la fourniture de services juridiques ;
[...]
d) nécessaires pour régler des dépenses extraordinaires, pour autant que l’autorité compétente ait notifié aux autorités compétentes des autres États membres et à la Commission, au moins deux semaines avant l’autorisation, les motifs pour lesquels elle estime qu’une autorisation spéciale devrait être accordée. »
11 L’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :
« 2. Le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie la liste qui figure à l’annexe II. »
12 L’article 7, paragraphes 2 et 3, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit ce qui suit :
« 2. Le Conseil communique à la personne ou à l’entité concernée la décision visée à l’article 6, paragraphe 2, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en donnant à cette personne ou entité la possibilité de présenter des observations.
3. Si des observations sont formulées ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et informe la personne ou l’entité concernée en conséquence. »
13 Selon l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, « [l]es mesures visées à l’article 3, paragraphe 2, s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2017 » et « [e]lles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints ».
14 Quant au règlement no 1183/2005, l’article 2 ter, paragraphe 1, de ce dernier, tel que modifié par le règlement 2016/2230, prévoit ce qui suit :
« 1. L’annexe I bis comprend les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes désignés par le Conseil pour l’un des motifs suivants :
[...]
b) préparant, dirigeant ou commettant des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo]. »
15 Le nom du requérant a été ajouté par la décision 2016/2231 sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe II de la décision 2010/788 (ci-après la « liste litigieuse ») et par le règlement 2016/2230 sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005.
16 Dans l’annexe II de la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision 2016/2231, et dans l’annexe I bis du règlement no 1183/2005, telle que modifiée par le règlement 2016/2230, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant par les motifs suivants :
« En tant que commissaire de la police nationale congolaise (PNC), Célestin Kanyama a été responsable du recours disproportionné à la force et à la répression violente en septembre 2016 à Kinshasa. À ce titre, Célestin Kanyama a donc contribué, en les planifiant, dirigeant ou commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en [République démocratique du Congo]. »
17 Le 13 décembre 2016, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2010/788, modifiée par la décision 2016/2231, et par le règlement no 1183/2005, modifié par le règlement 2016/2230, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (JO 2016, C 463, p. 2). Dans cet avis, il était notamment précisé que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil, avant le 1er octobre 2017, une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur la liste litigieuse et sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005, en y joignant des pièces justificatives. Ledit avis indiquait également que toute observation reçue serait prise en compte aux fins du réexamen ultérieur effectué par le Conseil, en application de l’article 9 de la décision 2010/788.
18 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 mars 2017, le requérant a introduit un recours visant, en substance, à l’annulation du règlement 2016/2230, pour autant que cet acte le concernait. Ce recours a été enregistré sous le numéro d’affaire T‑145/17.
19 Le 29 mai 2017, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 31, paragraphe 2, TUE et de l’article 6, paragraphe 2, de la décision 2010/788, la décision d’exécution (PESC) 2017/905, mettant en œuvre la décision 2010/788 (JO 2017, L 138 I, p. 6). À la même date, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2017/904, mettant en œuvre l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1183/2005 (JO 2017, L 138 I, p. 1). Par ces actes, les noms d’autres personnes physiques ont été ajoutés, respectivement, sur la liste litigieuse et sur la liste figurant à l’annexe I bis du règlement no 1183/2005.
20 Le 11 décembre 2017, à l’issue du processus de réexamen des mesures litigieuses, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision (PESC) 2017/2282, modifiant la décision 2010/788 (JO 2017, L 328, p. 19, ci-après la « décision attaquée »). L’article 1er de cette décision a ainsi remplacé le texte de l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788 par le texte suivant :
« Les mesures visées à l’article 3, paragraphe 2, s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2018. Elles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints. »
21 À la suite du désistement du requérant, l’affaire T‑145/17, mentionnée au point 18 ci-dessus, a été rayée du registre du Tribunal par ordonnance du 7 décembre 2018.
Procédure et conclusions des parties
22 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mars 2018, le requérant a introduit le présent recours.
23 Par décision du 12 octobre 2018, le président de la neuvième chambre du Tribunal a décidé de joindre la présente affaire aux affaires T‑163/18, Amisi Kumba/Conseil, T‑164/18, Kampete/Conseil, T‑165/18, Kahimbi Kasagwe/Conseil, T‑166/18, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑168/18, Numbi/Conseil, et T‑169/18, Kibelisa Ngambasai/Conseil, aux fins de la phase écrite et de l’éventuelle phase orale de la procédure.
24 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. Le 15 mai 2019, le Tribunal a renvoyé l’affaire devant la neuvième chambre élargie.
25 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 4 juillet 2019.
26 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée, pour autant que cet acte le concerne ;
– condamner le Conseil aux dépens.
27 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– à titre subsidiaire, en cas d’annulation de la décision attaquée, maintenir les effets de celle-ci à l’égard du requérant jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi contre l’arrêt du Tribunal ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui-ci ;
– condamner le requérant aux dépens.
En droit
28 À l’appui de ses conclusions en annulation de la décision attaquée, le requérant soulève quatre moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu, le deuxième, d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation, le troisième, d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du droit de propriété et du principe de proportionnalité et, le quatrième, de l’illégalité de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu
29 Le premier moyen se décompose en deux branches, tirées, respectivement, la première, d’une violation de l’obligation de motivation et, la seconde, d’une violation du droit d’être entendu.
Sur la première branche du premier moyen
30 Dans la première branche du premier moyen, le requérant fait valoir que le Conseil a violé l’obligation de motivation d’un acte faisant grief prévue à l’article 296 TFUE. Le requérant soutient que la motivation de la décision attaquée est particulièrement succincte, le Conseil ne formulant aucune accusation précise, ni aucun fait particulier et identifiable qui permettraient sans doute sérieux de lui attribuer les reproches formulés à son égard dans ladite motivation. Selon le requérant, la décision attaquée est ainsi fondée sur de simples affirmations présomptives, impossibles à vérifier et qui le placent dans l’obligation d’apporter des preuves négatives de l’inexistence des faits généraux qui lui sont reprochés, entraînant un renversement de la charge de la preuve.
31 Le Conseil conteste ces arguments.
32 À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte. L’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit de l’Union auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses. Partant, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que l’acte lui faisant grief, son absence ne pouvant être régularisée par le fait que l’intéressé prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union (arrêt du 7 décembre 2011, HTTS/Conseil, T‑562/10, EU:T:2011:716, point 32).
33 Ensuite, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 54, et du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 82).
34 L’obligation de motivation à laquelle le Conseil est tenu porte, d’une part, sur l’indication de la base juridique de la mesure adoptée et, d’autre part, sur les circonstances qui permettent de considérer que l’un ou l’autre des critères d’inscription est rempli dans le cas des intéressés (arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran/Conseil, T‑262/12, non publié, EU:T:2014:777, point 86).
35 Par conséquent, il y a lieu d’examiner si la motivation de l’acte attaqué contient des références explicites au critère d’inscription litigieux et si, le cas échéant, cette motivation peut être regardée comme suffisante pour permettre à la partie requérante de vérifier le bien-fondé de l’acte attaqué, de se défendre devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2014, Central Bank of Iran/Conseil, T‑262/12, non publié, EU:T:2014:777, point 88).
36 Enfin, la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne doit pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 52, et du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 55).
37 En l’espèce, il convient de souligner que la décision attaquée a pour objet de proroger l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse en maintenant les motifs retenus par le Conseil, lors de l’inscription initiale de son nom, dans la décision 2016/2231, qui a modifié la décision 2010/788.
38 Selon le requérant, de tels motifs sont particulièrement succincts, le Conseil ne formulant aucun reproche précis qui permettrait de lui attribuer les accusations formulées à son égard dans lesdits motifs.
39 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788, inséré dans cette dernière par la décision 2016/2231, établit que l’annexe II comprend les personnes et entités qui ont été regardées par le Conseil comme « contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ».
40 Il convient également de rappeler que la motivation retenue par le Conseil pour l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse, reproduite au point 16 ci-dessus, vise sa qualité de commissaire de la police nationale congolaise (PNC) et l’implication de cette dernière dans le recours disproportionné à la force et dans la répression violente ayant été ordonnés en septembre 2016 à Kinshasa (République démocratique du Congo).
41 Une telle motivation identifie les éléments spécifiques et concrets, portant aussi bien sur les fonctions professionnelles exercées par le requérant que sur le type d’acte visé, et fait état de ce que le requérant aurait été impliqué dans de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo. Elle permet, en effet, de comprendre les raisons ayant conduit le Conseil à adopter des mesures restrictives à l’encontre du requérant portant sur sa prétendue responsabilité, au titre de ses fonctions de commissaire de la PNC, dans le recours disproportionné à la force et dans la répression violente ayant été ordonnés en septembre 2016 à Kinshasa.
42 Ainsi que le Conseil le fait valoir à juste titre, la motivation de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse, prorogée par la décision attaquée, expose les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles les critères d’inscription lui étaient applicables et, notamment, d’une part, mentionne une base juridique clairement identifiée et qui renvoie aux critères d’inscription et, d’autre part, repose sur des motifs se rapportant aux activités du requérant lui permettant de comprendre les raisons ayant justifié l’inscription de son nom sur la liste litigieuse. Par ailleurs, le contexte de l’adoption de la décision attaquée était connu du requérant, étant donné qu’il a contesté, en substance, devant le Tribunal, la légalité de la première inscription de son nom, ainsi que cela a été rappelé aux points 18 et 21 ci-dessus, et que les motifs de cette inscription n’ont pas été modifiés par la décision attaquée.
43 Par conséquent, le requérant ne pouvait raisonnablement ignorer que, lorsque, par la décision attaquée, le Conseil a confirmé les motifs de l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse, décidée dans la décision 2016/2231, il s’est référé au fait que, au vu de ses fonctions de commissaire de la PNC, il disposait du pouvoir de fait d’influencer de façon directe les comportements des agents de la PNC, lesquels auraient été impliqués dans le recours disproportionné à la force et dans la répression violente ayant été ordonnés en septembre 2016 à Kinshasa.
44 À la lumière des motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, le requérant était en mesure de contester utilement le bien-fondé des mesures restrictives adoptées à son égard. Il lui était donc loisible de contester la réalité des faits sur lesquels se fonde la décision attaquée, notamment en niant sa qualité de commissaire de la PNC ou sa responsabilité dans le recours disproportionné à la force et dans la répression violente ayant impliqué des effectifs de la PNC en septembre 2016 à Kinshasa, ou en contestant l’existence de tels événements, ou encore en réfutant le fait qu’il aurait contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en substance dans le cadre de la seconde branche du deuxième moyen, tirée d’une erreur manifeste d’appréciation.
45 Il s’ensuit que la motivation de la décision attaquée était suffisante pour permettre au requérant d’en contester la validité et au Tribunal d’exercer son contrôle de légalité. La première branche du premier moyen doit dès lors être rejetée.
Sur la seconde branche du premier moyen
46 Par la seconde branche du premier moyen, le requérant soutient que le Conseil a violé son droit d’être entendu. Il considère que, s’il est vrai que l’effet de surprise nécessaire à une mesure de gel de fonds implique que le Conseil n’est pas tenu de procéder à une audition préalablement à l’inscription initiale du nom d’une personne ou d’une entité sur une liste imposant des mesures restrictives, il n’en demeure pas moins que, dans le cadre, comme en l’espèce, d’un réexamen d’une telle décision d’inscription initiale, ledit effet n’a plus lieu d’être et le principe du contradictoire doit être respecté en ce qui concerne tant la communication des motifs préalablement à la décision de maintien sur la liste litigieuse que le droit à être auditionné. Il ajoute qu’il a sollicité une audition auprès du Conseil, mais que, à la date de dépôt du présent recours, celui-ci ne s’était pas prononcé sur une telle demande.
47 Dans la réplique, d’une part, le requérant fait valoir qu’il n’a jamais été entendu par le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH) lors de l’élaboration des différents rapports utilisés par le Conseil pour soutenir la décision attaquée, ce qui ne respecterait pas les critères établis dans la jurisprudence et démontrerait qu’il aurait dû être entendu préalablement à l’adoption de la décision attaquée, d’autant plus qu’il a fourni au Conseil, le 21 février 2018, des éléments susceptibles de mettre en question le bien-fondé des motifs retenus. D’autre part, le requérant soutient que, par rapport à la décision initiale d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, le Conseil a retenu de nouveaux éléments de preuve à son égard en vue de l’adoption de la décision attaquée.
48 Le Conseil conteste ces arguments en soulignant que la décision attaquée repose sur les mêmes motifs que ceux ayant fondé l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste litigieuse, en vertu de la décision 2016/2231. Il s’ensuivrait qu’il n’aurait pas été tenu d’entendre le requérant avant d’adopter la décision attaquée.
49 À cet égard, il importe de rappeler que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») prévoit que toute personne a le droit d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.
50 Selon la jurisprudence, dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont elle dispose à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. En outre, lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue en ce qui concerne les motifs retenus contre elle (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112, et du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).
51 S’agissant d’un premier acte par lequel les fonds d’une personne ou d’une entité sont gelés, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels il entend fonder l’inscription initiale de son nom sur la liste des personnes et entités dont les fonds sont gelés. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec l’adoption de la décision de gel des fonds ou immédiatement après celle-ci (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).
52 En revanche, dans le cas d’une décision subséquente de gel de fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et entités dont les fonds sont gelés est maintenu sur cette liste, cet effet de surprise n’est plus nécessaire afin d’assurer l’efficacité de la mesure, de sorte que l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).
53 À cet égard, la Cour a souligné que l’élément de protection qu’offraient l’exigence de communication des éléments à charge et le droit de présenter des observations avant l’adoption d’actes qui maintiennent le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives était fondamental et essentiel aux droits de la défense. Cela est d’autant plus vrai que les mesures restrictives en question ont une incidence importante sur les droits et les libertés des personnes et des groupes visés (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 64).
54 Ce droit d’être entendu préalablement à l’adoption de tels actes s’impose lorsque le Conseil a retenu, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur cette liste, de nouveaux éléments contre cette personne, à savoir des éléments qui n’étaient pas pris en compte dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette même liste (voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 26 et jurisprudence citée, et du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 33).
55 En l’espèce, certes, comme le souligne le Conseil, le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse, décidé dans la décision attaquée, est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial imposant les mesures restrictives en question.
56 Toutefois, cette circonstance ne saurait à elle seule impliquer que le Conseil n’était pas tenu de respecter les droits de la défense du requérant, et en particulier de lui donner la possibilité de faire connaître utilement son point de vue sur les éléments de fait sur la base desquels il a adopté la décision attaquée, portant maintien de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.
57 En effet, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée).
58 À cet égard, il convient de souligner que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2014, Yusef/Commission, T‑306/10, EU:T:2014:141, points 62 et 63). C’est en ce sens que l’article 9, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, prévoit que les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo s’appliquent jusqu’au 12 décembre 2017 et sont « prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints ».
59 Il s’ensuit que, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, il appartient au Conseil de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités.
60 À cet égard, dans l’arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil (T‑288/15, EU:T:2018:619, point 316 et jurisprudence citée), le Tribunal a jugé que le respect des droits de la défense impliquait que le Conseil communique aux parties requérantes, avant d’adopter une décision portant renouvellement des mesures restrictives à leur égard, les éléments par lesquels il avait procédé, lors du réexamen périodique des mesures en cause, à une réactualisation des informations qui avaient justifié l’inscription initiale de leur nom sur la liste des personnes faisant l’objet de telles mesures restrictives.
61 Ainsi, en l’espèce, au regard de l’objectif initial visé par les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo, à savoir, en substance, assurer un climat propice à la tenue d’élections et faire cesser toute violation des droits de l’homme (voir point 7 ci-dessus), il convient de considérer que le Conseil était tenu, lors du réexamen périodique des mesures restrictives imposées au requérant, de lui communiquer, le cas échéant, les éléments nouveaux par lesquels il avait réactualisé les informations concernant non seulement sa situation personnelle, mais également la situation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo.
62 Or, il ressort des pièces du dossier que le Conseil, ainsi que ce dernier l’a confirmé lors de l’audience en réponse à une question posée par le Tribunal, a adopté la décision attaquée en tenant compte, en plus des informations dont il disposait déjà lors de l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste litigieuse, de celles contenues dans le document interne du 23 octobre 2017, portant la référence COREU CFSP/1492/17. Premièrement, ce document du 23 octobre 2017 mentionnait l’absence, à cette date, de publication d’un calendrier électoral et l’annonce par la Commission électorale nationale indépendante, le 11 octobre 2017, de la nécessité d’au moins 504 jours pour organiser des élections. Deuxièmement, dans le même document, il était indiqué que la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monusco) avait rapporté, d’une part, une dégradation de la situation sécuritaire dans de nombreuses parties de la République démocratique du Congo et, d’autre part, un accroissement de l’instabilité régionale après le départ de civils fuyant les zones de conflit. Troisièmement, ledit document faisait état de ce que les libertés de réunion, d’opinion et d’expression étaient toujours réprimées, ainsi qu’en témoignaient l’interdiction de manifestations contre l’absence de publication d’un calendrier électoral et, en août 2017, le blocage des médias sociaux après l’annonce d’une grève générale.
63 De même, il ressort des conclusions du Conseil du 11 décembre 2017 que ce dernier avait connaissance, au moment de l’adoption de la décision attaquée, d’un autre élément d’actualisation, à savoir l’annonce d’un calendrier électoral ayant fixé, le 5 novembre 2017, les élections présidentielles au 23 décembre 2018. Toutefois, une telle annonce n’a pas empêché le Conseil de considérer que le statu quo persistait en République démocratique du Congo.
64 Partant, bien que, par la décision attaquée, le Conseil ait reconduit les mesures restrictives à l’encontre du requérant pour des motifs identiques à ceux retenus, pour l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse, dans la décision 2016/2231, les éléments d’actualisation visés aux points 62 et 63 ci-dessus constituent des éléments nouveaux qui ont été pris en compte par le Conseil lors de l’adoption de la décision attaquée. En conséquence, le Conseil aurait dû recueillir les observations du requérant sur ces éléments préalablement à l’adoption d’une telle décision, conformément à ce qui a été énoncé au point 61 ci-dessus. Or, il est constant que tel n’a pas été le cas.
65 Est sans incidence à cet égard le fait que, d’une part, l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste litigieuse a été suivie de la publication au Journal officiel d’un avis aux personnes concernées par lesdites mesures, aux termes duquel ces personnes étaient invitées à présenter au Conseil, avant le 1er octobre 2017, une demande de réexamen, et que, d’autre part, le requérant n’a pas fait usage de cette possibilité. En effet, le Conseil ne saurait être déchargé de l’obligation qui pèse sur lui de respecter les droits de la défense au motif qu’une personne faisant l’objet de mesures restrictives a la possibilité de demander que de telles mesures cessent de lui être appliquées.
66 Au demeurant, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant pouvait prévoir que le Conseil conclurait au statu quo concernant la situation en République démocratique du Congo en prenant en compte les éléments décrits aux points 62 et 63 ci-dessus, relatifs à l’absence de publication d’un calendrier électoral, à l’aggravation de la situation sécuritaire et à la perpétuation de la répression de libertés publiques dans de nombreuses régions du pays, éléments sur lesquels le requérant n’a pas été mis en mesure de transmettre ses observations avant l’adoption de la décision attaquée. Il convient à cet égard de rappeler que les mesures restrictives ont un caractère provisoire (voir point 58 ci-dessus), lequel est garanti par les dispositions mêmes de la décision attaquée (voir point 20 ci-dessus).
67 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que la décision attaquée est intervenue à l’issue d’une procédure au cours de laquelle les droits de la défense du requérant n’ont pas été respectés.
68 Cependant, il ne saurait être déduit de tout ce qui précède que l’absence de communication par le Conseil au requérant des éléments nouveaux mentionnés dans le document interne du 23 octobre 2017, portant la référence COREU CFSP/1492/17, et dans les conclusions du Conseil du 11 décembre 2017 ainsi que la circonstance que le requérant n’a pas été mis en mesure de transmettre ses observations sur ces éléments avant que le Conseil n’adopte la décision attaquée emportent l’annulation de cette dernière.
69 En effet, il incombe au juge de l’Union de vérifier, lorsqu’il est en présence d’une irrégularité affectant les droits de la défense, si, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l’espèce, la procédure en cause aurait pu aboutir à un résultat différent dans la mesure où le requérant aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité (voir, en ce sens, arrêts du 1er octobre 2009, Foshan Shunde Yongjian Housewares & Hardware/Conseil, C‑141/08 P, EU:C:2009:598, points 81, 88, 92, 94 et 107, et du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 325 et jurisprudence citée).
70 Or, en l’espèce, aucun élément du dossier ne laisse supposer que, si le requérant s’était vu communiquer les éléments nouveaux par lesquels le Conseil a actualisé son appréciation de la situation politique et sécuritaire en République démocratique du Congo, les mesures restrictives concernées auraient pu ne pas être maintenues à son égard.
71 À cet égard, il convient de relever que le requérant n’a pas fourni d’indice précis indiquant que, s’il avait été mis en mesure, antérieurement à l’adoption de la décision attaquée, de présenter ses observations sur les éléments nouveaux décrits aux points 62 et 63 ci-dessus, il aurait été en mesure de remettre en cause leur contenu ou leur pertinence en vue de la prorogation de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.
72 D’ailleurs, en réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, le requérant n’a pas contesté, en tant que telle, l’existence d’un statu quo en République démocratique du Congo entre le moment de l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse, décidée le 13 décembre 2016, et l’adoption de la décision attaquée, portant maintien des mesures restrictives en cause.
73 Dans ces conditions, il n’est pas possible de considérer que, même si le requérant s’était vu communiquer les éléments mentionnés aux points 62 et 63 ci-dessus préalablement à l’adoption de la décision attaquée, l’issue de la procédure eût pu être différente. Aussi le fait que le Conseil a retenu certains éléments nouveaux lorsqu’il a renouvelé les mesures restrictives à l’égard du requérant n’est-il pas de nature à entacher d’illégalité la décision attaquée.
74 Par ailleurs, pour autant que le requérant tire argument, au soutien de la seconde branche du premier moyen, de la circonstance qu’il n’aurait pas été entendu par le BCNUDH dans le cadre de l’élaboration, par ce dernier, de rapports invoqués par le Conseil au soutien de la décision attaquée, il suffit de relever que les juridictions de l’Union sont incompétentes pour contrôler la conformité avec les droits fondamentaux des enquêtes conduites par les organes de l’Organisation des Nations unies (ONU) (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 65).
75 Enfin, l’argument du requérant selon lequel le Conseil aurait dû procéder à son audition doit être écarté, étant donné que ni la réglementation en cause ni le principe général du respect des droits de la défense ne lui confèrent le droit à une audition formelle (voir, par analogie, arrêt du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 105 et jurisprudence citée).
76 Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la seconde branche du premier moyen comme non fondée et, dès lors, ce moyen dans son ensemble.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation
77 Par le deuxième moyen, le requérant soutient que le Conseil a commis des erreurs lorsqu’il a conclu que celui-ci avait « contribu[é], en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme en République démocratique du Congo ».
78 Le présent moyen se décompose en deux branches. Par la première branche, le requérant soutient, en substance, que le Conseil a commis une erreur de droit lorsqu’il a maintenu l’inscription de son nom sur la liste litigieuse en raison de faits qui, au moment de l’adoption de la décision attaquée, avaient cessé. Par la seconde branche, le requérant conteste l’appréciation portée par le Conseil sur ses fonctions et ses missions ainsi que la présence d’éléments factuels suffisamment précis et concrets au soutien du maintien de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.
Sur la première branche du deuxième moyen
79 Par la première branche du deuxième moyen, le requérant soutient que les faits retenus par le Conseil, dans les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse, relèveraient d’une période temporelle dépassée. En effet, il ressortirait de l’emploi du participe présent à l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, que les faits reprochés aux personnes ou entités qui font l’objet de mesures restrictives devraient perdurer au moment de leur renouvellement. Or, l’absence d’implication actuelle du requérant dans les faits qui lui étaient reprochés, au jour de l’adoption de la décision attaquée, entraînerait l’obsolescence des mesures restrictives en question.
80 Le requérant ajoute que, en maintenant ces mesures pour des faits qui n’étaient plus actuels, le Conseil aurait adopté, en réalité, une sanction pénale déguisée, alors que les mesures restrictives ont uniquement une portée conservatoire, dont l’objectif est d’amener les destinataires de celles-ci à modifier leur comportement.
81 À cet égard, il importe de souligner que, ainsi que cela a été rappelé au point 8 ci-dessus, l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, dispose que les mesures restrictives sont instituées à l’encontre des personnes et des entités « contribuant, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en [République démocratique du Congo] ». C’est sur ce fondement que le nom du requérant a été initialement inscrit sur la liste litigieuse, par la décision 2016/2231, au motif que, en tant que commissaire de la PNC, il était responsable de la participation d’effectifs appartenant à cette dernière au recours disproportionné à la force et à la répression violente ayant été ordonnés en septembre 2016 à Kinshasa (voir point 16 ci-dessus). Par la décision attaquée, le Conseil a prorogé les mesures restrictives à l’encontre du requérant jusqu’au 12 décembre 2018, en conservant à l’identique les motifs de l’inscription initiale de son nom sur la liste litigieuse (voir point 20 ci-dessus).
82 Or, premièrement, il ne saurait être considéré que l’emploi, à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, du participe présent dans la définition des critères d’inscription sur la liste litigieuse implique que les faits à l’origine de l’inscription du nom d’une personne ou d’une entité sur cette liste doivent perdurer au moment où l’inscription ou le maintien de cette inscription sont décidés. En effet, il a déjà été jugé que, en matière d’inscription sur une liste des noms de personnes et entités visées par des mesures restrictives, le participe présent renvoie au sens général propre aux définitions légales, et non à une période temporelle donnée (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 108).
83 Deuxièmement, le fait que les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse font référence à des faits qui se sont produits avant l’adoption de la décision attaquée et qui étaient terminés à cette date n’implique pas nécessairement l’obsolescence des mesures restrictives maintenues à son égard par cette décision. À l’évidence, dans la mesure où le Conseil a décidé de se référer, dans les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse, à des situations concrètes impliquant les forces de police dont il faisait partie, il ne pouvait être question que d’agissements dans le passé. Une telle référence ne saurait donc être considérée comme dépourvue de pertinence au seul motif que les agissements en cause relèvent d’un passé plus ou moins éloigné (voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 236).
84 Cette interprétation est corroborée par l’article 9, paragraphe 2, seconde phrase, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision attaquée, aux termes duquel les mesures restrictives en cause sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints. Sous peine de priver cette disposition de son effet utile, il y a lieu de considérer qu’elle permet le maintien sur la liste litigieuse des noms de personnes et d’entités n’ayant commis aucune nouvelle violation des droits de l’homme au cours de la période précédant le réexamen, si ce maintien reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints (voir, par analogie, arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 108).
85 En conséquence, contrairement à ce que fait valoir le requérant, les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse ne confèrent pas aux mesures restrictives dont il a fait l’objet, et qui ont été prolongées par la décision attaquée, un caractère pénal.
86 Partant, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.
Sur la seconde branche du deuxième moyen
87 Par la seconde branche du deuxième moyen, le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant sa responsabilité dans le recours disproportionné à la force et dans la répression violente ayant été ordonnés en septembre 2016 à Kinshasa.
88 Tout d’abord, le requérant soutient que le Conseil s’est, à tort, fondé uniquement sur ses fonctions de commissaire de la PNC, sans retenir d’éléments factuels suffisamment précis et concrets pour permettre de lui imputer les violences susmentionnées. À cet égard, il souligne que, depuis le 17 juillet 2017, soit avant l’adoption de la décision attaquée, il n’est plus commissaire de la PNC mais « commissaire divisionnaire – directeur général des écoles de formation de la police ».
89 Ensuite, le requérant conteste la valeur probante des différents documents sur lesquels le Conseil se fonde dans le mémoire en défense pour affirmer que la PNC a participé à la répression violente de manifestations politiques. En ce sens, le requérant souligne que, d’une part, ces documents relatent des faits qui ne relèvent pas des motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse et qui, dès lors, ne sont pas pertinents. D’autre part, le Conseil ne pourrait valablement prendre appui sur des rapports des Nations unies que pour autant que, dans le cadre de l’élaboration de ces rapports, la personne concernée ait été entendue, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
90 Enfin, en tout état de cause, le requérant fait grief au Conseil de ne pas avoir établi en quoi un quelconque recours à la force n’était ni légal, ni nécessaire, ni proportionné au regard du contexte interne et des impératifs de sécurité publique en République démocratique du Congo en septembre 2016. À cet égard, le requérant produit la copie d’un document du 15 octobre 2016, intitulé « Livre Blanc sur les tueries, les viols, les pillages, les saccages, les incendies et les destructions méchantes perpétrés dans la ville de Kinshasa les 19 et 20 septembre 2016, pendant les manifestations organisées par une partie de l’opposition politique » (ci-après le « livre blanc du 15 octobre 2016 »), qui ferait état de la violence des manifestations en question et du rôle des forces de sécurité pour y faire face ainsi que des procédures judiciaires ouvertes pour poursuivre les auteurs de ces actes de violence.
91 Le Conseil conteste ces arguments.
92 Selon la jurisprudence, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).
93 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).
94 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 224 et jurisprudence citée).
95 En l’espèce, le Conseil fait valoir que les événements constituant les violations graves des droits de l’homme perpétrées par les forces de police sous le commandement du requérant étaient de notoriété publique, ayant fait notamment l’objet de plusieurs rapports et articles de presse, dont, en particulier, le rapport du BCNUDH mis à jour le 7 octobre 2016, joint au mémoire en défense en tant qu’annexe B.4 (ci-après le « rapport du BCNUDH »).
96 À cet égard, premièrement, le rapport du BCNUDH fait état de l’utilisation excessive et disproportionnée de la force par des agents de l’État, à l’origine de 422 victimes de violations des droits de l’homme. Deuxièmement, aux termes de ce rapport, « [l]es informations recueillies démontrent que les agents de la [PNC], ainsi que les militaires des [FARDC] et de la Garde républicaine (GR) ont été les principaux auteurs des violations des droits de l’homme documentées par le BCNUDH [;] [c]es violations comprennent notamment des atteintes au droit à la vie par l’usage excessif de la force et la large utilisation d’armes létales lors d’opérations de gestion de foule [;] [l]es forces de défense et de sécurité ont été utilisées pour encercler les manifestants ». Troisièmement, selon le paragraphe 28 du même rapport, « [a]u moins 48 personnes ont été tuées par des agents étatiques, dont au moins 18 par des agents de la PNC ». Quatrièmement, enfin, au paragraphe 35 dudit rapport, il est fait mention de ce que « [l]e BCNUDH a documenté au moins 143 personnes, dont 13 femmes et 11 enfants, blessées au cours des violences des 19, 20 et 21 septembre 2016 », de ce que « [a]u moins 75 personnes, dont 10 femmes et 11 enfants, ont été blessées par des agents étatiques » et de ce que « [l]e BCNUDH a pu identifier avec précision les auteurs de 16 d’entre elles, à savoir 10 par des agents de la PNC et six par des militaires (trois par la GR et trois par les FARDC) ».
97 En premier lieu, s’agissant de la valeur probante du rapport du BCNUDH, il convient de rappeler, à titre liminaire, que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107).
98 En outre, contrairement à ce que soutient le requérant, l’attribution d’une valeur probante à un document présenté par le Conseil, parmi une pluralité de sources, en tant qu’élément de preuve au soutien de l’imposition de mesures restrictives n’est nullement conditionnée au fait que la personne visée par ces mesures ait été entendue par l’auteur du document en cause. En effet, ainsi que cela ressort de la jurisprudence citée au point 94 ci-dessus, la valeur probante d’un tel document dépend uniquement d’une appréciation de sa crédibilité. Aussi convient-il, conformément à cette jurisprudence, d’apprécier la valeur probante du rapport du BCNUDH en examinant les circonstances de son élaboration ainsi que son destinataire et en se demandant si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable.
99 En l’occurrence, il ressort des paragraphes 7 et 8 du rapport du BCNUDH que ce dernier « a adopté une approche inclusive de collecte et de confirmation de l’information, notamment par le biais : a) d’entretiens avec plus de 112 victimes, témoins et autres sources ; b) d[e] visites des lieux précis des incidents ; c) d[e] visites d’au moins 26 hôpitaux et centres de santé, y compris la consultation de rapports médicaux de victimes des incidents en question ; d) d[e] rapports provenant de différentes sources ; e) d’au moins 29 réunions avec diverses autorités de l’État, y compris des représentants de l’état-major des renseignements militaires – ex-DEMIAP – (EMRM), de l’Agence nationale de renseignements (ANR), des FARDC et de la PNC ainsi que des autorités judiciaires et pénitentiaires ». Il ressort des mêmes paragraphes de ce rapport que les conclusions du BCNUDH sont principalement fondées sur des informations de première main collectées par les officiers des droits de l’homme.
100 Il s’ensuit que la méthode d’élaboration du rapport du BCNUDH, en particulier le fait que les autorités publiques concernées de la République démocratique du Congo ont été entendues lors de la collecte et de la confirmation de l’information contenue dans ce rapport, qui est, au demeurant, public, ainsi que le fait qu’il provienne d’une organisation internationale telle que l’ONU, permet au Tribunal de le prendre en compte et de considérer sa valeur probante comme étant suffisante, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 94 ci-dessus.
101 Partant, le requérant n’a pas sérieusement mis en cause la force probante du rapport du BCNUDH utilisé par le Conseil au soutien de la décision attaquée.
102 En deuxième lieu, s’agissant du caractère légal, nécessaire et proportionné des violences relatées dans le rapport du BCNUDH, le requérant insiste sur la violence particulière des manifestations qui ont eu lieu à Kinshasa en septembre 2016 ainsi que sur le fait que les forces de sécurité ont dû faire face à un climat insurrectionnel, à des destructions et à des attaques violentes. À cet effet, il prend appui, notamment, sur le livre blanc du 15 octobre 2016.
103 À cet égard, premièrement, il convient de relever que le livre blanc du 15 octobre 2016 est un document provenant du gouvernement de la République démocratique du Congo, notamment du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, du ministère de la Justice et du ministère des Droits humains. Deuxièmement, il convient de constater que, outre le requérant, les parties requérantes dans les affaires qui ont été jointes à la présente affaire aux fins des phases écrite et orale de la procédure sont des hautes personnalités de l’armée, des forces de l’ordre et des services de renseignement congolais (voir point 23 ci-dessus). Or, ces circonstances sont de nature à susciter des doutes quant à la vraisemblance et à la véracité de l’information qui figure dans le document en question, qui n’est corroboré par aucun autre élément de preuve provenant de sources externes au gouvernement de la République démocratique du Congo.
104 Dès lors, à la lumière de la jurisprudence mentionnée au point 94 ci-dessus, la valeur probante du livre blanc du 15 octobre 2016 doit être considérée comme étant faible.
105 En tout état de cause, le requérant s’est limité à donner une version des faits ayant eu lieu à Kinshasa les 19 et 20 septembre 2016 qui semblerait viser à démontrer que les forces de l’ordre avaient subi des provocations et des agressions graves de la part de la population jusqu’à ce qu’elles aient repris le contrôle de l’ordre public. Or, les faits de violence décrits au point 96 ci-dessus, qui sont à la base de l’imposition des mesures restrictives litigieuses, indiquent que les forces de l’ordre, notamment la PNC, au sein de laquelle le requérant exerçait à la date des faits en question les fonctions de commissaire, ont été parmi les principaux auteurs des violations des droits de l’homme commises en septembre 2016 à Kinshasa, notamment des atteintes au droit à la vie par l’usage excessif de la force et la large utilisation d’armes létales lors d’opérations de maintien de l’ordre.
106 Ainsi, en se limitant à tirer argument de provocations et d’agressions graves de la part de la population sur les forces de l’ordre, le requérant n’a pas démontré concrètement que l’usage de la force par l’appareil de sécurité en République démocratique du Congo avait été une réaction nécessaire et proportionnée des forces de l’ordre. Le requérant n’a donc pas sérieusement mis en cause les motifs retenus par le Conseil à cet égard.
107 Il résulte de ce qui précède que les allégations du requérant ne sont pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de l’appréciation portée pour l’inscription de son nom sur la liste litigieuse, prorogée par la décision attaquée. L’argumentation du requérant rappelée au point 90 ci-dessus doit, pour cette raison, être écartée.
108 En dernier lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse ne reposent pas sur des éléments factuels suffisamment précis et concrets, mais se fondent uniquement sur les fonctions qu’il a exercées, il y a lieu de rappeler que le Conseil n’est pas tenu de démontrer une implication personnelle du requérant dans les actes de répression visés par les mesures restrictives litigieuses. En effet, il est suffisant à cet égard que le Conseil, du fait des responsabilités importantes exercées par le requérant, puisse légitimement considérer que celui-ci faisait partie des responsables de la répression contre la population civile (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 141, et du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 80).
109 Or, en l’espèce, ce sont des effectifs appartenant à la PNC, à laquelle le requérant appartenait en tant que commissaire provincial de Kinshasa au moment des faits en question, qui sont mentionnés dans le rapport du BCNUDH comme ayant fait partie des principaux responsables des actes en question constitutifs de violations des droits de l’homme.
110 Partant, le présent argument doit être écarté.
111 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par le fait que, depuis le 17 juillet 2017, le requérant n’est plus commissaire de la PNC mais « commissaire divisionnaire – directeur général des écoles de formation de la police ». En effet, il résulte d’un tel changement de fonctions que, malgré son implication dans des actes constitutifs de violations des droits de l’homme, en tant que commissaire de la PNC, le requérant a continué d’exercer de hautes fonctions dans l’administration de la PNC.
112 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la seconde branche du deuxième moyen comme non fondée et, dès lors, ce moyen dans son ensemble.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du droit de propriété et du principe de proportionnalité
113 Par le troisième moyen, le requérant reproche au Conseil d’avoir méconnu le principe de proportionnalité en lui ayant imposé des mesures restrictives portant atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale et à son droit de propriété.
114 En ce sens, le requérant souligne, premièrement, que les mesures restrictives en cause emportent des conséquences négatives considérables sur son droit au respect de la vie privée et familiale et, deuxièmement, que lesdites mesures restreignent son droit de propriété. À cet égard, le requérant observe que certains membres de sa famille résident en Allemagne, en Belgique ou en France et que les mesures contestées l’empêchent de rendre visite à ces personnes. Ainsi, selon le requérant, le principe de proportionnalité n’a pas été respecté et, en tout état de cause, il serait difficile de comprendre comment une mesure d’interdiction d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union permettrait de contribuer à une quelconque prévention d’actes constitutifs de violation des droits de l’homme sur le territoire de la République démocratique du Congo.
115 Dans la réplique, le requérant ajoute que les mesures en cause portent atteinte à sa présomption d’innocence, étant donné que la référence, par le Conseil, à des « indices sérieux et crédibles » concernant sa responsabilité dans les faits qui soutiennent les motifs d’inscription de son nom sur la liste litigieuse serait de nature à faire naître, dans l’esprit du public, une présomption de culpabilité, contraire à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte. En réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, le requérant a, en substance, indiqué que l’atteinte à la présomption d’innocence qu’il avait subie était de nature à constituer une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale.
116 Le Conseil conteste ces arguments, et notamment la recevabilité de l’argument tiré d’une violation du droit de propriété, celui-ci manquant de clarté et, dès lors, ne répondant pas aux exigences requises par l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal. En outre, le Conseil fait valoir que l’argument tiré d’une violation du principe de présomption d’innocence est irrecevable, au motif qu’il a été avancé pour la première fois au stade de la réplique et constitue dès lors un moyen nouveau au sens de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure.
117 En ce qui concerne la violation alléguée du droit de propriété, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, il est prévu ce qui suit :
« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »
118 En l’espèce, par la décision attaquée, le gel des avoirs détenus par le requérant a été prolongé. Ainsi, en adoptant cette décision, le Conseil a limité l’exercice du droit visé à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte. Or, le droit de propriété, tel qu’il est protégé par cet article, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195 et jurisprudence citée).
119 À cet égard, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte dispose que « toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et que, « dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui ».
120 Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation à l’exercice du droit de propriété doit, en tout état de cause, répondre à une triple condition (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, points 197 à 200 et jurisprudence citée). Premièrement, la limitation doit être « prévue par la loi », c’est-à-dire que la mesure restrictive en cause doit être adoptée sur le fondement d’une disposition des traités ou résultant des traités et conférant à l’institution de l’Union la compétence pour agir de la sorte.
121 Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figurent ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et visés à l’article 3, paragraphe 5, et à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, à savoir le soutien à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.
122 Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. Ainsi, cette limitation doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. À cet égard, le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Dès lors, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée). En outre, la limitation d’un droit garanti par la Charte ne doit pas atteindre le « contenu essentiel » du droit ou de la liberté en cause, c’est-à-dire sa substance (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 200 et jurisprudence citée).
123 En l’espèce, les trois conditions visées aux points 120 à 122 ci-dessus sont satisfaites.
124 En effet, en premier lieu, la limitation à l’exercice du droit de propriété dont il s’agit doit être considérée comme étant « prévue par la loi », au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, étant donné que le Conseil avait compétence pour agir sur la base de l’article 29 TUE et de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et qu’il a adopté la décision attaquée sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, en respectant les critères énoncés dans cette disposition, ainsi que cela ressort de l’examen du deuxième moyen.
125 En deuxième lieu, la décision attaquée, qui a prolongé les mesures restrictives imposées au requérant par la décision 2010/788, telle que modifiée par la décision 2016/2231, poursuit les mêmes objectifs que cette dernière, à savoir le soutien à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale, objectifs mentionnés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE. Partant, il convient de considérer que la décision attaquée contribue effectivement à la réalisation d’objectifs d’intérêt général.
126 En troisième lieu, la restriction à l’exercice, par le requérant, du droit de propriété n’apparaît pas disproportionnée, contrairement à ce que celui-ci fait valoir dans le cadre de son troisième moyen. En effet, les mesures prorogées par la décision attaquée, que le Conseil a prises sur le fondement de l’article 5, paragraphe 1, de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, sont appropriées pour atteindre les objectifs rappelés au point 125 ci-dessus.
127 À cet égard, tout d’abord, en ce qui concerne le caractère adéquat des mesures en cause au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que la protection des droits de l’homme, le maintien de la paix et la protection de l’État de droit, il apparaît que le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union concernant des personnes identifiées comme ayant contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo, étant notamment impliquées dans le recours disproportionné à la force et dans une répression violente, ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir, par analogie, arrêts du 30 juillet 1996, Bosphorus, C‑84/95, EU:C:1996:312, point 26, et du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, points 9, 176 et 180 et jurisprudence citée).
128 Ensuite, en ce qui concerne le caractère nécessaire des mesures en cause, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les responsables du régime congolais ayant contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits en République démocratique du Congo, étant notamment impliqués dans le recours disproportionné à la force et dans une répression violente, eu égard en particulier à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, par analogie, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 182 et jurisprudence citée).
129 Enfin, les inconvénients générés par les mesures de gel d’avoirs litigieuses ne sont pas démesurés au regard des objectifs poursuivis. À cet égard, il convient en particulier de noter que ces mesures présentent, par nature, un caractère réversible et ne portent, dès lors, pas atteinte à la substance même du droit de propriété. De plus, conformément à l’article 5, paragraphe 5, sous a), b) et d), de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision 2016/2231, qui a institué les mesures en cause, prolongées par la décision attaquée, il peut, en particulier, y être dérogé afin de couvrir les « besoins fondamentaux » et les frais de justice ou bien encore les « dépenses extraordinaires » des personnes visées et des membres de la famille de ces personnes.
130 Il s’ensuit que les mesures restrictives frappant concrètement le requérant constituent des restrictions qui n’ont ni violé son droit de propriété, ni méconnu, à cet égard, le principe de proportionnalité.
131 S’agissant par ailleurs de la violation alléguée du droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, il convient de rappeler que le respect d’un tel droit est garanti par l’article 7 de la Charte. Cela étant, il ressort de la jurisprudence que, à l’instar du droit de propriété, un tel droit n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération au regard de sa fonction dans la société. Il peut comporter des restrictions, à condition que celles-ci répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et qu’elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à sa substance même (voir arrêt du 13 janvier 2017, Deza/ECHA, T‑189/14, EU:T:2017:4, point 162 et jurisprudence citée).
132 En l’espèce, il convient de souligner que les considérations exposées aux points 123 à 129 ci-dessus quant au caractère nécessaire et approprié des mesures portant gel des fonds du requérant sont applicables, par analogie, aux dispositions portant interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 197). Partant, les restrictions au droit au respect de la vie privée et familiale causées par les mesures restrictives imposées au requérant ne sont pas injustifiées et disproportionnées, quand bien même il ne pourrait plus rendre visite, sur le territoire de l’Union, à certains membres de sa famille pendant une durée limitée. À cet égard, le requérant n’a pas n’indiqué que, pendant cette même durée, les membres de sa famille en question auraient été empêchés de lui rendre visite en République démocratique du Congo.
133 En outre, le requérant ne peut davantage soutenir, comme il l’a fait, en substance, dans la réplique, puis lors de l’audience, que la violation du droit au respect de la vie privée et familiale découlerait d’une atteinte à la présomption d’innocence.
134 À cet égard, il doit être rappelé que le principe de présomption d’innocence, énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, constitue un droit fondamental qui confère aux particuliers des droits dont le juge de l’Union garantit le respect [voir arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 73 (non publié) et jurisprudence citée].
135 Ce principe, qui exige que toute personne accusée d’une infraction soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne s’oppose pas à l’adoption de mesures conservatoires de gel de fonds, dès lors que celles-ci n’ont pas pour objet d’engager une procédure pénale à l’encontre de la personne visée. De telles mesures doivent cependant, compte tenu de leur gravité, satisfaire à trois critères, à savoir, premièrement, être prévues par la loi, deuxièmement, être adoptées par une autorité compétente et, troisièmement, présenter un caractère limité dans le temps [voir arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 74 (non publié) et jurisprudence citée].
136 Or, il résulte du point 124 ci-dessus que les deux premiers critères sont satisfaits. En outre, s’agissant du caractère limité dans le temps, il convient de constater que, aux termes de l’article 9 de la décision 2010/788, tel que modifié par la décision attaquée, les mesures litigieuses s’appliquent pendant douze mois, font l’objet d’un réexamen et peuvent être prorogées ou modifiées, le cas échéant, si le Conseil estime que leurs objectifs n’ont pas été atteints. Les mesures imposées au requérant ont donc bien un caractère limité dans le temps (voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2013, Anbouba/Conseil, T‑592/11, non publié, EU:T:2013:427, point 41).
137 De plus, il y a lieu de relever que les mesures restrictives litigieuses n’entraînent pas une confiscation des avoirs des intéressés en tant que produits du crime, mais un gel à titre conservatoire. Ces mesures ne constituent donc pas une sanction et n’impliquent par ailleurs aucune accusation de cette nature [voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 77 (non publié) et jurisprudence citée]. En effet, les actes du Conseil en cause ne constituent pas une constatation du fait qu’une infraction pénale a été effectivement commise, mais sont adoptés dans le cadre et aux fins d’une procédure de nature administrative ayant une fonction conservatoire et ayant pour unique but de permettre au Conseil de garantir la protection des populations civiles [voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 78 (non publié)].
138 Dans ces conditions, il ne peut être soutenu que le maintien de l’inscription du nom du requérant sur la liste litigieuse viole le principe de présomption d’innocence [voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 79 (non publié)].
139 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter comme non fondé le troisième moyen sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le Conseil.
Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005
140 Par le quatrième moyen, le requérant soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité contre, d’une part, l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et, d’autre part, l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005, afin de contester le bien-fondé du critère sur le fondement duquel les mesures restrictives le visant ont été adoptées, défini dans ces dispositions.
141 Dans une première branche, le requérant allègue que, par sa formulation très large, le critère prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et à l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005 méconnaît le principe de prévisibilité des actes de l’Union et le principe de sécurité juridique en conférant au Conseil un pouvoir d’appréciation arbitraire et discrétionnaire. Il considère qu’un tel critère ne vise pas, de manière objective, une catégorie circonscrite de personnes et d’entités susceptibles de faire l’objet de mesures de gel de fonds. Dans une seconde branche, le requérant fait valoir qu’un tel critère méconnaît également le principe de proportionnalité, dans la mesure où, eu égard aux objectifs poursuivis dans le cadre de la PESC, les atteintes à son droit au respect de la vie privée et familiale et à son droit de propriété seraient démesurées. À cet égard, il ajoute que le contexte actuel de « décrispation politique » en République démocratique du Congo ne permet pas de justifier la proportionnalité des mesures litigieuses.
142 Le Conseil conteste ces arguments.
143 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 277 TFUE est l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision individuelle, la validité des actes institutionnels antérieurs, constituant la base juridique de cette décision individuelle (voir arrêt du 19 juin 2015, Italie/Commission, T‑358/11, EU:T:2015:394, point 180 et jurisprudence citée).
144 En l’espèce, le requérant excipe de l’illégalité tant de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 que de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005. Or, bien que ces deux dispositions énoncent, dans des termes quasi identiques, un critère d’inscription sur une liste des noms des personnes et des entités visées par les mesures restrictives à l’encontre de la République démocratique du Congo (voir points 8 et 14 ci-dessus), la décision attaquée a été adoptée uniquement sur le fondement de celui prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788. Partant, l’exception d’illégalité soulevée par le requérant à l’encontre de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1183/2005 doit être écartée comme irrecevable, faute de lien entre cette dernière disposition et la décision attaquée.
145 Il convient, à ce stade, d’examiner la légalité du critère d’inscription défini à l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 (ci-après le « critère litigieux »).
146 À cet égard, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).
147 Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions de la décision 2010/788 et du règlement no 1183/2005 prévoyant le critère litigieux visé par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles les mesures restrictives sont fondées (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45).
148 En premier lieu, s’agissant de la première branche du quatrième moyen, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui constitue un principe général du droit de l’Union, exige notamment que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil, T‑10/13, EU:T:2015:235, point 77 et jurisprudence citée).
149 Un tel principe est applicable en ce qui concerne les mesures restrictives, telles que celles en cause en l’espèce, qui affectent lourdement les droits et libertés des personnes concernées (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2015, Bank of Industry and Mine/Conseil, T‑10/13, EU:T:2015:235, point 77 et jurisprudence citée).
150 Or, le critère litigieux vise une catégorie bien précise de personnes, à savoir les personnes ayant contribué, en les planifiant, en les dirigeant ou en les commettant, à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits.
151 Si un tel critère confère une certaine marge au Conseil dans l’appréciation de ce que recouvre la notion de « contribution à des actes constituant de graves violations des droits de l’homme ou des atteintes à ces droits », il ne peut être considéré, contrairement à ce que soutient le requérant, qu’une telle marge confère au Conseil un pouvoir d’appréciation arbitraire.
152 En effet, le critère litigieux s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant, en général, les mesures restrictives et, en particulier, celles instituées à l’encontre de la République démocratique du Congo.
153 À cet égard, d’une part, les objectifs du traité UE concernant la PESC sont notamment ceux visés à l’article 3, paragraphe 5, et à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, à savoir le soutien à la démocratie, à l’État de droit et aux droits de l’homme ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.
154 D’autre part, il résulte des considérants 3 et 4 de la décision 2016/2231, reproduits au point 7 ci-dessus, que, en recourant à des mesures restrictives à l’encontre de certaines catégories de personnes, et notamment de celles qui contribuent à de graves violations des droits de l’homme, le Conseil a poursuivi l’objectif consistant à inciter le gouvernement de la République démocratique du Congo à assurer un climat propice à la tenue d’un dialogue et d’élections, à veiller au respect des droits de l’homme et de l’État de droit et à cesser toute instrumentalisation de la justice.
155 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la règle instituée par le critère litigieux est claire, précise et prévisible dans ses effets, et de rejeter la première branche du quatrième moyen.
156 En second lieu, s’agissant de la seconde branche du quatrième moyen, il convient de constater que, par cette branche, le requérant ne fait pas valoir que le critère litigieux serait contraire au principe de proportionnalité, mais conteste la proportionnalité des mesures restrictives dont il a fait l’objet par l’effet de la décision attaquée en ce que ces mesures porteraient une atteinte démesurée à son droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’à son droit de propriété. Ce faisant, le requérant réitère l’argumentation qu’il a déjà présentée au soutien du troisième moyen et qui a été écartée par le Tribunal pour les motifs exposés aux points 117 à 139 ci-dessus.
157 Partant, aucune des deux branches du quatrième moyen n’est fondée.
158 Une telle conclusion ne saurait être infirmée par l’argument du requérant selon lequel, en substance, les derniers développements sur le plan politique seraient susceptibles de mettre en cause le bien-fondé du critère litigieux. En effet, ainsi que le Conseil le fait valoir, de tels éléments factuels sont postérieurs à l’adoption des actes contenant le critère litigieux et ne sont donc pas pertinents aux fins du contrôle de la légalité dudit critère.
159 Il y a donc lieu de rejeter l’exception d’illégalité soulevée par le requérant dans le quatrième moyen et, dès lors, le présent recours dans son intégralité.
Sur les dépens
160 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) M. Célestin Kanyama est condamné aux dépens.
Gervasoni | Madise | Da Silva Passos |
Kowalik-Bańczyk | Mac Eochaidh |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 février 2020.
Le greffier | Le président |
E. Coulon | S. Gervasoni |
Table des matières
Antécédents du litige
Procédure et conclusions des parties
En droit
Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation et du droit d’être entendu
Sur la première branche du premier moyen
Sur la seconde branche du premier moyen
Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation
Sur la première branche du deuxième moyen
Sur la seconde branche du deuxième moyen
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du droit de propriété et du principe de proportionnalité
Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de l’article 3, paragraphe 2, sous b), de la décision 2010/788 et de l’article 2 ter, paragraphe 1, sous b), du règlement n o 1183/2005
Sur les dépens
* Langue de procédure : le français.
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