Krakvet (Order) French Text [2021] EUECJ C-108/19_CO (14 January 2021)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/C10819_CO.html
Cite as: [2021] EUECJ C-108/19_CO, EU:C:2021:25, ECLI:EU:C:2021:25

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ORDONNANCE DE LA COUR (dixième chambre)

14 janvier 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 33 – Détermination du lieu des opérations imposables – Livraison de biens avec transport – Livraison de biens expédiés ou transportés par le fournisseur ou pour son compte – Vente au moyen d’un site Internet – Contrat de transport des biens conclu par l’acquéreur avec une société suggérée par le fournisseur »

Dans l’affaire C‑108/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), par décision du 14 février 2018, parvenue à la Cour le 11 février 2019, dans la procédure

Krakvet sp. z o.o. sp.k.

contre

Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Bucureşti,

Administraţia Fiscală pentru Contribuabili Nerezidenţi,

LA COUR (dixième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. E. Regan (rapporteur), président de la cinquième chambre, et M. E. Juhász, juge,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 33 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Krakvet sp. z o.o. sp.k., société de droit polonais, à la Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice București (direction générale régionale des finances publiques de Bucarest, Roumanie) et à l’Administrația Fiscală Pentru Contribuabili Nerezidenți (administration fiscale pour les contribuables non-résidents, Roumanie) (ci-après, indistinctement, l’« administration fiscale ») au sujet du paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) afférente à la vente de biens au moyen du site Internet de cette société à des acquéreurs se trouvant en Roumanie.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le titre V de la directive 2006/112, intitulé « Lieu des opérations imposables », contient un chapitre 1, lui-même intitulé « Lieu des livraisons de biens », qui comporte une section 2, relative aux « Livraisons de biens avec transport ». Cette section contient, notamment, les articles 32 et 33 de cette directive.

4        L’article 32 de ladite directive dispose :

« Dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

[...] »

5        L’article 33, paragraphe 1, de la directive 2006/112 énonce :

« Par dérogation à l’article 32, le lieu d’une livraison de biens expédiés ou transportés, par le fournisseur ou pour son compte, à partir d’un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport est réputé se situer à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur, lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a)      la livraison de biens est effectuée pour un assujetti ou pour une personne morale non assujettie, dont les acquisitions intracommunautaires de biens ne sont pas soumises à la TVA en vertu de l’article 3, paragraphe 1, ou pour toute autre personne non assujettie ;

b)      les biens livrés sont autres que des moyens de transport neufs et autres que des biens livrés après montage ou installation, avec ou sans essai de mise en service, par le fournisseur ou pour son compte. »

 Le droit roumain

6        L’article 125 bis de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003 portant code des impôts), du 22 décembre 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 927 du 23 décembre 2003), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code des impôts »), dispose, sous l’intitulé « Signification de certains termes et expressions » :

« 1.      Aux fins du présent titre, les termes et expressions ci-après ont la signification suivante :

[...]

32)      une vente à distance représente une livraison de biens qui sont expédiés ou transportés d’un État membre à un autre par le fournisseur ou par une autre personne pour son compte à destination d’un acquéreur assujetti ou d’une personne morale non assujettie, qui bénéficie de la dérogation prévue à l’article 126, paragraphe 4, ou de toute autre personne non assujettie, dans les conditions prévues à l’article 132, paragraphes 2 à 7.

[...] »

7        L’article 126 du code des impôts prévoit :

« 1.      Aux fins de la TVA, sont imposables en Roumanie les opérations qui remplissent les conditions cumulatives suivantes :

[...]

3.      Sont également des opérations imposables les opérations suivantes effectuées à titre onéreux et considérées comme ayant lieu en Roumanie, conformément à l’article 132 bis :

a)      les acquisitions intracommunautaires de biens, autres que les acquisitions de moyens de transport neufs et de produits soumis à accises, effectuées par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie, qui ne bénéficie pas de la dérogation prévue au paragraphe 4, qui visent une livraison intracommunautaire effectuée hors de Roumanie par un assujetti agissant en tant que tel, qui n’est pas considéré comme une petite entreprise dans son État membre et auquel ni les dispositions de l’article 132, paragraphe 1, sous b), relatives aux livraisons de biens faisant l’objet d’une installation ou d’un montage ni celles de l’article 132, paragraphe 2, relatives aux ventes à distance ne s’appliquent ;

[...]

4.      Par dérogation aux dispositions du paragraphe 3, sous a), ne sont pas considérées comme des opérations imposables en Roumanie les acquisitions intracommunautaires de biens réunissant les conditions suivantes :

a)      être effectuées par un assujetti qui n’effectue que des livraisons de biens ou des prestations de services ne lui ouvrant aucun droit à déduction, ou par une personne morale non assujettie ;

b)      le montant global des acquisitions intracommunautaires de biens ne dépasse pas, dans l’année civile en cours, ou n’a pas dépassé, au cours de l’année civile précédente, le seuil de 10 000 [euros], dont la contre-valeur en lei roumains (RON) est établie par voie réglementaire.

[...] »

8        L’article 132 du code des impôts, intitulé « Lieu de la livraison de biens », énonce :

« 1.      Le lieu de la livraison de biens est réputé se situer :

a)      à l’endroit où les biens se trouvent au moment du départ de l’expédition ou du transport, s’agissant des biens expédiés ou transportés par le fournisseur, l’acquéreur ou un tiers. Lorsque le lieu de la livraison, établi conformément à la présente disposition, se trouve hors du territoire de l’Union, le lieu de la livraison effectuée par l’importateur et le lieu d’éventuelles livraisons subséquentes sont réputés se situer dans l’État membre d’importation des biens, qui sont réputés être transportés ou expédiés à partir de l’État membre d’importation ;

b)      à l’endroit où l’installation ou le montage est effectué par le fournisseur ou une autre personne pour le compte de celui-ci, s’agissant des biens qui font l’objet d’une installation ou d’un montage ;

c)      à l’endroit où les biens se trouvent lorsqu’ils sont mis à la disposition de l’acquéreur, s’agissant des biens qui ne sont ni expédiés ni transportés ;

[...]

2.      Par dérogation aux dispositions du paragraphe 1, sous a), dans le cas d’une vente à distance effectuée dans un État membre à destination de la Roumanie, le lieu de la livraison est réputé se situer en Roumanie lorsque la livraison est effectuée à destination d’un acquéreur assujetti ou d’une personne morale non assujettie, qui bénéficie de la dérogation prévue à l’article 126, paragraphe 4, ou de toute autre personne non assujettie et lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a)      le montant global des ventes à distance pour lesquelles le fournisseur effectue le transport ou l’expédition à destination de la Roumanie, au cours de l’année civile durant laquelle une vente à distance donnée a lieu, y compris la valeur de la vente à distance concernée, ou au cours de l’année civile précédente, dépasse le seuil de 35 000 [euros] fixé pour les ventes à distance, dont la contre-valeur en lei roumains (RON) est établie par voie réglementaire ; ou

b)      dans l’État membre à partir duquel les biens sont transportés, le fournisseur a choisi que ses ventes à distance qui impliquent le transport des biens en Roumanie à partir de cet État membre soient réputées avoir lieu en Roumanie.

[...] »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

9        Krakvet est une société établie en Pologne, qui commercialise au moyen de sites Internet des aliments pour animaux et des accessoires destinés à l’élevage d’animaux.

10      Les activités de cette société visent des clients dans plusieurs États membres et celle-ci détient, à cette fin, un domaine « zoofast » sur Internet pour chacun de ces États membres. En particulier, les ventes de produits à des clients se trouvant en Roumanie sont réalisées au moyen du site Internet dont l’adresse de la page d’accueil est www.zoofast.ro.

11      Les modalités de livraison des produits commandés à Krakvet sur Internet sont celles correspondant, parmi les clauses du commerce international établies par la Chambre de commerce internationale, à la clause « Départ usine » (« Ex Works »), au départ de Wieliczka (Pologne).

12      En ce qui concerne le processus de vente, les acquéreurs passent commande sur le site www.zoofast.ro. Pour finaliser celle-ci sur ce site Internet, ils doivent choisir entre deux modalités de retrait des produits de l’entrepôt de Krakvet sis en Pologne. Ils peuvent choisir de retirer eux-mêmes ces produits de cet entrepôt ou de conclure un contrat aux fins de l’acheminement de ceux-ci soit avec Sendfast sp. z o.o., soit avec un autre transporteur. Dans ce cas, la facture afférente aux services de transport est directement adressée par l’une ou l’autre de ces sociétés à ces acquéreurs, qui l’acquittent directement auprès de celles-ci.

13      Lors de la finalisation de la commande, les acquéreurs reçoivent deux contrats, l’un conclu avec Krakvet pour les produits achetés et l’autre conclu, aux fins de l’acheminement de ces produits, soit avec Sendfast soit avec un autre transporteur, ainsi que deux factures, l’une, établie par Krakvet pour l’achat des produits, l’autre, établie pour les services de transport par la société prenant en charge cet acheminement, chaque facture étant accompagnée d’une preuve de paiement.

14      Par ailleurs, les produits peuvent être payés par virement bancaire, sur le site Internet de Krakvet, ou en espèces, lors de leur réception.

15      Par un courrier du 8 juillet 2014, l’administration fiscale a demandé à la requérante au principal de s’identifier à la TVA en Roumanie, au motif que cette société effectuait des ventes à distance et que, le montant global de ces ventes ayant dépassé le seuil prévu à l’article 132, paragraphe 2, sous a), du code des impôts, l’administration fiscale était tenue de percevoir la TVA pour celles-ci.

16      Le 26 août 2014, l’administration fiscale a pris une décision relative à l’identification d’office de Krakvet à la TVA et, le 10 septembre 2014, lui a délivré une attestation d’identification à la TVA lui attribuant un numéro à cet effet.

17      Par une décision du 8 octobre 2014, la réclamation administrative de Krakvet contestant le courrier du 8 juillet 2014 ainsi que la décision d’identification à la TVA du 26 août 2014 a été rejetée comme étant non fondée, au motif que les ventes réalisées au moyen de sites Internet relèvent de la catégorie des « ventes à distance », lesquelles sont soumises à un régime de TVA spécifique.

18      Le 4 mai 2015, Krakvet a introduit un recours contentieux contre ces décisions devant la deuxième chambre du contentieux administratif et fiscal du Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), laquelle a, par un jugement du 8 avril 2016, rejeté ce recours comme étant non fondé, au motif que l’administration fiscale avait à bon droit qualifié les opérations en cause au principal de « ventes à distance ».

19      Dans le cadre du pourvoi formé, le 28 avril 2017, devant la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), Krakvet a contesté la validité de ce jugement en soutenant qu’il ne ressort pas des dispositions pertinentes du code des impôts que tous les produits commercialisés au moyen d’un site Internet constituent des « ventes à distance ». Krakvet a fait valoir que la condition essentielle pour qu’une transaction relève de cette catégorie réside dans le fait que le transport des biens d’un État membre à un autre est effectué par le fournisseur ou pour son compte. Or, tel ne serait pas le cas des opérations en cause au principal. En effet, les produits concernés seraient mis à la disposition des acquéreurs dans l’entrepôt de Krakvet sis en Pologne et seraient livrés par un assujetti distinct, à savoir une société de messagerie engagée par ces acquéreurs sur le fondement d’un contrat portant sur les services de transport, distinct de celui les liant à Krakvet pour l’achat de ces produits. Le fait que le recours à cette société de messagerie soit suggéré par Krakvet auxdits acquéreurs et acceptée par ceux-ci, lesquels demeureraient toutefois libres de choisir une autre société de transport, ne pourrait impliquer que lesdits produits sont acheminés pour le compte de Krakvet.

20      La juridiction de renvoi estime que la solution du litige au principal dépend de la question de savoir si, en ce qui concerne les biens vendus au moyen du site Internet de Krakvet à des acquéreurs se trouvant en Roumanie, lorsque, aux fins de l’acheminement de ces biens, ces acquéreurs, conformément aux options d’expédition proposées par ce fournisseur, choisissent une société de messagerie suggérée par ce site, mais avec laquelle lesdits acquéreurs concluent un contrat distinct de celui les liant à Krakvet pour l’achat desdits biens, il y a lieu de considérer que ces derniers sont transportés « par le fournisseur ou pour son compte », au sens de l’article 33 de la directive 2006/112, de telle sorte que, par dérogation à l’article 32 de cette directive, le lieu de livraison se situe à l’endroit où les mêmes biens se trouvent au moment non pas du départ du transport, mais de l’arrivée de celui-ci.

21      Dans ces conditions, la Curtea de Apel Bucureşti (cour d’appel de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans le cadre d’une vente de biens par l’intermédiaire d’une boutique en ligne, convient-il d’interpréter l’article 33 de la directive [2006/112] en ce sens qu’il ne s’applique pas à la situation dans laquelle l’acquéreur conclut directement un contrat de service de transport de biens de l’État membre du fournisseur à son propre État membre, conformément aux options d’expédition proposées par le fournisseur, étant donné que le transport n’est pas effectué pour le compte de ce dernier ? »

 Sur la question préjudicielle

22      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée.

23      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre de la présente affaire, dès lors que la réponse à la question posée peut être clairement déduite de la jurisprudence de la Cour, notamment de l’arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko (C‑276/18, EU:C:2020:485).

24      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 33 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que, s’agissant de biens vendus au moyen d’un site Internet par un fournisseur établi dans un État membre à des acquéreurs se trouvant dans un autre État membre, lorsque, aux fins de l’acheminement de ces biens, ces acquéreurs, conformément aux options d’expédition proposées par ce fournisseur, choisissent une société suggérée par ce site avec laquelle ils concluent un contrat distinct de celui les liant audit fournisseur pour l’achat desdits biens, ces derniers doivent être considérés comme étant expédiés ou transportés « par le fournisseur ou pour son compte », au sens de cet article 33.

25      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 32 de ladite directive, dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

26      Toutefois, de manière dérogatoire, l’article 33 de la même directive prévoit que le lieu d’une livraison de biens expédiés ou transportés, par le fournisseur ou pour son compte, à partir d’un État membre autre que celui d’arrivée de l’expédition ou du transport est réputé se situer, sous réserve du respect de certaines conditions que cette disposition énumère, à l’endroit où les biens se trouvent au moment de l’arrivée de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur.

27      Afin de déterminer ce qu’il convient d’entendre par une expédition ou un transport effectué « par le fournisseur ou pour son compte », au sens de l’article 33 de la directive 2006/112, il y a lieu de rappeler que la prise en compte de la réalité économique et commerciale constitue un critère fondamental pour l’application du système commun de TVA (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 61 et jurisprudence citée).

28      À cet égard, la Cour a jugé que les biens sont expédiés ou transportés pour le compte du fournisseur si c’est ce dernier, plutôt que l’acquéreur, qui prend effectivement les décisions régissant la façon dont ces biens doivent être expédiés ou transportés (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 62).

29      Il s’ensuit qu’une livraison de biens relève de l’article 33 de la directive 2006/112 lorsque le rôle du fournisseur est prépondérant en ce qui concerne l’initiative ainsi que l’organisation des étapes essentielles de l’expédition ou du transport des biens (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 63).

30      À cet égard, il importe de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union. Cela étant, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée par cette disposition, il appartient à la Cour de donner au juge national une réponse utile, qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi (ordonnance du 4 juin 2020, FU, C‑554/19, non publiée, EU:C:2020:439, points 28 et 30 ainsi que jurisprudence citée).

31      Par conséquent, s’il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, dans le cadre du litige pendant devant elle, il y a lieu de considérer que les livraisons de biens en cause relèvent de l’article 33 de la directive 2066/112, en tenant compte de l’ensemble des éléments en cause au principal, la Cour estime utile de lui fournir, aux fins d’une telle appréciation, les indications suivantes.

32      Ainsi qu’il ressort des informations transmises par la juridiction de renvoi, lorsque, aux fins de l’acheminement des biens achetés sur le site Internet de Krakvet, les acquéreurs choisissent, conformément aux options d’expédition proposées par ce fournisseur, une société suggérée par ce site, ces acquéreurs concluent avec cette société un contrat distinct de celui les liant à Krakvet pour l’achat de ces biens, d’une part, et les services de transports font l’objet d’une facture ainsi que d’une preuve de paiement séparées, d’autre part.

33      S’agissant de la valeur des stipulations contractuelles dans le cadre de la qualification d’une opération taxable, il convient de rappeler que, dans la mesure où la situation contractuelle reflète normalement la réalité économique et commerciale des opérations, les stipulations contractuelles pertinentes constituent un élément à prendre en considération (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 66 et jurisprudence citée).

34      Il peut cependant s’avérer que, parfois, certaines stipulations contractuelles ne reflètent pas totalement la réalité économique et commerciale des opérations (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 67 et jurisprudence citée).

35      En l’occurrence, il ne saurait être considéré que des stipulations contractuelles telles que celles en cause au principal reflètent la réalité économique et commerciale des opérations concernées si, au moyen de celles-ci, les acquéreurs ne font qu’entériner les choix effectués par le fournisseur, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier par une analyse d’ensemble des circonstances du litige au principal (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 68).

36      À cet égard, afin de déterminer si les biens concernés ont été transportés pour le compte du fournisseur, il y a lieu de tenir compte, premièrement, de l’importance que revêt la question de l’acheminement de ces biens vers les acquéreurs au regard des pratiques commerciales qui caractérisent l’activité exercée par le fournisseur concerné. Il est, notamment, possible de considérer que, si cette activité consiste à proposer activement des biens, à titre onéreux, à des acquéreurs résidant dans un État membre autre que celui dans lequel ce fournisseur est établi, l’organisation, par ledit fournisseur, des moyens permettant de procéder à l’acheminement des biens concernés vers leurs acquéreurs constitue, en principe, une partie essentielle de ladite activité (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 69).

37      Afin d’apprécier si le fournisseur propose activement des biens à des acquéreurs résidant dans un État membre, la juridiction de renvoi pourra, notamment, tenir compte de l’extension de l’adresse du site Internet sur lequel les biens concernés sont proposés ainsi que de la langue dans laquelle ce site est accessible (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 70).

38      Deuxièmement, il convient d’apprécier à qui, du fournisseur ou de l’acquéreur, peuvent être effectivement imputés les choix relatifs aux modalités de l’expédition ou du transport des biens concernés (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 71).

39      À ce titre, même si les acquéreurs concluent, avec une société autre que le fournisseur, un contrat distinct de celui les liant à celui-ci pour l’achat des biens concernés, aux fins de l’acheminement de ces derniers, il ne saurait être exclu que ces biens puissent être considérés comme étant transportés pour le compte de ce fournisseur si, par ce contrat, les acquéreurs ne font qu’acquiescer aux choix effectués par ledit fournisseur, que ces choix concernent la désignation de la société chargée de l’acheminement desdits biens ou les modalités selon lesquelles ces derniers sont transportés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 73).

40      Une appréciation en ce sens pourrait notamment être déduite d’éléments tels que le choix réduit de sociétés recommandées par le fournisseur, voire limité à une seule société, aux fins de l’acheminement des biens concernés ou le fait que les contrats relatifs à l’expédition ou au transport de ces biens peuvent être conclus directement à partir du site Internet de ce fournisseur sans que les acquéreurs aient à entreprendre des démarches autonomes afin de contacter les sociétés en charge de cet acheminement (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 74).

41      Troisièmement, il y a lieu d’examiner la question de savoir quel est l’agent économique sur lequel pèse la charge du risque lié au transport des biens en cause (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 75).

42      Il ressort des indications fournies à la Cour que les modalités de livraison de ces biens sont celles correspondant, parmi les clauses du commerce international établies par la Chambre de commerce internationale, à la clause « Départ usine » (« Ex Works »).

43      Cela étant, la Cour a jugé qu’il pourrait être considéré que, nonobstant des stipulations contractuelles en vertu desquelles le fournisseur est déchargé du risque lié à l’acheminement des biens, le transport de ceux-ci est effectué pour le compte du fournisseur si celui-ci supporte effectivement, in fine, les coûts liés à l’indemnisation des dommages survenus lors de ce transport (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 77).

44      À cet égard, il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier, notamment, les implications du fait que, selon les indications fournies dans la demande de décision préjudicielle, outre un paiement sur le site Internet de Krakvet lors de la commande, il est également possible de payer les biens commandés au moment de leur réception.

45      Quatrièmement, bien que les acquéreurs soient formellement liés au fournisseur et à la société chargée de l’acheminement des biens concernés par des contrats distincts, que ces acquéreurs reçoivent en outre deux factures, l’une établie par le fournisseur pour l’achat de ces biens, l’autre établie pour les services de transport par la société prenant en charge cet acheminement, ainsi qu’une preuve de paiement pour chacune de ces factures, il incombe à la juridiction de renvoi de déterminer si l’acquisition desdits biens et leur transport font néanmoins l’objet d’un paiement unique. Si tel est le cas, il y a lieu de tenir cette circonstance comme un indice de l’importante implication du fournisseur dans l’acheminement desdits biens (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 78).

46      En outre, il y a lieu de rappeler que la Cour a jugé qu’une telle implication du fournisseur serait constatée, également, eu égard à la réalité économique et commerciale des opérations concernées, si, par principe ou sous réserve que certaines conditions soient remplies, telles que le fait d’atteindre un montant minimal d’achat, le montant des frais d’expédition ou de transport ne revêtait qu’un caractère symbolique ou que le fournisseur octroyait une remise sur le prix des produits qui aboutit au même effet (arrêt du 18 juin 2020, KrakVet Marek Batko, C‑276/18, EU:C:2020:485, point 80).

47      En l’occurrence, compte tenu des informations dont dispose la Cour et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi de l’ensemble des circonstances pertinentes du litige au principal, il apparaît possible de considérer que Krakvet a joué un rôle prépondérant en ce qui concerne l’initiative ainsi que l’organisation des étapes essentielles de l’expédition ou du transport des biens en cause au principal, de telle sorte qu’il y aurait lieu, le cas échéant, de considérer que ces biens ont été acheminés pour le compte du fournisseur, au sens de l’article 33 de la directive 2006/112.

48      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 33 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que, s’agissant de biens vendus au moyen d’un site Internet par un fournisseur établi dans un État membre à des acquéreurs se trouvant dans un autre État membre, lorsque, aux fins de l’acheminement de ces biens, ces acquéreurs, conformément aux options d’expédition proposées par ce fournisseur, choisissent une société suggérée par ce site avec laquelle ils concluent un contrat distinct de celui les liant audit fournisseur pour l’achat desdits biens, ces derniers doivent être considérés comme étant transportés « par le fournisseur ou pour son compte », au sens de cet article 33, lorsque le rôle du même fournisseur est prépondérant en ce qui concerne l’initiative ainsi que l’organisation des étapes essentielles du transport des mêmes biens, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes du litige au principal.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 33 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que, s’agissant de biens vendus au moyen d’un site Internet par un fournisseur établi dans un État membre à des acquéreurs se trouvant dans un autre État membre, lorsque, aux fins de l’acheminement de ces biens, ces acquéreurs, conformément aux options d’expédition proposées par ce fournisseur, choisissent une société suggéréepar ce site avec laquelle ils concluent un contrat distinct de celui les liant audit fournisseur pour l’achat desdits biens, ces derniers doivent être considérés comme étant transportés « par le fournisseur ou pour son compte », au sens de cet article 33, lorsque le rôle du même fournisseur est prépondérant en ce qui concerne l’initiative ainsi que l’organisation des étapes essentielles du transport des mêmes biens, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes du litige au principal.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.

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