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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> HYA and Others (Impossibilite d'interroger les temoins a charge) (Judicial cooperation in criminal matters - Strengthening certain aspects of the presumption of innocence and the right to be present at the trial in criminal proceedings - Right of an accused person to be present at his trial - Judgment) French Text [2022] EUECJ C-348/21 (08 December 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C34821.html Cite as: EU:C:2022:965, ECLI:EU:C:2022:965, [2022] EUECJ C-348/21 |
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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
8 décembre 2022 (*)
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive (UE) 2016/343 – Renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales – Article 8, paragraphe 1 – Droit d’une personne poursuivie d’assister à son procès – Article 47, deuxième alinéa, et article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un procès équitable et droits de la défense – Interrogatoire de témoins à charge en l’absence de la personne poursuivie et de son avocat lors de la phase préliminaire de la procédure pénale – Impossibilité d’interroger les témoins à charge lors de la phase judiciaire de cette procédure – Réglementation nationale permettant à une juridiction pénale de fonder sa décision sur la déposition antérieure desdits témoins »
Dans l’affaire C‑348/21,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie), par décision du 3 juin 2021, parvenue à la Cour le 4 juin 2021, dans la procédure pénale contre
HYA,
IP,
DD,
ZI,
SS,
en présence de :
Spetsializirana prokuratura,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur), N. Piçarra, N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,
avocat général : M. A. M. Collins,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour IP, par Me H. Georgiev, advokat,
– pour DD, par Me V. Vasilev, advokat,
– pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et I. Zaloguin, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 juillet 2022,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 1, de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), ainsi que de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre HYA, IP, DD, ZI et SS (ci-après, ensemble, les « prévenus en cause ») pour des infractions commises en matière d’immigration clandestine.
Le cadre juridique
Le droit international
3 L’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), intitulé « Droit à un procès équitable », dispose :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. [...]
[...]
3. Tout accusé a droit notamment à :
[...]
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
[...] »
Le droit de l’Union
4 Les considérants 22, 33, 34, 36, 41 et 47 de la directive 2016/343 se lisent comme suit :
« (22) La charge de la preuve pour établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies repose sur l’accusation, et tout doute devrait profiter au suspect ou à la personne poursuivie. La présomption d’innocence serait violée si la charge de la preuve était transférée de l’accusation à la défense, sans préjudice des éventuels pouvoirs d’office du juge en matière de constatation des faits, ou de l’indépendance de la justice dans l’appréciation de la culpabilité du suspect ou de la personne poursuivie, ou du recours à des présomptions de fait ou de droit concernant la responsabilité pénale du suspect ou de la personne poursuivie. [...]
[...]
(33) Le droit à un procès équitable constitue l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique. Sur celui-ci repose le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’assister à leur procès, qui devrait être garanti dans l’ensemble de l’Union.
(34) Si, pour des raisons échappant à leur contrôle, les suspects ou les personnes poursuivies sont dans l’impossibilité d’assister à leur procès, ils devraient avoir la possibilité de demander que celui-ci ait lieu à une autre date, dans les délais prévus en droit national.
[...]
(36) Dans certaines circonstances, une décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence du suspect ou de la personne poursuivie devrait pouvoir être rendue même si la personne concernée n’est pas présente au procès. [...]
[...]
(41) Le droit d’assister à son procès ne peut être exercé que si une ou plusieurs audiences ont lieu. Cela signifie que le droit d’assister à son procès ne peut pas s’appliquer si les règles de procédure nationales pertinentes ne prévoient pas d’audience. [...]
[...]
(47) La présente directive respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus par la [C]harte et la CEDH, y compris l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sûreté, le respect de la vie privée et familiale, le droit à l’intégrité de la personne, les droits de l’enfant, l’intégration des personnes handicapées, le droit à un recours effectif et le droit à un procès équitable, la présomption d’innocence et les droits de la défense. Il convient de tenir compte, en particulier, de l’article 6 [TUE], qui dispose que l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la [C]harte et que les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. »
5 L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », dispose :
« La présente directive s’applique aux personnes physiques qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales. Elle s’applique à tous les stades de la procédure pénale, à partir du moment où une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou une infraction pénale alléguée, ou est poursuivie à ce titre, jusqu’à ce que la décision finale visant à déterminer si cette personne a commis l’infraction pénale concernée soit devenue définitive. »
6 L’article 6 de ladite directive, intitulé « Charge de la preuve », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Les États membres veillent à ce que l’accusation supporte la charge de la preuve visant à établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies. Cette disposition s’entend sans préjudice de toute obligation incombant au juge ou à la juridiction compétente de rechercher des éléments de preuve tant à charge qu’à décharge, et sans préjudice du droit de la défense de présenter des éléments de preuve conformément au droit national applicable. »
7 L’article 8 de la même directive, intitulé « Droit d’assister à son procès », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d’assister à leur procès.
2. Les États membres peuvent prévoir qu’un procès pouvant donner lieu à une décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence du suspect ou de la personne poursuivie peut se tenir en son absence, pour autant que :
a) le suspect ou la personne poursuivie ait été informé, en temps utile, de la tenue du procès et des conséquences d’un défaut de comparution ; ou
b) le suspect ou la personne poursuivie, ayant été informé de la tenue du procès, soit représenté par un avocat mandaté, qui a été désigné soit par le suspect ou la personne poursuivie, soit par l’État. »
Le droit bulgare
La loi relative au ministère de l’Intérieur
8 Il résulte des dispositions combinées de l’article 72, paragraphe 1, et de l’article 73 du zakon za Ministerstvoto na vatreshnite raboti (loi relative au ministère de l’Intérieur), du 28 mai 2014 (DV no 53, du 27 juin 2014, p. 2), dans sa version applicable au litige au principal, qu’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction peut être arrêtée pendant une période de 24 heures avant sa mise en examen.
Le NPK
9 En vertu de l’article 12 du Nakazatelno-protsesualen kodeks (code de procédure pénale, ci‑après le « NPK »), la procédure judiciaire est contradictoire et la défense dispose des mêmes droits que l’accusation.
10 Conformément à l’article 46, paragraphe 2, point 1, et à l’article 52 du NPK, la phase préliminaire de la procédure est menée par les services d’enquête, sous la supervision du procureur.
11 Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, conformément à l’article 107, paragraphe 1, et aux articles 139 et 224 du NPK, un témoin qui est interrogé lors de la phase préliminaire de la procédure pénale, aux fins de la collecte de preuves, l’est habituellement sans que la personne poursuivie et son avocat soient présents. Conformément à l’article 280, paragraphe 2, du NPK, lu en combinaison avec l’article 253 de celui-ci, le témoin est, par la suite, de nouveau interrogé lors de la phase judiciaire de la procédure, à l’audience, en présence de la personne poursuivie et de son avocat qui peuvent ainsi poser leurs propres questions au témoin.
12 L’article 223 du NPK, intitulé « Interrogatoire du témoin devant le juge », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Lorsqu’il existe un risque que le témoin ne puisse pas se présenter devant le tribunal en raison d’une maladie grave, d’une absence prolongée hors du pays ou d’autres motifs qui rendent impossible sa comparution à l’audience, tout comme lorsqu’il est nécessaire de faire vérifier des déclarations du témoin qui sont d’une importance capitale pour l’établissement de la vérité objective, l’interrogatoire est mené devant un juge du tribunal de première instance compétent ou du tribunal de première instance du ressort dans lequel cet acte est effectué. Le dossier n’est alors pas communiqué au juge.
2. L’autorité menant la procédure préliminaire veille à la comparution du témoin et à ce que le prévenu ainsi que son défenseur, s’il existe, aient la possibilité de participer à l’interrogatoire. »
13 L’article 281 du NPK, intitulé « Lecture des déclarations faites par le témoin », dispose, à ses paragraphe 1, point 4, et paragraphe 3 :
« 1. Il est donné lecture [à l’audience] des déclarations faites dans la même affaire par un témoin soit devant un juge lors de la phase préliminaire, soit devant une autre formation du tribunal, lorsque :
[...]
4) il est impossible de localiser le témoin pour le convoquer, ou le témoin est décédé ;
[...]
3. Dans les cas de figure visés au paragraphe 1, points 1 à 6, les déclarations faites par le témoin devant l’autorité menant la procédure préliminaire sont lues [à l’audience] si le prévenu ainsi que son défenseur (lorsqu’un tel a été mandaté ou désigné) ont participé à l’interrogatoire. Lorsqu’il y a plus d’un prévenu, les déclarations ne peuvent être lues qu’avec le consentement de ceux d’entre eux qui n’avaient pas été convoqués à l’interrogatoire ou ont invoqué des motifs valables pour leur absence et dont l’infraction reprochée fait l’objet des témoignages devant être lus. »
La procédure au principal et la question préjudicielle
14 Les prévenus en cause, parmi lesquels figurent des agents de la police aux frontières de l’aéroport de Sofia (Bulgarie), font l’objet de poursuites pénales au titre d’infractions en matière d’immigration clandestine.
15 IP, DD, SS et HYA ont été arrêtés le soir du 25 mai 2017 et mis en examen le lendemain. ZI a été arrêtée le 31 mai 2017 et mise en examen le même jour. Par la suite, les prévenus en cause ont été placés en détention provisoire et ont bénéficié de l’assistance d’un avocat.
16 Lors de la phase préliminaire de la procédure pénale, plusieurs ressortissants de pays tiers, à savoir MM, RB, KH, HN et PR (ci-après, ensemble, les « témoins concernés »), dont l’entrée illégale sur le territoire bulgare aurait été facilitée par les prévenus en cause, ont été interrogés par les services d’enquête du parquet.
17 Une partie des interrogatoires ont été menés devant un juge. Ainsi, MM et RB ont été entendus devant un juge respectivement le 30 mars 2017 et le 12 avril 2017, KH le 26 mai 2017, HN le 30 mars 2017, et PR le 30 mars 2017 ainsi que le 12 avril 2017.
18 En raison de leur séjour illégal sur le territoire bulgare, les témoins concernés ont fait l’objet de procédures administratives en vue de leur éloignement.
19 Lors de la phase préliminaire de la procédure pénale, SS et DD ont expressément demandé à pouvoir interroger MM. Le parquet n’a pas fait suite à ces demandes.
20 Le 19 juin 2020, le Spetsializirana prokuratura (parquet spécialisé, Bulgarie), estimant que les faits reprochés aux prévenus en cause étaient fondés, a saisi le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé, Bulgarie) aux fins de leur condamnation pénale.
21 Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les tentatives de cette juridiction de convoquer les témoins concernés aux fins de leur interrogatoire en présence des prévenus en cause et de leur défense se sont avérées infructueuses, soit parce que qu’il n’a pas été possible de déterminer leur lieu de résidence, soit parce qu’ils avaient été éloignés du territoire bulgare ou avaient quitté volontairement celui-ci. Ainsi, selon ladite juridiction, il n’existe aucune possibilité que les témoins concernés puissent être interrogés en personne lors de la phase judiciaire de la procédure.
22 Lors de l’audience qui s’est tenue devant la juridiction de renvoi le 9 avril 2021, le parquet a demandé qu’il soit fait lecture, conformément à l’article 281, paragraphe 1, du NPK, des déclarations faites par les témoins concernés au cours de la phase préliminaire de la procédure pénale, afin que ces déclarations fassent partie des éléments de preuve sur le fondement desquelles cette juridiction statuera sur le fond.
23 La juridiction de renvoi doute de la compatibilité avec le droit de l’Union de l’application de cette disposition nationale dans les circonstances de l’espèce et se demande si elle n’est pas tenue de l’écarter dans l’affaire au principal.
24 À cet égard, elle indique que les déclarations des témoins concernés constituent un élément déterminant pour apprécier la culpabilité des prévenus en cause et que son jugement dépendra, dans une très large mesure, du point de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure elle peut se fonder sur les informations que contiennent ces déclarations.
25 Elle précise que ladite disposition nationale tend à obvier au risque qu’un témoin ne pourra pas être interrogé lors de la phase judiciaire de la procédure pénale en prévoyant que celui-ci peut être interrogé, au cours de la phase préliminaire de cette procédure, devant un juge. Le rôle de ce dernier, qui ne dispose pas du dossier, consisterait, notamment, à garantir la légalité formelle de l’interrogatoire. Dans ce cas, lorsqu’un suspect a déjà été mis en examen, celui-ci serait informé de l’interrogatoire du témoin et se verrait offrir la possibilité d’y participer.
26 Cependant, ainsi que cela aurait été le cas en l’occurrence, cette réglementation nationale serait contournée en pratique. En effet, il suffirait que, lors de la phase préliminaire de la procédure pénale, l’interrogatoire du témoin soit mené devant un juge dans le délai de 24 heures compris entre l’arrestation du suspect et sa mise en examen, pour que ni ce dernier, dans la mesure où il n’a alors pas encore été mis en examen formellement, ni son avocat n’aient le droit d’y participer.
27 Dans ces conditions, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Est-il conforme à l’article 8, paragraphe 1, ainsi qu’à l’article 6, paragraphe 1, lu en combinaison avec les considérants 33 et 34, de la directive 2016/343 et l’article 47, paragraphe 2, de la Charte, qu’une législation nationale prévoie que le droit de la personne poursuivie pénalement d’assister à son procès est respecté et le procureur remplit correctement son obligation de prouver la culpabilité de la personne poursuivie si, dans la phase judiciaire de la procédure pénale, lorsque des raisons objectives font que des témoins ne peuvent pas être interrogés, sont admises au dossier les déclarations faites par ces témoins lors de la phase préliminaire de la procédure pénale (dès lors que ces témoins n’ont été interrogés que par l’accusation et sans participation de la défense, mais devant un juge, ou dès lors que l’accusation a pu, dès la phase préliminaire, garantir à la défense la possibilité de participer audit interrogatoire mais que celle-ci ne l’a pas fait) ? »
28 Par lettre du 5 août 2022, le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) a informé la Cour que, à la suite d’une modification législative entrée en vigueur le 27 juillet 2022, le Spetsializiran nakazatelen sad (tribunal pénal spécialisé) a été dissous et que certaines affaires pénales portées devant cette dernière juridiction, y compris l’affaire au principal, ont été transférées à compter de cette date au Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia).
Sur la question préjudicielle
29 À titre liminaire, il importe de rappeler que, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dans la mesure où celle-ci contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Or, ainsi qu’il ressort des explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17), l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, selon lequel le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé, correspond à l’article 6, paragraphe 3, de la CEDH. Par conséquent, la question préjudicielle doit également être examinée au regard de l’article 48, paragraphe 2, de la Charte.
30 Dans ces conditions, il convient de comprendre que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343, lus en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, et l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application d’une réglementation nationale qui permet à une juridiction nationale, lorsqu’il n’est pas possible d’interroger un témoin à charge lors de la phase judiciaire d’une procédure pénale, de fonder sa décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence de la personne poursuivie sur la déposition dudit témoin obtenue lors d’une audition menée devant un juge au cours de la phase préliminaire de cette procédure, mais sans la participation de la personne poursuivie ou de son avocat.
31 S’agissant, en premier lieu, de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2016/343, cette disposition prévoit que les États membres veillent à ce que l’accusation supporte la charge de la preuve visant à établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies.
32 Il est certes vrai que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2016/343, qui régit la répartition de la charge d’une telle preuve (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2019, Spetsializirana prokuratura, C‑653/19 PPU, EU:C:2019:1024, point 31), s’oppose, ainsi qu’il ressort du considérant 22 de cette directive, à ce que ladite charge soit transférée de l’accusation à la défense. Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 61 de ses conclusions, cet article 6, paragraphe 1, ne prescrit pas les modalités selon lesquelles l’accusation doit établir la culpabilité d’une personne poursuivie ni celles selon lesquelles cette personne doit, dans l’exercice de ses droits de la défense, être en mesure de contester les preuves apportées par l’accusation lors de la phase judiciaire de la procédure pénale.
33 Dans ces conditions, il convient de constater que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2016/343 ne s’applique pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.
34 S’agissant, en second lieu, de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343, cette disposition prévoit que les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d’assister à leur procès.
35 À cet égard, il importe de rappeler, d’une part, que, conformément à l’article 2 de la directive 2016/343, celle-ci s’applique aux personnes physiques qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales. Elle vise tous les stades de la procédure pénale, à partir du moment où une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale ou une infraction pénale alléguée, ou est poursuivie à ce titre, jusqu’à ce que la décision finale visant à déterminer si cette personne a commis l’infraction pénale concernée soit devenue définitive.
36 D’autre part, il découle de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343, lu à la lumière des considérants 36 et 41 de celle-ci, que, en vertu de son droit d’assister à son procès, une personne poursuivie doit être en mesure de comparaître en personne aux audiences qui se tiennent dans le cadre du procès dont elle fait l’objet.
37 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, en substance, au point 38 de ses conclusions, la juridiction de renvoi s’interroge sur le contenu et les modalités d’exercice, lors de la phase judiciaire de la procédure pénale, du droit d’assister à son procès. En effet, il est certes vrai que la prise en compte, aux fins de la décision sur la culpabilité ou l’innocence d’une personne poursuivie, de la déclaration d’un témoin à charge interrogé en l’absence de cette personne et de son avocat lors de la phase préliminaire de la procédure pénale, sans que ces derniers aient la possibilité d’interroger ou de faire interroger ce témoin lors de la phase judiciaire de cette procédure, ne prive pas la personne poursuivie de la possibilité de comparaître en personne aux audiences qui se tiennent dans le cadre du procès dont elle fait l’objet. Toutefois, en pareille hypothèse, le rôle de la personne poursuivie se limite à assister passivement à la lecture du contenu des déclarations faites par ce témoin telles que consignées dans le procès-verbal d’une audition à laquelle elle n’a pas pu participer lors de la phase préliminaire de la procédure pénale.
38 Dans ces conditions, il convient, dans un premier temps, de déterminer si, outre le droit de comparaître en personne aux audiences qui se tiennent dans le cadre du procès dont une personne poursuivie fait l’objet, le droit d’assister à son procès, consacré à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343, confère également à cette personne le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge lors de la phase judiciaire de la procédure pénale.
39 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes du considérant 47 de la directive 2016/343, celle-ci respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus par la Charte et par la CEDH, y compris le droit à un procès équitable, la présomption d’innocence et les droits de la défense.
40 Ainsi qu’il ressort du considérant 33 de cette directive, le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’assister à leur procès repose sur le droit à un procès équitable, lequel est consacré à l’article 6 de la CEDH, auquel correspondent, comme le précisent les explications relatives à la Charte, l’article 47, deuxième et troisième alinéas, ainsi que l’article 48 de celle-ci. La Cour doit, dès lors, veiller à ce que l’interprétation qu’elle livre de ces dernières dispositions assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti par l’article 6 de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme [arrêt du 15 septembre 2022, DD (Réitération de l’audition d’un témoin), C‑347/21, EU:C:2022:692, point 31 et jurisprudence citée].
41 À ce propos, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la comparution d’une personne poursuivie revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable, l’obligation de garantir à cette personne le droit d’être présent dans la salle d’audience étant, à cet égard, l’un des éléments essentiels de l’article 6 de la CEDH (voir, en ce sens, Cour EDH, arrêt du 18 octobre 2006, Hermi c. Italie, CE:ECHR:2006:1018JUD001811402, § 58).
42 Plus particulièrement, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, eu égard aux droits de la défense garantis, notamment, par l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la CEDH, la faculté pour la personne poursuivie de prendre part à l’audience implique le droit de cette personne de participer effectivement à son procès (voir, en ce sens, Cour EDH, 5 octobre 2006, Marcello Viola c. Italie, CE:ECHR:2006:1005JUD004510604, § 52 et 53, ainsi que Cour EDH, 15 décembre 2011, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2011:1215JUD002676605, § 142), le droit d’une telle personne d’interroger ou faire interroger les témoins à charge, visé par cette disposition, constituant un aspect spécifique du droit à un procès équitable garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (voir, en ce sens, Cour EDH, 19 février 2013, Gani c. Espagne, CE:ECHR:2013:0219JUD006180008, § 36).
43 En outre, la Cour a relevé que la possibilité pour une personne poursuivie d’être confrontée aux témoins en la présence du juge qui, au bout du compte, décide de la culpabilité ou de l’innocence de cette personne, constitue l’un des éléments importants d’un procès pénal équitable, l’évaluation de la crédibilité d’un témoin étant une tâche complexe, qui, normalement, ne peut pas être accomplie par le biais d’une simple lecture du contenu des déclarations de celui-ci, telles que consignées dans les procès-verbaux des auditions (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Gambino et Hyka, C‑38/18, EU:C:2019:628, points 42 et 43).
44 Il découle des considérations qui précèdent que le droit d’assister à son procès, consacré à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343, doit être garanti de manière à ce qu’il puisse être exercé, lors de la phase judiciaire de la procédure pénale, selon des modalités qui sont conformes aux exigences d’un procès équitable. Ainsi, ce droit ne se limite pas à garantir la simple présence de la personne poursuivie lors des audiences qui se tiennent dans le cadre du procès dont elle fait l’objet, mais exige que cette personne soit en mesure de participer effectivement à celui-ci et d’exercer, à cet effet, les droits de la défense, parmi lesquels figure le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge lors de cette phase judiciaire.
45 En effet, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 43 de ses conclusions, une interprétation plus restrictive de l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343 en ce sens que le droit d’assister à son procès se limiterait à garantir que la personne poursuivie puisse assister en personne aux audiences qui se tiennent dans le cadre du procès dont elle fait l’objet aurait pour conséquence de priver le droit fondamental au procès équitable de son contenu essentiel.
46 Dans ces conditions, il convient, dans un second temps, de déterminer si l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343, lu en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, et l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, s’oppose à ce qu’un juge pénal applique une réglementation nationale en vertu de laquelle, lorsqu’un témoin est, pour des raisons objectives, dans l’impossibilité d’assister à la phase judiciaire de la procédure pénale, ce juge peut donner lecture des déclarations, effectuées par ce témoin devant un juge au cours de la phase préliminaire de la procédure, afin de statuer sur la culpabilité ou l’innocence de la personne poursuivie, y compris lorsque celle-ci n’a pas été mise en examen au moment où l’audition de ce témoin a eu lieu et que ni elle ni son avocat n’ont pu y participer.
47 Or, l’application d’une telle réglementation nationale est susceptible de porter atteinte au droit d’assister à son procès, tel que défini au point 44 du présent arrêt.
48 Il appartient ainsi à la juridiction de renvoi d’apprécier, conformément aux éléments d’interprétation fournis par la Cour, si l’application de la réglementation nationale en cause dans l’affaire au principal est compatible avec lesdites dispositions du droit de l’Union.
49 Il convient, en effet, de rappeler que l’article 267 TFUE habilite la Cour non pas à appliquer les règles du droit de l’Union à une espèce déterminée, mais seulement à se prononcer sur l’interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l’Union. Conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut cependant, dans le cadre de la coopération judiciaire instaurée à cet article, à partir des éléments du dossier, fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets de telle ou telle disposition de celui-ci [arrêt du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 96 ainsi que jurisprudence citée].
50 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des limitations peuvent être apportées à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que ces limitations soient prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
51 En premier lieu, en ce qui concerne l’exigence selon laquelle toute limitation de l’exercice des droits fondamentaux doit être prévue par la loi, celle-ci implique que la possibilité de tenir compte des déclarations de témoins absents doit être prévue par le cadre légal national pertinent. Sous réserve des appréciations incombant à cet égard à la juridiction de renvoi, tel paraît être le cas dans le litige au principal.
52 En deuxième lieu, en ce qui concerne le respect du contenu essentiel des droits fondamentaux de la personne poursuivie, il y a lieu de considérer que ce contenu essentiel est respecté pour autant que des déclarations de témoins absents puissent uniquement être prises en compte dans des circonstances limitées, pour des motifs légitimes et dans le respect de l’équité de la procédure pénale prise dans sa globalité.
53 À cet égard, il importe de préciser qu’une telle appréciation est conforme à la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il ressort que l’emploi à titre de preuve de dépositions de témoins recueillies lors de la phase préliminaire de la procédure pénale n’est pas, en soi, incompatible avec l’article 6, paragraphe 1, et paragraphe 3, sous d), de la CEDH, sous réserve du respect des droits de la défense, ceux-ci exigeant, en règle générale, de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 décembre 2015, Schatschaschwili c. Allemagne, CE:ECHR:2015:1215JUD000915410, § 105 et jurisprudence citée).
54 En troisième lieu, s’agissant du respect du principe de proportionnalité, celui-ci exige que les limitations qui peuvent notamment être apportées par des actes du droit de l’Union à des droits et libertés consacrés dans la Charte ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la satisfaction des objectifs légitimes poursuivis ou du besoin de protection des droits et libertés d’autrui, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C‑694/20, point 41 et jurisprudence citée).
55 Afin de vérifier le respect de ce principe, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer s’il existe un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin et si, dans la mesure où la déposition de ce dernier pourrait constituer le fondement unique ou déterminant d’une éventuelle condamnation de la personne poursuivie, il existe des éléments compensateurs, notamment des garanties procédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à cette personne et à son avocat du fait de la prise en compte de ladite déposition et pour assurer le caractère équitable de la procédure pénale dans son ensemble (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 décembre 2011, Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2011:1215JUD002676605, § 152 ; Cour EDH, 15 décembre 2015, Schatschaschwili c. Allemagne, CE:ECHR:2015:1215JUD000915410, § 107, ainsi que Cour EDH, 7 juin 2018, Dimitrov et Momin c. Bulgarie, CE:ECHR:2018:0607JUD003513208, § 52).
56 À cet égard, il appartient, tout d’abord, à la juridiction de renvoi de vérifier si l’absence d’un témoin à charge lors de la phase judiciaire de la procédure pénale est justifiée par un motif sérieux tel que le décès, l’état de santé, la crainte de témoigner ou l’impossibilité de le localiser, cette juridiction étant tenue, quant à cette dernière hypothèse, de déployer tous les efforts que l’on peut raisonnablement attendre d’elle pour assurer la comparution de ce témoin (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 décembre 2015, Schatschaschwili c. Allemagne, CE:ECHR:2015:1215JUD000915410, § 119 à 121 ainsi que jurisprudence citée).
57 Ensuite, il doit être considéré que la déposition d’un témoin absent lors de la phase judiciaire de la procédure pénale, lorsqu’elle est admise en tant que preuve lors de cette phase mais recueillie antérieurement à celle-ci, constituerait le fondement unique de la condamnation de la personne poursuivie si cette preuve testimoniale était la seule à peser contre elle. Ce fondement devrait être regardé comme déterminant dans l’hypothèse où ladite preuve testimoniale serait d’une importance telle qu’elle serait susceptible d’emporter la décision sur l’affaire, étant entendu que si la déposition du témoin absent est susceptible d’être corroborée par d’autres éléments de preuve, l’appréciation du caractère déterminant de cette déposition dépend de la force probante de ces autres éléments, plus celle-ci étant importante, moins la déposition du témoin absent étant susceptible d’être considérée comme déterminante (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 décembre 2015, Schatschaschwili c. Allemagne, CE:ECHR:2015:1215JUD000915410, § 123 et jurisprudence citée).
58 Enfin, pour ce qui est de l’existence d’éléments compensateurs, de tels éléments doivent permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité d’un témoignage non vérifié et concernent, plus particulièrement, la manière dont la juridiction de jugement apprécie la déposition non vérifiée du témoin absent, la production de preuves concordantes lors de la phase judiciaire de la procédure pénale et leur force probante, ainsi que les mesures procédurales prises pour compenser le fait que le témoin n’ait pas pu être directement contre-interrogé lors de la phase judiciaire de la procédure pénale (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 décembre 2015, Schatschaschwili c. Allemagne, CE:ECHR:2015:1215JUD000915410, § 125 à 131 ainsi que jurisprudence citée, et Cour EDH, 7 juin 2018, Dimitrov et Momin c. Bulgarie, CE:ECHR:2018:0607JUD003513208, § 53). S’agissant de ce dernier aspect, une garantie procédurale susceptible de compenser les difficultés causées à la défense du fait de l’absence du témoin lors de la phase judiciaire de la procédure pénale peut consister à avoir donné à cette personne ou à son avocat la possibilité d’interroger un témoin au stade de la phase préliminaire de cette procédure (voir, en ce sens, Cour EDH, 10 février 2022, Al Alo c. Slovaquie, CE:ECHR:2022:0210JUD003208419, § 56 et jurisprudence citée).
59 En l’occurrence, il convient, premièrement, de rappeler que l’impossibilité de localiser un témoin en vue de sa convocation lors de la phase judiciaire de la procédure pénale constitue, en principe, un motif sérieux, au sens de la jurisprudence rappelée au point 56 du présent arrêt, notamment lorsque ce témoin ne réside plus sur le territoire de l’État membre concerné et que les tentatives pour le localiser, notamment par le biais d’Interpol, sont restées infructueuses.
60 Deuxièmement, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si, en cas de condamnation des prévenus en cause, sa décision pourrait être fondée exclusivement ou de manière déterminante, au sens de la jurisprudence rappelée au point 57 du présent arrêt, sur les dépositions faites par les témoins concernés lors de la phase préliminaire de la procédure pénale.
61 Troisièmement, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer s’il existe, en l’occurrence, des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées aux prévenus en cause et à leur défense du fait de la prise en compte éventuelle, à titre de preuve, des dépositions faites par les témoins concernés lors de la phase préliminaire de la procédure pénale, au sens de la jurisprudence rappelée au point 58 du présent arrêt, notamment la possibilité pour les prévenus en cause et leur défense d’interroger les témoins concernés lors de la phase préliminaire de la procédure pénale et l’existence d’une voie de recours contre une éventuelle décision de refus.
62 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343, lu en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, et l’article 48, paragraphe 2, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’application d’une réglementation nationale qui permet à une juridiction nationale, lorsqu’il n’est pas possible d’interroger un témoin à charge lors de la phase judiciaire d’une procédure pénale, de fonder sa décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence de la personne poursuivie sur la déposition dudit témoin obtenue lors d’une audition menée devant un juge au cours de la phase préliminaire de cette procédure, mais sans la participation de la personne poursuivie ou de son avocat, à moins qu’il n’existe un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin lors de la phase judiciaire de la procédure pénale, que la déposition de ce témoin ne constitue pas le fondement unique ou déterminant de la condamnation de la personne poursuivie et qu’il existe des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à cette personne et à son avocat du fait de la prise en compte de ladite déposition.
Sur les dépens
63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 8, paragraphe 1, de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales, lu en combinaison avec l’article 47, deuxième alinéa, et l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à l’application d’une réglementation nationale qui permet à une juridiction nationale, lorsqu’il n’est pas possible d’interroger un témoin à charge lors de la phase judiciaire d’une procédure pénale, de fonder sa décision statuant sur la culpabilité ou l’innocence de la personne poursuivie sur la déposition dudit témoin obtenue lors d’une audition menée devant un juge au cours de la phase préliminaire de cette procédure, mais sans la participation de la personne poursuivie ou de son avocat, à moins qu’il n’existe un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoin lors de la phase judiciaire de la procédure pénale, que la déposition de ce témoin ne constitue pas le fondement unique ou déterminant de la condamnation de la personne poursuivie et qu’il existe des éléments compensateurs suffisants pour contrebalancer les difficultés causées à cette personne et à son avocat du fait de la prise en compte de ladite déposition.
Signatures
* Langue de procédure : le bulgare.
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