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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> D.V. (Honoraires d'avocat - Principe du tarif horaire) (Unfair terms in consumer contracts - Contractual term fixing the amount of remuneration due for the provision of legal services in accordance with the hourly rate principle - Opinion) French Text [2022] EUECJ C-395/21_O (22 September 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C39521_O.html Cite as: ECLI:EU:C:2022:715, EU:C:2022:715, [2022] EUECJ C-395/21_O |
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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 22 septembre 2022 (1)
Affaire C‑395/21
D.V.
contre
M.A.
[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie)]
« Renvoi préjudiciel – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Directive 93/13/CEE – Clause contractuelle fixant le montant de la rémunération due au titre de prestations de services juridiques selon le principe du tarif horaire »
I. Introduction
1. La présente demande de décision préjudicielle est formulée dans le cadre d’une action en paiement de la rémunération que réclame une personne exerçant la profession d’avocate au titre de prestations de services juridiques fournies à un consommateur.
2. Nourrissant des doutes quant à la possibilité de considérer les clauses des contrats litigieux relatives à la rémunération de services juridiques comme des clauses abusives au sens de la directive 93/13/CEE (2), la juridiction de renvoi a posé six questions préjudicielles à la Cour sur l’interprétation des dispositions de cette directive. À la demande de la Cour, les présentes conclusions se bornent à l’analyse des cinquième et sixième questions préjudicielles.
3. Les cinquième et sixième questions préjudicielles sont formulées dans l’hypothèse où la Cour répondrait aux quatre premières questions préjudicielles en ce sens que les clauses des contrats litigieux concernant la rémunération des services juridiques doivent être considérées comme abusives. La juridiction de renvoi estime que les contrats litigieux ne peuvent subsister une fois ces clauses supprimées. Les cinquième et sixième questions préjudicielles concernent les conséquences qui, sans préjudice de la directive 93/13, peuvent être tirées de la constatation du caractère abusif de ces clauses lorsque les services juridiques ont déjà été fournis.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
4. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :
« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »
5. L’article 7, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »
B. Le droit lituanien
6. Les dispositions de la directive 93/13 ont été transposées dans le Lietuvos Respublikos Civilinis kodeksas (code civil de la République de Lituanie). Il ressort de ce code que si une clause contractuelle est déclarée abusive par un tribunal, cette clause est nulle dès la conclusion du contrat, les autres clauses restant cependant contraignantes pour les parties dès lors que le contrat peut subsister.
7. L’article 50, paragraphe 3, de l’Advokatūros įstatymas (loi relative à la profession d’avocat) du 18 mars 2004 (Žin., 2004, no 50‑1632) prévoit :
« Pour établir le montant de la rémunération de l’avocat au titre des services juridiques, il convient de prendre en compte la complexité de l’affaire, les qualifications et l’expérience de l’avocat, la situation financière du client et les autres circonstances importantes. »
8. Des recommandations relatives au montant maximal des honoraires pour les prestations de services juridiques assurées par un avocat ou un avocat stagiaire dans les affaires civiles ont été approuvées par le décret no 1R-85 du ministre de la Justice de la République de Lituanie du 2 avril 2004, ainsi que par la résolution de l’Ordre des barreaux lituaniens du 26 mars 2004 (dans sa version en vigueur à compter du 20 mars 2015). Ces recommandations sont applicables lors de l’allocation des dépens conformément aux dispositions du code de procédure civile.
III. Les faits à l’origine du litige au principal
9. Le défendeur au principal a conclu cinq contrats de prestations de services juridiques avec la requérante au principal. Il s’agissait de représenter le défendeur au principal i) dans une affaire civile visant à établir que certains biens relèvent du régime de la copropriété, ii) dans une affaire civile en matière de résidence d’enfants mineurs, de modalités de communication avec ceux-ci et de fixation de la pension alimentaire, iii) devant le commissariat de police et le parquet à propos de l’ouverture d’une instruction et iv) au cours de cette instruction devant ces autorités, ainsi que v) dans une affaire de divorce.
10. Ces contrats prévoient que l’avocat s’engage à fournir des consultations orales ou écrites, à préparer et à signer des projets de documents juridiques, à réaliser des expertises juridiques des documents et à représenter le client devant divers organismes, en réalisant les actes s’y rapportant.
11. Les contrats susmentionnés prévoient également que le montant des honoraires de l’avocate est de 100 euros pour chaque heure de consultation donnée au client ou de prestation de services juridiques. Une partie de ces honoraires était payable dès présentation d’une facture de services juridiques, compte tenu des heures effectuées en consultations ou en prestations de services juridiques.
12. En outre, conformément aux différents contrats, le défendeur au principal était tenu de verser certaines avances sur honoraires. C’est à ce titre qu’il a payé la somme de 5 600 euros.
13. La requérante au principal a fourni des services des mois d’avril à décembre 2018 et des mois de janvier à mars 2019.
14. Les 21 et 26 mars 2019, elle a présenté des factures pour les services juridiques qu’elle avait fournis au défendeur au principal.
15. Le 10 avril 2019, la requérante au principal a demandé au tribunal de première instance de condamner le défendeur au principal à lui verser la somme de 9 900 euros au titre des services juridiques fournis et la somme de 194,30 euros au titre des frais qu’elle avait encourus, majorées des intérêts et des dépens.
16. Le tribunal de première instance a estimé que la requérante au principal avait fourni des services correspondant à un montant d’honoraires de 12 900 euros. Il a concomitamment jugé que les clauses contractuelles relatives à la rémunération des prestations de services juridiques étaient abusives et a réduit le montant de la rémunération de moitié, à 6 450 euros.
17. Étant entendu que le défendeur au principal avait déjà versé 5 600 euros à la requérante au principal, le tribunal de première instance a accordé à celle-ci la somme de 850 euros, ainsi que 194,30 euros pour les frais encourus. Il a également statué sur les intérêts et les dépens.
18. La requérante au principal a contesté le jugement de première instance. Celui-ci a été confirmé par une décision de la juridiction saisie en appel, contre laquelle la requérante au principal s’est pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi.
19. Selon la juridiction de renvoi, deux clauses des contrats litigieux sont fondamentales pour la résolution du litige entre les parties : i) celle concernant la détermination du coût des services effectivement fournis sur la base d’un taux horaire et ii) celle relative aux modalités de paiement des services juridiques. Dès lors que le contrat mentionne un taux horaire, mais ne précise pas plus en détail l’étendue et la durée des services juridiques concrets et les honoraires finaux attendus, le consommateur n’a peut-être pas, selon elle, été en mesure d’apprécier l’ampleur des services qui lui étaient nécessaires et leur coût final.
20. Bien que, dans certains passages de sa demande préjudicielle, la juridiction de renvoi semble, en se référant à ces clauses, opérer une distinction entre celle relative au taux horaire et celle concernant les modalités de paiement des services juridiques, je ne les traiterai pas séparément dans les présentes conclusions, mais les désignerai comme la clause relative à la rémunération.
21. Les cinquième et sixième questions préjudicielles concernent les conséquences qui, sans enfreindre la directive 93/13, peuvent être tirées de la constatation du caractère abusif de la clause relative à la rémunération. À cet égard, la juridiction de renvoi estime que, en l’absence de celle-ci, les contrats litigieux ne peuvent subsister et doivent donc être déclarés nuls.
22. Selon la juridiction de renvoi, la conséquence qui s’impose à la lumière de la jurisprudence relative à la directive 93/13 est celle aboutissant à une situation dans laquelle la clause relative à la rémunération serait considérée comme n’ayant jamais lié le consommateur. Il en résulterait que le juge national pourrait refuser d’allouer à l’avocat une rétribution au titre de la fourniture de services juridiques.
23. La juridiction de renvoi se demande toutefois, en premier lieu, si le fait de tirer une telle conséquence de la constatation du caractère abusif des clauses des contrats litigieux n’est pas contraire au principe selon lequel les contrats de services sont conclus à titre onéreux. En second lieu, et tout en admettant qu’une pareille conséquence constitue une sanction appropriée pour un professionnel ayant fait usage de clauses abusives, elle nourrit des doutes quant au point de savoir si une telle sanction, lorsque l’avocat ne perçoit aucune rémunération en contrepartie des services fournis, ne conduirait pas à un enrichissement sans cause du consommateur et à un résultat manifestement inéquitable.
24. Quant à la possibilité d’allouer des honoraires d’un certain montant à l’avocat, la juridiction de renvoi se demande si, en considérant que le fait de déclarer abusive une clause relative au prix du contrat permet au juge de réduire le prix des services fournis ou de rémunérer ces services à leur coût unitaire ou au prix le plus bas possible du marché, la jurisprudence des juridictions nationales n’élimine pas l’effet dissuasif et si, en tant que telle, cette jurisprudence n’est pas contraire à l’objectif poursuivi de longue date par l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13.
IV. La procédure devant la Cour et les questions préjudicielles
25. C’est dans ces conditions que, par ordonnance du 23 juin 2021, parvenue à la Cour le 28 juin 2021, le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour six questions préjudicielles. À la demande de la Cour, les présentes conclusions portent sur les cinquième et sixième questions préjudicielles, qui sont libellées comme suit :
« 5) Le fait qu’un contrat de services juridiques n’est pas contraignant lorsqu’une clause contractuelle relative au prix a été déclarée abusive, comme le prévoit l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, implique-t-il qu’il convient de rétablir la situation dans laquelle le consommateur se serait trouvé si la clause qui a été déclarée abusive n’avait jamais existé ? Le rétablissement de cette situation signifierait-il que le consommateur n’a pas l’obligation de régler les services déjà fournis ?
6) Si la nature du contrat de services rémunérés a pour conséquence qu’il est impossible de rétablir la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur si la clause qui a été déclarée abusive n’avait jamais existé (les services ayant déjà été fournis), l’établissement de la rémunération de l’avocat au titre des services fournis ne serait-il pas contraire à l’objectif de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ? Si la réponse à cette question est négative, l’équilibre effectif, par lequel l’égalité des parties au contrat est assurée, serait-il atteint :
i) si l’avocat était rémunéré au titre des services fournis selon un taux horaire prévu par le contrat ;
ii) si l’avocat était [rémunéré] selon un tarif minimal des services juridiques (par exemple, celui prévu par un acte de droit national ou par les recommandations sur le montant maximal de la rémunération au titre de l’assistance apportée par l’avocat) ; ou
iii) si un niveau de rémunération raisonnable au titre des services, fixé par la juridiction, était versé à l’avocat compte tenu de la complexité de l’affaire, des qualifications et de l’expérience de l’avocat, de la situation financière du client et des autres circonstances importantes ? »
26. La requérante au principal, les gouvernements lituanien et allemand ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Il n’y a pas eu d’audience de plaidoiries.
V. Analyse
27. Par ses cinquième et sixième questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’un contrat de prestations de services juridiques conclu par un consommateur avec un professionnel ne peut pas subsister après la suppression d’une clause abusive relative à la rémunération de ces prestations et que les services ont été fournis, ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale, au lieu d’allouer à ce professionnel une rémunération d’un certain montant au titre des services juridiques fournis, rejette dans son intégralité l’action en paiement introduite par ce professionnel contre le consommateur.
28. Il convient de préciser que les juridictions de première et de deuxième instance, dans le cadre de l’affaire au principal, ont réduit de moitié la rémunération des services juridiques fournis (3). Bien que la juridiction de renvoi soit saisie d’un pourvoi en cassation formé contre la décision de la juridiction de deuxième instance, les cinquième et sixième questions préjudicielles ne se bornent pas à la question de savoir si la directive 93/13 s’oppose à une telle réduction des honoraires.
29. Il est vrai que, dans les motifs de sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi indique avoir des doutes quant à la compatibilité avec la directive 93/13 de la jurisprudence des juridictions nationales qui, outre la rémunération de ces services à leur coût unitaire ou au prix le plus bas possible du marché, permet de diminuer la rémunération des services fournis (4).
30. La cinquième question préjudicielle vise en revanche uniquement à déterminer si, à la lumière de la directive 93/13, la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle, qui entraîne l’annulation du contrat dans son ensemble, peut conduire à ce que le professionnel ne perçoive aucune rémunération pour les services juridiques fournis.
31. Quant à la sixième question préjudicielle, la juridiction de renvoi y énumère trois hypothèses envisageables en ce qui concerne la détermination du montant de cette rémunération, à savoir sur la base i) des contrats litigieux, ii) du coût minimal des services juridiques, déterminé conformément à un acte de droit national (5) ou iii) de circonstances permettant de fixer cette rémunération à un montant « raisonnable ». La juridiction de renvoi ne précise pas, à cet égard, si les hypothèses qu’elle envisage consistent à maintenir les contrats litigieux et à en modifier le contenu ou à statuer sur la rémunération des services juridiques sur la base d’autres dispositions du droit lituanien relatives aux prestations fournies sans base légale.
32. La demande de décision préjudicielle ne contient aucune information quant à l’étendue du contrôle que doit effectuer la juridiction de renvoi lors de l’examen du pourvoi en cassation. En tout état de cause, les cinquième et sixième questions préjudicielles portent sur la même problématique dont a été saisie cette juridiction. Il s’agit des conséquences qu’emporte la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle entraînant la nullité du contrat. Je propose donc d’examiner ces questions ensemble.
33. Avant d’analyser les questions préjudicielles, j’exposerai les positions présentées par les intéressés dans leurs observations écrites. J’examinerai ensuite la jurisprudence de la Cour sur les conséquences de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle, ainsi que la pertinence de cette jurisprudence pour la présente affaire. Sur cette base, je formulerai une proposition de réponse aux questions posées.
A. Positions des intéressés
34. La requérante au principal estime que les clauses des contrats litigieux relatives à la rémunération des prestations de services juridiques portent sur l’« objet principal du contrat », au sens de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13, qu’elles sont rédigées de façon claire et compréhensible et que, en tant que telles, elles ne peuvent faire l’objet d’un examen visant à déterminer si elles présentent ou non un caractère abusif.
35. Ce n’est donc qu’à titre subsidiaire que la requérante au principal prend position sur les cinquième et sixième questions préjudicielles. Elle estime que, comme les services juridiques ont déjà été fournis en exécution des contrats litigieux, il est impossible, du fait de la nature du contrat de fourniture de services à titre onéreux, de rétablir la situation dans laquelle le consommateur se serait trouvé si cette clause n’y avait pas figuré. Une interprétation contraire, permettant à la juridiction nationale de requalifier le rapport juridique entre les parties et de le transformer en un contrat de prestations de services à titre gratuit, porterait atteinte à la substance des contrats litigieux. La requérante au principal semble en même temps faire valoir qu’une réduction du montant de la rémunération, telle que celle opérée par la juridiction de première instance, n’a pas pour conséquence d’affaiblir l’effet dissuasif requis par la directive 93/13.
36. La position du gouvernement allemand est dans le même esprit, et ce n’est également qu’à titre subsidiaire que celui-ci examine la sixième question préjudicielle. Selon ce gouvernement, une clause abusive concernant la rémunération de prestations de services juridiques peut être remplacée par une disposition supplétive relative à la rémunération de tels services.
37. Le gouvernement lituanien estime, quant à lui, que lorsqu’un avocat a fourni des services juridiques dans le cadre de l’exécution d’un contrat dont les clauses ont été jugées abusives, il doit se voir accorder par la juridiction nationale une rémunération tenant compte des circonstances de l’affaire, de son degré de complexité, de la compétence et de l’expérience de l’avocat, de la situation financière du client ainsi que d’autres éléments pertinents, en vue de prévenir l’utilisation de clauses abusives.
38. La Commission est d’un avis différent. Elle considère que les clauses contractuelles relatives à la rémunération qui ont été déclarées abusives ne peuvent pas produire d’effet juridique. En se référant à la jurisprudence de la Cour selon laquelle le juge national peut prévenir l’annulation du contrat en substituant à une clause abusive une disposition de droit national à caractère supplétif, afin de ne pas exposer le consommateur à des « conséquences particulièrement préjudiciables », la Commission estime qu’il n’y a pas lieu, en l’espèce, de recourir à la solution dégagée dans cette jurisprudence. Selon elle, il n’y a aucune raison de croire que l’annulation des contrats litigieux pourrait avoir de telles « conséquences » pour le consommateur.
B. La jurisprudence relative aux conséquences de la suppression d’une clause contractuelle abusive lorsque le contrat peut subsister sans cette clause
39. Il résulte d’une jurisprudence constante que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 s’oppose à ce que, lorsqu’un contrat peut subsister après la suppression d’une clause contractuelle abusive, une juridiction nationale puisse modifier le contenu de cette clause au lieu d’en écarter simplement l’application à l’égard de l’appréciation des droits et obligations des parties à un contrat conclu avec un consommateur (6). Le juge national ne saurait non plus, en principe, appliquer, en lieu et place d’une clause abusive, une disposition de droit national à caractère supplétif qui régit les droits et les obligations des parties visées par cette clause.
40. C’est ce que confirme l’arrêt Dexia Nederland (7), dans lequel la Cour a précisé que la directive 93/13 s’oppose à ce que, après qu’une clause prévoyant le versement d’une indemnité à un professionnel en cas d’inexécution par le consommateur de ses obligations contractuelles a été considérée comme abusive, ce professionnel puisse réclamer le versement de l’indemnité légale prévue par une disposition de droit national à caractère supplétif qui aurait été applicable en l’absence de cette clause abusive.
41. L’obligation pour le juge national d’écarter une clause contractuelle abusive imposant le paiement de sommes qui se révèlent indues emporte, en principe, un effet restitutoire correspondant en ce qui concerne ces mêmes sommes.
42. La jurisprudence de la Cour relative aux demandes de restitution concerne essentiellement des demandes dirigées par des consommateurs à l’encontre de professionnels. Cela peut s’expliquer par le libellé de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, qui impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives « ne lient pas les consommateurs », et non pas qu’elles ne lient pas non plus les professionnels. La Cour souligne que la constatation du caractère abusif d’une clause doit, au moins en principe, avoir pour conséquence le rétablissement de la situation en droit et en fait du consommateur dans laquelle il se serait trouvé en l’absence de cette clause (article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13) (8). L’objectif n’est pas tant de réaliser une équivalence des prestations entre le consommateur et le professionnel, mais de garantir que la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle ne soit pas purement symbolique et que le consommateur ne continue pas à supporter les conséquences de l’insertion dans le contrat d’une clause qui crée des droits et des obligations pour les parties au détriment de ses intérêts. La Cour ajoute, par ailleurs, que l’absence d’effet restitutoire serait susceptible de remettre en cause l’effet dissuasif grâce auquel la directive vise à assurer que les professionnels n’utilisent pas de clauses contractuelles abusives (article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci) (9).
43. Il est vrai que, dans son arrêt Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (10), la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, en cas de nullité d’une clause contractuelle abusive imposant le paiement de la totalité des frais de constitution et de mainlevée d’hypothèque par le consommateur, le juge national refuse la restitution au consommateur des montants payés en application de cette clause, à moins que les dispositions du droit national qui trouveraient à s’appliquer en l’absence de ladite clause imposent au consommateur le paiement de la totalité ou d’une partie de ces frais.
44. Bien que l’arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578) soulève quelques questions d’interprétation en doctrine (11), il semble qu’il faille, dans un souci de cohérence avec la jurisprudence relative à la directive 93/13, le comprendre comme visant les demandes de restitution et non la substitution d’une disposition supplétive à une clause contractuelle ou une modification du contenu du contrat. Il semble qu’il s’agissait de demandes de restitution en vue du remboursement de dépenses qui avaient pour destinataires finaux non pas le professionnel partie au contrat (même si, indirectement, les fonds destinés à financer ces dépenses devaient lui être versés), mais des tiers.
45. L’arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578) peut donc être interprété comme faisant référence à une clause imposant au consommateur de supporter l’intégralité des frais de constitution et de mainlevée de l’hypothèque. Comme une telle clause n’a aucun effet à l’égard du consommateur dans sa relation avec le professionnel, l’action en restitution peut être régie par les règles nationales prévoyant que le consommateur a l’obligation de supporter les coûts concernant des tiers. Dans une telle situation, faire droit à la demande restitutoire du consommateur exigerait en substance, contrairement à la jurisprudence, soit de remplacer la clause contractuelle par une disposition supplétive, soit de modifier le contenu de la clause litigieuse afin d’imposer au professionnel de libérer le consommateur d’une dette pesant sur ce dernier en vertu de ces dispositions nationales.
46. Indépendamment de l’interprétation qu’il convient de réserver à l’arrêt Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (12), on ne saurait en tirer de conclusions d’une trop grande portée pour la présente affaire. Il s’agissait de l’application d’une disposition nationale qui ne concernait pas les droits et obligations réciproques du professionnel et du consommateur, mais les obligations de ce dernier envers des tiers. Plus fondamentalement, cet arrêt concernait une situation dans laquelle le contrat pouvait subsister une fois supprimée la clause contractuelle abusive, alors que, dans la présente affaire, il paraît douteux que les contrats litigieux puissent subsister en l’absence de clause contractuelle concernant la rémunération.
C. La jurisprudence relative aux situations où le contrat ne peut subsister en vertu du droit national
47. Examinons la jurisprudence sur les conséquences de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle lorsque le contrat ne peut subsister sans cette clause en vertu du droit national. Il résulte de la demande de décision préjudicielle que, en l’absence de clause relative à la rémunération, l’exécution des contrats litigieux ne peut être poursuivie, ce qui entraîne leur nullité. C’est à la juridiction nationale qu’il appartient d’apprécier définitivement cette question (13).
48. Il ressort de la jurisprudence existante de la Cour que, si une juridiction nationale estime que, en application des dispositions pertinentes de son droit interne, le maintien d’un contrat sans les clauses abusives qu’il comporte n’est pas possible, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’oppose en principe pas à ce que ce contrat soit invalidé (14).
49. Les conséquences que l’invalidation du contrat entraîne pour le consommateur peuvent toutefois constituer un obstacle à cette invalidation.
50. Conformément à l’arrêt Kásler et Káslerné Rábai (15), qui a marqué le début d’une jurisprudence que la Cour a développée et précisée dans des décisions préjudicielles ultérieures, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que le juge national supprime la clause abusive en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif ou une disposition applicable en cas d’accord des parties. La possibilité d’une telle substitution est toutefois limitée par la jurisprudence au cas où, du fait de l’annulation du contrat, le consommateur pourrait être exposé à des « conséquences particulièrement préjudiciables » (16).
51. Aux clauses contractuelles abusives peuvent être substituées des dispositions reflétant l’équilibre que le législateur national a voulu établir entre l’ensemble des droits et des obligations des parties à certains contrats, dans le cas où les parties ne se sont pas écartées d’une règle standard prévue par le législateur national pour les contrats concernés. En revanche, les clauses contractuelles abusives ne peuvent être remplacées sur la seule base de dispositions nationales à caractère général qui n’ont pas fait l’objet d’une évaluation spécifique du législateur en vue d’établir cet équilibre entre l’ensemble des droits et obligations des parties au contrat et qui prévoient que les effets exprimés dans un acte juridique sont complétés, notamment, par les effets découlant du principe d’équité ou des usages (17).
52. Dans l’une de ses ordonnances, la Cour semble approuver la possibilité de préserver le consommateur de « conséquences particulièrement préjudiciables » en définissant – sur la base d’une décision du juge – les circonstances dans lesquelles le professionnel peut faire valoir les droits découlant de clauses contractuelles abusives d’une manière s’écartant de celles décrites dans le contrat (18).
53. Dans un souci de cohérence avec la jurisprudence ici évoquée, il me semble que l’ordonnance susmentionnée doit être comprise en ce sens que, en tout état de cause et dans un tel cas, il s’agit de définir ces circonstances qui sont propres à satisfaire aux exigences requises pour substituer des dispositions supplétives aux clauses contractuelles abusives, étant surtout entendu qu’une telle intervention du juge ne doit pas compromettre l’effet utile de la directive 93/13 et la réalisation des objectifs que celle-ci poursuit.
54. Ce raisonnement semble sous-tendre les considérations figurant dans l’arrêt Banca B. (19), dans lequel la Cour a relevé que la directive 93/13 ne vise pas à préconiser des solutions uniformes en ce qui concerne les conséquences à tirer de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle.
55. Le juge doit veiller, d’une part, à ce que puisse être rétablie l’égalité entre les parties au contrat que l’application d’une clause abusive à l’égard du consommateur aurait mise en péril. D’autre part, il y a lieu de s’assurer que le professionnel soit dissuadé d’insérer de telles clauses dans les contrats qu’il propose aux consommateurs (20).
56. En principe, ces objectifs poursuivis par la directive 93/13 peuvent être réalisés, « selon le cas et le cadre juridique national », par la simple non-application à l’égard du consommateur de la clause abusive concernée ou, lorsque le contrat n’aurait pas pu subsister sans cette clause, par la substitution à celle-ci de dispositions de droit national à caractère supplétif. Ces conséquences de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle n’ont pourtant pas un caractère exhaustif (21).
57. Ainsi, dans l’arrêt du 25 novembre 2020, Banca B. (C‑269/19, EU:C:2020:954), la Cour a précisé que, en l’absence de dispositions supplétives permettant de prévenir l’invalidation d’un contrat dans lequel figurent des clauses contractuelles abusives et dont l’annulation exposerait le consommateur à des « conséquences particulièrement préjudiciables », le juge national peut intervenir (et prendre « toutes les mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat de prêt en cause pourrait provoquer ») ; les pouvoirs du juge ne sauraient toutefois s’étendre au-delà de ce qui est strictement nécessaire afin de rétablir l’équilibre contractuel entre les parties au contrat et ainsi de protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat en cause pourrait provoquer, sans préjudice des objectifs poursuivis par la directive 93/13 (22). Il n’est pas permis de modifier ou de restreindre librement le contenu des clauses contractuelles abusives.
D. Les conséquences de la constatation du caractère abusif d’une clause relative à la rémunération de prestations de services juridiques
58. La jurisprudence initiée par l’arrêt Kásler a été établie dans le cadre d’affaires où, du fait de la nature monétaire des transferts entre les parties aux contrats et de la possibilité de demandes restitutoires, il apparaissait en principe possible de rétablir la situation qui aurait prévalu en l’absence de conclusion du contrat (23). Revenir à une telle situation emporterait toutefois des « conséquences particulièrement préjudiciables » pour le consommateur, précisément en raison des demandes de restitution et, surtout, de l’exigibilité immédiate de la demande de remboursement du capital octroyé par le professionnel au consommateur.
59. En effet, la protection accordée aux consommateurs par la directive 93/13 ne va pas jusqu’à imposer aux États membres l’obligation de supprimer, sans exception, tous les effets de l’acte juridique dans lequel une clause abusive a été insérée, comme si toutes les clauses du contrat en cause étaient abusives (24). C’est ce qui résulte de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, qui attache la sanction qui y est prévue à la clause contractuelle abusive et non à l’ensemble du contrat dans lequel celle-ci figure.
60. C’est au droit national, à tout le moins en principe, qu’il appartient de déterminer les effets qu’emporte l’invalidation d’un contrat sur les parties et, notamment, si et comment leur situation doit être rétablie dans celle qui aurait été la leur en l’absence de conclusion du contrat.
61. C’est en principe le droit national qui décide si, après la suppression d’une clause abusive, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, le contrat ne peut plus subsister. C’est également le droit national qui décide des conséquences qu’entraîne l’invalidité du contrat, bien que les conséquences de l’invalidité ne doivent pas porter atteinte à l’efficacité des dispositions de cette directive et entrer en conflit avec les objectifs que celle-ci poursuit.
62. Il résulte de l’arrêt Lombard Lízing (25) que, même si le juge national estime qu’il n’est pas possible de rétablir les parties dans la situation qui aurait été la leur si le contrat n’avait pas été conclu, alors que le droit national lui impose de le faire, l’ingérence du juge national dans les droits et les obligations des parties ne l’exonère pas de son obligation de veiller à ce que le consommateur se trouve en définitive dans la situation qui aurait été la sienne si la clause jugée abusive n’avait jamais existé.
63. De même qu’il appartient en définitive à la juridiction nationale d’examiner si l’annulation d’un contrat contenant des clauses considérées comme abusives expose le consommateur à des « conséquences particulièrement préjudiciables » (26), il appartient également à cette juridiction d’apprécier s’il est possible de rétablir la situation des parties dans celle qui aurait été la leur si ce contrat n’avait pas été conclu (27).
64. Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi semble laisser entendre que, eu égard à la nature des contrats de services juridiques en cause et compte tenu du fait que ces services ont été fournis, il n’est pas possible, dans le cadre du litige au principal, de rétablir la situation dans laquelle le consommateur se serait trouvé en l’absence de ces clauses abusives.
65. S’il y a lieu de comprendre cette suggestion en ce sens que le consommateur est en quelque sorte dans l’impossibilité de « restituer » les services qui lui ont été fournis, la question se pose de savoir si le droit national est compatible avec cet état de choses et si, par suite de l’annulation du contrat, il ne reconnaît aucun droit de créance à la partie ayant accompli ces services.
66. Si le droit national répond par l’affirmative à la question ainsi posée, la directive 93/13 n’exige pas de « sauver », d’une certaine manière, le contrat de l’annulation afin que le professionnel qui a inséré les clauses contractuelles abusives puisse obtenir une rémunération, sous le prétexte, en quelque sorte, d’assurer l’égalité des droits et des obligations entre les parties au contrat ou de rétablir la situation dans laquelle le consommateur se serait trouvé en l’absence de clause contractuelle abusive.
67. En premier lieu, les conséquences que le droit national attache à la nullité d’un contrat ne doivent pas porter atteinte à l’effectivité des dispositions de la directive 93/13 et entrer en conflit avec les objectifs poursuivis par cette directive (28). Son objectif est de protéger les consommateurs. Elle n’exige pas qu’un certain niveau de protection soit accordé aux professionnels en cas d’annulation de l’ensemble du contrat du fait de l’utilisation par ceux-ci de clauses contractuelles abusives.
68. En deuxième lieu, comme je l’ai déjà mentionné au point 42 des présentes conclusions, le rétablissement de la situation juridique et factuelle du consommateur consiste à faire en sorte que la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle ne soit pas symbolique, au détriment du consommateur.
69. En troisième lieu, une interprétation contraire de la directive 93/13 conduirait à une situation où les contrats comportant des clauses contractuelles abusives seraient systématiquement « complétés » par les juridictions nationales, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de dissuasion poursuivi par cette directive. C’est pourquoi, en vertu de la jurisprudence initiée par l’arrêt Kásler, la possibilité d’appliquer des dispositions supplétives en lieu et place des clauses contractuelles abusives est limitée aux situations dans lesquelles l’invalidation du contrat est susceptible d’entraîner des « conséquences particulièrement préjudiciables » pour le consommateur.
70. Toutefois, le simple fait qu’un consommateur ne puisse pas, en quelque sorte, « restituer » des services juridiques déjà fournis ne signifie pas nécessairement que le droit national n’attache aucune conséquence à la fourniture de ces services sur la base d’un contrat qui s’est révélé nul. La demande de décision préjudicielle ne comporte aucune information à ce sujet. Si le droit lituanien autorise ce type de règlement (29), la juridiction de renvoi sera néanmoins tenue d’examiner si l’annulation du contrat entraîne des « conséquences particulièrement préjudiciables ». Il convient donc de formuler quelques observations qui permettront à la juridiction de renvoi d’exclure qu’elle soit confrontée à une telle situation.
71. La nécessité de sauvegarder les intérêts du consommateur contre d’éventuelles « conséquences préjudiciables » doit être appréciée par rapport aux circonstances existantes ou prévisibles au moment du litige au cours duquel est soulevé le caractère abusif des clauses contractuelles (30). L’important est de savoir comment la situation de ce consommateur évoluera en vertu du droit matériel dans le contexte extrajudiciaire et judiciaire, ainsi que de savoir quelle sera sa situation procédurale dans d’autres procédures (31).
72. L’élimination des effets d’un acte juridique en exécution duquel un avocat a agi au nom et pour le compte de son client peut conduire à ce que la question de la fourniture de ces services doive être considérée au regard d’autres constructions juridiques qui, dans une situation spécifique et à la lumière du cadre juridique national, peuvent prévoir des droits concernant le règlement de ces services. Des constructions juridiques telles que l’enrichissement sans cause ou la gestion d’affaires (negotiorum gestio) peuvent entrer en ligne de compte. Les solutions adoptées par le droit national à cet égard peuvent varier. Elles peuvent consister dans le remboursement des dépenses et des frais engagés ou dans le paiement d’un montant correspondant au prix du marché pour la fourniture de ces services.
73. Pour constater que la résiliation d’un contrat de crédit entraîne des « conséquences particulièrement préjudiciables », il suffit généralement que cette résiliation emporte l’exigibilité immédiate de la créance du professionnel correspondant au remboursement du capital qu’il a accordé au consommateur. En revanche, s’agissant de l’annulation d’un contrat de services juridiques, la simple détermination de la façon dont se présenteront les règlements entre les parties peut requérir d’accomplir un certain nombre d’actes afin d’établir l’étendue des services fournis et d’estimer leur valeur.
74. Il est à cet égard difficile de supposer que ces actes puissent être accomplis par le consommateur lui-même. L’annulation d’un contrat de services juridiques qui ont déjà été exécutés peut placer le consommateur dans une situation d’insécurité juridique. Cet aspect est d’autant plus important que le caractère abusif de la clause des contrats en cause au principal est lié au fait que le consommateur n’a pas été en mesure d’évaluer le coût final des services juridiques. Par conséquent, si le droit national permet le règlement des services juridiques rendus en vertu d’un contrat qui s’est révélé nul, la suppression de la clause relative à la rémunération et l’annulation du contrat placent le consommateur dans une situation comparable à celle à laquelle la directive 93/13 entendait remédier.
75. Ainsi, dès lors que, dans une situation concrète et à la lumière du cadre juridique national, est autorisée quelque forme que ce soit de règlement des services juridiques rendus en vertu d’un contrat qui s’est révélé nul, il y a lieu de privilégier la conclusion selon laquelle l’annulation du contrat entraîne des « conséquences particulièrement préjudiciables » pour le consommateur.
76. En complément de ces observations, il convient de noter que les services juridiques peuvent consister à agir au nom et pour le compte d’un consommateur dans des procédures devant les tribunaux et d’autres autorités publiques. Un contrat de services juridiques peut servir de base au mandat conféré à un avocat de représenter un client dans ces procédures et d’agir en son nom. Cela pose la question de savoir si l’invalidité de ce contrat a une incidence sur la validité et l’efficacité des actes accomplis. C’est le droit national qui fournit la réponse à cette question. En cas de doute sur la validité ou l’efficacité de ces actes, il appartient à la juridiction nationale de considérer que l’invalidité du contrat entraîne des « conséquences particulièrement préjudiciables » pour le consommateur.
77. Si, à la lumière des considérations précédemment exposées dans les présentes conclusions, la juridiction de renvoi constate que l’annulation du contrat est susceptible d’entraîner des « conséquences particulièrement préjudiciables », elle peut prendre des mesures pour protéger le consommateur contre ces conséquences.
78. Il peut s’agir de l’application d’une disposition ayant fait l’objet d’une analyse spécifique par le législateur afin d’établir l’équilibre entre l’ensemble des droits et obligations des parties (32) ou d’une ingérence dans le contenu du contrat qui n’excède pas ce qui est strictement nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la directive 93/13 (33).
79. Il ressort du contenu de la sixième question qu’une manière possible, en droit lituanien, de régler les services juridiques déjà fournis est de fixer la rémunération y afférente au tarif minimal de ces services (taux minimal), tel que fixé par un acte de droit national.
80. J’estime que la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que la rémunération des services juridiques soit calculée de cette manière afin d’éviter que la disparition du contrat n’entraîne des « conséquences particulièrement préjudiciables » pour le consommateur.
81. En premier lieu, il s’agit d’un mode de calcul de la rémunération des services juridiques que le législateur considère comme satisfaisant du point de vue de l’équilibre entre l’ensemble des droits et des obligations des parties dans le cadre des procédures prévues par le code de procédure civile.
82. En second lieu, ce mode de calcul de la rémunération des services juridiques au moyen des tarifs minimaux fixés par un acte de droit national permet au consommateur de décider de recourir ou non à la protection que lui confère la directive 93/13 en pleine connaissance des conséquences économiques qu’emporte cette décision. Cela est d’autant plus important que le consommateur peut également renoncer à la protection que lui offre cette directive (34). La juridiction nationale doit néanmoins l’informer des conséquences juridiques qu’est susceptible d’entraîner pour lui l’invalidation du contrat, en l’exposant à d’éventuelles demandes restitutoires (35).
83. Dans sa sixième question préjudicielle, la juridiction de renvoi semble en outre considérer qu’une autre méthode de calcul du prix des services qu’envisage le droit lituanien consiste à déterminer une rémunération « raisonnable » tenant compte de la complexité de l’affaire, des qualifications et de l’expérience de l’avocat, de la situation financière du client et des autres circonstances importantes. Bien que la juridiction de renvoi ne l’indique pas explicitement, les circonstances visant à permettre de déterminer une rémunération « raisonnable » correspondent en substance à celles énumérées dans la disposition du droit lituanien qui fixe des recommandations devant être prises en compte pour établir le montant de la rémunération de l’avocat au titre des services juridiques (36).
84. Dès lors que l’une des méthodes possibles en droit national pour régler le prix des services juridiques fournis est de fixer une rémunération établie sur la base d’un tarif minimal et que cette méthode permet de protéger le consommateur des « conséquences particulièrement préjudiciables » résultant de l’invalidation du contrat, la directive 93/13 s’oppose à ce que le juge national utilise la méthode susvisée de règlement des services juridiques consistant à imposer au consommateur l’obligation de payer une rémunération « raisonnable ».
85. Il ressort de la jurisprudence (37) que l’ingérence du juge national dans le contenu du contrat ne doit pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour rétablir l’équilibre contractuel entre les parties contractantes et ainsi protéger le consommateur des conséquences particulièrement préjudiciables que l’annulation du contrat en cause pourrait entraîner, sans préjudice des objectifs poursuivis par la directive 93/13. Comme un tel équilibre est déjà rétabli par la fixation de la rémunération au moyen des taux minimaux (38), une ingérence allant au-delà semble excéder ce qui est strictement nécessaire.
86. Toutes les conséquences que le juge national tire de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle doivent garantir la réalisation des objectifs poursuivis par la directive 93/13 (39). Même lorsqu’il s’agit de protéger le consommateur contre des « conséquences particulièrement préjudiciables » découlant de l’invalidation du contrat, le juge national doit donc examiner si ces conséquences ne dissuaderont pas le consommateur de bénéficier de la protection que lui garantit cette directive et ne conduiront pas à une situation où la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle n’aurait pas d’effet dissuasif sur les professionnels. Il apparaît que cette situation serait constituée si l’utilisation par le professionnel d’une clause contractuelle abusive pour définir l’objet principal d’un contrat de services juridiques avait pour effet de lui accorder chaque fois une rémunération « raisonnable ».
VI. Conclusion
87. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante aux cinquième et sixième questions préjudicielles posées par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) :
L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs,
doivent être interprétés en ce sens que :
lorsqu’un contrat de prestations de services juridiques conclu par un consommateur avec un professionnel ne peut pas subsister après la suppression d’une clause abusive relative à la rémunération de ces services juridiques et que lesdits services ont été fournis, ces dispositions ne s’opposent pas à ce que le juge national rejette intégralement le recours que le professionnel a formé afin que le consommateur soit condamné à lui verser une rémunération au titre des services juridiques qu’il a fournis, dès lors que le cadre juridique national ne prévoit aucun règlement au titre des services juridiques qui ont été effectués sur la base d’un contrat qui s’est révélé nul.
Dès lors que l’annulation d’un contrat de prestations de services juridiques entraînerait des conséquences particulièrement préjudiciables pour le consommateur, l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 ne s’opposent pas à ce que le juge national prévienne l’invalidation de ce contrat et prononce, en faveur du professionnel, une condamnation au paiement, pour les services juridiques déjà fournis, d’une rémunération correspondant au coût minimal de ces services (tarifs minimaux), tel que fixé par un acte de droit national.
1 Langue originale : le polonais.
2 Directive du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29).
3 Voir point 16 des présentes conclusions.
4 Voir point 24 des présentes conclusions.
5 La juridiction de renvoi semble se référer à l’acte décrit au point 8 des présentes conclusions.
6 Voir arrêt du 14 juin 2012, Banco Español de Crédito (C‑618/10, EU:C:2012:349, points 65 et 71).
7 Arrêt du 27 janvier 2021 (C‑229/19 et C‑289/19, EU:C:2021:68, point 67).
8 Voir arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 61).
9 Voir arrêt du 21 décembre 2016, Gutiérrez Naranjo e.a. (C‑154/15, C‑307/15 et C‑308/15, EU:C:2016:980, point 63).
10 Arrêt du 16 juillet 2020 (C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 55).
11 Voir Combet, M., « Les clauses abusives dans les contrats bancaires et financiers » (2e partie), Revue internationale des services financiers, vol. 3, 2021, p. 64 ; Węgrzynowski, Ł., « Skutek restytucyjny z dyrektywy 93/13/EWG a zasady rozliczeń stron w związku z nieważnością umowy zawierającej niedozwolone postanowienia umowne », Przegląd Prawa Handlowego, vol. 5, 2022, p. 54.
12 Arrêt du 16 juillet 2020 (C‑224/19 et C‑259/19, EU:C:2020:578, point 55).
13 Voir arrêt du 5 juin 2019, GT (C‑38/17, EU:C:2019:461, point 43).
14 Voir arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819, point 43).
15 Arrêt du 30 avril 2014 (C‑26/13, ci-après l’« arrêt Kásler », EU:C:2014:282, point 80).
16 Il est vrai que, à la lecture de la réponse donnée par la Cour dans l’arrêt Kásler, la possibilité de substituer une disposition supplétive à une clause abusive ne semble pas être subordonnée à l’existence de « conséquences particulièrement préjudiciables ». C’est, en substance, sur cette lecture que semble s’appuyer la position des gouvernements lituanien et allemand. Cependant, il résulte des arrêts postérieurs à l’arrêt Kásler que ce n’est que dans le cas où la constatation de l’invalidité d’une clause abusive oblige le juge à invalider le contrat dans son ensemble, en exposant ainsi le consommateur à des « conséquences particulièrement préjudiciables », que la directive 93/13 ne s’oppose pas à ce que le juge national puisse remplacer la clause contractuelle par une disposition supplétive. Voir arrêts du 14 mars 2019, Dunai (C‑118/17, EU:C:2019:207, point 54) ; du 7 novembre 2019, Kanyeba e.a. (C‑349/18 à C‑351/18, EU:C:2019:936, points 70 et 74), ainsi que du 18 novembre 2021, A. S.A. (C‑212/20, EU:C:2021:934, point 72).
17 Voir arrêts du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819, points 60 à 62), et du 25 novembre 2020, Banca B. (C‑269/19, EU:C:2020:954, point 35).
18 Voir ordonnance du 24 octobre 2019, Topaz (C‑211/17, non publiée, EU:C:2019:906, point 78).
19 Arrêt du 25 novembre 2020 (C‑269/19, EU:C:2020:954, point 39).
20 Arrêt du 25 novembre 2020, Banca B. (C‑269/19, EU:C:2020:954, point 38).
21 Arrêt du 25 novembre 2020, Banca B. (C‑269/19, EU:C:2020:954, points 39 et 40).
22 Arrêt du 25 novembre 2020, Banca B. (C‑269/19, EU:C:2020:954, points 41, 43 et 44).
23 Il n’en demeure pas moins que, même dans le cadre des contrats de crédit, peut se poser la question de savoir si la directive 93/13 s’oppose à des demandes allant au‑delà du remboursement de la valeur nominale des sommes que les parties au contrat se sont versées après la conclusion du contrat. La Cour a été invitée à clarifier cette question dans l’affaire Bank M (C‑520/21).
24 À moins qu’un État membre ne se prononce en faveur d’une telle solution en faisant application du pouvoir découlant de l’article 8 de la directive 93/13.
25 Arrêt du 31 mars 2022 (C‑472/20, EU:C:2022:242, points 57 et 58). Dans cet arrêt, la Cour a considéré que les intérêts du consommateur peuvent être protégés par le remboursement en sa faveur des sommes indûment perçues par le prêteur sur le fondement de la clause jugée abusive, un tel remboursement intervenant au titre de l’enrichissement sans cause. Il convient de souligner que le droit hongrois, auquel était soumis le contrat en cause, prévoyait que, « [e]n cas de contrat dépourvu de validité, il convient de revenir à la situation qui prévalait antérieurement à la conclusion dudit contrat », et que, si cela n’est pas possible, « le juge peut déclarer le contrat applicable jusqu’à ce qu’il ait statué ».
26 Voir arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia (C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 61).
27 Voir arrêt du 31 mars 2022, Lombard Lízing (C‑472/20, EU:C:2022:242, point 57).
28 Voir point 61 des présentes conclusions.
29 Bien que l’appréciation finale de cette question appartienne à la juridiction nationale, il ressort apparemment de l’article 1.80 du code civil de la République de Lituanie, tel que modifié par la loi no VIII-1864 du 18 juillet 2000, que, en cas de nullité d’un contrat, les parties doivent se remettre mutuellement ce qu’elles ont reçu conformément au contrat (restitution) et que, si cela se révèle impossible, elles sont tenues de se verser mutuellement une indemnité pécuniaire correspondant à ce qu’elles ont reçu l’une de l’autre, à moins que la loi ne prévoie d’autres conséquences de la nullité du contrat. Rien n’indique cependant, en tout état de cause, que le droit lituanien prévoie que, en cas d’invalidité d’un contrat, il conviendrait de rétablir la situation antérieure à sa conclusion ou, si cela est impossible, de maintenir le contrat. Cela distingue le cadre juridique de l’affaire au principal de celui de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 31 mars 2022, Lombard Lízing (C‑472/20, EU:C:2022:242). Voir note en bas de page 25 des présentes conclusions.
30 Voir arrêt du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819, point 50).
31 Voir arrêt du 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria et Bankia (C‑70/17 et C‑179/17, EU:C:2019:250, point 61).
32 Voir point 51 des présentes conclusions.
33 Voir points 53 à 57 des présentes conclusions.
34 Voir arrêts du 3 octobre 2019, Dziubak (C‑260/18, EU:C:2019:819, point 55) ; du 29 avril 2021, Bank BPH (C‑19/20, EU:C:2021:341, point 94), et du 2 septembre 2021, OTP Jelzálogbank e.a. (C‑932/19, EU:C:2021:673, point 48).
35 Voir arrêt du 29 avril 2021, Bank BPH (C‑19/20, EU:C:2021:341, points 98 et 99).
36 Voir point 7 des présentes conclusions.
37 Voir points 53 à 57 des présentes conclusions.
38 Voir point 81 des présentes conclusions.
39 Voir points 56 et 57 des présentes conclusions.
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