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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Hochmann Marketing v EUIPO (bittorrent) (EU trade mark - Judgment) French Text [2022] EUECJ T-337/20 (29 June 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/T33720.html Cite as: ECLI:EU:T:2022:406, [2022] EUECJ T-337/20, EU:T:2022:406 |
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)
29 juin 2022 (*)
« Marque de l’Union européenne – Décision d’une chambre de recours confirmant la révocation d’une décision antérieure – Article 103, paragraphe 1, du règlement (UE) 2017/1001 – Requête en transformation en demande de marque nationale – Motif d’exclusion de la transformation – Défaut d’usage de la marque de l’Union européenne – Article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 – Droit d’être entendu – Article 47 de la charte des droits fondamentaux »
Dans l’affaire T‑337/20,
Hochmann Marketing GmbH, établie à Neu-Isenburg (Allemagne), représentée par Me J. Jennings, avocat,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme A. Söder et M. E. Markakis, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (dixième chambre),
composé de M. A. Kornezov, président, Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. D. Petrlík (rapporteur), juges,
greffier : M. E. Coulon,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Hochmann Marketing GmbH, demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 30 mars 2020 (affaire R 187/2020‑4) (ci-après la « décision attaquée »).
2 Le 6 juin 2003, une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne a été présentée à l’EUIPO pour le signe verbal bittorrent, en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)]. Cette demande d’enregistrement a été transférée à la requérante en 2005. La marque a été enregistrée le 8 juin 2006, sous le numéro 3216439, pour des services compris dans les classes 35, 38 et 42, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.
3 Le 24 juin 2011, BitTorrent Inc., devenue ultérieurement Rainberry Inc. (ci-après « BitTorrent »), a déposé une demande en déchéance de la marque litigieuse pour défaut d’usage. Le 24 septembre 2013, la division d’annulation de l’EUIPO a prononcé la déchéance de cette marque en raison de l’absence d’usage sérieux. Le 31 août 2015, la chambre de recours a confirmé cette décision (ci-après la « décision de déchéance »). Par arrêt du 12 décembre 2017, Hochmann Marketing/EUIPO – BitTorrent (bittorrent) (T‑771/15, non publié, EU:T:2017:887), le Tribunal a rejeté le recours de la requérante contre la décision de déchéance. Par ordonnance du 28 juin 2018, Hochmann Marketing/EUIPO (C‑118/18 P, non publiée, EU:C:2018:522), la Cour a rejeté le pourvoi formé par la requérante contre cet arrêt.
4 Conformément à l’article 139, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, la requérante a déposé, le 27 septembre 2018, une requête en transformation de la marque litigieuse, pour une partie des services couverts par celle-ci, en demande de marque autrichienne ainsi qu’en demande de marque allemande.
5 Par décision du 12 mars 2019, l’instance chargée de la tenue du registre de l’EUIPO (ci-après la « première instance de l’EUIPO ») a constaté que cette requête satisfaisait aux conditions prévues par l’article 140, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 et qu’elle était donc recevable au sens de l’article 140, paragraphe 5, de ce règlement (ci-après la « décision transmettant la requête en transformation »). Par conséquent, la première instance de l’EUIPO a informé la requérante du fait qu’elle avait transmis ladite requête à l’Österreichisches Patentamt (Office des brevets autrichien, Autriche) et au Deutsches Patent- und Markenamt (Office des brevets et des marques allemand, Allemagne), conformément à cette dernière disposition, et qu’elle avait procédé à l’enregistrement de la requête en transformation au registre.
6 Le 7 juin 2019, l’Office des brevets autrichien a enregistré, sous le numéro 303295, la marque autrichienne résultant de la transformation, avec une date de dépôt au 6 juin 2003 (ci-après la « marque autrichienne résultant de la transformation »).
7 Le 24 juillet 2019, la requérante a transféré cette marque à la société de droit autrichien Bittorrent Marketing GmbH [ci-après « Bittorrent Marketing (Autriche) »].
8 Par la suite, la première instance de l’EUIPO a estimé qu’elle avait commis une erreur en constatant que la requête en transformation de la requérante du 27 septembre 2018 satisfaisait aux conditions prévues par l’article 140, paragraphe 3, du règlement 2017/1001. En conséquence, par courrier en date du 31 juillet 2019, notifié le 15 août 2019, la première instance de l’EUIPO a informé la requérante du fait qu’elle avait effectué un changement dans son registre concernant la marque litigieuse (ci-après la « décision de révocation »). Pour ce qui concerne la demande de transformation en marque autrichienne, la première instance de l’EUIPO a estimé que la requérante s’était fondée, dans sa requête en transformation, sur l’arrêt du Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin, Allemagne) no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 (ci-après l’« arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 ») qui ne permettait pas de conclure à un usage sérieux de la marque litigieuse en Autriche. Pour cette raison, la première instance de l’EUIPO a conclu que la recevabilité de la transformation de la marque litigieuse en marque autrichienne devait être « annulée ».
9 Le 31 juillet 2019, la première instance de l’EUIPO a informé l’Office des brevets autrichien que sa communication du 12 mars 2019 lui transmettant la requête en transformation, et l’ « autorisation » de transformation de la marque litigeuse étaient retirées.
10 Le 22 août 2019, l’Office des brevets et des marques allemand a enregistré, sous le numéro 3020190121011, la marque allemande issue de la transformation de la marque litigieuse avec une date de dépôt au 6 juin 2003. En raison du changement de titulaire de la marque litigieuse intervenu entretemps, Bittorrent Marketing (Autriche) a été enregistrée en tant que titulaire de la marque allemande issue de la transformation.
11 À la suite de l’adoption de la décision de révocation, la première instance de l’EUIPO a repris l’examen de la requête en transformation. Dans le cadre de cette procédure, elle a informé la requérante, le 23 septembre 2019, d’une « irrégularité », au motif que l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 sur lequel la requérante se fondait ne permettait pas de conclure à un usage sérieux de la marque litigieuse en Autriche.
12 Le 25 septembre 2019, la requérante a formé un recours devant l’EUIPO dirigé contre la décision de révocation pour ce qui concerne la demande en transformation de la marque litigieuse en marque autrichienne. La requérante a informé la chambre de recours qu’elle avait transféré la marque autrichienne résultant de la transformation à Bittorrent Marketing (Autriche) et elle a demandé, de ce fait, que cette dernière soit associée à la procédure pendante devant ladite chambre.
13 Le 20 août 2019, Bittorrent Marketing (Autriche) a introduit devant l’Office des brevets autrichien une demande de renonciation à la marque autrichienne résultant de la transformation. Cette demande a été enregistrée dans le registre des marques de cet Office. Le 20 mars 2020, Bittorrent Marketing (Autriche) a retiré cette demande de renonciation.
14 Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours de la requérante contre la décision de révocation.
15 Sur la recevabilité, la chambre de recours a considéré que le recours était recevable en ce qui concerne la requérante. En effet, la chambre de recours a estimé que, nonobstant le fait que la décision de révocation était intitulée « correction » et qu’elle ne contenait pas d’indications quant aux voies de recours, elle constituait une « décision » au sens de l’article 66 du règlement 2017/1001 puisqu’elle affectait définitivement la position juridique de la requérante concernant sa demande en transformation.
16 En revanche, la chambre de recours a considéré que Bittorrent Marketing (Autriche), en tant que nouveau titulaire de la marque autrichienne résultant de la transformation, ne pouvait pas être associée à la procédure au motif qu’elle n’a pas participé à la procédure de transformation. À cet égard, la décision attaquée précise que la cession ultérieure des droits découlant de la marque autrichienne résultant de la transformation n’était pas pertinente dans le cadre de la procédure auprès de l’EUIPO, qui a été initiée uniquement par la requérante.
17 Sur le bien-fondé du recours, la chambre de recours a tout d’abord considéré que la première instance de l’EUIPO avait pris la décision de révocation sans avoir entendu la requérante et en s’appuyant sur une base juridique incorrecte. Toutefois, elle a estimé que ces erreurs ne pouvaient entraîner l’annulation de la décision de révocation, car la transformation de la marque litigeuse en demande de marque nationale était, en tout état de cause, exclue conformément à l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, puisqu’il avait été établi avec l’autorité de la chose jugée que la marque litigeuse n’avait pas fait l’objet d’usage en Autriche. Ensuite, la chambre de recours a observé qu’elle n’était pas habilitée à examiner la transformation de la marque litigeuse en une marque allemande, dès lors que la mesure contestée devant elle concernait uniquement la transformation en une marque autrichienne. Enfin, elle a refusé d’ordonner le remboursement de la taxe de recours pour des raisons d’équité.
Conclusions des parties
18 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner l’EUIPO aux dépens.
19 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ou, à défaut, comme non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité
20 Selon l’EUIPO, le recours est irrecevable puisque la requérante n’a pas d’intérêt à agir. En effet, par sa requête en transformation, la requérante aurait poursuivi l’objectif de maintenir la priorité accordée à la marque litigieuse. Or, étant donné que la marque autrichienne résultant de la transformation aurait été enregistrée à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque litigieuse, à savoir le 6 juin 2003, la requérante aurait atteint cet objectif. Par ailleurs, l’EUIPO ne serait pas compétent pour « annuler » la marque autrichienne résultant de la transformation, comme semblerait le suggérer la requérante. En effet, l’éventuelle annulation, déchéance ou nullité de cette marque serait régie par le droit autrichien et relèverait de la seule compétence de l’Office des brevets autrichien. Dans ces conditions, la décision attaquée ne désavantagerait pas la requérante de sorte que l’éventuelle annulation de cette décision ne lui procurerait aucun bénéfice.
21 La requérante conteste l’irrecevabilité du recours.
22 Selon une jurisprudence constante, le juge de l’Union européenne est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52, et du 14 septembre 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑57/15, non publié, EU:T:2016:470, point 84).
23 Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que, dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours en annulation sans statuer préalablement sur la recevabilité de celui-ci. En effet, en l’espèce, le caractère recevable ou irrecevable du recours n’apparaît pas de manière évidente et son examen nécessiterait une analyse longue et complexe, tandis que le recours doit, en tout état de cause, pour les motifs exposés ci-après, être rejeté comme non-fondé.
Sur le fond
24 A l’appui de son recours, la requérante invoque neuf moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 en ce que la transformation en une marque autrichienne n’est pas manifestement exclue. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») en ce que la chambre de recours aurait arbitrairement supposé que la requérante n’a à aucun moment fait valoir de manière étayée qu’il fallait admettre une utilisation de la marque litigeuse en Autriche. Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 103, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 en ce que l’erreur commise par la première instance de l’EUIPO ne pourrait pas être considérée comme manifeste. Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 en ce que la chambre de recours aurait méconnu la constatation et la volonté de l’EUIPO selon laquelle la transformation en une marque allemande avait eu lieu à bon droit. Le cinquième moyen est tiré de la violation de l’article 47 de la Charte en ce que la chambre de recours aurait omis de prendre en compte des preuves d’usage de la marque litigeuse. Le sixième moyen est tiré de la violation de l’article 47 de la Charte en conjonction avec l’article 33, sous d), du règlement délégué 2018/625 de la Commission du 5 mars 2018 complétant le règlement 2017/1001, et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1) en ce que la chambre de recours aurait supposé qu’« il n’existait plus d’intérêt économique à l’issue de la procédure ». Le septième moyen est tiré de la violation de l’article 47 de la Charte en conjonction avec l’article 33, sous d), du règlement délégué 2018/625 en ce que la chambre de recours aurait pris en compte des arguments contenus dans le mémoire de BitTorrent. Le huitième moyen est tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 en ce que la chambre de recours aurait exclu la transformation en raison de l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816). Le neuvième moyen est tiré de la violation du droit d’être entendu.
25 Il convient d’examiner successivement le troisième moyen, le premier moyen, les deuxième à cinquième moyens, les huitième et neuvième moyens et les sixième et septième moyens.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 103, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 en ce que l’erreur commise par la première instance de l’EUIPO ne pourrait pas être considérée comme manifeste
26 La première instance de l’EUIPO a fondé la décision de révocation sur l’article 102, paragraphe 1, du règlement 2017/1001. La chambre de recours a considéré, au point 38 de la décision attaquée, que cette base juridique était erronée. Au point 32 de cette décision, elle a cependant confirmé la légalité de ladite mesure sur la base de l’article 103, paragraphe 1, de ce règlement, en estimant que le défaut de prise en compte de la force obligatoire de la décision de déchéance constituait une « erreur manifeste » au sens de l’article 103, paragraphe 1, dudit règlement. En outre, elle a estimé que le choix erroné de la base juridique n’entraînait pas l’annulation de la décision de révocation puisque le contenu de cette décision ne changeait pas et qu’ainsi l’annulation ne pourrait apporter aucun avantage juridique à la requérante.
27 La requérante soutient, en substance, que l’erreur commise par la première instance de l’EUIPO, dans la décision transmettant la requête en transformation, ne peut être considérée comme « manifeste ». Elle fait valoir qu’au lieu de constater clairement que la transformation était manifestement erronée, l’EUIPO « s’est contenté d’indiquer à deux reprises, au conditionnel, qu’il se pourrait qu’il ait commis une erreur ». Or, si cette erreur avait été manifeste, elle aurait été « immédiatement reconnaissable pour tout un chacun ». Tel ne serait pas le cas en l’espèce.
28 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
29 La requérante ne conteste pas que la chambre de recours pouvait, en principe, rectifier la base légale de la décision transmettant la requête en transformation. Cependant, elle lui reproche de s’être fondée sur les dispositions de l’article 103, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 alors qu’une des conditions de l’application de celles-ci, à savoir le caractère « manifeste » de l’erreur pour laquelle la révocation a lieu, n’était pas remplie.
30 À cet égard, il convient de rappeler que l’article 103, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 dispose que lorsque l’EUIPO effectue une inscription dans le registre ou prend une décision entachée d’une erreur manifeste qui lui est imputable, il se charge de supprimer une telle inscription ou de révoquer cette décision. Dans le cas où il n’y a qu’une seule partie à la procédure dont les droits sont lésés par l’inscription ou l’acte, la suppression de l’inscription ou la révocation de la décision est ordonnée même si, pour la partie, l’erreur n’était pas manifeste.
31 En l’espèce, les droits de la requérante, seule partie à la procédure de transformation, n’ont pas été lésés par la décision transmettant la requête en transformation, qui a été révoquée. Par conséquent, la première instance de l’EUIPO ne pouvait révoquer cette décision que si celle-ci était entachée d’une erreur manifeste.
32 Selon la jurisprudence, une erreur est « manifeste » et justifie l’adoption d’une décision de révocation d’une décision antérieure si elle présente un haut degré d’évidence qui ne permet pas le maintien du dispositif de la décision antérieure sans une nouvelle analyse qui sera menée ultérieurement par l’instance ayant pris ladite décision [voir arrêt du 22 septembre 2021, Marina Yachting Brand Management/EUIPO – Industries Sportswear (MARINA YACHTING), T‑169/20, EU:T:2021:609, point 111 et jurisprudence citée].
33 Plus généralement, une erreur peut seulement être qualifiée de manifeste lorsqu’elle peut être détectée de façon évidente, à l’aune des critères fixés par la réglementation, et que les éléments de preuve produits sont suffisants pour priver de plausibilité l’appréciation retenue par l’administration, sans que son appréciation puisse être admise comme justifiée et cohérente (voir arrêt du 22 septembre 2021, MARINA YACHTING, T‑169/20, EU:T:2021:609, point 112 et jurisprudence citée).
34 Au point 41 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que, dans la décision transmettant la requête en transformation, la première instance de l’EUIPO avait commis une erreur manifeste, car elle avait rendu cette décision en méconnaissance de la force obligatoire de la décision de déchéance.
35 À cet égard, il convient de rappeler que, selon l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, la transformation d’une marque de l’Union européenne n’a pas lieu lorsque le titulaire de la marque de l’Union européenne a été déchu de ses droits pour défaut d’usage, à moins que dans l’État membre pour lequel la transformation a été demandée, la marque de l’Union européenne n’ait été utilisée dans des conditions qui constituent un usage sérieux au sens de la législation dudit État membre.
36 En ce qui concerne la marque litigieuse, le Tribunal a confirmé, au point 45 de l’arrêt du 12 décembre 2017, bittorrent (T‑771/15, non publié, EU:T:2017:887), la constatation de la décision de déchéance selon laquelle « aucune preuve [de l’usage de la marque litigieuse] n’avait été fournie dans le délai imparti devant la division d’annulation ». Par ordonnance du 28 juin 2018, Hochmann Marketing/EUIPO (C‑118/18 P, non publiée, EU:C:2018:522), la Cour a rejeté le pourvoi contre cet arrêt.
37 Il découle ainsi de la décision de déchéance, telle que confirmée par le Tribunal puis par la Cour, que la marque litigeuse était, à la date d’adoption de la décision transmettant la requête en transformation, frappée de déchéance pour défaut d’usage dans l’Union conformément à l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001.
38 De plus, étant donné que le juge de l’Union a constaté, avec l’autorité de la chose jugée, que la requérante n’avait pas prouvé, dans le cadre de la procédure de déchéance, l’usage sérieux de la marque litigieuse dans l’Union, et donc y compris en Autriche, rien n’indiquait que cette marque pouvait néanmoins remplir la condition, prévue par l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, selon laquelle, dans l’État membre pour lequel la transformation a été demandée, la marque de l’Union européenne doit avoir été utilisée dans des conditions qui constituent un usage sérieux au sens de la législation dudit État membre.
39 Au demeurant, pour démontrer l’usage de la marque litigieuse en Autriche, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve supplémentaire par rapport à ce qui avait été déjà présenté dans le cadre de la procédure de déchéance.
40 En particulier, elle n’a pas démontré que l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 avait confirmé un tel usage. En effet, il convient de constater qu’aucun passage dudit arrêt ne se prononce spécifiquement sur l’usage de la marque litigieuse en Autriche. D’une part, cet arrêt porte sur une marque nationale allemande et non sur la marque litigieuse. D’autre part, ledit arrêt ne contient aucune indication concrète tendant à confirmer l’usage de la marque litigieuse en Autriche dans des conditions qui caractériseraient un usage sérieux au sens de la législation autrichienne.
41 Par ailleurs, la requérante n’a pas produit, dans le cadre de la procédure de transformation, d’éléments de preuve concrets permettant d’établir l’usage sérieux de cette marque en Autriche sur la base des sites Internet firstload.de et marketbay.com, qui auraient été ignorés par la chambre de recours, le Tribunal et la Cour lors de la procédure de déchéance.
42 Dans ces conditions, la chambre de recours a pu, à juste titre, constater que la première instance de l’EUIPO avait commis une erreur manifeste au sens de l’article 103, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 en admettant la recevabilité de la requête en transformation de la marque litigeuse en demande de marque autrichienne, puisque cette transformation se heurtait à la force obligatoire de la décision de déchéance et, en même temps, rien n’indiquait que la marque litigieuse était utilisée en Autriche dans des conditions qui constituent un usage sérieux au sens de la législation autrichienne.
43 Partant, il convient d’écarter le troisième moyen.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 en ce que la transformation en une marque autrichienne n’est pas manifestement exclue
44 Au point 45 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que le Tribunal avait confirmé, dans son arrêt du 12 décembre 2017, bittorrent (T‑771/15, non publié, EU:T:2017:887), qu’aucun usage sérieux de la marque litigeuse n’avait été prouvé. Au point 46 de la décision attaquée, elle a ensuite observé que même si la requérante avait produit des moyens de preuve qui se rapportaient à l’Allemagne et, « dans une moindre mesure », à l’Autriche, aucun de ces éléments ne prouvait l’usage sérieux de la marque litigeuse.
45 La requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours a commis une « grave erreur de droit étant donné que la transformation en une marque autrichienne n’est pas manifestement exclue ». En observant que la transformation de la marque de l’Union européenne peut être demandée pour plusieurs États membres, elle relève que, au point 46 de la décision attaquée, la chambre de recours a « incontestablement constaté » que les éléments de preuve présentés étaient susceptibles de démontrer non seulement l’usage sérieux de la marque litigieuse en Allemagne, mais aussi en Autriche. Ainsi, la chambre de recours aurait également dû tenir compte du fait qu’il était « parfaitement possible » que la marque litigeuse soit transformée non seulement en une marque allemande, mais également en une marque autrichienne.
46 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
47 Dans la mesure où l’argumentation de la requérante devrait être comprise en ce sens qu’elle reproche à la chambre de recours de ne pas avoir tenu compte du fait que la transformation d’une marque de l’Union européenne peut être effectuée en plusieurs demandes de marques nationales, il suffit de relever que la chambre de recours n’a pas considéré que la transformation en plusieurs marques nationales était, par principe, exclue. Elle a conclu que la transformation de la marque litigieuse en marque autrichienne était exclue pour un autre motif, à savoir que la requérante n’avait pas démontré l’usage sérieux de la marque litigieuse en Autriche.
48 En ce qui concerne, ensuite, l’argument selon lequel la requérante a démontré un usage sérieux de cette marque au sens de la législation de l’État membre concerné, à savoir l’Autriche, de sorte que, conformément à l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001, la transformation en tant que marque nationale n’aurait pas été exclue, il ressort des points 38 à 41 ci-dessus que rien n’indiquait que la transformation de ladite marque remplissait les conditions prévues par cette disposition.
49 Les constatations énoncées à ces points ne sont pas remises en cause par l’affirmation faite par la chambre de recours, au point 46 de la décision attaquée, selon laquelle les moyens de preuve produits par la requérante se rapportaient dans une moindre mesure à l’Autriche. En effet, à ce même point de la décision attaquée, la chambre de recours a également constaté, sans ambigüité, et en se référant aux décisions de l’EUIPO, du Tribunal et de la Cour relatives à la procédure de déchéance de la marque litigieuse, que « toutes [ces] instances sont néanmoins parvenues à la conclusion que ces moyens [de preuve] ne prouvaient pas l’usage de [cette] marque ».
50 Dans ces conditions, la chambre de recours a pu valablement considérer que la décision transmettant la requête en transformation n’avait pas respecté les conditions énoncées à l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001.
51 Partant, il y a lieu d’écarter le premier moyen.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 47 de la Charte en ce que la chambre de recours aurait arbitrairement supposé que la requérante n’avait à aucun moment fait valoir de manière étayée qu’il fallait admettre une utilisation de la marque litigeuse en Autriche
52 Au point 51 de la décision attaquée, la chambre de recours a observé que, dans la mesure où l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 ne portait que sur l’usage d’une marque allemande, la requérante n’avait pas prouvé que la marque litigieuse avait été utilisée en Autriche. En outre, elle a constaté, au point 79 de la décision attaquée, que les motifs du recours ne contenaient aucun argument concernant la transformation de ladite marque en une marque autrichienne en vertu de l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001.
53 La requérante fait valoir, en substance, que, tant dans sa demande de transformation que dans ses observations ultérieures liées à ladite demande, elle a expliqué de manière motivée les raisons pour lesquelles l’usage sérieux en Autriche aurait dû être considéré comme étant prouvé. En particulier, l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 aurait une portée générale et ne serait pas limité à l’Allemagne. Cet arrêt serait pertinent pour tous les États membres germanophones, puisque les éléments de preuve soumis par la requérante sont issus de deux sites Internet en langue allemande.
54 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
55 D’emblée, il convient de relever que si la requérante invoque, en se prévalant de l’article 47 de la Charte, une violation du droit à un procès équitable, il y a lieu de préciser que le Tribunal a exclu l’application d’un tel droit aux chambres de recours de l’EUIPO, la procédure devant les chambres de recours ne revêtant pas une nature juridictionnelle, mais une nature administrative [voir arrêt du 17 mai 2018, Basil/EUIPO – Artex (Paniers spéciaux pour cycles), T‑760/16, EU:T:2018:277, point 26 et jurisprudence citée ; arrêt du 13 février 2019, Etnia Dreams/EUIPO – Poisson (Etnik), T‑823/17, non publié, EU:T:2019:85, point 104].
56 Ensuite, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si l’argumentation de la requérante pourrait être fondée sur une autre disposition du droit de l’Union, il suffit de constater que, comme il a déjà été exposé aux points 39 et 40 ci-dessus, la requérante n’a soumis à la chambre de recours aucun élément de preuve supplémentaire par rapport à ce qui avait été déjà présenté dans le cadre de la procédure de déchéance, qui démontrerait que l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 confirme l’usage de la marque litigeuse en Autriche et que l’usage sérieux de la marque litigeuse dans cet État pourrait être établi sur la base des sites Internet firstload.de et marketbay.com.
57 Par conséquent, il convient d’écarter le deuxième moyen.
Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 en ce que la chambre de recours aurait méconnu la constatation et la volonté de l’EUIPO selon laquelle la transformation en une marque allemande avait eu lieu à bon droit
58 Aux points 67 et 68 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté qu’elle n’était pas habilitée à examiner la transformation de la marque litigieuse en marque allemande et que, en tout état de cause, la révocation n’était possible que jusqu’au 12 mars 2020, soit antérieurement à la décision attaquée.
59 La requérante soutient, en substance, que, dans la décision attaquée, la chambre de recours n’aurait dû se prononcer que sur la transformation de la marque litigieuse en une marque autrichienne et que, partant, ce serait à tort qu’elle a également abordé la question de la transformation de celle-ci en une marque allemande.
60 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
61 Le quatrième moyen est fondé sur une lecture erronée des points 67 et 68 de la décision attaquée. Contrairement à ce que soutient la requérante, la chambre de recours n’a pas constaté, dans ces points, que « la transformation en une marque allemande n’était pas juridiquement valable ». Cette chambre n’a abordé la question de la transformation en marque allemande qu’afin de constater qu’elle n’était précisément pas compétente pour se prononcer, d’un point de vue substantiel, sur une telle transformation, et ce tant en raison du fait que la décision de révocation dont elle était saisie concernait uniquement la transformation en une marque autrichienne, qu’en raison de l’expiration du délai prévu par l’article 103, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 pour la révocation éventuelle de la décision transmettant la requête en transformation, en ce qui concernait la transformation en une marque allemande.
62 Par conséquent, le quatrième moyen doit être rejeté.
Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 47 de la Charte en ce que la chambre de recours aurait omis de prendre en compte des preuves d’usage de la marque litigeuse
63 Au point 46 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que toutes les instances s’étant prononcées sur la déchéance de la marque litigieuse, à savoir l’EUIPO, le Tribunal et la Cour, étaient parvenues à la conclusion que les preuves produites par la requérante ne prouvaient pas l’usage sérieux de cette marque.
64 La requérante fait valoir, en substance, que tous ces instances ont ignoré les éléments de preuve visant à établir un usage sérieux de la marque litigieuse. Or, la chambre de recours aurait ignoré ces preuves non seulement dans la procédure de déchéance, mais également dans la décision attaquée.
65 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
66 Comme exposé précédemment au point 55 ci-dessus, le Tribunal a exclu l’application du droit à un procès équitable en vertu de l’article 47 de la Charte aux chambres de recours de l’EUIPO. Ensuite, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si l’argumentation de la requérante pourrait être fondée sur une autre disposition du droit de l’Union, il suffit de constater que le présent moyen est, en tout état de cause, manifestement non fondé.
67 En effet, par son moyen, la requérante demande en réalité au Tribunal, d’une part, d’examiner à nouveau les preuves qui ont déjà été appréciées par la chambre de recours dans la procédure de déchéance et, sur recours, par le Tribunal dans l’arrêt du 12 décembre 2017, bittorrent (T‑771/15, non publié, EU:T:2017:887).
68 Or, il ressort du principe de l’autorité de la chose jugée que, en vue de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause [voir arrêt du 8 février 2018, Sony Interactive Entertainment Europe/EUIPO – Marpefa (Vieta), T‑879/16, EU:T:2018:77, point 30 et jurisprudence citée].
69 D’autre part et en tout état de cause, la requérante ne prétend pas qu’elle a soumis, dans la procédure de transformation, d’autres éléments de preuve que ceux mentionnés au point 67 ci-dessus.
70 Dans ces conditions, le cinquième moyen doit être écarté.
Sur le huitième moyen, tiré de la violation de l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 en ce que la chambre de recours aurait commis une « grave erreur de droit du fait de l’exclusion de la transformation en raison de l’arrêt [du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11)] »
71 Aux points 56 à 64 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré qu’il résultait de la jurisprudence de la Cour, et notamment de l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816), que, pour être reconnu comme sérieux, l’usage de la marque ne devait pas nécessairement être important sur le plan quantitatif ou s’étendre au-delà des frontières d’un État membre. Par conséquent, l’exception au motif d’exclusion en vertu de l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001 – selon laquelle la transformation n’est pas exclue lorsque la marque de l’Union européenne a été utilisée dans des conditions qui constituent un usage sérieux au sens de la législation dudit État membre – n’aurait ainsi plus qu’une « valeur théorique ».
72 La requérante soutient que, par de telles constatations, la chambre de recours a commis une erreur de droit car l’EUIPO ne peut adopter une décision « complètement autonome » dans le cadre du traitement d’une requête en transformation en vertu de l’article 139, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, dès lors qu’il ne dispose « que d’une compétence d’examen restreinte » à cet égard. Cette compétence serait limitée en ce sens que « l’EUIPO n’examinerait pas les preuves de l’usage, mais uniquement la décision nationale ayant acquis force de chose jugée qui s’oppose aux motifs invoqués à l’appui de la transformation ». En outre, en se référant à l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816), la requérante fait valoir que l’usage prouvé en Allemagne suffirait à démontrer l’usage dans l’ensemble de l’Union.
73 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
74 D’une part, il ressort de l’article 140, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, qu’il incombe à l’EUIPO d’examiner si la requête en transformation d’une marque de l’Union européenne en marque nationale satisfait aux conditions énoncées dans ce règlement. À cet égard, l’EUIPO doit prendre en compte toutes les circonstances de l’espèce. Par conséquent, contrairement à ce que semble soutenir la requérante, son examen ne se limite pas à la seule prise en compte des décisions nationales.
75 D’autre part, s’il est vrai que la Cour a conclu dans l’arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken (C‑149/11, EU:C:2012:816), qu’il était impossible de déterminer a priori, de façon abstraite, quelle étendue territoriale devrait être retenue pour déterminer si l’usage d’une marque revêtait un caractère sérieux, il convient de rappeler que, en l’espèce, la requérante n’a présenté aucun élément de preuve susceptible de prouver un quelconque usage de la marque litigieuse en Autriche. Partant, il n’y a pas lieu, en l’espèce, d’apprécier le caractère « sérieux » ou non d’un tel usage.
76 En tout état de cause, la partie de la décision attaquée que la requérante critique, à savoir les points 56 à 64, dans lesquels la chambre de recours fait état du « débat historique » sur l’usage d’une marque dans un ou plusieurs États membres et de la « valeur théorique », selon elle, de l’exception à l’exclusion de la transformation en cas de déchéance, visée à l’article 139, paragraphe 2, point a), du règlement 2017/1001, n’a pas d’impact sur le dispositif de cette décision, dans la mesure où celui-ci est fondé sur la force obligatoire de la décision de déchéance et l’absence d’éléments de preuve d’un usage dans des conditions qui constituent un usage sérieux au sens de la législation autrichienne de la marque en Autriche (point 42 ci-dessus). Partant, les arguments de la requérante sont inopérants.
77 Par conséquent, il convient d’écarter le huitième moyen.
Sur le neuvième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu
78 La chambre de recours a admis, au point 37 de la décision attaquée, que, même si la requérante aurait dû être entendue avant l’adoption de la décision de révocation, tel n’avait pas été le cas en l’espèce. Malgré cela, elle n’a pas annulé cette décision, en considérant que la requérante avait été entendue au cours de la procédure de recours, ce qui lui aurait permis de prendre position sur les différents éléments qui ont, ultérieurement, fondé la décision attaquée.
79 La requérante estime tout d’abord, en substance, que la première instance de l’EUIPO aurait dû l’inviter, avant l’adoption de la décision de révocation, à déposer des observations sur les arguments qu’elle avait invoqués. Ensuite, après l’adoption de cette décision, la première instance de l’EUIPO aurait dû attendre la fin de la procédure de recours devant la chambre de recours avant d’informer l’Office des brevets autrichien de la révocation de la transformation de la marque litigieuse en marque autrichienne. En outre, la première instance de l’EUIPO n’aurait pas mentionné les informations sur les voies de recours dans la décision de révocation. Enfin, la chambre de recours ne se serait pas prononcé sur les arguments invoqués au soutien de sa demande de transformation.
80 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
81 En vertu de l’article 94, paragraphe 1, deuxième phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position.
82 Conformément à cette disposition, une chambre de recours ne peut fonder sa décision que sur des éléments de fait ou de droit sur lesquels les parties ont pu présenter leurs observations. Ladite disposition consacre, dans le cadre du droit des marques de l’Union européenne, le principe général de protection des droits de la défense en vertu duquel les destinataires des décisions des autorités publiques qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue. Le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel et non à la position finale que l’administration entend adopter [voir arrêt du 17 octobre 2018, Golden Balls/EUIPO – Les Éditions P. Amaury (GOLDEN BALLS), T‑8/17, non publié, EU:T:2018:692, point 58 et jurisprudence citée].
83 En ce qui concerne la révocation de décisions de l’EUIPO, ce principe est précisé par l’article 103, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, selon lequel les parties à la procédure ainsi que les éventuels titulaires de droits sur la marque de l’Union européenne en question qui sont inscrits au registre doivent être entendus avant que la révocation de la décision soit effectuée. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’il existe une continuité fonctionnelle entre les différentes instances de l’EUIPO, d’une part, et les chambres de recours, d’autre part. Il découle de cette continuité fonctionnelle que, dans le cadre du réexamen que les chambres de recours doivent faire des décisions prises par les unités de l’EUIPO statuant en première instance, elles sont tenues de fonder leur décision sur tous les éléments de fait et de droit que les parties ont fait valoir soit dans la procédure devant l’unité ayant statué en première instance, soit dans la procédure de recours. Le contrôle exercé par les chambres de recours ne se limite pas au contrôle de la légalité de la décision attaquée, mais, de par l’effet dévolutif de la procédure de recours, il implique une nouvelle appréciation du litige dans son ensemble, les chambres de recours devant intégralement réexaminer la requête initiale et tenir compte des preuves produites en temps utile [voir arrêt du 7 décembre 2017, Coca-Cola/EUIPO – Mitico (Master), T‑61/16, EU:T:2017:877, point 115 et jurisprudence citée].
84 En l’espèce, la première instance de l’EUIPO n’a pas entendu la requérante avant l’adoption de la décision de révocation.
85 Cependant, en formant un recours contre cette décision devant la chambre de recours, la requérante a déposé des observations concernant les motifs de celle-ci. Or, par ladite décision, la première instance de l’EUIPO avait déjà réexaminé, en substance, la transformation de la marque litigieuse en marque autrichienne au regard des conditions prescrites par l’article 139, paragraphe 2, sous a), du règlement 2017/1001. Ainsi, dans le cadre de son recours, la requérante a pu présenter des observations sur les motifs de ce réexamen et sur les éléments sur la base desquelles la première instance de l’EUIPO avait réexaminé sa position initiale.
86 En outre, la requérante ne fait pas valoir, d’une manière suffisamment précise et concrète, qu’elle n’aurait pas eu la possibilité de formuler des observations sur un aspect particulier du dossier sur lequel la chambre de recours a fondé la décision attaquée.
87 Il ressort d’ailleurs du dossier que la requérante a effectivement développé des arguments concernant la révocation de la transformation de la marque litigieuse, notamment sur la portée de l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015, sur le choix de la base juridique de la décision de révocation ainsi que sur la question de savoir si l’erreur commise par la première instance de l’EUIPO dans la décision transmettant la requête en transformation était manifeste.
88 Dans ces conditions, rien n’indique que la chambre de recours a fondé la décision attaquée sur des éléments de droit et de fait sur lesquels la requérante n’a pas pu formuler d’observations.
89 De même, la requérante ne saurait reprocher à la première instance de l’EUIPO d’avoir, avant que la chambre de recours ait pu statuer sur le recours, informé l’Office des brevets autrichien du retrait de sa communication du 12 mars 2019 et de « l’autorisation » de la transformation de la marque litigeuse. Tout d’abord, la requérante ne développe pas d’arguments concrets quant à la façon dont cette circonstance aurait violé son droit d’être entendu. Ensuite, elle omet de préciser une autre règle de droit qui imposerait à une instance de l’EUIPO de s’abstenir d’informer l’autorité nationale compétente de la révocation de sa décision avant que la chambre de recours n’ait pu statuer sur un recours contre celle-ci. Enfin, alors que la requérante a soutenu elle-même que l’Office des brevets autrichien n’avait pas encore réexaminé l’enregistrement de la marque autrichienne résultant de la marque litigeuse, elle n’explique pas les raisons pour lesquelles la seule information dudit office concernant le retrait de « l’autorisation » de la transformation de la marque litigeuse aurait affecté sa situation juridique.
90 Par ailleurs, s’agissant du défaut de mention des voies de recours dans la décision de révocation, il convient de rappeler que ce vice n’entache pas la décision attaquée, mais la décision de révocation et, en tout état de cause, qu’un tel vice n’est pas constitutif d’une illégalité de nature à entraîner l’annulation de la décision affectée par ce vice (voir, en ce sens, arrêt du 5 février 2018, Edeka-Handelsgesellschaft Hessenring/Commission, T‑611/15, EU:T:2018:63, point 49). Il convient également d’ajouter, qu’en dépit du défaut de mention des voies de recours, la requérante a néanmoins valablement introduit un recours contre la décision de révocation devant la chambre de recours.
91 Enfin, dans la mesure où l’argumentation de la requérante devrait être comprise comme reprochant à la chambre de recours d’avoir violé l’obligation de motivation en ne prononçant pas sur ses arguments selon lesquels l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 aurait établi un usage sérieux de la marque litigieuse en Autriche, il convient de relever que, aux points 49 à 55 de la décision attaquée, la chambre de recours a apprécié de manière détaillée le contenu de cet arrêt, en concluant notamment que ce dernier ne s’était pas prononcé sur l’usage de la marque litigeuse en Autriche.
92 Par conséquent, il convient d’écarter le neuvième moyen.
Sur le sixième moyen, tiré de la violation de l’article 47 de la Charte en conjonction avec l’article 33, sous d), du règlement délégué 2018/625 en ce que la chambre de recours aurait supposé qu’« il n’existait plus d’intérêt économique à l’issue de la procédure »
93 Aux points 69 à 80 de la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté, pour des raisons d’équité, la demande de la requérante d’un remboursement de la taxe de recours. À cet égard, elle a pris en compte plusieurs éléments. Dans le cadre de l’examen de ceux-ci, elle a notamment relevé, au point 78 de la décision attaquée, que l’issue de la procédure de transformation de la marque litigieuse en marque autrichienne était dépourvue d’intérêt économique dans la mesure où la requérante avait elle-même signalé avoir renoncé à la demande de marque autrichienne résultant de la transformation.
94 La requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours a commis une erreur en supposant que la marque autrichienne résultant de la transformation était déjà radiée et qu’il n’existait plus d’intérêt économique à l’issue de la procédure. En outre, ce serait le titulaire actuel, et non la requérante, qui a introduit une déclaration de renonciation à cette marque auprès de l’Office des brevets autrichien. Enfin, ce nouveau titulaire aurait renoncé à ladite marque pour des « motivations stratégiques » qui, sur la base de l’article 39, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, visaient à « transférer l’ancienneté et la priorité sur la marque de l’Union européenne nouvellement demandée ».
95 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
96 Comme exposé précédemment au point 55 ci-dessus, le Tribunal a exclu l’application du droit à un procès équitable en vertu de l’article 47 de la Charte aux chambres de recours de l’EUIPO. Ensuite, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si l’argumentation de la requérante pourrait être fondée sur une autre disposition du droit de l’Union et si le présent moyen, par lequel la requérante critique uniquement la décision en tant qu’elle a rejeté la demande de remboursement de la taxe de recours, est susceptible d’entraîner, à lui seul, l’annulation de la décision attaquée, il suffit de constater que le présent moyen est, en tout état de cause, manifestement non fondé.
97 En effet, en vertu de l’article 33, sous d), du règlement délégué 2018/625, le remboursement de la taxe de recours est ordonné par la chambre de recours lorsque celle-ci considère que l’équité l’exige en raison d’une violation des formes substantielles.
98 En l’espèce, il ressort du dossier que la chambre de recours a rejeté la demande d’un tel remboursement pour quatre raisons principales. En premier lieu, elle a tenu compte, au point 77 de la décision attaquée, du fait que la requérante « a voulu donner intentionnellement à [l’EUIPO] l’impression que l’affaire dépendait [de l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015], et a entraîné [l’EUIPO] à dessein sur de fausses pistes en indiquant d’innombrables détails ». En deuxième lieu, elle a constaté, au point 78 de la décision attaquée, le défaut d’intérêt économique de la requérante. En troisième lieu, la chambre de recours a considéré, au point 79 de la décision attaquée, que « les motifs du recours ne contiennent aucun argument concernant la question effectivement pertinente de la recevabilité d’une transformation en une marque autrichienne ». En quatrième lieu, elle a ajouté, au point 80 de la décision attaquée, que l’action de la requérante à l’égard de BitTorrent « relevait d’un abus de droit ».
99 Il s’ensuit que le motif contesté par la requérante, à savoir le défaut d’intérêt économique, ne constitue qu’un des quatre motifs qui ont été relevés par la chambre de recours pour rejeter la demande de remboursement de taxe.
100 Or, à supposer même que ce motif ne soit pas fondé, la chambre de recours aurait pu constater, au moins au regard des premiers et troisièmes motifs, dont la requérante n’a pas contesté la légalité, qu’il ne convenait pas d’accueillir cette demande pour des raisons d’équité.
101 Par conséquent, il convient d’écarter le sixième moyen.
Sur le septième moyen, tiré de la violation de l’article 47 de la Charte en conjonction avec l’article 33, sous d), du règlement délégué 2018/625 en ce que la chambre de recours aurait pris en compte des arguments contenus dans le mémoire de BitTorrent
102 Au point 80 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté, dans le cadre de l’examen de la demande de remboursement de la taxe de recours, qu’« il ressort[ait] surtout des motifs de l’arrêt du Kammergericht Berlin [no 5 U 161/13 du 15 avril 2015] que l’action de la [requérante] à l’égard de [BitTorrent] relevait d’un abus de droit ».
103 La requérante soutient que cet argument a été utilisé par BitTorrent dans un mémoire qu’il a déposé devant l’EUIPO, le 23 septembre 2019, afin de contester la requête en transformation présentée par elle-même. Or, comme la production d’observations par BitTorrent ne serait pas prévue par le règlement 2017/1001, ce mémoire n’aurait pas dû être pris en compte par l’EUIPO. À tout le moins, la chambre de recours aurait dû inviter la requérante à déposer des observations afin de clarifier les faits pour lesquelles la mauvaise foi avait été constatée. En outre, la chambre de recours n’aurait pas dû tenir compte de l’appréciation effectuée par l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015, confirmée par l’arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) no I ZR 195/15 du 29 juin 2017, puisque ces arrêts seraient contraires au droit de l’Union.
104 L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.
105 Comme exposé précédemment au point 55 ci-dessus, le Tribunal a exclu l’application du droit à un procès équitable en vertu de l’article 47 de la Charte aux chambres de recours de l’EUIPO. Ensuite, dans la mesure où, par le présent moyen, la requérante conteste également le rejet de la demande du remboursement de la taxe du recours, il suffit de constater que, comme relevé au point 100 ci-dessus, la chambre de recours aurait quand même pu rejeter cette demande de remboursement en se fondant uniquement sur d’autres motifs non contestés.
106 Quant à l’argumentation de la requérante, il ne ressort pas, d’une part, du libellé du point 80 de la décision attaquée que la chambre de recours a « manifestement repris » les arguments développés par BitTorrent dans son mémoire du 23 septembre 2019.
107 En effet, tandis que ce dernier se référait à l’arrêt du Kammergericht Berlin (tribunal régional supérieur de Berlin) no 5 U 60/11 du 15 avril 2015, qui ne faisait pas partie du dossier dans la procédure ayant abouti à la décision attaquée, la chambre de recours s’est référée, au point 80 de la décision attaquée, à l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015, rendu par cette juridiction dans une procédure parallèle, qui a été considéré comme le seul pertinent dans la décision attaquée et qui contenait une constatation analogue concernant la mauvaise foi de la requérante à l’égard de BitTorrent.
108 Or, comme l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 faisait partie du dossier dans la procédure ayant abouti à la décision attaquée, la requérante pouvait prendre position sur les constatations figurant dans celui-ci. De même, la chambre de recours était en droit d’en tenir compte afin de statuer sur la demande de la requérante de remboursement de la taxe de recours.
109 En ce qui concerne, d’autre part, la prétendue incompatibilité de l’arrêt du Kammergericht no 5 U 161/13 du 15 avril 2015 et de l’arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) no I ZR 195/15 du 29 juin 2017 avec le droit de l’Union, il suffit de rappeler qu’il n’entre pas dans la compétence du Tribunal de contrôler les décisions des juridictions nationales et que, notamment, le Tribunal n’est pas compétent pour contrôler la conformité avec le droit de l’Union des décisions rendues par lesdites juridictions (voir ordonnance du 1er septembre 2020, Anthrakefs/Allemagne et Freistaat Bayern, T‑228/20, non publiée, EU:T:2020:387, point 7 et jurisprudence citée). Ainsi, il n’appartient pas au Tribunal d’examiner le raisonnement des juridictions susmentionnées, notamment lorsqu’elles s’expriment sur une marque nationale qui ne fait pas l’objet de la présente procédure.
110 Il s’ensuit que le septième moyen doit être écarté.
111 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
112 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
113 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Hochmann Marketing GmbH est condamnée aux dépens.
Kornezov | Kowalik-Bańczyk | Petrlík |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 juin 2022.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
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