PB v Commission (Order) French Text [2022] EUECJ T-407/21_CO (20 October 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/T40721_CO.html
Cite as: [2022] EUECJ T-407/21_CO

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ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

20 octobre 2022 (*)

« Référé – Marchés publics de services – Irrégularités dans la procédure d’attribution du marché – Recouvrement des montants indûment versés – Décision formant titre exécutoire – Demande de mesures provisoires – Urgence – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑407/21 R,

PB, représenté par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. B. Araujo Arce, J. Estrada de Solà et J. Baquero Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, le requérant, PB, sollicite, en premier lieu, le sursis à l’exécution de la décision C(2021) 3338 final de la Commission, du 5 mai 2021, relative au recouvrement d’un montant de 5 038 737,86 euros majoré des intérêts dus par l’administrateur de la société [confidentiel] (1) (ci‑après la « décision attaquée ») et, en second lieu, une injonction à la Commission européenne de ne pas procéder au recouvrement du montant figurant dans cette décision de quelque manière que ce soit, notamment par la mise en œuvre de la note de débit, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au principal.

 Antécédents du litige et conclusions des parties

2        Le requérant est l’administrateur d’une société privée à responsabilité limitée de droit belge.

3        La décision attaquée a été adoptée par la Commission dans le cadre du recouvrement des montants indûment perçus au titre du contrat portant la référence TACIS/2006/101‑510 (ci‑après le « marché TACIS ») et du contrat portant la référence CARDS/2008/166‑429 (ci‑après le « marché CARDS »).

4        Selon les termes de l’article 5 de la décision attaquée, celle‑ci forme titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE.

5        Le 26 janvier 2006, l’Union européenne, représentée par la Commission, a lancé un appel d’offres dans le but de conclure le marché TACIS, à savoir un marché de services pour la fourniture d’une assistance technique aux autorités ukrainiennes en vue du rapprochement de la législation ukrainienne avec la législation de l’Union.

6        Le 17 juillet 2006, le marché TACIS a été attribué au consortium coordonné par la société dont le requérant est l’administrateur, parmi douze soumissionnaires ayant déposé des offres. Ledit contrat a ensuite été signé pour une valeur maximale du marché de 4 410 000,00 euros. Selon l’article 11 de ce contrat, tout litige découlant du contrat ou s’y rapportant qui ne peut être réglé à l’amiable sera soumis à la compétence exclusive des tribunaux de Bruxelles (Belgique).

7        Le 24 octobre 2007, l’Union, représentée par l’Agence européenne pour la reconstruction en République de Serbie, a lancé un appel d’offres restreint en vue de la passation du marché CARDS, à savoir un marché de services pour la fourniture de services de renforcement des capacités, d’expertise et d’appui au ministère de la Justice serbe.

8        Le 10 juin 2008, le marché CARDS a été attribué au consortium coordonné par la société dont le requérant est l’administrateur, parmi quinze soumissionnaires ayant déposé des offres. Ledit contrat a ensuite été signé pour une valeur maximale de 1 999 125,00 euros. Selon l’article 11 de ce contrat, tout litige découlant du contrat ou s’y rapportant qui ne peut être réglé à l’amiable sera soumis à la compétence exclusive des tribunaux de Bruxelles.

9        Les 16 juillet 2009 et 31 mars 2010, sur le fondement d’un rapport d’analyse de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), la Commission a suspendu l’exécution des marchés TACIS et CARDS, respectivement, au motif que leur attribution avait été entachée d’erreurs ou d’irrégularités substantielles ou de fraude.

10      Le 9 octobre 2015, la Commission a résilié le marché CARDS.

11      Le 13 décembre 2019, la Commission a adressé deux lettres au requérant afin de l’informer qu’elle avait l’intention d’adopter à son égard des mesures administratives, telles que prévues aux articles 4 et 7 du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1). Dans ces lettres, elle a exposé qu’elle considérait que la responsabilité personnelle du requérant était engagée dans la mesure où il avait participé à la réalisation des irrégularités lors de l’attribution des marchés TACIS et CARDS et que, en tout état de cause, en sa qualité d’administrateur de la société coordinatrice, il était la personne qui aurait dû veiller à ce que ces irrégularités ne fussent pas commises.

12      Le 22 octobre 2020, la Commission a adopté la décision C(2020) 7151 final relative à l’application d’une mesure administrative à l’encontre de l’administrateur de la société [confidentiel], retirant les paiements indûment perçus au titre des contrats TACIS et CARDS (ci‑après la « décision du 22 octobre 2020 »). Selon l’article 2 de cette décision, le requérant est solidairement responsable avec la société dont il est l’administrateur du paiement de montants de 4 241 507 euros et de 1 197 055,86 euros, diminués d’un montant de 399 825 euros correspondant à une garantie financière qui avait déjà été exécutée, soit d’un montant total de 5 038 737,86 euros.

13      Le 24 décembre 2020, le requérant a introduit devant le Tribunal un recours, enregistré sous le numéro T‑775/20, tendant à l’annulation de la décision du 22 octobre 2020 et à la condamnation de l’Union au remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de cette décision et au paiement de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

14      Le 5 mai 2021, la Commission a adopté la décision attaquée, notifiée le 10 mai 2021, qui forme titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE.

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 juillet 2021, le requérant a introduit un recours tendant, notamment, à l’annulation de la décision attaquée.

16      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au principal ;

–        enjoindre à la Commission de ne pas procéder au recouvrement des montants figurant dans la décision attaquée de quelque manière que ce soit, notamment par la mise en œuvre de la note de débit, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au principal ;

–        réserver les dépens.

17      Par courrier du 14 juillet 2021 adressé au greffe du Tribunal, la Commission a demandé au Tribunal d’accorder une suspension de la procédure dans le cadre de l’affaire T‑407/21 et de la présente demande en référé jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur l’affaire T‑775/202. Dans cette demande, elle précisait que, si cette suspension était accordée, elle s’engageait à ne pas exécuter la décision attaquée jusqu’à ce que le Tribunal ait décidé sur la présente demande en référé.

18      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 20 juillet 2021, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée, sans préjudice de la possibilité de suspendre la procédure dans le cadre de cette demande jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur l’affaire T‑775/20 ;

–        réserver les dépens.

19      Par décision du 21 juillet 2021, le président du Tribunal, ayant pris acte de l’engagement de la Commission à ne pas exécuter la décision attaquée en cas de suspension, a décidé, conformément à l’article 69, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, de suspendre la présente procédure en référé jusqu’à l’adoption de la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑775/20.

20      À la suite de l’arrêt du 14 septembre 2022, PB/Commission (T‑775/20, non publié, EU:T:2022:542), la présente procédure de référé a été reprise. Par cet arrêt, le Tribunal a annulé la décision du 22 octobre 2020, au motif que l’application conjointe de l’article 103, troisième alinéa, du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1) et des articles 4 et 7 du règlement no 2988/95 ne permettait pas l’adoption à l’encontre du requérant d’une mesure administrative comme celle que comportait la décision du 22 octobre 2020, dans la mesure où il était constant qu’il n’avait pas la qualité de contractant et qu’il n’était pas le bénéficiaire direct des paiements effectué par l’Union.

21      Par une mesure d’organisation de la procédure du 19 septembre 2022, le président du Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur les conséquences qu’elles tirent, pour la présente affaire, de l’arrêt du 14 septembre 2022, PB/Commission (T‑775/20, non publié, EU:T:2022:542).

22      Le 26 septembre 2022, la Commission a déposé ses observations dans lesquelles elle a déclaré qu’elle ne s’opposerait pas à ce que la présente demande en référé soit accueillie.

23       Le 29 septembre 2022, le requérant a déposé ses observations.

  En droit

 Généralités

24      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

25      L’article 156, paragraphe 4, première phrase, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

26      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

27      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

28      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

29      À la lumière de l’arrêt du 14 septembre 2022, PB/Commission (T‑775/20, non publié, EU:T:2022:542), il y a lieu de souligner que la Commission ne s’oppose pas à ce que la présente demande en référé soit accueillie, et que, par conséquent, l’exécution de la décision attaquée soit suspendue jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au principal.

30      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la condition relative à l’urgence

31      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

32      C’est à la lumière de ces critères qu’il convient d’examiner si le requérant parvient à démontrer l’urgence.

33      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice subi, en premier lieu, le requérant allègue que l’exécution de la décision attaquée ne lui permettrait manifestement plus de faire face à ses besoins élémentaires jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au principal. En effet, le requérant confirme, dans une attestation sur l’honneur datée du 8 juin 2021, jointe en annexe à la demande en référé, que l’intégralité de son patrimoine ne lui permettrait pas d’apurer cette dette.

34      En second lieu, le requérant fait valoir que le sursis à l’exécution de la décision attaquée est nécessaire à l’amélioration de son état de santé. Il ajoute que son médecin traitant, par le certificat médical du 8 juin 2021 joint en annexe à la demande en référé, confirme que, depuis octobre 2020, date à laquelle la Commission a décidé de recouvrer les sommes litigieuses, son état de santé s’est dégradé en raison d’une situation de stress important.

35      À cet égard, en premier lieu, s’agissant du préjudice financier invoqué, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un préjudice d’ordre pécuniaire ne saurait, sauf circonstances exceptionnelles, être considéré comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice. Un tel préjudice pourrait notamment être réparé dans le cadre d’un recours en indemnité introduit sur la base des articles 268 et 340 TFUE [voir ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 24 et jurisprudence citée].

36      Il appartient, toutefois, au juge des référés d’apprécier, en fonction des circonstances propres à chaque espèce, si l’exécution immédiate de la décision faisant l’objet de la demande de sursis peut causer au requérant un préjudice grave et imminent, que même l’annulation de la décision au terme de la procédure au principal ne pourrait plus réparer.

37      En l’occurrence, le juge des référés doit s’assurer, eu égard aux circonstances propres à la situation du requérant, qu’il dispose d’une somme devant normalement lui permettre de faire face à l’ensemble des dépenses indispensables pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires jusqu’au moment où il sera statué sur le fond du recours (voir, en ce sens, ordonnance du 14 juillet 2011, Trabelsi e.a./Conseil, T‑187/11 R, non publiée, EU:T:2011:384, point 38 et jurisprudence citée).

38      En l’espèce, il ressort des écritures, et notamment de l’annexe A.27 de la demande en référé, que le patrimoine du requérant comprend des parts dans la société mère de la société dont il est l’administrateur et dans une autre société s’élevant à 2 417 078,04 euros, un montant de 171 506,00 euros répartis sur trois comptes bancaires, un bien immobilier en copropriété dont la valeur est d’environ 120 000 euros et une voiture d’une valeur d’environ 50 000 euros.

39      En outre, s’agissant de la société dont le requérant est l’administrateur, également redevable à la Commission, conjointement avec le requérant, du montant imposé par la décision attaquée, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’annexe A.29 de la demande en référé, que l’ensemble de ses actifs s’élève au 31 décembre 2020 à 788 618,32 euros et que l’endettement s’élève à 679 509,31 euros. La valeur de ses fonds propres est de 81 478,31 euros.

40      En ce qui concerne la société mère de la société dont le requérant est l’administrateur, détenue à 100 % par le requérant, l’attestation du réviseur d’entreprises, figurant à l’annexe A.29 de la demande en référé, confirme que l’ensemble des actifs appartenant à cette société s’élève au 31 décembre 2020 à 2 300 267,27 euros et que l’endettement s’élève à 3.018.196,51 euros.

41      Au vu des éléments mentionnés ci‑dessus, qui n’ont pas été remis en cause par la Commission dans ses dernières observations du 26 septembre 2022, il n’apparaît pas que, en cas d’exécution de la décision attaquée, le requérant dispose d’un revenu lui permettant de faire face à l’ensemble des dépenses indispensables pour assurer la satisfaction de ses besoins élémentaires jusqu’au moment où il sera statué au principal.

42      Ainsi, dans les circonstances particulières de l’espèce, le préjudice grave et irréparable allégué par le requérant doit être regardé comme étant établi, l’incapacité à assurer, durant une période prolongée, la satisfaction de ses besoins élémentaires ne pouvant être réparée par une compensation financière ultérieure.

43      La condition relative à l’urgence étant remplie, il convient donc d’examiner la condition relative au fumus boni juris.

 Sur la condition relative au fumus boni juris

44      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

45      Afin de déterminer si la condition relative au fumus boni juris est remplie en l’espèce, il y a lieu de procéder à un examen prima facie du bien‑fondé des griefs invoqués par la partie requérante à l’appui du recours dans l’affaire principale et donc de vérifier si au moins l’un d’entre eux présente un caractère suffisamment sérieux pour justifier qu’il ne soit pas écarté dans le cadre de la procédure de référé (voir ordonnance du 4 mai 2020, Csordas e.a./Commission, T‑146/20 R, non publiée, EU:T:2020:172, point 26 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, aux fins de démontrer que la décision attaquée est, à première vue, entachée d’illégalité, le requérant invoque trois moyens dans sa demande en référé.

47      Il convient d’examiner le troisième moyen de la demande en référé, par lequel le requérant invoque l’incompétence de la Commission pour adopter les décisions portant titre exécutoire, l’absence de base juridique et une erreur manifeste d’appréciation.

48      Dans ce cadre, le requérant fait notamment valoir que la Commission n’était pas compétente pour adopter les décisions formant titre exécutoire aux fins du recouvrement de la créance qu’elle prétend détenir à l’encontre de la société dont le requérant est l’administrateur, en l’absence de clause compromissoire dans les contrats qui les lient conférant compétence aux juridictions de l’Union pour les litiges les opposant en matière contractuelle. Selon lui, lesdites décisions portent sur des créances de nature contractuelle, dès lors que celles‑ci trouvent leur fondement juridique dans les marchés TACIS et CARDS ainsi que dans les actes qui y sont applicables. Or, lesdits contrats confèreraient compétence exclusive aux juridictions belges pour les litiges opposant leurs parties en matière contractuelle. Ces contrats ne contiendraient pas de clause compromissoire au bénéfice des juridictions de l’Union. Par conséquent, étant donné que les contrats en question ne contenaient pas de telle clause, il ne pourrait qu’être conclu que la Commission n’avait pas le pouvoir d’adopter ces décisions et que ces dernières sont dépourvues de base juridique.

49      Il en découle, selon le requérant, que, si la Commission n’a pas de compétence pour adopter les décisions formant titre exécutoire aux fins du recouvrement de la créance qu’elle prétend détenir à l’encontre de la société dont le requérant est l’administrateur, elle ne peut avoir davantage de compétence pour ce faire à l’égard du requérant, puisque la cause de son action est de nature contractuelle.

50      À cet égard, tout d’abord, il y a lieu de rappeler que la décision attaquée a comme base légale l’article 299 TFUE, l’article 100, paragraphe 2, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) (ci‑après le « règlement financier ») et les articles 4 et 7 du règlement no 2988/95.

51      Selon la jurisprudence, l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier peut servir de base juridique à la Commission pour adopter des décisions formant titre exécutoire, au sens de l’article 299 TFUE, alors même que l’obligation pécuniaire en cause est de nature contractuelle (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 58).

52      Ensuite, il convient de rappeler que le recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE est ouvert de manière générale contre tous les actes pris par les institutions de l’Union, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de cette dernière (arrêts du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 16 ; du 28 février 2019, Alfamicro/Commission, C‑14/18 P, EU:C:2019:159, point 47, et du 25 juin 2020, CSUE/KF, C‑14/19 P, EU:C:2020:492, point 69).

53      Toutefois, le juge de l’Union n’est pas compétent pour connaître d’un recours en annulation lorsque la situation juridique du requérant s’inscrit exclusivement dans le cadre de relations contractuelles dont le régime juridique est régi par la réglementation nationale désignée par les parties contractantes (voir arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 63 et jurisprudence citée).

54      En outre, la Commission ne peut adopter de décision formant titre exécutoire dans le cadre de relations contractuelles qui ne contiennent pas une clause compromissoire en faveur du juge de l’Union et qui relèvent, de ce fait, de la compétence juridictionnelle des juridictions d’un État membre. En effet, l’adoption d’une telle décision par la Commission en l’absence de clause compromissoire conduirait à restreindre la compétence de ces dernières juridictions, puisque le juge de l’Union deviendrait compétent pour juger de la légalité de cette décision. La Commission pourrait ainsi contourner systématiquement la répartition des compétences entre le juge de l’Union et les juridictions nationales consacrée dans le droit primaire. Partant, le pouvoir de la Commission d’adopter des décisions formant titre exécutoire dans le cadre de relations contractuelles doit être limité aux contrats qui contiennent une clause compromissoire attribuant compétence au juge de l’Union (arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 73).

55      Enfin, il convient d’ajouter que, dans son arrêt du 14 septembre 2022, PB/Commission (T‑775/20, non publié, EU:T:2022:542, points 65 et 67), le Tribunal a jugé que le règlement no 2988/95 ne pouvait constituer à lui seul le fondement juridique pertinent aux fins de l’adoption de mesures administratives visant à la récupération de montants indûment perçus. Quant aux dispositions du règlement no 2988/95 qui définissent les mesures administratives, en l’occurrence l’article 4 dudit règlement, elles mentionnent, notamment, « l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus », mais sans mentionner que lesdites mesures peuvent s’appliquer à d’autres personnes ou entités que leur bénéficiaire, en particulier en imposant à un tiers le remboursement des sommes indûment perçues par ledit bénéficiaire. Or, à l’instar de ce qui concerne les sanctions administratives, il y a lieu de relever que l’article 7 du règlement no 2988/95 n’apporte pas de précisions s’agissant de la catégorie d’acteurs devant faire l’objet d’une mesure administrative dans un tel cas.

56      À cet égard, en l’espèce, il y a lieu de constater, d’une part, que la décision attaquée est fondée à la fois sur l’article 299 TFUE, sur l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier et sur les articles 4 et 7 du règlement no 2988/95 et, d’autre part, comme mentionné aux points 6 et 8 ci‑dessus, que les contrats conclus avec la société dont le requérant est l’administrateur ne comportent pas une clause compromissoire attribuant compétence au juge de l’Union, mais comportent, en revanche, en leur article 11, une clause selon laquelle tout litige découlant desdits contrats sera soumis à la compétence exclusive des tribunaux de Bruxelles.

57      Il résulte de ce qui précède que, sans préjuger de la décision du Tribunal sur le recours au principal, il y a lieu de conclure que ce moyen, invoqué par le requérant, apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Il mérite donc un examen approfondi qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit l’être dans le cadre de la procédure au fond.

  Sur la mise en balance des intérêts

58      Selon la jurisprudence, les risques liés à chacune des solutions possibles doivent être mis en balance dans le cadre de la procédure de référé. Concrètement, cela implique notamment d’examiner si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à obtenir le sursis à l’exécution de l’acte attaqué prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de celui‑ci. Lors de cet examen, il convient de déterminer si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui serait provoquée par son exécution immédiate et, inversement, dans quelle mesure le sursis serait de nature à faire obstacle aux objectifs poursuivis par l’acte attaqué au cas où le recours principal serait rejeté [voir ordonnance du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 127 et jurisprudence citée].

59      En l’espèce, s’agissant de l’intérêt du requérant, celui‑ci soutient que l’annulation de la décision attaquée ne permettrait pas le renversement de la situation résultant de son exécution immédiate, dès lors que le préjudice financier allégué, à savoir l’incapacité de faire face à ses besoins essentiels, se serait réalisé de manière définitive.

60      En revanche, la suspension de la décision attaquée serait susceptible de porter préjudice aux intérêts financiers de l’Union défendus par la Commission.

61      En premier lieu, s’agissant de l’intérêt du requérant à éviter qu’il ne soit procédé au recouvrement immédiat des montants en cause, force est de constater que, dans les circonstances de l’espèce, l’exécution de la décision attaquée entraînerait vraisemblablement l’incapacité pour le requérant de faire face à ses besoins les plus élémentaires.

62      En second lieu, s’agissant des intérêts financiers de l’Union, il convient de noter que la Commission ne fournit aucune explication à cet égard.

63      Bien au contraire, dans sa réponse à la demande adressée aux parties par le président du Tribunal, par sa lettre du 19 septembre 2022, de présenter leurs observations sur les conséquences qu’elles tiraient, pour la présente affaire, de l’arrêt du 14 septembre 2022, PB/Commission (T‑775/20, non publié, EU:T:2022:542), par lequel le Tribunal a annulé la décision du 22 octobre 2020, la Commission a répondu que, à la lumière de cet arrêt, elle ne s’opposait pas à ce que la demande en référé soit accueillie et à ce que, par conséquent, l’exécution de la décision attaquée soit suspendue jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours au principal.

64      Il en découle qu’il semble que la Commission considère elle‑même que la suspension de l’exécution de la décision attaquée serait souhaitable en l’espèce.

65      En outre, il y a lieu d’observer que, comme le requérant le fait valoir, le sursis à l’exécution de la décision attaquée n’entraîne aucune conséquence définitive. En cas de rejet du recours au fond, la Commission pourra exiger sa créance de manière différée, sans autre conséquence.

66      Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que la balance des intérêts penche en faveur du requérant.

67      Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la demande du requérant visant à enjoindre à la Commission de ne pas procéder au recouvrement des montants figurant dans la décision attaquée de quelque manière que ce soit, la demande en référé doit être accueillie et le sursis à l’exécution de la décision attaquée doit être ordonné.

68      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision C(2021) 3338 final de la Commission, du 5 mai 2021, relative au recouvrement d’un montant de 5 038 737,86 euros majoré des intérêts dus par l’administrateur de la société [confidentiel].

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 20 octobre 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.


1 Données confidentielles occultées.

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