QA v Commission (Judgment) French Text [2022] EUECJ T-68/21 (27 April 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/T6821.html
Cite as: EU:T:2022:243, ECLI:EU:T:2022:243, [2022] EUECJ T-68/21

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ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

27 avril 2022 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Convention de subvention conclue dans le cadre du septième programme cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013) – Rapport d’audit – Langage – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Proportionnalité – Principe de bonne administration »

Dans l’affaire T‑68/21,

QA, représentée par Me C. Roth, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par Mmes C. Perrin et E. Stamate, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mmes O. Porchia (rapporteure) et M. Stancu, juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 31 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 268 TFUE, la requérante, QA, demande réparation des préjudices matériel et moral qu’elle aurait subis du fait de certains propos figurant dans le rapport d’audit final du 8 janvier 2014 adopté par la Commission européenne à la suite de l’audit financier réalisé au sujet de la participation de A au projet B qui a été financé dans le cadre du septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013).

 Antécédents du litige

2        Le 9 janvier 2009, la Commission a signé la convention de subvention no 218148 (ci-après la « convention de subvention ») portant sur la réalisation du projet B dans le cadre du septième programme-cadre pour des actions de recherche, de développement technologique et de démonstration (2007-2013). [confidentiel] (1).

3        Le consortium des bénéficiaires de la convention de subvention était composé de [confidentiel], agissant en qualité de coordinateur, et de huit autres entités, dont A. Le projet a débuté le 1er décembre 2008, avec une durée initiale de 36 mois étendue plus tard à 44 mois.

4        La requérante est une employée de A et a travaillé sur le projet B en qualité de [confidentiel]au sein de la division de physique expérimentale de A.

5        Du 21 au 24 janvier 2013, les auditeurs de la Commission ont réalisé un audit financier relatif à la participation de A au projet B couvrant toute la durée de ce dernier, à savoir du 1er décembre 2008 au 31 juillet 2012.

6        Le 3 juin 2013, la Commission a envoyé à A un rapport d’audit provisoire. A a communiqué à la Commission ses observations sur ce rapport le 11 juillet 2013.

7        Le 8 janvier 2014, la Commission a adressé à A le rapport d’audit final (ci-après le « rapport d’audit »). Dans ce rapport, les auditeurs ont notamment constaté des irrégularités relatives aux coûts de personnel et aux relevés de temps de travail présentés par A. Ces irrégularités concernaient la requérante et d’autres employés de A.

8        S’agissant de la requérante, le rapport d’audit a énoncé les propos suivants (ci-après, pris ensemble, les « propos litigieux ») :

–        premièrement : aucun relevé de temps de travail n’a été soumis pour le mois de juillet 2011 ;

–        deuxièmement : la requérante a travaillé pour l’entreprise C sur des projets d’analyse des sédiments pour différentes organisations au cours de la période allant de 2008 à 2011 et n’en a pas tenu compte dans ses relevés de temps de travail ; en particulier, des preuves ont été soumises démontrant qu’elle travaillait à tout le moins sur un projet d’analyse des sédiments pour une organisation non gouvernementale (ONG) croate appelée [confidentiel] ; la requérante était rémunérée pour ces services par C. Ces projets se sont déroulés parallèlement au projet B, mais le temps que la requérante leur a consacré ne figurait pas dans les relevés de temps de travail ; selon D, ces heures ont été effectuées pendant son temps libre ; les auditeurs n’ont pas pu établir l’existence d’informations contradictoires ;

–        troisièmement : la requérante a caché ces informations aux services de la Commission (chef de projet et équipe d’audit) ; interrogée directement sur ce point, elle a nié avoir travaillé pour C à titre privé jusqu’à ce qu’elle ait dû faire face aux faits établissant le contraire ;

–        quatrièmement : A affirme n’avoir pas été informé par la requérante de ces activités ; selon les termes de son contrat, la requérante est dans l’obligation d’informer la direction de A de sa participation à des projets externes et de demander son autorisation préalable (article 9, paragraphe 2, du contrat de travail applicable aux employés de A) ; s’il est autorisé, conformément aux règles internes de A, le temps de travail consacré aux projets externes ne peut pas dépasser 50 % du temps de travail total ; toutefois, la requérante n’a pas déclaré travailler pour d’autres projets externes relatifs à des travaux de même nature que ceux de A (voir point 2.2, « Coûts liés à l’activité à titre privé », du rapport d’audit) ; les représentants de A ont nié immédiatement que la requérante les avait informés de sa participation à d’autres projets externes ou avait demandé à la direction de A une autorisation de participer à ces projets et la requérante ne les a pas informés de sa relation de travail avec C ;

–        cinquièmement : la requérante a tenté de se justifier en affirmant que ses activités privées n’étaient pas concernées par l’audit du projet B ; toutefois, l’équipe d’audit a souligné que le fait de cacher des informations relatives au temps de travail avait affecté la déclaration de coûts relative au projet financé par la Commission et que le fait de cacher des informations, de ne pas divulguer des informations ayant une incidence sur les coûts du projet et de fournir des informations trompeuses à l’équipe d’audit étaient de graves et fausses déclarations qui pourraient avoir une incidence sur le financement de la Commission ;

–        sixièmement : dans une déclaration écrite présentée par la requérante le 4 janvier 2013, celle-ci affirme clairement que « le personnel employé par A dans le cadre du projet B n’exerçait [d’]activités [ni] n’avait d[e] contrats qu’avec A » ; il s’agit là d’une fausse déclaration manifeste ;

–        septièmement : il a également été constaté que la requérante avait fait une déclaration double et contradictoire concernant les frais de déplacement et le temps de travail relatifs aux projets financés par la Commission, à savoir le projet [confidentiel] au titre du sixième programme-cadre pour la recherche et le développement technologique (2002-2006) et le projet B ; par exemple, pour la période allant du 11 au 13 juin 2009, elle a déclaré être à Zagreb (Croatie) et à Cadarache (France) pour le projet [confidentiel], alors qu’au cours de la même période, elle a déclaré participer à une conférence à Marseille (France) pour le projet B ; étant donné que le temps de travail effectué avant le 11 mai est rejeté, cela n’a cependant pas d’incidence financière ;

–        huitièmement : il a également été constaté que la requérante avait dépassé le temps de travail maximal dans sa déclaration, lors de la totalisation du temps de travail relative au projet [confidentiel] et au projet B (261,5 jours pour la requérante contre un nombre maximum de 250 jours ouvrables pour 2010).

 Conclusions des parties

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission au versement d’une somme de 431 198,76 euros visant à réparer le préjudice matériel qui lui a été causé ;

–        condamner la Commission au versement d’une somme de 100 000 euros visant à réparer le préjudice moral qui lui a été causé ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable et, en tout état de cause, à titre subsidiaire, comme étant non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

11      En substance, à l’appui du recours, d’une part, la requérante soutient que, en énonçant les propos litigieux qu’elle qualifie de « calomnieux » dans le rapport d’audit, la Commission a violé de façon grave et manifeste le principe de proportionnalité, les droits de la défense et le principe de bonne administration, ce qui lui a causé un préjudice matériel se soldant par un manque à gagner. En effet, ce serait à la suite de ces propos qu’elle se serait vu opposer à trois reprises un refus à sa demande de promotion au poste de collaboratrice scientifique de rang supérieur. La requérante évalue son préjudice matériel à 431 198,76 euros.

12      D’autre part, la requérante soutient, en substance, que la violation grave et manifeste du principe de proportionnalité est également à l’origine d’un préjudice moral tiré de l’atteinte à sa réputation. En particulier, selon la requérante, à la suite des propos litigieux, premièrement, elle éprouverait des difficultés à être « réintroduite sur certains projets », deuxièmement, le laboratoire au sein duquel elle travaille aurait été réorganisé, en ce qui concernait tant sa localisation que son champ de recherche, et, troisièmement, le nombre de références à ses articles dans des journaux indexés par la Web of Science Database aurait drastiquement chuté alors même qu’il était en hausse entre 2012 et 2014. La requérante évalue ex æquo et bono son préjudice moral à 100 000 euros.

13      Lors de l’audience, la requérante a précisé que le recours ne visait ni à demander au Tribunal de statuer sur la régularité de la procédure d’audit réalisée par la Commission, ni à remettre en cause le bien-fondé du rapport d’audit, mais uniquement à contester le langage utilisé dans ce dernier et, plus précisément, dans les propos litigieux.

 Sur la recevabilité

14      Lors de l’audience, la Commission a soutenu que, en précisant que le recours visait uniquement à contester le langage utilisé dans le rapport d’audit et, plus précisément, dans les propos litigieux (voir point 13 ci-dessus), la requérante soulevait non pas un argument nouveau, ainsi qu’elle l’avait soutenu dans la duplique, mais un moyen nouveau, qui rendrait le recours irrecevable dans son entièreté. En effet, ce nouveau moyen ne figurerait pas dans la requête et aurait été introduit uniquement au stade de la réplique.

15      À cet égard, il suffit de rappeler que, en vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, sauf si ces moyens se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et présentant un lien étroit avec celui-ci, doit être déclaré recevable. Une solution analogue s’impose pour un grief invoqué au soutien d’un moyen (voir arrêt du 26 février 2016, Bodson e.a./BEI, T‑240/14 P, EU:T:2016:104, point 30 et jurisprudence citée).

16      En l’espèce, la précision apportée par la requérante, et qualifiée de moyen nouveau par la Commission lors de l’audience, a été présentée dans la réplique au soutien du premier moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité du fait des propos litigieux qualifiés de « calomnieux ». Dès lors, il convient de constater que ladite précision constitue une ampliation du premier moyen, laquelle est recevable.

17      Partant, il convient de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la Commission lors de l’audience.

18      En outre, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, dans ses écritures, la Commission fait valoir que la demande d’indemnisation des préjudices matériel et moral que la requérante indique avoir subis doit être rejetée comme étant irrecevable en raison de l’expiration du délai de prescription prévu par l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut.

19      La requérante conteste cette fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

20      Eu égard aux arguments des parties, le Tribunal estime que, dans le cas d’espèce, l’examen de la question de la prescription soulevée par la Commission nécessite de déterminer au préalable si la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est susceptible d’être engagée et, dans l’affirmative, jusqu’à quelle date (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2006, Blom e.a./Conseil et Commission, T‑87/94, EU:T:2006:135, point 59 et jurisprudence citée, et du 12 décembre 2006, Werners/Conseil et Commission, T‑373/94, EU:T:2006:383, point 56 et jurisprudence citée).

21      De plus, il convient de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, point 52, et du 22 mai 2007, Mebrom/Commission, T‑216/05, EU:T:2007:148, point 60 et jurisprudence citée).

22      Or, le Tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé des conclusions en indemnité de la requérante, sans statuer préalablement sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription.

 Sur le fond

 Sur les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union

23      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 340, deuxième alinéa, TFUE prévoit que, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

24      L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de la disposition mentionnée au point 23 ci-dessus, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 32 et jurisprudence citée).

25      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies. Par ailleurs, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir arrêt du 16 octobre 2014, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑297/12, non publié, EU:T:2014:888, point 33 et jurisprudence citée).

26      C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante.

 Sur le comportement prétendument illégal reproché à la Commission

27      S’agissant de la condition relative au comportement illégal reproché à l’institution ou à l’organe concerné, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, point 42). Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe de l’Union concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, EU:C:2002:736, point 54, et du 12 juillet 2001, Comafrica et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, T‑198/95, T‑171/96, T‑230/97, T‑174/98 et T‑225/99, EU:T:2001:184, point 134).

28      En l’espèce, compte tenu de la technicité et de la complexité du projet B, lors de l’évaluation dudit projet, les services d’audit de la Commission disposaient d’une marge d’appréciation qui n’était pas considérablement réduite, voire inexistante, mais, en réalité, importante, ainsi que l’admettent d’ailleurs les parties.

29      Il en découle que, conformément à la jurisprudence citée au point 27 ci-dessus, en l’espèce, la responsabilité de l’Union ne pourrait être engagée qu’en présence d’une méconnaissance grave et manifeste des limites de son pouvoir d’appréciation.

30      Afin de démontrer que le comportement de la Commission était illégal, la requérante avance, en substance, trois moyens. En effet, elle soutient que, en énonçant les propos litigieux dans le rapport d’audit, la Commission a violé de façon grave et manifeste, premièrement, le principe de proportionnalité, deuxièmement, les droits de la défense et, troisièmement, le principe de bonne administration.

31      Les premier et troisième moyens étant étroitement liés, le Tribunal estime opportun de les examiner en premier lieu, conjointement, et d’examiner, en second lieu, le deuxième moyen.

–       Sur les premier et troisième moyens, tirés, respectivement, de la méconnaissance du principe de proportionnalité et du principe de bonne administration

32      À l’appui du premier moyen, la requérante soutient, en substance, que, par les propos litigieux, la Commission a porté de graves accusations à son égard en méconnaissance totale du principe de proportionnalité. Plus précisément, la Commission l’aurait accusée délibérément d’avoir procédé à une rétention d’informations, d’avoir effectué de fausses déclarations et d’avoir manqué à ses obligations contractuelles, en faisant peser sur elle une présomption de culpabilité.

33      Selon la requérante, en premier lieu, ces accusations sont infondées étant donné qu’elles portent en substance sur des informations dont la Commission était déjà destinataire de multiples façons. En effet, la requérante relève avoir mené des travaux en parallèle du projet B, qui consistaient en une collecte d’échantillons pour l’analyse de sédiments, et ce pour diverses organisations, C notamment. Elle aurait signé avec C plusieurs contrats de droits d’auteur, dont plusieurs copies auraient été fournies aux auditeurs de la Commission. En outre, les auditeurs de la Commission se seraient vu remettre un ouvrage, résultat de la publication des travaux auxquels elle avait contribué avec C.

34      En second lieu, la requérante reproche à la Commission de l’avoir accusée, sans aucune preuve, d’avoir mené des activités privées incompatibles avec la poursuite du projet B. Ces accusations, qui ne seraient étayées par aucun élément objectif, seraient infondées et méconnaîtraient les limites du pouvoir d’appréciation de la Commission. À cet égard, la requérante soutient, d’une part, avoir mené des travaux antérieurement à la mise en œuvre du projet B durant son temps libre et, d’autre part, n’avoir pas contrevenu aux règles de son contrat de travail. En effet, le statut du personnel de A ne ferait mention d’un conflit d’intérêts que lorsque le travail effectué par l’agent en parallèle de son emploi principal est susceptible d’avoir un impact négatif sur la poursuite des tâches au sein de A ou lorsqu’il est fait en coopération avec une entité concurrente de A. En outre, la requérante affirme n’avoir jamais caché à A la nature des activités qu’elle menait en parallèle de son emploi principal.

35      En tout état de cause, selon la requérante, aucun élément figurant dans le rapport d’audit ne permettrait de déterminer en quoi ses activités parallèles auraient nui à la qualité du travail fourni dans le cadre du projet B. De surcroît, le contenu du rapport d’audit ne permettrait en rien d’établir une quelconque incidence sur l’opportunité du financement du projet B par la Commission.

36      Tant dans la réplique que lors de l’audience (voir point 13 ci-dessus), la requérante précise que, à supposer même que les accusations figurant dans les propos litigieux soient fondées, le langage utilisé dans le rapport d’audit n’est pas un langage neutre, mais un langage manifestement disproportionné, reflétant des états d’âme et ouvertement hostile à son égard. Dès lors, la requérante propose une formulation alternative des propos litigieux qu’elle estime plus appropriée.

37      À l’appui du troisième moyen tel qu’il a été précisé lors de l’audience, la requérante soutient que les auteurs du rapport d’audit auraient dû veiller aux effets que les propos litigieux pourraient avoir sur l’image de la personne qui en faisait l’objet. Cependant, le quatrième point de leurs propos aurait fait référence à la requérante de manière explicite en l’opposant à son propre employeur en raison de la prétendue violation de son contrat de travail. Ainsi, la Commission aurait commis une violation suffisamment caractérisée du principe de bonne administration consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en faisant preuve d’un comportement approximatif.

38      La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

39      Compte tenu de la précision apportée par la requérante lors de l’audience en ce qui concerne le premier moyen (voir points 13 et 36 ci-dessus), il y a lieu d’examiner les arguments qu’elle avance au soutien des premier et troisième moyens comme visant, en substance, à contester uniquement la proportionnalité de la conduite de la Commission en raison du langage utilisé par les auditeurs dans la rédaction des propos litigieux.

40      Cela étant précisé, il convient de rappeler, à titre liminaire, que le principe de proportionnalité constitue un principe général de droit de l’Union, qui est consacré par l’article 5, paragraphe 4, TUE. Ce principe exige que les actes des institutions, organes et organismes de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché. Ce principe a vocation à régir tous les modes d’action de l’Union, qu’ils soient ou non contractuels (voir arrêt du 10 octobre 2019, Help – Hilfe zur Selbsthilfe/Commission, T‑335/17, non publié, EU:T:2019:736, points 197 et 198 et jurisprudence citée).

41      En l’espèce, il y a lieu de déterminer si, par le langage utilisé pour rédiger les propos litigieux, la Commission a dépassé les limites de ce qui était approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché dans le cadre de l’audit financier.

42      À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que le rapport d’audit a été établi par les services de la Commission dans le cadre d’un audit financier conduit, conformément au point II.22, paragraphe 1, de l’annexe II de la convention de subvention, afin de vérifier si le projet avait été bien géré et si ses dispositions avaient été respectées du point de vue de son exécution et de l’imputation des coûts. Dès lors, le but du rapport d’audit n’était pas d’évaluer la qualité du travail des bénéficiaires de la convention de subvention, comme dans le cadre d’un audit technique prévu au point II.23, paragraphe 1, de l’annexe II de la même convention, mais de constater des faits relatifs au temps de travail que le personnel du bénéficiaire avait passé sur le projet audité et sur les autres activités qu’il avait menées en parallèle durant le projet.

43      En particulier, le rapport d’audit vise à vérifier si les coûts déclarés par A en exécution de la convention de subvention respectaient les conditions fixées au point II.14 de l’annexe II de ladite convention et, partant, s’ils pouvaient être considérés comme éligibles et justifiés. Ainsi, comme la Commission le souligne, les auditeurs ont vérifié les relevés de temps de travail du personnel impliqué dans le projet ainsi que les autres activités professionnelles du personnel, notamment le travail mené sur d’autres projets, afin de s’assurer qu’il était possible de concilier le temps consacré au projet audité avec d’autres tâches professionnelles exercées par la personne concernée lors de la période auditée.

44      En deuxième lieu, il convient de relever que le moyen tiré de la prétendue non-proportionnalité du langage utilisé pour rédiger les propos litigieux se fonde sur une perception purement subjective de la requérante, liée à sa propre sensibilité, plutôt que sur des critères objectifs.

45      En effet, il convient de constater que, en rédigeant les propos litigieux, les auditeurs n’ont pas utilisé, en ce qui concernait la requérante, d’expressions « clairement malveillantes » ni de « déclarations diffamatoires ». Ils n’ont pas non plus fait usage de termes injurieux. En particulier, à cet égard, il convient de préciser que les termes « fausse déclaration manifeste » (clear misrepresentation) utilisés dans le cadre du sixième point de leurs propos reflètent les faits, tels qui ont été établis lors de l’audit, à savoir la circonstance selon laquelle la requérante a soumis une déclaration contradictoire dont la teneur n’a pas été remise en cause. Ainsi, contrairement à ce que la requérante soutient, le mot « manifeste » (clear) ne revient pas à supposer qu’elle a souhaité intentionnellement faire une fausse déclaration, mais vise plutôt à souligner le caractère « évident » du fait que ladite déclaration est contredite par les faits établis. De même, les termes « déclaration double et contradictoire » (contradictory and double declaration) utilisés dans le cadre du septième point des propos litigieux ne font que refléter la situation factuelle décrite dans l’exemple mentionné dans ce même point.

46      En outre, il convient de relever que, contrairement à ce que la requérante soutient, le langage utilisé ne donne pas « l’impression [qu’elle] aurait été une tricheuse d’une grande malhonnêteté et que son comportement aurait mené à une fraude financière au préjudice du contribuable européen ». En particulier, les termes « activités privées » figurant au cinquième point des propos litigieux (voir point 8, cinquième tiret, ci-dessus) ont été utilisés pour faire comprendre qu’elle avait mené des activités externes, voire des activités autres que celles liées au projet B, sans que cela apparaisse sur le relevé de temps de travail soumis par A à la Commission, ce que, d’ailleurs, la requérante ne remet pas en cause. Par ailleurs, dans la mesure où la requérante ne conteste pas le bien-fondé des propos litigieux, toute expression alternative comme celles qu’elle suggère ne saurait remettre en cause le fait qu’elle a mené des activités autres que celles liées au projet B.

47      En troisième lieu, la Commission a fait valoir lors de l’audience que les propos litigieux se limitaient à refléter, conformément à sa pratique, les constatations factuelles formulées par les représentants de A en ce qui concernait le relevé de temps de travail et les activités de la requérante et, de façon plus générale, du personnel de A impliqué dans le projet B, ce que la requérante n’a pas été en mesure de contester.

48      Dès lors, il ne saurait être conclu que le langage utilisé par les auditeurs pour rédiger les propos litigieux revêt un caractère manifestement inapproprié et disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi par la Commission dans le cadre de l’audit financier réalisé en ce qui concerne A.

49      En tout état de cause, à supposer même que les auditeurs aient pu utiliser un langage plus neutre que celui utilisé, cela ne prouve pas que la Commission a dépassé les limites de ce qui était approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché dans un tel audit.

50      Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que la requérante affirme et indépendamment de la perception subjective que celle-ci a pu avoir des propos litigieux, par le langage utilisé pour rédiger ces derniers, la Commission n’a pas commis de violation grave et manifeste du principe de proportionnalité.

51      S’agissant du troisième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration, il convient de relever que, par ce moyen, tel qu’il a été précisé lors de l’audience (voir point 37 ci-dessus), la requérante conteste, en substance, le manque de diligence dont la Commission aurait fait preuve en ignorant les effets que les affirmations figurant dans le quatrième point des propos litigieux, notamment le fait de l’opposer explicitement à son propre employeur au regard de son contrat de travail, auraient pu avoir sur son image.

52      À cet égard, il convient de constater, d’emblée, que, tout comme dans l’ensemble des propos litigieux (voir point 47 ci-dessus), dans le cadre du quatrième point des propos litigieux, les auditeurs se bornent à prendre note de ce qui a été déclaré par A au cours de la procédure d’audit pour justifier les irrégularités constatées quant aux relevés de temps de travail de la requérante. En particulier, ainsi que cela a été confirmé par la Commission lors de l’audience, cette dernière a pris en compte les règles du contrat de travail non pas afin de mettre la requérante en difficulté à l’égard de son propre employeur, mais, uniquement, afin d’en apprécier les effets sur le calcul des heures éligibles, qui avait finalement été accepté par A.

53      En outre, ainsi que l’a souligné la Commission, le fait d’avoir mentionné directement le nom de la requérante s’inscrit dans la pratique des auditeurs, qui, pour bien exécuter leurs tâches, doivent pouvoir identifier les personnes qui ont fait des déclarations non conformes à la convention de subvention. Cela est confirmé par le fait que, ainsi qu’il ressort de l’extrait du rapport d’audit, les propos litigieux mentionnent non seulement le nom de la requérante, mais également celui d’autres membres du personnel de A impliqués dans le projet B.

54      Enfin, force est de constater que, dans le cadre d’un audit financier, la Commission peut faire figurer, dans un rapport, les appréciations factuelles formulées par le destinataire de l’audit, en l’espèce A, au sujet de l’un de ses propres employés, quelle que puisse être la perception subjective que ce dernier aurait desdits propos s’agissant de son image.

55      En tout état de cause, il y a lieu de relever que, dans la réplique, la requérante admet que, malgré les propos litigieux, elle continue à bénéficier pleinement de la confiance de son employeur, à savoir A.

56      Dans ces conditions, le langage utilisé par la Commission pour rédiger les propos litigieux ne saurait constituer un manque de diligence ou une violation grave et manifeste du principe de bonne administration, de sorte qu’il y a lieu de rejeter les premier et troisième moyens comme étant non fondés.

–       Sur le deuxième moyen, tiré de la méconnaissance des droits de la défense

57      Au soutien du deuxième moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir violé son droit d’être entendue.

58      À cet égard, d’une part, la requérante fait valoir que, en dépit des preuves qu’elle aurait apportées afin de démontrer le caractère infondé des accusations dont elle a fait l’objet dans le rapport d’audit, la Commission aurait maintenu ses accusations, lui opposant un refus non motivé. D’autre part, la requérante soutient que son droit d’être entendue a été violé en ce que, au cours de l’audit, elle aurait soumis des commentaires ainsi que des preuves, mais cela en tant qu’enquêtrice principale de A. Dès lors, ce seraient les commentaires de A qui auraient été analysés et évalués par la Commission. Cependant, il conviendrait de ne pas confondre la position de la requérante en tant que personne privée qui aurait été attaquée personnellement par le rapport d’audit avec la position de la requérante dans sa fonction d’enquêtrice principale de A.

59      La Commission conteste les arguments de la requérante.

60      Par le deuxième moyen, tiré de la prétendue méconnaissance des droits de la défense, la requérante soutient, en substance, que, lors de la procédure d’audit, la Commission a violé, d’une part, l’obligation de motiver la décision d’écarter les observations formulées par A sur le rapport d’audit provisoire et, d’autre part, son droit d’être entendue au cours de la procédure d’audit, car, étant donné que les propos litigieux la visaient directement, elle aurait dû être entendue personnellement et pas seulement à titre professionnel.

61      Or, dans la mesure où, ainsi que cela a été précisé par la requérante lors de l’audience, le recours ne vise pas à remettre en cause la régularité de la procédure d’audit réalisée par la Commission ni le bien-fondé des propos litigieux, mais uniquement le langage utilisé dans ces derniers (voir point 13 ci-dessus), le deuxième moyen doit être rejeté comme étant inopérant.

62      Il s’ensuit que, en l’espèce, la requérante est restée en défaut de démontrer l’existence d’un comportement illégal de la Commission, ce qui suffit à constater que les conditions de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union ne sont pas réunies (voir jurisprudence citée au point 25 ci-dessus).

63      S’agissant de la demande de mesure d’organisation de la procédure consistant à ordonner à la Commission d’expliquer et de produire l’ensemble des éléments, y compris des textes, relatifs à l’enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) dirigée contre A au sujet du projet B, il suffit de constater que le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les éléments versés au dossier pour statuer sur le litige. En effet, il n’apparaît pas, à la lumière des justifications avancées par la requérante et des observations soumises par la Commission, que les explications et les éléments sollicités par la requérante puissent avoir une incidence sur l’appréciation du Tribunal concernant le comportement reproché à la Commission.

64      Il en découle que le recours doit être rejeté sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

65      Dès lors, il n’y a pas davantage lieu d’examiner la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la Commission.

 Sur les dépens

66      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      QA est condamnée aux dépens.

Kanninen

Porchia

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 avril 2022.

Signatures



*      Langue de procédure : le français.


1 Données confidentielles occultées.

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