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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Firearms United Network and Others v Commission (Appeal - Registration, evaluation, authorisation and restrictions of chemicals - Lead- Judgment) French Text [2024] EUECJ C-105/23P (17 October 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C10523P.html Cite as: ECLI:EU:C:2024:904, [2024] EUECJ C-105/23P, EU:C:2024:904 |
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ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
17 octobre 2024 (*)
« Pourvoi - Règlement (CE) no 1907/2006 (règlement REACH) - Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques, ainsi que restrictions applicables à ces substances - Annexe XVII - Mise à jour - Règlement (UE) 2021/57 - Plomb - Utilisation en zones humides de la grenaille de chasse contenant une concentration en plomb supérieure à 1 % en poids »
Dans l’affaire C-105/23 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 21 février 2023,
Firearms United Network, établie à Varsovie (Pologne),
Tomasz Walter Stępień, demeurant à Żelechów (Pologne),
Michał Budzyński, demeurant à Cegłów (Pologne),
Andrzej Marcjanik, demeurant à Złotokłos (Pologne),
représentés par Me E. Woźniak, adwokat,
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant :
Commission européenne, représentée par M. K. Mifsud-Bonnici et Mme M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Möller et N. Scheffel, en qualité d’agents,
République française, représentée initialement par MM. G. Bain et J.-L. Carré, puis par M. G. Bain et Mme B. Travard, puis par Mme B. Travard, en qualité d’agents,
Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere, Mme M. Heikkilä et M. N. Herbatschek, en qualité d’agents,
parties intervenantes en première instance,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. D. Gratsias (rapporteur), président de chambre, M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre, et M. Z. Csehi, juge,
avocat général : M. J. Richard de la Tour,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur pourvoi, Firearms United Network ainsi que MM. Tomasz Walter Stępień, Michał Budzyński et Andrzej Marcjanik demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2022, Firearms United Network e.a./Commission (T-187/21, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:848), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à l’annulation du règlement (UE) 2021/57 de la Commission, du 25 janvier 2021, modifiant l’annexe XVII du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne le plomb dans la grenaille de chasse utilisée à l’intérieur ou autour de zones humides (JO 2021, L 24, p. 19, ci-après le « règlement litigieux »).
Le cadre juridique
2 Les dispositions du titre VIII du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 (JO 2008, L 353, p. 1) (ci-après le « règlement REACH »), établissent les règles relatives aux restrictions applicables à la fabrication, à la mise sur le marché et à l’utilisation de certaines substances et mélanges dangereux ainsi que de certains articles dangereux.
3 Sous ce titre VIII figure notamment l’article 69 du règlement REACH, intitulé « Élaboration d’une proposition », qui prévoit, à son paragraphe 6 :
« Sans préjudice des articles 118 et 119, l’[Agence européenne des produits chimiques (ECHA)] publie sans tarder sur son site internet l’ensemble des dossiers conformes à l’annexe XV, y compris les restrictions proposées conformément aux paragraphes 3 et 4 du présent article, en indiquant clairement la date de publication :
[...] »
4 L’annexe XV de ce règlement définit les principes généraux d’élaboration des dossiers visant à proposer et à justifier, notamment, des restrictions concernant la fabrication, la mise sur le marché ou l’utilisation d’une substance au sein de l’Union européenne.
Les antécédents du litige et le règlement litigieux
5 Les antécédents du litige sont décrits aux points 2 à 10 de l’arrêt attaqué. Aux fins de la présente procédure, ils peuvent être résumés de la manière suivante.
6 La première requérante, Firearms United Network, est une association établie à Varsovie (Pologne) constituée de propriétaires d’armes à feu. Les trois autres requérants sont des membres actifs de Firearms United Network et exercent des activités se rapportant au tir sportif et à la chasse.
7 Le 3 décembre 2015, la Commission européenne a invité l’ECHA, conformément à l’article 69, paragraphe 1, du règlement REACH, à élaborer un dossier conforme aux prescriptions de l’annexe XV dudit règlement en vue d’étendre la restriction relative au plomb et aux composés du plomb afin de maîtriser le risque pour l’environnement et la santé humaine que représente l’utilisation de plomb ou de composés du plomb dans la grenaille de chasse employée pour le tir en zones humides (ci-après le « dossier établi conformément à l’annexe XV »).
8 Le 21 juin 2017, l’ECHA a publié, en application de l’article 69, paragraphe 6, du règlement REACH, le dossier établi conformément à l’annexe XV.
9 La Commission a adopté le règlement litigieux le 25 janvier 2021.
10 Les considérants 7 et 17 à 19 du règlement litigieux sont ainsi libellés :
« (7) L’[ECHA] a conclu que des grenailles de substitution sans plomb, telles que les grenailles d’acier et de bismuth, étaient largement disponibles, techniquement réalisables et présentaient de meilleurs profils de danger et de risque pour la santé humaine et l’environnement que la grenaille de plomb. De plus, la grenaille d’acier, substitut le plus susceptible d’être utilisé, est disponible à un prix comparable à celui de la grenaille de plomb.
[...]
(17) Étant donné qu’il est difficile pour les autorités chargées de faire appliquer la législation de surprendre des chasseurs dans l’acte même de décharger de la grenaille de plomb, la restriction devrait également inclure le port de grenaille de plomb lors de la pratique du tir. Il sera ainsi possible de faire respecter bien plus efficacement la restriction relative à la décharge de grenaille et donc de garantir l’efficacité de la restriction pour faire face aux risques mis en évidence pour l’environnement et la santé humaine. La restriction ne devrait pas être liée à des droits de propriété. Il convient donc d’utiliser le terme “porter” au lieu d’“être en possession”, qui était le terme suggéré par l’[ECHA].
(18) Une restriction relative au port de grenaille de plomb devrait toutefois s’appliquer spécifiquement au port lors de la pratique du tir, par opposition au port dans tout autre contexte comme, par exemple, lors du transport, à travers des zones humides, de grenaille destinée à être livrée ailleurs. La Commission considère, en outre, que la restriction relative au port devrait être directement liée au type particulier de tir faisant l’objet de la restriction (tir pratiqué à l’intérieur ou autour de zones humides). Ce faisant, elle tient compte du fait que les observations présentées lors de la consultation publique sur le dossier [établi conformément à l’]annexe XV indiquaient que, dans certains États membres, les chasseurs s’adonnant à la pratique d’autres types de tir étaient fort susceptibles de marcher à travers différents types de terrains, qu’il s’agisse de zones humides ou d’autres terrains, lors d’une journée de chasse typique. La Commission considère également que, pour faciliter le contrôle de son respect, la restriction relative au port devrait couvrir non seulement le port lors de la pratique du tir en zones humides, mais aussi le port dans le cadre de la pratique du tir en zones humides, c’est-à-dire lorsqu’il existe un rapport étroit avec la pratique effective du tir. Seraient ainsi couverts, par exemple, le port lors du départ pour ou du retour d’une journée de tir en zones humides ou le port par une personne qui aide les chasseurs lors d’une partie de tir.
(19) En raison des difficultés pratiques pour prouver quel type particulier de tir une personne trouvée portant de la grenaille de plomb a l’intention de pratiquer, il y a lieu d’établir une présomption légale selon laquelle toute personne trouvée, à l’intérieur ou autour de zones humides, portant de la grenaille de plomb lors de la pratique du tir ou dans le cadre de la pratique du tir est présumée porter cette grenaille lors de la pratique du tir en zones humides ou dans le cadre de la pratique du tir en zones humides. En d’autres termes, il appartiendrait à cette personne de démontrer qu’elle avait effectivement l’intention d’aller pratiquer le tir ailleurs et qu’elle ne faisait que traverser la zone humide pour aller tirer ailleurs. »
11 Ainsi, l’annexe XVII du règlement no 1907/2006 a été modifiée par le règlement litigieux, conformément à l’annexe de ce dernier (1), par l’ajout des paragraphes 11 à 14 dans la deuxième colonne de l’entrée 63 de cette annexe XVII.
12 Les paragraphes 11 et 13 de la deuxième colonne de l’entrée 63 de l’annexe XVII du règlement no 1907/2006, telle que modifiée par le règlement litigieux, sont ainsi rédigés :
« 11. Après le 15 février 2023, il est interdit d’effectuer l’un ou l’autre des actes suivants à l’intérieur ou à moins de 100 mètres de zones humides :
a) décharger de la grenaille de chasse contenant une concentration en plomb (exprimé en tant que métal) égale ou supérieure à 1 % en poids ;
b) porter de la grenaille de ce type lors de la pratique du tir en zones humides ou dans le cadre de la pratique du tir en zones humides.
Aux fins du premier alinéa, on entend par :
a) “à moins de 100 mètres de zones humides” : à moins de 100 mètres au-delà de tout point limite extérieur d’une zone humide ;
b) “tir en zones humides” : le tir à l’intérieur ou à moins de 100 mètres de zones humides ;
c) et, si une personne est trouvée portant sur elle de la grenaille de chasse à l’intérieur ou à moins de 100 mètres de zones humides lors de la pratique du tir ou dans le cadre de la pratique du tir, le tir concerné est présumé être du tir en zones humides, à moins que la personne puisse démontrer qu’il s’agit d’un autre type de tir.
[...]
13. Aux fins des paragraphes 11 et 12, on entend par :
a) “zones humides” : des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres ;
b) “grenaille” : des grains utilisés ou destinés à être utilisés dans une charge ou cartouche unique d’un fusil de chasse ;
c) “fusil de chasse” : un fusil à canon lisse, à l’exclusion des fusils à air comprimé ;
d) “tir” : tout tir pratiqué avec un fusil de chasse ;
e) “porter” : le fait pour la personne de porter sur elle ou de transporter par tout autre moyen ;
f) et, pour déterminer si une personne trouvée avec de la grenaille porte de la grenaille “dans le cadre de la pratique du tir”,
i) il est tenu compte de toutes les circonstances du cas ;
ii) la personne trouvée avec la grenaille ne doit pas nécessairement être la même personne que le tireur. »
Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
13 À l’appui de leur recours, les requérants ont soulevé quatorze moyens.
14 Les premier à sixième moyens étaient tirés, respectivement, d’une violation de l’article 16, de l’article 17, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 1, de l’article 45, paragraphe 1, de l’article 48, paragraphe 1, ainsi que de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
15 Le septième moyen était, quant à lui, tiré d’une violation de l’article 2 TUE résultant d’une atteinte à la liberté et au droit de pratiquer le tir de chasse ainsi que le tir sportif et d’exercer des activités économiques dans ces domaines. Le huitième moyen était tiré d’une violation de l’article 2 TUE en raison d’une violation du principe de l’État de droit. Le neuvième moyen était tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 2, TUE en raison d’une atteinte à l’espace de liberté, de sécurité, y compris la sécurité juridique, et de justice. Le dixième moyen était tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe 3, TUE découlant d’une méconnaissance des principes de développement durable de l’Europe, de stabilité des prix, de progrès social, de niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement et de promotion du progrès scientifique et technique.
16 Les onzième à treizième moyens étaient tirés, respectivement, d’une violation de l’article 5, paragraphe 2, de l’article 5, paragraphe 3, et de l’article 5, paragraphe 4, TUE.
17 Le quatorzième moyen était tiré d’un détournement de pouvoir.
18 Par ailleurs, les requérants ont soulevé un certain nombre d’autres arguments sans toutefois les rattacher à un moyen précis.
19 Le Tribunal a examiné certains de ces arguments au titre d’un quinzième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission, tandis que les autres arguments ont été examinés dans le cadre des autres moyens invoqués.
20 Le Tribunal a, tout d’abord, examiné le quinzième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation.
21 À cet égard, les requérants faisaient valoir, en premier lieu, que les conclusions de la Commission relatives aux risques pour la santé humaine et pour l’environnement posés par la grenaille de plomb dans des zones humides étaient erronées.
22 Le Tribunal a rejeté cette argumentation pour partie comme manquant en fait, pour partie comme étant inopérante et pour partie comme étant irrecevable car consistant en un renvoi global à six annexes de la réplique.
23 En deuxième lieu, les requérants critiquaient les considérations figurant au considérant 7 du règlement litigieux, relatives à l’existence de grenailles de substitution sans plomb pour le tir sportif et la chasse dans des zones humides qui présenteraient de meilleurs profils de danger et de risque pour la santé humaine et l’environnement que la grenaille de plomb.
24 À cet égard, le Tribunal a considéré que les requérants n’avaient pas produit d’éléments susceptibles de remettre en cause les conclusions de l’ECHA selon lesquelles, d’une part, des grenailles de substitution, telles que les grenailles d’acier et de bismuth, étaient largement disponibles à un prix comparable à celui de la grenaille de plomb, techniquement réalisables et présentaient de meilleurs profils de danger et de risque pour la santé humaine ainsi que l’environnement et, d’autre part, les grenailles d’acier répondaient aux exigences d’une mise à mort rapide et sans souffrance inutile.
25 En troisième lieu, le Tribunal a également rejeté comme étant non fondé l’argument des requérants pris de ce que l’ECHA s’était fondée sur des analyses non objectives ou non fiables et qu’elle avait apprécié les données disponibles de manière partiale.
26 Le Tribunal a, ensuite, examiné et rejeté comme étant non fondés les quatorze moyens décrits aux points 14 à 17 du présent arrêt.
27 Enfin, le Tribunal a examiné et rejeté la demande des requérants d’ordonner des expertises portant sur la toxicologie et la science du sol, la balistique, la science des matériaux, la fabrication et l’utilisation des armes à feu ainsi que la chasse et visant à répondre à un certain nombre de questions relatives au plomb, aux munitions au plomb et aux autres munitions sans plomb.
Les conclusions des parties devant la Cour
28 Les requérants demandent à la Cour :
- d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité et d’accueillir le recours ;
- à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et
- de condamner la Commission aux dépens qu’ils ont encourus devant la Cour et devant le Tribunal.
29 La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérants aux dépens.
30 La République fédérale d’Allemagne et l’ECHA demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérants aux dépens. La République française demande à la Cour de rejeter le pourvoi.
Sur le pourvoi
31 Les requérants présentent les moyens et arguments invoqués à l’appui du pourvoi en deux chapitres, dont le premier est intitulé « Moyens du pourvoi » et le second « Motivation du pourvoi ».
Argumentation des parties
32 Dans le cadre du premier chapitre du pourvoi, les requérants contestent, en premier lieu, le rejet, par le Tribunal, de la demande d’ordonner des expertises portant sur la toxicologie et la science du sol, la balistique, la science des matériaux, la fabrication et l’utilisation des armes à feu ainsi que la chasse. À cet égard, les requérants font valoir, essentiellement, que l’objet du litige est complexe et qu’ils ont pu démontrer, devant le Tribunal, l’existence de doutes, sur les plans scientifique et économique, remettant en cause le règlement litigieux et les appréciations faisant partie du dossier établi conformément à l’annexe XV.
33 En deuxième lieu, les requérants présentent une liste comportant, pour l’essentiel, les titres de certains documents contenant des éléments d’ordre factuel, tels que des rapports, des articles, des lettres, des analyses et des communiqués, que le Tribunal aurait appréciés de manière prétendument erronée. En particulier, selon les requérants, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, une appréciation correcte de ces documents aurait dû l’amener à conclure que les interdictions édictées en vertu du règlement litigieux étaient fondées sur des bases factuelles erronées.
34 En troisième lieu, les requérants font valoir que, en rejetant leur recours, le Tribunal a enfreint une série de dispositions de la Charte ainsi que du traité UE. Les dispositions ainsi visées sont celles que les requérants ont invoquées dans le cadre des quatorze moyens soulevés à l’appui de leur recours devant le Tribunal, dont ils réitèrent sommairement le contenu.
35 Dans le cadre du second chapitre du pourvoi, les requérants soulèvent plusieurs arguments qui se rattachent majoritairement aux moyens de pourvoi relatifs au rejet, par le Tribunal, de la demande d’expertise et à l’appréciation que ce dernier a réservée aux faits de l’espèce. À cet égard, les requérants réitèrent qu’ils ont motivé à suffisance de droit la nécessité d’ordonner une expertise afin de dissiper les doutes scientifiques ou économiques qu’ils ont pu établir sur le fondement d’éléments émanant d’organismes et d’institutions spécialisés. Le reste des arguments faisant partie de ce chapitre se rattachent aux moyens de pourvoi par lesquels les requérants réitèrent certains moyens soulevés à l’appui de leur recours devant le Tribunal pris de la violation des principes de l’État de droit, de la présomption d’innocence et de la libre circulation des personnes, tout en critiquant certains points de l’arrêt attaqué.
36 La Commission, la République fédérale d’Allemagne, la République française et l’ECHA font valoir que ces moyens sont pour partie irrecevables et pour partie non fondés.
Appréciation de la Cour
37 Au vu de ces éléments, il convient de considérer que les requérants soulèvent, en substance, trois moyens à l’appui de leur pourvoi. Le premier est tiré du refus du Tribunal d’ordonner une expertise. Le deuxième est tiré de la dénaturation de plusieurs éléments factuels et de documents présentés par les requérants devant le Tribunal. Quant au troisième, il est tiré de la violation de plusieurs dispositions du droit primaire.
Sur le premier et le deuxième moyens, tirés, respectivement, du refus du Tribunal d’ordonner une expertise et de la dénaturation d’éléments factuels et de documents présentés par les requérants devant le Tribunal
38 Il résulte de l’article 256 TFUE ainsi que de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi (arrêt du 23 mars 2023, PV/Commission, C-640/20 P, EU:C:2023:232, point 77 et jurisprudence citée).
39 Dans ce contexte, le Tribunal est seul juge de la nécessité éventuelle de compléter, au moyen d’une mesure d’organisation de la procédure ou d’instruction, les éléments d’information dont il dispose dans les affaires dont il est saisi (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2022, Changmao Biochemical Engineering/Commission, C-666/19 P, EU:C:2022:323, point 156 et jurisprudence citée).
40 À cet égard, contrairement à ce que font valoir les requérants, il ne saurait être considéré que, en rejetant leur demande tendant à la réalisation d’une expertise à titre de mesure d’instruction, le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve soumis à son appréciation.
41 En effet, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, si une dénaturation des éléments de preuve peut consister dans une interprétation d’un document contraire au contenu de celui-ci, il ne suffit pas, en vue d’établir une telle dénaturation, de démontrer que ce document pouvait faire l’objet d’une interprétation différente de celle retenue par le Tribunal. Il est nécessaire, à cette fin, d’établir que le Tribunal a manifestement outrepassé les limites d’une appréciation raisonnable dudit document, notamment en faisant une lecture de celui-ci contraire à son libellé (arrêts du 25 février 2021, Dalli/Commission, C-615/19 P, EU:C:2021:133, point 139, et du 23 mars 2023, PV/Commission, C-640/20 P, EU:C:2023:232, point 134).
42 D’autre part, lorsqu’il allègue une dénaturation des éléments de preuve par le Tribunal, le requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par le Tribunal et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit celui-ci à cette dénaturation. Une telle dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des éléments de fait et de preuve (voir, en ce sens, arrêts du 18 janvier 2017, Toshiba/Commission, C-623/15 P, EU:C:2017:21, point 54, et du 27 avril 2023, HC/Commission, C-102/22 P, EU:C:2023:351, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
43 Or, en l’espèce, les requérants n’indiquent pas avec la précision requise quels seraient les éléments de preuve que le Tribunal aurait dénaturés et de quelle manière ils auraient été dénaturés. En effet, nulle part dans leurs écrits de procédure les requérants ne font valoir que le Tribunal aurait dénaturé l’un ou l’autre des éléments de preuve par lesquels les requérants ont tenté de remettre en cause les prémisses factuelles et scientifiques sous-tendant le règlement litigieux, ni même exposent en quoi consiste, selon eux, l’appréciation erronée en question, dont découlerait une éventuelle dénaturation.
44 Il s’ensuit que les premier et deuxième moyens, tirés, respectivement, du refus du Tribunal d’ordonner une expertise et de la dénaturation d’éléments factuels et de documents présentés par les requérantes devant le Tribunal doivent être écartés comme irrecevables.
Sur le troisième moyen, tiré de la violation de plusieurs dispositions du droit primaire
45 Il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169 du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Selon la jurisprudence constante de la Cour, ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt attaqué, se limite à reproduire les moyens et les arguments déjà présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 16 décembre 2020, Conseil/K. Chrysostomides & Co. e.a., C-597/18 P, C-598/18 P, C-603/18 P et C-604/18 P, EU:C:2020:1028, point 127 ainsi que jurisprudence citée).
46 Or, tout d’abord, dans la mesure où, à l’appui du troisième moyen, les requérants se limitent à fournir un résumé de chacun des premier à quatorze moyens soulevés à l’appui du recours devant le Tribunal, que ce dernier a examinés et rejetés, et cela sans indiquer ni les points critiqués de l’arrêt attaqué ni les arguments juridiques de nature à identifier l’existence d’une quelconque erreur de droit que le Tribunal aurait commise, ces griefs doivent être écartés comme irrecevables.
47 Ensuite, en ce qui concerne le grief relatif à la définition des « zones humides » visée au paragraphe 13, sous a), de la deuxième colonne de l’entrée 63 de l’annexe XVII du règlement REACH, telle que modifiée par le règlement litigieux, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir fait, aux points 108 et 129 de l’arrêt attaqué, une interprétation « totalement arbitraire » de cette définition.
48 Or, au-delà de cette affirmation péremptoire, les requérants n’exposent pas en quoi ce raisonnement du Tribunal, par lequel ce dernier a effectué une interprétation téléologique de ladite définition en s’appuyant sur la jurisprudence et en appliquant les méthodes d’interprétation habituelles du droit de l’Union, serait entachée d’une erreur de droit ou d’une dénaturation des éléments de preuve. Ce grief est donc également irrecevable.
49 Enfin, pour ce qui est du grief par lequel les requérants font valoir que la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal au point 146 de l’arrêt attaqué est entachée d’une violation du principe de présomption d’innocence consacré à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, il convient d’emblée de relever qu’ils fondent leur argument sur la prémisse que le règlement litigieux établit une présomption selon laquelle les personnes qui portent sur elles, dans des zones humides, des grenailles de plomb sont réputées avoir déchargé de telles munitions.
50 À cet égard, au point 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que les dispositions du paragraphe 11, deuxième alinéa, sous c), de la deuxième colonne de l’entrée 63 de l’annexe XVII du règlement REACH, telle que modifiée par le règlement litigieux, selon lesquelles, si une personne est trouvée portant sur elle de la grenaille de chasse à l’intérieur ou à moins de 100 mètres de zones humides lors de la pratique du tir ou dans le cadre de la pratique du tir, le tir concerné est présumé être un tir effectué en zones humides, à moins que cette personne soit en mesure de démontrer qu’il s’agit d’un autre type de tir, n’établissaient pas une présomption de décharge illégale de munitions au plomb sur la base du seul constat d’un déplacement dans ou autour des « zones humides » de la personne portant de telles munitions.
51 Ce point de l’arrêt attaqué, lu à la lumière des considérants 17 à 19 du règlement litigieux, est exempt d’erreur de droit. En effet, il découle de ces considérants que la présomption instaurée au paragraphe 11, deuxième alinéa, sous c), de la deuxième colonne de l’entrée 63 de l’annexe XVII du règlement REACH, telle que modifiée par le règlement litigieux, vise à faciliter la mise en œuvre de l’interdiction de porter de la grenaille de plomb lors de la pratique du tir en zones humides ou dans le cadre de la pratique du tir en zones humides, établie au premier alinéa, sous b), de ce paragraphe 11. Cette présomption ne concerne pas l’interdiction distincte, visée au premier alinéa, sous a), dudit paragraphe 11, de décharger de la grenaille de plomb à l’intérieur ou à moins de 100 mètres de zones humides.
52 Par conséquent, ainsi qu’il ressort également du point 146 de l’arrêt attaqué, cette présomption ne trouve à s’appliquer que si l’autorité chargée de la mise en œuvre du règlement REACH constate qu’il ressort des circonstances factuelles, telles que le port d’un fusil de chasse et d’autres équipements propices à cet effet, que la personne concernée pratique le tir au moment des faits. Obliger l’autorité en question à démontrer, en sus de ces circonstances, que le tireur portant de la grenaille de plomb en zones humides n’avait pas l’intention de pratiquer le tir en dehors de telles zones éliminerait en réalité l’effet utile de l’interdiction en question, puisque comme l’expose le Tribunal au point 147 de l’arrêt attaqué, les faits et informations nécessaires pour démontrer cette intention proviennent de la sphère dudit tireur.
53 Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a, en substance, considéré, à ce point 146, que le règlement litigieux n’a pas établi une présomption selon laquelle les personnes qui portent sur elles, dans des zones humides, des grenailles de plomb sont réputées avoir déchargé de telles munitions.
54 Il convient donc de constater que le grief des requérants tiré d’une violation du principe de présomption d’innocence, consacré à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, repose sur une prémisse erronée, de sorte qu’il doit être rejeté comme étant non fondé.
55 Il s’ensuit que le troisième moyen doit être écarté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.
56 Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
57 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, celle-ci statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
58 En l’espèce, la Commission et ECHA ayant conclu à la condamnation des requérants aux dépens et ceux-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par ces deux parties.
59 Selon l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi par l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Partant, la République fédérale d’Allemagne et la République française supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) déclare et arrête :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Firearms United Network, MM. Tomasz Walter Stępień, Michał Budzyński et Andrzej Marcjanik sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne et par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
3) La République fédérale d’Allemagne et la République française supportent leurs propres dépens.
Signatures
* Langue de procédure : le polonais.
1 Article 1er du règlement litigieux.
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