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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Die Landerbahn and Others (Rail transport - Access to railway infrastructure - Charging - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-582/22 (07 March 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C58222.html Cite as: EU:C:2024:213, ECLI:EU:C:2024:213, [2024] EUECJ C-582/22 |
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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
7 mars 2024 (*)
« Renvoi préjudiciel – Transports ferroviaires – Directive 2012/34/UE – Accès à l’infrastructure ferroviaire – Tarification – Article 56 – Organisme de contrôle national unique du secteur ferroviaire – Compétences – Contrôle des redevances d’utilisation de l’infrastructure dont la période d’application a expiré – Pouvoir de constater l’invalidité avec effet ex tunc et d’ordonner le remboursement des redevances »
Dans l’affaire C‑582/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne), par décision du 1er septembre 2022, parvenue à la Cour le 2 septembre 2022, rectifiée par décision du 27 juin 2023, parvenue à la Cour le 29 juin 2023, dans la procédure
Die Länderbahn GmbH,
Prignitzer Eisenbahn GmbH,
Ostdeutsche Eisenbahn GmbH
contre
Bundesrepublik Deutschland,
en présence de :
DB Netz AG,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu‑Matei, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et Mme L. S. Rossi, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : Mme M. Krausenböck, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 juin 2023,
considérant les observations présentées :
– pour Prignitzer Eisenbahn GmbH, Ostdeutsche Eisenbahn GmbH et Ostseeland Verkehrs GmbH, par Me B. Uhlenhut, Rechtsanwalt,
– pour la Bundesrepublik Deutschland, par Mme J. Becker, MM. U. Geers, J. Kirchhartz, C. Mögelin et Mme V. Schmidt, en qualité d’agents,
– pour DB Netz AG, par Me H. Krüger, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement lituanien, par MM. K. Dieninis, S. Grigonis et Mme V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par MM. G. Kunnert et R. Schuster, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par MM. B. Majczyna et M. Rzotkiewicz, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement norvégien, par Mmes V. Hauan et K. Møse, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. P. Messina et G. Wilms, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 septembre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32), ainsi que, à titre subsidiaire, de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Die Länderbahn GmbH, Prignitzer Eisenbahn GmbH, Ostdeutsche Eisenbahn GmbH et Ostseeland Verkehrs GmbH à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne), représentée par la Bundesnetzagentur für Elektrizität, Gas, Telekommunikation, Post und Eisenbahnen (Agence fédérale des réseaux pour l’électricité, le gaz, les télécommunications, la poste et les chemins de fer, Allemagne) (ci‑après l’« Agence fédérale des réseaux »), au sujet du contrôle de la légalité de redevances d’utilisation de l’infrastructure perçues par DB Netz AG dans le cadre des horaires de service applicables entre le mois de décembre 2002 et le mois de décembre 2011.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2001/14/CE
3 Aux termes de l’article 2 de la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO 2001, L 75, p. 29) :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
j) “document de référence du réseau”, document précisant, de manière détaillée, les règles générales, les délais, les procédures et les critères relatifs aux systèmes de tarification et de répartition des capacités ; ce document contient aussi toutes les autres informations nécessaires pour permettre l’introduction de demandes de capacités de l’infrastructure ;
[...]
m) “horaire de service”, les données définissant tous les mouvements programmés des trains et du matériel roulant, sur l’infrastructure concernée, pendant la période de validité de cet horaire. »
4 L’article 3 de cette directive, intitulé « Document de référence du réseau », prévoit :
« 1. Le gestionnaire de l’infrastructure établit et publie, après consultation des parties intéressées, un document de référence du réseau [...]
2. Le document de référence du réseau expose les caractéristiques de l’infrastructure mise à la disposition des entreprises ferroviaires. Il contient des informations précisant les conditions d’accès à l’infrastructure ferroviaire concernée. Le contenu du document de référence du réseau est défini à l’annexe I.
3. Le document de référence du réseau est tenu à jour et, le cas échéant, modifié.
4. Le document de référence du réseau est publié au plus tard quatre mois avant la date limite pour l’introduction des demandes de capacités d’infrastructure. »
5 L’article 30 de ladite directive, intitulé « Organisme de contrôle », dispose :
« [...]
2. Un candidat peut saisir [l’organisme de contrôle] dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou de tout autre préjudice, notamment pour introduire un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure ou, le cas échéant, par l’entreprise ferroviaire en ce qui concerne :
a) le document de référence du réseau ;
[...]
d) le système de tarification ;
e) le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure qu’il est ou pourrait être tenu d’acquitter ;
[...]
3. L’organisme de contrôle veille à ce que les redevances fixées par le gestionnaire de l’infrastructure soient conformes aux dispositions du chapitre II et non discriminatoires. [...]
[...]
5. L’organisme de contrôle est obligé de se prononcer sur toute plainte et adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation dans un délai maximum de deux mois suivant la réception de toutes les informations.
Nonobstant le paragraphe 6, les décisions prises par l’organisme de contrôle sont contraignantes pour toutes les parties concernées.
[...]
6. Les États membres adoptent les mesures nécessaires pour que les décisions prises par l’organisme de contrôle soient soumises à un contrôle juridictionnel. »
6 L’annexe I de la même directive, relative au « [c]ontenu du document de référence du réseau », est libellée comme suit :
« Le document de référence du réseau visé à l’article 3 doit contenir les informations suivantes :
[...]
2. Un chapitre relatif aux principes de tarification et aux tarifs. Ce chapitre contient des précisions appropriées concernant le système de tarification ainsi que des informations suffisantes sur les redevances applicables aux services énumérés à l’annexe II qui sont offerts par un seul fournisseur. Il décrit en détail la méthode, la réglementation et, le cas échéant, les barèmes utilisés pour appliquer l’article 7, paragraphes 4 et 5, ainsi que les articles 8 et 9. Il contient des informations concernant les modifications de redevances déjà décidées ou prévues.
[...] »
7 L’annexe III de la directive 2001/14 dispose, à son point 1 :
« L’horaire de service est établi une fois par année civile. »
La directive 2012/34
8 Les considérants 42 et 76 de la directive 2012/34 énoncent :
« (42) Il y a lieu que les systèmes de tarification et de répartition des capacités assurent à toutes les entreprises un accès égal et non discriminatoire et s’efforcent, dans la mesure du possible, de répondre aux besoins de tous les utilisateurs et de tous les types de trafic, et ce de manière équitable et non discriminatoire. Ces systèmes devraient permettre une concurrence équitable dans la fourniture de services ferroviaires.
[...]
(76) La gestion efficace et l’utilisation équitable et non discriminatoire de l’infrastructure ferroviaire exigent la mise en place d’un organisme de contrôle chargé de surveiller l’application des règles de la présente directive et d’agir comme organisme de recours, sans préjudice de la possibilité d’un contrôle juridictionnel. Cet organisme de contrôle devrait être habilité à assortir ses demandes d’informations et ses décisions de sanctions. »
9 L’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) “entreprise ferroviaire”, toute entreprise à statut privé ou public et titulaire d’une licence conformément à la présente directive, dont l’activité principale est la fourniture de prestations de transport de marchandises et/ou de voyageurs par chemin de fer, la traction devant obligatoirement être assurée par cette entreprise ; ce terme recouvre aussi les entreprises qui assurent uniquement la traction ;
2) “gestionnaire de l’infrastructure”, toute entité ou entreprise chargée notamment de l’établissement, de la gestion et de l’entretien de l’infrastructure ferroviaire, y compris la gestion du trafic, et du système de signalisation et de contrôle-commande ; les fonctions de gestionnaire de l’infrastructure sur tout ou partie d’un réseau peuvent être attribuées à plusieurs entités ou entreprises ;
[...]
19) “candidat”, toute entreprise ferroviaire, tout regroupement international d’entreprises ferroviaires ou d’autres personnes physiques ou morales ou entités, par exemple les autorités compétentes visées dans le règlement (CE) no 1370/2007 [du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1),] et les chargeurs, les transitaires et les opérateurs de transports combinés ayant des raisons commerciales ou de service public d’acquérir des capacités de l’infrastructure ;
[...]
26) “document de référence du réseau”, le document précisant, de manière détaillée, les règles générales, les délais, les procédures et les critères relatifs aux systèmes de tarification et de répartition des capacités, y compris toutes les autres informations nécessaires pour permettre l’introduction de demandes de capacités de l’infrastructure ;
[...]
28) “horaire de service”, les données définissant tous les mouvements programmés des trains et du matériel roulant, sur l’infrastructure concernée, pendant la période de validité de cet horaire.
[...] »
10 Figurant dans la section 1 du chapitre IV de ladite directive, lequel comporte les règles relatives à la « tarification de l’infrastructure ferroviaire et [à la] répartition des capacités de l’infrastructure ferroviaire », l’article 27 de celle-ci, intitulé « Document de référence du réseau », dispose :
« 1. Le gestionnaire de l’infrastructure établit et publie, après consultation des parties intéressées, un document de référence du réseau pouvant être obtenu contre paiement d’un droit qui ne peut être supérieur au coût de publication de ce document. [...]
2. Le document de référence du réseau expose les caractéristiques de l’infrastructure mise à la disposition des entreprises ferroviaires et contient des informations précisant les conditions d’accès [...]. Le contenu du document de référence du réseau est défini à l’annexe IV.
3. Le document de référence du réseau est tenu à jour et, le cas échéant, modifié.
4. Le document de référence du réseau est publié au plus tard quatre mois avant la date limite pour l’introduction des demandes de capacités de l’infrastructure. »
11 La section 2 du chapitre IV de la même directive se rapporte à la « [t]arification de l’infrastructure et des services ».
12 Aux termes de l’article 56 de la directive 2012/34, intitulé « Fonctions de l’organisme de contrôle » :
« 1. Sans préjudice de l’article 46, paragraphe 6, un candidat peut saisir l’organisme de contrôle dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable, d’une discrimination ou de tout autre préjudice, notamment pour introduire un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure ou, le cas échéant, par l’entreprise ferroviaire ou l’exploitant d’une installation de service en ce qui concerne :
a) le document de référence du réseau dans ses versions provisoire et définitive ;
[...]
d) le système de tarification ;
e) le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure qu’il est ou pourrait être tenu d’acquitter ;
[...]
g) l’accès aux services et leur tarification conformément à l’article 13.
2. Sans préjudice des compétences des autorités nationales de concurrence pour assurer la concurrence sur le marché des services ferroviaires, l’organisme de contrôle est habilité à assurer le suivi de la situation de la concurrence sur les marchés des services ferroviaires et, en particulier, à contrôler le paragraphe 1, points a) à g), de sa propre initiative en vue de prévenir toute discrimination à l’égard des candidats. Il vérifie notamment si le document de référence du réseau contient des clauses discriminatoires [...]
[...]
6. L’organisme de contrôle veille à ce que les redevances fixées par le gestionnaire de l’infrastructure soient conformes aux dispositions du chapitre IV, section 2, et non discriminatoires. Les négociations entre les candidats et un gestionnaire de l’infrastructure concernant le niveau des redevances d’utilisation de l’infrastructure ne sont autorisées que si elles ont lieu sous l’égide de l’organisme de contrôle. [...]
[...]
9. L’organisme de contrôle examine chaque plainte et, le cas échéant, sollicite des informations utiles et engage des consultations avec toutes les parties concernées dans un délai d’un mois à compter de la réception de la plainte. Il se prononce sur toutes les plaintes, adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation et communique sa décision motivée aux parties concernées dans un délai prédéterminé et raisonnable et, en tout état de cause, dans les six semaines suivant la réception de toutes les informations utiles. Sans préjudice des compétences des autorités nationales de concurrence pour assurer la concurrence sur le marché des services ferroviaires, l’organisme de régulation, le cas échéant, prend de sa propre initiative les mesures appropriées pour corriger toute discrimination à l’égard des candidats, toute distorsion du marché et toute autre évolution indésirable sur ces marchés, notamment eu égard aux points a) à g) du paragraphe 1.
Les décisions prises par l’organisme de contrôle sont contraignantes pour toutes les parties concernées et ne sont soumises au contrôle d’aucune autre instance administrative. L’organisme de contrôle est en mesure d’assortir ses décisions de sanctions appropriées, y compris d’amendes.
[...]
10. Les États membres veillent à ce que les décisions prises par l’organisme de contrôle soient soumises à un contrôle juridictionnel. Le recours ne peut avoir un effet suspensif sur la décision de l’organisme de contrôle que lorsque l’effet immédiat de ladite décision peut causer à la partie qui a formé le recours un préjudice irréparable ou manifestement excessif. Cette disposition est sans préjudice des compétences conférées, le cas échéant, par le droit constitutionnel à la juridiction saisie du recours.
[...] »
13 L’annexe IV de cette directive, relative au « contenu du document de référence du réseau », est libellée comme suit :
« Le document de référence du réseau visé à l’article 27 contient les informations suivantes :
[...]
2) un chapitre relatif aux principes de tarification et aux tarifs. Ce chapitre contient des précisions appropriées concernant le système de tarification ainsi que des informations suffisantes sur les redevances et d’autres informations utiles relatives à l’accès applicables aux services énumérés à l’annexe II qui sont offerts par un seul fournisseur. Il décrit en détail la méthode, les règles et, le cas échéant, les barèmes utilisés pour appliquer les articles 31 à 36 en ce qui concerne les coûts et les redevances. Il contient, lorsqu’elles sont disponibles, des informations concernant les modifications de redevances déjà décidées ou prévues au cours des cinq prochaines années ;
[...] »
14 L’annexe VII de ladite directive dispose à son point 1 que « [l]’horaire de service est établi une fois par année civile ».
Le droit allemand
15 L’article 66 de l’Eisenbahnregulierungsgesetz (loi sur la régulation des chemins de fer), du 29 août 2016 (BGBl. 2016 I, p. 2082), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« ERegG »), intitulé « L’autorité de contrôle et ses missions », prévoit, à ses paragraphes 1, 3 et 4 :
« (1) Si un titulaire d’une autorisation d’accès estime avoir fait l’objet d’une discrimination ou avoir été lésé d’une autre manière dans ses droits par les décisions d’une entreprise d’infrastructure ferroviaire, il a le droit de saisir l’autorité de contrôle [...]
[...]
(3) Si un accord sur l’accès ou sur un contrat-cadre n’est pas conclu, les décisions de l’entreprise d’infrastructure ferroviaire peuvent être contrôlées par l’autorité de contrôle, à la demande du titulaire d’une autorisation d’accès ou d’office. La demande doit être introduite dans le délai dans lequel l’offre de conclure des accords conformément à l’article 13, paragraphe 1, deuxième phrase, ou à l’article 54, troisième phrase, peut être acceptée.
(4) Peuvent notamment faire l’objet d’un contrôle, sur demande ou d’office
[...]
5. le système de tarification ;
6. le montant ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure que le titulaire d’une autorisation d’accès doit ou devrait payer ;
7. le montant et la structure des autres redevances que le titulaire d’une autorisation d’accès doit ou devrait payer ;
[...] »
16 L’article 67 de l’ERegG, intitulé « Pouvoirs de l’autorité de contrôle, surveillance du marché des transports, dispositions d’exécution », dispose, à son paragraphe 1 :
« L’autorité de contrôle peut prendre, à l’égard des chemins de fer et des autres personnes tenues par la présente loi, les mesures nécessaires pour éliminer ou prévenir les infractions à la présente loi ou aux actes de l’Union européenne directement applicables dans le domaine d’application de la présente loi. Si l’autorité de contrôle exécute ses injonctions, le montant de l’astreinte peut atteindre 500 000 euros, par dérogation à l’article 11, paragraphe 3, du Verwaltungs‑Vollstreckungsgesetz [(loi relative à l’exécution en matière administrative)]. »
17 L’article 68 de l’ERegG, intitulé « Décisions de l’autorité de contrôle », est libellé comme suit :
« (1) L’autorité de contrôle examine une plainte dans un délai d’un mois à compter de la réception de celle-ci. À cette fin, elle demande aux parties concernées de fournir les informations nécessaires à la prise de décision et engage des discussions avec toutes les parties concernées. Elle se prononce sur toutes les plaintes, adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation et communique sa décision motivée aux parties concernées dans un délai prédéterminé et raisonnable et, en tout état de cause, dans les six semaines suivant la réception de toutes les informations utiles. Indépendamment des compétences des autorités de la concurrence, elle décide d’office des mesures appropriées pour prévenir une discrimination et une distorsion du marché.
(2) Si, dans le cas de figure visé à l’article 66, paragraphes 1 et 3, la décision d’une entreprise d’infrastructure ferroviaire affecte le droit du titulaire d’un droit d’accès d’accéder à l’infrastructure ferroviaire,
1. l’autorité de contrôle enjoint à l’entreprise d’infrastructure ferroviaire de modifier la décision ou
2. l’autorité de contrôle décide de la validité du contrat ou de la redevance, déclare les contrats contraires sans effet et fixe les conditions contractuelles ou les redevances.
La décision visée à la première phrase peut également concerner le document de référence du réseau ou les conditions d’utilisation des installations de service.
(3) L’autorité de contrôle peut, avec effet pour l’avenir, obliger l’entreprise d’infrastructure ferroviaire à modifier les mesures visées à l’article 66, paragraphe 4, ou déclarer ces mesures caduques, dans la mesure où elles ne sont pas conformes aux dispositions de la présente loi ou aux actes de l’Union européenne directement applicables dans le domaine d’application de la présente loi. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Les requérantes au principal sont ou étaient des entreprises de transport ferroviaire qui proposent ou proposaient, en Allemagne, des services de transport au niveau régional en utilisant l’infrastructure ferroviaire appartenant à DB Netz, partie intervenante au principal.
19 Cette dernière fait partie du groupe Deutsche Bahn AG. Elle exploite le plus grand réseau ferroviaire d’Allemagne et perçoit, à ce titre, des redevances d’utilisation de l’infrastructure. Ces redevances sont déterminées pour chaque entreprise de transport ferroviaire individuellement sur la base des tarifs fixés par DB Netz dans le document de référence du réseau qu’elle publie. Ces tarifs sont valables pendant une période de validité de l’horaire de service, soit une année.
20 Les requérantes au principal ont estimé que les tarifs établis par DB Netz, applicables, respectivement, pendant les périodes de validité de l’horaire de service des années 2002/2003 à 2010/2011, étaient, en partie, illégaux, au motif qu’ils comportaient un « facteur régional » qui discriminait les entreprises exploitant des lignes régionales. Par conséquent, elles ont soit payé les redevances réclamées par DB Netz sous réserve, soit en ont réduit et retenu le montant.
21 Ces mêmes tarifs avaient fait l’objet de plusieurs contrôles ex ante par l’Agence fédérale des réseaux, organisme de contrôle national unique du secteur ferroviaire en Allemagne. Le droit allemand prévoyait, en effet, un contrôle préalable des principes de tarification et accordait un droit d’opposition à cet organisme dont ce dernier n’a cependant pas fait, en l’espèce, usage. En outre, depuis l’année 2008, l’Agence fédérale des réseaux a procédé à différents contrôles des « facteurs régionaux » qui faisaient partie des tarifs de DB Netz depuis le 1er janvier 2003.
22 Par décision du 5 mars 2010, l’Agence fédérale des réseaux a déclaré invalide le document de référence du réseau établi par DB Netz pour l’horaire de service de l’année 2010/2011, dont l’entrée en vigueur était prévue le 12 décembre 2010, dans la mesure où il prévoyait l’application d’un tel « facteur régional ». Il ressortait de cette décision qu’il appartenait aux juridictions civiles de statuer sur le remboursement des redevances éventuellement trop perçues en application de ce facteur.
23 DB Netz a formé opposition contre ladite décision qui a, par la suite, été retirée par l’Agence fédérale des réseaux lors de la conclusion d’un contrat de droit public avec DB Netz. Ce contrat prévoyait l’application d’un facteur régional réduit pendant la période de validité de l’horaire de service de l’année 2010/2011, puis la suppression de ce facteur à partir de l’entrée en vigueur de l’horaire de service de l’année 2011/2012.
24 Plusieurs entreprises de transport ferroviaire, dont les requérantes au principal pour une partie des redevances litigieuses, ont saisi les juridictions civiles de demandes de remboursement de redevances d’utilisation de l’infrastructure prétendument trop perçues par DB Netz. Afin de statuer sur ces demandes, ces juridictions ont généralement procédé à un examen au cas par cas du caractère équitable de ces redevances. Cette pratique a été validée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) dans un arrêt du 18 octobre 2011 (KZR 18/10).
25 Cependant, par son arrêt du 9 novembre 2017, CTL Logistics (C‑489/15, EU:C:2017:834), la Cour a jugé que la directive 2001/14, qui a précédé la directive 2012/34, s’opposait à l’application d’une réglementation nationale prévoyant un contrôle au cas par cas, par les juridictions ordinaires, du caractère équitable des redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire. En particulier, il ressort du point 97 de cet arrêt que le remboursement de redevances en application de dispositions du droit civil ne peut être envisagé que dans l’hypothèse où, conformément aux dispositions du droit national, le caractère illicite de la redevance au regard de la réglementation relative à l’accès aux infrastructures ferroviaires a été préalablement constaté par l’organisme de contrôle ou par une juridiction ayant contrôlé la décision de cet organisme et dans la mesure où la demande de remboursement peut faire l’objet d’un recours devant les juridictions civiles nationales plutôt que du recours prévu par cette réglementation.
26 Après le prononcé de l’arrêt du 9 novembre 2017, CTL Logistics (C‑489/15, EU:C:2017:834), les requérantes au principal, invoquant les articles 66 et 68 de l’ERegG, ont demandé à l’Agence fédérale des réseaux, d’une part, de constater l’invalidité des redevances d’utilisation de l’infrastructure perçues par DB Netz pendant les périodes de validité de l’horaire de service des années 2002/2003 à 2010/2011 et, d’autre part, d’obliger cette dernière à leur rembourser les redevances trop perçues.
27 Ces demandes ont été rejetées par décisions de l’Agence fédérale des réseaux des 11 octobre 2019, 3 juillet 2020 et 11 décembre 2020, au motif qu’elles étaient irrecevables en l’absence de fondement juridique qui aurait permis un contrôle ex post des redevances en cause. À l’appui de ces décisions, l’Agence fédérale des réseaux faisait valoir que les entreprises de transport ferroviaire avaient eu la possibilité de contester les redevances pendant leurs périodes de validité respectives.
28 Par recours introduits les 6 et 9 novembre 2019, les requérantes au principal ont demandé au Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne, Allemagne), la juridiction de renvoi, de constater que l’Agence fédérale des réseaux était tenue de procéder à un contrôle ex post des redevances en cause, perçues par DB Netz, d’en déclarer, le cas échéant, l’invalidité avec effet ex tunc et de statuer sur l’obligation de remboursement incombant à DB Netz.
29 Afin de pouvoir trancher les litiges portés devant elle, la juridiction de renvoi considère qu’il convient d’interpréter, notamment, l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34.
30 Elle estime que le recours prévu au paragraphe 1 de cet article 56 ne vise que des préjudices qui se sont déjà produits et qui résultent des violations actuelles ou passées du cadre réglementaire applicable. En revanche, l’action préventive de l’organisme de contrôle ferait l’objet de règles distinctes, prévues au paragraphe 2 dudit article. En outre, il découlerait du même article, paragraphes 6 et 9, que l’organisme de contrôle dispose d’une marge d’appréciation large. Ainsi, saisi d’une plainte, il pourrait adopter les « mesures nécessaires afin de remédier à la situation » et, lorsqu’il agit d’office, les « mesures appropriées pour corriger toute discrimination ».
31 Cette interprétation de l’article 56 de la directive 2012/34 serait corroborée par les objectifs poursuivis par cette dernière. Il ressortirait de ses considérants 42 et 76 que la directive 2012/34 vise, notamment, à garantir l’accès non discriminatoire des entreprises de transport ferroviaire à l’infrastructure et qu’il incombe à l’organisme de contrôle de veiller à la réalisation de cet objectif.
32 La juridiction de renvoi souligne à cet égard que, selon elle, la procédure de contrôle préalable qui était prévue par le droit allemand et qui permettait à l’organisme de contrôle de se prononcer sur les principes de tarification de l’infrastructure avant leur entrée en vigueur ne pouvait pas pallier l’absence d’un contrôle ex post.
33 Par ailleurs, cette juridiction considère que l’arrêt du 9 novembre 2017, CTL Logistics (C‑489/15, EU:C:2017:834), confirme l’existence d’un droit au « remboursement » des redevances indûment perçues dans le passé, tout en subordonnant son exercice au constat préalable du caractère illicite de ces redevances par l’organisme de contrôle. Par conséquent, si cet organisme n’était pas compétent pour examiner des redevances dont la période d’application a expiré, les entreprises de transport ferroviaire seraient privées de leur droit à un recours effectif et, en même temps, le gestionnaire de l’infrastructure continuerait à bénéficier des redevances illicites.
34 En revanche, la juridiction de renvoi doute que le droit de l’Union exige que ledit organisme puisse se prononcer lui-même sur les montants des redevances à rembourser ou ordonner leur remboursement. En effet, en dépit du cadre réglementaire, la relation entre les entreprises de transport ferroviaire et les gestionnaires de l’infrastructure serait de nature contractuelle et relèverait naturellement de la compétence des juridictions civiles.
35 À toutes fins utiles, la juridiction de renvoi souligne que, afin de trancher les litiges portés devant elle, il n’est pas nécessaire de déterminer si les articles 66 et suivants de l’ERegG, qui constituent le fondement des demandes des requérantes au principal, doivent faire l’objet d’une interprétation conforme au droit de l’Union ou si, eu égard à l’arrêt du 8 juillet 2021, Koleje Mazowieckie (C‑120/20, EU:C:2021:553), l’article 56 de la directive 2012/34 est directement applicable.
36 Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Köln (tribunal administratif de Cologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive [2012/34] doit-il être interprété en ce sens qu’un système de tarification peut également faire l’objet d’une plainte lorsque la période d’application de celui-ci a déjà expiré (plainte contre une “ancienne tarification”) ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question : l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive [2012/34] doit-il être interprété en ce sens que, lors d’un contrôle ex post d’une ancienne tarification, l’autorité de contrôle peut déclarer cette tarification invalide ex tunc ?
3) En cas de réponses affirmatives aux deux premières questions : l’interprétation de l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive [2012/34] permet-elle une réglementation nationale qui exclut la possibilité d’un contrôle ex post, produisant un effet ex tunc, d’une ancienne tarification ?
4) En cas de réponses affirmatives aux deux premières questions : l’article 56, paragraphe 9, de la directive [2012/34] doit-il être interprété en ce sens que les mesures correctives de l’autorité de contrôle compétente qui y sont prévues ouvrent également, sur le plan des conséquences juridiques, la possibilité d’ordonner le remboursement par le gestionnaire de l’infrastructure des redevances perçues illégalement, bien que, entre l’entreprise ferroviaire et le gestionnaire de l’infrastructure, il soit possible de faire valoir des demandes de remboursement par la voie d’une action civile ?
5) En cas de réponses négatives aux deux premières questions : un droit de plainte contre une ancienne tarification découle-t-il en tout état de cause de l’article 47, premier alinéa, de la [charte des droits fondamentaux] et de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lorsque, en l’absence de décision de l’autorité de contrôle relative à une plainte, selon la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt du 9 novembre 2017, CTL Logistics (C‑489/15, EU:C:2017:834), un remboursement conformément au droit national de redevances perçues illégalement au titre d’une ancienne tarification est exclu ? »
La procédure devant la Cour
37 Par lettre parvenue à la Cour le 29 juin 2023, soit après la fin des procédures écrites et orales, la juridiction de renvoi a informé la Cour que, par décision du 27 juin 2023, elle a clôturé la procédure pendante devant elle en ce qui concerne Ostseeland Verkehrs GmbH, au motif que cette dernière s’est désistée de son recours.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
38 À titre liminaire, il y a lieu d’observer que les questions posées visent la directive 2012/34 alors que les redevances d’utilisation de l’infrastructure en cause au principal ont été fixées et perçues sous l’empire de la directive l’ayant précédée, à savoir la directive 2001/14. En revanche, ce n’est qu’après l’expiration du délai de transposition de la directive 2012/34 que les requérantes au principal ont saisi l’organisme de contrôle du secteur ferroviaire allemand, à savoir l’Agence fédérale des réseaux, lui demandant, notamment, de constater l’illégalité de ces redevances.
39 Cela étant, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 25 de ses conclusions, en l’occurrence, il n’est pas nécessaire de déterminer s’il y a lieu d’appliquer la directive 2012/34 ou la directive 2001/14. En effet, les règles visées par la juridiction de renvoi, à savoir celles qui sont prévues à l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 correspondent, en substance, aux règles qui figuraient à l’article 30, paragraphes 2, 3 et 5, de la directive 2001/14 (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2022, DB Station & Service, C‑721/20, EU:C:2022:832, point 64). Il s’ensuit que, en principe, leur interprétation doit être la même et que, par conséquent, la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de ces dispositions de la directive 2001/14 s’applique mutatis mutandis aux dispositions équivalentes de la directive 2012/34.
40 Dans ces conditions, il y a lieu de répondre aux questions posées en se référant, à l’instar de la juridiction de renvoi, à la directive 2012/34.
Sur les première à troisième questions
41 Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui exclut toute compétence de l’organisme de contrôle, saisi d’une demande fondée sur le paragraphe 1 de cette disposition, pour vérifier la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure dont la période d’application a expiré et pour constater leur invalidité avec effet ex tunc.
42 À cet égard, il convient de relever que, à l’instar de la directive 2001/14 qui l’a précédée (voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 2022, DB Station & Service, C‑721/20, EU:C:2022:832, point 59 et jurisprudence citée), la directive 2012/34 a pour but d’assurer un accès non discriminatoire à l’infrastructure ferroviaire, notamment en exigeant, ainsi qu’il ressort de son considérant 42, que les systèmes de tarification et de répartition des capacités permettent une concurrence équitable dans la fourniture de services ferroviaires.
43 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, la compétence exclusive de l’organisme de contrôle pour connaître de tout litige relevant de l’article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34 se justifie par ces objectifs mêmes et implique les pouvoirs spécifiques qui lui sont conférés en vertu des paragraphes 1, 6 et 9 de cet article (voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 2022, DB Station & Service, C‑721/20, EU:C:2022:832, point 60).
44 En particulier, conformément à l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34, lorsqu’un tel organisme est saisi d’une plainte, il lui appartient d’adopter les mesures nécessaires afin de remédier à la situation, sans préjudice de sa compétence pour prendre, au besoin d’office, des mesures appropriées afin de corriger toute discrimination à l’égard des « candidats », au sens de l’article 3, point 19, de cette directive, à savoir, notamment, les entreprises ferroviaires, toute distorsion du marché de services ferroviaires et toute autre évolution indésirable sur ce marché (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2022, CityRail, C‑453/20, EU:C:2022:341, points 55, 56 et 61).
45 Il ressort également de cet article 56, paragraphe 9, que les effets des décisions que l’organisme de contrôle adopte ne sont pas limités aux seules parties à un litige porté devant lui, mais s’imposent à toutes les parties concernées du secteur ferroviaire, que ce soient les entreprises de transport ou les gestionnaires d’infrastructure. Ainsi, cet organisme est à même d’assurer l’égalité d’accès à l’infrastructure de toutes les entreprises concernées et le maintien d’une concurrence équitable dans le secteur de la fourniture de services ferroviaires (voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 2022, DB Station & Service, C‑721/20, EU:C:2022:832, point 66 et jurisprudence citée).
46 Dans ces conditions, lorsqu’il est saisi d’un recours d’une entreprise de transport ferroviaire, l’organisme de contrôle, auquel il appartient d’assurer le respect de leurs obligations tant par les gestionnaires de l’infrastructure que par les exploitants des services ferroviaires, est tenu d’examiner, selon les termes mêmes de l’article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34, les traitements inéquitables ou discriminatoires ainsi que tout autre préjudice, ce qui inclut notamment les questions relatives à la tarification de l’infrastructure (voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 2022, DB Station & Service, C‑721/20, EU:C:2022:832, point 73).
47 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, la faculté des entreprises de transport ferroviaire de saisir l’organisme de contrôle trouve son pendant dans le pouvoir de cet organisme de vérifier la légalité des décisions du gestionnaire de l’infrastructure en matière de redevances, ce que confirme l’article 56, paragraphe 6, de la directive 2012/34, dans la mesure où il prévoit que ledit organisme veille à ce que les redevances fixées par le gestionnaire de l’infrastructure soient conformes aux dispositions du chapitre IV, section 2, de cette directive, régissant la tarification de l’infrastructure et des services, et non discriminatoires.
48 Il en résulte que l’organisme de contrôle, saisi sur le fondement de l’article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34, ne saurait valablement refuser d’exercer sa compétence pour statuer sur la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure perçues dans le passé (voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 2022, DB Station & Service, C‑721/20, EU:C:2022:832, points 74 et 87).
49 En particulier, la compétence d’un tel organisme pour contrôler la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure ne saurait dépendre de la circonstance qu’il a été saisi avant ou après l’expiration des périodes d’application respectives de ces redevances.
50 D’une part, il ressort du libellé même de l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 que les compétences attribuées à l’organisme de contrôle ne sont aucunement liées à ces périodes d’application.
51 Ce constat est corroboré par le fait que la directive 2012/34 ne détermine pas lesdites périodes ni ne limite l’applicabilité des redevances d’utilisation de l’infrastructure ou des systèmes de tarification sous-jacents à une certaine durée. En particulier, à l’instar de l’article 3 de la directive 2001/14, lu en combinaison avec l’article 2, sous j), de celle-ci et avec son annexe I, l’article 27 de la directive 2012/34, lu en combinaison avec l’article 3, point 26, de celle-ci et avec son annexe IV, se borne à prévoir l’obligation du gestionnaire de l’infrastructure de publier un document de référence du réseau qui établit notamment les conditions d’accès à l’infrastructure ferroviaire, y compris les principes de tarification, les tarifs et les redevances, sans limiter la durée de validité de ce document.
52 Une limitation de la durée de validité des redevances ou des systèmes de tarification sous-jacents ne saurait non plus être déduite des règles relatives à l’horaire de service annuel. En effet, en vertu de l’article 3, point 28, de la directive 2012/34, lu en combinaison avec son annexe VII, tout comme c’était le cas de l’article 2, sous m), de la directive 2001/14, lu en combinaison avec son annexe III, l’horaire de service n’a certes qu’une période de validité limitée à un an. Cet horaire se borne toutefois à recenser « les données définissant tous les mouvements programmés des trains et du matériel roulant, sur l’infrastructure concernée » et ne concerne donc pas les tarifs et les redevances.
53 D’autre part, une interprétation de l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34, selon laquelle les redevances d’utilisation de l’infrastructure déjà perçues par un gestionnaire de l’infrastructure ne peuvent être contestées que pendant la durée de la validité du tarif sous‑jacent porterait atteinte à l’effectivité du système de contrôle établi par cette disposition et, de ce fait, à la réalisation des objectifs poursuivis par cette directive.
54 En effet, une telle interprétation entraverait la mission de l’organisme de contrôle consistant à assurer, ainsi qu’il ressort des points 42 à 47 du présent arrêt, l’égalité d’accès à l’infrastructure de toutes les entreprises concernées et le maintien d’une concurrence équitable dans le secteur de la fourniture de services ferroviaires. Elle serait également de nature à restreindre indûment le droit des entreprises de transport ferroviaire de saisir l’organisme de contrôle d’une contestation des redevances d’utilisation de l’infrastructure et, le cas échéant, de soumettre la décision prise par cet organisme à un contrôle juridictionnel en saisissant la juridiction compétente à cet effet, consacré à l’article 56, paragraphes 1, 9 et 10, de la directive 2012/34 (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 2021, Koleje Mazowieckie, C‑120/20, EU:C:2021:553, point 57).
55 Par ailleurs, la compétence de l’organisme de contrôle de vérifier la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure perçues dans le passé, indépendamment du point de savoir si leurs périodes d’application respectives ont déjà expiré, implique nécessairement, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général aux points 44, 45, 47 et 48 de ses conclusions, que cet organisme puisse constater, le cas échéant, l’invalidité de ces redevances avec effet ex tunc.
56 En particulier, limiter la compétence de l’organisme de contrôle à l’adoption de décisions avec effet uniquement pour l’avenir serait de nature à priver largement de son sens le contrôle des redevances d’utilisation de l’infrastructure perçues dans le passé et porterait ainsi atteinte à l’effet utile de l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34.
57 Dans ces circonstances, force est de constater que ces dispositions s’opposent à une réglementation d’un État membre qui prévoit que l’organisme de contrôle n’est compétent ni pour contrôler la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure dont la période d’application a expiré ni pour constater, le cas échéant, leur invalidité avec effet ex tunc.
58 Il ressort de la demande de décision préjudicielle et il a été confirmé lors de l’audience devant la Cour que, en l’occurrence, une telle limitation de la compétence de l’organisme de contrôle allemand est susceptible de découler de l’article 68, paragraphe 3, de l’ERegG.
59 À cet égard, il convient de rappeler que le principe de primauté du droit de l’Union impose notamment aux juridictions nationales, en vue de garantir l’effectivité de l’ensemble des dispositions du droit de l’Union, d’interpréter, dans toute la mesure possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l’Union [arrêt du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 35 et jurisprudence citée].
60 L’obligation d’interprétation conforme du droit national connaît toutefois certaines limites et ne peut notamment pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national [arrêt du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 36 et jurisprudence citée].
61 Il convient également de rappeler que le principe de primauté impose au juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union l’obligation, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences de droit de l’Union, d’assurer le plein effet des exigences de ce droit dans le litige dont il est saisi en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute réglementation ou pratique nationale, même postérieure, qui est contraire à une disposition du droit de l’Union qui est d’effet direct, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette réglementation ou pratique nationale par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [arrêts du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, points 58 et 61, ainsi que du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft HartbergFürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 37].
62 En ce qui concerne le droit de recours administratif et juridictionnel des entreprises de transport ferroviaire, prévu à l’article 56, paragraphes 1, 9 et 10, de la directive 2012/34, ces dispositions sont inconditionnelles et suffisamment précises et sont, partant, dotées d’un effet direct. Il s’ensuit qu’elles s’imposent à toutes les autorités des États membres, à savoir non seulement les juridictions nationales, mais également tous les organes de l’administration, y compris les autorités décentralisées, et ces autorités sont tenues d’en faire application (voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 1989, Costanzo, 103/88, EU:C:1989:256, point 33, et du 8 juillet 2021, Koleje Mazowieckie, C‑120/20, EU:C:2021:553, point 58).
63 Par conséquent, il incombe non seulement à la juridiction de renvoi, mais aussi, le cas échéant, à l’Agence fédérale des réseaux d’interpréter, dans la mesure du possible, l’article 68, paragraphe 3, de l’ERegG de manière conforme à l’article 56, paragraphes 1, 9 et 10, de la directive 2012/34 et, dans l’hypothèse où une telle interprétation devrait être considérée comme étant contra legem, d’écarter cette disposition du droit allemand afin de permettre aux entreprises de transport ferroviaire d’exercer leur droit de contester la légalité de redevances d’utilisation de l’infrastructure perçues dans le passé.
64 Il importe, encore, de souligner que ni l’article 56, paragraphes 1, 9 et 10, de la directive 2012/34 ni une autre disposition de cette directive ne prévoient de délai à l’expiration duquel les entreprises ne peuvent plus contester la légalité de redevances d’utilisation de l’infrastructure.
65 Dans ces circonstances, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 36 de ses conclusions, il appartient à chaque État membre, conformément au principe de l’autonomie procédurale, de fixer des limites temporelles raisonnables s’appliquant aux recours par lesquels les candidats, dont les entreprises de transport ferroviaire, demandent à l’organisme de contrôle, conformément à l’article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34, de contrôler la légalité des décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure en ce qui concerne, notamment, le système de tarification et le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité (voir, par analogie, arrêts du 28 novembre 2000, Roquette Frères, C‑88/99, EU:C:2000:652, points 20 et 21, ainsi que du 19 décembre 2019, Cargill Deutschland, C‑360/18, EU:C:2019:1124, point 46).
66 En outre, il convient de relever que les objectifs poursuivis par la directive 2012/34 doivent être réalisés, en droit national, dans le respect des exigences du principe de sécurité juridique, ce qui implique, s’agissant de ces limites temporelles, que les États membres ont l’obligation de mettre en place un régime de délais suffisamment précis, clair et prévisible pour permettre aux intéressés de connaître leurs droits et obligations (voir, par analogie, arrêt du 18 octobre 2012, Pelati, C‑603/10, EU:C:2012:639, point 36 et jurisprudence citée).
67 Il a été soutenu dans les observations écrites soumises à la Cour et à l’occasion de l’audience du 15 juin 2023 que le droit allemand ne prévoit pas de délai spécifique pour l’introduction des recours au titre de l’article 56, paragraphe 1, de la directive 2012/34. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation du droit allemand. Il incombe à la juridiction de renvoi d’identifier les règles de prescription et de forclusion prévues par ce droit qui sont susceptibles de s’appliquer aux demandes des requérantes au principal, de vérifier que ces règles prévoient un régime de délais suffisamment précis, clair et prévisible, ainsi que de déterminer si ces demandes ont été introduites dans les délais impartis.
68 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que l’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui exclut toute compétence de l’organisme de contrôle, saisi d’une demande fondée sur le paragraphe 1 de cet article, pour vérifier la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure dont la période d’application a expiré et pour constater leur invalidité avec effet ex tunc.
Sur la quatrième question
69 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens qu’il exige que l’organisme de contrôle puisse ordonner le remboursement de redevances d’utilisation de l’infrastructure lorsque le droit national confère cette compétence aux juridictions civiles.
70 À cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 44 du présent arrêt que, en vertu de l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34, lorsqu’un organisme de contrôle est saisi d’une plainte, il adopte les mesures nécessaires afin de remédier à la situation, sans préjudice de sa compétence pour prendre, au besoin d’office, des mesures appropriées afin de corriger toute discrimination à l’égard des candidats, à savoir, notamment, les entreprises ferroviaires, toute distorsion du marché de services ferroviaires et toute autre évolution indésirable sur ce marché.
71 Il découle de la réponse aux première à troisième questions que cette disposition exige que l’organisme de contrôle soit notamment compétent pour constater l’invalidité des redevances d’utilisation de l’infrastructure avec effet ex tunc. Il en va toutefois différemment en ce qui concerne le remboursement de telles redevances.
72 Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 73 et 75 de ses conclusions, au terme d’une analyse du libellé de l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34, cette disposition n’impose pas aux États membres d’investir l’organisme de contrôle du pouvoir d’ordonner lui-même le remboursement des redevances d’utilisation de l’infrastructure, mais leur permet, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de concevoir d’autres systèmes qui impliquent, à titre d’exemple, que les juridictions civiles connaissent séparément des demandes de remboursement.
73 L’effectivité de l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 ne requiert pas non plus que l’organisme de contrôle puisse, en tout état de cause, statuer lui-même sur le remboursement des redevances d’utilisation de l’infrastructure dont il a constaté le caractère illicite.
74 D’une part, lorsque cet organisme constate l’invalidité des tarifs et des redevances d’utilisation de l’infrastructure appliqués par un gestionnaire de l’infrastructure, l’effet contraignant de ses décisions à l’égard de toutes les parties concernées du secteur ferroviaire, rappelé au point 45 du présent arrêt, permet à ces dernières de connaître avec certitude leurs droits et obligations. Dans ces conditions, afin de permettre aux entreprises qui prétendent avoir fait l’objet d’une discrimination de faire valoir leurs droits et d’assurer ainsi l’élimination effective des distorsions de concurrence, il ne paraît pas indispensable que ledit organisme détermine également les montants exacts des redevances indûment payées en vue d’ordonner leur remboursement.
75 D’autre part, l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 impose certes à l’organisme de contrôle de se prononcer sur toutes les plaintes dans un délai particulièrement court. Toutefois, si, pour des raisons de sécurité juridique notamment, cet organisme doit se prononcer au plus vite sur la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure contestées, qu’elles soient actuellement en vigueur ou que leur période d’application ait expiré, ces raisons n’exigent pas que, après l’adoption d’une décision constatant l’invalidité des redevances en cause, les montants à rembourser, le cas échéant majorés d’intérêts, soient déterminés dans le même délai.
76 Cette interprétation de l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 a déjà été confirmée par la Cour qui a jugé qu’il est loisible aux États membres de prévoir que la décision sur le remboursement de redevances d’utilisation de l’infrastructure trop perçues incombe non pas à l’organisme de contrôle, mais aux juridictions civiles qui statuent, en application du droit civil, à condition, toutefois, que cet organisme ait statué au préalable sur le caractère illicite de ces redevances (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, CTL Logistics, C‑489/15, EU:C:2017:834, point 97).
77 À cet égard, il convient encore de souligner, à l’instar de M. l’avocat général au point 75 de ses conclusions, que lorsque les États membres déterminent, dans leur droit national, les voies de recours permettant de contraindre un gestionnaire d’infrastructure de rembourser des redevances d’utilisation de l’infrastructure trop perçues et, notamment lorsqu’ils choisissent de conférer, à cette fin, une compétence exclusive aux juridictions civiles, ils sont tenus de respecter les principes d’équivalence et d’effectivité.
78 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34 doit être interprété en ce sens qu’il n’exige pas que l’organisme de contrôle puisse ordonner lui-même le remboursement de redevances d’utilisation de l’infrastructure lorsque le droit national, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, confère cette compétence aux juridictions civiles.
Sur la cinquième question
79 Eu égard à la réponse aux première à troisième questions, il n’y a plus lieu de répondre à la cinquième question qui n’a été posée que dans l’hypothèse où la Cour aurait répondu par la négative aux première et deuxième questions.
Sur les dépens
80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 56, paragraphes 1, 6 et 9, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à une réglementation d’un État membre qui exclut toute compétence de l’organisme de contrôle, saisi d’une demande fondée sur le paragraphe 1 de cet article, pour vérifier la légalité des redevances d’utilisation de l’infrastructure dont la période d’application a expiré et pour constater leur invalidité avec effet ex tunc.
2) L’article 56, paragraphe 9, de la directive 2012/34
doit être interprété en ce sens que :
il n’exige pas que l’organisme de contrôle puisse ordonner lui‑même le remboursement de redevances d’utilisation de l’infrastructure lorsque le droit national, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, confère cette compétence aux juridictions civiles.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
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