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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Shuvalov v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in respect of actions undermining or threatening the territorial integrity, sovereignty and independence of Ukraine - Freezing of funds - Judgment) French Text [2024] EUECJ T-289/22 (07 February 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T28922.html Cite as: EU:T:2024:57, [2024] EUECJ T-289/22, ECLI:EU:T:2024:57 |
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
7 février 2024 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Qualité de personne physique soutenant des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145/PESC – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Liberté d’expression – Égalité de traitement – Proportionnalité – Droit de propriété – Droit à une protection juridictionnelle effective – Détournement de pouvoir »
Dans l’affaire T‑289/22,
Igor Shuvalov, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes J. Iriarte Ángel, L. Rodríguez Jiménez, F. M. Rodríguez González et L. García López, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Saez Moreno, P. Mahnič et M. D. Cerdán García, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé de MM. D. Spielmann, président, I. Gâlea et T. Tóth (rapporteur), juges,
greffier : Mme P. Núñez Ruiz, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 12 septembre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Igor Shuvalov, demande l’annulation, en substance, premièrement, de la décision (PESC) 2022/265 du Conseil, du 23 février 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 98), et du règlement d’exécution (UE) 2022/260 du Conseil, du 23 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 42 I, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « premiers actes de maintien »), et, troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « seconds actes de maintien »), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.
Antécédents du litige
2 Le requérant a, entre 2008 et 2018, été premier vice-Premier ministre du gouvernement de la Fédération de Russie, avant de devenir, le 24 mai 2018, le président de la Vnesheconombank (VEB.RF, Banque de développement et du commerce extérieur, Russie).
3 À la suite du rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, le Conseil de l’Union européenne a, le 17 mars 2014, adopté la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), sur le fondement de l’article 29 TUE.
4 À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
5 Le 23 février 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux et inscrit le nom du requérant sur la liste des mesures restrictives figurant en annexe de chacun des deux actes sous le numéro 227.
6 À cette date, l’article 2 de la décision 2014/145 modifiée par la décision (PESC) 2021/2196 du Conseil, du 13 décembre 2021 (JO 2021, L 445 I, p. 14) (ci-après la « décision 2014/145 initiale »), se lisait comme suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
a) à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent activement ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques, et à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui leur sont associés ;
[...]
d) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’est de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs [...] »
7 L’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), de la décision 2014/145 initiale prévoyait des dispositions en substance similaires à celles prévues par l’article 2, paragraphe 1, sous a) et d), de cette décision en ce qui concernait les mesures nécessaires pour empêcher l'entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres. Il en va de même de l’article 3, paragraphe 1, sous a) et d), du règlement no 269/2014, modifié par le règlement d’exécution (UE) 2021/2193 du Conseil, du 13 décembre 2021, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2021, L 445 I, p. 4) (ci-après le « règlement no 269/2014 initial »).
8 La décision du Conseil d’appliquer des mesures restrictives à l’encontre du requérant était motivée dans les actes initiaux comme suit (ci-après la « motivation contestée ») :
« [M.] Igor Ivanovich Shuvalov est le président de la société de développement d’État VEB.RF et un membre du Conseil de la Commission économique eurasiatique. Il était auparavant premier vice-Premier ministre de [la Fédération de] Russie. En cette qualité, il a fait des remarques selon lesquelles la Russie modifierait ses règles budgétaires afin de tenir compte des 2 millions de personnes supplémentaires résultant de l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie. Il soutient donc des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »
9 Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.
10 Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1) (ci-après la « décision 2014/145 modifiée ») et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1) (ci-après le « règlement no 269/2014 modifié »), afin notamment de modifier les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.
11 Les critères prévus à l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), et à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et d), de la décision 2014/145 modifiée, ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, sous a) et d), du règlement no 269/2014 modifié sont similaires à ceux prévus à l’article 1er, paragraphe 1, sous a) et b), et à l’article 2, paragraphe 1, sous a) et d), de la décision 2014/145 initiale, ainsi qu’à ceux prévus à l’article 3, paragraphe 1, sous a) et d), du règlement no 269/2014 initial, à l’exception près que, d’une part, l’adverbe « activement » et l’adjectif « actif » ont été, chacun en ce qui le concerne, retirés du critère lié au soutien des actions ou des politiques compromettant ou menaçant l’intégrité, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que de celui relatif au soutien matériel ou financier apporté aux décideurs russes et, d’autre part, la référence faite à l’est de l’Ukraine a été étendue à la totalité de cet État.
12 Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les premiers actes de maintien et a maintenu le nom du requérant sous le numéro 227 sur la liste figurant à l’annexe de chacun de ces deux actes, pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 8 ci-dessus.
13 Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les seconds actes de maintien et a maintenu le nom du requérant sous le numéro 227 sur la liste figurant à l’annexe de chacun des deux actes en cause, pour les motifs suivants :
« [M.] Igor Ivanovich Shuvalov est le président de la société de développement d’État VEB.RF. Auparavant, il a été premier vice-Premier ministre de la [Fédération de] Russie et membre du Conseil de la Commission économique eurasiatique. En sa qualité de premier vice- Premier ministre, il a fait des remarques selon lesquelles la Russie modifierait ses règles budgétaires afin de tenir compte des deux millions de personnes supplémentaires résultant de l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie. Il soutient donc des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »
Conclusions des parties
14 Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués, en tant qu’ils le concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens.
15 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner le requérant aux dépens.
En droit
16 À l’appui de son recours, le requérant fait valoir sept moyens, le premier, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation des faits qu’aurait commise le Conseil, le deuxième, de la violation de l’obligation de motivation, le troisième, de la violation du droit fondamental à la liberté d’expression, le quatrième, de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, le cinquième, de la violation du droit de propriété au regard du principe de proportionnalité, le sixième, de la violation du principe d’égalité de traitement et, le septième, d’un détournement de pouvoir.
17 L’analyse de ces moyens met en évidence qu’il convient d’examiner, dans un premier temps, le deuxième moyen, relatif à la violation de l’obligation de motivation, dans un deuxième temps, le premier moyen, relatif à la prétendue commission d’une erreur manifeste d’appréciation des faits, dans un troisième temps, le cinquième moyen, relatif à la violation du droit de propriété au regard du principe de proportionnalité, puis, dans un quatrième temps, conjointement, le troisième moyen, relatif à la violation du droit fondamental à la liberté d’expression et le sixième moyen, relatif à la violation du principe d’égalité de traitement, et, enfin, dans un cinquième temps, conjointement, le quatrième moyen, relatif à la prétendue violation du droit à une protection juridictionnelle effective et le septième moyen, relatif à un détournement de pouvoir.
18 De plus, la lecture des écritures du requérant met en évidence qu’il sollicite l’annulation des actes attaqués et non de la décision 2014/145 et du règlement 269/2014 en tant que tels, ce qu’il a d’ailleurs confirmé au cours de l’audience et il convient de lui en donner acte.
Sur le deuxième moyen, relatif à la violation de l’obligation motivation
19 Par ce moyen, le requérant fait, en substance, valoir que les actes attaqués ne sont pas motivés ou sont insuffisamment motivés.
20 À cet égard, premièrement, le requérant fait valoir que la motivation des actes attaqués s’appuie sur des faits qui ne sont plus d’actualité et qui doivent, en conséquence, être considérés comme étant inexistants à la date de leur édiction. Deuxièmement, il affirme qu’il est impossible de comprendre le lien qui existerait entre le fait d’être le président de VEB.RF et le critère relatif au soutien des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, prévu par l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 initiale (ci-après le « critère a) »).
21 Dans la réplique, le requérant affirme que le mémoire en défense du Conseil met en évidence l’absence de motivation des actes attaqués. Il ajoute que, en tout état de cause, il est impossible de déterminer une motivation fondée sur le critère du soutien matériel ou financier des décideurs russes responsables de l’invasion de l’Ukraine ou de l’avantage tiré de ces décideurs, tel que respectivement prévu par l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et par l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145 initiale et de la décision 2014/145 modifiée, ainsi que par l’article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement no 269/2014 initial et du règlement no 269/2014 modifié (ci-après le « critère d) »).
22 Dans le mémoire en adaptation des conclusions de la requête, le requérant réitère les observations déjà formulées.
23 Le Conseil conclut au rejet du moyen.
24 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue le corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 49).
25 Il convient également de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 50, et du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 47 et jurisprudence citée).
26 La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel des fonds doit permettre que soient identifiées les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles celui-ci considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 105 et jurisprudence citée).
27 Cependant, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires peuvent avoir à recevoir des explications (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 64 et jurisprudence citée).
28 Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).
29 En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 104 et jurisprudence citée).
30 Enfin, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, points 73 et 74 et jurisprudence citée).
31 De plus, il doit être précisé que l’absence de mention explicite du critère appliqué à l’égard d’une personne n’entraîne pas nécessairement une violation de l’obligation de motivation, pourvu qu’il résulte de manière suffisamment claire de la lecture de la motivation retenue par le Conseil quel est le critère dont celui-ci a fait application s’agissant de cette personne (arrêt du 11 septembre 2019, Topor-Gilka et WO Technopromexport/Conseil, T‑721/17 et T‑722/17, non publié, EU:T:2019:579, point 79 ; voir, également, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 51).
32 En ce qui concerne le critère appliqué, ainsi que le souligne le Conseil, il est, certes, vrai que le projet de motivation, intitulé « Projet d’exposé des motifs de l’inscription sur la liste », qui figure en page 2 du dossier WK 2598/2022 (ci-après le « dossier initial »), se réfère explicitement tant au critère a) qu’au critère d).
33 Toutefois, il y a lieu de constater, à la lumière de la jurisprudence citée au point 31 ci-dessus, qu’il ne résulte pas de manière suffisamment claire de la lecture des motifs des actes attaqués que le Conseil a inscrit le nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du critère d). Il convient de constater que la motivation des actes attaqués se réfère uniquement au critère a), en reproduisant de manière littérale son libellé dans l’exposé des motifs. Cette motivation est de nature à exclure l’identification par le requérant d’un autre critère lié à une forme de soutien, de sorte que le critère a) est le seul critère qu’il convient de prendre en considération, indépendamment du fait que le projet de décision se réfère à deux critères.
34 Il en résulte que, contrairement à ce qu’affirme le Conseil, le critère d) ne saurait être considéré comme constituant un critère sur lequel cette institution s’est fondée pour édicter les actes attaqués à l’encontre du requérant.
35 Quant à la question de savoir si les actes attaqués sont suffisamment motivés au regard des autres arguments soulevés, premièrement, il y a lieu de constater que les mesures litigieuses ont été adoptées sur le fondement des actes attaqués, qui, tant pour les actes initiaux que pour les actes de maintien, précisent le contexte, dans le cadre de leurs considérants respectifs, et les bases juridiques sur le fondement desquels ils ont été adoptés. Deuxièmement, la lecture de la motivation contestée met en évidence que le Conseil a, en substance, considéré que le requérant soutenait les actions et les politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine en raison du fait, premièrement, qu’il était, à l’heure actuelle, président de VEB.RF et membre du Conseil de la Commission économique eurasiatique et, deuxièmement, antérieurement à l’exercice de ces fonctions, qu’il était vice-Premier ministre de la Fédération de Russie. C’est dans l’exercice de cette fonction qu’il a tenu des propos selon lesquels, pour tenir compte de l’adjonction des populations ressortissant à la province annexée de Crimée, il conviendrait de modifier les règles budgétaires.
36 À cet égard, la mention selon laquelle le requérant est président de VEB.RF doit, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 29 ci-dessus, être lue en tenant compte du contexte dans lequel ces fonctions lui ont été confiées et sont exercées, de sorte que, pour ce faire, doivent être prises en compte ses fonctions de vice-Premier ministre, qu’il a exercées antérieurement pendant environ dix années. Ainsi, il y a lieu de constater que la mention de l’exercice des fonctions de président de VEB.RF par le requérant doit être considérée comme constituant un élément suffisant au regard de l’exigence de motivation.
37 Quant à la critique selon laquelle la motivation contestée repose sur des éléments qui étaient inexistants au moment de l’édiction des mesures contestées, il suffit de souligner que ce grief relève de la contestation au fond et non d’un défaut de motivation.
38 Il résulte des points 35 à 37 ci-dessus que la motivation contestée repose sur des raisons suffisamment individuelles, spécifiques et concrètes pour permettre au requérant de se défendre et de comprendre le critère et les motifs qui ont amené le Conseil à édicter des mesures restrictives à son égard tant dans les actes initiaux que dans les premiers actes de maintien.
39 Il en va de même des seconds actes de maintien, dont la motivation est, en substance, similaire à celle qui figure dans les actes initiaux et dans les premiers actes de maintien.
40 Il convient en conséquence de rejeter le deuxième moyen.
Sur le premier moyen, relatif à la commission d’une erreur d’appréciation des faits
41 Par le premier moyen, le requérant fait, en substance, valoir que les éléments factuels dont se prévaut le Conseil ne sont pas de nature à correspondre au critère relatif au soutien des actions et des politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
42 En effet, selon le requérant, soit les faits invoqués dans la motivation contestée n’existaient pas ou plus au moment de l’édiction des actes attaqués, soit leur importance était insuffisante d’un point de vue quantitatif ou qualitatif pour contribuer à la poursuite des actions et des politiques menées par le gouvernement de la Fédération de Russie à l’égard de l’Ukraine.
43 À cet égard, le requérant fait valoir que, au moment de l’édiction des actes initiaux, il n’était plus vice-Premier ministre de la Fédération de Russie, ni membre du Conseil de la Commission économique eurasiatique depuis presque quatre ans. Quant aux déclarations mentionnées dans la motivation contestée, intervenues huit ans avant l’invasion de l’Ukraine en 2022 et l’édiction des actes initiaux, elles n’auraient traduit ni ne traduiraient un quelconque soutien du requérant quant à l’attitude adoptée par la Fédération de Russie à l’égard de la Crimée ou de Sébastopol, dans des circonstances où il ne faisait que répondre aux questions d’un journaliste, sans formuler aucune proposition effective pour modifier la règle budgétaire.
44 S’agissant de ses fonctions de président de VEB.RF, le requérant fait, en substance, valoir que cette société est indépendante de l’organisation institutionnelle de l’État russe. De plus, en tant que président de cette société, il ne recevrait aucune instruction, que ce soit de M. Vladimir Poutine ou du gouvernement russe, tout comme il ne serait pas fonctionnaire, pas plus qu’il exercerait des fonctions électives.
45 À cet égard, le requérant fait valoir qu’aucun des cinq arguments, développés par le Conseil dans ses écritures pour fonder les deux critères qui justifieraient l’inscription de son nom sur la liste des mesures restrictives, ne figure pas dans la motivation contestée, ce qui suffirait à les rejeter dans leur entièreté.
46 En tout état de cause, s’agissant du premier argument développé par le Conseil, relatif au fait que les plus hautes instances de VEB.RF sont nommées directement par le président de la Fédération de Russie ou sont membres du gouvernement russe et peuvent être démises de leurs fonctions de cette société à tout moment par le gouvernement de la Fédération de Russie, le requérant fait notamment valoir que, contrairement à ce qu’affirme le Conseil, le statut légal de VEB.RF implique qu’elle peut employer, au niveau du Conseil de surveillance, tant des fonctionnaires que des personnes travaillant dans le secteur privé.
47 S’agissant du deuxième argument développé par le Conseil, selon lequel VEB.RF choisit et développe ses projets sur instructions du Président de la Fédération de Russie et du Premier ministre de ladite Fédération, le requérant fait valoir que l’interprétation donnée par le Conseil de l’article 3, paragraphe 5, de la loi fédérale du 17 mai 2017 sur la banque d’État de développement VEB.RF, modifiée par la loi 332-FZ du 2 juillet 2021, dont la version consolidée est jointe à l’annexe A 15 de la requête (ci-après la « loi fédérale relative au statut de VEB.RF ») est incorrecte.
48 En effet, ce ne serait que lorsque VEB.RF ne peut pas investir dans un projet du fait de son caractère non profitable qu’elle pourrait être invitée par les instances présidentielle ou gouvernementale à intervenir dans un tel projet, à charge pour ces instances de soutenir financièrement le projet, conformément à l’article 14, paragraphe 1, de la loi fédérale relative au statut de VEB.RF.
49 S’agissant du troisième argument du Conseil, selon lequel VEB.RF investirait dans le domaine de l’industrie de la défense et gèrerait exclusivement l’épargne-retraite détenue par l’État, le requérant fait valoir que, en application de l’article 3, paragraphe 12, de la loi fédérale relative au statut de VEB.RF, cette société n’investit pas dans des projets à but militaire, mais uniquement dans ceux qui ont vocation à démilitariser l’économie russe. Il ajoute que, en ce qui concerne la gestion des pensions, avec 18 autres sociétés de gestion, elle placerait cet argent et reverserait les bénéfices liés à ces placements aux salariés russes sans réaliser aucun bénéfice. Il fait enfin valoir que, en tout état de cause, les bénéfices réalisés par VEB.RF ne sont pas reversés à la Fédération de Russie.
50 S’agissant du quatrième argument du Conseil, relatif au fait que VEB.RF mène des projets de diversification militaro-industriels avec les sociétés Rosatom et Rostec, le requérant fait valoir que la pièce no 3 du dossier initial fait uniquement état d’un projet de construction d’usines de recyclage de déchets productrices d’énergie, sans que pour autant le Conseil rapporte la preuve que ce projet a été réalisé.
51 S’agissant enfin du cinquième argument du Conseil, relatif au prétendu soutien des petites et moyennes entreprises (PME) par VEB.RF, le requérant fait valoir que la pièce no 7 du dossier initial met en évidence que cette société n’a réalisé aucun investissement important en Crimée. Quant à l’existence d’un accord conclu entre VEB.RF et le ministère des Affaires de Crimée, qui n’existe au demeurant plus depuis sept ans, le requérant indique que l’engagement de VEB.RF ne s’est traduit par aucune conclusion de contrat, ainsi que l’atteste le document figurant à l’annexe C 17 de la réplique.
52 Quant à sa participation aux réunions du 3 octobre 2014 et du 1er avril 2015 avec M. Vladimir Poutine dont il est fait état dans les documents nos 13 et 14 du dossier initial, le requérant fait valoir que cette participation était sans lien avec la situation de l’Ukraine, comme le confirme la nature des sujets traités. Sa participation à un voyage en Crimée avec le Premier ministre Dmitry Medvedev, évoqué dans le document no 12 du dossier initial ne saurait non plus être retenue à son égard du fait de l’ancienneté des faits.
53 Le requérant en conclut que, en considérant que les faits contestés relevaient du critère a), le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation.
54 Dans son premier mémoire en adaptation, le requérant maintient l’ensemble des arguments déjà développés, tout en soulignant que c’est à tort que le Conseil n’a pas tenu compte de ses remarques en ce qui concernait le fait qu’il n’était plus membre du Conseil de la Commission économique eurasiatique depuis le 18 mai 2018.
55 Dans son second mémoire en adaptation du 22 mai 2023, relatif aux seconds actes de maintien, le requérant, tout en maintenant les arguments déjà développés, fait, en substance, valoir que la modification de la motivation adoptée par le Conseil met en évidence que les actes qui lui sont reprochés ne répondent plus à la condition d’actualité, dans la mesure où il n’occupe plus aucune fonction politique depuis cinq ans et où ses fonctions de dirigeant de VEB.RF ne lui permettent pas d’influencer, de quelque manière que ce soit, la politique interne et internationale menée par le gouvernement de la Fédération de Russie.
56 Le requérant ajoute que les éléments de preuve qui figurent dans les dossiers de travail du Conseil WK 17601/2022 INIT et WK 17601/2022 ADD 1 sont dotés d’une force probante insuffisante et que, en tout état de cause, ces éléments ne sont pas de nature à prouver qu’il soutient les actions ou politiques compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
57 En réponse, le Conseil conclut au rejet du moyen.
58 À titre liminaire, il importe de relever que le premier moyen doit être considéré comme étant tiré d’une erreur d’appréciation et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont satisfaits, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).
59 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).
60 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).
61 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).
62 En l’espèce, il y a d’emblée lieu de relever qu’il résulte des documents nos 2, 6 et 7 du dossier WK initial que la société VEB.RF est présentée comme une entreprise publique à but non lucratif et une « institution du développement économique national de Russie », qui, en étroite collaboration fonctionnelle et institutionnelle avec le président de la Fédération de Russie et le gouvernement de cette Fédération et dans le cadre de la politique économique que l’un détermine et l’autre conduit, agit pour l’intérêt public et apporte, notamment, son concours financier aux régions dont le développement économique est prioritaire, au nombre desquelles figure la Crimée, ainsi que son soutien financier dans le développement des activités civiles du secteur militaire russe. Eu égard aux éléments mentionnés au point 36 ci-dessus et dès lors que ces éléments de preuve se rattachent suffisamment à la motivation selon laquelle le requérant est le président de la société VEB.RF, les arguments développés par le Conseil et mentionnés aux points 46 à 52 ci-dessus ne sauraient, contrairement à ce qu’il soutient, être rejetés comme étant irrecevables.
63 De plus, ainsi qu’il résulte du document no 1 du dossier WK initial, dès 2008 et jusqu’à 2018, date à laquelle il est devenu président de VEB.RF, le requérant a été membre du gouvernement de la Fédération de Russie en tant que vice-Premier ministre.
64 C’est dans l’exercice de ces fonctions que, à la suite de l’annexion de la Crimée, le requérant a, au mois d’avril 2014 et ainsi que cela résulte du document no 11 du dossier WK initial, en substance, fait part à des journalistes allemands de la nécessité de modifier les règles budgétaires de la Fédération de Russie pour réaliser les investissements lourds que nécessitait cette région en termes, notamment, d’infrastructures routières et portuaires.
65 À cet égard et contrairement à ce qu’indique le requérant, il est possible de prendre en compte des faits intervenus dans un temps relativement éloigné de la date d’édiction d’une mesure restrictive, pour autant que, d’une part, ces faits étayent l’un des critères justifiant l’inscription du nom de l’intéressé sur la liste des mesures restrictives et, que, d’autre part, il soit établi que, au moment de l’édiction des mesures restrictives, cette personne n’avait pas définitivement mis un terme à toute activité de nature à justifier une telle édiction.
66 De plus, il y a de constater que de telles déclarations mettent en évidence que, tant en qualité de membre du gouvernement qu’à titre personnel, leur auteur a publiquement fait part de son souhait que, par la politique budgétaire qu’il préconisait, la région nouvellement annexée s’intégrât au mieux à la Fédération de Russie, objectif également poursuivi par le voyage organisé en Crimée par le Premier ministre Medvedev au mois de mars 2014 et auquel a participé le requérant, ainsi que cela résulte du document no 12 du dossier WK initial.
67 Partant, par ses actes et ces déclarations rappelées aux points 63 à 65 ci-dessus, le requérant s’est rendu responsable d’un soutien aux actions ou de politiques qui compromettaient ou menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
68 S’agissant ensuite de la situation institutionnelle de VEB.RF en général et de la fonction présidentielle du requérant au sein de VEB.RF en particulier, il y a lieu de relever que le document no 2 du dossier initial, tiré d’une dépêche de l’agence de presse TASS, datée du 24 juillet 2021, met en évidence que, dans la continuation de ses fonctions de vice-Premier ministre, le requérant a été désigné président de VEB.RF par le président de la Fédération de Russie.
69 De plus, le document no 4 du dossier initial retranscrit la teneur d’une réunion intervenue le 2 avril 2019 entre le président de la Fédération de Russie et le requérant, en qualité de président de VEB.RF. Ce document met en évidence que VEB.RF et son président agissent en rapport étroit dans le cadre de la politique économique que détermine le chef de l’État et que conduit le gouvernement.
70 En effet, à plusieurs reprises lors de cet entretien, le requérant se réfère aux instructions et à l’accord du président de la Fédération de Russie sur la teneur et la conduite de projets d’ampleur nationale, tels que le développement des nouvelles technologies ou de l’économie urbaine. De même, le requérant indique que VEB.RF prend une part active « dans presque toutes les activités du [g]ouvernement » et qu’il fait régulièrement rapport de l’état d’avancement de ces projets à la personne du président de la Fédération de Russie.
71 Les éléments mentionnés aux points 63 et 69 ci-dessus sont confirmés par la lecture combinée de l’article 6, paragraphe 2, de l’article 10, paragraphe 2, de l’article 13, paragraphe 2, et de l’article 15, paragraphes 2 et 5, de la loi fédérale relative au statut de VEB.RF.
72 En effet, ces articles mettent en évidence, tout d’abord, que le président de VEB.RF est nommé et est révoqué de ses fonctions par le président de la Fédération de Russie, ensuite, que les membres du conseil de surveillance de cette société sont nommés et démis de leurs fonctions par le gouvernement de cette Fédération et, enfin, que les membres du directoire sont nommés et démis de leurs fonctions par décision du conseil de surveillance, sur proposition du président de VEB.RF, de sorte qu’il est possible de conclure que l’ensemble des dirigeants et administrateurs sociaux de cette société sont directement ou indirectement nommés ou révoqués par le président de la Fédération de Russie ou par le gouvernement de cette Fédération.
73 La filiation existant entre le gouvernement de la Fédération de Russie et les instances dirigeantes de VEB.RF est confirmée également par le document, joint à l’annexe B 9 du mémoire en défense, et qui démontre, si besoin était, que, en pratique, la totalité des membres du conseil de surveillance de la société VEB.RF, à l’exclusion d’un seul, qui est un assistant de M. Vladimir Poutine, sont des ministres du gouvernement de la Fédération de Russie.
74 Quant à l’activité de VEB.RF, l’article 4, paragraphe 6, de la loi fédérale relative au statut de VEB.RF prévoit, notamment, que les investissements clés et les domaines dans lesquels cette société consent des prêts « sont spécifiés dans le mémorandum de la politique financière de VEB.RF approuvé par le [g]ouvernement de la Fédération de Russie ».
75 De même, l’article 3, paragraphe 5, de la loi fédérale relative au statut de VEB.RF prévoit que cette société participe, sur demande du président de la Fédération de Russie, aux projets « d’importance nationale, stratégique ou revêtant une haute importance pour l’économie russe ». À cet égard, si l’article 12, paragraphe 19, de cette loi, prévoit que ces projets sont adoptés par le conseil de surveillance, il convient de constater que, ainsi que cela est mentionné au point 73 ci-dessus, le conseil de surveillance est quasi-exclusivement composé de ministres du gouvernement de la Fédération de Russie, rendant ainsi illusoire l’hypothèse du rejet de tels projets par VEB.RF.
76 Il résulte ainsi des points 62 à 75 ci-dessus que tant la composition des organes décisionnels et administratifs de VEB.RF que son activité sont étroitement liées à la politique déterminée par le président de la Fédération de Russie et conduite par le gouvernement de cet État.
77 Quant à l’interrogation portant sur la question de savoir si VEB.RF participe au financement de l’économie de la Crimée et soutient en conséquence la politique d’annexion de cette région par le gouvernement russe, il y a lieu de relever que le document no 7 du dossier initial, non daté et tiré du site Internet de VEB.RF, met en évidence que, en ce qui concerne l’exercice de l’année 2015, cette société a consenti des prêts à hauteur de 12 millions de roubles russes (RUB) (environ 150 000 euros) à des PME de trois régions prioritaires, dont la Crimée, sur un total de prêts concédés par VEB.RF aux PME de la Fédération de Russie d’un montant de 105 millions de RUB (environ 1,3 million d’euros).
78 Interrogé à l’audience sur ce sujet, le requérant a confirmé que des crédits étaient toujours en cours au profit de la Crimée, sans pour autant en donner le montant exact, et tout en insistant sur le fait que ces crédits représentaient moins de 1 % de l’ensemble des crédits concédés par cette société.
79 De plus, il y a lieu de relever que, ainsi que cela résulte du document no 7 du dossier WK initial, ces prêts sont consentis dans le cadre d’un programme qui, « principalement, vise à rendre les ressources financières à long terme plus abordables pour les PME qui opèrent dans les secteurs économiques priorisés par le gouvernement », donc à des conditions plus intéressantes que celles offertes par le marché.
80 Or, les crédits en cause sont constitutifs, au moins par leur importance qualitative, d’un soutien actif aux actions ou politiques qui compromettent l’intégrité territoriale, l’indépendance ou la souveraineté de l’Ukraine en permettant le développement économique de la Crimée nouvellement annexée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 140).
81 Il résulte ainsi des points 64 à 80 ci-dessus que VEB RF a, en tant qu’institution publique qui soutient la politique économique déterminée par le président de la Fédération de Russie et conduite par le gouvernement de cette Fédération, participé et continué de participer au développement économique de la Crimée depuis son invasion par la Fédération de Russie et a, ainsi, soutenu activement les actions ou politiques qui menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
82 S’agissant spécifiquement du requérant, indépendamment du fait qu’il n’est plus membre du Conseil de la Commission économique eurasiatique, les éléments présentés aux points 68 à 80 ci-dessus, associés à son rôle en tant que membre du gouvernement de la Fédération de Russie, puis de président de VEB.RF, comme il résulte des éléments présentés aux points 63 à 67 ci-dessus, forment un faisceau d’indices suffisamment précis, concrets et concordants pour considérer que, depuis 2014 et jusqu’à la date d’adoption des actes initiaux, il s’est, de manière continue, rendu responsable d’un soutien actif aux actions ou politiques qui compromettaient ou menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
83 La même conclusion que celle mentionnée au point 82 ci-dessus doit être tirée en ce qui concerne les premiers actes de maintien, dès lors que la motivation de ces actes est demeurée inchangée par rapport aux actes initiaux et que le requérant n’a ajouté aucune nouvelle argumentation dans son premier mémoire en adaptation.
84 Quant aux seconds actes de maintien et s’agissant du seul document du dossier WK relatif à ces actes, pris en compte par le Tribunal dans le cadre du présent moyen, à savoir le premier document de ce dossier, dont la valeur probante est contestée par le requérant, il convient de relever que ce document est un article du journal Komsomolskaya Pravda de mars 2022.
85 À cet égard, il y a lieu de relever que la valeur probante de ce document ne saurait être sérieusement remise en cause en ce que, premièrement, il émane d’un journal connu de la Fédération de Russie et, deuxièmement, dans la mesure où il s’appuie sur des citations du requérant, il ne saurait être taxé de véhiculer de fausses informations.
86 Cet article ne fait que confirmer l’attitude active de VEB.RF et de son président en Crimée, dans la mesure où il fait état d’un lancement à venir de la « fabrique de la finance » en Crimée, ce qui traduit une implantation accrue de cette société en Crimée et, en conséquence, le maintien du soutien à la politique d’annexion de cette région.
87 Il résulte ainsi des points 62 à 86 ci-dessus que le Conseil a, sans erreur d’appréciation, considéré que le critère a) était constitué à l’égard du requérant, de sorte qu’il y a lieu de rejeter le premier moyen.
Sur le cinquième moyen, relatif à la violation du droit de propriété, au regard du principe de proportionnalité
88 Par son cinquième moyen, le requérant affirme que les actes attaqués violent le droit de propriété.
89 À cet égard, il fait, en substance, valoir que, pour une personne présidant une société de développement d’État, le gel de ses biens sur le territoire de l’Union, ainsi que l’interdiction de mettre à disposition des biens ou des ressources économiques constituent des atteintes majeures à son droit de propriété, puisque les mesures restrictives dont il fait l’objet l’empêchent d’opérer sur le marché de l’Union.
90 De telles mesures porteraient atteinte à sa réputation et à la perte du nom commercial et partant à son droit de propriété.
91 De même, l’interdiction d’entrer et de séjourner sur le territoire d’un État membre limite la liberté d’une personne physique de conclure des contrats et d’accéder à des crédits, ce qui constitue inévitablement une limitation de son droit de propriété.
92 S’agissant de la violation du principe de proportionnalité, le requérant fait notamment valoir que les mesures restrictives ne sont pas de nature à atteindre les objectifs poursuivis par l’Union, dans des circonstances où, depuis l’institution de ces mesures, la situation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine s’est largement détériorée, et où l’analyse historique de mesures similaires a prouvé leur inefficacité.
93 Le caractère disproportionné des mesures restrictives tient également au fait que, en pratique, elles revêtiraient un caractère définitif, dès lors que le Conseil ne tiendrait pas toujours compte des changements réels intervenus dans la situation des personnes concernées au moment du réexamen de ces mesures.
94 Le requérant ajoute que le Conseil ne saurait se prévaloir du fait que l’article 4 du règlement 269/2014 modifié donne la possibilité aux autorités nationales de débloquer les fonds, alors même qu’un tel dispositif entraîne une insécurité juridique du fait de la possibilité d’un traitement très différent selon l’autorité nationale saisie.
95 À cet égard, il convient de rappeler que le droit de propriété fait partie des principes généraux du droit de l’Union et est consacré par l’article 17 de la Charte. (arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 166).
96 En l’espèce, les mesures restrictives frappant notamment le requérant constituent des mesures conservatoires, qui ne sont pas censées priver les personnes concernées de leur propriété. Toutefois, les mesures en cause entraînent incontestablement une restriction de l’usage du droit de propriété (arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 167).
97 Cependant, selon une jurisprudence constante, ce droit fondamental ne jouit pas, dans le droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société (voir arrêt du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 113 et jurisprudence citée).
98 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».
99 Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux en cause doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi ». Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de la liberté en cause. Troisièmement, elle doit répondre effectivement à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêts du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 69 et 84 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 140 et jurisprudence citée).
100 En l’espèce, ces conditions sont remplies.
101 En effet, en premier lieu, les mesures restrictives en cause que les actes attaqués comportent pour le requérant sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union, ainsi que d’une motivation suffisante en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application au requérant, ainsi que cela résulte des points 24 à 38 ci-dessus (voir, par analogie, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée).
102 En deuxième lieu, les mesures restrictives en cause constituent des restrictions temporaires et réversibles du droit de propriété. En effet, les actes initiaux comme les actes de maintien de l’inscription du nom du requérant sur les listes des mesures restrictives s’appliquent pour six mois et font l’objet d’un suivi constant, comme prévu à l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée.
103 De plus, il doit être rappelé que l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 modifiée et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement 269/2014 modifié prévoient la possibilité d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou pour satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.
104 En troisième lieu, les mesures restrictives en cause visent à exercer une pression directe ou indirecte sur le gouvernement de la Fédération de Russie et sur ses dirigeants afin que ceux-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes de droit international ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles.
105 En quatrième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 205 et jurisprudence citée).
106 À ce propos, la jurisprudence précise que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée).
107 En l’espèce, en ce qui concerne le caractère approprié des mesures en cause, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que ceux mentionnés au point 104 ci-dessus, celles-ci ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (voir arrêt du 3 février 2021, Boshab/Conseil, T‑111/19, non publié, EU:T:2021:54 point 150 et jurisprudence citée).
108 En outre, s’agissant du caractère nécessaire de ces mesures, il convient de constater que des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir arrêt du 3 février 2021, Boshab/Conseil, T‑111/19, non publié, EU:T:2021:54, point 151 et jurisprudence citée).
109 De plus, comme indiqué aux points 102 et 103 ci-dessus, il s’agit de restrictions temporaires et réversibles avec des possibilités de dérogations accordées par les États membres. Partant, les inconvénients causés au requérant n’apparaissent pas comme étant démesurés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués.
110 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du requérant.
111 En effet, premièrement, le requérant ne démontre pas en quoi le gel de ses propres avoirs nuirait à l’activité économique de VEB.RF, laquelle, en tant que société d’État, dispose d’un patrimoine propre et distinct de celui de son dirigeant.
112 Deuxièmement, le requérant ne démontre pas que l’impossibilité dans laquelle il se trouve d’entrer, de séjourner et de transiter sur le territoire de l’Union, l’empêcherait, de manière générale et absolue, à « faire des affaires » et porterait ainsi atteinte à son droit de propriété.
113 Troisièmement, à supposer même que le requérant soit propriétaire d’un nom commercial ou que l’atteinte portée à sa réputation constitue un droit de propriété, il y a lieu de constater que, outre le fait que le requérant n’apporte aucun élément concret qui étaye la réalité d’un tel préjudice, il suffit pour lui de mettre un terme aux agissements justifiant l’édiction des mesures restrictives pour qu’il soit mis fin aux mesures restrictives et aux conséquences qu’elles entraînent sur le plan de son image publique.
114 Quatrièmement, à supposer que le Conseil ne tienne pas compte d’éléments nouveaux qui modifieraient la situation du requérant dans le cadre de l’examen d’une mesure de maintien, il appartiendrait alors à ce dernier de contester la légalité de la décision devant le Tribunal.
115 Cinquièmement, il y a lieu de relever que le grief relatif aux prétendues pratiques différentes, adoptées par les autorités nationales en ce qui concerne le déblocage des fonds, ne s’appuie sur aucun élément concret qui permette de considérer ce grief comme étant avéré.
116 Ainsi et dès lors qu’aucun élément n’est de nature à caractériser l’existence d’une violation du droit de propriété au regard du principe de proportionnalité, il y a lieu de rejeter ce moyen.
Sur le troisième moyen, relatif à la violation du droit fondamental à la liberté d’expression, et le sixième moyen, relatif à la violation du principe d’égalité de traitement
117 Concernant le troisième moyen, relatif à la violation du droit à la liberté d’expression, le requérant soutient que les déclarations mentionnées dans le document no 11 du dossier initial sont intervenues à l’occasion d’un discours prononcé dans le cadre d’un débat politique et qu’il ne peut, ainsi, pas faire l’objet de mesures restrictives au titre de l’exercice de sa liberté d’expression, protégée par l’article 11, paragraphe 1, de la Charte.
118 Le requérant fait valoir que la Cour européenne des droits de l’homme a interprété l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, en ce sens que la liberté d’expression n’a pratiquement pas de limites lorsqu’elle est exercée dans le cadre d’un discours politique, ce qui est en l’espèce le cas.
119 S’agissant du sixième moyen, relatif à la violation du principe d’égalité de traitement, le requérant fait valoir que les mesures restrictives dont il fait l’objet ne sont pas justifiées, de sorte qu’il se voit injustement appliquer un traitement similaire à ceux à l’égard desquels l’édiction des mesures restrictives est justifiée.
120 Dans la réplique, le requérant fait notamment valoir que, s’agissant de la liberté d’expression, le Conseil ne se prévaut pas de restrictions nécessaires dans une société démocratique, ni d’un besoin social impérieux.
121 En réponse, le Conseil conclut au rejet de ces deux moyens.
122 À cet égard, il y a lieu d’emblée de relever que le requérant invoque la liberté d’expression pour se prémunir de mesures restrictives, ayant une nature conservatoire, que le Conseil a adoptées afin de réagir aux actions et aux politiques du gouvernement russe et des décideurs russes responsable de l’invasion de l’Ukraine et qui déstabilisent cette région (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 97), et non pour se prévaloir de ce droit comme moyen de défense contre l’État russe.
123 De plus, si ces mesures restrictives ont pour objet ou pour effet d’affecter le droit de propriété, la liberté d’établissement ainsi que l’entrée sur le territoire des États membres, elles n’affectent nullement le droit à la liberté d’expression, dès lors que rien n’empêche le requérant d’exprimer librement ses opinions.
124 En effet, les propos tenus par le requérant et repris dans les motifs des actes attaqués constituent uniquement des éléments parmi d’autres, qui sont dûment corroborés par le dossier de preuves et destinés à étayer le constat qu’il satisfait aux conditions édictées par le critère a).
125 Il résulte ainsi des éléments mentionnés aux points 122 à 124 ci-dessus que le troisième moyen, relatif à la violation de la liberté d’expression, doit être rejeté.
126 S’agissant du sixième moyen, relatif à la violation du principe d’égalité de traitement, il suffit de relever que, dès lors qu’il résulte des points 62 à 87 ci-dessus que le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le critère a) était constitué à l’encontre du requérant, il y a lieu de rejeter ce moyen.
127 Eu égard aux éléments mentionnés aux points 122 à 126 ci-dessus, il y a lieu de rejeter ces deux moyens.
Sur le quatrième moyen, tiré du droit à une protection juridictionnelle effective, et le septième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir
128 Par son quatrième moyen, le requérant fait, en substance, valoir que le Conseil l’a privé de son droit à une protection juridictionnelle effective dans la mesure où les actes attaqués ne sont ni motivés ni étayés par des éléments de preuve suffisants et violent la liberté d’expression ainsi que le droit de propriété.
129 Concernant le septième moyen, le requérant fait valoir que, en ne fournissant pas de preuves suffisantes pour justifier l’édiction de mesures restrictives à son égard et, en conséquence, en commettant une erreur manifeste d’appréciation, ainsi qu’en ne motivant pas les actes attaqués et en portant atteinte au droit fondamental à la liberté d’expression, le Conseil a commis un détournement de pouvoir.
130 Dans ses deux mémoires en adaptation, le requérant maintient les arguments précédemment développés.
131 Concernant ces deux moyens, il y a lieu de relever que, pour les motifs déjà invoqués ci-dessus, les actes attaqués s’appuient sur une motivation suffisante, sont étayés par des éléments de preuve suffisants et, enfin, ne violent ni le droit de propriété ni la liberté d’expression.
132 De plus, s’agissant spécifiquement du moyen tiré du détournement de pouvoir, il y a lieu de relever qu’aucun élément du dossier ne permet de considérer que les actes attaqués ont été adoptés dans le but exclusif ou, à tout le moins déterminant, d’atteindre d’autres fins que celles excipées par le Conseil ou pour éluder une procédure spécialement prévue pour parer aux circonstances de l’espèce.
133 Il s’ensuit qu’il convient de rejeter ces deux moyens et le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
134 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) M. Igor Shuvalov est condamné aux dépens.
Spielmann | Gâlea | Tóth |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 février 2024.
Signatures
* Langue de procédure : l’espagnol.
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